La prière d’Israël

04 – Les deuxième et troisième paragraphes

Dans le deuxième paragraphe, Véhaya im chamoa’ (Dt 11, 13-21), nous apprenons la valeur des commandements de la Torah, la récompense de ceux qui les observent et la punition de ceux qui les transgressent. Nous apprenons que, si nous aimons Dieu, le servons de tout notre cœur et observons ses mitsvot, nous mériterons la bénédiction divine, la terre donnera son produit, nos jours et ceux de nos enfants se prolongeront sur la terre que l’Eternel a juré de donner à nos ancêtres et à nous-mêmes. Et si, à Dieu ne plaise, nous nous détournions du chemin, la colère divine s’enflammerait contre nous, la terre ne donnerait pas son produit, et nous disparaîtrions de ce bon pays. Puis la Torah nous ordonne une nouvelle fois de méditer ces principes,  nous enjoint de placer les paroles de ce paragraphe, Véhaya im chamoa’, dans les téphilines du bras et de la tête, et de fixer ce même paragraphe sur les poteaux des portes de nos maisons. Dans le premier paragraphe, l’accent était mis sur notre orientation vers le Ciel, sur le don de toutes les forces de notre âme au service de Dieu. Dans le deuxième paragraphe, l’accent est mis sur la révélation de la conduite divine dans le monde. Cette révélation s’exprime par l’observance des mitsvot, ainsi que par la récompense et par la punition, qui manifestent, elles aussi, la providence de Dieu sur le monde.

Le troisième paragraphe, Vayomer (Nb 15, 37-41), expose la mitsva des tsitsit, qui possède une vertu particulière, celle de pouvoir nous rappeler toutes les mitsvot et d’éveiller notre conscience à leur observance, comme il est dit : « Vous vous souviendrez de tous les commandements de l’Eternel et vous les accomplirez. » Une allusion à cela se trouve dans le fait que la mitsva des tsitsit s’accomplit le jour et non la nuit : le jour fait allusion au dévoilement clair de la parole de Dieu dans le monde. Par le dévoilement de la lumière des mitsvot et par leur rappel, nous trouvons la force de surmonter le penchant au mal, comme il est dit : « Vous les accomplirez, et vous ne vous égarerez pas à la suite de vos cœurs et de vos yeux, à la suite desquels vous vous prostitueriez. » À la fin de cette paracha, est mentionnée la sortie d’Egypte, que nous avons l’obligation de nous rappeler le jour comme la nuit. De même que le tsitsit révèle la lumière des mitsvot, de même la sortie d’Egypte révéla qu’il y a un Maître dans le monde, et que le peuple d’Israël a été choisi pour dévoiler Sa parole.

Nous voyons donc que ces trois paragraphes sont la continuation et l’extension du principe de la foi contenu dans le verset Chéma Israël. Dans le premier paragraphe, nous apprenons le sens essentiel de la foi au sein de notre vie : la foi constitue le seul et unique principe de notre vie ; c’est là l’extension des mots Ado-naï E’had (« l’Eternel est Un »). Grâce à cela, nous prenons sur nous le joug des commandements, par le deuxième paragraphe, ce qui constitue l’extension des mots Ado-naï Elo-hénou (« l’Eternel est notre Dieu »). Le troisième paragraphe, quant à lui, contient la mitsva des tsitsit, qui nous rappelle et nous enseigne l’ensemble des mitsvot. Il s’achève par le rappel de la sortie d’Egypte, laquelle a révélé au monde que Dieu a choisi Israël, et qu’Il exerce Sa providence et Son règne sur Son monde. Cela constitue une extension des mots Chéma Israël. Dans le chapitre consacré aux lois des bénédictions du Chéma (16 § 1), nous verrons que les bénédictions instituées par les sages sont elles-mêmes une continuation et un parachèvement apportés à la lecture du Chéma.

05 – Signification de la sortie d’Egypte

Le royaume égyptien, qui a asservi Israël, était essentiellement le régime de la matérialité. L’étude de l’histoire confirme que, parmi tous les peuples de l’Antiquité, aucun ne possédait une culture plus matérialiste que celle de l’Egypte. Les Egyptiens niaient l’existence d’une âme et d’un monde futur qui ne fussent liés à la matérialité ; seuls le corps et la matière importaient en fin de compte à leurs yeux, car ils n’attribuaient pas à l’esprit d’existence propre. C’est pourquoi ils investissaient des moyens grandioses à l’embaumement des morts et à la conservation de leurs corps. Les hautes pyramides elles-mêmes n’étaient rien d’autre que des tombeaux destinés au corps. Leur culture morale était à l’avenant : l’essentiel était d’assouvir le désir du corps et, comme le racontent nos maîtres de mémoire bénie, aucune nation n’était plus immergée que l’Egypte dans les passions (Torat Cohanim, A’haré mot chap. 9). Face à cela, le peuple d’Israël représente le pôle radicalement inverse : ses aspirations sont essentiellement spirituelles.

Durant cette difficile période, la nation matérialiste dominait le peuple d’Israël et l’assujettissait par un dur servage. Il semblait alors que la grande inspiration qui avait commencé de se révéler par le biais des patriarches ne pourrait se restaurer. La matière avait vaincu l’esprit. Alors le Roi des rois se révéla en personne et nous fit sortir d’Egypte.

Par la sortie d’Egypte, Dieu révéla au monde pour la première fois la pleine puissance du spirituel. Il fut manifeste que le monde ne se limite pas à la matière et aux désirs, qu’il y a aussi une spiritualité, qu’il existe un esprit et une âme, et que par conséquent il existe des valeurs morales. La sortie d’Egypte exprime la victoire de l’esprit sur la matière. Quelles que puissent être les tentatives de la matière pour asservir l’esprit, celui-ci se libère finalement des chaînes de celle-là. De même qu’Israël est sorti d’Egypte victorieusement et en emportant de grandes richesses, de même toute lutte entre l’esprit et la matière s’achèvera par la victoire de l’esprit.

Et de même que le peuple d’Israël, qui a prodigué au monde la Torah et la morale, s’est libéré des entraves matérielles de la nation égyptienne, ainsi chaque Juif doit tendre chaque jour à se délivrer des chaînes du matérialisme, afin de dévoiler le spirituel et de se lier au Maître de l’univers par le biais des mitsvot. Aussi avons-nous l’obligation de nous souvenir de la sortie d’Egypte chaque jour et chaque nuit, de méditer grâce à cela sur l’élection et sur la vocation d’Israël, et de nous affranchir par cela des entraves de la matière, dévoilant ainsi la vérité divine éternelle.

06 – Kavana à entretenir pendant la récitation du premier verset

C’est à l’égard du premier verset du Chéma que la concentration de l’esprit (kavana) est principalement requise, car c’est par ce verset que nous recevons le joug de la royauté du Ciel, et c’est au sujet de ce verset qu’il est dit (Dt 6, 6) : « Ces paroles… seront dans ton cœur ». Si bien qu’il faut appliquer sa pensée à ce que l’on dit dans le premier verset ; et dans le cas où l’on ne se serait pas concentré sur les mots que l’on a prononcés, on ne serait pas quitte de son obligation (Berakhot 13b, Choul’han ‘Aroukh 60, 5 et 63, 4).

Quand bien même on se concentre sur la pleine signification de chaque mot, il faut encore s’efforcer de ne pas détourner son attention vers d’autres sujets au milieu du verset. Toutefois, il semble que l’on soit quitte de son obligation a posteriori, dès lors que l’on a également pensé à la signification du verset[2].

Il convient de se concentrer comme suit :

Chéma Israël (« Ecoute, Israël ») : la mitsva de recevoir le joug de la royauté de Dieu est destinée au peuple juif, car c’est lui qui a été créé afin de révéler la foi en l’unité divine dans le monde.

Ado-naï (« l’Eternel ») : ce nom ne se lit pas comme il s’écrit. A l’écrit, c’est le tétragramme : les lettres yod, puis , puis vav, puis . Mais il se lit Ado-naï. Il faut penser, en prononçant le nom, à sa signification dans sa version orale – qu’Il est le maître de tout – mais aussi à la signification du tétragramme écrit : Il a été, Il est et Il sera.

Elo-hénou (« notre Dieu ») : Dieu est fort, Il est tout-puissant, maître de toutes les forces, et Il règne sur nous (Choul’han ‘Aroukh 5, 1).

Lorsqu’on prononcera E’had (« Un »), on pensera que Dieu est seul à régner sur l’univers entier, sur les cieux, sur la terre et aux quatre points cardinaux. Cette intention est contenue allusivement dans les lettres du mot E’had, aleph, ‘heth, dalet : aleph, première lettre de l’alphabet, fait allusion à l’unicité de Dieu ; ‘heth, huitième lettre, correspond aux sept cieux auxquels s’ajoute la terre ; dalet, quatrième lettre, correspond aux quatre points cardinaux. On étirera la prononciation du dalet (le d du mot E’had), le temps de penser que le Saint béni soit-Il est unique en son monde et règne aux quatre coins de l’univers (Choul’han ‘Aroukh 61, 6 ; voir Michna Beroura 18).

Il semble qu’a posteriori on soit quitte de son obligation, même dans le cas où l’on n’a pas appliqué son esprit au commentaire exact de chaque mot et de chaque nom, dès lors que l’on a compris de façon générale le sens des mots, dont l’objet est la réception du joug de la royauté du Ciel[3].

Mais si l’on a laissé dériver son esprit et que l’on n’ait pas même été attentif au sens général des mots – lesquels contiennent l’idée de réception du joug de la royauté du Ciel – on n’est pas quitte de son obligation, et il faut relire le Chéma, cette fois avec kavana. Si l’on s’en aperçoit immédiatement après avoir terminé la récitation du premier verset, on attendra un peu, afin de ne pas paraître lire le Chéma deux fois, et l’on reprendra la lecture du premier verset à voix basse. Si l’on s’en aperçoit au milieu du premier paragraphe, on s’interrompra et l’on reviendra au début du Chéma en le lisant dans l’ordre. Si l’on s’en aperçoit au milieu du deuxième paragraphe, on terminera la lecture de ce paragraphe, puis on répétera l’intégralité du premier paragraphe ; après quoi, on passera au troisième paragraphe sans avoir besoin de répéter le deuxième. En effet, a posteriori, un changement apporté à l’ordre des paragraphes n’invalide pas la lecture (Michna Beroura 63, 14 ; Kaf Ha’haïm 17-18).

Afin d’éveiller la kavana, on a l’usage de lire le premier verset à haute voix. De même, on a l’usage de recouvrir ses yeux de la main droite, afin de ne rien regarder qui puisse dissiper la kavana (Choul’han ‘Aroukh 61, 4-5 ; Michna Beroura 17).


[2]. Béour Halakha 101, 1 (המתפלל), qui se fonde sur le Rachba, lui-même cité par le Beit Yossef 63, 4. Il semble que l’intention du Rachba soit de dire qu’il ne faut pas détourner sa pensée du sens du verset, car à cause de cela, on risquerait de ne pas prendre sur soi le joug de la royauté du Ciel ; mais a posteriori, celui qui a exercé son attention sur le sens des mots, même s’il a rêvassé en cours de route, n’a pas invalidé sa kavana.
[3]. Il semble que, lorsque nos maîtres parlent de la kavana à entretenir en prononçant le mot E’had, ils n’énoncent qu’une règle a priori. On raconte en effet dans Berakhot 13b que Rabbi Yirmiya étirait longtemps la prononciation du mot E’had ; Rabbi ‘Hiya lui dit : « Dès lors que tu as reconnu Son règne en haut, en bas et aux quatre points cardinaux, tu n’as pas besoin de prolonger davantage ta kavana». De même, en ce qui concerne la kavana appliquée aux noms divins : si la règle voulait que l’on ne s’acquittât pas de son obligation à défaut d’une kavana telle qu’elle est décrite par le Choul’han Aroukh (Ora’h ‘Haïm 5), le Talmud aurait nécessairement expliqué cette obligation de façon claire. Dans ce sens, Halikhot Chelomo cite les paroles de Rabbi Aqiba Eiger : « Il semble notamment, à notre humble avis, que n’est exigée, même pour le premier verset, que l’intention de recevoir la royauté du Ciel, et qu’il n’est pas nécessaire de comprendre le commentaire des mots pour être quitte. » D’après les propos du Michna Beroura 62, 3 également, il semble que la kavana exigée corresponde à une compréhension générale du verset. En effet, l’auteur écrit que même celui qui ne comprend pas la langue sainte fera mieux de réciter le Chéma en hébreu, car on ne voit guère de fils d’Israël qui ne sache au moins le sens littéral du premier verset. Cela laisse bien entendre que le Michna Beroura n’exige, pour se rendre quitte, qu’une compréhension générale. (Igrot Moché se prononce dans le même sens en ce qui concerne les noms divins, mais ajoute qu’il est en revanche indispensable de penser que Dieu est Un aux quatre coins du monde et que rien n’existe en dehors de Lui ; cette idée, explique-t-il, est l’extension de l’acceptation du joug de la royauté divine. En effet, c’est parce que rien n’existe indépendamment de Dieu qu’il est obligatoire de recevoir le joug de Son règne).

07 – La deuxième phrase et sa kavana

Immédiatement après le premier verset, on dit à voix basse : Baroukh chem kevod malkhouto lé’olam vaed (« Béni soit le nom de Celui dont le règne glorieux est éternel »). Bien que cette phrase ne fasse pas partie du paragraphe Chéma Israël tel qu’il apparaît dans la Torah, et bien qu’il ne s’agisse même pas d’un verset de la Bible, les sages ont décrété son inclusion dans le premier paragraphe du Chéma, en se fondant sur une tradition ancienne.

Le Talmud raconte, dans le traité Pessa’him (56a), qu’avant la mort de Jacob notre père, tous ses fils se rassemblèrent en sa présence, et qu’il voulut leur révéler les événements de la fin des temps. « La Présence divine se retira alors de Jacob, et il ne put leur révéler ces événements. Il dit à ses fils : “Peut-être l’un d’entre vous n’est-il pas digne (de se voir transmettre une telle révélation)[e] – comme il arriva à Abraham, dont est issu Ismaël, et à Isaac, mon père, dont est issu Esaü –, et m’est-il impossible pour cette raison de vous dévoiler les événements de la fin des temps ?” Tous dirent alors : “Ecoute Israël, l’Eternel est notre Dieu, l’Eternel est Un ; de même qu’il n’est qu’un Dieu en ton cœur, de même il n’est qu’un Dieu en notre cœur.” À ce moment, Jacob dit : “Béni soit le nom de Celui dont le règne glorieux est éternel.” Les sages ont dit : “Quant à nous, que ferons-nous ? Dirons-nous cette phrase [en récitant le Chéma] ? Or elle n’est pas écrite dans la paracha ! Ne la dirons-nous pas ? Mais Jacob notre père, que la paix repose sur lui, l’a lui-même prononcée !” Aussi ont-ils décidé qu’elle serait dite à voix basse. »

Cette phrase est considérée comme l’extension de la réception du joug de la royauté du Ciel mise en œuvre au premier verset. Aussi, pour cette phrase, comme pour le premier verset, il est obligatoire de concentrer son esprit sur le sens des mots. Dans le cas où l’on aurait lu cette phrase sans kavana, il faudrait en répéter la lecture avec kavana (Michna Beroura 63, 12).

Il est bon de marquer une petite interruption entre les mots lé’olam vaed (« à jamais », derniers mots de cette phrase dite à voix basse), et véahavta (« Tu aimeras », premier mot du verset suivant), afin de distinguer la réception du joug de la royauté du Ciel du reste du paragraphe. De même, il convient de marquer une interruption entre le premier verset (Chéma Israël…) et la phrase dite à voix basse (Baroukh chem…), afin de distinguer la réception du joug de la royauté du Ciel telle que la Torah la prescrit de ce qu’ont ajouté les sages (Choul’han ‘Aroukh et Rama 61, 14)[4].

Bien que la foi en l’unité divine soit un sujet plus profond que les océans, nous aborderons quelque peu sa signification. Le premier verset, Chéma Israël, exprime la foi supérieure, absolue et unitaire, et est appelé « unicité supérieure » (yi’houd ‘e-lion). A ce niveau supérieur de conception, rien d’autre n’a d’existence réelle dans le monde ; Dieu est seul en Son monde, et nous sommes tous insignifiants face à Lui. Et puisque l’essence infinie de Dieu ne se dévoile pas en ce monde, il est difficile de concevoir l’unicité supérieure de façon constante ; ce n’est que deux fois par jour, au moment de la récitation du verset Chéma Israël, que nous sommes tenus de nous élever à ce niveau. La deuxième phrase est appelée « unicité inférieure » (yi’houd ta’hton). Par elle, nous prenons sur nous le joug de la royauté du Ciel selon la foi qui se dévoile en ce monde-ci, foi selon laquelle le monde n’est pas nul et non avenu, mais réel et existant, et Dieu, béni soit-Il, le fait vivre et règne sur lui. Selon Sa volonté, Il ajoutera au monde un supplément de vie ou, ce qu’à Dieu ne plaise, diminuera sa vitalité. On dit à ce propos que « Son nom et Sa royauté se dévoilent dans le monde », comme nous le mentionnons : « Béni soit le nom de Celui dont le règne glorieux est éternel » (Tanya, Chapitre de l’unification et de la foi ; Néfech Ha’haïm, chapitre 3).


[e]. Jacob craignait que le retrait de son inspiration divine ne fût motivé par l’indignité éventuelle de l’un de ses fils. Sa crainte reposait sur l’exemple de son père et de son grand-père, eux-mêmes justes, mais dont une partie de la descendance n’avait pas suivi les voies. La cause du retrait était autre : Dieu ne permet pas que soit dévoilé à chacun le terme de l’histoire.
[4]. Selon le Levouch et le Maguen Avraham, si l’on omet la lecture de Baroukh chem…, on n’est pas quitte, puisque les sages en ont institué la récitation, et il faut donc répéter la récitation du premier paragraphe. Mais d’après le Chilté Haguiborim, le Ba’h et le Béour Halakha (61, 13 אחרי), on est quitte. La preuve en est trouvée dans Berakhot 13a, où l’on voit que celui qui lit le Chéma dans le cadre, non de la prière, mais d’une lecture de la Torah, est néanmoins quitte de son obligation de réciter le Chéma, pour peu qu’il ait l’intention de s’acquitter par cette lecture. Or, dans la Torah, on ne trouve précisément pas la mention de Baroukh chem. Par conséquent, si l’on commence la récitation du verset Véahavta, et que l’on s’aperçoive que l’on ne s’est pas concentré sur Baroukh chem, il ressort des paroles du Béour Halakha que l’on n’est pas tenu de revenir en arrière ; et c’est ce qu’écrit explicitement le Aroukh Hachoul’han (c’est aussi ce qu’écrit le Iché Israël). Cependant, des propos du Levouch et du Maguen Avraham, il ressort que l’on doit revenir en arrière, et c’est ce qu’écrit le Kaf Ha’haïm 61, 45. Le même auteur (63, 16) rapporte au nom de Rabbi Isaac Louria que, lorsque l’on revient en arrière pour répéter Baroukh chem, il faut reprendre la lecture depuis le verset Chéma Israël.

08 – Les mitsvot requièrent une intention

Les Amoraïm (maîtres du Talmud) et les Richonim (décisionnaires médiévaux) sont partagés sur la question de savoir si les commandements requièrent une intention. Lorsque la Torah nous enjoint d’accomplir une mitsva déterminée, l’acte même est-il suffisant en tant que tel, ou faut-il former l’intention, en l’accomplissant, de réaliser l’ordre du Créateur ? En pratique, la règle est que les mitsvot requièrent une intention (kavana). On peut expliquer le motif de cette règle en disant que, de la même façon que l’homme est doté d’un corps (gouf) et d’une âme (néchama), et qu’à défaut de l’un ou de l’autre il ne saurait vivre, ainsi la mitsva nécessite un corps et une âme. Le corps est l’acte de la mitsva, et la kavana, l’intention qui accompagne l’accomplissement de la mitsva, constitue son âme.

Par conséquent, si l’on récite, au cours d’une lecture de la Torah, la section Vaet’hanan, dans laquelle se trouve le premier paragraphe du Chéma, et qu’arrive le moment de la lecture du Chéma, on sera quitte de l’obligation de lire le Chéma à la condition d’avoir eu l’intention de faire cette lecture en tant que mitsva de lecture du Chéma. En revanche, si l’on s’est contenté de continuer sa lecture comme à son habitude, sans former l’intention d’accomplir la mitsva de lecture du Chéma, on n’est pas quitte de son obligation à l’égard de cette mitsva (Berakhot 13a ; Choul’han ‘Aroukh 60, 4).

Nous voyons donc que, lors de la lecture du Chéma, nous devons prêter attention à deux types de kavana : d’une part, comme dans toutes les mitsvot, nous devons avoir conscience de ce que, par l’acte que nous faisons, nous réalisons la mitsva de Dieu ; d’autre part, de façon spécifique à la lecture du Chéma, nous devons prêter attention  au sens des mots que nous prononçons. En effet, puisque l’aspect essentiel de la mitsva de lecture du Chéma est de prendre sur soi le joug de la royauté du Ciel, c’est une obligation que de prêter attention au sens des mots que nous prononçons. Et comme nous l’avons vu au paragraphe 6, si l’on n’applique pas sa pensée au sens des mots du verset Chéma Israël, on n’est pas quitte de son obligation, et l’on doit le relire avec kavana.

Revenons à présent à la kavana générale, celle qui relève de toutes les mitsvot. Il arrive que la kavana soit « flottante » (kavana rédouma) ; or cette attention flottante elle-même est suffisante a posteriori. Par exemple, lorsqu’un homme se rend à la synagogue pour prier et qu’il lit le Chéma au cours de sa prière, il s’acquitte par là de son obligation, bien qu’il n’ait pas spécifié consciemment son intention d’accomplir la mitsva de lire le Chéma. Car si on lui demandait : « Pourquoi as-tu lu le Chéma ? », il répondrait tout de suite : « Pour accomplir la mitsva ». Par conséquent, dans un tel cas, la lecture a été caractérisée par une kavana flottante, en veilleuse. De même, si l’on met des téphilines et s’enveloppe d’un talith, même dans le cas où l’on ne spécifie pas consciemment son intention d’accomplir la mitsva, il est de toute façon clair que l’intention de ces actes n’est autre que d’accomplir la mitsva ; et puisqu’une intention flottante est présente, on est quitte de son obligation (Talmud de Jérusalem, Pessa’him 10, 3 ; ‘Hayé Adam 68, 9 ; Michna Beroura 60, 10)[5].

De nombreuses personnes ne savent pas que la raison centrale pour laquelle on lit le troisième paragraphe du Chéma (Vayomer) est d’accomplir par cela la mitsva du souvenir de la sortie d’Egypte, sujet mentionné à la fin du paragraphe. Or ceux qui ne le savent pas ne s’acquittent pas de leur obligation. En effet, si on leur demande pour quelle raison ils ont lu le paragraphe Vayomer, ils ignorent que cette lecture a pour but de mentionner la sortie d’Egypte. Il apparaît donc que, durant leur lecture de ce paragraphe, ils n’avaient pas même une kavana flottante. Aussi faut-il enseigner publiquement que nous lisons le paragraphe Vayomer dans le but de mentionner la sortie d’Egypte.


[5]. De même, si l’on va à la synagogue pour écouter la sonnerie du chofar à Roch Hachana ou la lecture du rouleau d’Esther (Méguila) à Pourim, et que l’on ne pense pas spécifiquement que l’on veut accomplir la mitsva, on est néanmoins quitte a posteriori de son obligation. En effet, le fait même d’aller à la synagogue indique une volonté d’accomplir la mitsva, et l’on se trouve dans un cas de kavana En revanche, si l’on est chez soi, que l’on entende le son du chofar ou la lecture de la Méguila en provenance de la synagogue toute proche, et que l’on ne spécifie pas son intention d’accomplir la mitsva par son écoute, on ne se rend pas quitte. Toutefois, selon ceux qui pensent que les mitsvot ne requièrent pas d’intention, on est quitte.

Le fond de la controverse se trouve au traité Berakhot 13a et au traité Roch Hachana 28-29a. Selon Rava, les commandements ne requièrent pas de kavana pour être valides ; pour Rabbi Zeira, ils requièrent une kavana. Mentionnons quelques décisionnaires : pour Tossephot et les élèves de Rabbénou Yona, les mitsvot ne requièrent pas de kavana ; face à eux, le Halakhot Guédolot, le Rif et le Roch pensent qu’elles requièrent une kavana. C’est dans ce dernier sens que tranche le Choul’han ‘Aroukh, Ora’h ‘Haïm 60, 4. Le Béour Halakha explique que, de l’avis même de ceux qui pensent que les mitsvot ne nécessitent pas de kavana pour être valides, deux conditions sont cependant nécessaires à la validité de la mitsva. a) On doit savoir, au moment de l’accomplissement de l’acte, qu’il existe un tel commandement. Par exemple, si l’on dit le Chéma, on doit être conscient de l’existence d’une mitsva de lecture du Chéma ; au moment de la consommation de la matsa (pain azyme), savoir qu’il existe une mitsva de consommation de la matsa. Si l’on savait cela au moment de l’acte, bien que l’on fût dépourvu de kavana, même flottante, on est quitte de son obligation, selon cette opinion. b) On doit avoir l’intention d’accomplir l’acte lui-même, de façon que celui-ci ne soit pas le produit involontaire d’une occupation autre. Si l’on souffle dans un chofar, par exemple [pour faire de la musique], et que les sons produits soient, de façon accidentelle, identiques à ceux d’une sonnerie de chofar conforme à la règle, on n’aura pas pour autant accompli la mitsva.

Les décisionnaires sont encore partagés sur le point de savoir si la kavana est également une condition de validité de la mitsva dans le cas d’une mitsva rabbinique. Le Maguen Avraham écrit au nom du Radbaz que, pour ce qui concerne les mitsvot rabbiniques, l’absence d’intentionnalité n’est pas une cause d’invalidité de la mitsva. Il semble que cette opinion procède de l’idée que la halakha, en ce domaine, est douteuse : nous ne savons pas qui, de Rava ou de Rabbi Zeira, est plus prêt de la vérité. Par conséquent, pour une règle de rang toranique, on tranche le droit selon l’opinion rigoureuse, tandis que pour une règle de rang rabbinique, on suit l’opinion indulgente. Toutefois, selon le Elya Rabba, le Gaon de Vilna et le ‘Hida, la règle finalement tranchée est que les mitsvot requièrent une intentionnalité, même en ce qui concerne les mitsvot rabbiniques. Et c’est ce que laisse entendre le Choul’han ‘Aroukh. En tout état de cause, en matière de bénédiction, et même en ce qui concerne des bénédictions dites à l’occasion de l’accomplissement de mitsvot toraniques, on tient compte de l’opinion selon laquelle la validité des mitsvot n’est pas conditionnée par la kavana, car nous avons pour principe qu’ « en cas de doute en matière de bénédiction, on est indulgent ». Aussi, celui qui n’a pas appliqué son attention au départ, et bien qu’il doive répéter l’acte même de la mitsva, ne doit cependant pas répéter la bénédiction se rapportant à cette mitsva, de crainte que la halakha ne soit conforme à l’opinion selon laquelle les mitsvot ne nécessitent pas de kavana pour être valides (Michna Beroura 60, 10 et Béour Halakha). [Par exemple, si l’on a mangé de la matsa, le premier soir de Pessa’h, sans intention d’accomplir la mitsva, on devra consommer de nouveau la quantité requise de matsa, mais on ne répétera pas pour autant la bénédiction se rapportant à la mitsva.]

09 – Règles de la récitation du Chéma

On lit le Chéma avec une grande concentration, avec crainte, révérence, tremblement et frisson. On pense en son for intérieur que l’on est en train de lire la parole du Roi, le Saint béni soit-Il. Et bien que nous lisions le Chéma chaque jour, matin et soir, nous devons nous efforcer de nous concentrer sur le sens des mots comme s’ils étaient nouveaux pour nous (Choul’han ‘Aroukh 61, 1-2).

En plus d’être concentré, le lecteur doit être précis dans la prononciation des lettres : il ne faut avaler aucune lettre, ne pas accentuer une lettre spirante, ni aspirer une lettre accentuée. De même, il faut a priori distinguer l’une de l’autre les lettres aleph et ‘ayin, khaf et ‘het, et distinguer les voyelles qamats et pata’h, tséré et ségol (Choul’han ‘Aroukh, Ora’h ‘Haïm 61, 14-23). Les sages ont dit : « Quiconque lit le Chéma en prononçant avec précision toutes ses lettres, on refroidit à son profit le feu de la géhenne » (Berakhot 15b). A posteriori, si l’on a lu le Chéma sans être précis dans la prononciation des lettres, on est quitte, à condition de ne pas avoir escamoté tout un mot ou toute une syllabe (Choul’han ‘Aroukh 62, 1 ; Michna Beroura 1).

Il faut rendre audible à son oreille ce qui sort de sa bouche, durant la récitation du Chéma. A posteriori, si l’on a simplement articulé les mots sans les avoir rendus audibles à son oreille, on est quitte, puisque l’on a accompli un acte par le mouvement de ses lèvres. Mais si l’on s’est contenté de penser les mots du Chéma, on n’est pas quitte de son obligation, puisque l’on n’en a pas articulé le texte (Choul’han ‘Aroukh 62, 3 ; voir ci-dessus, chap. 1 § 9)[6].

Si l’on s’en tient à la stricte règle, quoiqu’il convienne  a priori de lire le Chéma et de prier dans la langue sainte,  la récitation du Chéma ou de la prière dans une langue autre que l’hébreu nous rend quitte, à condition de comprendre cette autre langue (cf. plus haut, chap. 1 § 10). Toutefois, certains grands décisionnaires modernes écrivent que, de nos jours, il est impossible de s’acquitter de la lecture du Chéma dans une autre langue que l’hébreu, car nous ne savons pas traduire certains mots avec précision. Par exemple, l’expression véchinnantam (« tu les enseigneras ») contient à la fois une idée de répétition et d’aiguisement de l’esprit (« tu les répéteras et les enseigneras avec une précision aiguë ») ; or il ne se trouve pas un verbe semblable dans les langues autres que l’hébreu. Puisqu’il est donc impossible de traduire le Chéma de façon précise, on ne peut le réciter dans une langue étrangère (Michna Beroura 63, 3)[7].


[6]. Selon les élèves de Rabbénou Yona, il convient de réciter le Chéma en suivant ses signes musicaux (téamim) ; certains ont coutume de mettre en pratique ce supplément de perfection (hidour) apporté à la mitsva (Choul’han ‘Aroukh 61, 24). D’autres disent que l’essentiel est la kavana; par conséquent, s’il est difficile de se concentrer sur le sens des mots tout en respectant la mélodie des téamim, on fera mieux de lire le Chéma sans tenir compte des téamim (Rama, Michna Beroura 61, 38).

Le Michna Beroura (61, 40) écrit que, selon la majorité des décisionnaires, on peut s’acquitter de l’obligation de lecture du Chéma en l’entendant réciter par un autre. Selon le Aroukh Hachoul’han, on peut s’acquitter par la simple écoute, à condition que dix personnes soient présentes. (Les décisionnaires sont partagés sur le point de savoir si celui qui se rend quitte par l’écoute doit ou non comprendre toute la paracha. Cf. Michna Beroura ad loc., Iché Israël 20, 26).

[7]. Cette décision est difficile à comprendre. En effet, une traduction ne peut jamais rendre compte de la source avec une entière précision ; or, si les sages du Talmud disent que l’on s’acquitte de la lecture du Chéma en toute langue, cela laisse bien entendre que, selon eux, il n’est pas nécessaire que la traduction soit parfaitement précise. Mais le Aroukh Hachoul’han explique qu’effectivement, à l’époque de la Michna et du Talmud, on connaissait la langue sans doute aucun ; tandis que, de nos jours, où nous avons des doutes quant à la signification de certains mots, nous ne pouvons plus traduire parfaitement. L’auteur, Rabbi Ye’hiel Mikhal Epstein (1829-1908 de l’ère civile), donne plusieurs exemples de doute et conclut : « Par conséquent, de nos jours, il est interdit de réciter le Chéma, la ‘Amida et les différentes bénédictions autrement que dans la langue sainte. Et c’est ce qu’ont enseigné les grands de la Torah, il y a environ quatre-vingts ans. »

Cela reste pourtant difficile : au-delà de quatre-vingts ans, n’y avait-il point de doutes ? Pourquoi donc les décisionnaires n’ont-ils pas enseigné auparavant que l’on ne se rendait pas quitte par la récitation d’une traduction ? Peut-être cette question n’était-elle pas alors fréquente, et qu’elle n’a donc pas été écrite. On peut aussi soutenir que, de nos jours (principalement après la création de l’imprimerie), nous sommes plus pointilleux quant au sens précis des mots. Dès lors, les doutes se sont multipliés ; aussi, de notre point de vue, de nos jours, les traductions ne sont pas précises, et l’on ne peut se rendre quitte par elles de son obligation ; en revanche, lorsqu’on n’était pas si pointilleux sur le sens extérieur du mot, et que l’accent était mis sur l’idée qui s’en dégageait au sein du contexte, la traduction était considérée comme précise. Quoi qu’il en soit, en pratique, même de nos jours, un converti qui ne sait ni lire ni comprendre l’hébreu doit, selon le Meqor ‘Haïm, réciter le Chéma dans une traduction.

10 – Façon de réciter le Chéma

Il est permis de réciter le Chéma debout, assis ou couché sur le côté. Certes, selon la maison d’étude de Chamaï, il faut réciter le Chéma du soir en étant allongé, et celui du matin en se tenant debout, comme il est dit : « En te couchant et en te levant ». Cependant, la halakha est conforme à l’opinion de la Maison d’étude de Hillel, selon laquelle l’intention de la Torah n’est ici que de nous instruire des temps de lecture du Chéma : celui-ci doit se dire lorsque les gens sont couchés et lorsque les gens se lèvent ; en revanche, aucune limitation n’est donnée par la Torah quant à la posture du lecteur (Berakhot 10a ; Choul’han ‘Aroukh 63, 1).

On peut apprendre de cette règle que la foi (émouna) n’est pas une chose détachée du monde, et qui ne pourrait être atteinte que dans des circonstances particulières. La foi, qui s’exprime par le biais de la récitation du Chéma, relève de toutes les circonstances de la vie de l’homme dans ce monde-ci ; aussi peut-on lire le Chéma dans toutes les postures.

Si l’on s’en tient à la règle stricte, on peut même lire le Chéma en marchant, comme il est dit : « Ces paroles… tu les diras… en marchant en chemin » (Dt 6, 7). Toutefois, les sages ont dit qu’il ne convenait pas de prendre sur soi le joug de la royauté du Ciel comme s’il s’agissait d’une chose accidentelle. Aussi, il est recommandé à celui qui se trouve en chemin de se tenir immobile durant la récitation du premier verset du Chéma (Choul’han ‘Aroukh 63, 3 ; Michna Beroura 9). Il est interdit de lire le Chéma en étant étendu sur le dos ou sur le ventre, car ce n’est pas une façon respectueuse de le réciter (Choul’han ‘Aroukh 63, 1 ; voir aussi Choul’han ‘Aroukh, Even Ha’ézer 23, 3)[8].

En raison de l’importance du premier paragraphe, dans lequel nous recevons le joug de la royauté du Ciel, on doit prendre garde, en le lisant, de se livrer à quelque autre occupation, ou de faire signe à autrui, de ses yeux, de ses doigts ou de ses lèvres (Choul’han ‘Aroukh 63, 6).


[8]. Selon le Choul’han ‘Aroukh 63, 1, conformément à l’avis de la majorité des Richonim, on peut a priori réciter le Chéma, allongé sur le côté. Toutefois, d’après les élèves de Rabbénou Yona, ce n’est que lorsqu’on s’est déjà déshabillé et couché, et qu’il est difficile de se rasseoir, que l’on peut réciter le Chéma allongé sur le côté ; mais a priori, on ne dira pas le Chéma allongé sur le côté. Le Rama tient compte de leurs paroles. En ce qui concerne la lecture du Chéma que l’on fait sur son lit avant de se coucher (cf. chapitre 26), et qui n’est pas une obligation toranique, le Maguen Avraham est d’avis qu’il n’y a pas lieu d’être rigoureux. Cf. Michna Beroura 239, 6.

11 – Porter ses téphilines et son talith en récitant le Chéma

On dit la prière de Cha’harit et l’on récite le Chéma du matin paré de ses téphilines, comme il est dit dans le premier paragraphe du Chéma : « Ces commandements… tu les attacheras en signe sur ta main et ils seront un fronteau entre tes yeux » (Dt 6, 8). Les sages disent à ce propos : « Quiconque lit le Chéma sans téphilines, c’est comme s’il portait témoignage contre lui-même »[f] (Berakhot 14b). Quoi qu’il en soit, même si l’on n’a pas de téphilines, on doit réciter le Chéma, car ces deux mitsvot ne sont pas interdépendantes ; et si l’on n’a pas eu le mérite d’accomplir la mitsva des téphilines, que l’on accomplisse au moins celle de réciter le Chéma. En cela, on n’est pas considéré comme portant témoignage contre soi-même, dans la mesure où l’on se trouve dans un cas d’empêchement (Michna Beroura 46, 33).

On a coutume de toucher la téphila (singulier de téphilines) que l’on porte au bras, quand on arrive aux mots : « Tu les attacheras en signe sur ta main » ; et de toucher la téphila de la tête quand on dit : « Et ils seront un fronteau entre tes yeux ». Après quoi, on embrasse la main qui a touché les téphilines (Choul’han ‘Aroukh 61, 25 ; ‘Hayé Adam 14, 15).

De même, on a pour coutume de s’envelopper du talith avant de commencer la prière du matin, car le troisième paragraphe du Chéma traite de la mitsva des tsitsit. On a l’usage de saisir les tsitsit de sa main gauche, en regard du cœur, quand on récite le Chéma, faisant allusion en cela à l’expression : « Ces paroles… seront sur ton cœur » (Choul’han ‘Aroukh 24, 2). Certains ont l’usage de prendre les deux tsitsit antérieurs du talith, d’autres rassemblent les quatre tsitsit[9].

Avant de lire le paragraphe Vayomer (paracha des tsitsit), on a l’usage de prendre les tsitsit de la main droite (Michna Beroura 24, 4) ou des deux mains (Kaf Ha’haïm 24, 8). Quand on prononce le mot tsitsit, on embrasse les tsitsit. Et quand on dit our’item oto (« et vous le verrez »), on regarde les tsitsit. Certains ont l’usage de les faire alors passer sur les yeux et de les embrasser. On a aussi l’usage de les embrasser à la fin du paragraphe, quand on dit Emet (« Vérité »). On continue de les garder en main jusqu’aux mots Véné’hmadim laad (« Ses paroles sont agréables à jamais »), qui se trouvent dans la bénédiction Emet véyatsiv ; à ce moment, on embrasse de nouveau les tsitsit et on les lâche (Michna Beroura 24, 4 ; Kaf Ha’haïm 24, 8 et 18). On trouve encore d’autres coutumes en la matière. Toutes ces coutumes constituent des embellissements apportés à la mitsva pour exprimer combien celle-ci nous est chère ; mais ces coutumes ne sont pas constitutives de la mitsva, et leur omission n’en invalide pas l’accomplissement.


[f]. Cette traduction suit Rabbénou Yona.
[9]. Le Choul’han ‘Aroukh 24, 5 et 61, 25 explique que l’on prend les deux tsitsit antérieurs ; c’est aussi ce qu’écrivent le Yam chel Chelomo et le Gaon de Vilna dans Maassé Rav. Il y a une autre raison de procéder ainsi : parfois, rechercher les tsitsit postérieurs risque de déconcentrer le fidèle lorsqu’il récite la bénédiction Ahavat ‘olam. Toutefois, selon Rabbi Isaac Louria, on prend les quatre tsitsit, comme le rapporte le Kaf Ha’haïm 24, 8. C’est en ce sens que se prononcent le Birké Yossef et le Qitsour Choul’han ‘Aroukh 17, 7. Le Birké Yossef écrit au nom de Rabbi Isaac Louria que l’on prend les tsitsit de la main gauche, entre l’annulaire et l’auriculaire ; c’est aussi ce qu’écrit le Michna Beroura 244, 4. Cf. Kaf Ha’haïm 24, 9.

Plusieurs A’haronim écrivent que l’on doit rassembler les tsitsit lorsqu’on arrive au passage de la bénédiction Ahavat ‘olam qui dit : « Et fais-nous venir en paix des quatre coins de la terre » (Dérekh Ha’haïm, Qitsour Choul’han ‘Aroukh 17, 7).

12 – Les deux cent quarante-huit mots

La Torah donne vie et guérison au monde et à l’homme ; et particulièrement la récitation du Chéma, où sont inclus les fondements de la foi et de l’observance des mitsvot.  Nos sages enseignent que le Chéma comprend deux cent quarante-huit mots ; de même, le corps de l’homme comprend deux cent quarante-huit membres ; et lorsqu’un homme lit le Chéma correctement, chaque membre de son corps se relie au mot correspondant et guérit par son biais. Cependant, en pratique, les trois paragraphes du Chéma ne contiennent que deux cent quarante-cinq mots. Aussi, pour atteindre le nombre de deux cent quarante-huit, l’officiant dit, à la fin de la lecture du Chéma, les trois mots Ado-naï Élo-hékhem Émet (« L’Eternel votre Dieu est vérité »). Par cela, on obtient le nombre de deux cent quarante-huit mots (Zohar ‘Hadach sur Ruth 95, 1).

Si l’on prie seul, ces trois mots sont manquants. Plusieurs usages ont été relevés pour en compléter le nombre. Selon la coutume ashkénaze, on dit, avant de réciter le Chéma, les trois mots E-l Mélekh nééman (« Dieu est le Roi fidèle »). D’après le Choul’han ‘Aroukh, on se concentrera sur les quinze lettres vav qui introduisent les premiers mots de la bénédiction Emet véyatsiv (« -yatsiv -nakhon -qayam -yachar etc. » : ces paroles sont « vraies et stables et justes et bien établies et droites etc. »). Ces lettres font en effet allusion à trois noms saints, et viennent donc remplacer les trois mots manquants (Choul’han ‘Aroukh et Rama 61, 3).

Selon la coutume en usage chez la majorité des Séfarades, celui qui prie seul ajoutera lui-même les trois mots manquants, et répétera donc à la place de l’officiant Ado-naï Élo-hékhem Émet[g]. Bien qu’il soit certain que cette répétition individuelle n’a pas l’importance de la répétition de l’officiant, il y a néanmoins en cela une certaine valeur de remplacement. Et même celui qui, au sein du minyan, termine la récitation du Chéma après que l’officiant a récité Ado-naï Élo-hékhem Émet, répétera également ces mêmes mots, Ado-naï Élo-hékhem Émet, afin de compléter par lui-même le nombre de mots requis (Kaf Ha’haïm 61, 15-16)[10].


[g]. Les derniers mots du troisième paragraphe du Chéma sont Ani Ado-naï Elo-hékhem (Je suis l’Eternel votre Dieu) ; ils sont immédiatement suivis du mot Émet (vérité). Dans le cadre de la prière publique, l’officiant répète alors les trois mots Ado-naï Elo-hékhem Émet (« l’Eternel votre Dieu est vérité »), portant le nombre de mots du Chéma de deux cent quarante-cinq à deux cent quarante-huit. Quand il prie seul, c’est le particulier qui répète ces trois mots.
[10]. Il est vrai que les A’haronim divergent à ce sujet : d’après le Mahari Ayach, le Chaaré Téchouva et de nombreux autres auteurs, dès lors que l’on a entendu l’officiant dire Hachem Eloqékhem Emet, et même si l’on n’a pas encore achevé la lecture du Chéma, ces trois mots s’ajoutent à ceux du Chéma pour former le compte de deux cent quarante-huit mots. Tel est l’usage ashkénaze, également observé par une partie des Séfarades (comme l’explique le Chaaré Téphila). Cependant, selon le Kaf Ha’haïm 16, suivant les kavanot de Rabbi Isaac Louria, la récitation de ces trois mots doit se faire dans l’ordre. Par conséquent, si l’on a entendu l’officiant réciter ces mots avant d’avoir soi-même achevé la lecture du Chéma, on devra répéter soi-même Hachem Eloqékhem Emet.

Les usages divergent encore quant à la manière dont l’officiant (ainsi que, selon le Kaf Ha’haïm, le fidèle) doit ajouter ces trois mots. En effet, si l’on fait suivre immédiatement le dernier verset du Chéma – qui s’achève par les mots Ani Hachem Eloqékhem – du mot Emet, il s’ensuit que nous obtenons la séquence de mots suivante : Ani Hachem Eloqékhem, Emet, Hachem Eloqékhem Emet, si bien que ce ne sont plus deux-cent quarante-huit mots, mais deux-cent quarante-neuf qui sont dits au total. Pour le Assara Maamarot et le Gaon de Vilna, l’officiant ne devra dire, comme fin du Chéma, que les mots Ani Hachem Eloqékhem, puis prononcer Hachem Eloqékhem Emet. Pour le Choul’han ‘Aroukh et le Peri Mégadim, en revanche, dès la fin de la récitation du Chéma, l’officiant ajoute Emet, afin qu’il n’y ait pas de séparation entre les mots Eloqékhem et Emet. Quant à l’autre mention d’Emet, elle n’entre pas dans le compte des mots ajoutés au Chéma, car elle appartient déjà à la bénédiction qui suit immédiatement le Chéma : Emet véyatsiv. Tel est l’usage ashkénaze. L’usage séfarade veut que l’officiant dise à voix haute la fin du Chéma lui-même, Ani Hachem Eloqékhem, et que les fidèles ajoutent à sa suite le mot Emet à haute voix, tandis que l’officiant dit lui-même Emet à voix basse. Alors, l’officiant dit les mots Hachem Eloqékhem Emet à haute voix (Kaf Ha’haïm 61, 12).

Selon le ‘Hessed Laalafim, l’usage séfarade, selon lequel les fidèles disent Émet à voix haute à la suite de l’officiant, n’a cours que lorsque les fidèles achèvent la lecture du Chéma avec l’officiant. En revanche, si l’on achève sa lecture avant l’officiant, on doit dire Émet à part soi, afin de ne pas marquer d’interruption entre Eloqékhem et Émet. Dès lors, on ne répétera pas Émet à la suite de l’officiant. Selon le Kaf Ha’haïm 61, 12, lorsque les fidèles auront achevé leur lecture du Chéma avant l’officiant, ils ne diront pas Émet, mais attendront que l’officiant termine sa lecture, et répondront Émet à sa suite.

Pour l’office du soir (Arvit) : dans le cas où l’on n’a pas entendu l’officiant [par exemple, si l’on arrive en retard au minyan, après que le ‘hazan a dit Émet], le Kaf Ha’haïm est d’avis que l’on doit ajouter soi-même les mots Hachem Eloqékhem Émet à la fin de sa lecture du Chéma. Selon l’usage ashkénaze, ou bien on dira avant la lecture du Chéma les mots El Mélekh nééman (« Dieu est le Roi fidèle »), ou bien on pensera, en récitant le passage Émet véémouna qui suit le Chéma, aux lettres du Tétragramme [de la façon décrite par le Choul’han ‘Aroukh 61, 3 et expliquée par le Kaf Ha’haïm 18]  (Michna Beroura 12). Selon le Maamar Mordekhaï, il n’est pas tellement nécessaire d’atteindre le nombre de deux cent quarante-huit mots le soir car, selon la Guémara, il n’est pas formellement obligatoire de réciter le troisième paragraphe du Chéma le soir.

Les femmes sont traditionnellement considérées comme possédant deux cent cinquante-deux membres, mais sont par ailleurs dispensées de la lecture du Chéma. Toutefois, selon le Min’hat Eléazar, celle qui veut lire le Chéma dira, avant sa lecture, les mots El Mélekh nééman afin d’atteindre le nombre de deux cent quarante-huit mots. Pour le Chéérit Yossef, celle qui prie seule dira, en plus des mots El Mélekh Nééman, les mots Hachem Eloqékhem Émet en suivant l’usage séfarade (c’est-à-dire une première fois le mot Émet immédiatement après le dernier verset du Chéma, puis les mots Hachem Eloqékhem Émet). De cette façon, si l’on ajoute la seconde mention du mot Émet, on obtient au total le nombre de deux cent cinquante-deux mots.

01 – Signification des bénédictions

Nos sages ont institué trois bénédictions, qui se disent à l’occasion de la lecture du Chéma du matin : deux d’entre elles précèdent le Chéma, la dernière le suit (Michna Berakhot 11a). Ces bénédictions constituent un parachèvement et une extension apportés à la thématique du Chéma ; on y trouve des louanges et des expressions de reconnaissance envers Dieu pour la création du monde et sa direction.

Dans le Chéma, nous disons Ado-naï E’had (Dieu est Un) : Dieu est l’être unique qui crée et maintient l’ensemble de l’univers, et il n’existe aucune divinité hormis Lui. Dans la première bénédiction du Chéma, nous approfondissons ce principe : après avoir exprimé notre louange pour la lumière qui se renouvelle chaque jour, nous continuons de louer Dieu en ce qu’Il « renouvelle chaque jour, constamment, l’œuvre de la création ». Et pour insister sur Son unité, en même temps que nous Le louons pour la création de la lumière, nous rappelons qu’Il a également créé l’obscurité. À  l’office du soir, dans la bénédiction correspondante, en même temps que nous Le louons de « faire descendre le soir », nous rappelons qu’Il « crée le jour et la nuit ». Nous voyons donc que le principe de la foi en l’unité divine, énoncé dans le Chéma, est développé dans la première bénédiction qui le précède.

Le sens des premiers mots, Chéma Israël, est que la foi unitaire se révèle au monde par le biais d’Israël, qui a été créé à cette fin. Cette idée se voit approfondie dans la deuxième bénédiction, dans laquelle nous exprimons notre reconnaissance envers Dieu pour l’amour qu’Il nous témoigne, et par l’effet duquel Il nous a donné Sa Torah. Nous prions pour avoir le mérite de comprendre la Torah, de l’appliquer avec amour et, grâce à cela, de dévoiler Son nom dans le monde.

Les mots Ado-naï Elo-hénou (l’Eternel est notre Dieu) signifient que Dieu est le maître de toutes les forces, et qu’Il règne sur le monde selon Sa volonté. Sa domination sur le monde, dans toutes ses forces et tous ses éléments, s’est dévoilée de la façon la plus claire lors de la sortie d’Egypte, mentionnée à la fin du Chéma. Cela aussi s’est manifesté par le biais du peuple d’Israël. Dans la troisième bénédiction, nous approfondissons ce principe, et louons Dieu en ces termes : « Tu es le premier et Tu es le dernier, et en-dehors de Toi nous n’avons pas de Roi, de Libérateur, de Sauveur. Tu nous as délivrés de l’Egypte… ». Puis nous rappelons la plaie des premiers-nés et le passage de la mer Rouge. Nous terminons cette bénédiction par la formule : « Bénis sois-Tu Eternel, qui délivras Israël. »

Nous voyons donc que chacune des trois bénédictions constitue la continuation et l’extension des principes de la foi énoncés dans le Chéma.

Bien que le rituel fixé par les sages consiste à dire le Chéma accompagné de ses bénédictions, la lecture de ces bénédictions ne conditionne pas la validité de la récitation du Chéma. Aussi, dans le cas où l’on aurait lu le Chéma sans ses bénédictions, on serait quitte de son obligation de réciter le Chéma. De la même façon, si l’on a lu les bénédictions sans le Chéma lui-même, on est quitte de l’obligation de dire les bénédictions. De même, si l’on a récité l’une des bénédictions, on est quitte de ce que l’on a dit, car les bénédictions ne sont pas interdépendantes. À plus forte raison, l’ordre de leur lecture ne conditionne pas leur validité ; si l’on s’est trompé, en disant par exemple la deuxième avant la première, on est donc quitte. Simplement, on doit a priori dire l’ensemble de ces bénédictions dans l’ordre institué par les sages[1].


[1]. La première bénédiction, Yotser haméorot (« qui crées les luminaires »), commence par la formule Baroukh Ata…En revanche, celles qui suivent, bien qu’elles soient aussi des bénédictions longues, ne commencent pas par Baroukh, car elles sont considérées comme juxtaposées à la première.

A priori, on doit les dire toutes ensemble, à l’occasion de la lecture du Chéma. Pour le Gaon de Vilna et ceux qui partagent ses vues, la chose est simple. Pour Rabbi Aharon Halévi et le Choul’han ‘Aroukh eux-mêmes – pour lesquels il faut former l’intention de s’acquitter de l’obligation du Chéma lors de sa mention dans la section des sacrifices, au début de l’office (cf. Beit Yossef, fin du chap. 46, qui cite R. Aharon Halévi ; Rama et Béour Halakha ad loc. ; Béour Halakha 60, 2 ונ »ל) –, il semble que cette exigence n’ait lieu d’être que lorsque l’office est tardif, et qu’il est à craindre que l’heure limite de récitation du Chéma n’expire. Mais si ce n’était cette crainte, il serait préférable, d’après toutes les opinions, d’accomplir la mitsva de lecture du Chéma au moment de la récitation de ses bénédictions.

On peut également inférer cela de la règle selon laquelle, si l’on ne se souvient pas avoir dit ou non le Chéma et ses bénédictions, on doit redire le Chéma ainsi que ses bénédictions. En effet, cette règle paraît difficile à comprendre, dans la mesure où nous avons pour principe que, dans un cas de doute en matière de bénédiction, il faut être indulgent et s’abstenir de répéter. Cependant, puisque les bénédictions du Chéma constituent une partie de l’accomplissement de la mitsva de lecture du Chéma, elles sont considérées comme indexées à celui-ci (voir Michna Beroura 67, 4 d’après le Rachba). C’est aussi ce que laisse entendre la règle applicable à celui dont l’occupation constante est l’étude de la Torah : celui-ci est, dans l’absolu, dispensé de la ‘Amida, mais non du Chéma ni de ses bénédictions (Michna Beroura 106, 6).

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