Pniné Halakha

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Chapitre 15 – La Haggada

01. « Tu raconteras à ton fils »

C’est une mitsva positive que de raconter la sortie d’Egypte, le soir du 15 nissan ; et si l’on prolonge le récit de la sortie d’Egypte, que l’on décrive les grands bienfaits que l’Eternel accomplit en notre faveur – Lui qui nous sauva de la main des Egyptiens et qui exerça sur eux notre vengeance –, que l’on expose les miracles et les prodiges que Dieu dévoila alors, en ce pays, en notre faveur, que l’on traite des lois de Pessa’h, et que l’on s’étende en louanges de Dieu, on est digne d’éloge. L’essentiel de cette mitsva consiste à faire ce récit aux enfants, comme il est dit : « Tu raconteras [cela] à ton fils, en ce jour, en disant : “C’est en vertu de ceci que l’Eternel agit pour moi, quand je sortis d’Egypte” » (Ex 13, 8). Toutefois, même si l’on n’a pas d’enfants, c’est une mitsva toranique que de rappeler, le soir de Pessa’h, la sortie d’Egypte, comme il est dit : « Souviens-toi de ce jour où vous êtes sortis d’Egypte, d’une maison d’esclaves, car c’est d’un bras puissant que l’Eternel vous fit sortir de là » (ibid. verset 3).

Il faut savoir que deux commandements de la Torah nous ordonnent d’éduquer les enfants : par le premier, il nous est prescrit de leur enseigner la Torah, écrite et orale, afin qu’ils puissent comprendre le monde convenablement, et y vivre en conformité avec les ordonnances divines ; à ce titre, il faut les habituer à l’accomplissement des mitsvot, car il est impossible de leur enseigner les mitsvot du Chabbat, de la cacheroute ou d’autres lois sans qu’ils s’habituent à leur observance (cf. Pniné Halakha, Les Lois de Chabbat II, chap. 24 § 1). Le second commandement nous prescrit de raconter aux enfants la sortie d’Egypte durant la soirée du séder. De prime abord, cela semble difficile à comprendre : n’aurait-on pu inclure le récit de la sortie d’Egypte au sein de la mitsva générale d’enseignement de la Torah ? Qu’y a-t-il de spécifique dans la soirée du séder ? La réponse est que l’orientation de cette nuit particulière est de transmettre aux enfants les fondements de la foi (émouna), qui précèdent l’étude ordinaire de la Torah ; afin qu’ils sachent comment le peuple juif s’est constitué, que Dieu a choisi Israël en tant que son peuple particulier, lui confiant la grande mission de recevoir la Torah et d’amener le monde à sa rédemption. Les parents, en effet, ne vivront pas éternellement en ce monde terrestre, et ce sont les enfants qui devront, à leur tour, porter la flamme de la tradition, le grand et redoutable rôle que l’Eternel a imparti au peuple d’Israël, jusqu’à la rédemption parfaite. Tel est le message de la soirée du séder, et toutes les mitsvot de cette soirée poursuivent cette finalité.

Il convient encore de savoir que l’on apprend l’obligation d’étudier la Torah du verset : « Vous les enseignerez [ces lois] à vos fils, leur en parlant… » (Dt 11, 19). Nos sages déduisent en effet de ce verset que, si l’on a l’obligation d’enseigner la Torah à son fils, on doit nécessairement l’étudier soi-même (Qidouchin 29b). On peut comprendre par-là que le propos essentiel de la Torah est d’influer, d’ajouter de la vie dans le monde, et non de se contenter d’élever celui qui, individuellement, étudie la Torah. Aussi la Torah met-elle l’accent, quant à la mitsva de l’étude, sur l’obligation d’enseigner la Torah aux enfants, car tel est le propos essentiel de la Torah que d’influer sur tout le peuple d’Israël, en toutes ses générations ; dès lors, il est certain que c’est une mitsva pour chaque particulier en tant que tel que d’étudier la Torah, selon ses possibilités. De plus, quand on apprend en vue d’enseigner, l’apprentissage devient plus méthodique et plus profond. De même, quand il s’agit de la mitsva de raconter la sortie d’Egypte, l’accent principal est mis sur la transmission de la responsabilité morale aux enfants ; partant, il est clair que les parents eux-mêmes devront rechercher une compréhension plus profonde de leur rôle, afin d’être dignes du grand destin du peuple juif.

02. La mitsva de raconter la sortie d’Egypte, le soir de Pessa’h

C’est une mitsva de la Torah que de raconter la sortie d’Egypte, le soir, à la date même où nous quittâmes l’Egypte pour accéder à la liberté perpétuelle. Certes, c’est chaque jour une mitsva que de se rappeler la sortie d’Egypte, comme il est dit : « Afin que tu te souviennes du jour où tu sortis de la terre d’Egypte, tous les jours de ta vie » (Dt 16, 3), verset que Ben Zoma a commenté de la façon suivante : « S’il était seulement écrit “les jours de ta vie”, la mitsva de se souvenir de la sortie d’Egypte s’appliquerait seulement aux jours ; mais puisqu’il est écrit “tous les jours de ta vie”, le mot tous vient également inclure les nuits » (Berakhot 12b). Afin de se rappeler, chaque jour et chaque nuit, la sortie d’Egypte, nous terminons la lecture du Chéma Israël par un paragraphe tiré du livre des Nombres (15, 37-41), qui s’achève par le verset : « Je suis l’Eternel, votre Dieu, qui vous ai fait sortir du pays d’Egypte pour être votre Dieu ; Je suis l’Eternel votre Dieu. » Mais il y a plusieurs différences significatives entre cette mitsva quotidienne et la mitsva de la nuit du séder.

Premièrement, pour accomplir la mitsva de tous les jours, il suffit d’une simple mention, servant de rappel ; tandis que, le soir du séder, la mitsva consiste à raconter, longuement, l’événement de la sortie d’Egypte. Deuxièmement, le soir du séder, il y a une mitsva particulière de faire ce récit aux enfants. Troisièmement, le soir du séder, la mitsva consiste à faire ce récit pendant que la matsa et les herbes amères sont placées devant nous. Quatrièmement, le soir du séder, la mitsva consiste à faire un récit dialogué, sous forme de questions et de réponses. Cinquièmement, les femmes sont dispensées de la mitsva de rappeler la sortie d’Egypte chaque jour, tandis qu’elles sont tenues au récit de la sortie d’Egypte le soir du séder[1].

Il faut tenir pour principe que la sortie d’Egypte est l’un des fondements de la foi d’Israël. C’est lors de cet événement, en effet, que la Providence divine s’est dévoilée pour la première fois dans le monde, devant tout un peuple, par des miracles et de grands prodiges, et que s’est manifestée la volonté divine de choisir Israël pour son peuple, destiné à révéler sa parole au monde. Aussi, tous les Chabbats, toutes les fêtes, sont en souvenir de la sortie d’Egypte, comme nous le disons dans la prière et dans le Qidouch. Grâce à la mitsva particulière de raconter la sortie d’Egypte, le soir du séder, s’affermit le puissant principe de la foi (émouna), ce qui donne sens à toutes les courtes mentions de la sortie d’Egypte, faites au cours de l’année.


[1]. Choul’han ‘Aroukh 472, 14. Toutefois, les décisionnaires sont partagés quant au fait de savoir si l’obligation, pour les femmes, de prendre part à la lecture de la Haggada est une de rang toranique ou rabbinique. Selon le Séfer Ha’hinoukh, fin de la mitsva 21, les femmes y sont toraniquement obligées. En effet, puisque la Torah les oblige à la consommation du sacrifice pascal et de la matsa, elles sont également tenues à la mitsva du récit de la sortie d’Egypte, récit qui doit être précisément fait en présence et au sujet du sacrifice pascal, de la matsa et des herbes amères. Selon d’autres, puisqu’il s’agit d’une mitsva positive conditionnée par le temps, les femmes n’y sont pas tenues toraniquement ; c’est en vertu d’une règle rabbinique qu’elles doivent accomplir toutes les mitsvot du soir du séder, car elles aussi ont bénéficié du même miracle. C’est ce qui ressort de Tossephot sur Pessa’him 108b ; cf. responsa ‘Hazon ‘Ovadia 20, qui présente longuement les différentes opinions.

03. L’obligation d’amorcer le séder par une question

La mitsva consiste à raconter la sortie d’Egypte sous forme de questions et de réponses, comme il est dit : « Lorsque ton fils t’interrogera, demandera, demain (…), tu diras à ton fils : “Nous étions esclaves de Pharaon en Egypte…” » (Dt 6, 20-22). De même, il est dit : « Alors, quand vos enfants vous demanderont : “Qu’est-ce que ce service pour vous ?”, vous leur direz : “C’est le sacrifice pascal dédié à l’Eternel” » (Ex 12, 26-27). Il est dit encore : « Alors, quand ton fils, demain, t’interrogera, en disant : “Qu’est cela ?”, tu lui diras : “D’une main forte, l’Eternel nous fit sortir d’Egypte » (Ex 13, 14).

Par la question, le cœur et l’esprit s’ouvrent à l’accueil de la réponse. Or puisque le message que nous avons à transmettre, le soir du séder, est d’une importance essentielle, il nous est prescrit de le transmettre sous la meilleure forme : celle de questions et de réponses.

Les mitsvot particulières à la nuit du séder, consommation de la matsa, sacrifice pascal, herbes amères, répondent à la même raison première : amener les enfants à demander : Ma nichtana ? – « En quoi cette nuit est-elle différente de toutes les autres nuits ? » – afin qu’ils perçoivent qu’il s’agit d’une nuit particulière, dont il faut comprendre la nature. Comme prolongement à cela, les sages ont apporté plusieurs changements à l’ordonnancement habituel du repas, afin de conduire les enfants à s’étonner davantage, et à poser des questions. Au début de la soirée, on leur distribue des noix et des grains grillés, grâce à quoi ils comprennent qu’il s’agit d’une soirée festive et particulière. Après le Qidouch, les sages ont prescrit de se laver les mains et de manger du karpas[a] trempé dans de l’eau salée, ce que l’on ne fait pas dans le reste de l’année. Bien plus, par la suite, au lieu de commencer le repas, on sert une deuxième coupe de vin[b], et l’on ôte le plateau et les matsot de la table. Tout cela vise à éveiller l’attention des enfants, afin qu’ils comprennent que cette nuit est une nuit différente, qu’ils s’intéressent véritablement à sa signification, et qu’ils demandent, des profondeurs de leur cœur : Ma nichtana ?

Dans cette question, Ma nichtana, est peut-être enfouie une question plus vaste, redoutable question sur tout ce qui a trait au peuple d’Israël : pourquoi est-il différent de tous les peuples, en sa foi, en ses lois, en ses épreuves, en ses réalisations spirituelles, en son exil et en sa Délivrance ? C’est une question à laquelle il est impossible de donner une réponse complète : ce n’est qu’en méditant sur la sortie d’Egypte et sur l’élection d’Israël que nous pourrons nous rendre compte qu’il s’agit là d’un fait divin, fait qu’il nous est donné de comprendre partiellement, mais que nous ne comprendrons jamais intégralement. Ainsi, cette question nous pousse-t-elle toujours plus haut, vers une compréhension plus profonde et plus élevée, sans fin. C’est peut-être pour cela que la Torah nous prescrit, le soir de Pessa’h, de nous livrer au récit de la sortie d’Egypte et de l’élection d’Israël sous forme de questions et de réponses : parce que l’essence même de l’idée juive dépend du questionnement, lequel nous ouvre à un flux infini d’idées. Or sans transmission de la Torah et du récit aux enfants, il est impossible que de nouvelles questions jaillissent, et que nous continuions de nous élever.


[a]. Selon les traditions, céleri, cerfeuil ou pomme de terre. Cf. chap. 16 § 15.

[b]. La première est celle du Qidouch.

04. Le texte de Ma nichtana

Pour donner au questionnement un cadre bien ordonné, les sages ont institué un texte, Ma nichtana (« Qu’est-ce qui différencie [cette nuit de toutes les nuits] ? »), par lequel les enfants expriment leur étonnement devant les différences que présente cette nuit. C’est à la suite de ce questionnement qu’on leur fera le récit de la sortie d’Egypte. Les sages ont formulé, dans le texte de Ma nichtana, des questions relatives à toutes les mitsvot alimentaires de la soirée du séder : la matsa, les herbes amères, l’agneau pascal, le fait de tremper par deux fois un aliment dans un liquide. Après la destruction du Temple, la question sur l’agneau pascal a été retirée du rituel ; à la place, on pose une question relative au mode de consommation : le fait de manger accoudé.

Quand il n’y a pas d’enfants pour demander Ma nichtana, c’est le plus jeune des convives qui lira ce texte. Même si tous les convives sont des érudits, instruits dans le récit de la sortie d’Egypte, l’un d’eux demandera néanmoins : Ma nichtana. Même si l’on est seul pour passer la soirée du séder, on devra inaugurer celle-ci par cette question : Ma nichtana. Car c’est ainsi qu’est conçu le séder[c] : on commence par une question, de façon que le récit soit plus complet[d]. Dès lors que les enfants, ou l’un des convives, a récité le Ma nichtana, les autres convives n’ont pas besoin de répéter ces mêmes questions : on commencera immédiatement la récitation des réponses : « Nous étions esclaves de Pharaon en Egypte… » (Choul’han ‘Aroukh et Rama 473, 7)[2].


[c]. Séder : littéralement, l’ordre, c’est-à-dire le cérémonial de la soirée pascale, tel qu’il est ordonnancé.

[d]. Sur le sens du questionnement dans le judaïsme, voir le paragraphe précédent.

[2]. Selon plusieurs Richonim, du moment que l’enfant a posé une quelconque question sur le thème de la soirée du séder, on est quitte de l’obligation de procéder par questionnement, et il n’est plus nécessaire de lire formellement le texte du Ma nichtana. C’est l’opinion du Roqéa’h, du Maharil et d’autres autorités. Mais pour la majorité des Richonim, parmi lesquels Tossephot et Maïmonide, il faut réciter tout le texte de Ma nichtana, même quand l’enfant pose de lui-même quelque question sur le thème du séder. C’est en ce dernier sens que la halakha est tranchée. Cf. Bérour Halakha sur Pessa’him 115b, qui résume les opinions. (Quoi qu’il en soit, il y a lieu de faire en sorte de susciter chez l’enfant quelque question venant de lui-même, afin d’accomplir ce que dit la Torah : « Quand ton fils te demandera… » ; simplement, même si l’enfant pose ses propres questions, il faut encore réciter toutes les questions instituées par nos sages.)

Selon une opinion, ce n’est que lorsque le fils questionne qu’il y a une mitsva toranique de raconter la sortie d’Egypte ; s’il ne pose pas de question, en revanche, la mitsva toranique est seulement de se souvenir de la sortie d’Egypte, mais il n’est pas nécessaire d’en faire le récit en détail ; ce n’est qu’en vertu d’une norme rabbinique qu’il est, dans tous les cas, obligatoire de raconter la sortie d’Egypte. C’est ce qui ressort des responsa du Roch, principe 24, 2. Mais telle n’est pas l’opinion de la majorité des décisionnaires, qui considèrent que, dès lors que l’on a un fils, c’est une mitsva toranique que de lui raconter la sortie d’Egypte, comme il est dit, au sujet du fils qui ne sait pas poser de questions : « Tu raconteras (véhigadta) cela à ton fils, en ce jour, en ces termes : “C’est en vertu de ceci que l’Eternel a agi pour moi, quand je sortis d’Egypte” » (Ex 13, 8).  C’est ce qu’écrit le Choul’han ‘Aroukh Harav 473, 42.

(Dans ses gloses sur le Séfer Mitsvot Gadol, mitsva 32, Rabbénou Yerou’ham Perla écrit que, selon Na’hmanide et d’autres Richonim encore, celui qui ne mange pas de matsa est dispensé du récit de la sortie d’Egypte, ainsi qu’il est dit : « C’est en vertu de ceci… », ce que les sages commentent : « Quand on a du pain azyme devant soi ». Cf. Sidour Pessa’h Kehilkhato 6, note 2, qui établit une différence entre le cas où l’enfant pose des questions, cas dans lequel on a l’obligation de faire un récit détaillé, et le cas où il ne pose pas de questions, et où l’on peut se contenter d’un rappel abrégé. Il est permis de suggérer que, si l’enfant interroge, c’est une mitsva pour le père que de développer son propos, en fonction de la question posée, et que, si l’enfant n’interroge pas, c’est pour le père une mitsva de la Torah que de lui raconter la sortie d’Egypte, sans pour autant qu’il y ait une mitsva à développer le propos. Le développement du propos dépend en effet de la volonté de l’enfant d’écouter et de recevoir des réponses.)

Quoi qu’il en soit, il est certain, d’après les paroles des sages, qu’il faut réciter tout le texte de la Haggada en tout état de cause, puisque, dans le cas même où l’on est seul, on s’interroge soi-même, comme le rapporte la Guémara Pessa’him 116a, et par conséquent on endosse soi-même l’obligation du complet récit.

05. « La Torah parle de quatre fils »

Par quatre fois, la Torah dit que l’on a l’obligation de raconter la sortie d’Egypte à son fils, et de lui expliquer le thème de Pessa’h. À chaque fois, cependant, la Torah emploie un langage différent ; par ces différences d’expression, nous apprenons que nous devons présenter le récit de la sortie d’Egypte d’une manière qui convienne à chaque enfant, suivant ses aptitudes et son caractère.

Dans l’un de ces quatre passages, il est dit : « Lorsque ton fils t’interrogera, demain, en ces termes : “Que sont ces statuts, lois et préceptes, que l’Eternel notre Dieu vous a ordonnés ?” » (Dt 6, 20). Cette formulation, dans laquelle le fil exprime son interrogation de façon détaillée – en mentionnant à la fois les statuts (‘édot), les lois (‘houqim) et les préceptes (michpatim) –laisse entendre qu’on parle ici d’un fils sage (‘hakham). De la suite du verset, nous apprenons que, dans la réponse faite à un fils intelligent, il faut expliquer largement toute la thématique de la sortie d’Egypte, de la mitsva de la Pâque, et de la destinée du peuple d’Israël. Aussi, la réponse que fait la Torah au fils sage est-elle la plus longue et la plus détaillée (comme on en verra le détail au paragraphe suivant).

En un autre endroit, il est écrit : « Or lorsque vos fils vous demanderont : “Qu’est-ce, pour vous, que ce service ?”, vous leur répondrez : “C’est le sacrifice pascal pour l’Eternel, qui passa (passa’h) au-dessus des maisons des enfants d’Israël en Egypte, lorsqu’Il frappa l’Egypte et qu’Il sauva nos maisons” » (Ex 12, 26). Cela fait allusion[e] au fils méchant (racha’), qui nomme les mitsvot « travail » (‘avoda, litt. « service »), car il lui est dur de les accomplir, et qui dit : « Qu’est-ce, pour vous, que ce travail ? » car il ne se sent pas associé aux mitsvot. Malgré cela, la Torah fait obligation au père de s’intéresser à lui et de lui expliquer la thématique de l’élection d’Israël, qui se traduit par la règle du sacrifice pascal. Il faut toujours avoir foi dans le fait que ces paroles entreront peut-être dans son cœur, qu’il se ceindra de force et de foi, sanctifiera le nom divin et transmettra le flambeau de la tradition à la génération suivante.

Il est dit encore : « Or quand ton fils, demain, te demandera : “Qu’est cela ?”, tu lui diras : “C’est d’une main forte que l’Eternel nous a fait sortir d’Egypte, de la maison de servitude. Il arriva, quand Pharaon refusa de nous laisser partir, que l’Eternel tua tout premier-né sur la terre d’Egypte, du premier-né de l’homme au premier-né de la bête” » (Ex 13, 14-15). Et puisque cet enfant demande simplement « Qu’est cela ? », le texte indique qu’il est simple (tam), qu’il ne sait pas détailler son interrogation ; en un tel cas, la Torah nous prescrit de lui expliquer, selon ses facultés de compréhension, les événements marquants qui eurent lieu lors de la sortie d’Egypte, les grandes plaies qui frappèrent les Egyptiens, l’endurcissement du cœur de Pharaon, qui fut enfin brisé par la mort des premiers-nés. Ce sont là des paroles que l’enfant simple peut intégrer, et c’est par cela qu’il est le plus impressionné.

Dans le cas même où l’enfant ne prend l’initiative d’aucune question (ché-eino yodéa’ lichol : il « ne sait pas questionner »), il faut lui raconter la sortie d’Egypte, comme il est dit : « Des azymes seront consommés… Et tu raconteras (véhigadta) à ton fils, en ce jour : “C’est en vertu de ceci que l’Eternel agit en ma faveur, quand je sortis d’Egypte” » (Ex 13, 7-8). Dans la mesure où cet enfant n’a posé aucune question, il faut éveiller son intérêt par le biais de choses concrètes. Aussi lui disons-nous : « En vertu de ceci…[f] », c’est-à-dire : par le mérite des azymes, des herbes amères et du sacrifice pascal, l’Eternel a fait ces miracles en notre faveur et nous a fait sortir d’Egypte. Aussi, le soir du séder, on pose le plateau sur la table, afin que chacun des aliments présentés sur le plateau fasse ressentir aux participants, de manière concrète, l’un des aspects, l’un des sens, que porte en elle la soirée du séder[3].


[e]. Cette lecture des versets n’est pas une exégèse, mais constitue une élaboration midrachique. Suivant le sens littéral, les versets ne parlent pas nécessairement de fils différents ; mais les variations de forme que présentent les versets invitent à passer d’une caractérisation des questions à une classification caractérologique de ceux qui les posent. Du reste, les réponses faites par la Bible elle-même aux différentes questions qu’elle prête à l’enfant ne sont pas nécessairement les mêmes que celles faites par la Haggada, la tradition orale suivant son propre propos.

[f]. L’expression « en vertu de ceci » (ba’avour zé) suggère que l’on désigne des choses placées devant soi.

[3]. Il est intéressant de constater que la réponse faite au fils « méchant » (racha’) est relative à l’oblation du sacrifice pascal, en Egypte comme dans les générations suivantes (Ex 12, 21-27). C’est le sacrifice et l’aspersion du sang qui suscitent chez le « méchant » le plus grand questionnement, et la réponse qui lui est faite n’élude pas la question, mais traite de l’élection d’Israël en elle-même, sujet très élevé, dont les racines se situent au-delà de l’intellect humain et dont les ramifications se révèlent au sein de la réalité historique.

Le récit fait à celui qui ne sait pas poser de question (ché-eino yodéa’ lichol), en revanche, intervient après avoir accompli la mitsva de manger des matsot à Pessa’h (Ex 13, 8). À ce qu’il semble, par le biais de la consommation concrète des matsot, on pourra expliquer à l’enfant le thème de la sortie d’Egypte, jusqu’à ce qu’il atteigne un bon degré de compréhension. (L’enfant qui ne sait pas questionner n’est pas un sot ; simplement, il ne s’intéresse pas.)

La réponse apportée à l’enfant « simple » (tam) a pour contexte la mitsva de sanctifier les premiers-nés. Le simple n’est en effet pas très savant, aussi faut-il l’éduquer à la crainte du Ciel et au respect de la sainteté, ce que l’on produit en le faisant réfléchir à la force divine (« d’une main forte ») et à la plaie des premiers-nés. Ce faisant, cet enfant accueille les mitsvot, dont le rôle est de nous sanctifier et de nous distinguer des autres peuples.

Quant à la question du sage et à la réponse qui lui est donnée, leur contexte n’en est pas précisément la Pâque : le chapitre 6 du Deutéronome traite des fondements de la foi et du destin d’Israël. Or dans la mesure où la base de tout réside dans la sortie d’Egypte, nos sages relient la question de cet enfant aux mitsvot du soir de Pessa’h. Par ce biais, on lui explique tous les fondements de la foi (cf. versets 21 à 25).

06. Le message central de la Haggada

Pour comprendre véritablement l’orientation de la Haggada, et le récit de la sortie d’Egypte, il faut réfléchir à la question du fils sage et à la réponse qui lui est faite[g]. C’est en effet le meilleur des fils, et nous prions nous-mêmes pour que tous les enfants se développent et s’élèvent au point de parvenir à la sagesse.

Tout d’abord, l’enfant sage pose sa question de façon détaillée, comme il est dit : « Lorsque ton fils t’interrogera, demain, en disant : “Que sont ces statuts, lois et préceptes, que l’Eternel notre Dieu vous a ordonnés ?” » (Dt 6, 20). La réponse qui lui est faite concerne en premier lieu la sortie d’Egypte ; puis l’explication s’élargit, touchant à la destinée générale du peuple d’Israël : venir en terre d’Israël, s’attacher à Dieu, accomplir ses commandements, et mériter la bonté divine, comme il est dit : « Tu répondras à ton fils : “Nous étions esclaves de Pharaon en Egypte ; et l’Eternel nous fit sortir d’Egypte, d’une main forte. Et l’Eternel imposa des miracles et des prodiges, grands et terribles, sur l’Egypte, sur Pharaon et sur toute sa maison, à nos yeux. Quant à nous, Il nous fit sortir de là, afin de nous conduire et de nous donner la terre qu’Il avait promise à nos pères. Et l’Eternel nous ordonna d’accomplir toutes ces lois, de craindre l’Eternel notre Dieu, pour notre bien, tout au long des jours, et pour nous faire vivre comme en ce jour. Et cela nous sera imputé à mérite que de garder toute cette loi afin de l’accomplir, devant l’Eternel notre Dieu, comme il nous l’a ordonné” » (Dt 6, 21-25). Nous voyons donc l’orientation de la soirée du séder : grâce au récit de la sortie d’Egypte, il s’agit d’implanter dans le cœur des enfants, garçons et filles, le désir de s’identifier au peuple d’Israël, d’hériter de la terre promise, de s’attacher à Dieu et d’accomplir ses mitsvot.

Pour être en mesure de raconter à l’enfant sage la sortie d’Egypte, sans laisser de côté l’une quelconque des composantes centrales du récit, les membres de la Grande Assemblée (anché Knesset haguedola) – qui vivaient au début de la période du deuxième Temple – ont institué le texte de la Haggada. Au cours des générations, les grands Tannaïm, Amoraïm et Guéonim ont ajouté d’autres passages, qui comprennent eux aussi des principes importants, liés à la mitsva du récit pascal. Le texte se développa ainsi, jusqu’à trouver, il y a environ huit cents ans, sa forme finale, admise par les différentes communautés juives ; l’essentiel de ce texte réside dans la version de Rav Amram Gaon.

Le texte de la Haggada constitue donc le récit complet de la sortie d’Egypte, de sorte que tous ceux qui le récitent embrassent l’ensemble des différents sujets qui y sont liés. Toutefois, quiconque ajoute au commentaire de la Haggada, élargit le récit d’idées, d’histoires, de considérations halakhiques ayant trait à Pessa’h et à la sortie d’Egypte, est digne d’éloge[4].


[g]. Il sera question ici de la réponse faite par la Bible à la question de l’enfant, et non de la réponse, très brève, présentée par la Haggada.

[4]. Dans ces conditions, le texte de la Haggada est, dans son ensemble, la réponse complète au fils sage. Toutefois, dans la Haggada, la réponse formelle faite à l’enfant sage est brève : « On ne prend pas de dessert (afikoman) après la consommation du sacrifice pascal » ; mais le sens de ce passage est que l’on doit enseigner à l’enfant tout le contenu de la Haggada et l’ensemble des règles du rituel pascal, jusqu’à la dernière règle – qui est de ne point faire de banquet ni prendre de dessert après la consommation de l’agneau pascal. Dans cette dernière règle, l’accent est également mis sur la considération que l’on porte à la mitsva du séder, si grande que l’on ne veut rien manger après l’agneau pascal – ou après la dernière portion de matsa qui, de nos jours, est mangée à la place du sacrifice ; cela, afin que le goût de la matsa nous reste en bouche.

Il semble également que, parfois, l’enfant sage ait tendance à l’argumentation contradictoire serrée (pilpoul), ou à un grand souci de précision sur des points accessoires. Mais le soir du séder, le propos est de comprendre les principes, dans la profondeur que porte leur simplicité même ; aussi lui dit-on : « N’ajoute pas de “dessert” après l’agneau pascal », c’est-à-dire : « Concentre-toi sur l’essentiel, sans rechercher de raisonnements virtuoses mais secondaires. »

Certains avaient autrefois coutume de faire précéder la lecture de la Haggada d’une bénédiction : « Sois béni, Eternel… qui nous as prescrit la mitsva du récit de la sortie d’Egypte », mais cela n’est plus d’usage. Il y a à cela plusieurs raisons : selon certains auteurs, on s’acquitte déjà d’une telle bénédiction par la récitation Emet vé-émouna, bénédiction qui suit le Chéma du soir, récité auparavant lors de l’office d’Arvit (c’est l’avis du Méïri). Selon d’autres, on s’en acquitte par le Qidouch (Rabbénou Yerou’ham). Suivant d’autres encore, aucune bénédiction n’est nécessaire pour introduire la récitation de la Haggada, car l’essentiel de la mitsva du séder consiste à consommer la matsa et les herbes amères ; à cette occasion, on répond aux questions posées ; or on récite, précisément, des bénédictions sur la consommation de la matsa et sur celle des herbes amères (Responsa du Roch 24, 2). D’autres auteurs estiment que, en la matière, l’essentiel de la mitsva réside dans la compréhension de l’intellect, or on ne récite pas de bénédiction sur ce qui ressortit à la compréhension intellectuelle (Maharal, Gvourot Hachem 62). D’autres encore pensent que la bénédiction récitée à la fin de la Haggada, Acher guéalanou (« Béni sois-Tu… qui nous as délivrés… ») constitue la bénédiction afférente à la Haggada (Chibolé Haléqet). D’autres enfin ajoutent que, puisque l’on dit déjà la bénédiction Acher guéalanou au sein de la Haggada, il n’est pas nécessaire de faire précéder cette bénédiction d’une autre, de même que l’on ne fait pas précéder le Birkat hamazon d’une bénédiction spéciale (Ma’assé Nissim).

07. « On commence par rappeler l’opprobre, et l’on termine par l’éloge »

Nos sages enseignent, au traité Pessa’him 116a, qu’il faut inaugurer le récit de la sortie d’Egypte par le souvenir de notre opprobre, et l’achever par la mention de notre gloire (pote’him bi-gnout, oumsayemim béchéva’h). La question qui se pose est de savoir de quel opprobre il s’agit. Selon certains, il est question d’un opprobre matériel : nous étions esclaves de Pharaon en Egypte, les Egyptiens rendaient notre vie amère par toute sortes de durs travaux ; à la suite de quoi l’Eternel nous délivra de leurs mains (c’est l’opinion de Chemouel). D’autres estiment que l’on parle d’un avilissement spirituel : jadis, nos lointains ancêtres Téra’h et Laban étaient idolâtres ; par un long processus de sélection, nous sommes devenus un peuple entier de croyants en le Dieu unique (c’est l’opinion de Rav). En pratique, nous avons adopté les deux opinions : la Haggada décrit donc le processus de passage de la servitude à la liberté, ainsi que notre évolution, de l’idolâtrie à la révélation du Roi des rois, le Saint béni soit-Il en personne, dans sa gloire, auprès de nous, et à la foi parfaite qui nous fut impartie.

Quand on se contente d’une vue superficielle des choses, il semble préférable de s’intéresser exclusivement aux récits les plus beaux, les meilleurs de notre histoire ; mais si l’on considère plus profondément la question, il est certain que, plus on médite sur la souffrance de l’asservissement et sur l’avilissement que constitue l’idolâtrie, à laquelle s’étaient livrés nos lointains ancêtres, mieux on saisit la grandeur de la Délivrance. Car du sein de l’obscurité, on voit mieux la lumière.

De plus, en nous intéressant aux motifs d’opprobre, nous comprenons mieux l’élection d’Israël, qui n’est pas la conséquence de nos succès, ni de nos bonnes actions, mais dont le principe même tient dans un choix souverain de Dieu, choix qui dépasse toute appréciation humaine. Bien que nous ne fussions pas un peuple honoré, mais des esclaves méprisés, Dieu nous a choisis d’entre tous les peuples et nous a fait sortir d’Egypte par des miracles et des prodiges. Et bien que nos lointains ancêtres fussent des idolâtres, Dieu a choisi de se révéler à nous, et de nous donner la Torah. L’élection d’Israël ne dépend donc pas de contingences terrestres, elle découle d’une décision divine.

À partir de cela, on peut mieux comprendre la faculté particulière d’Israël de transformer l’obscurité en lumière, le mal en bien, et d’amener la Délivrance dans le monde. Aussi insiste-t-on d’abord sur l’opprobre, afin de montrer comment, du sein de l’esclavage, et depuis la souillure de l’idolâtrie, nous sommes parvenus à des réalisations sublimes. Ces considérations sont aussi de nature à nous encourager, et à nous consoler : comme alors, du sein de toutes les souffrances, de toutes les épreuves que nous avons connues dans les dernières générations, la Délivrance apparaît.

De plus, la prise de conscience de notre ancienne condition de malheureux esclaves éveille en notre cœur des sentiments d’empathie et de considération à l’égard des convertis, et de tous ceux qui souffrent et ont besoin d’aide et de miséricorde, ainsi qu’il est dit : « Tu ne vexeras pas le prosélyte ; vous connaissez, vous, l’âme du prosélyte, car vous fûtes étrangers au pays d’Egypte » (Ex 23, 9).

08. Signification des dix plaies

La Torah s’étend de façon détaillée sur la description des dix plaies, sans omettre aucune d’entre elles. Il y a de nombreuses significations à cela. La plus simple consiste à dire qu’il y a une justice, qu’il y a un Juge dans le monde, et que la fin du méchant est de recevoir sa punition. Pour de grands pervers, tels que les Egyptiens, qui asservirent un peuple entier en l’obligeant à de durs et redoutables travaux, et qui noyèrent les enfants mâles de ce peuple dans le fleuve, il convient qu’ils reçoivent leur plein châtiment, et que les générations suivantes en soient édifiées.

Autre signification, allusive et profonde : on sait que le monde a été créé par l’effet de dix paroles (Roch Hachana 32a) ; cela est lié à ce qu’enseigne la Kabbale des dix séfirot[h], par lesquelles le Saint béni soit-Il créa son monde, et par lesquelles Il continue de le maintenir et de le faire vivre. Or, tant que le peuple d’Israël ne s’était pas révélé dans le monde, ces paroles même, par lesquelles le Saint béni soit-Il fait vivre l’univers, restaient secrètes et cachées. Et de même que ces dix principes spirituels étaient cachés, de même Israël, tant qu’il n’était pas parvenu à maturité afin d’advenir concrètement comme peuple, restait asservi en Egypte.

Lorsque le moment arriva où les enfants Israël furent enfin prêts, et atteignirent le nombre de soixante myriades (comme nous l’avons vu au chap. 1 § 4), l’heure sonna où ils purent accéder à la liberté. Alors, le Saint béni soit-Il prescrivit à Moïse de se présenter à Pharaon, et de lui ordonner : « Ainsi a parlé l’Eternel, Dieu d’Israël : “Laisse partir mon peuple, pour qu’il me célèbre dans le désert” » (Ex 5, 1). Mais Pharaon, roi d’Egypte, refusa de libérer Israël, et dit : « Qui est l’Eternel, pour que j’écoute sa voix, et que je libère Israël ? Je ne connais pas l’Eternel, et Israël non plus je ne renverrai pas » (ibid. 2). Par la suite également, Pharaon s’endurcit à de nombreuses reprises, s’opposant à l’ordre divin. Cependant, « c’est le conseil de l’Eternel qui se réalise » (Pr 19, 21), et aucun être de chair et de sang, fût-il à la tête de l’empire le plus puissant au monde, ne peut résister face à l’ordre divin. Ainsi, par le biais de ces mêmes dix fondements par lesquels Il créa le monde, le Saint béni soit-Il commença d’ébranler l’empire égyptien, plaie après plaie, jusqu’à ce que ces dix paroles se révélassent au sein de dix plaies, que toute la force des Egyptiens fût rompue, et qu’Israël fût libéré.

Lorsque nous arrivâmes au mont Sinaï, le Saint béni soit-Il nous révéla le sens de ces dix paroles, cette fois au sein des dix commandements, qui constituent le socle de la Torah.


[h]. Séfira, plur. séfirot : sphère, attribut. Ce terme désigne, dans la mystique juive, les véhicules fondamentaux par lesquels la lumière divine se manifeste.

09. Pessa’h, matsa, maror

La Michna nous enseigne : « Rabban Gamliel avait l’habitude de dire : “Quiconque n’a pas dit[i] ces trois choses, le soir de Pessa’h, n’est pas quitte de son obligation : ce sont l’agneau pascal, le pain azyme et les herbes amères (pessa’h, matsa, ou-maror)” » (Pessa’him 116a).

Ce que veut dire cette michna est que, même si l’on ne peut réciter toute la Haggada, on doit tout au moins se livrer à une étude succincte des trois mitsvot alimentaires de la soirée pascale ; ainsi que le dit le verset traitant de la mitsva d’instruire l’enfant qui ne sait point questionner : « Tu raconteras (véhigadta) à ton fils, en ce jour : “C’est en vertu de ceci que l’Eternel agit en ma faveur, quand je sortis d’Egypte” » (Ex 13, 8), ce que nos sages commentent : « En vertu de ceci (ba’avour zé) : cette expression vise le moment où de la matsa et des herbes amères sont placées devant toi, sur ta table » (Mékhilta, Bo 17). Nous apprenons de là qu’il faut, à tout le moins, réfléchir aux motifs des trois mitsvot alimentaires du soir du séder. Certes, de nos jours, on ne peut plus faire le sacrifice pascal, mais nous gardons l’obligation de nous rappeler sa signification[5].

Nous l’avons vu, toute la soirée du séder est placée sous le signe du questionnement et de la réponse. Aussi demandons-nous : « Cet agneau pascal, que nos ancêtres mangeaient quand le Temple était construit, pourquoi le mangeaient-ils ? » ; de même : « Cette matsa, que nous mangeons, pourquoi la mangeons-nous ? », et : « Ces herbes amères, que nous mangeons, pourquoi les mangeons-nous ? »

Les trois explications à cela sont : le sacrifice pascal (pessa’h) exprime l’élection d’Israël, la matsa exprime la liberté, et les herbes amères expriment le sens de la servitude.

Le sacrifice pascal exprime l’élection d’Israël, car l’Eternel distingua Israël des nations de façon miraculeuse : il frappa les premiers-nés d’Egypte et passa au-dessus des maisons d’Israël. On peut dire que, tant que le Temple est détruit, l’élection d’Israël ne se révèle pas aux yeux de tous ; aussi, nous ne sommes pas en mesure d’offrir le sacrifice pascal.

En revanche, la matsa, qui exprime la délivrance d’Egypte, est une obligation perpétuelle, car la valeur de la liberté, que nous avons acquise lors de la sortie d’Egypte, se maintient pour toujours. Lors de la sortie d’Egypte, en effet, le peuple d’Israël s’est relié au Saint béni soit-Il par un lien absolu, et en cela consiste la véritable liberté, comme le disent nos sages : « Il n’est d’homme libre que celui qui se livre à l’étude de la Torah. » Même lorsque nous nous trouvons asservis parmi les nations, notre esprit demeure libre, car, par le biais de la Torah, nous pouvons nous élever au-delà de la servitude matérielle.

Quant aux herbes amères (maror), tant que l’on ne fait pas le sacrifice pascal, cette mitsva est rabbinique. Le maror fait allusion à la souffrance et à l’amertume (merirout) de l’esclavage ; et l’on peut dire que, lorsque nous avons le mérite d’offrir le sacrifice pascal, nous parvenons à comprendre pleinement le sens des épreuves, qui permettent d’expier les fautes, et purifient ; nous comprenons alors, pratiquement, de quelle façon, à partir de toutes les souffrances, a germé le salut ; aussi, la mitsva de consommer le maror est-elle de rang toranique. Mais lorsque le Temple est détruit, et que nous n’avons pas le mérite d’offrir le sacrifice pascal, nous devons certes avoir foi dans le fait que toutes les épreuves se résolvent en bien, mais il nous est difficile d’en comprendre pleinement le sens, et de voir comment, de chacune, germe concrètement le salut. Aussi, la mitsva des herbes amères est-elle seulement rabbinique.


[i]. C’est-à-dire, dans ce contexte, quiconque n’a pas parlé de…

[5]. Si l’on a récité toute la Haggada sauf les passages relatifs à l’agneau pascal (pessa’h), à la matsa et aux herbes amères (maror), on est néanmoins quitte de son obligation, selon le Ran et Na’hmanide, quoique l’on n’ait pas accompli la mitsva comme il convient a priori. Certains auteurs, par contre, se basant sur Maïmonide, ‘Hamets oumatsa 8, 4 et sur Tossephot, estiment que les propos de la michna doivent être compris littéralement : si l’on n’a pas expliqué succinctement ces trois mitsvot que sont pessa’h, matsa et maror, on n’est pas quitte du récit de la sortie d’Egypte. Mais on n’est pas obligé de comprendre Maïmonide et Tossephot comme ces auteurs le font : on peut expliquer que ce qui est visé, c’est le cas dans lequel on n’aurait pas du tout pris part au récit de la sortie d’Egypte : dans un tel cas, on est néanmoins quitte de son obligation du moment que l’on a succinctement expliqué ces trois mitsvot que sont pessa’h, matsa et maror, mais on n’est pas quitte si l’on n’a pas même expliqué ces mitsvot.

Cf. Bérour Halakha, Pessa’him 116b, où il apparaît que les commentateurs sont partagés quant au fait de savoir à quelle fin il faut mentionner ces trois mitsvot : selon certains, cette mention est nécessaire à l’accomplissement de la consommation de l’agneau pascal, de la matsa et du maror, car on ne saurait s’acquitter correctement du devoir de les consommer sans en expliquer le sens. D’autres pensent que cette mention est nécessaire à l’accomplissement de la mitsva de raconter la sortie d’Egypte. Selon le Binyan Tsion 30, cette controverse a une implication pratique à Pessa’h chéni [le « second Pessa’h », qui a lieu le 14 du mois d’iyar, mois qui suit nissan ; à cette date, ceux qui n’avaient pu offrir l’agneau pascal en raison de leur impureté devaient apporter leur sacrifice] : si le fait de mentionner pessa’h, matsa et maror est nécessaire à l’accomplissement de ces mitsvot alimentaires, il faudra en faire mention, même à cette date ; mais si cette mention est seulement nécessaire au récit de la sortie d’Egypte, il ne sera pas nécessaire de les dire.

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