Pniné Halakha

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Soukot

01.Noms et principes de la fête

La fête qui est l’objet de notre étude possède trois noms : a) fête de Soukot (‘hag ha-soukot), du nom de la souka[a] dans laquelle il nous est prescrit de résider durant ces jours ; b) fête de la récolte (‘hag ha-assif), car on y achève le rassemblement de la récolte céréalière et des fruits ; c) « la fête » (hé’hag) : il arrive qu’elle soit appelée ainsi, sans autre mention, comme il est dit : « Salomon célébra la fête » (II Chr 7, 8). C’est qu’elle est la plus joyeuse et la plus solennelle des fêtes de pèlerinage : une joie d’une intensité particulière y régnait à l’époque du Temple, par les danses accompagnant la cérémonie de puisage de l’eau[b] (Tossephot Yom Tov sur Roch Hachana 1, 2), et l’on y offrait davantage de sacrifices que lors des autres fêtes (Ha’émeq Davar 16, 13). Quant aux motifs de la joie particulière à la fête de Soukot, nous tenterons de les exposer par la suite (§ 8).

On trouve dans la fête de Soukot trois éléments essentiels, qui sont d’ailleurs solidaires les uns des autres : a) la sainteté propre à ces jours de fête – y compris au jour de Chemini ‘atséret[c] –, durant lesquels nous terminons le cycle annuel des fêtes, nous nous réjouissons et exprimons notre reconnaissance envers Dieu pour la récolte des fruits de l’année agricole. Cette sainteté se manifeste par la mitsva de cesser tout travail durant le premier et le huitième jour de fête, qui sont des jours chômés (Yom tov), et par un arrêt partiel de notre activité les jours intermédiaires (‘Hol hamo’ed). La sainteté de ces jours se manifeste encore par les sacrifices additionnels qu’il nous était ordonné d’offrir durant la fête, comme le prescrit le livre des Nombres (29, 12-34). b) La mitsva des quatre espèces (arba’at haminim)[d], qui exprime le supplément de joie lié au rassemblement de la récolte annuelle, ainsi qu’au repentir et à l’expiation des jours redoutables[e]. c) La mitsva de la souka, qui donne son nom à la fête, et que nous accomplissons afin que toutes nos générations aient conscience de l’histoire de la sortie d’Égypte, et de la providence de Dieu sur son peuple. La souka fait, de plus, allusion aux temps futurs, quand l’Éternel étendra la tente de sa paix sur nous, sur tout Israël et sur le monde entier.

Ces trois thèmes sont exposés dans la section des fêtes du livre du Lévitique (23, 33-44) : à la différence des autres fêtes, mentionnées de façon unitaire, la thématique de la fête de Soukot est exposée en trois étapes. La première, du verset 33 au verset 38 :

L’Éternel parla à Moïse en ces termes : le quinzième jour de ce septième mois, c’est la fête des cabanes, durant sept jours, en l’honneur de l’Éternel. Le premier jour, il y aura convocation sainte : vous ne ferez aucun travail servile. Pendant sept jours, vous offrirez à l’Éternel un sacrifice consumé par le feu ; le huitième jour, ce sera pour vous une convocation sainte, et vous offrirez à l’Éternel un sacrifice consumé par le feu ; c’est une fête de clôture, vous ne ferez aucun travail servile.

La deuxième, versets 39-40 :

Mais le quinzième jour du septième mois, quand vous aurez rassemblé la récolte de la terre, vous célébrerez la fête de l’Éternel pendant sept jours. Le premier jour sera jour de repos, et le huitième jour sera jour de repos. Vous prendrez, le premier jour, un fruit de l’arbre de splendeur, des branches de palmier, des rameaux d’arbre feuillu et de saules de rivière ; et vous vous réjouirez devant l’Éternel votre Dieu pendant sept jours.

La troisième, versets 41 à 43 :

Vous la célébrerez en tant que fête de l’Éternel, sept jours par an, loi perpétuelle pour vos générations : au septième mois, vous la célébrerez. Dans des cabanes vous résiderez, pendant sept jours ; tous les indigènes d’Israël résideront dans les cabanes. Afin que vos générations sachent que c’est dans des cabanes que je fis résider les enfants d’Israël lorsque je les fis sortir de la terre d’Égypte. Je suis l’Éternel votre Dieu. »


[a]. Souka, plur. soukot : cabane.

[b]. Sim’hat beit hachoéva : littéralement « joie du puits », en référence au puits d’où l’on tirait l’eau versée sur l’autel du Temple, pendant la fête de Soukot. Cette cérémonie était accompagnée de danses, de chants et de musique instrumentale. Cf. ci-après § 10 à 12.

[c]. Fête de clôture, qui a lieu au lendemain des sept jours de Soukot ; cf. chap. 7.

[d]. Bouquet de quatre espèces végétales que l’on prend en mains et que l’on agite pendant Soukot ; cf. chap. 4 et 5.

[e]. Période qui s’étend de Roch Hachana à Kippour. L’expiation que l’on y obtient pour ses fautes est une source de joie, laquelle s’exprime pendant les jours de Soukot qui suivent peu après. Cf. Pniné Halakha – Les Jours redoutables.

02.La fête de la récolte

La fête de Soukot s’appelle également fête de la récolte (‘hag ha-assif), comme il est dit : « Et la fête de la récolte, au renouvellement de l’année » (Ex 34, 22). En effet, cette fête a lieu durant la saison où l’on achève de rassembler, dans les maisons et les entrepôts, la production céréalière et les autres produits des champs. Il est dit, de même : « Tu feras la fête des cabanes pendant sept jours, quand tu rassembleras le produit de ton aire et de ton pressoir » (Dt 16, 13 ; cf. aussi Lv 23, 39).

Les trois fêtes de pèlerinage (chaloch régalim) sont liées à la saison agricole dans laquelle elles ont lieu, comme il est dit : « Trois fois par an, tu feras fête en mon honneur : tu garderas la fête des azymes (…) à l’époque du mois de la germination (…) ; la fête de la moisson, prémices de tes produits, que tu auras semés dans le champ ; et la fête de la récolte, à l’expiration de l’année, quand tu rassembleras du champ tes produits » (Ex 23, 14-16). La fête de Pessa’h (Pâque) a lieu au printemps, à l’époque où tout commence à germer ; la fête de Chavou’ot (Pentecôte) a lieu quand s’achève la moisson céréalière et débute la cueillette des fruits ; quant à la fête de Soukot (les Cabanes), elle prend place quand s’achève la récolte des fruits de l’année. La mitsva de célébrer ces fêtes consiste donc à se réjouir[f] et à exprimer notre reconnaissance envers Dieu pour l’abondance de biens qu’Il nous a donnés. C’est pour cela que la joie de Soukot est supérieure à toute autre : parce que nous y achevons la récolte de l’ensemble de la production annuelle (cf. Pniné Halakha, Mo’adim chap. 1 § 2 et chap. 13 § 4-5).

Les processus naturels qui ont lieu ici-bas reflètent les processus spirituels qui se produisent dans les mondes supérieurs. La fête de Pessa’h est le temps du commencement et du renouvellement de la nature ; c’est pourquoi nous sommes sortis d’Égypte et sommes devenus un peuple à pareille époque. La fête de Chavou’ot est le temps où le processus de croissance des céréales parvient à maturité ; c’est donc à cette époque que nous avons reçu la Torah[g]. La fête de Soukot est le temps où l’on achève de rassembler dans les maisons les céréales et les fruits ; de même, du point de vue spirituel : c’est le temps où l’on rassemble les fruits spirituels – fruits auxquels Israël a mérité d’accéder durant les jours de servitude, en Égypte, et durant son errance au désert – au sein de la maison, c’est-à-dire sur la terre d’Israël, maison du peuple juif. Comme l’écrit Abravanel (dans son commentaire sur Dt 16, 13), la joie essentielle de la fête de Soukot porte sur l’héritage de la terre d’Israël : la fête des Azymes a ainsi pour objet l’élection d’Israël, qui se manifeste lors de la sortie d’Égypte, Chavou’ot se rapporte au don de la Torah, et Soukot à l’héritage du pays.

Deux cycles se terminent à Soukot. Un cycle long : c’est le cycle des trois fêtes de pèlerinage, qui coïncide avec le cycle des saisons agricoles. Ainsi, chaque hiver, le processus recommence, par l’ensemencement et les préparatifs de la saison nouvelle. Au printemps, la croissance végétale se manifeste ; c’est alors que nous est donnée la fête de Pessa’h, où s’est révélée l’élection d’Israël, par laquelle l’Éternel nous a choisis d’entre tous les peuples. Par la suite, durant la période de Chavou’ot, s’achève la moisson céréalière, d’où l’homme tire la partie essentielle de son alimentation ; nous pouvons alors intégrer la lumière de la Torah, qui est l’essentiel de notre vie. Le processus de la cueillette se poursuit durant tout l’été, jusqu’à son achèvement lors de la fête de Soukot ; ainsi, tous les fruits spirituels de l’année se rassemblent à Soukot, si bien que la joie y est supérieure à celle des autres fêtes.

Le cycle court est, quant à lui, lié au processus de téchouva (repentir, littéralement retour) et de kapara (expiation) que nous traversons durant les mois d’éloul et de tichri. Malgré toutes les bonnes actions qu’il a pu accomplir au cours de l’année, l’homme est, par nature, susceptible de fauter. Pour achever l’année de la meilleure façon, il faut donc se repentir, se nettoyer et se purifier de tout le mal qui s’est attaché à soi. Tel est notre travail spirituel durant le mois d’éloul, à Roch Hachana, pendant les dix jours de repentir (‘asséret yemé téchouva) et le jour de Kippour. Grâce à la téchouva, à l’expiation et à la purification, le bien que nous avons intégré tout au long de l’année est épuré, nettoyé du mal qui s’y était attaché. Par cela, il devient possible de se réjouir d’une joie redoublée lors de la fête de la récolte.

Le Rav Avraham Yits’haq Kook ajoute un autre élément d’explication : malgré l’immense importance de la téchouva, qui purifie le cœur et épure les actes de toute laideur, une part de souffrance l’accompagne, qui concourt à affaiblir la bonne volonté et la force vitale. Aussi l’achèvement du processus de téchouva réside-t-il dans la joie sainte qui s’attache à la fête de Soukot, et qui donne une force nouvelle à la bonne volonté et à la force vitale dans sa pureté (Orot Hatéchouva 9, 10).


[f]. Le mot ‘hag (plur. ‘haguim), fête, vient de la racine חגג, dont le sens premier est tourner, danser de joie.

[g]. La loi de la Torah est donnée à des sujets de droit parvenus à maturité, c’est-à-dire capables de reconnaître la responsabilité que leur confère le statut d’hommes libres.

03.Les quatre espèces (arba’a minim)

La mitsva de prendre en main les quatre espèces végétales mentionnées par la Torah est liée à la joie propre à la fête de Soukot. Comme nous l’avons vu, il est dit, dans le Lévitique (23, 40) : « Vous prendrez, le premier jour, un fruit de l’arbre de splendeur, des branches de palmier, des rameaux d’arbre feuillu et de saules de rivière ; et vous vous réjouirez devant l’Éternel votre Dieu pendant sept jours. » Nos sages enseignent que la joie qui accompagne la prise du [h] est liée à la thématique de la fête de la récolte (‘hag ha-assif), de ses deux points de vue : matériel et spirituel.

Du point de vue matériel, la période de Soukot est, nous l’avons mentionné, celle où l’on achève de rassembler le produit de l’année. Or les hommes éprouvent, à l’égard de leur récolte, une joie particulièrement vive ; pour que cette joie soit sanctifiée, et qu’elle soit une expression de reconnaissance à l’égard de Celui qui a créé le monde et le fait subsister, il nous est ordonné de prendre quatre espèces végétales en signe de reconnaissance à l’égard de l’Éternel (Na’hmanide sur Lv 23, 39, Séfer Ha’hinoukh 324). Nos sages ont, de plus, décrété d’imprimer à ces quatre espèces un mouvement de balancement, vers le haut, le bas et aux quatre points cardinaux, afin de proclamer notre foi en Celui qui possède les cieux, la terre et les quatre coins de l’univers. Ces gestes sont aussi une forme de prière pour l’année suivante, afin que nos cultures agricoles se développent bien, et que Dieu nous préserve des mauvais vents et des mauvaises rosées (Souka 37b ; cf. ci-après chap. 5 § 4).

Du point de vue spirituel, nous achevons à Soukot le processus de téchouva relatif aux fautes commises durant l’année écoulée. Saisir le loulav, c’est alors brandir le drapeau en signe de victoire, pour signifier la réussite de notre téchouva, et notre parfait rapprochement d’avec Dieu, béni soit-Il. Comme l’ont dit nos sages :

À quoi cela ressemble-t-il ? Parabole de deux hommes qui se présentent à un jugement. Quand ils en ressortent, nous ne savons pas qui a obtenu gain de cause. Mais quand l’un d’eux élève sa lance, nous apprenons qu’il a obtenu gain de cause. Ainsi d’Israël : chaque année, aux jours du jugement, les impies des nations du monde accusent Israël de ne point remplir son rôle, de ne pas être digne de porter dans le monde le nom de l’Éternel, béni soit-Il, et affirment qu’Israël ne vaut pas de subsister encore. Le jugement risque d’être rigoureux, et l’on ne sait de quelle partie les arguments ont été victorieux. Mais quand les Israélites sortent, branches de palmiers et cédrats en mains, nous savons qu’ils ont gagné leur procès, et qu’ils sont les enfants et le peuple de Dieu, béni soit-Il. Les nations du monde elles-mêmes se réjouissent avec eux ; aussi offrons-nous des sacrifices en leur nom, lors de la fête des cabanes. C’est à ce propos que la Torah nous ordonne : « Vous prendrez, le premier jour[i]… » (d’après Lévitique Rabba 30, 2, Zohar I 221a).

Les sages voient encore d’autres allusions dans la mitsva des quatre espèces : celles-ci représentent quatre catégories de Juifs, qui doivent se rassembler afin d’accomplir la mitsva. Grâce à leur union, le nom de l’Éternel est sanctifié dans le monde, comme nous l’expliquerons ci-après plus largement (chap. 4 § 2-3). Or l’unité qui les rattache procure une grande joie ; aussi, en saisissant les quatre espèces, pouvons-nous nous réjouir devant l’Éternel durant ces sept jours.


[h]. Loulav : au sens strict, branche de palmier. C’est le terme rabbinique par lequel on désigne, non seulement la branche de palmier elle-même, mais l’ensemble des quatre espèces réunies en bouquet, et dont la branche de palmier, qui est la plus grande des quatre, constitue la colonne centrale.

[i]. Le verset dit littéralement : « Vous prendrez pour vous, le premier jour… » Le midrach voit dans le loulav le signe particulier de la victoire d’Israël.

04.La souka, souvenir des cabanes du désert et des nuées de gloire

Le sens de la mitsva consistant à habiter dans une souka pendant sept jours nous est indiqué au livre du Lévitique (23, 43) : « Afin que vos générations sachent que c’est dans des cabanes (soukot) que Je fis résider les enfants d’Israël lorsque Je les fis sortir de la terre d’Égypte. Je suis l’Éternel votre Dieu. » Selon Rabbi Eliézer, le mot soukot, dans le verset, se rapporte aux nuées de gloire (‘anané kavod) qui recouvraient le peuple d’Israël lors de la traversée du désert ; selon Rabbi Aqiba, l’intention porte sur de véritables cabanes, que les Israélites construisirent au temps de la sortie d’Égypte (Souka 11b). C’est à ce propos qu’il est dit :

Ce fut quand Pharaon renvoya le peuple (…) Ils partirent de Soukot, et ils campèrent à Etam, à l’extrémité du désert. L’Éternel allait devant eux le jour dans une colonne de nuée, pour leur indiquer le chemin, et la nuit dans une colonne de feu pour les éclairer, afin qu’ils pussent marcher jour et nuit. La colonne de nuée de jour ne se retirait point, ni la colonne de feu de nuit, de devant le peuple (Ex 13, 17 et 20-22).

Les mots « ils partirent de Soukot » font allusion au fait que les enfants d’Israël construisirent des cabanes ; la suite des versets indique qu’ils eurent le mérite d’être protégés par des nuées de gloire.

Selon Rabbi Aqiba, le commandement de la souka nous est prescrit en souvenir des cabanes que firent les Israélites pour se protéger du soleil et de la pluie ; le propos est de se souvenir du temps de notre pauvreté, lorsque l’Éternel nous fit sortir d’Égypte – de la servitude vers la liberté –, et que nous errâmes dans le désert pendant quarante ans. En ce temps-là, des habitations provisoires nous servaient de refuge contre le soleil et la pluie, sans que nous eussions de maisons ni de propriété terrienne. Ce souvenir nous inspire de la reconnaissance envers l’Éternel, qui nous a conduits vers une bonne et vaste terre, pour y construire des maisons et y planter des arbres. Grâce au souvenir de notre pauvreté, qu’éveille la souka, la bénédiction qui repose sur notre bonne terre ne nous inspirera pas de sentiment d’orgueil, et ne nous fera pas oublier l’Éternel ; nous nous souviendrons au contraire que tout repose en ses mains, et que c’est Lui qui nous donna la force de conquérir le pays et de le peupler, d’en manger les fruits et de nous rassasier de ses biens (Rachbam sur Lv 23, 43). De plus, ce souvenir est porteur de louange à l’égard du peuple d’Israël, qui marcha à la suite de Dieu dans le désert, sur une terre non cultivée (Rabbénou Ba’hyé ad loc.).

Selon Rabbi Eliézer, le commandement de la souka nous est donné en souvenir du grand miracle par lequel l’Éternel étendait sur nous les nuées de sa gloire, afin de nous protéger et de nous guider dans le désert, comme il est dit : « La nuée de l’Éternel était au-dessus d’eux, le jour, quand ils quittaient le campement » (Nb 10, 34). Les nuées de gloire étaient le signe de l’amour divin à notre égard : non seulement Dieu pourvoyait à nos besoins dans le désert, cela pendant quarante ans, en nous donnant la manne, les cailles et un puits d’eau vive, mais il faisait encore résider sa Présence (Chékhina) sur nous, et déployait sur nous les nuées de sa gloire, afin de nous couvrir et de nous protéger (Na’hmanide sur Lv 23, 43). Nos sages ont dit : « Sept nuées de gloire accompagnaient Israël (…) Quatre, aux quatre points cardinaux, une au-dessus d’eux, une en-dessous d’eux, une encore devant eux, qui aplanissait la voie » (Mékhilta de Rabbi Chimon bar Yo’haï sur Ex 13, 21 ; Sifré sur Nb, Beha’alotekha 83). Ils enseignent encore que c’est en considération du mérite d’avoir suivi Dieu dans le désert, sur une terre non cultivée, que Dieu étendit sur eux les nuées de gloire (Zohar III 103b).

Dans la nuée, on trouve à la fois une notion de dévoilement et une notion de voilement. D’une part, la nuée exprime la révélation de la Présence divine ; mais d’autre part, la nuée cache cette grande illumination afin que nous puissions l’intégrer progressivement. Telle est la manière dont Dieu se révèle à nous : Il nous éclaire d’une grande lumière, mais dans la mesure où cette lumière excède notre entendement, Il étend un écran pour la voiler, de façon qu’elle nous parvienne conformément à notre capacité d’intégration. Cela peut se comparer au soleil : grâce à lui, l’énergie parvient au monde ; mais puisque nous ne pourrions tenir face à sa puissance, Dieu a fixé l’atmosphère afin de nous protéger de la force des rayons solaires. Nous trouvons à cela une allusion dans ce verset : « Car l’Éternel-Dieu est un soleil et un bouclier » (Ps 84, 12 ; cf. Tanya, Cha’ar hayi’houd vé-haémouna chap. 4).

Le toit de branchages (sekhakh) de la souka fait également allusion à cela. Il nous protège de la grande luminosité matérielle du soleil, mais afin que nous puissions profiter de la lumière, il n’est pas entièrement opaque. De même, du point de vue spirituel : le sekhakh nous protège de l’abondante illumination spirituelle émanant du or maqif, la lumière divine extérieure entourant les mondes, qui se révèle lors de la fête de Soukot ; ainsi, il nous donne la possibilité d’intégrer cette illumination d’une façon qui nous convienne (cf. ci-après § 7).

05.Sens de la mitsva de souka, en pratique

Nous avons vu au paragraphe précédent que, selon Rabbi Aqiba, la mitsva de la souka nous est prescrite en souvenir des cabanes que nos ancêtres construisirent dans le désert, tandis que, pour Rabbi Eliézer, elle nous est donnée en souvenir des nuées de gloire (‘anané kavod). En plus de cela, nous résidons dans la souka afin de nous souvenir de la sortie d’Égypte, comme il est dit : « Afin que vos générations sachent que c’est dans des soukot que Je fis résider les enfants d’Israël lorsque je les fis sortir de la terre d’Égypte. Je suis l’Éternel votre Dieu » (Lv 23, 43). Bien plus, tous les Chabbats et toutes les fêtes de pèlerinage commémorent la sortie d’Égypte, comme nous le mentionnons dans le texte du Qidouch et dans celui de la ‘Amida. La grande importance de la sortie d’Égypte tient dans le fait que l’élection d’Israël s’y révéla : c’est alors que l’Éternel nous choisit pour lui être un peuple particulier, et c’est pourquoi Il nous fit sortir d’Égypte, de la servitude à la liberté. À un niveau plus profond, Dieu libéra notre esprit de l’asservissement à l’égard de la matérialité ; la monarchie égyptienne était en effet l’empire du matérialisme, et quand nous sortîmes de l’Égypte vers la liberté, notre esprit s’affranchit de l’asservissement à la matière, afin que nous devenions des sujets libres, capables de recevoir la Torah (cf. Pniné Halakha, Les Lois de Pessa’h, chap. 1 § 3).

Or de prime abord, puisque la souka rappelle le souvenir de la sortie d’Égypte, il aurait fallu que cette mitsva s’appliquât au printemps, à l’époque même où nous sortîmes de la terre d’Égypte. Cependant, en ce cas, il n’aurait pas été manifeste que sa construction répond à un commandement. En effet, au printemps, nombreux sont ceux qui bâtissent des cabanes pour leur plaisir. Il nous est donc prescrit de résider dans la souka en automne : de cette façon, il est clair que toute la raison d’être du séjour que nous y faisons est d’accomplir une mitsva (Tour, Ora’h ‘Haïm 625).

La halakha a été tranchée selon l’avis de Rabbi Eliézer : ce que nous devons nous rappeler, en accomplissant la mitsva, c’est que la souka évoque le souvenir des nuées de gloire (Choul’han ‘Aroukh 625, 1). De plus, ajoutent les A’haronim, il faut également penser au fait que la souka rappelle le souvenir de la sortie d’Égypte (Maguen Avraham, Choul’han ‘Aroukh Harav, Peri Mégadim, Michna Beroura 1). Selon certains auteurs, telle est bien l’intention de Rabbi Aqiba : il faut se souvenir des cabanes que firent les enfants d’Israël quand ils sortirent d’Égypte (Rabbénou ‘Hananel, Touré Zahav). Dès lors, en nous souvenant des nuées de gloire et de la sortie d’Égypte, nous nous conformons en pratique aux deux opinions.

Certes, le sens de la mitsva est explicite dans la Torah, puisqu’il est dit : « Afin que vos générations sachent que c’est dans des soukot[j] que je fis résider les enfants d’Israël lorsque je les fis sortir de la terre d’Égypte. Je suis l’Éternel votre Dieu » (Lv 23, 43). Cependant, a posteriori, celui qui a oublié de penser au fait que la souka rappelle les nuées de gloire, mais qui s’est souvenu de la sortie d’Égypte, est quitte de son obligation, à condition d’avoir eu l’intention d’accomplir le commandement du Créateur (Peri Mégadim, Michna Beroura 625, 1 ; ci-après, chap. 3 § 3, il sera expliqué que telle est la règle, y compris le premier soir de Soukot).


[j]. Suivant la position de la halakha, telle que nous avons vu qu’elle est tranchée, le mot soukot (cabanes) est compris dans ce verset comme désignant les nuées de gloire.

06.Une habitation temporaire

Le Saint béni soit-Il a souhaité nous faire du bien. Aussi nous a-t-il choisi d’entre tous les peuples et fait sortir du pays d’Égypte, de la servitude vers la liberté, et nous a-t-il donné la terre sainte, une bonne et vaste terre, terre où ruisselle le lait et le miel, pour que nous y accomplissions la Torah et les mitsvot, y plantions des arbres, y bâtissions des maisons, en mangions les fruits, nous nous rassasiions de ses bienfaits, et que toute notre vie s’y accomplisse dans la sainteté, jusqu’à ce que la notion du divin se révèle en perfection, dans le pays, dans l’âme et au sein même du corps, dans tous les domaines de l’existence. Cependant, un grand danger nous guette : pour avoir habité dans des maisons permanentes, pour avoir rassemblé chaque année de grandes récoltes de nos champs, notre cœur risque de s’enorgueillir. Nous risquons d’oublier l’Éternel notre Dieu, et d’oublier le but dans lequel l’Éternel nous fit sortir d’Égypte ; nos fautes risquent ainsi d’augmenter, jusqu’à ce que nous disparaissions de ce bon pays et soyons envoyés en exil, errant parmi les peuples, pour y cultiver leurs fruits, y faire fructifier leurs trésors. C’est pourquoi la Torah nous met en garde (Dt 8, 11-19) :

Prends garde à toi, de peur que tu n’oublies l’Éternel ton Dieu, au point de ne pas garder ses commandements, ses jugements et ses lois, que Je t’ordonne en ce jour. De peur que tu ne manges et ne te rassasies, que tu ne construises de bonnes maisons et y résides, que ton gros et menu bétail ne se multiplie, que l’argent et l’or ne te soient en nombre, que tout ce qui t’appartient ne croisse, et que ton cœur ne s’élève, que tu n’oublies l’Éternel ton Dieu, qui te fait sortir de la terre d’Égypte, d’une maison d’esclaves, qui te conduit dans le grand et redoutable désert, où sont le serpent, le serpent venimeux et le scorpion, et la soif, lieu où il n’y a point d’eau ; qui, pour toi, fait jaillir de l’eau du dur rocher, qui te nourrit de manne dans le désert – manne que tes pères n’avaient point connue –, afin de te mortifier, et afin de t’éprouver, pour te faire du bien en ton avenir ; et que tu ne dises en ton cœur : « C’est ma force et la puissance de mon bras qui ont produit toute cette richesse. » Tu te souviendras donc de l’Éternel ton Dieu, car c’est Lui qui te donne la force de réussir en tout, afin d’accomplir, comme Il le fait en ce jour, son alliance, qu’Il jura à tes pères. S’il advient jamais que tu oublies l’Éternel ton Dieu, que tu marches à la suite d’autres dieux, que tu les serves et te prosternes devant eux, J’atteste aujourd’hui contre vous que vous seriez assurément perdus.

C’est la raison pour laquelle il nous a été ordonné, précisément durant la fête de la récolte, au moment où nous nous réjouissons de tout le produit que nos champs ont donné, de résider dans une souka, habitation temporaire, et de nous souvenir par-là du caractère passager de l’existence humaine dans le monde, ainsi que des jours où nous étions assujettis à Pharaon en Égypte, et des quarante années de notre errance dans le désert, années pendant lesquelles nous habitions de façon temporaire dans des cabanes (d’après Rachbam sur Lv 23, 43).

Poursuivons l’explication : habiter dans le confort d’une maison risque de donner à l’homme une représentation fausse de la réalité, où les murs et le toit de sa maison suffiraient à le protéger de tout malheur et de toute détresse. En vérité, la vie de l’homme en ce monde est provisoire, et même les maisons les meilleures et les plus solides ne peuvent le protéger des maladies, des catastrophes naturelles et des guerres. Même si l’on échappe à ces dernières et que l’on parvienne à la vieillesse, la vie arrivera un jour à son terme, et il apparaîtra alors que tout notre séjour en ce monde était un séjour temporaire. Durant ces années même où l’homme a pu résider paisiblement dans une maison protégée, la tranquillité et la protection lui venaient de Dieu. Celui qui ne se souvient pas de cela vit dans le mensonge. Il pense que, plus il investira dans les vanités de ce monde, plus stable et meilleure sera son existence ; en vérité, plus il rattachera son action dans le monde à la source de la vie, aux valeurs éternelles, plus il jouira d’une vie de vérité, une vie bonne et pleine de sens, une vie marquée par une joie véritable (cf. encore § 9 pour ce qui concerne l’enseignement de l’Ecclésiaste).

Tous ces principes, nous pouvons les intégrer pendant la fête de Soukot en sortant de notre maison protégée, et en nous établissant dans la souka. C’est pourquoi la souka est appelée ombre de la foi (en araméen, tsila dimehemnouta). La période choisie pour cela est précise : c’est un peu avant l’hiver, quand les gens s’apprêtent à se réunir dans leur maison pour s’y défendre du froid et du vent, de la pluie et des averses, qu’il nous est prescrit d’habiter dans la souka, et de nous rappeler qu’en vérité c’est l’Éternel qui nous garde et nous protège. « Si l’Éternel ne construit pas une maison, c’est en vain qu’y peinent ses bâtisseurs ; si l’Éternel ne garde pas une ville, c’est en vain que la sentinelle veille (Ps 127, 1).

Grâce à notre séjour dans une éphémère cabane, par laquelle nous nous relions à la foi, nous méritons que l’Éternel fasse résider sur nous sa Présence, qu’Il étende sur nous la tente de sa paix, qu’Il relève en notre faveur la tente chancelante de David ainsi que le Temple, et que nous habitions en sécurité dans des maisons fixes, sur la bonne terre qu’Il promit à nos pères et à nous-mêmes ; ainsi qu’il est dit (Amos 9, 11-15) :

En ce jour, Je relèverai la tente chancelante de David, Je réparerai ses brèches, Je relèverai ses décombres, et Je la bâtirai comme aux jours d’autrefois. (…) Les montagnes ruisselleront de suc, et toutes les collines fondront. Et Je ramènerai les captifs de mon peuple Israël, ils rebâtiront les villes détruites et y habiteront ; ils planteront des vignes et en boiront le vin, ils feront des vergers et en mangeront les fruits. Et Je les planterai sur leur terre, et ils ne seront plus déracinés de leur terre, que Je leur ai donnée, dit l’Éternel ton Dieu.

07.La souka, lumière enveloppante (or maqif)

La mitsva de résider dans la souka a ceci de particulier qu’elle sanctifie la vie de l’homme en ce qu’elle a de routinier. Manger, boire, converser et dormir : quand ces activités s’accomplissent sous la souka, elles se sanctifient et s’élèvent à la dimension de mitsva. Les maîtres de la Kabbale font allusion à cela, en disant que la lumière de la souka est une lumière enveloppante (ou lumière englobante, or maqif)[k], à la différence de la majorité des mitsvot, parmi lesquelles celle des quatre espèces, qui relèvent d’une lumière intérieure (or penimi). Cela mérite explication :

L’illumination que Dieu nous prodigue excède ce que nous sommes capables d’intégrer et de contenir ; aussi se divise-t-elle en deux parties : une lumière intérieure et une lumière enveloppante. La lumière intérieure est la partie, réduite et inférieure, que nous sommes aptes à intégrer par la pensée et par le sentiment, tandis que la partie qui excède notre capacité d’intégration devient une lumière enveloppante : bien que nous ne soyons pas capables de la contenir, elle nous entoure et nous prodigue une inspiration influant décisivement sur notre vie.

Par la lumière intérieure, nous sommes capables d’élever et de sanctifier les aspects spirituels conscients de notre existence. Cette lumière se dévoile dans l’étude de la Torah, la prière, et principalement dans celles des mitsvot qui obligent l’homme à l’égard de Dieu (mitsvot bein adam la-Maqom)[l], lesquelles relient l’homme à ce qui est au-delà de la vie ordinaire : de ces mitsvot, émerge davantage la sainteté qui se révèle à nous. Dans le cadre de la lumière intérieure, plus une chose est spirituelle, plus elle se situe à un degré élevé ; inversement, plus une chose est liée au domaine de l’action, plus bas se situe son niveau. C’est à cela que font allusion les quatre espèces (arba’at haminim) : c’est uniquement pour accomplir une mitsva que nous les prenons en main (cf. ci-après chap. 4 § 2-3).

Par la lumière enveloppante, qui est beaucoup plus grande, il nous est également donné de réparer et d’élever les aspects matériels et routiniers de la vie. Cette grande lumière se révèle quand la foi (émouna) et la Torah éclairent la vie terrestre : le fait de manger, de boire, le sommeil, la vie familiale, les relations entre l’homme et son prochain, le travail et l’artisanat, le commerce et la recherche scientifique. Telle est la vocation essentielle du peuple d’Israël : révéler au monde que l’Éternel est Un, dans les cieux et sur la terre. Révéler que les domaines terrestres eux-mêmes sont liés à la sainteté. C’est à cela que fait allusion la mitsva de la souka, dans laquelle se dévoile le secret de la foi (Zohar II 186b) : tout ce que nous y faisons se sanctifie et se transforme en mitsva.

En cela, la mitsva de la souka ressemble à celle d’habiter en terre d’Israël : ces deux mitsvot, quand nous les accomplissons, nous entourent, et nous pénétrons dans l’atmosphère de sainteté qui leur est propre. Par cela, nos actes terrestres eux-mêmes se sanctifient. Le Gaon de Vilna trouvait une allusion à cette idée dans le verset des psaumes (76, 3) : « Son tabernacle (littéralement sa souka) est établi à Chalem (Jérusalem) et sa demeure à Sion » (Qol Hator 1, 7). Dans le même ordre d’idées, nous avons déjà vu que l’essentiel de la joie de Soukot porte sur l’héritage de la terre d’Israël (Abravanel sur Dt 16, 13, cf. ci-dessus § 2). Dans ces deux mitsvot, l’élection d’Israël se dévoile de manière particulière, puisque telle est la spécificité essentielle du peuple juif que de révéler la sainteté au sein même de la terre (cf. ‘Avoda Zara 3b).

Ces deux mitsvot rayonnent l’une sur l’autre. La souka nous est prescrite en souvenir des nuées de gloire, par lesquelles la Présence divine se révélait dans le désert, comme il est dit : « Ils se tournèrent vers le désert, et voici : la gloire de l’Éternel leur apparut dans la nuée » (Ex 16, 10). De même, lors de la révélation du Sinaï : « Et une épaisse nuée était sur la montagne[m] » (Ex 19, 16). Dans le même sens, au moment où Dieu se révèle à Moïse : « L’Éternel descendit dans la nuée, et se tint là près de lui » (Ex 34, 5). La raison pour laquelle la Présence divine se révéla à nous dans le désert, dans une épaisse nuée, est que nous n’avions pas encore eu le mérite d’entrer en terre sainte, dans laquelle tout est relié à la sainteté. Après que nous eûmes mérité d’entrer dans le pays, notre rôle fut de révéler la Présence divine en son sein, de façon que la Présence reposât sur l’ensemble de nos œuvres. Cependant, s’occuper de vie pratique en terre d’Israël risque de nous faire oublier l’intention sainte qui y est attachée. Dieu nous a donc donné la fête de Soukot, afin que nous nous rappelions toujours les nuées de gloire, l’établissement de la Présence divine, et le saint rôle qui est imparti au peuple d’Israël : révéler la sainteté dans le monde de l’action.

Par le dévoilement de la sainteté propre à la fête de Soukot et à la terre d’Israël, le monde sera entièrement réparé, comme il est dit : « On ne fera plus de mal, plus de violence sur toute ma sainte montagne, car la terre sera emplie de la connaissance de l’Éternel, comme l’eau recouvre le lit des mers » (Is 11, 9). Par cela, la paix sera établie dans le monde, comme il est dit : « Le loup habitera avec l’agneau, la panthère reposera avec le chevreau… » (ibid. 6). C’est bien ce qu’annonce le chapitre de Zacharie traitant de la Délivrance et de la fête de Soukot : « L’Éternel sera roi sur toute la terre ; en ce jour, l’Éternel sera Un et Son nom sera Un » (Zach 14, 9) : les gens des nations étrangères eux-mêmes afflueront vers Jérusalem pour y fêter avec nous la fête de Soukot. Même des objets apparemment éloignés de la sainteté – tels que les clochettes des chevaux, qui font partie des ornements équestres –, porteront l’inscription : « Consacré à l’Éternel » (Zach 14, 20).


[k]. Littéralement : lumière qui entoure. Cf. fin du paragraphe 4.

[l]. Par opposition aux obligations de l’homme envers son prochain (mitsvot bein adam la’havéro).

[m]. L’expression ‘anan kaved, « nuée épaisse », fait aussi allusion à la gloire (kavod) de Dieu, qui s’y révèle.

08.La joie de Soukot – l’unité et la paix

Bien qu’à chaque fête il y ait une mitsva de se réjouir, comme il est dit : « Tu te réjouiras en ta fête » (Dt 16, 14), la joie de Soukot est particulièrement intense ; aussi, est-ce précisément à partir de l’obligation de réjouissance propre à Soukot que la Torah nous a enseigné la mitsva de se réjouir lors de chaque fête. Il est dit en effet (Dt 16, 13-15) :

Tu feras la fête des cabanes durant sept jours, quand tu rassembleras le produit de ton aire et de ton pressoir. Et tu te réjouiras en ta fête, toi, ton fils, ta fille, ton serviteur, ta servante, et le Lévite, le prosélyte, l’orphelin et la veuve qui sont en tes portes. Tu fêteras ces sept jours en l’honneur de l’Éternel ton Dieu, au lieu que l’Éternel aura choisi, car Il te bénira, l’Éternel ton Dieu, dans toute ta récolte et dans toute l’œuvre de tes mains, et tu seras tout à la joie [litt. : tu seras seulement joyeux].

De même, il est dit (Lv 23, 39-40) :

Mais le quinzième jour du septième mois, quand vous aurez rassemblé la récolte de la terre, vous célébrerez la fête de l’Éternel pendant sept jours. (…) Et vous vous réjouirez devant l’Éternel votre Dieu pendant sept jours.

Nos sages enseignent que, s’agissant de la fête de Pessa’h, la Torah ne mentionne pas particulièrement la notion de joie (sim’ha), parce qu’à cette époque on est jugé sur la production céréalière, et que l’on ne sait pas encore si celle-ci réussira. De plus, les Égyptiens trouvèrent la mort à Pessa’h ; la joie ne peut donc y être entière. S’agissant de Chavou’ot, la notion de joie apparaît une fois, comme il est dit : « Tu feras une fête des semaines (…) et tu te réjouiras (vé-sama’hta) devant l’Éternel ton Dieu » (Dt 16, 10-11). En effet, on sait déjà que les céréales ont poussé, et l’on s’en réjouit ; mais on s’inquiète encore du sort des autres fruits. A Roch Hachana, le mot joie n’apparaît pas, car c’est le jour du jugement de toutes les créatures. Mais à Soukot, après la récolte des céréales et des fruits, et après la téchouva et l’expiation, la joie est entière, aussi la notion de joie apparaît-elle trois fois dans les versets consacrés à cette fête (Pessiqta de-Rav Kahana, Soukot ; Beit Yossef, Ora’h ‘Haïm 490, 4 ; Michna Beroura 7).

C’est que la joie particulière de Soukot célèbre la fin de l’année, où l’on marque la récolte de la production annuelle, récolte matérielle et spirituelle, récolte des céréales et des fruits, et récolte de toutes les études et de toutes les bonnes actions que nous avons faites pendant l’année. Or cette récolte est propre et épurée, par l’effet des jours de repentir et d’expiation que nous avons traversés (comme nous l’avons vu, § 2). La mitsva de saisir le loulav, elle aussi, exprime la joie de la récolte matérielle et spirituelle (§ 3). Grâce à cela, nous nous élevons vers la Source de la vie, avec attachement (deveqout), et nous nous rassemblons pour nous réjouir devant l’Éternel notre Dieu. La souka, qui entoure l’homme de tout côté, exprime le rassemblement des bonnes choses que nous avons faites au long de l’année, s’unissant toutes ensemble en une seule et même apparition, qui nous entoure et nous couvre d’une lumière divine.

Par l’effet du rassemblement du bien dans tous ses degrés et tous ses aspects – même ceux qui semblent se contredire les uns les autres –, Dieu étend sur nous sa tente de paix, et le peuple d’Israël se rassemble et s’unifie. Car tant que chaque qualité demeure isolée, il n’y a pas d’unité parmi le peuple d’Israël ; mais quand vient la fête de la récolte, dans laquelle toutes les qualités se regroupent, l’unité se révèle. C’est à ce propos que nos sages ont dit : « Tout Israël pourrait résider dans une seule et même souka » (Souka 27b). De même, les quatre espèces font allusion à toutes les catégories de juifs, qui s’agrègent ensemble pendant la fête de Soukot (cf. ci-après, chap. 4 § 2-3).

Grâce à la perfection relative à laquelle il nous est donné d’accéder à Soukot, en ce monde-ci, nous mériterons d’accéder à la perfection des temps futurs. Comme l’ont dit nos sages : « Quiconque accomplit la mitsva de la souka en ce monde, le Saint béni soit-Il dit à son sujet : “Il a accompli la mitsva de souka en ce monde-ci, Je le recouvre pour le protéger du soleil du jour futur” » (Pessiqta de-Rav Kahana, Soukot). C’est à ce propos que nos sages ont enseigné (‘Avoda Zara 3b-4a) :

Il n’y aura pas d’enfer dans les temps futurs ; mais le Saint béni soit-Il sortira le soleil de son écrin et lui fera exercer sa chaleur ; par celle-ci, les méchants seront jugés, et par celle-ci, les justes guériront. Les méchants seront jugés, comme il est dit : « Car voici, le jour vient, brûlant comme une fournaise ; tous les méchants et tous ceux qui font le mal seront comme la paille, et le jour qui vient les enflammera, dit l’Éternel, Dieu des légions » (Malachie 3, 19). Les justes guériront, comme il est dit : « Pour vous, qui craignez mon nom, brillera un soleil de salut, dont les rayons porteront la guérison » (ibid. 20). Bien plus, les justes s’en délecteront, comme il est dit (ibid.) : « Vous sortirez, et danserez comme des veaux d’étable. »

Nos maîtres ont enseigné qu’à partir des mitsvot que nous accomplissons dans ce monde-ci, des habits nous sont faits, par le biais desquels nous pourrons, dans les temps futurs, recevoir la lumière extraordinaire (Zohar II 210a). Or la souka en est l’expression dans ce monde-ci : elle est le commandement et le bouclier par lesquels nous pouvons recevoir, d’une manière qui nous corresponde, cette lumière extraordinaire (cf. fin du § 4).

09.Le rouleau de l’Ecclésiaste (Qohélet)

Nombreux sont ceux qui ont coutume de lire le rouleau de l’Ecclésiaste (Qohélet) à Soukot (Soferim 14, 1) car, par sa lecture, nous apprenons à nous réjouir en vérité. L’homme a grandement besoin de cette étude, car il a naturellement tendance à se réjouir des vanités du monde, et à penser que, plus il sera riche, possèdera de vastes maisons, de vêtements magnifiques, de mets raffinés, de boissons savoureuses, de jardins d’agrément, de serviteurs et de servantes, plus il sera heureux. En réalité, toutes ces choses ne sont que des instruments, qui peuvent aider à conforter la chose vraie qu’est la position spirituelle de l’homme, sa foi, ses bons traits de caractère. Mais quand la fortune matérielle devient pour lui le principal, elle lui fait oublier son intériorité et ses valeurs, le coupe de la Source de sa vie, et le laisse vide et sans joie.

Or tel est le propos de Soukot : nous réjouir, d’une joie véritable, de toute la récolte que nous avons réunie dans le courant de l’année. C’est pourquoi, en nous renforçant, nous prenons conscience de ceci : tout ce que nous avons rassemblé au cours de l’année nous a été donné par la grâce de Dieu, dans le but essentiel de nous aider à nous conforter dans la foi (émouna) et la morale (moussar), de nous donner la volonté et la possibilité de faire du bien aux créatures, et d’amender le monde. En sortant de nos maisons fixes et en nous installant dans la souka, habitation provisoire, lieu de mitsvot et de sainteté, nous méditons de nouveau aux fondements de la foi d’Israël, et apprenons que la maison et la fortune sont des instruments destinés à aider à la réalisation des idéaux divins.

Cette idée est illustrée par le rouleau de l’Ecclésiaste, qui explique que la sagesse, la richesse, la beauté, et toutes les autres qualités de ce monde, sont vanité des vanités, et que seule une chose importe : « En fin de compte, quand tout est entendu : crains l’Éternel et garde ses commandements, car c’est là tout l’homme » (Ec 12, 11). Nous avons entendu à ce propos une belle explication (de notre oncle le Rav Avraham Remmer – que la mémoire du juste soit bénie) : « vanité » (hével)  signifie néant, ce qui correspond au chiffre zéro ; quant à la crainte de l’Éternel, sa valeur est première, puisque en effet la crainte est la première des qualités, comme le chiffre 1 est le premier des chiffres (Chabbat 31b). Quand la crainte de l’Éternel est en tête et que la sagesse se joint à elle, grâce à l’ajout du zéro, le 1 se transforme en 10 ; si la richesse s’y ajoute, cela devient 100 ; avec la beauté, cela devient 1000, et ainsi de toutes les qualités présentes en ce monde. Mais quand la crainte de Dieu n’est pas en tête, toutes les qualités restent vanité des vanités, nullité absolue.

L’Ecclésiaste nous apprend également qu’une joie, quand elle n’est pas liée à une mitsva ni à une valeur morale, est une joie qui n’a pas lieu d’être. Sur elle, le verset dit : « Quant à la joie, jusqu’à quand dure-t-elle ? » (Ec 2, 2)[n]. En revanche, d’une joie liée à une mitsva, il est dit : « Pour moi, j’ai loué la joie, car il n’est rien de mieux sous le soleil pour l’homme que de manger, de boire et de se réjouir » (ad loc. 8, 15). Nos sages disent à ce sujet : « La Présence divine ne repose pas au sein de la tristesse, ni de la paresse, ni de la plaisanterie, ni de la frivolité, ni du bavardage, ni des vaines paroles, mais au sein de la joie associée à une mitsva » (Chabbat 30b).

Certains Ashkénazes ont coutume de lire l’Ecclésiaste dans un véritable rouleau de parchemin, et de réciter préalablement la bénédiction ‘Al miqra méguila (« Sois loué, Éternel, notre Dieu, Roi de l’univers, qui nous as ordonné la lecture du rouleau ») et la bénédiction Chéhé’héyanou (« Sois loué… qui nous as fait vivre, nous as maintenus, et nous as fait arriver à cette époque »). Telle est la coutume des disciples du Gaon de Vilna. Mais la majorité des Ashkénazes n’ont pas coutume de réciter les bénédictions de cette lecture, et n’exigent pas non plus que la lecture soit faite dans un rouleau de parchemin (Rama 490, 9, Michna Beroura 19 ; Pniné Halakha, Mo’adim 2, 10).

La coutume ashkénaze est de lire le rouleau le Chabbat de Soukot (Chabbat ‘Hol hamo’ed), à l’office du matin ; le rouleau se lit avant la lecture de la Torah. La majorité des Séfarades n’ont pas l’usage de lire l’Ecclésiaste à Soukot. Selon l’usage yéménite, on en lit une partie le Chabbat, peu avant l’office de Min’ha, et une autre partie lors du dernier jour de fête (cf. Mo’adim – Fêtes et solennités juives II 2, 10).


[n]. Pour traduire מה זה עושה, nous suivons le midrach Qohélet Rabba et Rabbi Saadia Gaon cités par Da’at Miqra, pour lesquels מה (quoi) se lit comme עד מה (jusqu’à quand), et עושה (fait) comme שוהה (dure, se maintient). Selon Rachi : « Quel bien peut-elle faire ? »

10.Sim’hat beit hachoéva

A l’époque du Temple, on organisait pendant les jours intermédiaires de Soukot (‘Hol hamo’ed) de grandes festivités, avec danses et musique instrumentale, dans la cour du sanctuaire. Nos sages ont dit : « Qui n’a pas vu la “joie du puisage de l’eau” (Sim’hat beit hachoéva) n’a jamais vu de joie de sa vie » (Souka 51a). Après le sacrifice de l’après-midi, on commençait à se réjouir, et l’on continuait toute la nuit. À l’approche de l’offrande du matin, la personne préposée faisait une proclamation, et deux prêtres (cohanim) qui se tenaient à la porte supérieure du Temple (Cha’ar Nikanor) sonnaient des trompettes : teqi’a (longue sonnerie continue), terou’a (trémolo) puis encore teqi’a. Tout le peuple commençait alors à descendre du Temple, en procession. Quand les prêtres arrivaient à la dixième marche, on recommençait à sonner des trompettes, sur le même modèle que précédemment. On arrivait au parvis des femmes (‘ezrat nachim), on reprenait les sonneries de trompettes, puis on continuait de sonner jusqu’à ce que l’on fût parvenu à la porte du Parvis du sanctuaire (‘azara), ouverte en direction de l’est. De là, la procession continuait de descendre vers la source de Siloé, afin d’y puiser de l’eau pour en faire la libation, avec le sacrifice perpétuel du matin (Souka 51b). Quand on remontait, on entrait par la porte de l’Eau. Les prêtres faisaient de nouveau sonner leurs trompettes. Toutes ces sonneries étaient faites pour susciter la joie, comme il est dit : « Vous puiserez l’eau, dans l’exultation, des sources du salut » (Is 12, 3 ; Souka 48a-b). C’est d’après le puisage de l’eau que cette cérémonie joyeuse fut appelée Sim’hat beit hachoéva, littéralement « joie de la maison du puisage ».

Nos sages enseignent encore que, grâce à la joie de la mitsva, les grands maîtres d’Israël recevaient l’esprit de sainteté (roua’h haqodech, inspiration prophétique) ; et c’est également d’après cela que cette célébration reçut le nom de « joie du puisage », comme le dit le Talmud de Jérusalem (Souka 5, 1) : « car de là, on puisait l’esprit de sainteté. »

Cette joie résulte de deux éléments : d’une part, la joie même qui caractérise la fête de Soukot ; d’autre part, la mitsva particulière de la libation de l’eau, qui n’avait lieu qu’à Soukot. Toute l’année, avec chaque sacrifice, collectif comme particulier, on procédait à des libations de vin sur l’autel. Ce n’est qu’à Soukot que, lors du sacrifice perpétuel du matin, une mitsva particulière s’ajoutait, celle de verser, en sus du vin, de l’eau. A cette fin, on remplissait deux récipients, l’un de vin, l’autre d’eau que l’on avait puisée de la source de Siloé. On versait le contenu des deux récipients, ensemble, dans les chitin, orifices créés lors des six jours de la Création, et qui se prolongent, depuis la terre, jusqu’à l’abîme (tehom). Lorsqu’on construisit le sanctuaire, on éleva l’autel au-dessus des chitin, et on laissa un espace étroit entre l’autel et sa rampe, afin que l’on pût répandre l’eau dans ces chitin (Souka 49a). La création des chitin était principalement destinée à cette importante mitsva, afin que l’eau parvînt jusqu’aux assises de la terre. En revanche, pour les libations de vin qui accompagnaient les autres sacrifices, on aurait pu se contenter de le verser au-dessus de l’autel (Maharcha, Souka 50b).

Les libations d’eau sont l’expression du caractère unique de la fête de Soukot, dans laquelle la sainteté se révèle au sein de l’existence, dans toute sa réalité naturelle, de même que la mitsva d’habiter la souka élève au rang de mitsvot les actes naturels que sont le sommeil et l’alimentation. En effet, toute l’année, on ne répandait sur les sacrifices que du vin, car, en général, seul un degré particulier d’élévation, représenté par le vin, révèle la sainteté. En revanche, à Soukot, après que nous avons eu le mérite de célébrer toutes les fêtes, les jours de téchouva, et de rassembler toute la récolte de l’année, la sainteté se dévoile également dans la vie ordinaire, laquelle est rendue possible par l’eau. Alors, la joie est grande et complète, car elle inclut tous les domaines de l’existence.

Nos maîtres enseignent encore que, lors de la fête de Soukot, nous sommes jugés sur l’eau[o]. Or grâce à la mitsva des libations d’eau, nous obtenons que les pluies de l’année nouvelle soient abondantes en notre faveur (Roch Hachana 16a). Il faut encore savoir que l’eau fait allusion à la grande miséricorde qui permet à toute chose de subsister, sans exception : les herbes et les arbres, les fruits et les légumes, les poissons et les oiseaux, les animaux domestiques et sauvages, Israël et les nations. Généralement, nous ne sommes pas aptes à nous élever à une telle dimension de miséricorde ; mais à Soukot, quand nous avons accompli tout le cycle des fêtes et avons accédé au repentir, nous méritons d’épancher l’eau sur l’autel, de nous relier ainsi aux assises sur lesquelles repose le monde, et que s’ouvrent ainsi les portes de la bénédiction pour tout être vivant. C’est pourquoi la joie qui accompagne le puisage de l’eau est si grande.


[o]. C’est-à-dire que la mesure des pluies de l’année est fixée à Soukot, en fonction des mérites d’Israël.
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