Pniné Halakha

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Joie et bénédiction du foyer

01. Importance de la mitsva

L’homme accompli est un homme qui vit dans l’amour et la joie avec son conjoint, car l’homme n’est pas complet sans sa femme, et la femme n’est pas complète sans son mari. Or le lien qui les unit se manifeste fondamentalement dans le devoir conjugal : la mitsvat ‘ona[a]. Par elle, les époux s’unissent entièrement, du point de vue tant spirituel que matériel, grâce à quoi leur vie matrimoniale est complète. Cette mitsva (commandement) doit s’accomplir avec passion, et avec une joie entière, l’homme voulant donner autant de plaisir et de joie que possible à sa femme, celle-ci voulant donner autant de plaisir et de joie que possible à son mari (cf. ci-après, chap. 2 § 1-5). Aussi, cette mitsva est-elle également appelée sim’hat ‘ona (« joie de la période »), car il n’est pas de joie plus grande qu’elle en ce monde, et elle constitue un avant-goût de la joie du monde futur (cf. § 7-8).

Dans le cadre de la vie conjugale[b], l’individu peut accomplir de façon parfaite la mitsva « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Véahavta léré’akha kamokha, Lv 19, 18), mitsva qui constitue, suivant l’expression de Rabbi Aqiba, un « grand principe de la Torah » (klal gadol baTorah), ainsi que le rapporte le Sifra sur ce verset. En effet, ce n’est qu’entre les membres du couple que l’amour se réalise parfaitement, dans tous les domaines de l’existence, spirituels et matériels. Par conséquent, par le fait que les époux vivent ensemble dans l’amour, chacun aimant son conjoint non moins qu’il ne s’aime lui-même, et voulant réjouir l’autre non moins qu’il ne veut être heureux lui-même, ils accomplissent, de manière condensée, toute la Torah (Rabbi Isaac Louria, Séfer Haliqoutim, ‘Eqev).

Cette mitsva est grande car, par elle, la Présence divine repose entre les époux, selon l’explication midrachique de Rabbi Aqiba : « “ Homme et femme ” : s’ils sont méritants, la Présence divine est entre eux ; s’ils ne le sont point, un feu les dévore » (Sota 17a). En effet, dans le mot ich (איש, « homme »), se trouve la lettre yod (י), et dans le mot icha (אשה, « femme ») apparaît la lettre (ה) ; la réunion des deux lettres donne le nom divin י-ה[c].

Bien plus, grâce à cette sainte mitsva, on a le mérite d’en accomplir une autre : celle de croître et de multiplier (peria ourvia). Par cela, on mérite de s’associer au Saint béni soit-Il dans l’enfantement d’une nouvelle âme ; ainsi que le disent nos sages : « L’être humain résulte de trois associés : le Saint béni soit-Il, le père et la mère » (Nida 31a). Grâce à cela, les parents révèlent le saint Nom de quatre lettres (le Tétragramme). Nous l’avons vu, la lettre yod se révèle par le biais de l’homme, et la lettre par le biais de la femme. Or par le fils et la fille, se dévoilent également les deux autres lettres du Tétragramme : le vav (ו) dans le cas d’un fils, le second dans le cas d’une fille (Zohar, Ra’ya Méhemna III 34a). Par conséquent, en cas de crise et de soupçon entre l’homme et sa femme, le Saint béni soit-Il a ordonné d’effacer Son propre Nom[d], écrit dans la sainteté, afin de rétablir la paix entre époux (Nédarim 66b). Par l’effacement du Nom saint écrit sur parchemin, c’est dans la vie même des membres du couple que se rétablira ce Nom.

La valeur du mariage est telle que nos maîtres déclarent : « Un homme qui n’est pas marié n’est pas un homme » (Yevamot 63a). Ils disent encore : « Quiconque n’a pas de femme demeure sans joie, sans bénédiction, sans bienfait, sans Torah, sans muraille protectrice, sans paix » (ibid. 62b). Bien sûr, une femme sans mari est, elle aussi, privée de tous ces avantages. Et puisque le devoir conjugal est l’expression fondamentale du mariage, toutes les grandes choses citées dans ce passage du traité Yevamot sont directement liées à cette mitsva (cf. ci-après, chap. 4 § 8).

Puisque le principe de l’union entre homme et femme est si important, le penchant (yétser) qui y pousse est particulièrement grand ; à cet égard, le Saint béni soit-Il a donné le choix à l’homme : quand il oriente ce penchant dans le sens du bien, en pratiquant le devoir conjugal conformément à la halakha, il n’y a pas de plus grand bien ; quand il l’oriente dans le sens du mal, il n’y a pas de plus grand mal (cf. chap. 3 § 1-2).


[a]. Littéralement : le commandement (mitsva) de la période (‘ona). Selon le contexte, nous traduirons mitsvat ‘ona par « devoir conjugal » ou par « rapports conjugaux », selon que le texte évoque davantage la règle ou l’acte.

[b]. Nissouïn : mariage. Comme en français, ce mot peut désigner les noces elles-mêmes ou la vie conjugale qui les suit, prise dans son ensemble.

[c]. Par contre, le retrait de ces deux lettres ne laisse qu’une double mention du mot ech (אש, feu).

[d]. Cf. Nb 5, 11-31.

02. Principes de la mitsva

La mitsvat ‘ona consiste à ce que l’homme s’isole avec sa femme avec amour et dans une joie ardente, et à lui donner autant de plaisir qu’il le peut, jusqu’à ce qu’elle atteigne le sommet du contentement ; l’homme s’unira à elle en une pleine union, jusqu’à ce que sa semence s’écoule en elle, à l’endroit qui convient pour qu’elle puisse tomber enceinte (chap. 2 § 1). La Torah dit à ce propos : « Sa nourriture, son habillement et son droit conjugal (‘onatah), il n’en retranchera rien » (Ex 21, 10). Puisque l’homme est limité dans ses possibilités physiques, la fréquence de la mitsva est fixée en fonction de ce que celles-ci et ses obligations professionnelles lui permettent. Par conséquent, les tayalim (litt. les « promeneurs »), personnes en bonne santé et dont les revenus viennent facilement, sont tenus d’accomplir la mitsvat ‘ona chaque jour. Les travailleurs ordinaires y sont tenus deux fois par semaine. Les hommes qui travaillent en dehors de leur ville de résidence y sont tenus une fois par semaine. De plus, quand l’un des deux époux en ressent le désir, la mitsvat ‘ona oblige son conjoint à accéder à son désir (chap. 2 § 7-8).

Cette mitsva constitue le principe et le fondement du mariage, et celui qui s’y soustrait pour affliger son épouse transgresse un interdit toranique : celui de ne rien retrancher au droit conjugal de son épouse (vé-‘onatah lo yigra’). S’il s’y soustrait par négligence, sans intention de peiner son épouse, il transgresse un interdit rabbinique ; mais certains décisionnaires estiment que, même en ce cas, il transgresse un interdit toranique[1].

En plus de cela, par le biais de la mitsvat ‘ona, l’homme et la femme accomplissent parfaitement la mitsva « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19, 18), qui fait obligation à chacun des époux de s’enquérir du bien de son conjoint, autant qu’il le peut. Or, puisque le plus grand plaisir qui soit accessible à l’être humain, en ce monde, est lié à la mitsva ‘ona, frustrer sa femme d’un plaisir qui la réjouit revient à la spolier, car elle n’a d’autre homme que son mari, qui puisse lui dispenser cette joie. Et si elle frustre son mari d’un plaisir si réjouissant, elle le spolie également, car personne au monde ne pourra combler son manque (cf. chap. 2 § 1).

L’abandon de cette mitsva est la cause centrale des divorces. Si l’homme prétend que sa femme est devenue repoussante à ses yeux, et qu’il n’a plus d’intérêt à s’unir à elle et à la réjouir suivant la périodicité à laquelle il est tenu, la femme est fondée à demander le divorce, et elle a le droit au paiement de la somme prévue par la ketouba (acte de mariage) comme dédommagement. Dans le cas même où le mari est prêt à avoir des relations conjugales, mais où il dit : « Je n’y consens que si je reste dans mes vêtements, et elle dans les siens », il devra libérer son épouse du lien matrimonial et lui remettre la somme prévue par la ketouba, car il n’est pas prêt à s’unir à son épouse avec amour, sans séparation. De même, si la femme n’est pas d’accord pour s’unir à son mari conformément à la périodicité prescrite, ou qu’elle n’y consente qu’à la condition de rester habillée, le mari a le droit de divorcer, sans lui verser la somme prévue par la ketouba (Ketoubot 48a, Choul’han ‘Aroukh, Even Ha’ezer 76, 13). L’homme qui refuse d’accomplir son devoir conjugal est qualifié de mored (rebelle) ; la femme qui refuse d’accomplir ce devoir est qualifiée de morédet (rebelle) ; car ils se révoltent contre l’obligation sainte qu’ils ont prise sur eux au moment du mariage (Ketoubot 63a, Choul’han ‘Aroukh, Even Ha’ezer chap. 77 ; cf. ci-après, chap. 2 § 7-8, § 11-12 et note 6).


[1]. Celui qui se dérobe au devoir conjugal enfreint un interdit de la Torah [un commandement de ne pas faire ou « mitsva négative »] (Maïmonide, Ichout 14, 7, 15 ; Choul’han ‘Aroukh, Even Ha’ezer 76, 11). Si l’on n’a pas l’intention d’affliger son épouse, on n’enfreint pas d’interdit toranique (Maïmonide, Séfer Hamitsvot, interdit n° 262, Mabit 3, 131), mais on enfreint un interdit rabbinique (Rav Kook, cité par Te’houmin n°1, p. 9). Selon certains auteurs, toutefois, même quand on n’a pas l’intention d’affliger son épouse, on transgresse un interdit toranique (responsa du Maharam Alchikh 50). Rav Saadia Gaon (mitsva 72) et le Echkol (27, 20) écrivent qu’il y a également une mitsva obligeant positivement à accomplir le devoir conjugal (obligation de faire, ou « mitsva positive ») ; c’est aussi l’avis du Rachba et du Ohel Mo’ed. Le Rav Yehouda Yerou’ham Perl explique que cette obligation se déduit du verset précédent (Ex 21, 9) : « Il en usera avec elle conformément au droit des filles. »

Certains estiment que, en plus de cela, le verset du Deutéronome (24, 5), « Il réjouira sa femme, qu’il a épousée », nous enseigne que c’est une mitsva pour l’homme que de réjouir son épouse par le devoir conjugal. Certes, cette mitsva est dite au sujet de la première année de mariage ; mais nous apprenons de là que l’homme a l’obligation de réjouir son épouse par l’accomplissement du devoir conjugal dès lors qu’il se trouve auprès d’elle [cf. le verset dans son contexte] ; et ce que la Torah dit au nouveau marié est que, durant la première année, il ne devra pas partir pour servir dans l’armée, ce qui le conduirait à annuler la mitsvat ‘ona. C’est ce qu’expliquent le Séfer Mitsvot Qatan, mitsva n° 285, le Ohel Mo’ed (11, 2) et le Séfer ‘Harédim (20, 8). Rabbénou ‘Hananel (sur Pessa’him 72b) apprend la mitsva positive des rapports conjugaux de ce qu’il est écrit, après le don de la Torah : « Retournez dans vos tentes » (Dt 5, 27). L’une des conséquences de cette mitsva est que l’homme habite avec sa femme, dans la même chambre, même quand elle est nida [isolée par son flux mensuel] (‘Erouvin 63b). Plus loin, au chap. 2 § 2, on expliquera pourquoi cette mitsva, en tant qu’obligation (‘hova), incombe à l’homme. Quoi qu’il en soit, c’est une mitsva et une obligation pour la femme que d’accéder joyeusement au désir de son mari d’accomplir la mitsva.

03. Signification du mot ‘ona

Il est écrit : « Sa nourriture (chéérah), son habillement (kessoutah) et son droit conjugal (‘onatah), il n’en retranchera rien » (Ex 21, 10). Nos maîtres élaborent ce verset sur le mode midrachique, en rapportant ses différents termes aux relations conjugales. Chéérah (littéralement « sa chair ») : qu’au moment de leur union les époux soient chair contre chair ; kessoutah (littéralement « son vêtement ») : cela désigne la couverture et le lit dont ils se servent au moment de l’union ; ‘onatah : c’est l’union elle-même (Na’hmanide ad loc., Ketoubot 48a).

D’autres expliquent le verset littéralement : chéérah (« sa chair ») désigne sa nourriture, kessoutah ses vêtements proprement dits, ‘onatah l’union entre elle et son mari (Rachi sur Exode, Ketoubot réf. cit.). Nous voyons donc que tous les commentateurs s’accordent à dire que le devoir conjugal est l’essentiel du mariage, car, par lui, l’amour unissant les époux peut s’exprimer parfaitement. Les auteurs sont, en revanche, partagés quant au fait de savoir si l’obligation du mariage, telle que la Torah la prévoit, porte exclusivement sur les relations conjugales. Certains le pensent, et estiment que ce sont les sages du Talmud qui ont institué l’obligation pour l’homme d’assurer également la nourriture et le vêtement de son épouse – faute de quoi les époux ne pourraient se réjouir véritablement au moment d’accomplir la mitsvat ‘ona. De plus, l’amour, dans sa pleine acception, inclut également un sens très profond de la responsabilité à l’égard du bien-être et de l’aisance de son conjoint. Comment pourrait-on donc concevoir qu’un mari aimant véritablement sa femme ne s’inquiète pas de sa nourriture ni de son vêtement ? S’il ne s’en soucie pas, cela signifie qu’il n’y a pas d’amour véritable dans leur union charnelle. D’autres auteurs estiment que c’est la Torah elle-même qui oblige le mari à assurer la nourriture et l’habillement de sa femme. En effet, même si la mitsvat ‘ona est l’expression la plus profonde de la vie commune, le lien complet unissant les époux inclut nécessairement aussi, dans sa définition même, la pleine responsabilité de la subsistance et de la vestimentation de son épouse[2].

Le mot ‘ona (littéralement saison, période), a trois significations :

1) ce terme désigne un temps, car cette mitsva s’accomplit à une certaine fréquence, selon les forces de l’homme et les nécessités de sa profession (Na’hmanide, Ibn Ezra sur Ex 21, 10).

2) ‘Ona est à rapprocher de ‘inouï (souffrance, tourment), et, à l’inverse, de hé’anout (consentement). Quand un homme se sépare de sa femme, il la fait souffrir ; comme le dit Laban à Jacob notre père : « Que l’Eternel soit entre toi et moi, quand nous serons cachés l’un à l’autre : que si tu faisais souffrir (te’ané) mes filles… » (Gn 31, 49-50). Nos sages donnent à la formule ce sens : « Si tu te dérobais à l’accomplissement de ton devoir conjugal à leur égard ». C’est pourquoi, le jour de Kipour, où il nous est ordonné de nous mortifier par le jeûne, nous devons nous abstenir de relations conjugales (Yoma 77b, Roch ; Ketoubot 47b, Tossephot et Ritva). De même, quand un homme viole une femme, cela engendre de la souffrance, comme il est dit : « Sichem, fils de Hamor le Hévéen, prince du pays, la vit ; il la prit, la coucha et la violenta » (Gn 34, 2). Tout au contraire, la mitsvat ‘ona consiste à accomplir l’union dans la délectation et la joie, de manière que les époux jouissent l’un de l’autre. Le mot ‘ona renvoie donc au consentement, et au fait d’empêcher la souffrance.

L’une et l’autre de ces deux explications ont des conséquences halakhiques : a) L’homme a l’obligation d’avoir des relations conjugales suivant des temps déterminés, en fonction de ses forces et de son travail ; b) ces relations entre époux doivent fournir une réponse réjouissante au désir engendré par leur amour.

3) Des Richonim (maîtres de la période médiévale) écrivent que ‘ona se rattache au mot ma’on (demeure, maison). En effet, l’homme doit veiller à ce que sa femme ait un lieu pour se loger (Mena’hem ben Sarouq, cité par Ibn Ezra et par le ‘Hizqouni sur Ex 21, 10). Cette idée a, là encore, une implication profonde à l’égard de la mitsvat ‘ona : par l’effet de l’union entre époux, l’homme parvient à sa « demeure », à sa « maison ». Nous trouvons ainsi l’expression « tu te réjouiras, toi et ta maison » (Dt 14, 26), ce qui signifie en réalité : « toi et ton épouse ». Rabbi Yossé dit ainsi : « De ma vie, je n’ai jamais appelé ma femme “ma femme”, mais “ma maison” » (Chabbat 118b).

Cette mitsva est appelée, dans le langage des sages, dérekh erets (litt. voie de la terre)[e], car tout homme, de par sa nature, doit aimer sa femme, désirer s’unir charnellement à elle et lui donner plaisir et joie, autant qu’il lui est possible. De même, toute femme, de par sa nature, doit aimer son mari, désirer qu’il s’unisse charnellement à elle, lui donner du plaisir et le réjouir autant qu’elle le peut. C’est ainsi que Dieu a créé l’être humain, de manière telle que, par sa bonne nature, il désire cela.

Seul celui qui est malade, physiquement ou psychiquement, ne ressent pas ce désir. Cette mitsva vient donc orienter, élever et sanctifier la nature, mais non annuler les sensations naturelles ; car c’est par elles que l’on accomplit cette mitsva (cf. chap. 2 § 4). La régularité de la pratique de cette mitsva, elle aussi, est fixée selon des principes de dérekh érets, c’est-à-dire selon la réalité dans laquelle vivent les époux (comme nous le verrons au chap. 2 § 6-7)[3].


[2]. Les Tannaïm (maîtres de la Michna) et les Amoraïm (maîtres de la Guémara) sont partagés quant au sens de l’obligation chéérah, kessoutah vé-‘onatah (litt. « sa nourriture, son habillement et son droit conjugal », Ex 21, 10). Cf. Mékhilta de Rabbi Chimon bar Yo’haï et Mékhilta de Rabbi Ichmaël ad loc., Ketoubot 47b et Talmud de Jérusalem, Ketoubot 5, 7. Quoi qu’il en soit, il est admis que le fondement de la vie matrimoniale, selon la Torah, réside dans le devoir conjugal, tandis que les sages controversent quant à l’obligation de sustenter son épouse.

Selon Maïmonide (Ichout 12, 2), les disciples de Rabbénou Yona, le Maharam de Rothenburg et le Rachba, cette obligation est toranique. Pour le Chéïltot, le Rif, Na’hmanide, le Roch et le Ran, l’obligation est rabbinique. Il faut cependant dire que, aux yeux de tous, il est impossible d’accomplir la mitsvat ‘ona convenablement si le mari ne se soucie pas de la nourriture et de l’habillement de sa femme ; car le lien d’amour parfait inclut la préoccupation entière que l’on a des besoins de son épouse, de sorte qu’elle ne manque ni de nourriture, ni de vêtements ; faute de quoi, il est évident que les époux ne pourront se réjouir, l’un avec l’autre, comme il convient. La question qui se pose est de savoir si la Torah, elle-même, impose au mari de sustenter son épouse, afin d’en parfaire la joie ; ou si la Torah a seulement prescrit à l’homme d’aimer sa femme d’un plein amour, l’expression principale de cet amour étant de la réjouir parfaitement lors de la mitsvat ‘ona, tandis que ce seraient les sages qui auraient expliqué que, à cette fin, il lui est obligatoire de veiller à sa subsistance et à son habillement.

Il faut signaler qu’autrefois, quand l’essentiel de la subsistance dépendait de la force de travail physique, il était difficile aux femmes de se sustenter sans le concours de leur père ou de leur mari. Aussi la halakha fait-elle obligation à l’homme d’assurer à sa femme l’habillement et la nourriture. Mais là ne réside pas le fondement du mariage. Aussi est-il permis aux membres du couple de stipuler entre eux, avant le mariage, que l’homme ne sera pas tenu d’assurer la nourriture ni l’habillement de son épouse – par exemple, dans le cas où l’épousée possède son propre argent. Par contre, il est impossible de stipuler que l’on se marie dans l’intention que l’homme n’accomplisse pas son devoir conjugal, car l’annulation de celui-ci entraîne la nullité du mariage lui-même (Na’hmanide sur Baba Batra 126b, Choul’han ‘Aroukh, Even Ha’ezer 38, 5). Toutefois, quand l’homme, par contrainte, est dans l’impossibilité d’accomplir le devoir conjugal – cas, par exemple, de l’homme né sans testicules –, un mariage fondé sur un lien affectif, sans union charnelle – reste permis (cf. ci-après, chap. 6 § 2, note 2). Mais même en ce cas, si rien ne l’empêche, l’homme aura l’obligation de satisfaire son épouse, du point de vue physique, suivant ses possibilités (cf. chap. 2, note 3).

[e]. Cette même expression, dans d’autres contextes, signifie bonnes manières, conduite éthique, occupation matérielle (travail), ou encore culture générale.

[3]. Il convient de prêter attention aux termes dans lesquels la mitsvat ‘ona est exprimée dans la Torah : nous apprenons cette mitsva du cas d’un homme qui a décidé d’épouser sa servante juive. Or la Torah ordonne à cet homme d’avoir grand soin de se conduire à l’égard de cette femme de la façon la plus belle ; et même s’il prend par la suite une seconde femme, choisie parmi son propre milieu, il ne devra pas léser sa servante devenue son épouse, ainsi qu’il est dit : « S’il en épouse une autre, il ne retranchera rien de sa nourriture, de son habillement ni de son droit conjugal. Que s’il ne lui procure pas ces trois choses, elle sortira [du lien matrimonial] gratuitement, sans rançon » (Ex 21, 10).

On peut apprendre de cela que, lorsqu’il s’agit d’un couple habituel [et non d’un couple formé d’un homme et de son ancienne servante], il n’est même pas besoin d’ordonner cela ; car tout homme raisonnable comprend, de par la morale naturelle, que telle est son obligation morale – le dérekh erets [au double sens de loi naturelle et de bonnes manières] ! Ce que la Torah éprouve le besoin d’enseigner explicitement, c’est que, même lorsqu’un homme a fait preuve de charité à l’égard de sa servante par le fait qu’il l’a épousée, il lui est interdit, dès lors qu’elle est sa femme, de la frustrer de son droit conjugal (cf. Séfer Ha’hinoukh 46). Dans le même ordre d’idée, il est dit au sujet de la mitsva consistant à restituer un objet trouvé (hachavat avéda) : « Tu ne pourras t’y dérober » (Dt 22, 3) : au-delà du devoir de rendre l’objet, l’homme doit sentir qu’il ne peut fermer les yeux, dès lors qu’il a vu un objet perdu.

04. Le devoir conjugal ne dépend pas du devoir de procréation

Par le biais de la mitsvat ‘ona, on accomplit une mitsva supplémentaire : « Croissez et multipliez. » De cela également, on peut déduire le haut degré d’élévation qui est celui de la mitsvat ‘ona, puisque, par elle, l’homme et la femme ont le mérite de s’associer au Saint béni soit-Il en engendrant un nouvel être humain. Cependant, la mitsvat ‘ona ne dépend pas de la mitsva de croître et de multiplier (peria ourvia) ; aussi, la mitsvat ‘ona s’applique-t-elle également, et dans la plénitude de sa force halakhique, dans les périodes où il n’est pas possible que l’union mène à la conception, par exemple quand la femme est enceinte, ou qu’elle allaite, ou quand elle a passé l’âge de la fécondité, ou encore quand elle est stérile.

Nos sages enseignent que, plus joyeusement on accomplit la mitsvat ‘ona, meilleures seront les qualités des enfants que l’on méritera d’engendrer (‘Erouvin 100b ; cf. ci-après, chap. 2 § 5). Par contre, lorsque l’union entre époux ne se fait pas dans des conditions de fidélité et d’amour, risquent de naître d’eux des enfants qui ne sont pas bons : ce sont les neuf défauts frappant certains enfants (comme l’enseigne le traité Nédarim 20b ; cf. ci-après, chap. 2 § 13).

De même, le Ménorat Hamaor enseigne : « Lorsque l’homme et la femme s’aiment et s’unissent dans la concorde, formant l’intention qu’une descendance convenable provienne d’eux, le Saint béni soit-Il exauce leur souhait et fait descendre d’eux des enfants convenables » (troisième luminaire, sixième principe, 2).

Les maîtres de la Kabbale disent également que, par l’effet de chaque union qui s’accomplit dans la sainteté et l’amour, s’ajoute un supplément d’abondance, de vitalité et de bénédiction dans le monde. Comme l’écrit le Chné Lou’hot Habrit : « De chaque union charnelle accomplie dans la sainteté émane une bonne œuvre. Même si l’épouse ne conçoit point… la semence émise ne l’est pas en vain : une âme sainte émane de cela… Car de chaque union émane une âme, et ces âmes vont en d’autres embryons. » Aussi, « Abraham continuait de s’unir à Sarah, bien qu’elle fût stérile ; il ne faut pas croire, à Dieu ne plaise, que c’était vainement. »

Le Zohar (III 168a) explique que, par l’effet d’une union parfaite, dans l’attachement et l’amour, de deux justes, Abraham et Sarah, furent créées des âmes dans les mondes supérieurs, âmes qui descendirent ensuite et s’incarnèrent, en tant qu’enfants de différentes familles ; et quand ces enfants grandirent, ils se rapprochèrent d’Abraham et de Sarah, et se convertirent sous leur égide. C’est à leur sujet qu’il est écrit : « Les personnes qu’ils avaient acquises à Haran[f] » (Gn 12, 5).

On voit donc que même les couples qui n’ont pas eu la chance d’avoir des enfants, lorsqu’ils s’unissent avec attachement et amour, participent à la descente d’âmes d’enfants dans ce monde. Pour comprendre ce sujet, il faut expliquer que la descente des âmes en ce monde s’ordonnance en de nombreux degrés et comprend différents aspects ; aussi est-il possible que plusieurs couples participent à la descente d’une seule âme dans le monde (cf. ci-après, chap. 8 § 6).

Il convient d’ajouter que, même après que les époux ont donné naissance à leurs enfants, ils continuent d’ajouter, par leur attachement dans l’amour et la joie, à la vitalité et à la bénédiction dans tous les mondes, en particulier auprès de ceux qui sont liés à la racine de leur âme. Nous voyons donc que, dans toute union qui se fait dans la sainteté et le désir ardent, les époux attirent un supplément d’illumination et de bénédiction en direction de l’âme de leurs enfants[4].

Il importe encore d’ajouter que, même si l’on a déjà accompli la mitsva de procréation, que sa femme soit décédée, et qu’il soit difficile de se remarier avec une femme susceptible d’enfanter, ce n’en est pas moins une mitsva que de se remarier avec une femme insusceptible d’enfanter, car c’est là le mode de vie complet de l’homme ; et, grâce à cela, on accomplira la mitsvat ‘ona, laquelle est toranique, et l’on sera préservé des pensées fautives (Yevamot 61b ; cf. ci-après, chap. 4 § 8).


[f]. Littéralement : « Les âmes qu’ils avaient faites à Haran ».

[4]. La mitsvat ‘ona est toujours liée à la mitsva de croître et de multiplier ; parfois de façon manifeste, généralement de façon voilée. Le Chné Lou’hot Habrit, Cha’ar haotiot, Qedouchat hazivoug 402 enseigne : « Chaque union charnelle, quand elle se fait dans la sainteté, produit une action favorable. Même si son épouse ne conçoit pas, on éveille l’en-haut et l’on suscite une âme. Les kabbalistes se sont étendus sur le sujet, et ont écrit que, pour cette raison, il est permis de s’unir à son épouse, même si elle est déjà enceinte, ou si elle allaite, ou si elle est âgée ou stérile, car, ce faisant, on n’émet point sa semence en vain ; au contraire, une âme sainte se constitue grâce à cela. (…) Car Abraham s’unissait à Sarah, bien qu’elle fût stérile : loin de nous de croire que ce fut vain ! Car de toute union émane une âme. Or ces âmes vinrent en d’autres embryons ; et c’est ainsi que des prosélytes vinrent au monde. (…) Cela signifie que, par la force de la sainte pensée d’Abraham durant l’union, des âmes d’enfants mâles furent suscitées, et par la force des saintes pensées de Sarah durant l’union, des âmes d’enfants femelles furent suscitées. On comprend, dès lors, le sens du verset “et les âmes qu’ils firent à Haran” : il s’agit véritablement de faire, par l’effet de l’union. »

Tout cela est rendu possible par une union dans l’attachement et l’ardeur, comme le dit le Zohar III 168a : « Par l’attachement du désir de ces deux justes ». De même, le Cha’ar Hamitsvot de Rabbi Isaac Louria (Béréchit p. 7) : « En matière d’union durant les mois de grossesse et d’allaitement, il est évident que, même durant ces périodes, l’homme a l’obligation d’accomplir la mitsvat ‘ona, et il n’y a pas lieu de dire que cela semble être une union vaine, à Dieu ne plaise. Le fait est qu’il y a – la chose est connue – deux types d’unification dans le monde d’en haut : le premier a pour effet de faire venir des âmes, et cette unification n’est pas constante ; le second est constant et ne s’interrompt pas du tout : il a pour effet de faire vivre et de maintenir les mondes. »

Le Ben Yehoyada’ sur Ketoubot 62b écrit : « [Le Psaume 1 dit du juste qu’il :] “donne son fruit en sa saison.” (…) Alors, même “ses feuilles ne flétrissent pas” (ibid.), ce qui signifie que, même s’il s’unit à son épouse durant la période de grossesse ou d’allaitement, il ne “flétrira pas”, c’est-à-dire que cette union ne sera pas perdue. Et tout ce que l’on fera au temps de la vieillesse de son épouse, quand s’est tarie l’émission sanguine, contribuera, même alors, à la réussite de son union, car, si l’on n’engendre plus d’âmes, l’union reste utile au maintien et à la vitalité des mondes, comme l’indique le Cha’ar Ta’amé Hamitsvot. » Dans le même ordre d’idées, nos sages enseignent que l’union, durant les trois derniers mois de grossesse « est favorable à la femme et favorable à l’embryon, que cela rend saint et fort » (Nida 31a).

05. Révélation de l’unité

Afin de mieux comprendre la sainteté de la mitsva, il faut d’abord expliquer que le Saint béni soit-Il voulut donner du mérite aux êtres humains ; Il créa donc un monde affecté de manques, de sorte que les hommes pussent le parachever, le rendre bon et droit. Par cela, les hommes ont le mérite de devenir les associés du Saint béni soit-Il à l’égard de tout le bien qui est au monde, grâce à quoi leur joie devient parfaite. La séparation est le manque le plus profond qui affecte la Création. Certes, l’Éternel Un créa tous les êtres ; cependant, Il voila sa lumière, si bien que les créatures furent séparées de Lui, béni soit-Il ; par là-même, elles furent séparées les unes des autres, chaque être se souciant de soi-même. De là proviennent toutes les disputes, les discordes, les conflits et les guerres. Aussi ce monde-ci est-il appelé ‘alma depirouda, « monde de la séparation » ; et c’est pourquoi il est aussi appelé ‘alma dechiqra, « monde du mensonge », car on n’y connaît pas la racine unitaire, et tous les maux du monde proviennent de cela. Par conséquent, le fondement de la foi d’Israël consiste dans la foi en l’unité, foi dans le Dieu unique.

C’est aussi la raison pour laquelle la mitsva de résider sur la terre d’Israël (yichouv haarets) est si centrale : elle unit le ciel et la terre ; car la séparation la plus fondamentale est celle qui dissocie le ciel et la terre, ce qui s’exprime par la séparation entre esprit et matière, entre vision et réalité, entre le Créateur et la Création. Par le commandement de yichouv haarets, se révèle le fait que l’Éternel est le Dieu des cieux et de la terre, et que toutes les choses terrestres sont liées à la sainteté. Aussi nos sages disent-ils : « Quiconque habite la terre d’Israël est semblable à celui qui a un Dieu, et quiconque habite hors de la terre d’Israël est semblable à celui qui n’a point de Dieu… c’est comme s’il servait des idoles » (Ketoubot 100b ; cf. ci-après, chap. 3 § 15)

La valeur de l’unité fonde également l’importance centrale de la mitsva « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19, 18), qui est, selon les termes de Rabbi Aqiba, le grand principe de la Torah, klal gadol ba-Torah (Sifra ad loc.).

On peut comprendre, dès lors, la grande élévation que revêt la mitsva de l’union entre l’homme et sa femme : par elle, on accomplit la mitsva « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » de la manière la plus parfaite ; elle est l’expression de l’unité la plus grande, car elle unit entièrement deux êtres séparés et différents. Cette unité est double : unité de l’homme et de sa femme, unité de l’âme et du corps. Il est fréquent qu’il y ait contradiction entre l’âme et le corps : l’âme aspire au bien, le corps est attiré par le mal ; l’âme désire l’éternité, le corps le présent éphémère. Par cette mitsva, l’âme et le corps se rassemblent, et le penchant au mal (yétser hara’) lui-même se retourne en bien. Par cette mitsva, l’idée sublime de fidélité et d’unité se joint au délice physique le plus grand. La valeur morale du dévouement total s’associe à la plus grande joie (cf. Zohar I 49a, III 81a-b, Gn Rabba 9, 7 ; ci-après, chap. 3 § 13 ; Maharal, Guevourot Hachem, chap. 43).

06. Valeur de l’union entre l’homme et sa femme

Ce lien, cette union, sont si prodigieux qu’ils servent de métaphore à l’unification supérieure entre le Saint béni soit-Il et Israël, ainsi qu’il est dit : « Tel l’époux se réjouit de l’épousée, ainsi ton Dieu se réjouira de toi » (Is 62, 5). « Rabbi Aqiba enseigne : le monde entier ne valait pas le jour où fut donné le Cantique des cantique à Israël ; car tous les livres bibliques sont saints, mais le Cantique des cantiques est le saint des saints » (Tan’houma, Tetsavé 5). L’amour entre l’homme et sa femme est donc si élevé, si transcendant, qu’il porte en lui une ressemblance avec le saint lien unissant l’Éternel à son peuple, et reflète ce lien. Bien plus, c’est du lien même qui unit l’Éternel à son peuple qu’émane le lien entre époux, qui s’unissent l’un à l’autre dans la sainteté et dans l’amour (cf. chap. 3 § 15) ; et, en retour, du sein de ce lien entre époux se développe le lien entre le Créateur et son monde ; ainsi, la vie, la bénédiction et la paix sont dispensées à toutes les créatures.

Nous voyons ainsi que les chérubins sculptés qui étaient disposés dans le saint des saints, sur l’arche sainte, avaient la forme d’un homme et d’une femme tournés l’un vers l’autre, comme le sont deux époux au moment d’accomplir la mitsvat ‘ona. Nos sages enseignent : « Lorsque les Israélites allaient en pèlerinage [à Jérusalem], on déroulait pour eux le voile de l’arche sainte, on leur montrait les chérubins enlacés l’un avec l’autre, et on leur disait : “Voyez dans quelle affection Dieu vous tient, semblable à l’affection de l’homme et de la femme” » (Yoma 54a). Mais quand Israël cessa d’accomplir la volonté divine, les chérubins se séparèrent l’un de l’autre, et tournèrent leurs visages vers le Temple (Baba Batra 99a).

Puisque la question du mariage est si sainte et si élevée, le jour de Kipour était jadis l’un des deux jours de fête où l’on s’occupait de chidoukhim[g] (Michna Ta’anit 4, 8). Et puisque le mariage porte en lui la révélation de l’unité, laquelle se manifeste dans la réalité parfaite que constituent l’époux et l’épouse, c’est une mitsva que d’exprimer cela par une grande joie ; nos sages enseignent à ce propos : « Quiconque réjouit le marié et l’épousée mérite de recevoir la Torah ; on le considère comme s’il avait apporté un sacrifice de reconnaissance, et comme s’il avait reconstruit l’une des ruines de Jérusalem » (Berakhot 6b ; cf. Maharal, Tiféret Israël 30).

Nous voyons ainsi que, après qu’Israël fut parvenu à la plus haute réalisation de ses desseins, à l’époque où le roi Salomon eut le mérite de consolider la royauté d’Israël et de construire le Temple, le roi donna une grande fête, pour tout le peuple d’Israël, pendant sept jours, puis sept autre jours. « Le huitième jour, il congédia le peuple, qui bénit le roi ; ils rentrèrent en leurs demeures, heureux et le cœur réjoui de tous les bienfaits que l’Éternel avait accordés à David son serviteur et à Israël son peuple » (I Rois 8, 66).

Nos sages élaborent : « “Ils rentrèrent en leurs demeures” : ils allèrent et trouvèrent leurs femmes en état de pureté ; “heureux” : d’avoir joui de la splendeur de la Présence divine ; “et le cœur réjoui” : car la femme de chacun d’eux conçut un enfant mâle ; “de tous les bienfaits” : car une voix céleste énonça devant eux : “Vous êtes tous destinés à la vie du monde futur” » (Mo’ed Qatan 9a). En d’autres termes, de même que, grâce à la construction du Temple à Jérusalem, l’Éternel se réjouit de son peuple tel l’époux se réjouissant de l’épousée, ainsi la sainteté générale se répandit sur la maison particulière de chaque Israélite : ils revinrent en leurs demeures, trouvèrent leurs épouses pures, afin d’accomplir la mitsva dans la joie.

Nous voyons aussi que, après le don de la Torah, l’Éternel ordonna à Moïse : « Va, dis-leur : “Retournez à vos tentes” » (Dt 5, 27). Nos sages commentent : « Pour la joie de l’union [charnelle] » (‘Avoda Zara 5a). Celui qui ne comprendrait pas la valeur de la mitsva pourrait penser que, après l’événement suprême du don de la Torah, il ne convenait pas de se livrer à de telles occupations. Mais la directive divine consistait, au contraire, à ce que l’on revînt en sa tente pour se livrer à la joie de l’union ! Ce qui laisse entendre que, au contraire de ce que l’on serait porté à croire, c’est précisément à partir de la sainteté révélée durant le don de la Torah qu’il y a lieu de rentrer chez soi pour accomplir la mitsvat ‘ona dans la joie.

Et en effet, ces deux thèmes sont liés : car le don de la Torah fut comme le mariage du Saint béni soit-Il et d’Israël. Les sages disent ainsi, dans la Michna : « “Au jour de ses noces” (Cantique 3, 11) : cela fait allusion au don de la Torah ; “et au jour de la joie de son cœur” (ibid.) : cela fait allusion à la construction du Temple » (Ta’anit 26b). Du sein du grand mariage, se répandirent l’amour et la joie dans chacune des familles d’Israël.

Pour de nombreux sages des peuples, ces notions sont difficiles à appréhender : à leur sens, les plaisirs de ce monde relèvent de la matière et de la faute, et sont détachés des choses de la sainteté et de la spiritualité. Cependant le rôle particulier d’Israël est de révéler la foi en l’unité, selon laquelle l’Éternel est Dieu, dans les cieux et sur la terre. Aussi, lorsque l’union se fait conformément à la halakha, se révèle en elle la notion du divin. C’est à ce propos qu’il est écrit : « Qui peut compter la poussière de Jacob, et dénombrer la multitude d’Israël ? » (Nb 23, 10). Nos sages élaborent :

Cela nous apprend que le Saint béni soit-Il siège et compte les moments d’union[h] d’Israël, [pour savoir] quand viendra cette goutte à partir de laquelle tel juste sera créé. C’est à ce propos que l’œil de Balaam l’impie fut frappé de cécité. Il dit : « Celui qui est pur et saint et dont les serviteurs sont purs et saints regarderait une telle chose ? » Immédiatement, son œil devint aveugle[i] (Nida 31a).


[g]. Rencontres organisées entre célibataires.

[h]. Littéralement, le mot rova’ (רבע) que nous avons traduit par multitude, signifie le quart : qui pourrait compter ne serait-ce que le quart des étendards des tribus d’Israël ? demande Balaam dans sa bénédiction prophétique du peuple hébreu. Le Talmud s’appuie sur un autre sens de la racine ר.ב.ע. : celui d’union charnelle (revi’a), pour en tirer un enseignement original.

[i]. Balaam ne voit dans l’union charnelle que l’assouvissement d’un désir physique ; il ne conçoit pas la notion d’union dans la sainteté. Quand se révèle à lui, par prophétie, que Dieu étend sa providence jusqu’à l’union d’où naissent les justes, il ne conçoit pas que le regard divin se porte là. Cette incompréhension à l’égard du regard divin affecte son propre regard, frappé soudain de cécité (d’après l’édition Artscroll du Talmud ad loc.).

07. Joie de l’union (sim’hat ‘ona)

Généralement, l’individu se soucie de lui-même – car s’il ne le faisait pas, qui se soucierait de lui ? Il peut adoucir cette réalité par des amitiés superficielles et par des divertissements ; mais à l’heure de vérité, lorsque l’homme reconnaît son isolement, il éprouve une profonde tristesse. Telle est la souffrance existentielle qui accompagne la vie de l’homme, telle est la mort qui l’accompagne alors qu’il est encore vivant. Plus il est désillusionné, plus grande est sa douleur. La solitude conduit l’homme à l’égoïsme, au fait de se soucier de soi seul ; alors il se déleste des valeurs morales ; sa vie reste sans signification à ses yeux, et sa solitude s’aggrave.

La solution à cela consiste dans la mitsva « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » : quand les gens comprennent que leur amitié a une valeur sacrée, ils deviennent meilleurs, plus moraux, et se relient les uns aux autres de façon véritable, atténuant la souffrance de leur isolement. Comme nous l’avons appris, la mitsva d’amour du prochain s’accomplit de manière parfaite entre les époux, ce par quoi cette mitsva apporte à l’homme un entier parachèvement[j]. Grâce à cet amour véritable, l’homme réussit à dépasser ses limites égocentrées, à aimer son épouse, et à se soucier d’elle non moins qu’il s’aime lui-même et se soucie de lui-même.

L’expression la plus saillante de cela est la mitsvat ‘ona ; par elle, grâce à l’abondance d’amour et de délice, les frontières se brisent, l’homme va vers sa femme, et elle vers lui, de sorte qu’ils sont délivrés de leur isolement, et s’unifient. Alors ils sont véritablement heureux, d’une joie sans pareille ; la pulsation de la vie bat en eux, se reliant à toute la vie du monde, et s’élevant à la source de la vie.

C’est pourquoi cette mitsva est aussi appelée sim’hat ‘ona (« la joie de l’union », Pessa’him 72b, ‘Avoda Zara 5a). Dans cette joie se trouve une révélation divine ; comme l’écrit le Maharal :

Cette union, ne dis pas qu’elle est une chose matérielle, comme chez les animaux. Non point ; car l’homme et la femme ont une faculté d’union émanant de l’Éternel, béni soit-Il. (…) Car son nom s’associe à eux : le nom formé des lettres yod et … (Sota 17a). Cela nous enseigne que Dieu, béni soit-Il, assemble ce couple et unit les époux ; c’est pourquoi son nom réside entre eux (Beer Hagola 5, 4).

Cette mitsva donne un avant-goût du monde futur (mé’ein ‘olam haba), un avant-goût du faisceau lumineux émanant de lieux élevés et parachevés, parvenant à ce monde-ci, monde obscur auquel les écrans et les voiles cachent la lumière, l’empêchant de parvenir jusqu’à lui, au point que nos sages disent de notre monde qu’il ressemble à la nuit (‘Haguiga 12b). Toutes les mitsvot doivent procurer à l’homme une joie immense, car, par elles, on se relie à la source de vie, et par elles on a le mérite de prendre part à l’apport d’un supplément de vie dans le monde. Cependant, en raison des voiles et des écrans qui cachent la lumière et la vie divines, on ne sent presque pas cela. Certes, on éprouve une satisfaction à accomplir la chose qu’il convient d’accomplir ; mais on n’a guère le mérite d’éprouver un authentique délice, par l’effet de la mitsva considérée en elle-même. Nos sages disent à ce propos : « Ce monde ressemble à un vestibule face au monde futur : prépare-toi dans le vestibule afin de pouvoir entrer dans le palais » (Maximes des Pères 4, 16). Car le monde futur est le lieu essentiel de la rétribution de nos actes. Toutefois, par cette mitsva merveilleuse qu’est la mitsvat ‘ona, l’être humain a le mérite d’éprouver la formidable délectation qu’il conviendrait de ressentir au moment d’accomplir toute mitsva ; cette délectation préfigure donc le monde à venir. (Le Chabbat, lui aussi, donne un avant-goût du monde futur.)

Aussi, cette mitsva constitue-t-elle le portail par lequel l’être humain peut mériter d’apercevoir, de son vivant, sa part dans le monde à venir. En effet, en l’accomplissant comme il convient, on peut mériter, à l’égard des autres mitsvot également, d’être gratifié de délices préfigurant le monde à venir (cf. Zohar II 259a).

Par contre, ceux qui se livrent à la débauche (zenout), à des unions interdites (guilouï ‘arayot) ou s’accouplent à leur femme au moment où elle est nida (isolée par l’impureté mensuelle), se servent de ce désir ardent pour le mal. Au lieu de briser, par ce désir, les barrières de l’égoïsme, d’enfanter des âmes et de se relier à Dieu, ils brisent par leurs fautes le bon cadre moral ; aussi sont-ils appelés proutsim (corrompus, littéralement « brisés »). Ce faisant, ils perdent leur part en ce monde, puisqu’ils ne jouissent pas d’un amour vrai, et perdent aussi leur part dans le monde futur, parce qu’ils ne se relient pas à la vie éternelle et véritable ; ils héritent du guéhinom (l’enfer).


[j]. Tiqoun : littéralement, « réparation ».

08. Par le mérite de cette mitsva, nos ancêtres furent délivrés d’Égypte

Quand nos ancêtres étaient asservis en Égypte, les Égyptiens voulurent empêcher les hommes hébreux de croître et de multiplier, afin de faire disparaître le peuple d’Israël. À cette fin, ils appesantirent leur joug, en leur imposant un servage dur et exténuant, de l’aube à la tombée de la nuit, en leur interdisant de retourner chez eux le soir, et en leur imposant de dormir dans les champs. Il semblait alors aux hommes que tout espoir était perdu ; leurs femmes désespéreraient d’eux, et s’attacheraient à leurs maîtres égyptiens. Comment un mari pourrait-il regarder son épouse en face, alors qu’il est supposé lui apporter la sécurité, la protéger des oppresseurs et des conspirateurs, lui apporter subsistance et honneur, être un exemple pour ses enfants, et qu’il est en réalité réduit à la condition d’esclave soumis, foulé aux pieds par ses maîtres de corvée ? Afin de ne pas endurer d’humiliation supplémentaire, ce mari préfère encore ne pas se rapprocher de sa femme. Il étouffe en lui-même le désir de vie. Il ne veut pas non plus d’enfants, car il ne peut leur offrir un avenir de quelque valeur. Quand bien même son épouse se rapprocherait de lui, il s’en éloignerait, car il craindrait que, de toute façon, elle ne l’abandonne bientôt. La majorité des femmes, dans une telle situation, se seraient senties humiliées, et auraient cherché à se joindre à l’un des maîtres égyptiens, en tant que seconde épouse. Ainsi, le peuple hébreu aurait risqué l’anéantissement.

Nos sages enseignent :

C’est par le mérite des femmes justes de cette génération qu’Israël fut délivré. Quand elles allaient puiser de l’eau, le Saint béni soit-Il suscitait en leur faveur de petits poissons en leurs cruches, et elles puisaient de l’eau pour moitié, des poissons pour moitié. Elles rentraient et mettaient sur le feu deux casseroles : l’une d’eau chaude, l’autre de poisson, qu’elles apportaient à leurs mari dans le champ. Elles les lavaient, les oignaient, les nourrissaient, les abreuvaient, et répondaient à leurs attentes entre les limites des champs [en des endroits retirés et discrets] (Sota 11b).

Chaque femme disait, en quelque sorte, à son mari : « Certes, aux yeux des Égyptiens, tu es un esclave méprisé ; mais à mes yeux, tu es précieux et important. Et de même que j’aurais été heureuse à ta venue s’y tu étais rentré d’un travail considéré, de même suis-je heureuse de venir à ta rencontre aujourd’hui. Je suis venue te voir dans le champ pour laver tes pieds fatigués de travail, pour oindre ton corps rendu douloureux par les coups, car c’est toi qui es mon mari et mon aimé. » Le Midrach raconte :

Dès lors qu’ils avaient mangé et bu, les femmes prenaient leurs miroirs et s’y regardaient aux côtés de leur époux : l’une disait : « Je suis plus belle que toi ! » et l’autre répondait : « Je suis plus beau que toi ! » Ainsi, ils s’accoutumaient au désir, croissaient et multipliaient, et le Saint béni soit-Il les exauçait immédiatement (…), ainsi qu’il est dit : « Et les enfants d’Israël crûrent, pullulèrent, devinrent nombreux et puissants à l’extrême » (Ex 1, 7)… Or toute cette multitude était née par l’effet des miroirs ! (Tan’houma, Peqoudé 9).

Le Talmud ajoute :

Comme elles avaient conçu, elles rentraient dans leurs demeures ; et quand le temps de la naissance arrivait, elles allaient enfanter dans le champ (Sota 11b).

Une fois que les Israélites furent sortis d’Égypte et eurent reçu la Torah, il leur fut ordonné de construire le tabernacle. Tout Israël se mit à offrir de l’or, de l’argent et du cuivre, des étoffes de prix et des pierres précieuses. Ces femmes dirent : « Que pouvons-nous donner comme contribution à l’œuvre du tabernacle ? » Elles apportèrent donc ces miroirs, grâce auxquels elles s’étaient parées. Bien qu’ils fussent extrêmement chers à leurs yeux, elles les apportèrent volontiers, tant elles chérissaient l’œuvre de construction du tabernacle. Or Moïse notre maître dédaignait ces miroirs, car ils étaient faits pour exciter le penchant au mal. Certains disent même qu’il était en colère à l’idée qu’on pût en faire don, et qu’il dit, sur le mode de l’exagération, à ceux qui se trouvaient auprès de lui : « Il eût convenu de prendre des bâtons et de rompre leurs jarrets, pour avoir osé apporter ces miroirs pour le service sacré. » Le Saint béni soit-Il dit à Moïse : « Ces miroirs, tu les méprises ? Ce sont ces miroirs qui ont édifié toutes ces légions en Égypte ! Reçois-les, car ils me sont plus chers que tout autre don ! Prends-les et fais-en le bassin de cuivre et son socle, où les prêtres se sanctifieront avant d’accomplir le saint service (Tan’houma, Peqoudé 9, Rachi sur Ex 38, 8).

Ce récit nous livre un enseignement merveilleux : il n’est rien de plus pur ni de plus saint que cet amour inconditionnel, qui amena la vie dans le monde. Aussi est-ce précisément à partir de ces miroirs que l’on fabriqua le bassin par lequel les prêtres se purifieraient et se sanctifieraient, à l’approche de leur service dans le sanctuaire.

01. Définition de la mitsva ; sommet de la joie

Le devoir conjugal (mitsvat ‘ona) consiste, pour l’homme, à donner délice et joie à son épouse, autant qu’il le peut, et à s’unir à elle, en une pleine union, avec amour et une joie intense (comme nous l’avons vu ci-dessus, chap. 1 § 2). Tout homme a l’obligation d’accomplir cette mitsva selon la régularité que lui permettent ses forces et son travail. Dans la majorité des cas, la mitsva a cours deux fois par semaine (comme nous le verrons ci-après, § 7). Pour la femme, elle aussi, c’est une mitsva que de s’unir à son mari et de se réjouir à son contact ; plus la femme est heureuse dans l’union, plus l’accomplissement de la mitsva est élevé.

Cette union doit être source de grande délectation et de grande joie ; c’est pourquoi cette mitsva est appelée sim’hat ‘ona (« la joie de l’union ») ; s’en abstenir est considéré comme le fait d’infliger une souffrance (‘inouï) (Pessa’him 72b ; ‘Avoda Zara 5a ; cf. ci-dessus, chap. 1 § 3).

La mitsvat ‘ona n’est pas conditionnée par la mitsva de la procréation (peria ourvia) : elle s’accomplit aussi dans le cadre d’une union qui ne peut mener à la conception ; par exemple dans le cas où la femme est enceinte, ou quand elle allaite, ou quand elle est âgée et qu’elle ne peut enfanter (cf. ci-dessus, chap. 1 § 4).

La mitsva consiste essentiellement à ce que l’homme réjouisse sa femme, d’une joie parfaite, jusqu’à ce qu’elle atteigne le plus haut point du plaisir et de la joie[a]. Sans cela, l’union risque de créer de la frustration. Car la proximité de ce plus haut point de plaisir crée une tension corporelle et psychique, qui parvient à sa détente heureuse au moment, précisément, où le sommet est atteint. Or, si elle ne parvenait pas à ce point, la femme resterait, en général, tendue et frustrée.

C’est une obligation pour la femme que d’accéder au désir du mari et de participer à la mitsva autant qu’elle le peut, car, à défaut de sa bonne volonté et de son implication dans le fait d’accroître la joie entre époux, il est impossible d’accomplir la mitsva. Certes, dans le cas où la femme est fatiguée, ou tendue, au  point qu’il lui est difficile d’atteindre le plus haut point du plaisir, il lui est permis de renoncer à cela, et de se contenter d’une union caractérisée par un doux plaisir, sans que celui-ci soit total ; car de cette façon aussi, on accomplit la mitsva. Toutefois, il est juste de faire en sorte que cela n’arrive pas souvent (cf. § 12, note 12).

Plus chaque membre du couple réjouit l’autre et se réjouit durant l’union, selon la fréquence qui convient à la mitsva, plus cela est louable. La mitsva « Tu aimerais ton prochain comme toi-même » oblige, elle aussi, à ce que chacun se soucie du bien de son conjoint, autant qu’il le peut. Puisque la plus grande jouissance corporelle et psychique est la jouissance éprouvée dans l’union entre l’homme et sa femme, l’homme, s’il frustre la femme du plaisir qui la rendrait heureuse, l’opprime, puisqu’elle n’a d’autre homme que lui, qui puisse lui fournir cette joie. De même si elle frustre son mari du plaisir propre à le réjouir, cela revient à l’opprimer, puisqu’il n’a personne d’autre dans le monde, qui comblera son manque.

Cette mitsva est également appelée dérekh erets (littéralement « voie de la terre » ou « voie du monde »)[b], parce que tout être humain en bonne santé a le désir de l’union délectable entre homme et femme ; et telle est la joie concrète la plus grande qui soit accessible à l’homme en ce monde. Dès lors, il est certain que, lorsque la Torah nous prescrit la mitsvat ‘ona, elle vise l’accès au sommet de plaisir auquel les êtres humains aspirent. Un homme ou une femme qui n’aurait pas une telle aspiration devra s’efforcer de se soigner, de façon à pouvoir accomplir dans la joie l’union avec son conjoint[1].

Les Kabbalistes enseignent que celui qui n’éprouve pas de désir à cet égard, « un âne est meilleur que lui », et qu’il ne saurait mériter de parvenir à l’amour de Dieu (Réchit ‘Hokhma, Cha’ar ha-ahava, fin du chap. 4). En effet, ce n’est que du sein de la saine nature humaine – laquelle est une création divine – que l’homme peut s’élever à l’amour divin. Celui qui est éloigné de l’instinct de vie, par contre, reste éloigné de la foi et de la sainteté ; il ne peut œuvrer au parachèvement du monde.


[a]. L’auteur n’utilise pas, dans ce livre, le mot orgasme, bien qu’il s’agisse de cela ; l’expression שיא התענוג והשמחה, « sommet du délice et de la joie », comporte cependant une dimension émotionnelle que ne rend pas le mot orgasme : la joie comme état psychique.

[b]. Cf. chap. 1 § 3, avant-dernier alinéa, et note e.

[1]. La mitsva est essentiellement accomplie quand la femme parvient au plus haut point de plaisir et de joie (orgasme), de même que l’homme parvient au sommet de la joie charnelle au moment où sa semence s’écoule. Nos sages enseignent à ce propos : « Si la femme ensemence la première, elle enfante un garçon ; si l’homme ensemence le premier, elle enfante une fille » (Nida 31a). Les commentateurs expliquent qu’il s’agit de prolonger l’union, de façon que la femme ensemence la première : « On se maintient en son ventre, de manière qu’elle ensemence d’abord ; ainsi leur enfant sera mâle. » De même, le traité Nida (71a) enseigne : « Telle est la “récompense, fruit des entrailles” » [littéralement, “fruit du ventre”, dont parle le psaume 127]. (Certes, l’expression « ensemencer la première » se prête à d’autres explications, mais telle est la principale.) Si l’on ne suivait pas cette explication [selon laquelle « ensemencer la première » signifie parvenir à l’orgasme la première], il serait difficile de comprendre pourquoi, d’après ce qui apparaît dans la Guémara, la femme d’une personne dont les revenus sont aisés [cf. chap. 1 § 2], sauf cas particulier, n’accepte pas l’annulation de l’union quotidienne qui lui revient, même si cette abstention est de nature à améliorer la situation économique du ménage (Ketoubot 62b ; ci-après § 7).

Bien plus : en général, si la femme éprouve vraiment du plaisir mais qu’elle ne parvienne pas au sommet, elle garde, après l’union, un sentiment de frustration ; or en ce cas, où réside la joie ? Et si elle ne parvient pas même à un tel plaisir, il n’y a pas tant de joie dans cette union ; quel sens y aurait-il alors à appeler cette mitsva « joie de l’union ». De plus, l’homme a l’obligation de satisfaire les besoins de sa femme. Or de même qu’en matière d’alimentation et de vêtements, cette obligation est fonction de ce qui est communément admis, ainsi de l’union charnelle ; et puisqu’il est admis de considérer le sommet du plaisir comme le principal de la joie éprouvée durant l’union, faire parvenir la femme à ce sommet est l’objet même de l’obligation de l’homme.

Non seulement l’essentiel de la mitsva consiste à réjouir son épouse jusqu’à ce qu’elle atteigne le sommet du plaisir, mais plus on l’y conduit, dans le cadre des unions auxquels  on est obligé, plus on est digne d’éloge. Une analogie peut être faite avec le cas de l’hôte recevant son invité : plus savoureux sont les mets qu’il lui prépare, plus nombreux sont les plats qu’il lui présente, plus il crée les conditions de son aisance, et plus grande est la mitsva qu’il accomplit. De même, quand la femme est de celles qui peuvent atteindre plusieurs fois de suite le sommet du plaisir, le fait de l’y conduire constitue un supplément de perfection apporté à la mitsva (hidour mitsva). Cependant, il est fréquent que les femmes n’aient pas la force, ni la volonté, d’accéder à plus d’un sommet ; alors, ce ne sera qu’en des circonstances particulières que les époux embelliront la mitsva en ajoutant à la joie.

Ci-après, au paragraphe 12, nous verrons qu’existe la possibilité de réaliser des unions charnelles à un moindre degré d’accomplissement : quand la femme éprouve du plaisir au cours de l’union, mais sans atteindre une jouissance entière (degré appelé bedi’avad : a posteriori) ; ou, à un moindre degré encore, lorsque la femme n’éprouve pas de réel plaisir (degré qualifié de cha’at had’haq : cas de nécessité pressante). Mais quoiqu’il en soit, tant qu’ils sont mariés, il est interdit aux époux d’annuler les unions sans plein accord entre eux, car lesdites unions sont l’expression de leur lien matrimonial, et les préserve de la faute. Nous l’avons vu (chap. 1 § 2), l’annulation de l’union est la première cause de divorce.

02. Obligation de l’homme et mitsva de la femme

L’obligation relative à la mitsvat ‘ona incombe à l’homme, ainsi qu’il est dit : « Sa nourriture (chéérah), son habillement (kessoutah) et son droit conjugal (‘onatah), il n’en retranchera rien » (Ex 21, 10). Nous avons vu, au premier chapitre, § 3, quelle lecture midrachique les sages font de ce verset, pour préciser davantage les obligations de l’homme : chéérah (littéralement « sa chair ») : qu’au moment de leur union les époux soient chair contre chair ; kessoutah (littéralement « son vêtement ») : cela désigne la couverture et le lit dont ils se servent au moment de l’union ; ‘onatah : c’est l’union elle-même (Na’hmanide ad loc., Ketoubot 48a). Or quiconque annule l’accomplissement de cette mitsva, faisant ainsi souffrir son épouse, transgresse un interdit toranique (cf. ci-dessus, chap. 1 § 2). Certes, si la femme n’accède pas joyeusement au désir de son mari, la mitsva perd toute sa valeur, de sorte que, en définitive, l’accomplissement de la mitsva dépend des deux époux ensemble. Mais l’obligation primordiale repose sur l’homme, de la même façon que la mitsva du mariage (nissouïn) repose, en tant qu’obligation (‘hova), sur l’homme, de sorte que c’est à lui de se mettre en quête d’une compagne ; puis, quand celle-ci a accepté d’être épousée par lui, c’est à lui de la sanctifier en tant que son épouse, en lui remettant les qidouchin[c].

Afin de comprendre la différence, à cet égard, entre l’homme et la femme, il faut préciser que, si l’homme n’exprimait pas son amour à l’égard de son épouse par des paroles, et s’il ne lui donnait abondance de plaisir par des caresses et des enlacements, continuant graduellement jusqu’aux parties du corps qui lui donnent le plus de plaisir, il est vraisemblable qu’il ne réussirait pas à la réjouir d’une pleine jouissance. Cela, parce que telle est la bonne nature des femmes : chez elles, plus que chez les hommes, les domaines de l’esprit, de l’émotion et du corps sont imbriqués ; aussi, dans une situation normale, ce n’est que lorsque toutes les facultés se joignent les unes aux autres, dans l’amour et la délectation, que la femme peut atteindre le sommet de la joie. Ce processus composite prend du temps.

Face à cela, le caractère de l’homme est tel qu’il peut dissocier les domaines : il est capable de satisfaire son désir physique, même sans se relier à l’autre par le sentiment et par l’esprit. Cette particularité est très précieuse lorsqu’il s’agit de faire abstraction de tout son environnement, pour concentrer toutes ses forces et se focaliser sur un but unique. C’est cette qualité qui permet à un jeune homme de faire énergiquement sa cour, de surmonter les difficultés, et de poursuivre assidument sur cette voie, jusqu’à ce que la jeune fille accepte d’être épousée par lui. C’est aussi la qualité qui convient à un combattant, à l’armée. Aussi est-ce l’homme qui consacre (meqadech) une femme pour qu’elle soit son épouse. Mais d’un autre côté, après avoir atteint son but lors de la joie des noces, il arrive que les hommes perdent leur intérêt pour une pleine relation de sentiment : ils étaient en effet focalisés sur l’obtention de leur but, parvenir à la cérémonie du mariage, mais ne se sont pas préparés à tous les défis que comprend la vie matrimoniale. C’est pourquoi il est ordonné à l’homme de ne point partir à l’armée, ni dans des voyages d’affaires, la première année de son mariage, ainsi qu’il est dit : « Il vaquera librement à son intérieur pendant un an, et il rendra heureuse la femme qu’il a épousée » (Dt 24, 5). Grâce à cela, il établira les bases de leur vie de couple.

C’est aussi ce qui arrive parfois à l’approche de l’union charnelle. Le désir de l’homme peut bien être très ardent, mais tout de suite après l’écoulement de sa semence, il risque de se désintéresser de sa femme. Or puisque, du point de vue de leur complexion physique, les hommes sont aptes à arriver au sommet du plaisir physique en quelques minutes, sans avoir le temps de réjouir leur femme, c’est précisément sur l’homme que repose, en tant qu’obligation, la mitsvat ‘ona ; et cette mitsva consiste principalement à apporter délectation et joie à sa femme, autant qu’il est possible, et à s’unir ainsi. C’est ce que visent nos sages quand ils avertissent : « Il est interdit à l’homme de forcer sa femme à l’accomplissement de la mitsva » (‘Érouvin 100b). Ils enseignent encore : « Quiconque contraint sa femme à l’accomplissement de la mitsva aura des enfants non convenables. » Nous voyons par-là que, bien que l’union soit une mitsva, elle ne l’est plus quand elle vise à satisfaire le seul penchant de l’homme, sans que celui-ci s’efforce de donner du plaisir à sa femme. Ainsi, grâce au tempérament particulier à la femme, l’homme est conduit à devoir lui exprimer davantage ses sentiments d’amour ; grâce à cela, l’union entre eux devient plus profonde et plus parfaite.

Cependant, quand la femme n’éprouve pas d’ardent désir d’union avec son mari, qu’elle ne répond pas à ses avances et ne se réjouit pas en sa compagnie, elle déracine la mitsva. En effet, toute la mitsva consiste, pour l’homme, à réjouir sa femme ; or quand celle-ci ne se réjouit pas, le mitsva est annulée en son fondement. Et si la situation se prolongeait, la femme détruirait ainsi son propre foyer. Comme nous l’avons vu, quand la femme prétend que son mari la dégoûte, celui-ci doit divorcer, tandis qu’elle-même perd le bénéfice de sa ketouba (Ketoubot 63b). Il doit en divorcer, parce qu’il est impossible de mener une vie matrimoniale sans relations conjugales. Elle perd le bénéfice de toutes les compensations prévues par la ketouba, parce qu’elle a annulé, de la façon la plus fondamentale, le principe du mariage[2].


[c]. Objet d’une certaine valeur (de nos jours une bague), que l’homme remet à la femme au cours de la cérémonie de mariage. La remise des qidouchin formalise la création du lien matrimonial.

[2]. Selon Maïmonide (Ichout 14, 8), on contraint l’homme à divorcer, en un tel cas, « car la femme n’est point captive, pour avoir des relations charnelles avec un homme qu’elle hait ; et elle sort de ce lien matrimonial sans la moindre des compensations que prévoit la ketouba. » Mais selon la majorité des décisionnaires, bien que l’homme ait l’obligation de divorcer d’elle, on ne l’y contraint pourtant pas (Choul’han ‘Aroukh, Even Ha’ezer 77, 2). (Peut-être ces décisionnaires visent-ils une situation dans laquelle la femme est entièrement responsable du divorce, car, après avoir exprimé son accord pour épouser son mari, elle a pris celui-ci en dégoût. Aussi, le mari a-t-il la possibilité de demander réparation de son préjudice moral, pour consentir à divorcer).

De même, quand le mari annule les moments d’union auxquels il est obligé, ou qu’il n’est pas prêt à réjouir son épouse par les moyens normalement employés – par exemple, s’il n’est pas prêt à avoir des relations sans vêtements –, la femme peut réclamer le divorce pour cela, et le mari a l’obligation de divorcer et de lui verser l’ensemble des sommes que la ketouba prévoit (Choul’han ‘Aroukh, Even Ha’ezer 76, 13).