Pniné Halakha

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Chapitre 26 – Travail exécuté pendant Chabbat et interdit d’induire son prochain à la faute

01. L’interdit de tirer profit d’un travail effectué pendant Chabbat : généralités

La Torah nous ordonne de ne point exécuter de travaux (mélakha, plur. mélakhot) le jour de Chabbat. Les sages ajoutent à cela une haie protectrice en interdisant de profiter, le Chabbat, d’une mélakha qui a été accomplie pendant ce jour ; il ne convient pas, en effet, de jouir, pendant Chabbat, d’une chose qui est le produit d’une profanation du saint jour. Peu importe que la mélakha ait été faite par inadvertance (bé-chogueg)[a] ou en toute conscience (bé-mézid)[b] : en tout état de cause, il est interdit à tout Juif d’en jouir pendant le reste du Chabbat où elle a été exécutée. Certains pensent toutefois que, si la mélakha a été faite par inadvertance, il est permis d’en tirer profit. Selon certains décisionnaires, on peut s’appuyer sur cette opinion en cas de nécessité pressante (comme nous le verrons au paragraphe suivant). À l’issue du Chabbat, il est permis à tout Juif de tirer profit de la mélakha exécutée pendant ce jour, à l’exception de celui qui l’aurait accomplie en toute conscience : à lui, il sera pour toujours interdit d’en tirer profit (Choul’han ‘Aroukh 318, 1 ; cf. ci-après, § 7).

Si un petit enfant a accompli une mélakha pendant Chabbat : quand il l’a accomplie pour répondre au besoin d’un adulte, il sera interdit d’en tirer profit le Chabbat, ainsi qu’à l’issue de ce jour, jusqu’à expiration du temps qui eût été nécessaire à l’exécution de cette même mélakha ; mais s’il l’a accomplie pour ses propres besoins, il sera permis à un adulte d’en tirer profit pendant Chabbat (cf. ci-dessus chap. 24 § 4).

Si un non-Juif a accompli une mélakha pendant Chabbat à l’intention d’un Juif, il sera interdit d’en tirer profit jusqu’à ce que le Chabbat s’achève, puis que le temps qui serait nécessaire à son accomplissement s’écoule. Cela, afin de ne point profiter d’un ouvrage exécuté pendant Chabbat, et de ne rien gagner à ce qu’a fait le non-Juif pendant Chabbat (cf. ci-dessus, chap. 25, 1, note 2). Mais si le non-Juif a fait cette mélakha pour lui-même, il sera permis au Juif d’en jouir, même pendant le Chabbat (chap. 25 § 2). Dans certains cas, il est permis de demander allusivement à un non-Juif de faire telle mélakha pendant le Chabbat ; ces règles ont été étudiées plus haut (chap. 25 § 3). Pour les nécessités d’une mitsva, ou pour éviter une souffrance, ou encore une perte, nos sages permettent de demander au non-Juif de faire une mélakha interdite rabbiniquement (25 § 4).


[a]. Bé-chogueg : par inadvertance, mais non sans intentionnalité, c’est-à-dire que l’on a l’intention de faire l’acte que l’on fait, mais que l’on ignore, ou que l’on oublie, qu’il est interdit le Chabbat ; ou encore, on ignore ou l’on oublie qu’aujourd’hui c’est Chabbat.

[b]. Bé-mézid : de propos délibéré. L’intention porte, non seulement sur le fait d’accomplir tel acte matériellement, mais encore sur le fait de l’accomplir bien qu’il soit interdit. Car celui qui agit bé-mézid sait qu’aujourd’hui est jour de Chabbat, et que l’acte qu’il accomplit est une mélakha interdite.

02. L’interdit de tirer profit d’une mélakha accomplie pendant Chabbat

Comme nous l’avons vu, si un Juif a fait, pendant Chabbat, une mélakha de manière délibérée (bé-mézid), il lui est interdit, ainsi qu’à tout autre Juif, d’en profiter, pendant toute la durée de ce même Chabbat. Même s’il a fait cette mélakha par inadvertance (bé-chogueg), la majorité des décisionnaires estiment qu’il est interdit à tout Juif d’en tirer profit, car, selon eux, les sages n’ont pas voulu qu’un Juif jouisse d’un travail accompli pendant Chabbat (Choul’han ‘Aroukh 318, 1). D’autres estiment que ce n’est que dans le cas où la mélakha a été accomplie de propos délibéré qu’il est interdit d’en profiter pendant Chabbat, mais que, si elle a été accomplie par inadvertance, il est permis d’en profiter pendant ce jour. Certains estiment que l’on peut s’appuyer sur ce deuxième avis en cas de nécessité pressante (Michna Beroura 318, 7). Toutefois, quand un Juif non pratiquant, sachant que c’est aujourd’hui Chabbat, accomplit une mélakha qui, pense-t-il, est peut-être interdite, on le considère comme agissant de propos délibéré, et, selon les décisionnaires indulgents eux-mêmes, il est interdit de tirer profit, pendant Chabbat, d’une telle mélakha[c][1].

Par conséquent, si un Juif a allumé la lumière pendant Chabbat, il lui est interdit, ainsi qu’à tout autre Juif, de jouir de cette lumière. Toutefois, nous avons déjà vu qu’en cas de nécessité pressante (cha’at had’haq), et à condition que la lumière ait été allumée par inadvertance (bé-chogueg), il sera permis d’en profiter. Mais en dehors d’un cas de nécessité pressante, ainsi que dans le cas où la lumière a été allumée de propos délibéré (bé-mézid), il reste interdit d’en tirer profit.

Cependant, il est permis de faire, après un tel allumage, celles des choses que l’on aurait pu faire sans que la lumière ne fût allumée. Par exemple, si l’on a allumé la lumière de l’escalier, il est permis de monter l’escalier à cette lumière, puisque l’on aurait pu monter dans l’obscurité. On veillera seulement à ne pas monter au pas de course, ce qui serait profiter directement de la lumière. Si c’est dans les toilettes que la lumière a été allumée, il sera permis d’utiliser les toilettes de la façon dont on s’en fût servi si la lumière n’avait pas été allumée. Dans le même sens, il est interdit de ranger, dans la maison, des choses qu’il aurait été impossible de ranger sans la lumière allumée pendant Chabbat. S’il y avait déjà dans la pièce une lumière telle que l’on pouvait y lire à la limite, et que quelqu’un ait allumé une lumière supplémentaire, on pourra continuer de lire, bien que la lecture, à présent, soit rendue plus aisée.

Dans le cas où une lumière était allumée dans une chambre, et que quelqu’un l’ait éteinte de propos délibéré, on pourra néanmoins dormir dans ladite chambre. Bien qu’il soit plus facile de dormir quand la lumière est éteinte, nous ne sommes pas dans le cas d’un profit direct tiré d’une mélakha, mais d’un profit causé par la disparition d’une gêne, si bien que la chose est permise.

Si un Juif a allumé la radio, ou joue d’un instrument pendant Chabbat, il m’est interdit d’en tirer profit en écoutant. Toutefois, quand il  ne m’est pas agréable d’avoir à sortir de la pièce, je n’ai pas l’obligation d’en sortir, puisque c’est contrairement à ma volonté que l’on a allumé la radio ou que l’on joue : je n’ai pas la volonté de profiter de ces sons. Même quand c’est un non-Juif qui a allumé la radio, ou qui joue d’un instrument, il m’est interdit d’en profiter, ce au titre des activités profanes (‘ovdin de’hol), et parce que cela porterait atteinte à l’honneur du Chabbat (cf. ci-dessus, chap. 22 § 19).

De même, si un camarade qui partage ma chambre a fauté, allumant le chauffage, je n’ai pas besoin pour autant de m’empêcher d’entrer dans la chambre où, de façon régulière, je loge. Cependant, a priori, on s’efforcera d’empêcher son camarade de commettre cet interdit. Si l’on n’y a pas réussi, on formera l’intention de ne point profiter de l’acte interdit, et l’on n’approchera point du chauffage pour s’y réchauffer. On restera à sa place habituelle. Et si l’on éprouve, malgré soi, quelque plaisir à ce supplément de chaleur, on n’en fera pas un motif d’interdit pour autant. Mais s’il est possible d’ouvrir la fenêtre afin de ne point profiter du supplément de chaleur, c’est préférable (d’après Rama 276, 1, ‘Aroukh Hachoul’han 4, Michna Beroura 11-13)[2].

Selon certains, s’agissant même d’une mitsva, il est interdit de l’accomplir en s’aidant d’une mélakha qui a été exécutée pendant Chabbat. D’autres pensent que, puisque les mitsvot n’ont pas été données pour en tirer jouissance, ce n’est pas interdit. Selon eux, si une lumière a été allumée pendant Chabbat, il est permis d’étudier la Torah et de prier à cette lumière. Si l’on veut être indulgent en cette matière, on a sur qui s’appuyer. Par contre, si un mets a été cuit pendant Chabbat, et quoique sa consommation participe de la mitsva de la délectation sabbatique (‘oneg Chabbat), tout le monde s’accorde à en interdire la consommation. En effet, la mitsva de ‘oneg Chabbat s’accomplit par le biais d’une jouissance (hanaa), or les sages ont précisément décrété de ne point tirer jouissance d’une mélakha accomplie pendant Chabbat. Dans le même sens, si une lampe a été allumée pendant ce jour, on ne mangera pas à sa lumière[3].


[c]. On aurait pu croire que l’incertitude où se trouvait le non-pratiquant quant au caractère de son acte assimilait celui-ci à un cas d’inadvertance. Mais cette sorte de bénéfice du doute n’a pas lieu de s’appliquer ici : prendre le risque de la transgression, c’est agir de propos délibéré, bé-mézid.

 

[1]. ‘Houlin 15a : selon Rabbi Méïr, quiconque cuit, pendant Chabbat, par inadvertance, est autorisé à manger, durant le Chabbat même, le mets qu’il a cuit ; mais si on l’a fait de façon délibérée, on ne sera autorisé à le consommer qu’à l’issue de Chabbat. Selon Rabbi Yehouda, si l’on cuit pendant Chabbat, que ce soit par inadvertance ou de façon délibérée, il sera interdit, aussi bien à celui qui l’a cuit qu’aux autres Juifs, de manger le mets. À l’issue de Chabbat, il sera permis aux autres de manger ce mets – quelle qu’ait été l’intention de celui qui l’a cuit. Quant à ce dernier : s’il a agi par inadvertance, le mets lui sera permis, mais s’il a cuit de manière délibérée, le mets lui sera interdit pour toujours.

 

Or il est de principe que, dans le cas d’une controverse entre Rabbi Méïr et Rabbi Yehouda, la halakha suive l’avis de Rabbi Yehouda, de sorte que la majorité des Richonim ont tranché dans ce sens, interdisant de profiter, pendant Chabbat, d’une mélakha accomplie pendant ce jour, même par inadvertance. Telle est la position du Rif, de Maïmonide, de Na’hmanide et de nombreux autres auteurs. C’est aussi dans ce sens que tranche le Choul’han ‘Aroukh 318, 1. Une minorité de décisionnaires (Tossephot sur ‘Houlin 15a, Terouma, Ritva, Gaon de Vilna) estiment cependant qu’en cette matière la halakha est conforme à l’opinion de Rabbi Méïr, car Rav [l’un des grands Amoraïm, maîtres de la Guémara, tandis que Rabbi Méïr et Rabbi Yehouda sont des Tannaïm, maîtres de la Michna] instruisait ses élèves à adopter en cela l’opinion de Rabbi Méïr. Le Michna Beroura 318, 7 écrit qu’en cas de nécessité, et uniquement dans le cas d’un acte accompli par inadvertance, on est autorisé à profiter, pendant Chabbat, du mets cuit durant ce jour. En revanche, si l’on a cueilli des fruits par inadvertance, les décisionnaires indulgents eux-mêmes reconnaissent qu’il est interdit d’en profiter pendant Chabbat, car ils sont mouqtsé.

[2]. Hatsava Kehalakha 34, 1-2, Yalqout Yossef 318, 36. C’est aussi ce qui ressort du Har Tsvi, Ora’h ‘Haïm I 185. Par contre, celui qui a allumé la lumière, le chauffage ou la radio de propos délibéré, de même que celui qui lui a demandé de le faire, doivent, selon la halakha, sortir de la pièce, afin de ne profiter en rien de la mélakha (Michna Beroura 276, 13, Yalqout Yossef 318, 14, note 20).

 

[3]. Cf. Sdé ‘Hémed (40, principe 95), qui rapporte les opinions contraires. C’est aussi ce que rapportent Hatsava Kehalakha 33, 7 et Yalqout Yossef 318, 18-20. Si la jouissance est corporelle, comme l’est celle de la consommation, il y a lieu d’être rigoureux, car il n’est pas certains qu’il y ait des opinions indulgentes en un tel cas ; cf. ‘Hayé Adam 62, 6, Igrot Moché, Ora’h ‘Haïm I 126. Quand il n’y a pas de jouissance corporelle, celui qui souhaite être indulgent a sur qui s’appuyer, puisqu’il s’agit d’une controverse portant sur une norme rabbinique. Cela est vrai, à plus forte raison, quand la mélakha a été faite par inadvertance, car alors on peut se référer, comme motif supplémentaire d’indulgence, aux décisionnaires qui tranchent conformément à l’avis de Rabbi Méïr.

03. Cas d’autorisation (interdits rabbiniques commis par inadvertance, actes faits sans intention)

Quand nous disions qu’il est interdit, le Chabbat, de tirer profit d’une mélakha qui a été accomplie pendant ce jour par inadvertance (bé-chogueg), nous visions précisément le cas où la mélakha était interdite par la Torah elle-même. En revanche, si c’est en vertu d’un décret rabbinique qu’elle est interdite, et à condition qu’elle ait été faite par inadvertance, il est permis d’en tirer profit pendant Chabbat. Mais si elle a été faite de matière délibérée (bé-mézid), la règle est semblable à celle qui s’applique à une mélakha interdite par la Torah même : ce n’est qu’à l’issue de Chabbat qu’il sera permis d’en tirer profit (Michna Beroura 318, 3, Béour Halakha ; Yalqout Yossef 318, 3). Par exemple, si l’on procède, pendant Chabbat, aux prélèvements (téroumot), aux dîmes (ma’asserot) et au retrait de la portion usuelle de pâte (‘hala), on enfreint un interdit rabbinique, car ce que l’on fait ressemble au fait de « réparer » (metaqen)[d]. Si l’on a fait de tels prélèvements par inadvertance[e], il sera permis de manger les aliments qui auront été ainsi « réparés » pendant Chabbat. Mais si l’on a fait cela de propos délibéré, ce n’est qu’à l’issue de Chabbat qu’il sera permis d’en manger (Michna Beroura 339, 25 ; cf. ci-dessus, chap. 22 § 5).

Si l’on a mis en marche, par inadvertance, un appareil électrique qui n’est pas doté d’un filament incandescent – par exemple un ventilateur, un climatiseur, un réfrigérateur –, et que l’on veuille être indulgent et profiter de la mise en marche de l’appareil, on aura sur qui s’appuyer, puisque certains décisionnaires estiment que, en un tel cas, on n’aura pas enfreint un interdit toranique (cf. ci-dessus, chap. 17 § 2). Mais si l’on a allumé un poêle électrique doté de bandes métalliques incandescentes, ou une ampoule à filament incandescent, il sera interdit de tirer profit de son acte, le Chabbat, même si on l’a fait par inadvertance, car c’est un interdit toranique que l’on aura transgressé. Si c’est un poêle que l’on a allumé, on ouvrira la fenêtre ou l’on passera dans une autre pièce, afin de ne pas profiter de cette mélakha[4].

Si l’on a accompli la mélakha de manière purement inintentionnelle (mit’asseq[f]), il n’est pas interdit de profiter de ce que l’on a fait, même quand la mélakha est toraniquement interdite, puisqu’elle était dépourvue de toute intention. Par exemple, si, en passant près d’un mur, ou en s’y appuyant, on a causé, sans le vouloir, l’allumage d’une lumière, il sera permis d’en profiter. En effet, il faut distinguer l’acte accompli par inadvertance (chogueg) de l’acte accompli sur le mode inintentionnel (mit’asseq) : à l’époque du Temple, si l’on faisait, par inadvertance, une mélakha interdite – en d’autres termes, si l’on savait que l’on accomplissait une mélakha, mais que l’on ait oublié que c’était Chabbat, ou que l’on ignorât que cette mélakha était interdite –, on devait apporter un sacrifice expiatoire (‘hatat). Mais si l’on avait accompli une mélakha sans y prêter attention, de façon inintentionnelle (mit’asseq), on était quitte de tout sacrifice. Puisque le statut de mit’asseq est plus léger que celui de chogueg, il n’est pas interdit de tirer profit de ce que, sans y mettre la moindre intention, l’on a fait[5].

Mais si quelqu’un allume une lumière de manière machinale, comme il a l’habitude de le faire tout au long de la semaine quand il entre dans une pièce, il est considéré comme ayant fauté par inadvertance (chogueg), bien qu’il n’ait pas nettement pensé à ce qu’il faisait. En effet, en pratique, l’intention qui animait son geste était bien d’allumer une lumière. Il sera donc interdit de tirer profit de cette mélakha.


[d]. Les prélèvements et dîmes rendent propres à être consommés les fruits sur lesquels ils sont faits, de même que le prélèvement de la ‘hala rend la pâte propre à être utilisée. Le fait de mettre une chose en état d’être utilisée est assimilé à un arrangement, une réparation (tiqoun).

 

[e]. C’est-à-dire en oubliant ou en ignorant que les sages l’interdisent, ou en oubliant que c’est Chabbat aujourd’hui.

[4]. Comme nous l’avons vu plus haut, chap. 17 § 2, note 1, de nombreux A’haronim de notre temps estiment que la mise en marche d’appareils électriques non dotés d’un filament incandescent n’est interdite que rabbiniquement. Bien qu’en pratique on ait tendance à être rigoureux en la matière, comme s’il s’agissait d’un interdit toranique, il y a lieu, dans le cas présent, d’associer un autre motif d’indulgence : l’opinion de ceux des décisionnaires qui estiment que la halakha suit Rabbi Méïr, selon lequel, même en matière d’interdit toranique, dès lors que la mélakha a été accomplie par inadvertance, il est permis d’en profiter. C’est ce qu’écrit le Yalqout Yossef 318, 56.

 

[f]. Mit’asseq : littéralement « occupé ». Se dit de celui qui accomplit une mélakha sans aucune intention ni conscience de l’accomplir : la mélakha est l’effet d’une occupation qui ne visait pas à la produire.

[5]. Parmi ceux qui estiment qu’il n’y a pas d’interdit à tirer profit d’une mélakha accomplie sur le mode de mit’asseq : Lé’hem Michné (1, 5), Erets Tsvi 76. Cependant, d’autres sont rigoureux, qui pensent que, même en cas de mit’asseq, un interdit a été commis, et qu’il est donc défendu de profiter d’un tel acte : ‘Oneg Yom Tov, Min’hat Baroukh. Pour Rabbi Aqiba Eiger, certains cas de mit’asseq constituent la transgression d’un interdit toranique, à la manière d’un cas de mélakha accomplie par inadvertance ; dans de tels cas, il est interdit de tirer profit de ses actes. Toutefois, en pratique, dans tous les cas de mit’asseq, la halakha est d’être indulgent. Premièrement, parce que l’interdit de tirer profit d’une mélakha accomplie pendant Chabbat est de rang rabbinique, et qu’en ce cas, la halakha est conforme à l’opinion indulgente. Deuxièmement, il faut associer à ce motif d’indulgence l’opinion des décisionnaires qui se rangent à l’avis de Rabbi Méïr, et qui permettent de tirer profit d’une mélakha faite par inadvertance. Telle est la position du Az Nidberou VI 17 et du Yalqout Yossef 318, 23. Cf. Or’hot Chabbat 25, 4.

04. Acte qui n’a pas produit de changement dans la matière

Selon certains, si la mélakha n’a pas produit de changement dans la matière de l’objet auquel elle s’appliquait, par exemple dans le cas où l’on a transféré l’objet du domaine public au domaine particulier, aucun interdit ne s’applique à l’objet, et il est permis d’en profiter pendant Chabbat : dans notre exemple, il sera permis d’en profiter dans le domaine particulier (Rabbénou Yona, Ritva). La règle est la même s’agissant d’aliments qui ont été apportés en voiture pendant Chabbat : puisque la mélakha n’a produit aucun changement dans ces aliments, ils ne sont pas interdits. D’autres estiment qu’il n’y a pas de distinction à établir entre les différents types de travaux : même si la mélakha n’a rien changé à ces aliments, il sera interdit d’en profiter, dès lors qu’ils auront été apportés de manière interdite (Tossephot, Na’hmanide, Rachba). En pratique, a priori, il y a lieu d’être rigoureux ; mais en cas de nécessité pressante, on peut s’appuyer sur les décisionnaires indulgents, en particulier quand la transgression s’est faite par inadvertance[6].

Si, par le biais de la mélakha exécutée pendant Chabbat, une autre action s’est faite qui, elle, est en soi permise, il sera permis de profiter de celle-ci. Par exemple, si quelqu’un a réparé un marteau pendant Chabbat, il sera interdit de l’utiliser à des actes même permis, tel que le fait de casser des noix. Mais si l’on a passé outre à cet interdit, et que l’on ait cassé des noix au moyen de ce marteau, il sera permis de profiter desdites noix, puisque le fait de casser des noix, en soi, n’est pas un interdit.

Si l’on a ouvert de manière interdite une porte qui était verrouillée, par exemple par le biais d’une carte magnétique, certains disent qu’il est interdit d’entrer par cette ouverture, puisque c’est par un acte interdit que la porte s’est ouverte. D’autres disent que c’est permis, car l’ouverture de la porte n’a créé aucune chose nouvelle : elle a seulement eu pour effet d’ôter une chose qui faisait obstacle au passage. A posteriori, en cas de nécessité, on peut être indulgent. Si quelqu’un a ouvert la porte d’un réfrigérateur et que l’ampoule se soit allumée, il sera permis d’extraire des aliments du réfrigérateur (cf. ci-dessus, chap. 17 § 9).

Si un Juif qui n’observe pas le Chabbat s’approche d’une porte électrique, provoquant ainsi l’ouverture de celle-ci, il sera interdit d’entrer dans la pièce par ce passage. Ce n’est qu’en cas de nécessité pressante que l’on pourra être indulgent. Mais si un Juif, passant par-là, a provoqué l’ouverture de ladite porte sans en avoir l’intention, il sera permis d’entrer (cf. chap. 17 § 11)[7].


[6]. Pour Rabbénou Yona et le Ritva, si aucun changement n’est opéré dans le corps de l’objet, l’interdit de ma’assé Chabbat (produit du Chabbat) ne s’applique pas à lui. C’est aussi l’avis du Qorban Netanel. Selon Tossephot, Na’hmanide et le Rachba, il n’y a pas lieu d’être indulgent en cela, et c’est ce qu’écrit le Har Tsvi. En pratique, en cas de nécessité, quand la mélakha a été faite par inadvertance, on peut être indulgent (c’est ce qui ressort du ‘Hayé Adam 9, 11, du Michna Beroura 318, 7 et du Béour Halakha 318, 1 ד »ה אחת). En cas de nécessité pressante, on peut même pousser l’indulgence jusqu’au cas où la mélakha a été faite de manière délibérée, puisque l’interdit de tirer profit d’un travail sabbatique est rabbinique. Cf. Yabia’ Omer X 25. Telle est la règle lorsqu’on a porté de la nourriture à des soldats au moyen d’une voiture : en cas de nécessité pressante, on pourra la manger. Mais si la consommation de cette nourriture devait avoir pour effet que l’on continue à profaner le Chabbat à l’avenir, il ne faudra pas la manger (Hatsava Kehalakha 35, 10). Toutes les opinions s’accordent sur le fait que, si l’on a apporté, de propos délibéré, des fruits provenant de l’extérieur du périmètre d’habitation sabbatique (te’houm) (à une hauteur inférieure à 10 téfa’him), il sera interdit d’en tirer profit, comme l’expliquent le traité ‘Erouvin 41b et le Choul’han ‘Aroukh 405, 9. La raison en est, selon Rabbénou Yona, que les sages ont voulu renforcer, en la matière, l’autorité de leurs paroles.

 

S’agissant des mélakhot exécutées par un non-Juif, tout le monde s’accorde à dire que le transfert de domaine à domaine est une mélakha aussi importante qu’une autre. Si un non-Juif a apporté une chose à l’intention d’un Juif, en faisant un interdit de la Torah, il sera donc interdit à tout Juif d’en profiter, jusqu’à ce que s’écoule, à l’issue de Chabbat, le temps qui serait nécessaire pour accomplir cette même mélakha ; cela, afin que l’on n’en vienne pas à demander à un non-Juif de faire des travaux. Si la mélakha exécutée par le non-Juif est un interdit rabbinique, il sera interdit au Juif à l’intention duquel la mélakha a été faite d’en profiter, jusqu’à ce que s’écoule, à l’issue de Chabbat, le temps qui serait nécessaire à son accomplissement ; quant aux autres Juifs, il leur sera permis d’en profiter pendant Chabbat (Choul’han ‘Aroukh 325, 10), comme expliqué ci-dessus, chap. 25 § 1.

[7]. Selon Mor Ouqtsi’a, Maamar Mordekhaï et Nehar Chalom, si quelqu’un a allumé un feu, un jour de fête (Yom tov), de manière interdite, et que l’on ait cuisiné un mets sur ce feu, il sera permis de profiter du mets, puisque, par la cuisson elle-même, aucun interdit n’a été transgressé (contrairement à l’avis du Taz 502, 1) [il est permis, le Yom tov, de cuisiner sur une flamme déjà existante]. Il apparaît donc qu’il est permis de tirer profit du produit dérivé d’un travail accompli pendant Chabbat.

 

Si une personne a apporté une clef en passant par le domaine public, la permission ou l’interdit de s’en servir dépend de la controverse, déjà citée : est-il permis de tirer profit d’une mélakha qui n’a point engendré de changement dans la matière de la chose ? En cas de nécessité pressante, on pourra être indulgent. En tout état de cause, si la porte a déjà été ouverte, le fait d’entrer par ce passage ne constitue pas une jouissance tirée de l’interdit lui-même, mais du dérivé d’un interdit ; or nous avons vu que, en un tel cas, il est permis d’en profiter. Tel est l’avis du Rav Chelomo Zalman Auerbach et du Rav Yossef Chalom Elyachiv. (Toutefois, le Igrot Moché, Ora’h ‘Haïm II 77 l’interdit ; cf. Igrot Moché ibid. 71).

 

Si quelqu’un a ouvert la porte de manière interdite, par exemple en utilisant une carte magnétique, il est en revanche interdit d’en profiter, car l’interdit consiste dans le fait même de l’ouverture (selon Tossephot, Na’hmanide et le Rachba, qui pensent que, même en matière de transfert de domaine, l’interdit de ma’assé Chabbat s’applique). C’est évidemment la position du Igrot Moché, qui semble être aussi celle du Rav Chelomo Zalman Auerbach. Toutefois, le Rav Yossef Chalom Elyachiv (Mélakhim Omnayikh p. 525) autorise à profiter de l’ouverture de cette porte (faite au moyen d’un passe magnétique) car cette ouverture s’analyse uniquement comme le retrait d’un obstacle, ce dont il n’est pas interdit de profiter. Quoi qu’il en soit, en dehors même de cet argument, nous avons vu en note 6 que l’on peut, en cas de nécessité pressante, s’appuyer sur l’opinion de Rabbénou Yona.

 

Si quelqu’un a ouvert la porte d’un réfrigérateur, provoquant ainsi l’allumage de l’ampoule, il sera permis, de l’avis même du Rav Auerbach, de sortir des aliments du réfrigérateur, puisque l’allumage de l’ampoule ne s’est fait qu’incidemment (Chemirat Chabbat Kehilkhata 10, 16, note 47). Cf., sur tous ces points, Or’hot Chabbat 25, 29-32, Bérourim 14.

 

Quand un non-pratiquant a ouvert une porte électrique en s’en approchant, il y a lieu d’être plus rigoureux, en raison de la profanation du nom divin que cela constitue, car entrer ou sortir serait s’aider de la transgression commise par autrui. Toutefois, en cas de nécessité pressante, faute de choix, on pourra s’appuyer sur Rabbénou Yona, cf. ci-dessus, chap. 17 § 11, note 11.

05. Si l’on a, passant outre, accompli un acte controversé par les décisionnaires

L’interdit de tirer profit d’une mélakha accomplie pendant Chabbat ne s’applique que lorsqu’il est certain que l’acte était défendu. En revanche, si quelqu’un a accompli un acte qui est controversé, et quoique en pratique on ait l’usage de retenir l’opinion des décisionnaires rigoureux, il sera permis, a posteriori, de profiter de cette mélakha. Cela s’explique par le fait que tout l’interdit de jouir d’un travail accompli pendant Chabbat est fondé sur les paroles des sages ; aussi, lorsqu’il y a controverse quant au fait de savoir s’il est interdit de tirer profit de telle mélakha, la halakha suit l’opinion indulgente, conformément au principe selon lequel, en cas de doute portant sur une norme rabbinique, on est indulgent (Peri Mégadim, Michna Beroura 318, 2).

Par exemple, si l’on a cuit de la viande crue, il sera interdit de la manger pendant Chabbat, puisqu’il est certain qu’une défense a été enfreinte. Mais si l’on a pris un plat qui était déjà partiellement cuit, à un degré tel que l’on aurait pu le manger en cas de nécessité pressante, et qu’on l’ait posé sur le feu, jusqu’à ce qu’il achève sa cuisson, il sera permis de le manger pendant Chabbat. En effet, bien que la halakha (Choul’han ‘Aroukh 318, 4) ait été tranchée conformément à l’avis de ceux qui estiment que cet acte est toraniquement interdit, il n’en reste pas moins que, selon d’autres avis, une fois que le plat est consommable dans un cas de nécessité pressante, l’interdit de cuisson ne s’y applique plus (cf. ci-dessus, chap. 10 § 2, note 1). Par conséquent, si l’on a, passant outre à la halakha telle qu’elle fut tranchée, achevé la cuisson d’un tel plat, il sera permis de le consommer.

De même, si une personne a pris de la soupe froide, qui avait cuit avant Chabbat, et qu’elle l’ait placée sur la plaque chauffante (plata) pendant Chabbat, jusqu’à ce que cette soupe se réchauffe, il sera permis de la manger. En effet, bien que, de l’avis de beaucoup (Choul’han ‘Aroukh 318, 4), on ait transgressé par là un interdit toranique, la chose était permise aux yeux de Maïmonide (cf. chap. 10 § 5-6).

De même, si l’on a mis un sachet de thé dans un verre, et que l’on ait versé par-dessus de l’eau bouillante, directement issue de la bouilloire, qui est un keli richon (ustensile de premier degré) : bien que, du point de vue halakhique, il soit interdit de faire cela – puisque, selon la majorité des décisionnaires, un jet d’eau bouillante versé depuis un keli richon a pour effet de cuire dans sa superficie l’aliment qui le reçoit (cf. chap. 10 § 7-8) – il sera permis, a posteriori, de boire le verre de thé. En effet, certains auteurs pensent que l’interdit de cuisson (bichoul) n’est pas applicable dans un tel cas, car, selon eux, ce n’est que dans le cas où l’on plonge un sachet de plantes dans le keli richon que l’on transgresse l’interdit de bichoul, tandis qu’un jet d’eau bouillante sur un sachet de thé ne saurait cuire (Rachbam, Na’hmanide, Rachba).

06. Coupure de courant

Quand une coupure de courant survient dans la ville ou dans le quartier, il est permis à des techniciens juifs de réparer la panne, et d’alimenter de nouveau en courant tous les appartements du quartier. Cela parce que, dans de nombreux quartiers, il y a des malades qui ont besoin d’appareils électriques, sans lesquels leur vie serait en danger ; de sorte que, face à la possibilité qu’une vie humaine soit à sauver, on a l’obligation de mettre fin à la coupure de courant. Or, puisque c’est de manière permise que l’électricité aura été rétablie, il sera permis à tous les habitants du quartier de profiter pendant Chabbat de l’électricité ainsi remise en service (cf. ci-dessus, chap. 17 § 5). S’il se trouvait sur la plaque chauffante électrique (plata) des plats qui ont refroidi pendant la coupure de courant, et que ces plats se soient réchauffés à la faveur du rétablissement du courant, il sera permis de les consommer. Même s’ils n’avaient pas eu le temps de cuire avant la coupure de courant, et qu’ils aient pu cuire après le rétablissement du courant, il sera permis de les manger, puisque c’est de manière permise qu’ils auront cuit.

Si le site où la panne de courant est survenue est petit, et qu’il soit certain qu’il n’y ait aucune crainte qu’une vie y soit mise en danger par cette panne, il sera interdit de rétablir le courant. Si, dans un tel cas, on a néanmoins rétabli le courant et que cela ait provoqué l’allumage d’une lampe, il sera interdit d’en profiter en faisant, à sa lumière, des choses que l’on n’aurait pu faire sans elle (comme nous l’avons vu au paragraphe 2). Si c’est un plat qui s’est réchauffé à la suite d’une telle réparation interdite, il faudra attendre qu’il refroidisse ; il sera alors permis de le manger. Mais si le courant, rétabli ainsi de manière interdite, a eu pour effet de cuire ledit plat, il sera interdit de le manger (Rav Chelomo Zalman Auerbach cité par Chemirat Chabbat Kehilkhata 32, note 182 ; cf. ci-dessus chap. 10 § 3).

07. Tirer profit, à l’issue de Chabbat, d’une mélakha faite pendant Chabbat

Comme nous l’avons vu, si quelqu’un fait une mélakha par inadvertance (bé-chogueg) pendant Chabbat, il lui est permis, ainsi qu’à tout autre Juif, d’en tirer profit dès l’issue de Chabbat. Si l’on a fait cette mélakha de façon délibérée (bé-mézid), il sera pour toujours interdit à celui qui l’a faite d’en profiter, tandis que les autres pourront en profiter à l’issue de Chabbat. Si donc on a cuit un aliment de propos délibéré pendant Chabbat, il sera pour toujours interdit à l’auteur de la cuisson de manger l’aliment, tandis qu’aux autres, y compris ceux pour qui on a fait cette cuisson, il sera permis de le manger à l’issue de Chabbat (Michna Beroura 318, 5). De même, si l’on a construit une maison durant Chabbat, il sera permis aux autres personnes d’en profiter à l’issue de Chabbat, tandis qu’il sera interdit pour toujours à celui qui a construit de s’en servir. En revanche, il pourra vendre la maison à d’autres (Michna Beroura 318, 4).

Si l’on a, de propos délibéré, lavé ses vêtements pendant Chabbat, il sera interdit, même après Chabbat, de les porter, car il est interdit pour toujours de tirer profit des travaux que l’on a accomplis délibérément. La solution consiste à les relaver durant la semaine : il sera alors permis de les porter (Ben Ich ‘Haï, seconde année, Vaye’hi 19).

Quand un Juif non pratiquant est habitué à travailler pendant Chabbat à l’intention d’autrui, il est interdit à toute personne à l’intention de laquelle le travail a été fait de profiter dudit travail, même à l’issue de Chabbat. Ce n’est que dans le cas où le travail a été fait de manière occasionnelle qu’il sera permis aux tiers d’en profiter à l’issue de Chabbat. En effet, il n’est pas à craindre que ces tiers demandent à un Juif de profaner le Chabbat afin de jouir de son travail à l’issue de ce jour. En revanche, si ce Juif non pratiquant a l’habitude de travailler ainsi, il sera interdit pour toujours de profiter du travail qu’il a effectué pendant Chabbat. Par exemple, si un Juif a l’habitude de cuire du pain, le Chabbat, pour le vendre le samedi soir, et quand bien même ce pain serait fait d’ingrédients cachères, il sera interdit à tout Juif de consommer de ce pain qui a cuit pendant Chabbat. En effet, si l’on en mangeait, on encouragerait ce Juif à continuer de profaner le Chabbat, et l’on s’associerait à une transgression. De même, quand, dans un restaurant, un cuisinier juif prépare des plats pour les besoins des clients du samedi soir, il est interdit à tout Juif d’y manger à l’issue de Chabbat.

Il est de même interdit de regarder, à l’issue de Chabbat, des tournois sportifs ou quelque autre spectacle qui aurait été filmé ce jour-là par des Juifs : puisque le tournage du film a été réalisé en profanation du Chabbat, de façon délibérée, pour que les téléspectateurs le regardent le samedi soir, il leur sera interdit de tirer profit de cette profanation du Chabbat. Dans le même ordre d’idées, quand des fruits et des légumes sont apportés au marché le dimanche, et que l’on sait qu’ils ont été cueillis le Chabbat, il est interdit à tout Juif d’en manger[8].

Si, dans une laiterie, on profane le Chabbat au moment de la traite des vaches (cf. ci-dessus, chap. 20 § 4), il sera néanmoins permis, si l’on s’en tient à la stricte obligation, d’en acheter les produits laitiers. En effet, le lait qui a été trait pendant Chabbat est mélangé à un lait trait les autres jours ; de plus, pour chaque sachet de lait que nous achetons, il n’est pas certain que le lait qu’il contient ait été trait pendant Chabbat de manière défendue. Or l’interdit de tirer profit d’un travail effectué pendant Chabbat est de rang rabbinique, de sorte que s’applique le principe selon lequel, en cas de doute, on est indulgent. De même, s’agissant d’une usine qui fabrique du papier tout au long de la semaine, Chabbat compris : si l’on s’en tient à la stricte obligation, il est permis d’acheter le papier produit par cette usine. Toutefois, il faut toujours préférer acheter les produits fabriqués par des usines ou des sociétés qui respectent scrupuleusement le Chabbat. Si tous ceux qui observent le Chabbat s’unissaient pour mettre en œuvre la fortification du statut du Chabbat, on pourrait interdire, pour répondre aux nécessités de l’époque, de tirer profit de produits fabriqués par des usines où le Chabbat est profané (cf. Yalqout Yossef 318, 72, 74-75, Or’hot Chabbat 25, 57-61).


[8]. Certes, quand un Juif a, de façon délibérée, cuit un plat pendant Chabbat à l’intention de son prochain, il ne sera interdit d’en profiter à l’issue de Chabbat qu’à celui qui l’a cuit, tandis que celui à l’intention duquel on l’a cuit sera autorisé à en profiter immédiatement, comme l’expliquent le Beit Yossef et le Michna Beroura 318, 5. Néanmoins, les responsa Ktav Sofer, Ora’h ‘Haïm 50 expliquent que cette règle ne concerne qu’un Juif pratiquant ; par contre, s’il s’agit d’un renégat (moumar, Juif qui a l’habitude de commettre une telle faute), il sera interdit pour toujours à toute personne pour laquelle la mélakha a été faite d’en profiter. Car si l’on en profitait, l’auteur de la mélakha continuerait de fauter, et ce serait renforcer les transgressions des pécheurs. Certes, les responsa Har Tsvi (Ora’h ‘Haïm 180) sont indulgentes à l’égard des tiers, tant que la profanation du Chabbat n’a pas été faite avec leur approbation. Mais de nombreux A’haronim donnent pour instruction d’être rigoureux (Or lé-Tsion II 30, 1, Yalqout Yossef 318, 6 et 318, 71-76, Or’hot Chabbat 25, 8).

 

Quand un non-pratiquant a cuit, de façon délibérée, un mets cachère dans une marmite : le Maguen Avraham, se fondant sur le Rachba, estime que, de même que le mets est interdit à jamais à l’auteur de la cuisson, de même lui est-il interdit de se resservir de la marmite avant de l’avoir immergée dans l’eau bouillante (processus de cachérisation appelé hag’ala). C’est aussi l’avis du Peri Mégadim et du Michna Beroura 318, 4. D’autres estiment que les sages n’ont visé, par leur interdit, que le mets et non la marmite ; c’est aussi l’opinion de Rabbi Aaron Halévi et du Roch au sujet des mets cuits par des non-Juifs : selon eux, la marmite dans laquelle ils ont cuisiné n’est pas interdite. Si telle est leur position quant à des mets cuits par des non-Juifs, dont le statut est plus restrictif – car la consommation de ces mets est interdite à tout Juif pour toujours –, à plus forte raison serait-ce leur opinion en matière de produit d’un travail sabbatique, cas dans lequel le mets n’a été interdit qu’à celui qui l’a fait cuire. De plus, pour Rabbi Méïr, si l’acte a été fait par inadvertance, le mets ne sera pas même interdit à celui qui l’a fait cuire (‘Erekh Hachoul’han 318, 1, Liviat ‘Hen 42). Quoi qu’il en soit, tous les avis s’accordent à dire que la marmite restera cachère pour les autres, puisque le mets lui-même leur est permis à l’issue de Chabbat.

08. Règles applicables à l’issue de Chabbat

Il est permis d’écouter les informations présentées par des Juifs, le samedi soir, une demi-heure environ après l’issue de Chabbat, afin de laisser s’écouler le temps nécessaire afin que les rédacteurs du journal radiophonique ou télévisé puissent rassembler les informations et rédiger leur journal. Mais si l’on écoutait les nouvelles auparavant, on enfreindrait l’interdit de tirer profit du travail de Chabbat. Quant aux autres programmes, il est permis de les écouter après l’écoulement d’environ un quart d’heure depuis l’issue de Chabbat, car il est possible d’organiser l’émission dans ce délai. Même quand les techniciens et les présentateurs viennent d’un lieu éloigné, d’où ils ont voyagé pendant Chabbat, il n’est pas interdit aux auditeurs d’écouter l’émission, puisque cet éloignement ne leur est pas spécialement nécessaire ni profitable.

Quand on est en Israël, il est interdit d’écouter une émission animée par des Juifs d’Amérique, à l’issue de Chabbat. En effet, le Chabbat ne se termine en Amérique que sept à dix heures après son achèvement en Israël, de sorte que l’auditeur d’émissions diffusées pendant ce laps de temps profiterait d’une profanation de Chabbat. S’il s’agit d’une émission animée par des Juifs d’Europe de l’Ouest, il sera interdit de l’écouter durant deux heures environ après l’issue de Chabbat en Israël. Si les animateurs sont non-Juifs, il sera permis d’écouter immédiatement à l’issue du Chabbat en Israël[g].

Il est permis de voyager en autobus une demi-heure environ après l’expiration du Chabbat, car c’est le temps nécessaire au conducteur pour arriver à la station sans profaner celui-ci. Si l’autobus suit un long itinéraire, de telle façon qu’il est certain que le trajet a commencé en profanation du Chabbat, certains décisionnaires interdisent de le prendre (Min’hat Yits’haq IX 39, Or’hot Chabbat 25, 62). D’autres le permettent (Michné Halakhot 7, 50). D’après de nombreux auteurs, si l’on s’en tient à la stricte règle, il n’y a pas d’interdit, car celui qui monte dans un autobus une demi-heure environ après l’issue de Chabbat ne profite pas de ce que l’autobus ait roulé pendant Chabbat. Pourtant, il convient d’être rigoureux afin de contribuer à ce que soit mis un terme à cette transgression (Tsits Eliézer XIII 48, Chemirat Chabbat Kehilkhata 59, 9, Yalqout Yossef 318, 76).


[g]. L’auteur, rabbin israélien, se place du point de vue d’Israël. Si l’on habite en Europe, le même genre de calcul est à faire pour les émissions diffusées depuis l’Amérique par des Juifs.

09. À l’égard des non-pratiquants (l’interdit d’induire son prochain à la faute)

La Torah nous ordonne de ne point faire trébucher notre prochain en l’induisant à la faute, comme il est dit : « Devant un aveugle, tu ne placeras pas d’obstacle » (Lv 19, 14 ; Maïmonide, Rotséa’h 12, 14). Dans le cas où, même en l’absence de toute assistance, notre prochain eût de toute façon trébuché et commis une faute, beaucoup estiment que celui qui l’aide à la commettre ne transgresse pas en cela d’interdit toranique ; mais il reste l’interdit rabbinique d’assister autrui dans sa faute. Par conséquent, il nous est interdit de donner à un non-pratiquant la permission d’utiliser, pendant Chabbat, celles de nos affaires qui sont d’usage défendu, telles que notre voiture ou notre radio.

De même, il est interdit d’indiquer son chemin à un Juif qui est au volant de sa voiture et qui s’arrête pour demander sa route ; cela, malgré le fait que, si on ne lui indique pas, son trajet s’en trouvera prolongé. Il y a deux raisons à cela : la première est qu’il est interdit d’assister celui qui commet une faute ; la seconde est qu’il est interdit, le Chabbat, de s’entretenir de la réalisation de travaux interdits (cf. ci-dessus, chap. 22 § 9). Il est bon, en un tel cas, de s’excuser auprès de la personne, en lui expliquant que l’on ne peut lui indiquer son chemin parce que la chose est interdite le Chabbat[9].

Il est permis à un soldat pratiquant d’allumer la lumière des toilettes, avant Chabbat, bien qu’il sache qu’après cela un soldat non pratiquant viendra, qui éteindra la lumière ; il n’y a pas lieu, en effet, de renoncer à son droit de maintenir la lumière allumée, afin que son camarade non pratiquant ne transgresse pas l’interdit d’éteindre. De plus, il est vraisemblable que, de toute façon, le camarade non pratiquant allumerait puis éteindrait la lumière (Rav Chelomo Zalman Auerbach, cité par Hatsava Kehalakha 31, 5).

Il est permis d’inviter un non-pratiquant à passer chez soi tout un Chabbat, même si l’on sait qu’après le repas du vendredi soir il rentrera chez lui en auto. Cela, à condition qu’on lui propose sincèrement un endroit pour dormir, de façon que l’invitation ne se solde pas nécessairement par une profanation du Chabbat. Bien que certains soient rigoureux en la matière, on peut être indulgent quand l’intention est de prodiguer abondamment son amour du prochain et de le rapprocher de la Torah. Toutefois, il arrive que, pour des motifs éducatifs[h], il y ait lieu d’être rigoureux.

Certains décisionnaires interdisent d’organiser la cérémonie de bar-mitsva d’une famille non-pratiquante pendant Chabbat, lorsqu’il est certain qu’une partie des invités viendront à la synagogue en voiture. En effet, accorder que l’on fixe la date de la cérémonie au Chabbat signifierait que l’on donne son accord à la profanation de ce jour. D’autres permettent que l’on fixe au Chabbat la cérémonie puisque, de toute façon, ces invités non pratiquants profaneraient autrement le saint jour, et que les responsables de la synagogue ne leur ont en rien demandé de prendre leur voiture, mais ont, au contraire, intérêt qu’ils viennent à pied. En pratique, quand des invités non pratiquants honorent la synagogue et se gardent de profaner le Chabbat à l’intérieur, il est permis de fixer au Chabbat la cérémonie synagogale de bar-mitsva. Toutefois, de l’avis de beaucoup, il est préférable de suggérer à la famille de fixer à l’après-midi du lundi ou du jeudi la fête donnée à l’occasion de l’appel à la Torah du jeune bar-mitsva.

Les décisionnaires sont également partagés quant au fait de fixer au Chabbat une berit-mila (circoncision), dans le cas où il est certain que nombre de membres de la famille profaneraient le Chabbat en se rendant en voiture à la cérémonie. En pratique, le mohel (circonciseur) est autorisé à fixer la berit-mila au Chabbat[10].


[9]. Certes, le Rav Nebenzahl rapporte au nom du Rav Chelomo Zalman Auerbach qu’il est préférable d’indiquer son chemin à l’automobiliste afin de limiter sa transgression. Toutefois, le Tsits Eliézer XV 18 et le Yalqout Yossef II p. 180 l’interdisent. Cf. Ré’akha Kamokha p. 152-156. Quant au fait d’assister un Juif qui, même sans cette assistance, peut commettre la transgression, certains estiment que l’interdit est rabbinique (Tossephot, Rama sur Yoré Dé’a 151, 4) ; d’autres pensent que, selon Rabbénou ‘Hananel et Maïmonide, l’interdit est toranique (Meloumdé Mil’hama p. 33 s.) ; d’autres enfin estiment que, si le profanateur est un renégat (moumar) et agit de propos délibéré, il n’y a pas d’interdit (Chakh sur Yoré Dé’a 151, 6). Il est convenu de considérer cela comme un interdit rabbinique.

[h]. Afin que ses enfants ne soient pas troublés par la visite d’une personne qui, ensuite, prendrait sa voiture pendant Chabbat.

 

[10]. Le Igrot Moché I 98-99 et IV 71 interdit d’inviter un non-pratiquant à un événement familial prévu le Chabbat, quand on sait qu’il viendra en voiture ou en transports publics. Cependant, il permet, en cas de nécessité, d’informer de l’événement. C’est aussi la position du Chévet Halévi 8, 256. Le ‘Hayé Adam ad loc. 205 et 4, 135 interdit de fixer une berit-mila au Chabbat quand il est à prévoir que cela entraînera la profanation de ce jour (voyages et photos).

 

Face à cela, le Rav Chelomo Zalman Auerbach estime qu’il est permis d’inviter un non-pratiquant à passer chez soi le Chabbat, si on lui donne la possibilité de passer cette journée sans profanation. Ses propos sont cités par Rivevot Ephraïm 7, 402 et par Choalin Oudrouchin II pp. 18-19. Le Tsits Eliézer VI 3 autorise à fixer au Chabbat une berit-mila, bien que cela occasionne une profanation du Chabbat par certains invités. Cf. Ré’akha Kamokha pp. 157-163.

 

Nous avons recommandé l’indulgence, puisque, même sans une telle cérémonie, les non-pratiquants profanent le Chabbat. De plus, lorsqu’ils sont à la synagogue, ils ne profanent pas le Chabbat, si bien qu’alors il n’y a point d’assistance donnée à une faute, puisque en pratique leur profanation s’en trouve réduite. Toutefois, pour qu’une fête de bar-mitsva ne soit pas l’occasion de fautes, il est préférable de fêter le premier appel à la Torah l’après-midi du lundi ou du jeudi : on rassemblera un minyan pour la prière de Min’ha, et comme les membres de ce minyan n’auront pas entendu la lecture de la Torah le matin même, il leur sera permis de procéder à la lecture, assortie de ses bénédictions, à cet office de Min’ha (La Prière d’Israël 22, 9). De cette manière, ils pourront aussi photographier ou filmer la montée à la Torah. En revanche, pour une berit-mila, dont la date est fixée par la Torah, il est préférable de l’accomplir le Chabbat.

10. Appareils et sites Internet fonctionnant pendant Chabbat

S’agissant des distributeurs de boissons et d’aliments, dans lesquels l’acheteur introduit des pièces de monnaie avant que la machine ne livre le produit demandé : dans le cas où la majorité des acheteurs sont juifs, il faut faire cesser leur fonctionnement avant Chabbat, afin de ne pas aider à la profanation du jour. Si la majorité des acheteurs sont non juifs, il n’est pas nécessaire d’en interrompre le fonctionnement le Chabbat (cf. Chemirat Chabbat Kehilkhata 29, 28-29, note 75). La monnaie introduite par les acheteurs non juifs n’a pas le statut de salaire de Chabbat, puisque le paiement vise principalement les produits alimentaires, et non le fonctionnement de la machine.

Quant aux sites Internet destinés aux Juifs : certains estiment qu’il faut en suspendre le fonctionnement pendant Chabbat, afin de ne pas aider ceux qui fauteraient en les consultant. En pratique, puisque la chose est difficile, il n’y a pas d’obligation à suspendre le fonctionnement d’un site juif : puisque celui qui le visite pourrait profaner le Chabbat en « surfant » sur d’autres sites, et que le propriétaire du site n’a rien fait pour qu’on y entrât pendant Chabbat, il n’est pas interdit de le laisser en ligne. Si le site est destiné à la vente en ligne, et que la majorité de ceux qui y entrent soient juifs, il faut s’efforcer de fermer le site le Chabbat, puisque son propriétaire en tirerait lui aussi un bénéfice pécuniaire. Si la chose est très difficile, ce n’est pourtant pas obligatoire : puisque ceux qui visitent le site profanent le Chabbat de manière délibérée et qu’ils sont considérés comme renégats à cet égard, certains décisionnaires estiment que l’interdit d’aider à l’accomplissement d’une faute ne s’applique pas à eux.

Si la majorité des acheteurs en ligne sont non juifs, il n’est pas nécessaire de suspendre le fonctionnement du site pendant Chabbat. Les achats réalisés pendant Chabbat ne seront pas considérés comme salaire du Chabbat, puisque les paiements rémunèrent la programmation du site effectuée pendant la semaine[11].


[11]. Cf. encore Or’hot Chabbat 22, 41, qui écrit, en note 55, qu’il semble que le statut du site de vente en ligne soit comparable à celui du distributeur automatique. Certains décisionnaires, il est vrai, sont rigoureux en tout cela, comme le rapporte le Qedouchat Hachabbat II p. 15 s. Toutefois, il semble plus juste de trancher dans le sens indiqué ci-dessus. C’est ce que concluent les responsa Maré Habézeq V 37-40. Expliquons les fondements de la question : pour le Maharil Diskin (Qountras A’haron 145), il n’est pas obligatoire de faire des dépenses pour prévenir la transgression de l’interdit de « placer un obstacle devant un aveugle », lequel interdit est toranique. Pour le ‘Atsé ‘Haïm (4, 5), ce n’est que pour prévenir la transgression de l’interdit d’aider à la profanation de Chabbat, interdit rabbinique, qu’il n’est pas obligatoire de faire des dépenses. Quoi qu’il en soit, le maintien en ligne de sites de vente pendant Chabbat n’est qu’une aide, et non un obstacle positivement dressé devant l’internaute, puisqu’il existe toujours l’alternative d’acheter par d’autres sites. Selon le Chakh, la notion d’aide apportée à la profanation de Chabbat n’est même pas applicable quand le profanateur est considéré comme renégat (moumar). Par conséquent, quand la chose est difficile, il n’est pas obligatoire de suspendre la mise en ligne du site pendant Chabbat.

 

L’interdit du commerce ne s’applique pas au propriétaire du site, car lui-même ne fait aucun acte : ce qui s’inscrit sur le site est seulement l’engagement de réaliser la transaction, tandis que l’argent ne sera lui-même encaissé qu’après Chabbat. Si chaque visite du site cause automatiquement une rémunération, on peut dire que celle-ci vise la programmation du site, faite avant Chabbat, de même que nos maîtres ont permis le paiement d’une immersion au bain rituel (miqvé) ou la location d’une chambre, cas dans lesquels le paiement vise l’entretien et le chauffage, effectués avant Chabbat (Noda’ Biyehouda, deuxième édition, Ora’h ‘Haïm 26 ; cf. ci-dessus, chap. 22 § 14, note 9). Il faut ajouter à ces motifs d’indulgence les propos du Béour Halakha 244, 6, qui autorise le salaire de Chabbat dans le cas où cela permet d’éviter une grande perte. Il n’y a pas non plus lieu de craindre d’apparences trompeuses (marit ‘ayin), car tout le monde comprend que le site peut rester en service pendant Chabbat sans que le Juif qui le possède ne profane le saint jour.

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