Pniné Halakha

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Pessa’h

01. Les quatre mitsvot relatives à cet interdit

Quatre commandements de la Torah traitent de l’interdit du ‘hamets durant Pessa’h : trois commandements de ne pas faire (mitsvot « négatives » ou défenses), et un commandement de faire (mitsva « positive » ou prescription).

Le premier interdit consiste dans la défense de manger du ‘hamets, comme il est dit : « Il ne sera point mangé de ‘hamets » (Ex 13, 3). Nos sages nous enseignent qu’au titre de cet interdit de consommation (issour akhila) du ‘hamets à Pessa’h, est également inclus l’interdit de tirer profit du ‘hamets (issour hanaa). Il est également écrit : « Vous ne mangerez d’aucune pâte levée (ma’hmétset) ; dans toutes vos demeures vous mangerez des azymes » (Ex 12, 20), et les sages apprennent de cette formulation que l’interdit de consommation porte non seulement sur une chose qui a fermenté par elle-même, mais également sur toute chose qui a fermenté par l’effet d’un agent levant extérieur (comme le levain, la levure). Il faut encore signaler que la Torah est d’une sévérité particulière quant à l’interdit de consommer du ‘hamets : presque tous les interdits alimentaires sont punis de malqout (trente-neuf coups) ; tandis que celui qui mange du ‘hamets à Pessa’h est puni de karet (retranchement), comme il est dit : « Quiconque mange du ‘hamets, depuis le premier jour jusqu’au septième, son âme sera retranchée d’Israël » (Ex 12, 15).

Deuxième interdit : il ne doit pas se trouver de ‘hamets dans le domaine du Juif, comme il est dit : « Durant sept jours, il ne se trouvera pas de levure (séor) en vos maisons » (Ex 12, 19). Le mot séor désigne la levure (ou le levain) avec quoi l’on fait fermenter la pâte ; cependant, l’intention du verset n’est pas ici d’interdire uniquement la levure : que du simple ‘hamets puisse se trouver dans notre domaine à Pessa’h est chose interdite tout autant.

Troisième interdit : il ne doit pas se voir de ‘hamets dans notre domaine, ainsi qu’il est dit : « On mangera des azymes durant sept jours, et il ne sera point vu chez toi de ‘hamets, ni ne sera vu chez toi de levain (séor), en toutes vos possessions » (Ex 13, 7). Ce n’est que dans le cas où se trouve, en son domaine, du ‘hamets dans la proportion d’un kazaït[a] que l’on enfreint ces deux derniers interdits ; s’il ne reste chez soi qu’une mesure de ‘hamets inférieure à un kazaït, en revanche, les interdits portant sur la présence et sur le caractère visible du ‘hamets en son domaine ne sont pas enfreints[b].

Le quatrième commandement, qui est cette fois une prescription positive, est l’ordre qui nous est fait de supprimer le ‘hamets et la levure à l’approche de Pessa’h, comme il est dit : « Sept jours durant, vous mangerez des pains azymes ; or, le premier jour, vous aurez détruit le levain de vos maisons » (Ex 12, 15).


[a]. Cette unité de volume sera définie par la suite.

[b]. Dans la littérature rabbinique, ces deux interdits sont couramment appelés, pour l’un, bal yéraé (« qu’il n’en soit pas vu »), pour l’autre, bal yimatsé (« qu’il ne s’en trouve pas »). Nous rencontrerons parfois ces formules au cours de l’ouvrage.

02. Périodes d’interdiction du ‘hamets, selon la Torah et selon les sages

Bien que l’interdiction du ‘hamets concerne essentiellement les sept jours de la fête des azymes, c’est-à-dire du 15 au 21 du mois de nissan, il nous est ordonné de supprimer le ‘hamets de nos maisons dès le 14 à midi (‘hatsot hayom).

L’interdit de consommation du ‘hamets commence, lui aussi, au milieu du 14, comme il est dit : « Tu immoleras le sacrifice pascal en l’honneur de l’Eternel ton Dieu… Tu ne mangeras pas de pâte levée avec [ce sacrifice] » (Dt 16, 2-3). En d’autres termes, dès le moment de l’oblation du sacrifice pascal, il nous est interdit de manger du ‘hamets. Or le temps de cette oblation commence au milieu du quatorzième jour de nissan. Par conséquent, depuis le midi solaire du 14, le ‘hamets est interdit à la consommation ; et cet interdit de consommation (issour akhila) comprend également l’interdit de jouissance (issour hanaa)[1].

Afin d’éloigner l’homme de toute possible transgression, les sages ont interdit de tirer profit du ‘hamets pendant une heure supplémentaire, et de le consommer durant deux heures supplémentaires. En effet, quand le jour est nuageux (et que l’on n’a pas de montre), on risque de faire jusqu’à deux heures d’erreur.

Le compte des heures se fait de la manière suivante : on divise la journée en douze parties égales. Chaque partie s’appelle heure relative[c]. Durant les quatre premières heures relatives de la journée du 14, il est donc permis de consommer du ‘hamets ; au début de la cinquième heure il devient rabbiniquement interdit d’en consommer, mais il reste permis d’en tirer profit : par exemple, il reste permis d’en nourrir ses bêtes, ou de le vendre à un non-Juif. Quand débute la sixième heure relative du jour, il devient rabbiniquement interdit de tirer profit du ‘hamets ; si l’on a oublié de le vendre à un non-Juif, il n’est d’autre solution que de le détruire. Quand enfin vient le midi solaire, c’est-à-dire à l’expiration de la sixième heure, l’interdit de consommer et de profiter du ‘hamets est toranique ; si l’on possède encore du ‘hamets à cette heure, il faut se presser de le détruire, car, tout le temps qu’on ne le détruit pas, on manque à l’observance de la mitsva positive d’éliminer le ‘hamets (cf. ci-après chap. 3 § 6, où nous étudions la mitsva d’élimination du ‘hamets).

Puis, quand la fête commence, deux autres interdits s’ajoutent : bal yéraé (« il ne sera pas vu chez toi de ‘hamets ») et bal yimatsé (« il ne s’en trouvera pas »)[2]. De même, dès lors que la fête débute, l’interdit de consommation devient plus grave ; en effet, quiconque mangerait sciemment du ‘hamets le 14 après midi n’est passible que de malqout (trente-neuf coups), tandis que, si l’on en mange à partir du commencement de la fête, on est puni de karet (retranchement), comme il est dit : « Quiconque mangerait du ‘hamets, depuis le premier jour jusqu’au septième, son âme serait retranchée d’Israël » (Ex 12, 15).

Une fois terminée la fête de Pessa’h, le ‘hamets redevient permis ; mais les sages ont interdit le ‘hamets qu’un Juif possédait durant Pessa’h. En effet, en laissant ce ‘hamets dans son domaine pendant Pessa’h, ce Juif a transgressé les interdits de bal yéraé et de bal yimatsé. Les sages ont donc décidé qu’un tel ‘hamets serait interdit à la consommation et à la jouissance. En revanche, il est permis de consommer un ‘hamets que possédait un non-Juif pendant Pessa’h : un Juif peut donc l’acheter après Pessa’h et le manger (Choul’han ‘Aroukh 448, 1-3).


[1]. La mitsva de faire disparaître le ‘hamets s’applique le 14 à midi, comme il est dit : « Or (akh), le premier jour, vous aurez fait disparaître (tachbitou, littéralement : vous ferez disparaître) le levain de vos maisons » (Ex 12, 15), ce que les sages du Talmud expliquent comme suit, en se fondant sur l’examen des versets : la Torah, lorsqu’elle parle de premier jour, vise le jour qui précède Pessa’h car, durant Pessa’h même, le ‘hamets doit déjà avoir été éliminé, faute de quoi l’on transgresserait les interdits portant sur la présence (bal yimatsé) et sur le caractère visible (bal yéraé) du ‘hamets. Si bien que la mitsva d’éliminer le ‘hamets doit s’accomplir, suivant la Torah, le jour qui précède Pessa’h, en son milieu, c’est-à-dire au midi solaire (Pessa’him 4b). [Les sages déduisent du mot akh – que nous avons traduit par or, mais que nous aurions pu rendre par dès, déjà, ou cependant – la notion de milieu du jour, car dans d’autres occurrences, ce même mot exprime l’idée d’un découpage égal.]

L’interdit biblique de consommer et de tirer profit du ‘hamets s’applique donc depuis le 14 nissan, au milieu du jour : telle est l’opinion de Rabbi Yehouda rapportée par Pessa’him 28a, et c’est en ce sens que tranchent Maïmonide, Rabbi Yits’haq Ibn Ghiyat, le Roch et la majorité des Richonim. Toutefois, Rabbi Chimon estime que l’interdit de jouissance ne commence qu’à Pessa’h même, et que seule la mitsva d’éliminer le ‘hamets s’applique le 14 à midi. Certains Richonim tranchent comme Rabbi Chimon, mais restent partagés quant au contenu de la mitsva de tachbitou (« vous détruirez ») à ses yeux. Mentionnons deux approches : selon Na’hmanide et le Raavad, dès lors que l’on a l’obligation de détruire le ‘hamets, il est certes interdit de le manger, mais la Torah permet d’en jouir [durant tout le 14] tout en le brûlant [par exemple de profiter de la chaleur du poêle où se consume le ‘hamets] ; les sages, soucieux d’éloigner les Juifs de toute transgression, ont quant à eux interdit d’en jouir depuis le début de la sixième heure, et d’en consommer dès le début de la cinquième heure. Selon le Maor, la mitsva de détruire le ‘hamets n’interdit pas de le manger, car manger est une manière de détruire. Mais comme nous l’avons dit, la majorité des décisionnaires sont d’avis que la halakha suit Rabbi Yehouda, et que l’interdit de consommation et de jouissance, toraniquement compris, s’applique depuis le midi solaire (‘hatsot) du 14. C’est en ce sens que tranche le Choul’han ‘Aroukh 443, 1.

Quand du ‘hamets était la propriété d’un Juif pendant Pessa’h (‘hamets ché-‘avar ‘alav ha-Pessa’h), il reste interdit toraniquement, selon Rabbi Yehouda, après la fête. Selon Rabbi Chimon, il est toraniquement permis, et ce sont les sages qui ont décrété son interdiction (Pessa’him 28-29) ; c’est en ce dernier sens que la halakha a tranché (Maïmonide 1, 4 ; Michna Beroura 448, 7).

[c]. Cha’a zmanit : heure dont la durée est elle-même fonction de la longueur du jour.

[2]. En effet, la Torah dit explicitement que l’interdit court « sept jours durant » (Raavad, Maharam Ben Baroukh, Maguen Avraham, Michna Beroura 443, 1). D’autres estiment que l’interdit débute le 14, au midi solaire (Rachi ; c’est aussi ce qui semble ressortir des propos de Rabbénou ‘Hananel et du ‘Itour ; cf. Cha’aré Tsioun 443, 2).

03. Ce qu’est le ‘hamets, ce qu’est le séor

Le ‘hamets que la Torah interdit à Pessa’h, c’est l’une des cinq céréales suivantes, mise en contact avec de l’eau jusqu’à fermentation : le blé, l’orge, l’avoine, le seigle et l’épeautre. Ce sont les céréales dont on fait le pain, aliment de base de l’homme, avant la consommation duquel nos sages ont prescrit de réciter une bénédiction particulière : hamotsi lé’hem min haarets (« Béni sois-Tu… qui fais sortir le pain de la terre »), et après la consommation duquel la Torah nous prescrit de réciter le Birkat hamazon, actions de grâce. Pour que le pain soit savoureux et facile à digérer, on fait fermenter et gonfler sa pâte.

Il existe deux catégories de produits fermentés : le ‘hamets (pâte levée) et le séor (levain, levure). L’un et l’autre sont fabriqués en mélangeant de l’eau à de la farine. Le ‘hamets ordinaire est un produit fermenté, obtenu en laissant fermenter la pâte pour en faire du pain ou des gâteaux. La fermentation s’obtient en laissant la pâte reposer, sans mouvement. Quand on veut améliorer et hâter la fermentation, on introduit dans la pâte du séor. Le séor, levain ou levure, est précisément la seconde catégorie de produits fermentés, que l’on obtient en laissant reposer du ‘hamets pendant longtemps, afin qu’une effervescence se produise et qu’il  fermente davantage ; cela, au point que son goût devient très acide et qu’il est impropre à la consommation humaine. Comme nous l’avons dit, le rôle du levain ou de la levure est de hâter et d’améliorer le processus de fermentation des différentes sortes de pâte, pour en faire des pains ou des gâteaux. En d’autres termes, le ‘hamets est destiné à la consommation, tandis que le séor aide à la préparation d’aliments ‘hamets. La Torah interdit l’un et l’autre, et leur statut est semblable : si, à Pessa’h, on laisse dans son domaine le volume d’un kazaït de l’un ou de l’autre, on transgresse les interdits de bal yéraé (« il n’en sera pas vu ») et de bal yimatsé (« il ne s’en trouvera pas », Beitsa 7b).

En revanche, si l’on prend de la farine d’une des cinq céréales susmentionnées, qu’on la mélange à de l’eau, qu’on pétrisse rapidement ce mélange et qu’on l’enfourne immédiatement, la pâte n’aura pas le temps de fermenter : cela donne de la matsa (pain azyme), que nous avons obligation de manger le premier soir de Pessa’h en souvenir de la sortie d’Egypte, comme il est dit : « Le peuple emporta sa pâte avant qu’elle ne fermentât » (Ex 12, 34). Nous voyons donc que les mêmes ingrédients, qui sont susceptibles de fermenter, sont précisément ceux dont on fait la matsa, dont la consommation est une mitsva (Pessa’him 35a).

Le riz, le millet, quoiqu’ils ressemblent aux cinq espèces citées, et qu’ils gonflent eux aussi, ne suivent pas un processus complet de fermentation, contrairement à ces cinq espèces. Aussi, l’interdit du ‘hamets ne s’applique pas à eux ; de même, si l’on en a fait du pain azyme, on ne saurait accomplir la mitsva de consommer de la matsa par un tel pain.

Il faut prendre garde à un point : l’épeautre (kousmin) est l’une des cinq céréales susceptibles de fermentation, tandis que le sarrasin (koussémet) est une légumineuse. Ceux qui ont coutume de manger des légumineuses (kitniot) à Pessa’h peuvent manger du sarrasin ; même pour ceux qui n’ont pas coutume de manger des kitniot, cela reste permis aux malades (Michna Beroura 453, 4 et 7 ; il faut prendre garde au fait que certains permutent ces deux noms, de sorte que ce qui est parfois appelé à tort koussémet est en réalité de l’épeautre interdit).

04. Degré de fermentation de la pâte

Comme nous l’avons vu, la différence entre le pain et la matsa tient au fait que la pâte du pain a subi un processus de fermentation, qui provient de l’effervescence de composants de la farine lorsqu’ils sont mis en contact avec l’eau. Pour améliorer le processus de fermentation, les boulangers ont l’habitude de mêler à la pâte du levain (ou de la levure), qui permet à la pâte de lever rapidement et de bonne façon. Mais même sans agent levant, il suffit de laisser reposer la pâte sans la pétrir pour qu’elle fermente et prenne du volume. Aussi, quand on fabrique les matsot, il faut se hâter, et veiller à ce qu’aucun processus de fermentation ne s’amorce dans la pâte.

Tout le temps que la pâte est en mouvement, en train d’être pétrie, elle ne saurait fermenter. Même si ce pétrissage devait durer un jour entier, la pâte ne fermenterait pas, car l’acte de pétrissage empêche le processus de fermentation de se mettre en marche. Mais si la pâte repose dix-huit minutes sans mouvement, le processus de fermentation se met en marche, et tous les interdits liés au ‘hamets s’appliquent désormais à cette pâte.

Ce qui vient d’être dit s’applique au cas où la température est normale ; mais si l’on se trouve dans un endroit chaud, le processus de fermentation est accéléré, si bien que, même en moins de dix-huit minutes, la pâte fermentera.

Si l’on trouve des fissures dans la pâte, c’est le signe qu’elle a fermenté. Même s’il ne s’est pas passé dix-huit minutes sans qu’elle soit pétrie, il est certain qu’elle a fermenté, dès lors qu’elle est fissurée : il est vraisemblable que le lieu était chaud, ce qui a déterminé cette fermentation en moins de temps. Il se peut aussi que le pétrissage ne fût pas bon, et que certains morceaux de la pâte aient été négligés, laissés non pétris, ce qui a les a fait fermenter. Même si ces fissures sont peu nombreuses, et ne s’observent que dans une partie de la pâte, celle-ci est tout entière ‘hamets. S’il ne se trouve pas de fissures, mais que l’apparence de la pâte ait simplement changé, au point qu’elle soit devenue luisante, elle a le statut de ‘hamets nouqché (‘hamets altéré), qui est interdit rabbiniquement (Choul’han ‘Aroukh 459, 2)[3].


[3]. Si la pâte a gonflé, c’est le signe qu’elle a fermenté (Méïri) ; les autres signes que sont les fissures ou l’apparence luisante, ainsi que le compte des minutes sont seulement destinés au cas où la pâte n’a pas gonflé. Toutefois, dans certaines situations, il peut arriver que la pâte prenne du volume sans qu’il s’agisse de ‘hamets, mais de ce que nos sages appellent sir’hon [ce qui désigne ici une pâte corrompue], par exemple lorsque la farine est de riz, ou, selon la majorité des décisionnaires, quand le liquide utilisé pour pétrir est du jus de fruit ; mais quand le gonflement est celui d’un mélange de farine de céréales et d’eau, c’est le signe d’une fermentation. Si aucun signe de fermentation n’est présent, mais que la pâte soit restée sans être pétrie pendant le temps nécessaire pour parcourir un mille, elle est devenue ‘hamets, comme nous l’apprenons de la Michna et de la Guémara Pessa’him 46a. Le Choul’han ‘Aroukh 459, 2 explique que ce temps est de dix-huit minutes. Toutefois, Maïmonide et le Bartenora estiment que le temps nécessaire pour parcourir un mille est de vingt-quatre minutes. Selon le Béour Halakha, pour éviter une grande perte, on peut s’appuyer sur ces opinions. Mais dans une situation ordinaire, les décisionnaires parlent de dix-huit minutes, sans mentionner l’autre opinion, cela en raison de la sévérité de l’interdit pesant sur le ‘hamets.

Certes, selon Rachi et le Méïri, c’est seulement dans le cas où un doute est apparu au sujet de la pâte – et qu’il est à craindre qu’elle ait commencé à fermenter – qu’il est nécessaire de vérifier le temps. Alors seulement, on considérera que, si elle a reposé durant le temps nécessaire pour marcher un mille, elle a le statut de ‘hamets. En revanche, quand aucun doute ne s’est présenté, la pâte ne sera pas considérée comme ‘hamets, même si elle a reposé durant ce laps de temps. Mais la majorité des Richonim estiment que, dans tous les cas, si la pâte est restée sans être pétrie durant le temps nécessaire pour parcourir un mille, elle doit être considérée comme ‘hamets. C’est l’opinion de Maïmonide, Michné Torah, ‘Hamets oumatsa 5, 13, et du Choul’han ‘Aroukh 459, 2. Le Peri Mégadim, dans son introduction au chap. 467, écrit qu’il s’agit en tout point de ‘hamets, et que celui qui le mangerait serait passible de retranchement. Le Rachbats, quant à lui, écrit qu’il est à craindre que la pâte n’ait fermenté. Par ailleurs, dans une pièce chaude, la pâte fermente en moins de temps qu’il n’en faut pour parcourir un mille, comme l’écrit l’Agouda au nom des Guéonim ; c’est aussi l’opinion de Rabbi Eliézer de Metz, du Hagahot Maïmoniot et du Mordekhi, et cette position fait consensus en halakha. Selon le Roch, même si la pâte se réchauffe au contact des mains, cela rend plus rapide la fermentation. Le Choul’han ‘Aroukh et le Rama 459, 2 le citent. (Sur la question de la pâte qui ne présente pas de signe de fermentation – littéralement « pâte sourde » –, cf. Bérour Halakha sur Pessa’him 46a.) Les décisionnaires sont partagés quant au fait de savoir s’il faut considérer que plusieurs moments distincts durant lesquels la pâte repose s’agrègent les uns aux autres pour former ensemble une durée de dix-huit minutes. Le Teroumat Hadéchen décide que, s’il s’agit d’un pétrissage complet, celui-ci annule l’attente qui précède, mais que le simple perforage de la matsa [au moyen d’un instrument servant à piquer la pâte de petits trous avant l’enfournage] n’annule pas l’attente, comme le rapporte le Michna Beroura 459, 16.

Pessa’him 48b : « Tant que l’on s’occupe de la pâte, celle-ci ne fermente pas. » La grande majorité des Richonim expliquent – et c’est en ce sens que tranchent Maïmonide 5, 13, le Tour et le Choul’han ‘Aroukh 459, 2 – que, même si l’on pétrit toute la journée, la pâte ne fermente pas. Il semble qu’en la matière le Talmud de Jérusalem ne soit pas de l’avis du Talmud de Babylone, et estime que, si le pétrissage se poursuit durant le temps nécessaire pour parcourir quatre milles, la pâte doit être considérée comme ‘hamets. Le Baït ‘Hadach, d’après Rabbi Yits’haq Or Zaroua’, écrit qu’il faut a priori tenir compte de cette position. Il y a une opinion plus rigoureuse, celle du Ritva, selon laquelle la position des sages consiste en réalité à dire que, tant que l’on pétrit à la vitesse habituelle, vitesse permettant  d’achever le pétrissage en moins de temps qu’il n’en faut pour parcourir un mille, la pâte ne fermente pas ; mais que, si le pétrissage se poursuit davantage, la pâte est considérée comme ‘hamets. Bien que les décisionnaires, dans leur grande majorité, ne partagent pas cette opinion, on est a priori rigoureux, et l’on achève l’entier processus de pétrissage en moins de dix-huit minutes, comme l’explique le ‘Aroukh Hachoul’han 459, 7.

05. ‘Hamets nouqché (‘hamets altéré)

Le ‘hamets que la Torah interdit est un ‘hamets pleinement constitué. C’est le cas lorsque le processus de fermentation est achevé, et que l’aliment est propre à la consommation. Mais si la fermentation a seulement commencé, sans s’être achevée, et que, dès le début, l’aliment n’était consommable qu’en cas de nécessité pressante, il s’agit de ‘hamets nouqché (altéré). Pour la majorité des décisionnaires, un tel produit n’est pas interdit par la Torah elle-même, et ce sont les sages qui l’ont interdit afin que l’on n’en vienne pas à se tromper, et à manger ou à garder du véritable ‘hamets.

Par exemple, la colle que les scribes préparaient autrefois à partir de farine et d’eau afin de coller leurs papiers est un ‘hamets nouqché, dans la mesure où sa fermentation n’est pas achevée, et qu’elle n’est comestible qu’en cas d’ardente nécessité. Ce sont les sages qui interdisent de la consommer ou de la garder chez soi pendant Pessa’h (Michna Beroura 442, 2). Si sa forme a changé, par exemple si l’on a collé des papiers avec cette colle, il devient permis de la garder. Certains auteurs sont rigoureux, et pensent que, si la colle filtre entre les feuilles, on doit considérer que la forme en est maintenue, et il est donc interdit de la garder pendant Pessa’h (Choul’han ‘Aroukh et Rama 442, 3).

De même, une pâte qui a commencé de fermenter, au point d’être devenue luisante d’aspect, mais sans pour autant qu’elle se soit fissurée comme se fissure une pâte pleinement fermentée, s’appelle ‘hamets nouqché. Les sages interdisent de la consommer ou de la garder pendant Pessa’h (Choul’han ‘Aroukh 459, 2)[4].


[4]. La position du Choul’han ‘Aroukh 447, 12 est que le ‘hamets nouqché est rabbiniquement interdit à la consommation. C’est pourquoi il autorise, après Pessa’h, le ‘hamets nouqché qui était dans le domaine d’un Juif pendant Pessa’h. En effet, puisque ce Juif n’a enfreint qu’une norme rabbinique, il n’y a pas lieu d’interdire le produit après Pessa’h. C’est aussi la position du Choul’han ‘Aroukh Harav 442, 20-21 et du Michna Beroura 442, 2. Ce que nous venons de dire s’inscrit dans la perspective de la majorité des Richonim. Néanmoins, certains Richonim, qui ne sont pas rares, pensent que l’interdit du ‘hamets nouqché est toranique. Il y a ici deux questions : celle de la consommation, et celle de la conservation du produit chez soi. Cf. Bérour Halakha sur Pessa’him 48b, au sujet de l’interdit de consommer du ‘hamets nouqché ; cf. encore ibid. 42a, sur l’interdit de le conserver. De la farine pétrie avec du jus de fruit et un peu d’eau est également considérée, selon Rabbénou Tam et de nombreux décisionnaires, comme du ‘hamets nouqché. Cf. ci-après, chap. 8 § 1, la question de la matsa ‘achira.

06. ‘Hamets qui n’est plus susceptible d’être consommé par un chien

Du ‘hamets qui était d’abord susceptible d’être consommé par un homme, puis qui a moisi, ou s’est abîmé, au point de ne plus être propre à la consommation humaine, est considéré en tout point comme du véritable ‘hamets, car il est encore possible de fermenter, par son biais, d’autres pâtes. En cela, la règle applicable au ‘hamets diffère de celle qui s’applique aux autres aliments interdits : dès lors que ces derniers ne sont plus comestibles par un homme, ils ne sont plus interdits ; tandis que, s’agissant du ‘hamets, l’interdit se maintient, même après qu’il n’est plus comestible par un homme, puisqu’il peut encore servir de séor (levain, levure), dont le rôle est de faire fermenter la pâte. En revanche, si ce ‘hamets s’est dégradé au point qu’il ne pourrait même pas être consommé par un chien, il n’est plus considéré en rien comme un aliment, de sorte qu’il n’a plus le statut de ‘hamets, et il devient permis de le garder, à Pessa’h, et d’en tirer profit (Choul’han ‘Aroukh 442, 2 ; Michna Beroura 10). Cependant, les sages ont interdit de le manger, car celui qui le mangerait – quelque extrêmement bizarre que puisse sembler son geste – manifesterait par là qu’à ses yeux ce ‘hamets est encore de la nourriture (Michna Beroura 442, 43).

Quant donc utilise-t-on ce critère ? C’est quand le ‘hamets – ou le séor – s’est abîmé au point de n’être plus comestible, même pour un chien. Mais s’il s’agit de séor qui ne s’est point abîmé, mais est simplement devenu très acide, au point qu’un chien même ne pourrait le consommer, toutes les règles du ‘hamets s’y appliquent, puisqu’il s’agit de bon levain : il est en effet de règle que le levain ou la levure soient si fermentés et acides qu’on ne peut les manger. On est donc toraniquement tenu de le détruire (Béour Halakha 442, 9).

Cette règle, dispensant de la destruction le ‘hamets devenu impropre à la consommation d’un chien, s’applique seulement dans le cas où ce ‘hamets a atteint ce degré de dégradation avant le moment où le ‘hamets devient interdit. Par contre, si, au moment où l’interdit du ‘hamets entre en vigueur, le ‘hamets en question était consommable par un chien, et quoiqu’il puisse devenir impropre à la consommation d’un chien après coup, on aura l’obligation de le détruire. En effet, la mitsva d’éliminer le ‘hamets s’applique bien à lui à cette heure, si bien que l’on ne sera quitte qu’une fois ce ‘hamets entièrement détruit (Michna Beroura 442, 9 ; cf. ci-après, chap. 5, note 5)[5].

Il importe de signaler que toutes ces règles s’appliquent dans le cas où, dès l’abord, le produit ‘hamets était comestible par un homme, ou encore employable, en tant que séor, à la préparation d’un aliment destiné à la consommation humaine. Mais si, dès l’abord, le produit n’était pas comestible par un homme, et bien qu’il fût comestible par un chien, l’interdit ne s’y applique pas. Toutefois, s’il s’agit d’aliments que l’on prépare pour les chiens et les chats, la règle est différente, car le ‘hamets qu’ils contiennent était, à l’origine, propre à être consommé par un homme ; aussi est-il obligatoire de détruire de tels aliments. Quant à un produit qui, de prime abord, n’est pas destiné à l’alimentation, mais qui, en pratique, pourrait en cas de nécessité pressante être consommé par un homme, il a le statut de ‘hamets nouqché (‘hamets dégradé), comme nous l’avons vu au paragraphe précédent.


[5]. Si un non-Juif a préparé du ‘hamets pendant Pessa’h, et qu’ensuite ce ‘hamets soit devenu impropre à la consommation d’un chien, le Michna Beroura 442, 44 estime, se fondant sur le ‘Hoq Ya’aqov au nom du Teroumat Hadéchen, qu’il reste interdit à un Juif d’en tirer profit pendant Pessa’h, car ce produit a bien été ‘hamets à un moment où le ‘hamets était interdit. Cf. Igrot Moché, Ora’h ‘Haïm III 62, qui est indulgent. Le Ye’havé Da’at II 60, en fin de note, résume les opinions. Au sujet des autres aliments interdits qui, dès lors qu’ils sont devenus incomestibles pour un homme, perdent leur caractère interdit, cf. ‘Aroukh Hachoul’han, Yoré Dé’a 103, 1-5.

07. Cas dans lesquels il n’y a pas de fermentation

Nous l’avons vu, les cinq sortes de céréales avec lesquelles se fait le ‘hamets sont les cinq espèces susceptibles de fermentation après être entrées en contact avec de l’eau. Mais si on les grille au feu, la faculté de fermenter leur sera ôtée ; si l’on s’en tenait à la seule règle toranique, il serait permis de les mélanger à de l’eau. Toutefois, nos sages ont craint que l’on n’ait pas grillé correctement lesdites céréales, de sorte qu’elles fermenteraient au contact de l’eau. Par conséquent, il faut adopter les mêmes préventions que pour les cinq céréales elles-mêmes ; si ces céréales torréfiées ont été humidifiées, puis ont reposé dix-huit minutes, on craint qu’elles n’aient fermenté ; il sera donc interdit d’en tirer profit et l’on devra les détruire (Choul’han ‘Aroukh 463, 3, Michna Beroura 7).

Ce qui vient d’être dit s’applique aux grains torréfiés au feu ; mais si c’est de la farine que l’on a grillée, certains Richonim sont indulgents, et estiment qu’il n’est pas à craindre que la farine n’ait pas été grillée correctement ; aussi, est-il permis, selon eux, de mélanger cette farine à de l’eau ou à un plat cuisiné, sans crainte de fermentation (Rachi, Maïmonide). Mais de nombreux Richonim pensent que, s’agissant même de farine, il est à craindre que la torréfaction n’ait pas été correcte (Rabbénou Yerou’ham, Hagahot du Séfer Mitsvot Qatan, Hagahot Maïmoniot et d’autres). C’est en ce sens que tranchent les A’haronim : il ne faut pas mélanger de la farine grillée à de l’eau ou à quelque plat, de crainte que cela ne fermente. Toutefois, si le mélange a déjà été fait, et quoiqu’il reste interdit de le consommer, il sera permis de le garder chez soi jusqu’à l’issue de Pessa’h, puis de le consommer (Michna Beroura 463, 8, Kaf Ha’haïm 13).

En revanche, quand il s’agit d’une matsa qui a été correctement cuite, il est admis qu’elle ne peut plus fermenter. Par conséquent, on peut faire tremper de la matsa, ou des miettes de matsa, dans de l’eau ; et tel est l’usage de la majorité du peuple juif. Mais les ‘Hassidim ont coutume de ne pas manger de matsa trempée (comme nous le verrons au chap. 8 § 2).

L’échaudage du blé ou de la farine à l’eau bouillante élimine, lui aussi, la possibilité de fermenter. Mais les Guéonim l’ont interdit, car personne, de nos jours, ne sait échauder correctement, or si l’ébouillantement ne met pas fin à la faculté de fermenter, il risque de s’amorcer un processus contraire, de fermentation accélérée. En effet, nous l’avons dit, la chaleur hâte la fermentation. Par conséquent, les céréales ou la farine échaudées sont interdites à la jouissance, comme le ‘hamets, et doivent être détruites (Choul’han ‘Aroukh 454, 3, Michna Beroura 13).

De la farine sur laquelle tombe un égouttement d’eau, goutte à goutte de façon continue, même si c’est toute la journée, ne fermente pas, car la chute de ces gouttes « dérange » la farine et la met en mouvement, ne permettant pas au processus de fermentation de se développer. Dès que s’interrompt l’égouttement, on devra pétrir la pâte et l’enfourner. S’il subsiste un doute quant au fait de savoir si l’égouttement a été continu, il s’agit d’un doute portant sur un interdit toranique ; il faudra donc considérer cette farine comme ‘hamets, et la détruire (Pessa’him 39b, Choul’han ‘Aroukh 466, 6).

Autre manière de prévenir la fermentation de la pâte : l’immerger dans de l’eau froide (Pessa’him 46a, Choul’han ‘Aroukh 457, 2). Mais a priori il ne faut pas faire cela, car il faut craindre que l’eau ne soit pas assez froide, et que la pâte ne fermente (Roch, Michna Beroura 457, 18)[6].

De la farine qui a été pétrie avec du jus de fruit n’est pas du tout ‘hamets ; mais si un peu d’eau a été mêlée au jus de fruit, elle fermentera, (comme nous le verrons au chap. 8 § 1).


[6]. Mettre de la pâte au congélateur arrête-t-il lui aussi le processus de fermentation ? Le Igrot Moché, Ora’h ‘Haïm III 59, estime qu’il ne faut pas se fier au fait que la congélation prévient la fermentation, car il se peut que le froid freine la fermentation sans l’empêcher tout à fait. Mais les responsa ‘Helqat Ya’aqov III 166, ainsi que le Dvar Yehochoua’ II 58, sont indulgents, et considèrent que la congélation empêche entièrement la fermentation. Toutefois, il ne faut pas préparer a priori de la pâte en vue de la congeler puis de la cuire pendant Pessa’h car, même s’agissant d’immersion dans l’eau froide, ce n’est qu’a posteriori que les sages le permettent. Mais si de la pâte a été préparée avant Pessa’h, que l’on n’ait pas eu le temps de la cuire, et qu’elle n’ait pas non plus fermenté, on pourra la congeler jusqu’à l’expiration de Pessa’h ; alors seulement, on la décongèlera et on la cuira.

Bien que l’on n’ait pas l’usage d’être indulgent en matière d’échaudage, il y a à cette question une utilité pratique, dans le cas du malade en danger, pour lequel il est préférable de limiter la réalisation d’interdits, comme l’explique le Michna Beroura 454, 13.

01. Mitsvot liées à l’élimination du ‘hamets

C’est un commandement positif de la Torah (mitsvat ‘assé) que de détruire le ‘hamets de son domaine à l’approche de Pessa’h, comme il est dit : « Or, le premier jour, vous aurez éliminé le levain de vos maisons » (Ex 12, 15). Par tradition, nos sages enseignent que le propos du verset consiste à détruire le ‘hamets avant le milieu du quatorzième jour de nissan, veille de Pessa’h[a]. La preuve en est qu’il est écrit : « Tu ne feras pas couler, en présence de pâte levée, le sang de mon sacrifice » (Ex 34, 25) ; en d’autres termes : tu ne sacrifieras pas l’agneau pascal alors qu’il y aura encore du ‘hamets dans ton domaine. Or le temps de l’oblation de l’agneau pascal débute le 14 nissan au midi solaire (cf. Pessa’him 4b, Maïmonide, Michné Torah, lois du ‘hamets 2, 1). En cette matière, comme dans les autres mitsvot de Pessa’h, les hommes et les femmes sont soumis aux mêmes règles.

Quiconque n’a pas éliminé le ‘hamets de son domaine avant le milieu du 14 nissan transgresse, à tout instant, la mitsva positive d’élimination du ‘hamets, tant qu’il s’abstient de le détruire (Michna Beroura 443, 1). À partir du début de la fête de Pessa’h, la transgression de deux mitsvot « négatives » (interdits, mitsvot lo ta’assé) s’ajoutera à la transgression précédente, comme il est dit : « Sept jours durant, il ne se trouvera pas de levain en vos demeures » (Ex 12, 19), et : « On mangera des azymes durant ces sept jours, et il ne se verra pas chez toi de pâte levée (‘hamets), ni ne se verra chez toi de levain (séor), en aucune de tes possessions » (ibid. 13, 7). Nous voyons donc que, en accomplissant la mitsva d’éliminer le ‘hamets, nous nous préservons de la transgression de deux interdits, que nous appelons couramment bal yéraé (« il ne sera pas vu ») et bal yimatsé (« il ne se trouvera pas »… de ‘hamets en nos domaines)[1].

Eliminer le ‘hamets est la première mitsva par laquelle nous amorçons la série des mitsvot relatives à Pessa’h. Nous l’avons vu, le ‘hamets à Pessa’h représente le penchant au mal. Pour avoir le mérite d’intégrer en nous la sainteté propre au sacrifice pascal et à la consommation de la matsa, il faut préalablement détruire le ‘hamets, l’éliminer de notre maison. Aussi, la première des préparations à Pessa’h consiste-t-elle en l’élimination du ‘hamets.


[a]. Cf. chapitre 2, note 1.

[1]. À ce propos, résumons les opinions concernant les horaires d’application des interdits liés au ‘hamets. L’élimination du ‘hamets doit se faire avant le midi solaire du 14 nissan. (Il se peut que, selon l’auteur du Maor, la mitsva commence à midi, mais, pour les autres Richonim, l’élimination doit s’achever, suivant la norme toranique, à midi.)

S’agissant des autres mitsvot relatives au ‘hamets, leurs horaires d’application sont débattus. Pour l’interdit de consommation du ‘hamets, il y a controverse entre Tannaïm : selon Rabbi Yehouda, l’interdit toranique commence à midi, le 14, tandis que, pour Rabbi Chimon, l’interdit toranique de consommer du ‘hamets ne débute qu’à l’entrée de la fête de Pessa’h. La majorité des Richonim estiment que la halakha suit l’opinion de Rabbin Yehouda ; mais certains pensent comme Rabbi Chimon. En ce qui concerne les interdits de bal yéraé (« il n’en sera pas vu ») et de bal yimatsé (« il ne s’en trouvera pas »), la majorité des Richonim estiment qu’ils s’appliquent à partir de l’entrée de la fête de Pessa’h ; mais, pour une minorité d’entre eux, ces interdits débutent dès le 14 à midi (cf. ci-dessus, chap. 2 § 2, note 2).

Mentionnons encore le fait que, si l’on participe au sacrifice pascal alors que l’on a encore, dans son domaine, ne serait-ce qu’un kazaït [unité de volume des solides] de ‘hamets, on enfreint un interdit toranique, puisqu’il est dit : « Tu ne feras pas couler, en présence de pâte levée, le sang de mon sacrifice » (Ex 23, 18). Si l’on fait cela intentionnellement, et que l’on ait été mis en garde préalablement, on est passible de malqout [trente-neuf coups] (Maïmonide, Michné Torah, Qorban Pessa’h 1, 5).

02. L’interdit porte sur le ‘hamets qui nous appartient.

L’interdit du ‘hamets à Pessa’h a ceci de particulier que l’objet de l’interdit n’est pas seulement de le manger, mais encore de le conserver ; et quiconque en conserve chez soi transgresse les deux interdits que sont bal yéraé (« il n’en sera pas vu »), et bal yimatsé (« il ne s’en trouvera pas »)[2].

Des termes utilisés par la Torah, nous apprenons qu’il n’est pas interdit qu’il y ait, dans le domaine d’un Juif, du ‘hamets appartenant à un non-Juif, ou n’appartenant à personne. La Torah dit en effet :

Vélo yéraé lekha ‘hamets, vélo yéraé lekha séor bekhol guevoulekha.

Littéralement :

Il ne te sera pas vu de pâte levée, et il ne te sera pas vu de levain en toutes tes possessions (Ex 13, 7).

Puisqu’il est dit lekha (« à toi »), c’est spécifiquement le ‘hamets qui est « à toi[b] » qu’il est interdit de voir ; mais pour un ‘hamets appartenant à un non-Juif, ou un ‘hamets abandonné (hefqer), il est permis qu’il soit visible.

Par conséquent, quand un non-Juif habite dans la cour d’un Juif, quoique ce non-Juif travaille simplement chez le Juif, propriétaire de la cour, il n’est pas nécessaire que ce dernier détruise le ‘hamets du non-Juif. De même, si un non-Juif a laissé, avant Pessa’h, du ‘hamets en dépôt au domicile du Juif, ce dernier n’a pas besoin de détruire ce ‘hamets, tant qu’il n’en est pas responsable. Toutefois, il faut dresser une cloison d’une hauteur d’au moins dix téfa’him[c] devant le ‘hamets, afin que l’on n’en vienne pas, par mégarde, à en manger (Choul’han ‘Aroukh 440, 2). Ou bien encore, on enfermera à clé ce ‘hamets, et l’on cachera la clé ; ou, si l’on veut, on enfermera le ‘hamets dans une armoire, et l’on apposera sur les portes de l’armoire du ruban adhésif, de façon que, au cas où l’on voudrait ouvrir l’armoire, on se souvienne qu’elle contient un produit interdit : du ‘hamets.

De même, il est permis à un Juif d’autoriser un non-Juif à pénétrer dans sa maison, à Pessa’h, avec du ‘hamets en main. Mais il est interdit au Juif de manger dans la compagnie du non-Juif, sur une même table, de crainte de manger, par mégarde, de ce ‘hamets. Même si l’on déposait un quelconque objet en guise de signe, afin de se rappeler de ne pas manger du ‘hamets du non-Juif, il resterait interdit au Juif de manger avec lui à une même table, de crainte qu’une miette de ce ‘hamets ne se mélange à sa nourriture. En revanche, après que le non-Juif aura terminé son repas à une table, il sera ensuite permis au Juif de bien nettoyer cette table de toute miette de ‘hamets, puis d’y manger (Choul’han ‘Aroukh 440, 3, Michna Beroura 18).


[2]. Selon le Roch (Pessa’him, chap. 1 § 9), dès lors que du ‘hamets est visible, même si on ne le voit pas en pratique, on enfreint également l’interdit de bal yéraé (« il n’en sera pas vu »). Par suite, quiconque laisse chez soi un kazaït de ‘hamets enfreint en permanence deux interdits : bal yéraé et bal yimatsé. En revanche, pour le Kessef Michné (‘Hamets oumatsa 1, 3), quiconque laisse du ‘hamets en son domaine enfreint certes l’interdit de bal yimatsé (« il ne s’en trouvera pas »), mais il n’enfreindra l’interdit de bal yéraé que s’il voit effectivement le ‘hamets.

[b]. Le terme lekha vise, non seulement ta propre possession, mais celle de toute personne comparable à toi, c’est-à-dire de tout Juif.

[c]. Près d’un mètre (selon les estimations, entre 76 et 96 cm).

03. ‘Hamets placé sous la responsabilité d’un Juif ; statut des actions de société

Nous l’avons vu, c’est seulement quand le ‘hamets appartient à un Juif que l’on est susceptible de transgresser, par ce ‘hamets, les interdits de bal yéraé (« il n’en sera pas vu ») et de bal yimatsé (« il ne s’en trouvera pas ») durant Pessa’h ; comme il est dit (Ex 13, 7) : Vélo yéraé lekha (« il ne te sera pas vu… »). Toutefois, de prime abord, cette compréhension du verset semble difficile à soutenir. En effet, il est également dit (Ex 12, 19) : Lo yimatsé bevatékhem (« il ne s’en trouvera pas dans vos maisons »), ce qui laisse entendre qu’en aucun cas il n’est permis que du ‘hamets se trouve dans le domaine d’un Juif. Cependant, expliquent nos sages, quand le ‘hamets appartient au non-Juif, et que le Juif n’a pas la responsabilité de le garder, il n’est pas interdit qu’il se trouve dans le domaine du Juif, puisqu’il est dit : « il ne te sera pas vu… » ; mais quand le Juif s’est vu confier la responsabilité d’en assurer la garde, le ‘hamets est comme sien, dès lors l’interdit s’y applique, et c’est ce que vise la Torah quand elle prescrit : « il ne s’en trouvera pas » (Pessa’him 5b).

Par conséquent, quand un Juif est responsable du ‘hamets que l’on a placé chez lui, ce ‘hamets devient comme le sien propre ; dès lors, il lui est interdit de le maintenir dans son domaine : il le rendra au non-Juif ou le détruira. A posteriori, quand il ne peut le rendre au non-Juif, et que le détruire entraînerait une trop grande perte financière, le Juif vendra le ‘hamets à un autre non-Juif, et lui louera le lieu où il est déposé (Choul’han ‘Aroukh 440, 1, Michna Beroura 4). En revanche, si le Juif s’est vu confier la garde du ‘hamets du non-Juif, mais que ce ‘hamets reste dans le domaine du non-Juif, le Juif n’enfreint aucun interdit (Michna Beroura 440, 7). D’après cela, il est permis à une compagnie d’assurance dont un Juif est le propriétaire d’assurer du ‘hamets pour des non-Juifs, puisque le ‘hamets reste dans le domaine des non-Juifs[3].

Quand un Juif a déposé du ‘hamets chez son coreligionnaire pour qu’il le garde, l’un et l’autre ont l’obligation de le détruire : le déposant, parce qu’il est le propriétaire du ‘hamets, le dépositaire, parce que le ‘hamets devient comme le sien propre par le fait qu’il s’est engagé à le garder (Choul’han ‘Aroukh 440, 4). Et même s’il ne s’est pas engagé à le garder, il a l’obligation de le détruire[4].

Si j’ai a acheté des actions dans une société qui est propriétaire de produits ‘hamets, et que Pessa’h approche : dans le cas où j’ai quelque autorité, où je suis fondé à exprimer mon opinion sur la façon de conduire la société, ce qu’il y a lieu de vendre et ce qu’il y a lieu d’acheter, le ‘hamets sera considéré comme faisant partie de mon propre patrimoine : j’enfreindrais, en le gardant dans le patrimoine social, les interdits de bal yéraé et de bal yimatsé. Mais si je n’ai point d’autorité suffisante au sein de la société pour exprimer mon avis, je suis comme tous ceux qui investissent leur argent dans l’achat d’actions, et auxquels la société doit un pourcentage de ses bénéfices, tandis que le patrimoine social n’est pas, lui, considéré comme la chose des simples associés. En un tel cas, je ne transgresse pas d’interdit par le fait que cette société soit propriétaire de ‘hamets. Dans le même sens, si j’investis mon argent dans des fonds de placement ou des fonds de pension, et quoique les directeurs de ces fonds investissent peut-être une partie des sommes dans une société elle-même propriétaire de ‘hamets, je ne commets point d’interdit, car ce ‘hamets n’est pas considéré comme ma propriété. Certains auteurs, cependant, sont rigoureux en la matière[5].


[3]. Pour Rabbénou Yits’haq, ce n’est que lorsque le Juif a accepté une responsabilité de gardien à titre onéreux (chomer sakhar), que le ‘hamets est considéré comme le sien propre, et qu’il transgresse, par lui, les interdits de bal yéraé et de bal yimatsé. Selon le Halakhot Guedolot, on commet ces transgressions dans le cas même où l’on a accepté la responsabilité de gardien à titre gratuit (chomer ‘hinam). Le Choul’han ‘Aroukh, présentant la position principale en halakha, retient l’opinion de Rabbénou Yits’haq, puis mentionne celle du Halakhot Guedolot comme opinion seconde. Selon le Michna Beroura 8, il faut a priori tenir compte de l’opinion du Halakhot Guedolot. Selon Maïmonide, même si l’on n’a accepté aucune responsabilité, mais que le non-Juif soit violent et qu’il soit susceptible d’exiger un dédommagement de force dans le cas où le Juif perdrait le ‘hamets, ce ‘hamets est considéré comme celui du Juif, lequel transgresse par-là les deux interdits. Selon le Raavad, cependant, il n’y a point de transgression ; mais l’opinion principale est celle de Maïmonide. En toutes ces matières, si la fête est terminée, le ‘hamets est permis a posteriori, car un ‘hamets qui est resté propriété d’un Juif pendant Pessa’h n’est interdit que rabbiniquement ; or, en cas de doute, on est indulgent. La règle applicable aux compagnies d’assurance est exposée dans Che’arim Métsouyanim Bahalakha 114, 29.

[4]. S’agissant d’un Juif qui a déposé son ‘hamets chez un autre Juif, le Choul’han ‘Aroukh 440, 4 tranche comme Rabbénou Yona, selon lequel, bien que le dépositaire ait accepté d’être responsable de ce ‘hamets, le déposant reste tenu de le détruire, car le ‘hamets est à lui. C’est aussi l’opinion d’autres décisionnaires. Selon Na’hmanide et le Ran, en revanche, le propriétaire n’enfreint pas d’interdit en ne le détruisant pas, puisque le ‘hamets ne se trouve pas dans son domaine, et que le dépositaire en a pris la responsabilité. Concernant le dépositaire, le Choul’han ‘Aroukh 443, 2 rapporte qu’a priori, s’il constate que son coreligionnaire ne vient pas reprendre son ‘hamets, il devra le vendre à un non-Juif afin d’en préserver la valeur. S’il ne l’a pas fait, il devra le détruire. Selon le Michna Beroura 443, 14, citant le Baït ‘Hadach et le Maguen Avraham, la raison en est que tous les Juifs sont garants les uns des autres. Selon le Gaon de Vilna, même si le dépositaire n’a pas pris de responsabilité à l’égard de ce ‘hamets, il pèse sur lui une obligation toranique de le détruire, car il s’agit du ‘hamets d’un Juif et que ledit ‘hamets se trouve en son domaine. C’est en ce sens que s’expriment le Tsla’h et le Beit Méïr.

[5]. Le Che’arim Metsouyanim Behalakha 114, 28 rapporte l’opinion indulgente. Certains, cependant, ont coutume de vendre les actions qu’ils possèdent dans des sociétés de ‘hamets, ou des sociétés assurant du ‘hamets. C’est ce qu’écrit le Sidour Pessa’h Kehilkhato 11, 5. De nombreux contrats de vente de ‘hamets comprennent une clause prévoyant cela (cf. Pisqé Techouvot 440, 1).

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