Par le compte de l’omer, nous traçons une ligne ascendante, qui va de Pessa’h à Chavou’ot. La fête de Pessa’h exprime le côté national du peuple d’Israël car, lors de la sortie d’Egypte, la spécificité d’Israël se révéla, en ce que le Saint béni soit-Il nous choisit d’entre tous les peuples, bien que nous fussions plongés dans les quarante-neuf degrés de l’impureté. La fête de Chavou’ot, elle, exprime la part spirituelle d’Israël, car, à ce moment, nous parvînmes au sommet spirituel que constitue la réception de la Torah. À Pessa’h, nous commençâmes notre processus de libération du joug égyptien ; à Chavou’ot, nous parachevâmes notre libération du joug égyptien et des conceptions exclusivement humaines, et nous eûmes le mérite de recevoir la Torah du Ciel, Torah dont il est dit que toute personne qui se livre à son étude devient véritablement libre (Maximes des Pères 6, 2).
Autre aspect de la question : à Pessa’h se dévoile la foi (émouna) simple, naturelle, enfouie dans l’âme de chaque Juif, et que le peuple d’Israël avait conservée, même pendant les années de la servitude d’Egypte. À Chavou’ot, nous nous élevons au niveau de la foi élaborée, clarifiée, élargie par l’effet de la Torah. La foi naturelle possède une grande force, elle est la base de la vie ; mais il n’est pas en son pouvoir de diriger la vie et de la parachever. Par la Torah et ses commandements, il nous est donné de relier toutes les composantes de notre vie, l’intellect, l’émotion et l’acte, à la foi.
Nous voyons donc que, par le compte de l’omer, nous nous élevons à deux égards : de la dimension nationale à la dimension spirituelle, et de la foi naturelle à une foi enrichie par l’effet de la Torah et des mitsvot.
Or il n’est pas possible de parvenir à Chavou’ot sans Pessa’h. Car c’est en ayant conscience de la spécificité d’Israël que nous pouvons nous élever vers la Torah. C’est grâce à l’élection d’Israël, qui se révéla lors de la sortie d’Egypte, que nous pouvons recevoir la Torah ; comme nous le disons dans la bénédiction de la Torah : « Béni sois-Tu, Eternel… qui nous as choisis d’entre tous les peuples… », à partir de quoi nous poursuivons : « … et nous as donné ta Torah. » De même, il est impossible d’intégrer la foi complexe et élaborée, qui s’assimile par l’intellect, sans révéler d’abord la foi simple et naturelle. C’est pourquoi il est si important de relier la fête de Pessa’h à celle de Chavou’ot. Le compte de l’omer est ce lien, cette échelle reliant Pessa’h à Chavou’ot[1].
On peut suggérer que c’est là que réside le fondement de la controverse entre ceux qui soutiennent que la mitsva du compte de l’omer, de nos jours, reste toranique (de-Oraïtha) et ceux qui estiment qu’elle est rabbinique (derabbanan) (cf. ci-après, § 4). Si le propos du compte est de s’élever, d’une foi simple à une foi intellectuelle, telle que l’étude de la Torah permet de l’élaborer, alors le compte reste, même aujourd’hui, une mitsva toranique. Mais s’il s’agit de s’élever d’une foi révélée par la rétractation et l’abstention, qu’exprime l’interdit du ‘hamets (cf. Pniné Halakha, Lois de Pessa’h, chap. 1 § 5-6), à une foi se révélant dans tous les domaines de la vie, en ce monde-ci selon toutes ses jouissances, alors la chose dépend de la présence du Temple. Celui-ci relie en effet le ciel et la terre ; aussi, tant que l’on n’est pas en mesure d’apporter l’offrande de la gerbe, qui exprime les forces matérielles, et à partir de laquelle il est donné de s’élever jusqu’à l’offrande des deux pains, il demeure impossible de révéler pleinement la foi dans tous les domaines de l’existence. Aussi, le compte est-il de rang rabbinique seulement.