Pniné Halakha

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Chapitre 12 – Préparation de la nourriture

01. Moudre (to’hen)

De nombreux éléments se présentent, à l’état naturel, sous une forme solide. L’homme a, pour sa part, appris à les effriter et à les moudre afin de créer, à partir d’eux, des produits nouveaux et excellents. Par la mouture du blé et des autres céréales, on produit de la farine, de laquelle on peut ensuite faire du pain, des gâteaux, des pâtes etc. En moulant les grains de poivre, on prépare une épice en poudre ; en moulant les grains de café, on peut préparer la poudre de café ; en pilant les plantes médicinales, on prépare des remèdes, et en concassant d’autres plantes, on fait des couleurs. Puisque la mouture est une activité donnant naissance à une chose nouvelle, elle fait partie des travaux interdits le Chabbat. Il est également interdit de concasser les métaux, d’effriter un bloc de terre ou de limon.

En général, si l’on moud, on réduit la chose moulue à l’état de farine ou de poudre ; toutefois, l’interdit de to’hen existe même si l’on se contente de réduire la chose en petits morceaux. Par exemple, couper du bois en petits morceaux pour qu’ils brûlent bien est une transgression de l’interdit de to’hen (Chabbat 74b).

Si l’on doit moudre du poivre ou quelque autre épice pour les besoins de Chabbat, il est permis de le faire à condition d’apporter deux modifications à cet acte. La mélakha de la mouture requiert en effet deux ustensiles : un récipient dans lequel on place la matière à moudre (le mortier), et un instrument servant à broyer et à moudre (le pilon). Si l’on moud à l’aide de ces deux instruments, on enfreint l’interdit de la Torah. Si l’on remplace l’un d’eux, c’est un interdit rabbinique que l’on transgresse. Mais pour les besoins des mets de Chabbat, nos sages ont permis de moudre avec deux changements, par exemple en utilisant le manche d’un couteau au-dessus d’une soupière (Choul’han ‘Aroukh 321, 7). Bien qu’en général les sages aient interdit, même avec deux modifications, d’exécuter un travail pour les besoins de la nourriture sabbatique, ils l’ont permis dans notre cas, parce que l’acte ne ressemble pas à un travail (mélakha) mais à un apprêt alimentaire (on dira que l’acte est exécuté sur le « mode de la consommation », dérekh akhila).

L’interdit de to’hen s’applique à des corps qui se sont constitués de manière naturelle, tels que les plantes, les fruits, les métaux ; en revanche, il n’est pas interdit de moudre des aliments qui ont déjà été moulus, puis qui ont été reformés de façon artificielle. Par conséquent, il est permis d’émietter du pain, de la galette azyme (matsa), des gâteaux, du chocolat ou du sucre cristallisé (Rama 321, 12). De même, il est permis d’effriter de la poudre de tabac qui se serait agglomérée. Dans le même sens, un malade à qui il est permis de prendre une pilule le Chabbat, et qui a du mal à l’avaler, est autorisé à la broyer : puisque les composants ont déjà été pilés avant leur conditionnement en pilule, l’interdit de to’hen ne s’applique plus (Chemirat Chabbat Kehilkhata 33, 4). Toutefois, certains estiment que c’est seulement dans le cas où l’on broie ces produits pour les consommer immédiatement que cela est permis. A priori, il convient de tenir compte de leur avis (‘Hayé Adam 17, 4). Quoi qu’il en soit, même dans un cas où il est permis de moudre ou d’émietter, il est interdit de le faire au moyen d’instruments destinés à la réduction d’aliments en petits morceaux, comme une râpe (Choul’han ‘Aroukh 321, 10, Michna Beroura 36).

Quand du limon, de la boue, se sont agrégés, dans la mesure où cette concrétion s’est produite de manière naturelle, ce serait transgresser un interdit toranique que de les effriter pour utiliser leur poussière. Et si l’on n’a pas besoin de leur poussière, c’est un interdit rabbinique que l’on transgresse. Aussi, quand de la boue, de la terre sèche, s’est collée à l’un de nos vêtements ou à nos chaussures, il nous est interdit de la retirer si ce retrait a nécessairement pour effet d’effriter cette salissure. Mais s’il est douteux que ce retrait entraîne une telle réduction à l’état de poussière, cela devient permis. Même quand il est certain que la boue s’effritera, il est permis, en cas de nécessité, de la retirer de manière inhabituelle. Par exemple, on enlèvera la boue du vêtement en donnant une tape du dos de la main, ou l’on enlèvera la boue de la chaussure en frappant chaussure contre chaussure[1].


[1]. Selon le Kolbo, il n’est pas interdit de retirer de la boue d’un vêtement en l’effritant, car on n’a pas besoin de la poudre qui en résulte, et cette boue était déjà à l’état de poudre avant de s’agréger. Rabbénou Pérets l’interdit. Le Choul’han ‘Aroukh 302, 7 rapporte la position de Rabbénou Pérets comme opinion complémentaire (יש אומרים, « certains disent… »). Bien que certains auteurs soient indulgents en pratique (‘Hida, Yalqout Yossef 302, 17 ; 321, 22), la majorité des décisionnaires tiennent compte de l’opinion de Rabbénou Pérets (Choul’han ‘Aroukh Harav 302, 17, ‘Hayé Adam, Michna Beroura 36, Ben Ich ‘Haï, seconde année, Michpatim 6, Kaf Ha’haïm 49). Quoi qu’il en soit, s’il est douteux que la boue s’effritera, l’acte devient permis, même de l’avis de ceux qui l’interdisent dans le cas précédent, car nous sommes en présence d’un cas où le produit de l’acte n’est pas recherché par son auteur [davar ché-eino mitkaven, cf. chap. 9 § 5] (Rav Chelomo Zalman Auerbach, Chemirat Chabbat Kehilkhata 15, note 103). Il semble qu’en matière de boue ou d’argile, tant qu’ils ne sont pas réduits à l’état de poudre, l’interdit de to’hen ne s’applique pas.

 

Quand il est certain que la boue sera réduite en poudre, mais que l’on a grandement besoin de la retirer, on peut, de l’avis même de ceux qui l’interdisent d’ordinaire, la retirer de manière « incidente » (kil-a’har yad) – en apportant un changement au geste habituel. De cette façon, l’acte relève du chevout de-chevout (« abstention rabbinique ajoutée à une autre », cf. chap. 9 § 11 ; Béour Halakha 302, 6 ד »ה או). [Premier élément de chevout : on n’a pas besoin de la poudre qui en résulte ; deuxième élément : le changement.]

02. Couper des légumes, écraser de la banane ou de l’avocat

Les Richonim discutent de la question suivante : l’interdit de to’hen s’applique-t-il au fait de couper des légumes en petits morceaux pour préparer une salade ? Selon certains, puisqu’on retire une utilité de la découpe des légumes en petits morceaux, l’interdit de to’hen s’applique. Mais pour la majorité des Richonim, il n’est interdit de couper des légumes que dans le cas où l’on ne pourrait les manger autrement, par exemple quand on les coupe avant de les cuire, quand ils ne se mangent pas crus. Mais si ces légumes peuvent aussi se manger crus, les couper n’est pas interdit. En pratique, puisque la controverse touche un interdit toranique, il y a lieu de tenir compte de l’opinion rigoureuse. Il est donc interdit de couper des légumes en petits morceaux pour faire sa salade (Choul’han ‘Aroukh 321, 12). Toutefois, si l’on prépare la salade tout de suite avant le repas, cela devient permis, de l’avis même des décisionnaires rigoureux, car, de cette façon, couper les légumes ne se fait pas sur le mode laborieux (dérekh mélakha) mais sur le mode alimentaire (dérekh akhila), puisque l’on a le droit, le Chabbat, de manger sa nourriture coupée en petits morceaux (Rachba, Beit Yossef, Rama 321, 12). A priori, il est néanmoins recommandé, même si l’on prépare la salade pour le repas proche, de ne pas couper les légumes en morceaux particulièrement petits (Beit Yossef, Michna Beroura 45)[2].

Certains auteurs, rigoureux, interdisent d’écraser de la banane ou de l’avocat à la fourchette, même pour les besoins d’une consommation proche ; ils le permettent toutefois à la cuiller, car c’est une modification apportée à la méthode habituelle. En pratique, la halakha suit l’opinion selon laquelle il est permis d’écraser la banane ou l’avocat à la fourchette pour les besoins d’une consommation proche. Nous avons vu, en effet, que l’interdit de to’hen ne s’applique pas à ce que l’on prépare pour une consommation immédiate, à condition que le broyage ne se fasse pas au moyen d’un instrument spécialement conçu pour moudre ou concasser[3].

Il est permis de couper au couteau de la viande grillée dure en petits morceaux, même pour une consommation différée. La règle est la même pour du fromage dur. De même, il est permis d’écraser à la fourchette un œuf dur. De toutes manières, même quand il est permis de couper et d’effriter une chose, il reste interdit de le faire à l’aide d’un instrument conçu pour moudre ou concasser, tel qu’une râpe (Choul’han ‘Aroukh 321, 9-10). En revanche, il est permis de se servir d’un ustensile destiné à couper de grands morceaux. Par conséquent, il est permis d’utiliser un couteau conçu pour trancher le fromage à pâte cuite. De même, il est permis d’utiliser un trancheur à œufs, pourvu d’une rangée de lames espacées les unes des autres, avec lesquelles on coupe l’œuf en tranches. On peut encore trancher le pain de cette façon (Chemirat Chabbat Kehilkhata 6, 3)[4].


[2]. On distingue trois opinions en matière de to’hen : a) Selon Rabbénou ‘Hananel et le Roch, l’interdit de to’hen ne s’applique que lorsqu’on fait de la farine. b) Pour la majorité des Richonim, si le découpage de l’aliment en petits morceaux le rend propre à la consommation, l’opération est interdite ; si l’aliment est déjà consommable tel quel, c’est permis. C’est l’opinion du Rid, du Ritva, de Rabbi Aaron Halévi, de Na’hmanide, du Ran. L’opinion de Maïmonide est proche de celle-là. c) Tout découpage de légume en petits morceaux est frappé par l’interdit de moudre. C’est l’opinion de Rachi, du Or Zaroua’ et du Réem (Rabbi Eliézer de Metz).

 

Le Choul’han ‘Aroukh 321, 12 tient compte de l’opinion rigoureuse. Mais il précise, suivant le Rachba, que, s’il s’agit de manger immédiatement, c’est permis. Toutefois, bien que cette dernière autorisation soit admise par une immense majorité de décisionnaires, certains expriment des doutes à son sujet (Chilté Haguiborim). Aussi, les A’haronim écrivent-ils qu’il est bon, a priori, de ne point couper les légumes en morceaux particulièrement petits (Beit Yossef, Michna Beroura 321, 45).

 

[3]. Il y a plusieurs motifs d’autorisation :

 

  1. a) Selon la majorité des décisionnaires, l’interdit de to’hen ne s’applique aucunement à un fruit ou à un légume qui est, tel quel, propre à la consommation (comme nous l’avons vu dans la note précédente).

 

  1. b) Bien que le Choul’han ‘Aroukh (321, 12) tranche selon l’opinion rigoureuse, l’interdit ne s’applique pas, dès lors que l’on prépare l’aliment pour les besoins d’une consommation proche (Rachba, Beit Yossef et Rama).
  2. c) Selon le Igrot Moché (Ora’h ‘Haïm IV 74, To’hen 2), même si l’interdit de to’hen s’appliquait à ce dernier égard, il ne s’appliquerait en rien à notre cas, puisque, même après broyage, la banane (ou l’avocat) demeure un bloc unitaire.

 

  1. d) Ecraser au moyen des dents d’une fourchette constitue une modification du mode habituel de broyage (Or lé-Tsion 1, 28). De même, le Ye’havé Da’at V 27 et le Menou’hat Ahava II 8, 12 le permettent. [Pour ces décisionnaires, la fourchette, qui sert normalement à manger et non à broyer, constitue ici un changement efficace.] Cependant, le ‘Hazon Ich (Ora’h ‘Haïm 57) est rigoureux, et remet même en cause l’autorisation de moudre pour les besoins d’une consommation immédiate. L’auteur estime qu’écraser doit être considéré comme moudre, puisque l’on défait les jonctions internes au fruit. Il ajoute que, si l’opération est faite pour les besoins d’un bébé, le Maguen Avraham 321, 14 l’interdit, car elle vise à rendre l’aliment propre à la consommation. C’est aussi la position du Chemirat Chabbat Kehilkhata 6, 1 et du Hilkhot Chabbat Béchabbat 12, 15. Ils autorisent en revanche à écraser la banane ou l’avocat à la cuiller, car cela constitue un changement. De même, quand ces fruits sont très tendres, ceux qui soutiennent la position rigoureuse autorisent, eux aussi, à les écraser à l’aide d’une fourchette. Mais en pratique, l’approche halakhique essentielle suit la position indulgente, car celle-ci est basée sur la presque totalité des Richonim.

 

[4]. Comme l’explique le Teroumat Hadéchen 56, l’autorisation de couper de la viande, du fromage ou de l’œuf repose sur deux fondements : a) l’interdit de to’hen concerne essentiellement les choses qui poussent sur le sol ; b) selon la majorité des décisionnaires, l’interdit de to’hen ne s’applique pas à un aliment qui, tel quel, est propre à la consommation. Bien que la viande dure ne puisse être mangée par des personnes âgées, on la considère comme propre à la consommation, puisqu’elle reste consommable pour la majorité des gens.

 

Mais il est interdit d’utiliser un ustensile conçu pour moudre ou hacher. Selon le Michna Beroura 321, 36, l’interdit est rabbinique ; pour le Nichmat Adam 17, 2, il est toranique.

03. Pétrir (lach)

La mélakha du pétrissage (lach) consiste à faire, à partir de farine et d’eau, de la pâte. Même quand un aliment liquide est figé (qarouch), comme dans le cas du miel ou de la mayonnaise, il est interdit d’y pétrir de la farine car, dès lors que le malaxage a pour effet d’unir des particules de farine à la pâte, cela s’appelle pétrir. De même, si l’on malaxe du sable dans de l’eau afin de faire des briques ou de boucher les trous d’un mur, on transgresse l’interdit de lach.

Il est également interdit d’accomplir partiellement le travail de pétrissage. Il est donc interdit de verser de l’eau sur de la farine. De même, quand le pétrissage de la pâte est achevé, il est interdit de lui conférer sa forme finale[5].

Par le biais du pétrissage est créée une chose nouvelle, dont les caractéristiques diffèrent de celles des ingrédients encore séparés : tant que la farine était d’un côté et l’eau de l’autre, elles ne pouvaient gonfler ; on ne pouvait les cuire au four. Ce n’est qu’après les avoir pétris que l’on peut en faire du pain et des gâteaux. De même, tant que la terre était d’un côté et l’eau de l’autre, on ne pouvait les utiliser pour construire ; c’est après les avoir malaxés que l’on peut en faire des briques, boucher des trous.

L’interdit toranique de pétrir ne concerne qu’une pâte épaisse (‘issa ‘ava) ; mais nos sages ont élargi l’interdit à une pâte fluide (‘issa raka) (comme nous l’expliquerons au prochain paragraphe). Toutefois, si la quantité de matière est si faible qu’elle se dissolve dans le liquide, sans que ne se forme de pâte, le liquide se maintenant comme tel, l’interdit de lach ne s’applique pas. Par conséquent, il est permis de mettre du café et du sucre dans de l’eau. De même, il est permis de préparer de la bouillie (daïssa) pour bébé (du type Materna) en mélangeant la poudre à l’eau : puisque la poudre ne devient pas une pâte au contact de l’eau, que celle-ci reste liquide, conformément à son état habituel, si bien que l’on peut boire le mélange au biberon, l’interdit de lach n’est pas constitué (il faut faire cette bouillie dans un keli chelichi pour échapper au risque de cuire ; cf. chap. 10 § 7)[6].


[5]. Tous les avis s’accordent à dire qu’en pétrissant véritablement, on transgresse un interdit de la Torah. Cependant les Tannaïm sont partagés quant au fait de savoir si l’interdit toranique de pétrir s’applique également au simple fait de mettre de l’eau dans de la farine. Selon Rabbi Yehouda Hanassi, même si l’on se borne à mettre de l’eau dans de la farine, on enfreint un interdit toranique, puisque l’on amorce par là le processus de pétrissage. Selon Rabbi Yossé, fils de Rabbi Yehouda, dans la mesure où l’on n’a pas encore véritablement pétri, c’est seulement un interdit rabbinique que l’on enfreint (Chabbat 18a, 155b).

 

Selon la majorité des décisionnaires, parmi lesquels Rabbénou ‘Hananel, le Rif, Maïmonide, le Roch, Rabbi Zera’hia Halévi, Na’hmanide, Or Zaroua’, Roqéa’h, Rabbénou Yerou’ham et le Méïri, la halakha suit l’opinion de Rabbi Yossé, fils de Rabbi Yehouda. Selon la Terouma, le Réem, le Séfer Mitsvot Gadol et le Séfer Mitsvot Qatan, la halakha suit Rabbi Yehouda Hanassi. (A priori, on ne se lavera pas les mains au-dessus de la terre, et l’on n’urinera pas sur de la terre, car, même du point de vue de Rabbi Yossé, fils de Rabbi Yehouda, cela est interdit. En cas de nécessité pressante, on pourra être indulgent, en considérant ce cas comme un psiq reicha dela ni’ha leh bé-issour derabbanan (Psiq reicha quand la conséquence engendrée n’apporte pas de bénéfice à l’auteur de l’acte, et que cette conséquence est un interdit rabbinique ; cf. chap. 9, fin de la note 2). Cf. Michna Beroura 321, 57.

Certaines matières, comme la cendre, ne se prêtent pas au malaxage : si on les malaxe dans de l’eau, il en sortira une sorte de pâte, mais instable : après avoir séché, la pâte aura tendance à s’effriter. On trouve trois opinions au sujet de ces matières non pétrissables :

 

  1. a) Leur statut est moins rigoureux, et il est permis d’y verser de l’eau. Seul le fait de les pétrir véritablement est interdit rabbiniquement (Maïmonide, Rid, Ritva ; c’est aussi ce que l’on peut inférer des propos du Rif et de Rachi).

 

  1. b) Leur statut est plus rigoureux : puisqu’ils ne se prêtent de toute façon pas à un véritable malaxage subséquent, on est punissable, même aux yeux de Rabbi Yossé, fils de Rabbi Yehouda, dès le moment où l’on y met de l’eau (comme le pense Abayé, en Chabbat 18a ; selon le Béour Halakha 324, 3 ד »ה אין, Tossephot tranche en ce sens, ainsi que le Roch, le Raavad, le Rachba et le Ran. De prime abord, c’est aussi ce que pense la Terouma et tous ceux qui tranchent selon l’avis de Rabbi Yehouda Hanassi.)

 

  1. c) La règle est semblable à celle qui s’applique aux matières qui se prêtent au malaxage : les Tannaïm discutent de la qualification halakhique du fait de verser de l’eau sur ces matières, mais les malaxer est un interdit toranique (comme le pense Rav Yossef dans Chabbat ad loc. ; selon le ‘Hazon Ich 56, 3, telle est l’opinion de la majorité des décisionnaires mentionnés par le Béour Halakha).

[6]. Si la pâte tendre est sur le point de s’agréger et de durcir d’elle-même, l’interdit toranique de lach est constitué dès que l’on y a mis de l’eau, car cette mélakha consiste essentiellement dans l’agrégation des particules en un seul bloc. Les sages disent ainsi que, si l’on met des graines de lin dans de l’eau, on est passible de sanction au titre de la mélakha de lach, car, au contact de l’eau, les graines de lin produisent une substance gélatineuse qui les colle l’une à l’autre (Zeva’him 94b). De même, si l’on mélange du ciment, de l’eau et du gravier pour faire du béton, bien qu’il s’agisse au départ d’une pâte tendre que l’on peut verser, on transgresse en cela un interdit toranique, car le béton va s’agréger naturellement en un seul bloc (cf. Qtsot Hachou’lhan 130, 3). C’est pour le même motif qu’il est interdit de faire de la gelée, comme nous le verrons au paragraphe 7.

04. La permission de préparer une pâte fluide de manière inhabituelle

Comme nous l’avons vu, l’interdit toranique de lach porte sur le pétrissage d’une pâte épaisse, acte par lequel les particules se rassemblent en un bloc unifié, de sorte que, si l’on mettait cette pâte dans une assiette, elle ne coulerait pas, ni ne se répandrait sur les côtés. Mais faire une pâte fluide, que l’on peut verser d’un récipient à un autre, et qui s’étale sur les côtés quand on la met dans une assiette, n’est pas interdit par la Torah. En effet, préparer une telle pâte n’est pas considéré comme un acte de pétrissage mais seulement de remuement (be’hicha). Toutefois, puisqu’il est à craindre de se tromper, et de faire une pâte épaisse, transgressant ainsi un interdit toranique, les sages ont dressé une haie protectrice autour de la Torah en interdisant de faire une pâte fluide. Cependant, les sages permettent de faire une pâte fluide en introduisant un changement (chinouï) dans l’exécution de l’acte car, à l’aide de ce changement, on se rappellera l’interdit toranique, et l’on prendra soin de ne pas rendre cette pâte épaisse.

Le changement doit s’opérer dans la manière de réunir les ingrédients. Si l’on a l’habitude de placer d’abord la matière sèche puis d’y verser le liquide, on placera d’abord les ingrédients liquides, puis on y versera la matière sèche. Si l’on a l’habitude de placer d’abord les liquides et d’y verser la matière sèche, on placera d’abord la matière sèche et l’on y versera les liquides. Dans ce dernier cas, on versera tous les liquides en une fois, afin qu’une pâte épaisse ne soit pas d’abord formée.

Ensuite, durant l’étape du remuement, certains estiment qu’il n’est plus nécessaire de rien changer, si ce n’est que l’on ne mélangera pas vigoureusement, comme on le ferait les jours de semaine. D’autres sont rigoureux, exigeant de modifier également la forme du remuement : par exemple, au lieu de mélanger la pâte en tournant la cuiller, on mélangera en imprimant à celle-ci des mouvements rectilignes, d’un côté à l’autre du récipient, ou en quadrillage ; ou bien encore en remuant du doigt, ou en faisant tanguer le récipient, ou en transvasant la pâte d’un récipient à un autre, de façon qu’elle se mélange. A priori, il est juste de se rendre quitte aux yeux de tous les décisionnaires, en modifiant aussi bien la façon de réunir les ingrédients que la façon de remuer.

Quand il n’y a pas d’ordre particulier dans la manière de réunir les ingrédients, on placera d’abord la matière sèche, et l’on versera les liquides par-dessus ; en plus de quoi on aura soin de modifier sa manière de remuer[7].

Il est permis d’ajouter des liquides à une pâte épaisse pour la rendre fluide ; en effet, l’adjonction d’eau dans la pâte produit l’opération inverse du pétrissage, car ce dernier rassemble les parties en une pièce unitaire, tandis que l’adjonction d’eau affaiblit leur fusion (Béour Halakha 321, 15, passage commençant par Yakhol).

D’après cela, il est permis d’ajouter de l’eau à une pâte de te’hina[a] brute, puisque l’eau la rend plus fluide. Certains, il est vrai, l’interdisent, parce que, durant le processus de fluidification, il y a une étape où la pâte durcit légèrement (Chemirat Chabbat Kehilkhata 8, 31). Cependant, en pratique, l’essentiel tient dans l’opinion indulgente, puisque, en fin de compte, la pâte devient plus fluide. De plus, la graine a déjà été pilée et réduite à l’état pâteux à la veille de Chabbat, si bien que, de l’avis de nombreux auteurs, l’interdit de pétrir ne s’y applique plus (Choul’han ‘Aroukh 321, 15). Pour sortir du doute, il est juste de remuer cette pâte de manière inhabituelle, quadrillée au lieu de circulaire.


[7]. Pour la Dricha, se fondant sur plusieurs Richonim, il suffit de faire un changement dans la manière de réunir les ingrédients. Selon le Teroumat Hadéchen 53, il faut également faire un changement dans la manière de remuer. Le Choul’han ‘Aroukh 321, 14 écrit qu’il n’est pas nécessaire de modifier le remuement (c’est aussi ce qu’incline à dire le ‘Hazon Ich 58, 5 ד »ה ומשמע, et c’est ce qu’écrit le Menou’hat Ahava II 9, note 43). Toutefois, selon le Michna Beroura 321, 57 et le Ben Ich ‘Haï, seconde année, Michpatim 18, il est bon de modifier le mode de remuement.

Quand il n’y a pas d’ordre habituel dans la manière de réunir les ingrédients, on placera, selon Teroumat Hadéchen, Elya Rabba, Tossephot Chabbat et ‘Hoq Ya’aqov, la matière sèche en premier. Selon le Taz, puisqu’il n’est pas possible de modifier l’ordre de placement des matières, il ne saurait y avoir d’autorisation à faire la pâte. Ce débat est rapporté par Michna Beroura 321, 57. Puisque la règle est rabbinique, on peut s’appuyer sur l’opinion indulgente (Chemirat Chabbat Kehilkhata 8, 9, Menou’hat Ahava II 9, note 39).

 

[a]. Spécialité orientale. Pâte fluide de sésame.

05. S’il est permis de faire une pâte épaisse de manière inhabituelle

Les décisionnaires discutent si, pour les besoins alimentaires de Chabbat, il est permis de pétrir une pâte épaisse en apportant à l’acte une modification (chinouï)[b]. Certains l’interdisent : selon eux, c’est seulement une pâte fluide – dont le pétrissage est interdit par les sages –, que les sages eux-mêmes permettent de pétrir à condition d’imprimer à cet acte un changement. Mais s’agissant d’une pâte épaisse, que la Torah elle-même interdit de pétrir, les sages ont interdit d’en faire le pétrissage avec un changement (Maïmonide). D’autres pensent que, pour les besoins des mets de Chabbat, les sages ont permis de pétrir, même de la pâte épaisse, en modifiant la manière de le faire (Tossephot).

En pratique, en cas de nécessité pressante, quand la chose est grandement nécessaire, on peut s’appuyer sur les tenants de l’opinion indulgente et pétrir une pâte épaisse en y apportant un changement. Par exemple, à une époque où il était difficile de préparer une autre nourriture pour bébé que de la bouillie épaisse, on avait permis de le faire en opérant un changement. De même, quand il n’y avait d’autre nourriture pour animaux que le son qu’on malaxait en une pâte épaisse, on permettait de le faire en changeant la manière.

Le changement réside dans l’ordre où l’on place les ingrédients et dans la manière de pétrir. S’il existe un ordre habituellement observé dans la manière de placer les ingrédients, on inverse cet ordre. S’il n’y a pas d’ordre précis, on met d’abord la matière sèche, puis le liquide par-dessus. Le changement dans la forme du pétrissage consiste à ne pas remuer en rond, mais à conduire la cuiller en lignes droites, d’avant en arrière et ainsi de suite, ou sous forme quadrillée. Si la pâte est de telle nature qu’un changement de ce genre ne serait pas tellement perceptible, on extraira la cuiller de la pâte à chaque geste de remuement[8].

Certes, en pratique, il est très rare que l’on ait besoin d’une telle autorisation. En général, il n’y a pas de nécessité urgente à préparer, pendant Chabbat, une pâte épaisse. Malgré cela, l’opinion indulgente présente une grande importance, car il peut arriver qu’on se trouve dans le doute, à propos d’une pâte relativement épaisse, telle que l’interdit de lach s’y applique peut-être. Dans de tels cas, on pourra joindre l’opinion indulgente aux motifs d’indulgence portant sur les pâtes fluides, et pétrir cette pâte en apportant un changement à la méthode habituelle. En ce cas, il sera bon de le faire à proximité du repas (car, en cela, le Rachba est indulgent).

En revanche, dans les cas de pâte épaisse que la plupart des décisionnaires interdisent, on doit s’abstenir de pétrir ladite pâte, même en y apportant un changement. Il est par exemple interdit de malaxer des grains de sésame et des morceaux de noix ou de noisette dans du miel. De même, il est interdit de mélanger du beurre, du cacao et du sucre, car le mélange fait naître une pâte épaisse. Même en y apportant un changement et pour une consommation immédiate, cela reste interdit[9].


[b]. Cas, par exemple, d’une bouillie épaisse pour bébé.

[8]. Au traité Chabbat 156a, Rabbi Yossé, fils de Rabbi Yehouda, autorise à pétrir une pâte de son épaisse, en y imprimant un changement. En pratique, la règle dépend de deux controverses :

  1. a) D’après quelle opinion tranche-t-on, dans la controverse opposant Rabbi Yehouda Hanassi et Rabbi Yossé, fils de Rabbi Yehouda (rapportée ici en note 5). Si la halakha suit Rabbi Yehouda Hanassi, le fait même de mettre en contact les deux ingrédients est interdit par la Torah, et le fait de modifier l’ordre dans lequel on met les ingrédients n’est pas un changement propre à autoriser ce que la Torah interdit (Teroumat Hadéchen 53). Si la halakha suit Rabbi Yossé ben Rabbi Yehouda, la mise en contact des ingrédients n’est interdite que rabbiniquement (selon Tossephot, elle est même permise) ; et le changement apporté à l’ordre dans lequel on met les ingrédients est efficace.

 

  1. b) Les sages ont-ils autorisé, du moment que l’on y imprime un changement, le pétrissage d’une pâte épaisse, acte interdit par la Torah ? Selon Maïmonide et ceux qui partagent son opinion, le mélange de son et d’eau (que l’on fait pour les animaux) ne se transforme pas en pâte véritablement pétrie, et ce sont les sages qui ont interdit ce malaxage ; si bien que l’autorisation donnée par Rabbi Yossé ben Rabbi Yehouda concerne seulement une pâte que les sages interdisent de pétrir (c’est l’opinion du Rid et du Ritva ; le Choul’han ‘Aroukh cite Maïmonide). Face à cela, de nombreux Richonim estiment que le mélange de son et d’eau donne lieu à une pâte pétrie, de sorte que l’interdit de pétrir ce mélange est toranique ; si bien que Rabbi Yossé ben Rabbi Yehouda autorise, dès lors que c’est avec un changement, un pétrissage qu’interdit la Torah (le Béour Halakha 324, 3 ד »ה אין résume cette controverse).

 

En cas de nécessité pressante on peut être indulgent. En effet, s’agissant de mettre l’eau en présence de la matière solide, la majorité des décisionnaires estiment que la halakha suit Rabbi Yossé ben Rabbi Yehouda ; d’autre part, s’agissant de mélanger les deux éléments en y apportant un changement, puisque les avis rigoureux eux-mêmes estiment qu’un tel mélange assorti d’un changement n’est interdit que rabbiniquement, la halakha suit l’opinion indulgente. Il ressort également des propos du Taz et du Béour Halakha que, dans leur majorité, les décisionnaires sont indulgents en cela.

[9]. On peut permettre un pétrissage assorti d’un changement lorsqu’un doute sérieux pèse sur l’interdit de pétrir la pâte considérée. [Le doute est le suivant : la pâte que je me propose de faire est-elle ce que l’on appelle épaisse ou bien ce que l’on appelle fluide ?] Mais lorsque seuls des décisionnaires isolés sont indulgents, et pensent que l’interdit de lach ne s’applique pas, il ne faut pas joindre leur avis comme facteur d’indulgence pour permettre de pétrir une pâte épaisse en apportant à l’acte un changement. Mentionnons deux cas dans lesquels les décisionnaires indulgents sont isolés, et où il ne faut donc pas permettre de pétrir en opérant un changement :

 

  1. a) Des propos du Rachba (4, 75), on peut inférer qu’il est permis de pétrir une pâte épaisse afin de la manger immédiatement. Plusieurs A’haronim associent cette opinion à d’autres motifs d’indulgence (cf. Liviat ‘Hen 67). Face à cela, nombreux sont ceux qui ne partagent pas, sur ce point, son opinion ; et certains pensent que le Rachba lui-même est rigoureux en cela. Peut-être faut-il penser que le Rachba n’est indulgent que dans le cas où la pâte est faite « sur le mode de la consommation » (dérekh akhila), c’est-à-dire quand les deux composants sont dans son assiette, qu’on les mélange et qu’on les mange. (Même en ce cas, la question de savoir si l’on peut être indulgent est sujette au doute ; cf. Chemirat Chabbat Kehilkhata 8, note 10).

 

  1. b) Selon certains, de même que la notion de to’hen (moudre) ne s’applique pas à une chose qui ne pousse pas sur le sol – comme la viande ou les œufs –, de même l’interdit de lach ne concerne pas un tel produit (Rabbi Chelomo Kluger ; cf. Tsits Eliézer XI 36). Toutefois, de l’avis de la plupart des décisionnaires, l’interdit de lach s’applique aussi à ce qui ne pousse pas sur le sol, comme l’écrit Igrot Moché, Ora’h ‘Haïm IV 74, Lach, 8.

06. Choses qu’il est permis de mélanger de manière habituelle ou en y apportant un changement

L’interdit de pétrir ne s’applique pas à un mets écrasé : puisque sa matière est broyée et attendrie, l’acte de pétrissage ne créera pas dans ce mets de changement essentiel. Par conséquent, il est permis de mélanger un mets contenant de la viande hachée, des pommes de terre en purée et des grains de gruau écrasés, et il est même permis d’y mettre de l’eau et d’en faire un bloc unifié. De même, il est permis d’ajouter de la sauce à une purée et de mélanger le tout : puisque la pomme de terre a déjà été écrasée, l’interdit de pétrir ne s’applique pas (responsum de Maïmonide, rapporté par le Beit Yossef 321, 19)[10].

Si un mélange formant pâte a déjà été pétri la veille de Chabbat, et qu’avec le temps une partie de l’eau qu’il contenait ait dégoutté de cette pâte, il est permis de le mélanger de nouveau pendant Chabbat, car nous avons pour principe qu’il n’y a pas pétrissage après pétrissage (ein licha a’har licha)[c]. Puisque la chose est permise selon tous les avis, il n’est pas nécessaire d’opérer un changement véritable. Toutefois, il ne faut pas mélanger cette pâte rapidement, comme on le ferait les jours de semaine. Par exemple, quand, dans une salade d’aubergines, l’eau s’est partiellement détachée et surnage, il est permis de la mêler de nouveau aux aubergines. De même, quand une partie de l’huile d’un beurre de cacahuète s’est détachée et surnage, il est permis de mélanger de nouveau cette huile à la pâte.

Quand une pâte a déjà été pétrie la veille de Chabbat, on peut inférer des propos de différents décisionnaires qu’il est permis d’y ajouter d’autres ingrédients ; mais d’autres décisionnaires sont rigoureux à ce propos. Par conséquent, il est permis de mélanger ces ingrédients supplémentaires en opérant un changement. Par exemple, si l’on a une salade de ‘houmous et que l’on veuille y mélanger du piment, on sera autorisé à le faire en remuant de façon inhabituelle. De même, si l’on a cuit, à la veille de Chabbat, des aubergines et qu’on les ait malaxées dans leur eau, il sera permis d’y ajouter, pendant Chabbat, de la mayonnaise, et de mélanger le tout en changeant la manière de remuer (cf. Choul’han ‘Aroukh 321, 15-16). Nous avons déjà vu (au précédent paragraphe) que le changement consistait dans le fait de diriger la cuiller en lignes droites, aller et retour, ou de façon quadrillée. Dans le cas où, même de cette façon, le changement ne serait pas tellement perceptible, on extraira la cuiller de la pâte à chaque mouvement du remuement.

Il est permis de mélanger des miettes de gâteau dans du fromage ou du lait. Puisqu’on a déjà pétri la pâte au moment où l’on préparait le gâteau, l’interdit de pétrir ne s’applique plus aux miettes. Mais certains décisionnaires sont rigoureux et pensent que, dans la mesure où la pâtisserie s’est émiettée, le premier pétrissage qu’elle avait subi est considéré comme annulé ; par conséquent, on apportera une modification à l’opération, et l’on ne l’exécutera que pour une consommation immédiate.

Il y a un autre principe qu’il faut connaître : la mélakha de pétrissage a pour effet de consolider une matière sèche, de manière à la rassembler ; mais si la matière sèche s’éparpille dans la matière liquide, il n’y a pas de pétrissage. Par conséquent, il est permis d’ajouter à du fromage des herbes aromatiques, puisque les feuilles se dispersent, et ne s’agrègent pas l’une à l’autre. De même, il est permis de mélanger du muesli dans du fromage frais, puisque les flocons de muesli ne sont pas collés les uns aux autres et qu’ils ne s’agrègent pas en un seul bloc, mais s’attachent au fromage lui-même. Il est également permis de mélanger des morceaux de fraise et de banane dans de la crème fraîche, puisque lesdits morceaux ne se collent pas les uns aux autres ni ne s’agrègent en un bloc. Dans le même sens, il est permis d’ajouter du sucre ou du cacao au fromage frais, car l’intention n’est pas de coller les grains de sucre ou de cacao les uns aux autres, mais de donner du goût au fromage.

Les A’haronim s’interrogent quant au fait de savoir s’il est permis de mélanger deux « pâtes » l’une à l’autre ; par exemple du fromage blanc à du miel. Selon certains, puisque les deux corps s’agrègent en une pâte épaisse, la mélakha de pétrissage est constituée (Chemirat Chabbat Kehilkhata 8, 16) ; selon d’autres, ce n’est que lorsqu’on mélange une matière sèche à du liquide que s’applique l’interdit de lach, mais le mélange de deux ingrédients qui comportent chacun du liquide est permis (Igrot Moché, Ora’h ‘Haïm IV 74). En pratique, il est permis de les mélanger en opérant un changement.


[10]. Certains permettent même de mélanger avec vigueur, de la manière dont on pétrit (Taz), mais pour de nombreux décisionnaires, il est interdit de remuer avec vigueur (Ba’h, Maguen Avraham, Elya Rabba, Michna Beroura 321, 77). Le ‘Hazon Ich (58, 9) est rigoureux : si le mets a séché complètement (comme, par exemple, dans le cas d’un riz sec), il est interdit, selon lui, de le pétrir avec des liquides. En pratique, on pourra pétrir en modifiant la manière : on dirigera la cuiller de façon quadrillée.

 

[c]. On parle d’un mélange pouvant être consommé tel quel, sans cuisson, pendant Chabbat.

07. Autres règles

Il est interdit de faire un pudding dont la pâte est épaisse, c’est-à-dire qu’elle ne s’écoule pas. Mais il est permis de faire, en opérant un changement, un pudding à la pâte fluide, qui s’écoule. Comme nous l’avons vu (§ 4), on placera d’abord la matière solide, puis le liquide par-dessus, et l’on mélangera le tout de façon inhabituelle (Igrot Moché, Ora’h ‘Haïm IV 74, Lach 7). Rappelons que le changement consiste, au lieu de mélanger circulairement, à conduire la cuiller en lignes droites, allers et retours, ou de façon quadrillée. Si cela ne suffit pas à ce que le changement soit perceptible, on sortira la cuiller de la pâte à chaque mouvement de remuement.

Il est interdit de préparer de la gelée en mélangeant de la poudre de gélatine à de l’eau. Bien que le mélange soit d’abord liquide, il se solidifie finalement, si bien que, en mélangeant l’eau à la poudre de gélatine, on enfreint l’interdit de lach (cf. note 6).

Il est interdit de préparer une purée en mélangeant des flocons de purée dans de l’eau. En effet, en mélangeant l’eau dans cette substance farineuse, on fait une pâte épaisse. Il est donc interdit de préparer un plat instantané de purée. Mais il est permis de préparer un plat instantané de couscous, que l’on remuera en opérant un changement ; c’est à partir d’un keli chéni que l’on versera l’eau dans la préparation[11].

Tous les avis s’accordent à dire qu’il est permis de mélanger des légumes, dès lors qu’ils ne sont pas ciselés finement, avec de l’huile ou de la mayonnaise. Puisque les morceaux ne sont pas minuscules, on ne peut dire d’eux qu’ils sont pétris en une pâte. Mais les décisionnaires discutent du cas où on a finement ciselé les légumes. Certains disent que, tant que les légumes ne sont pas réduits à l’état de pâte, unifiée avec le corps gras en un seul bloc, il n’y a pas d’interdit (Maharchal). D’autres disent que, même si ces morceaux de légumes ne forment pas un bloc unifié, c’est interdit, dès lors qu’ils se collent les uns aux autres  (Touré Zahav). Si l’on veut être indulgent, on y est autorisé. On mélangera alors les légumes en opérant un changement, et l’on préparera la salade à l’approche du repas (Michna Beroura 321, 68 ; cf. supra § 5, notes 8-9).

Un doute est également apparu dans le cas d’une salade d’œufs accompagnés de morceaux d’oignons et de mayonnaise. D’un côté, il y aurait plusieurs motifs d’autorisation : en particulier, tous les ingrédients sont déjà comestibles tels qu’ils sont, et l’on n’en fait pas une pâte totalement homogène, comme de la pâte à pain. D’un autre côté, on a l’habitude d’en faire une pâte relativement unifiée, et épaisse. En pratique, il est permis de préparer de la salade d’œufs et d’écraser les œufs à la fourchette, à condition de mélanger la salade en opérant un changement, et d’avoir soin de destiner cette préparation à une consommation immédiate.

La règle est la même pour une salade de thon aux œufs écrasés et à la mayonnaise, ou une salade de foie aux œufs : bien que ces salades se présentent comme autant de pâtes unifiées, il est permis d’en mélanger les ingrédients à condition d’avoir soin de le faire en opérant un changement, et pour une consommation immédiate[12].


[11]. Les décisionnaires sont partagés quant au fait de savoir s’il est permis de pétrir de la farine de matsa (pain azyme cuit, réduit en poudre). Pour beaucoup d’auteurs, c’est interdit : la matsa s’est tellement émiettée que le pétrissage initial est considéré comme annulé (Taz, Michna Beroura 321, 57). D’autres tendent à l’indulgence (‘Aroukh Hachoul’han 20, Maharcham). Puisqu’il s’agit d’un cas de doute, il est permis de pétrir cette farine en opérant un changement. Le cas du couscous est plus léger, car peut-être ses composants ne se collent-ils pas les uns aux autres. Quoi qu’il en soit, pour sortir du doute, on malaxera en opérant un changement.

[12]. Le Chemirat Chabbat Kehilkhata 8, 28 autorise à malaxer, en opérant un changement, une salade d’œufs, même quand elle est conçue comme une pâte (l’auteur permet d’écraser de l’œuf ou des pommes de terres cuites et tendres à la fourchette). Le même auteur écrit en note 92 que tel est l’usage général, et cite différents motifs d’autorisation : l’œuf est cuit, et donc déjà propre à la consommation ; la salade n’est pas véritablement faite comme une pâte homogène ; de plus, si on la prépare en vue du proche repas, cela revient à préparer une petite quantité de nourriture à la fois, ce qui constitue un changement [habituellement, une telle salade se prépare en plus grande quantité]. Il faut ajouter, comme nous l’avons vu en note 9, que, selon le Rachba, dès lors que l’on prépare l’aliment afin de le manger immédiatement, le malaxage devient permis ; de plus, selon certains, la notion de lach ne s’applique qu’à des produits qui poussent sur le sol. En revanche, d’autres auteurs assimilent le cas des œufs au cas des légumes : dès lors qu’on les prépare à la manière d’une pâte, il faut être rigoureux (Hilkhot Chabbat 13, 31). Comme nous l’avons appris au paragraphe 5, en cas de doute, on peut pétrir en opérant un changement. En outre, de prime abord, quand on introduit un changement dans l’acte de pétrissage, la pâte ne s’agrège pas entièrement en un ensemble unifié.

08. Presser des fruits

Presser des fruits pour en extraire le jus, c’est transgresser l’interdit de méfareq (« démonter », « extraire »), qui est un dérivé de la mélakha de dach (battre les céréales)[d]. Par le travail du battage, on sépare les grains de blé des épis, tandis que « démonter » consiste à séparer le liquide d’un fruit. L’interdit toranique consiste à presser des olives pour en obtenir l’huile, ou des raisins pour en recueillir le vin, car l’huile et le vin sont des liquides importants, et la majorité des olives et des raisins sont destinés au pressurage ; quant aux autres fruits, qui ne sont pas cultivés principalement pour leur jus, ce sont les sages qui interdisent de les presser[13].

L’interdit de presser s’applique lorsque le but est d’extraire le jus du fruit afin de le boire ; mais si le but est d’ajouter du goût à un plat, il devient permis de presser des fruits au-dessus de ce plat, car alors le pressurage n’a pas pour effet de créer une boisson, mais d’extraire le jus du sein d’un aliment pour le transférer à un autre aliment. Par conséquent, il est permis de presser des raisins sur un mets, un citron sur une salade de légumes, une orange sur des carottes râpées. Il est de même permis de presser un citron sur du poisson frit : bien que les gouttes de citron ne soient pas absorbées dans la chair du poisson, elles restent accessoires à celui-ci et sont considérées comme en faisant partie, dès lors que, par cet assaisonnement, on ne vise qu’à rendre le poisson plus savoureux (Choul’han ‘Aroukh 320, 4, Chemirat Chabbat Kehilkhata 5, note 15).

Si l’on veut presser un citron pour faire une citronnade, on ne pressera pas le citron au-dessus d’un récipient vide, ni au-dessus de l’eau. On pressera le citron sur le sucre, de façon que tout le jus soit absorbé par le sucre ; alors, on considère que l’on extrait un comestible pour le transférer à un autre comestible, ce qui n’est pas interdit[14].

Quand des aliments, en cuisant, ont absorbé beaucoup d’huile, ou que des conserves ont absorbé beaucoup de liquide, il est permis de les presser afin d’en améliorer le goût en les délestant de leur trop-plein de liquide. De même, il est permis de les presser sur un autre aliment. En revanche, si l’on est intéressé par le liquide lui-même, que l’on voudrait extraire des aliments, il est interdit de les presser (Choul’han ‘Aroukh 320, 7).

Il est permis de couper en deux un pamplemousse et de le manger à la cuiller, bien que, par cela, du jus s’en écoule ; puisque ce jus reste à l’intérieur du fruit, il n’y a aucun interdit. De même, il est permis de couper des fruits pour en faire une salade ; bien que l’opération se traduise par l’écoulement d’un peu de jus hors du fruit, cela n’est pas interdit, parce que l’intention n’est pas de séparer le jus des fruits, et que la majorité du jus reste dans ceux-ci. Si, après avoir terminé de manger sa salade de fruit ou son pamplemousse, il reste un peu de jus au fond de l’assiette, il est permis de le boire[15].


[d]. Cf. Chap. 11 § 17.

[13]. Autrefois, il y avait certains fruits que l’on n’avait pas du tout l’usage de presser. À leur sujet, les sages disaient : « On peut presser les prunes, les coings et les baies d’aubépine [pendant Chabbat] » (Chabbat 144b). Bien que, selon certains Richonim (Hagahot Séfer Mitsvot Qatan, Rabbénou Yerou’ham), il ne faille jamais presser de fruit pour en obtenir le jus, et que plusieurs A’haronim tiennent comptent de leur avis (‘Hayé Adam 14, 3, Ben Ich ‘Haï, deuxième année, Yitro 3), la très grande majorité des Richonim et des A’haronim le permettent (Choul’han ‘Aroukh 320, 1, Béour Halakha ד »ה מותר). Toutefois, en pratique, nous ne connaissons pas, de nos jours, un seul fruit qu’il ne soit pas d’usage de presser. Aussi est-il interdit, en pratique, de presser quelque fruit que ce soit pour en recueillir le jus.

 

Selon le Ran, la Torah n’interdit de presser que les olives et le raisin car, en les pressant, on crée une boisson véritable, dotée d’une importance : l’huile ou le vin. C’est également ce que l’on peut inférer de Maïmonide, et c’est en ce sens qu’écrivent plusieurs A’haronim, parmi lesquels le ‘Aroukh Hachoul’han 320, 10. Selon Rachi, le Rachba et le Ritva, dès lors qu’un fruit, quel qu’il soit, est majoritairement destiné à être consommé après avoir été pressé, l’interdit de le presser est toranique.

 

Il est interdit de presser un vêtement qui a absorbé du liquide, pour les besoins de ce liquide, cela au titre de l’interdit de « battre » (dach). Les décisionnaires discutent du fait de savoir si l’interdit est toranique. Quand l’essorage d’un vêtement vise à le nettoyer, la Torah l’interdit à un autre titre : celui du lessivage ou du nettoyage (kibous, liboun) (cf. supra chap. 11 § 17 et Har’havot ; cf. également infra chap. 13 § 5 et Har’havot).

[14]. Certes, le Choul’han ‘Aroukh 320, 6 autorise à presser des citrons dans un récipient vide : puisque l’on n’en boit pas le jus à lui seul, ce jus n’a pas d’importance [contrairement au vin], et le citron doit être considéré comme les fruits que l’on ne presse pas ordinairement pour leur jus, fruits que, nous l’avons vu dans la note précédente, la majorité des décisionnaires permettent de presser pour leur jus. Le ‘Hayé Adam 14, 4 interdit, quant à lui, de presser le citron, même sur un sucre, puisque l’intention est de faire de ce citron une boisson. Mais la majorité des décisionnaires estiment qu’il est permis de presser le citron sur un sucre ; tel est l’avis du ‘Hida, du Ben Ich ‘Haï, seconde année, Yitro 5, et du Michna Beroura 320, 22.

[15]. Bien qu’il soit certain qu’en coupant un pamplemousse ou une orange on provoquera l’extraction de jus, il est permis de les couper, car c’est un cas de psiq reicha portant sur une chose non recherchée (dela ni’ha leh), dans un cas où nous avons deux éléments de rang rabbinique (derabbanan) (cf. chap. 9 § 5 et note 2) : a) le pressurage ne se fait pas de la manière habituelle ; b) l’interdit de presser un pamplemousse est, de l’avis de nombreux décisionnaires, un interdit rabbinique. C’est ce qu’écrivent différents décisionnaires, parmi lesquels le Chemirat Chabbat Kehilkhata 5, note 49.

 

Sur le jus restant dans l’assiette après consommation du fruit, cf. Chabbat 143b, où il est dit que, selon Rabbi Yehouda – et la halakha suit son avis –, si du jus s’écoule de lui-même à partir de fruits destinés à être mangés, il est permis de boire ce jus. Mais si c’est d’entre des raisins ou des olives que du jus s’écoule, même si l’on destinait ces fruits à être mangés, il est interdit de boire le jus (puisque c’est la Torah même qui interdit le pressurage de ces fruits, les sages sont plus rigoureux à leur sujet). C’est en ce sens que tranche le Choul’han ‘Aroukh 320, 1. En général, quand on fait une salade de fruits, même s’il y a du raisin, la plus grande partie du jus provient des autres fruits. Même si du jus s’écoule à partir du raisin, il se mêle aux autres fruits et à leur jus ; aussi est-il permis de boire le jus restant (cf. Or’hot Chabbat 4, note 44).

 

Les décisionnaires sont partagés quant au fait de savoir s’il est permis de sucer un fruit quand celui-ci reste à l’extérieur de ses dents. En pratique, pour du raisin, que la Torah elle-même interdit de presser, il y a lieu d’être rigoureux (Rama 320, 1). Mais quand le grain de raisin est dans la bouche, il n’y a pas d’interdit (Michna Beroura 12).

09. L’interdit de mise en conserve et de salage d’aliments

Nos sages ont interdit de mettre en conserve des cornichons, des olives et d’autres produits du même genre, dans de l’eau salée ou du vinaigre, car la mise en conserve ressemble à la cuisson. De même, les sages interdisent de saler des aliments quand le salage entraîne chez eux un changement de nature ; c’est le cas par exemple du radis, de l’oignon, de l’ail, du navet et des concombres. En effet, par l’effet du sel, ces légumes suintent, leur amertume se dissipe, ils se font plus tendres ou plus durs, et plus savoureux. Or l’acte ressemble à la mélakha de tanner le cuir (me’abed, cf. chapitre 18 § 6), et l’effet sur l’aliment ressemble à celui de la cuisson (Choul’han ‘Aroukh 321, 2-6, Michna Beroura 15).

Il est permis de tremper un morceau dans du sel avant de le manger car, de cette façon, on ne paraît pas avoir pour intention de faire une salaison de cet aliment. Selon de nombreux avis, il est même permis de saler plusieurs morceaux et de les placer devant soi afin de les manger immédiatement, l’un après l’autre (Choul’han ‘Aroukh 321, 4) ; mais la coutume est d’être rigoureux et de manger chaque morceau immédiatement après l’avoir trempé dans le sel car, si on laissait en attente un morceau trempé dans le sel tout en trempant d’autres morceaux, on paraîtrait, le temps de l’opération, faire une salaison (Michna Beroura 321, 20, Kaf Ha’haïm 26).

Quand on ajoute de l’huile, il est permis de saler plusieurs morceaux ensemble, car l’huile atténue l’effet du sel, et l’acte ne s’apparente pas à la préparation de conserves mais à l’assaisonnement de la nourriture (Michna Beroura 321, 14). De même, il est permis de mettre du sel dans une salade de concombres ou de radis que l’on prépare en vue du repas proche : dès lors qu’on y ajoute de l’huile et des épices qui atténuent l’effet du sel, il est manifeste que l’on n’en fait pas des salaisons (Touré Zahav 321, 1, Michna Beroura 14). Il est également permis de mettre du sel, sans avoir à observer les susdites limitations, sur des légumes ou des fruits dont il n’est pas d’usage de faire des salaisons, par exemple des tomates (Chemirat Chabbat Kehilkhata 11, 2).

Nos sages ont également interdit ce qui ressemble à la mise en conserve d’aliments. Ils ont donc interdit de préparer une grande quantité d’eau salée ou de quelque autre liquide dans lequel on a l’usage de mettre les aliments en conserve. Il est en revanche permis d’en préparer la quantité nécessaire pour y tremper des aliments au cours d’un seul repas. Mais il est interdit de préparer, même en petite quantité, une eau salée concentrée, où la proportion de sel est des deux tiers, car cela ressemblerait au fait de préparer une saumure pour conserver du poisson (Choul’han ‘Aroukh 321, 2).

10. Teindre les aliments (tsovéa’)

Nous avons pour principe que l’interdit de teindre ne s’applique pas aux aliments (ein issour tsvi’a ba-okhelim). Par conséquent, il est permis de mettre du curcuma ou du safran dans un plat, bien que cela lui donne une teinte jaune. De même, il est permis de tremper du pain dans le vin, bien que celui-ci se colore en rouge (Choul’han ‘Aroukh 320, 19). En effet, l’interdit toranique de teindre s’applique quand la teinte se maintient longtemps, comme dans le cas des vêtements ou des murs. Les sages y ajoutent l’interdit de teindre pour une durée limitée ; mais quant aux aliments, la matière colorée est principalement ajoutée en vue de son goût, et non de sa couleur ; et il n’est pas d’usage de les colorer. Nos sages n’ont donc pas interdit d’y ajouter, de façon occasionnelle, un ingrédient coloré.

Certains auteurs, rigoureux, interdisent de colorer des boissons, car la coloration y est plus manifeste que dans les aliments solides, et l’on a davantage l’usage de les colorer. Il arrive en effet que l’on prépare des couleurs liquides pour la teinture des vêtements ou des murs. Aussi, selon ces auteurs, même dans le cas où un liquide est destiné à la boisson, il est rabbiniquement interdit de le colorer (Ben Ich ‘Haï, deuxième année, Peqoudé 3-4). Mais pour la majorité des décisionnaires, même dans le cas des boissons, l’interdit de teindre ne s’applique pas, et telle est la halakha (Darké Moché 320, 2). Toutefois, a priori, il est préférable, quand c’est possible, de tenir compte de l’opinion rigoureuse et de ne pas colorer les boissons. Si l’on mélange du vin rouge à du vin blanc, il vaut donc mieux ne pas verser le rouge dans le blanc, car le blanc se colorerait, mais plutôt verser le blanc dans le rouge, car alors la coloration n’est pas très manifeste : le vin blanc « s’annule » au sein du rouge. De même, quand on prépare du jus de fruit, il est préférable de mettre d’abord le concentré puis d’y verser l’eau : alors, l’eau est « absorbée » dans le concentré, et il n’est pas reconnaissable qu’elle se colore. Dans le même sens, si l’on prépare du thé à l’aide d’un extrait liquide, il est bon de placer en premier lieu l’extrait puis d’y verser l’eau (Cha’ar Hatsioun 318, 64-65 ; cf. plus haut, chap. 10 § 8, où l’on voit qu’il faut verser l’eau depuis un keli chéni)[16].


[16]. Selon la majorité des décisionnaires, la notion de teinture ne s’applique pas aux aliments ni aux boissons (Choul’han ‘Aroukh 320, 19, Darké Moché 2, ‘Hakham Tsvi 92, Maté Yehouda 318, 2, parmi de nombreux autres). Toutefois, certains sont rigoureux : le Nichmat Adam 24, 3 craint que ne s’applique un interdit toranique quand le but de cette coloration est la commercialisation de l’aliment ; mais le Béour Halakha 320, 19 repousse cette position. En tout état de cause, la chose reste interdite rabbiniquement, en tant que préparation faite, pendant Chabbat, pour les besoins des jours de semaine. Il est donc interdit de colorer pour vendre (cf. Michna Beroura 320, 56).

 

D’autres soutiennent que, si l’interdit de teindre ne s’applique pas aux aliments, il s’applique, rabbiniquement, aux boissons (Rav Pe’alim III, Ora’h ‘Haïm 11, Ben Ich ‘Haï II Peqoudé 3-4, Haelef Lekha Chelomo 136, Lev ‘Haïm 3, 78). Bien que la stricte règle rabbinique et que la majorité des décisionnaires soient indulgents (cf. Yabia’ Omer II 20), il est bon, a priori, d’être rigoureux. Du point de vue même des décisionnaires rigoureux, lorsqu’on verse le liquide transparent dans le liquide coloré, il n’y a pas d’interdit (‘Hessed Laalafim 320, 6, Cha’ar Hatsioun 318, 65). Si l’intention est de colorer, il y a lieu d’être rigoureux, même pour les aliments solides (Ben Ich ‘Haï II Peqoudé 3, Menou’hat Ahava III 13, 8, notes 26 et 30, Chemirat Chabbat Kehilkhata 11, 29). Cf. Har’havot.