Pniné Halakha

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Chapitre 16 – Le Chéma et ses bénédictions

01. La mitsva de réciter le Chéma Israël et ses bénédictions, à l’égard des femmes

C’est un commandement positif[a] de la Torah que de lire le Chéma soir et matin, comme il est dit (Dt 6, 7) : « Tu en parleras… en te couchant et en te levant ». En te couchant désigne la nuit, en te levant, le matin. Or puisqu’il s’agit d’une obligation positive qui dépend du temps, les hommes y sont assujettis, tandis que les femmes en sont exemptées.

Nos sages ont institué la lecture de trois bénédictions pour accompagner le Chéma du matin : deux bénédictions qui le précèdent, une qui le suit. Pour le Chéma du soir, quatre bénédictions sont fixées : deux avant le Chéma, deux après (Michna Berakhot 11a). Ces bénédictions constituent un parachèvement et une extension apportés à la thématique du Chéma ; on y trouve des louanges et des expressions de reconnaissance envers Dieu pour la création du monde et sa direction. Les femmes sont également exemptées de la lecture de ces bénédictions, car ces dernières aussi dépendent du temps : les bénédictions du Chéma du matin se disent jusqu’à la fin de la quatrième heure du jour, celles du Chéma du soir se récitent toute la nuit.

Certains auteurs, il est vrai, estiment que les femmes doivent mentionner la sortie d’Egypte chaque jour et chaque nuit, car se souvenir de la sortie d’Egypte est une obligation permanente, qui se poursuit toute la nuit et tout le jour. Mais, comme il sera expliqué par la suite (§ 3), les femmes sont, selon la majorité des décisionnaires, exemptées de l’obligation de mentionner la sortie d’Egypte ; en effet, l’obligation du jour est, à cet égard, distincte de celle de la nuit, si bien que la mention de la sortie d’Egypte est, elle aussi, considérée comme dépendante du temps (Chaagat Aryé 13, Michna Beroura 70, 2).

Bien qu’elles soient exemptes de la lecture du Chéma, les femmes sont assujetties, comme les hommes, à l’obligation de la foi (émouna). Aussi convient-il qu’elles prennent sur elles, chaque jour, le joug de la royauté du Ciel, par la récitation des deux premières phrases du Chéma : Chéma Israël, Ado-naï Elo-hénou, Ado-naï E’had (« Ecoute, Israël, l’Eternel est notre Dieu, l’Eternel est Un »), et Baroukh Chem kevod malkhouto lé’olam va’ed (« Béni soit le nom de Celui dont le règne glorieux est éternel ») (Choul’han ‘Aroukh, Ora’h ‘Haïm 70, 1, Michna Beroura 5, Kaf Ha’haïm 5). Celle qui souhaite apporter un supplément de perfection à sa pratique dira l’ensemble des trois paragraphes du Chéma Israël, ainsi que la bénédiction Emet véyatsiv (« Il est vrai et constant… ») qui le suit car, dans cette bénédiction, est mentionné le thème de la sortie d’Egypte, ce qui permet ensuite d’enchaîner la mention de la délivrance d’Egypte à la récitation de la ‘Amida (cf. ci-dessus chap. 8, note 4, où il est dit que l’importance de la bénédiction Emet véyatsiv l’emporte sur la récitation de l’ensemble des paragraphes du Chéma).

Deux autres commandements liés au temps sont mentionnés dans le texte du Chéma : les tsitsit (franges rituelles portées aux quatre coins du talith) et les téphilines (phylactères portés au bras et au front pendant la prière du matin). Comme nous l’avons vu (chap. 3), les femmes recueillent la lumière spirituelle des mitsvot liées au temps, même sans les pratiquer, mais une femme qui désirerait accomplir une mitsva dépendante du temps serait aussi récompensée pour cela. Cependant, s’agissant du commandement des tsitsit et de celui des téphilines, les femmes n’ont pas coutume de les pratiquer, en raison de différentes craintes qu’il ne nous appartient pas de détailler ici (Rama, Ora’h ‘Haïm 17, 2 ; 38, 3). Néanmoins, toute femme est amenée à lire le Chéma Israël de temps en temps, certaines embellissant même leur pratique en le récitant chaque jour – et c’est cet usage que l’on a introduit dans de nombreuses écoles (cf. plus haut, chap. 2 § 8, note 10 ; chap. 8 § 3, note 4). Nous étudierons donc, dans les paragraphes suivants, le sens de cette mitsva et les règles de sa pratique.


[a]. C’est-à-dire une obligation de faire (mitsvat ‘assé) par opposition à une obligation de ne pas faire (mitsvat lo-ta’assé), interdit ou commandement « négatif ».

02. La mitsva de réciter le Chéma

Le Chéma Israël inclut trois paragraphes (paracha, pluriel parachot ou parachiot). Le premier paragraphe, Chéma (« Ecoute, Israël, l’Eternel est notre Dieu, l’Eternel est Un… », Dt 6, 4-9) contient les notions de réception du joug de la royauté du Ciel, d’unité de Dieu et d’amour de Dieu. Par le deuxième paragraphe, Véhaya im chamoa’ (« Il adviendra que, si tu écoutes attentivement mes commandements… », Dt 11, 13-21), nous recevons le joug des commandements. Le troisième paragraphe, Vayomer (« L’Eternel parla à Moïse en ces termes… », Nb 15, 37-41) nous prescrit de nous souvenir des mitsvot par le biais du commandement des tsitsit (les franges rituelles) et rappelle, en conclusion, la sortie d’Egypte.

Les sages ont fixé le paragraphe Chéma avant le paragraphe Véhaya im chamoa’, afin que l’on prenne d’abord sur soi le joug de la royauté du Ciel, puis le joug des commandements. Ils ont aussi décidé que le paragraphe Véhaya im chamoa’, qui traite de l’obligation générale d’observer tous les commandements, aussi bien ceux qui sont prescrits le jour que ceux qui sont prescrits la nuit, précéderait le paragraphe Vayomer, qui  traite du commandement des tsitsit, lequel n’est prescrit que le jour (Berakhot 13a).

De l’avis de la majorité des Richonim, l’obligation proprement toranique consiste seulement à lire le premier verset du premier paragraphe : « Chéma Israël, Ado-naï Elo-hénou, Ado-naï E’had », car c’est à propos de ce verset qu’il est écrit (Dt 6, 6-7) : « Ces paroles que Je te prescris en ce jour seront en ton cœur… Tu les diras… à ton coucher et à ton lever. » Les sages ont, quant à eux, institué la lecture des trois paragraphes. On peut dire qu’en effet, l’essentiel de cette mitsva consiste à prendre sur soi le joug de la royauté du Ciel, si bien que, selon la majorité des Richonim, celui qui lit le seul premier verset accomplit déjà en cela la mitsva, telle que la Torah le lui prescrit. Cependant, plus on s’étend sur la réception du joug de la royauté du Ciel, plus parfaitement on accomplit la mitsva de la Torah. Aussi, les sages ont-ils institué la lecture des trois paragraphes, dans lesquels apparaissent les principes de la foi, de la réception du joug des commandements, ainsi que du souvenir de ceux-ci par le biais des tsitsit. Il apparaît donc, en pratique, qu’en lisant les paragraphes du Chéma nous accomplissons une mitsva de la Torah elle-même (La Prière d’Israël 15, note 1).

03. Le souvenir de la sortie d’Egypte

C’est une mitsva de la Torah que de se souvenir de la sortie d’Egypte chaque jour, comme il est dit (Dt 16, 3) : « Afin que tu te souviennes du jour de ta sortie de la terre d’Egypte tous les jours de ta vie ». De l’insistance de la Torah sur le mot koltous les jours de ta vie »), nous apprenons que la mitsva de se souvenir de la sortie d’Egypte s’applique le jour et la nuit (Berakhot 12b)[b]. On peut accomplir la mitsva en disant l’un quelconque des versets de la Torah qui mentionnent la sortie d’Egypte ; de même, on peut accomplir la mitsva en mentionnant la sortie d’Egypte dans sa langue maternelle. Mais les sages ont institué la lecture du paragraphe Vayomer dans le cours de la récitation du Chéma, cela pour deux raisons : d’une part, ce paragraphe mentionne la mitsva des tsitsit, qui rappelle l’ensemble des mitsvot ; d’autre part, la sortie d’Egypte y est mentionnée. Aussi a-t-on l’usage de lire le paragraphe Vayomer également la nuit. Il est vrai que, du point de vue des tsitsit, il n’y aurait pas lieu de réciter ce paragraphe la nuit (puisque le port des tsitsit n’est une mitsva que de jour) ; mais du point de vue de la sortie d’Egypte, il y a de toute façon lieu d’en faire la lecture la nuit (cf. Berakhot 14b ; Kessef Michné, lois du Chéma 1, 2-3).

Il existe une différence entre la mitsva de lecture du Chéma et la mitsva du souvenir de la sortie d’Egypte. En effet, on ne peut accomplir la mitsva de lecture du Chéma du matin que durant les trois premières heures du jour, car c’est durant ce laps de temps que les gens se lèvent ; tandis que la mitsva de se souvenir de la sortie d’Egypte durant le jour peut s’accomplir tout le temps qu’il fait jour. Simplement, conformément au décret des sages consistant à lire les trois paragraphes du Chéma, nous accomplissons la mitsva du souvenir de la sortie d’Egypte simultanément avec celle de lire le Chéma. Dans la bénédiction Emet véyatsiv, qui suit le Chéma du matin, et dans la bénédiction Emet véémouna qui suit le Chéma du soir, on rappelle également la sortie d’Egypte. Celui qui les récite s’acquitte donc de la mitsva de se souvenir de la sortie d’Egypte, même s’il ne lit pas le Chéma.

En ce qui concerne les femmes : selon certains avis, puisque la mitsva de mentionner la sortie d’Egypte se prolonge, de façon continue, le jour et la nuit, elle ne peut être considérée comme une mitsva conditionnée par le temps ; aussi les femmes y sont-elles tenues. Par conséquent, celles-ci doivent réciter chaque jour, lors de la prière du matin, la bénédiction Emet véyatsiv et, lors de la prière du soir, la bénédiction Emet véémouna (Maguen Avraham). Toutefois, selon la majorité des décisionnaires, puisqu’il existe une mitsva particulière de rappeler la sortie d’Egypte le jour, et une mitsva particulière de la rappeler la nuit, il s’agit bien d’un commandement conditionné par le temps ; aussi les femmes en sont-elles exemptées (Chaagat Aryé 13, Michna Beroura 70, 2).

Quoi qu’il en soit, celle qui voudra accomplir cette mitsva sera bénie pour cela. En ce cas, il est préférable d’accomplir la mitsva en récitant la bénédiction Emet véyatsiv. En effet, le troisième paragraphe du Chéma (Vayomer) est lié à la mitsva des tsitsit dont les femmes sont exemptées, tandis que le thème de la bénédiction Emet véyatsiv, la Délivrance d’Israël, appartient aux hommes comme aux femmes. De plus, si l’on récite la ‘Amida immédiatement après, on aura le grand avantage de juxtaposer la mention de la Délivrance à la prière (cf. ci-après, § 13).


[b]. Berakhot 12b : « Ben Zoma a expliqué, à propos du verset “Afin que tu te souviennes du jour de ta sortie de la terre d’Egypte tous les jours de ta vie”: “L’expression les jours de ta vie désigne les jours ; l’ajout de tous dans tous les jours de ta vie vient inclure également les nuits.” » Cf. chap. 18 § 2.

04. Contenu du premier paragraphe

Le premier paragraphe, « Chéma » (Dt 6, 4-9) est composé de trois parties : 1) le fondement de la foi ; 2) la signification de ce fondement dans notre vie ; 3) des instructions pour enraciner la foi dans notre vie.

  • Dans le premier verset, « Ecoute Israël, l’Eternel est notre Dieu, l’Eternel est Un », nous apprenons le fondement de la foi juive unitaire : Dieu, béni soit-Il, est le maître de tout, et il n’est aucune force dans l’univers en dehors de Lui. Et bien qu’il nous semble y avoir dans le monde des forces différenciées et séparées les unes des autres, la vérité est que Dieu est Un, qu’Il insuffle la vie à chacune d’entre elles, et que rien n’existe indépendamment de Lui.
  • La signification de cette foi dans notre vie est qu’aucune valeur dans le monde ne peut s’abstraire de l’attachement à Dieu béni soit-Il. Aussi, le Chéma se poursuit-il par : « Tu aimeras l’Eternel ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir. » Les sages expliquent (Berakhot 54a) :
  1. « De tout ton cœur : avec tes deux penchants[c], le penchant au bien et le penchant au mal ». Car le penchant au mal lui-même doit être assujetti au service de Dieu, que ce soit en le contraignant ou en l’inversant dans le sens du bien.
  2. « De toute ton âme : même si l’on enlevait ton âme », car on doit être prêt au sacrifice de sa vie au nom de sa foi en Dieu.
  3. « Et de tout ton pouvoir : avec toute ta fortune », car l’argent et les possessions eux-mêmes doivent servir de base et de moyen au service de Dieu ; et si l’on exige d’un Juif de transgresser sa religion sauf à perdre tout son argent, il devra renoncer à son argent et ne pas renier sa foi. Les sages expliquent également : « De tout ton pouvoir : quelle que soit la mesure[d] qu’Il t’attribue, sois-Lui extrêmement reconnaissant. »
  • Dans la troisième partie, la Torah nous enseigne comment enraciner en nous les principes de la foi que nous venons de mentionner. Premièrement : « ces paroles que je t’ordonne en ce jour seront dans ton cœur » ; de plus : « tu les enseigneras à tes enfants ». Même après avoir très bien appris les principes de la foi, et à moins de les répéter et de les rappeler chaque jour à son souvenir, les soucis et les occupations du quotidien risquent de faire oublier à l’homme sa foi. Aussi, la Torah prescrit-elle : « Tu en parleras, assis dans ta maison, en marchant en chemin, à ton coucher et à ton lever. » Là se trouve la base de l’obligation de lire le Chéma le matin et la nuit. Cependant, la Torah ne s’est pas contentée de la seule lecture du Chéma ; elle a ajouté le commandement de placer les paragraphes de la foi à l’intérieur des téphilines et de les attacher à son bras et sur sa tête : « Tu les attacheras en signe sur ton bras et ils seront un fronteau entre tes yeux. » Ce n’est pas tout : la Torah a encore ordonné de fixer ces paragraphes sur les poteaux des portes de sa maison : « Tu les écriras sur les poteaux de ta maison et sur tes portes », de façon qu’à tout moment où nous entrons ou sortons de nos demeures, nous remarquions la mézouza[e] et nous nous ressouvenions des principes de la foi d’Israël.

[c]. Bekhol lévavékha : littéralement de tous tes cœurs, et non bekhol libkha, de tout ton cœur ; d’où l’idée de dualité, développée dans la lecture midrachique du Talmud, entre penchant du cœur au bien (yetser hatov) et penchant du cœur au mal (yetser hara’), l’un et l’autre devant être canalisés au service de l’amour de Dieu.

[d]. Mida, mesure, jeu de mot avec meod, pouvoir : « Pour toute mesure que Dieu t’attribue, mesure de bienfait ou mesure d’adversité ».

[e]. Mézouza : étui fixé aux poteaux de nos portes, contenant un parchemin sur lequel sont écrits les deux premiers paragraphes du Chéma, où il est précisément question de la mitsva de fixer « ces paroles » sur les poteaux de nos portes.

05. Les deuxième et troisième paragraphes

Dans le deuxième paragraphe, Véhaya im chamoa’ (Dt 11, 13-21), nous apprenons la valeur des commandements de la Torah, la récompense de ceux qui les observent et la punition de ceux qui les transgressent. Nous apprenons que, si nous aimons Dieu, le servons de tout notre cœur et observons ses mitsvot, nous mériterons la bénédiction divine, la terre donnera son produit, nos jours et ceux de nos enfants se prolongeront sur la terre que l’Eternel a juré de donner à nos ancêtres et à nous-mêmes. Et si, à Dieu ne plaise, nous nous détournions du chemin, la colère divine s’enflammerait contre nous, la terre ne donnerait pas son produit, et nous disparaîtrions de ce bon pays. Puis la Torah nous ordonne une nouvelle fois de méditer ces principes,  nous prescrit de placer les paroles de ce paragraphe, Véhaya im chamoa’, dans les téphilines du bras et de la tête, et de fixer ce même paragraphe sur les poteaux des portes de nos maisons. Nous voyons donc que, dans le premier paragraphe, l’accent était mis sur notre orientation vers le Ciel, sur le don de toutes les forces de notre âme au service de Dieu ; tandis que, dans le deuxième paragraphe, l’accent est mis sur la révélation de la conduite divine dans le monde. Cette révélation s’exprime par l’observance des mitsvot, ainsi que par la récompense et par la punition, qui manifestent, elles aussi, la providence de Dieu sur le monde.

Le troisième paragraphe, Vayomer (Nb 15, 37-41), expose la mitsva des tsitsit, qui possède une vertu particulière, celle de pouvoir nous rappeler toutes les mitsvot et d’éveiller notre conscience à leur observance, comme il est dit : « Vous vous souviendrez de tous les commandements de l’Eternel et vous les accomplirez. » Une allusion à cela se trouve dans le fait que la mitsva des tsitsit s’accomplit le jour et non la nuit : le jour fait allusion au dévoilement clair de la parole de Dieu dans le monde. Par le dévoilement de la lumière des mitsvot et par leur rappel, nous trouvons la force de surmonter le penchant au mal, comme il est dit : « Vous les accomplirez, et vous ne vous égarerez pas à la suite de vos cœurs et de vos yeux, à la suite desquels vous vous prostitueriez. » À la fin de cette paracha, est mentionnée la sortie d’Egypte. De même que le tsitsit révèle la lumière des mitsvot, de même la sortie d’Egypte révéla qu’il y a un Maître dans le monde, et que le peuple d’Israël a été choisi pour dévoiler Sa parole.

Nous voyons donc que ces trois paragraphes sont la continuation et l’extension du principe de la foi contenu dans le verset Chéma Israël. Dans le premier paragraphe, nous apprenons le sens essentiel de la foi au sein de notre vie : la foi constitue le seul et unique principe de notre vie ; c’est là l’extension des mots Ado-naï E’had (« l’Eternel est Un »). Grâce à cela, nous prenons sur nous le joug des commandements, par le deuxième paragraphe, ce qui constitue l’extension des mots Ado-naï Elo-hénou (« l’Eternel est notre Dieu »). Le troisième paragraphe, quant à lui, contient la mitsva des tsitsit, qui nous rappelle et nous enseigne l’ensemble des mitsvot. Il s’achève par le rappel de la sortie d’Egypte, laquelle a révélé au monde que Dieu a choisi Israël, et qu’Il exerce Sa providence et Son règne sur Son monde. Cela constitue une extension des mots Chéma Israël. Par la suite (§ 12), nous verrons que les bénédictions du Chéma instituées par les sages sont elles-mêmes une continuation et un parachèvement apportés à la lecture du Chéma.

06. Signification de la sortie d’Egypte

Le royaume égyptien, qui a asservi Israël, était essentiellement le régime de la matérialité. L’étude de l’histoire confirme que, parmi tous les peuples de l’Antiquité, aucun ne possédait une culture plus matérialiste que celle de l’Egypte. Les Egyptiens niaient l’existence d’une âme et d’un monde futur qui ne fussent liés à la matérialité ; seuls le corps et la matière importaient en fin de compte à leurs yeux, car ils n’attribuaient pas à l’esprit d’existence propre. C’est pourquoi ils investissaient des moyens grandioses à l’embaumement des morts et à la conservation de leurs corps. Les hautes pyramides elles-mêmes n’étaient rien d’autre que des tombeaux destinés au corps. Leur culture morale était à l’avenant : l’essentiel était d’assouvir le désir du corps et, comme le racontent nos maîtres de mémoire bénie, aucune nation n’était plus immergée que l’Egypte dans les passions (Torat Cohanim, A’haré mot chap. 9). Face à cela, le peuple d’Israël représente le pôle radicalement inverse : ses aspirations sont essentiellement spirituelles.

Durant cette dure période, la nation matérialiste dominait le peuple d’Israël et l’assujettissait par un dur servage. Il semblait alors que la grande inspiration qui avait commencé de se révéler par le biais des patriarches ne pourrait se restaurer. La matière avait vaincu l’esprit. Alors le Roi des rois se révéla en personne et nous fit sortir d’Egypte.

Par la sortie d’Egypte, Dieu révéla au monde pour la première fois la pleine puissance du spirituel. Il fut manifeste que le monde ne se limite pas à la matière et aux désirs, qu’il y a aussi une spiritualité, qu’il existe un esprit et une âme, et que par conséquent il existe des valeurs morales. La sortie d’Egypte exprime la victoire de l’esprit sur la matière. Il devint manifeste que, quelles que puissent être les tentatives de la matière pour asservir l’esprit, celui-ci se libère finalement des chaînes de celle-là. De même qu’Israël est sorti d’Egypte victorieusement et en emportant de grandes richesses, de même toute lutte entre l’esprit et la matière s’achèvera par la victoire de l’esprit.

Et de même que le peuple d’Israël, qui a prodigué au monde la Torah et la morale, s’est libéré des entraves matérielles de la nation égyptienne, ainsi chaque Juif doit tendre chaque jour à se délivrer des chaînes du matérialisme, afin de dévoiler le spirituel et de se lier au Maître de l’univers par le biais des mitsvot. Par la mitsva de nous souvenir de la sortie d’Egypte, nous nous rappelons la spécificité et la vocation d’Israël ; grâce à cela, nous pouvons nous affranchir des entraves de la matière, et dévoiler ainsi la vérité divine éternelle (cf. encore Pniné Halakha, Pessa’h, 1, 2-4).

07. Kavana à entretenir pendant la récitation du premier verset

C’est à l’égard du premier verset du Chéma que la concentration de l’esprit (kavana) est principalement requise, car c’est par ce verset que nous recevons le joug de la royauté du Ciel, et c’est au sujet de ce verset qu’il est dit (Dt 6, 6) : « Ces paroles… seront dans ton cœur ». Si bien qu’il faut appliquer sa pensée à ce que l’on dit dans le premier verset ; et dans le cas où l’on ne se serait pas concentré sur les mots que l’on a prononcés, on ne serait pas quitte de son obligation (Berakhot 13b, Choul’han ‘Aroukh 60, 5 et 63, 4).

Quand bien même on se concentre sur la pleine signification de chaque mot, il faut encore s’efforcer de ne pas détourner son attention vers d’autres sujets au milieu du verset. Toutefois, il semble que l’on soit quitte de son obligation a posteriori, dès lors que l’on a également pensé à la signification du verset (La Prière d’Israël 15, note 2).

Il convient de se concentrer comme suit :

Chéma Israël (« Ecoute, Israël ») : la mitsva de recevoir le joug de la royauté de Dieu est destinée au peuple juif, car c’est lui qui a été créé afin de révéler la foi en l’unité divine dans le monde.

Ado-naï (« l’Eternel ») : ce nom ne se lit pas comme il s’écrit. À l’écrit, c’est le tétragramme : les lettres yod, puis , puis vav, puis . Mais il se lit Ado-naï. Il faut penser, en prononçant le nom, à sa signification dans sa version orale et dans sa version écrite. Dans sa version orale : Il est le maître de tout. Dans sa version écrite : Il a été, Il est et Il sera.

Elo-hénou (« notre Dieu ») : Dieu est fort, Il est tout-puissant, maître de toutes les forces, et Il règne sur nous.

Lorsqu’on prononcera E’had (« Un »), on prolongera sa prononciation, le temps de penser que Dieu est seul à régner sur l’univers entier, sur les cieux, sur la terre et aux quatre points cardinaux. Cette intention est contenue allusivement dans les lettres du mot E’had (aleph, ‘heth, dalet) : aleph, première lettre de l’alphabet, fait allusion à l’unicité de Dieu ; ‘heth, huitième lettre, fait allusion au fait que Dieu règne sur les sept cieux auxquels s’ajoute la terre ; dalet, quatrième lettre, rappelle que Dieu est seul à régner aux quatre points cardinaux (Choul’han ‘Aroukh 5, 1 ; 61, 6 ; voir Michna Beroura 18).

A posteriori, la fidèle a accompli la mitsva, même dans le cas où elle n’a pas appliqué son esprit au commentaire exact de chaque mot et de chaque nom, dès lors qu’elle a compris de façon générale le sens des mots, dont l’objet est la réception du joug de la royauté du Ciel (La Prière d’Israël 15, note 3).

Mais si l’on a laissé dériver son esprit et que l’on n’ait pas même été attentif au sens général des mots du premier verset, on n’a pas accompli la mitsva et, si l’on veut accomplir celle-ci, il faut relire le premier verset du Chéma, cette fois en se concentrant (Michna Beroura 63, 14 ; Kaf Ha’haïm 17-18 ; cf. La Prière d’Israël 15, 6).

Afin d’éveiller la kavana, on a coutume de lire le premier verset à haute voix. De même, on a coutume de recouvrir ses yeux de la main droite, afin de ne rien regarder qui puisse dissiper la kavana (Choul’han ‘Aroukh 61, 4-5 ; Michna Beroura 17).

08. La deuxième phrase et sa kavana

Immédiatement après le premier verset, on dit à voix basse : Baroukh chem kevod malkhouto lé’olam vaed (« Béni soit le nom de Celui dont le règne glorieux est éternel »). Bien que cette phrase ne fasse pas partie du paragraphe Chéma Israël tel qu’il apparaît dans la Torah, et bien qu’il ne s’agisse même pas d’un verset de la Bible, les sages ont décrété son inclusion dans le premier paragraphe du Chéma, en se fondant sur une tradition ancienne.

Le Talmud raconte, dans le traité Pessa’him (56a), qu’avant la mort de Jacob notre père, tous ses fils se rassemblèrent en sa présence, et qu’il voulut leur révéler les événements de la fin des temps. « La Présence divine se retira alors de Jacob, et il ne put leur révéler ces événements. Il dit à ses fils : “Peut-être l’un d’entre vous n’est-il pas digne (de se voir transmettre une telle révélation)[f] – comme il arriva à Abraham, mon grand-père, dont est issu Ismaël, et à Isaac, mon père, dont est issu Esaü –, et m’est-il impossible pour cette raison de vous dévoiler les événements de la fin des temps ?” Tous dirent alors : “Ecoute Israël, l’Eternel est notre Dieu, l’Eternel est Un ; de même qu’il n’est qu’un Dieu en ton cœur, de même il n’est qu’un Dieu en notre cœur.” À ce moment, Jacob dit : “Béni soit le nom de Celui dont le règne glorieux est éternel.” Les sages ont dit : “Quant à nous, que ferons-nous ? Dirons-nous cette phrase [lors de la récitation du Chéma] ? Or elle n’est pas écrite dans la paracha ! Ne la dirons-nous pas ? Mais Jacob notre père, que la paix repose sur lui, l’a lui-même prononcée !” Aussi ont-ils décidé qu’elle serait dite à voix basse. »

Cette phrase est considérée comme l’extension de la réception du joug de la royauté du Ciel mise en œuvre au premier verset. Aussi, pour cette phrase, comme pour le premier verset, il est obligatoire de concentrer son esprit sur le sens des mots (Michna Beroura 63, 12). Comme nous l’avons vu (§ 1), il est bon que les femmes récitent les deux premières phrases du Chéma chaque jour.

Il convient de marquer une petite interruption entre les mots lé’olam vaed (« à jamais », derniers mots de cette deuxième phrase), et véahavta (« Tu aimeras », premier mot du verset suivant, si on le récite), afin de distinguer la réception du joug de la royauté du Ciel du reste du paragraphe. De même, il convient de marquer une interruption entre le premier verset (Chéma Israël…) et la phrase dite à voix basse (Baroukh chem…), afin de distinguer la réception du joug de la royauté du Ciel telle que la Torah la prescrit de ce qu’ont ajouté les sages (Choul’han ‘Aroukh et Rama 61, 14).

Bien que la foi en l’unité divine soit un sujet plus profond que les océans, nous aborderons quelque peu sa signification. Le premier verset, Chéma Israël, exprime la foi supérieure, absolue et unitaire, et est appelé « unicité supérieure » (yi’houd ‘e-lion). A ce niveau supérieur de conception, rien d’autre n’a d’existence réelle dans le monde ; Dieu est seul en Son monde, et nous sommes tous insignifiants face à Lui. Et puisque l’essence infinie de Dieu ne se dévoile pas en ce monde, il est difficile de concevoir l’unicité supérieure de façon constante ; ce n’est que deux fois par jour, au moment de la récitation du verset Chéma Israël, que nous sommes tenus de nous élever à ce niveau. La deuxième phrase est appelée « unicité inférieure » (yi’houd ta’hton). Par elle, nous prenons sur nous le joug de la royauté du Ciel selon la foi qui se dévoile en ce monde-ci, foi selon laquelle le monde n’est pas nul et non avenu, mais réel et existant, et Dieu, béni soit-Il, le fait vivre et règne sur lui. Selon Sa volonté, Il ajoutera au monde un supplément de vie ou, ce qu’à Dieu ne plaise, diminuera sa vitalité. On dit à ce propos que « Son nom et Sa royauté se dévoilent dans le monde », comme nous le mentionnons : « Béni soit le nom de Celui dont le règne glorieux est éternel » (Tanya, Chapitre de l’unification et de la foi ; Néfech Ha’haïm, chapitre 3).


[f]. Jacob craignait que le retrait de son inspiration divine ne fût motivé par l’indignité éventuelle de l’un de ses fils. Sa crainte reposait sur l’exemple de son père et de son grand-père, eux-mêmes justes, mais dont une partie de la descendance n’avait pas suivi les voies. La cause du retrait était autre : Dieu ne permet pas que soit dévoilé à chacun le terme de l’Histoire.

09. Règles de la récitation du Chéma

Celle qui lit le Chéma doit le faire avec une grande concentration, avec crainte, révérence, tremblement et frisson. Elle pensera en son for intérieur qu’elle est en train de lire la parole du Roi, le Saint béni soit-Il, et elle se concentrera sur le sens des mots comme s’ils étaient nouveaux pour elle (Choul’han ‘Aroukh 61, 1-2).

En plus d’être concentrée, la lectrice doit être précise dans la prononciation des lettres : il ne faut avaler aucune lettre, ne pas accentuer une lettre spirante, ni aspirer une lettre accentuée. De même, il faut a priori distinguer l’une de l’autre les lettres aleph et ‘ayin, khaf et ‘het, et distinguer les voyelles qamats et pata’h, tséré et ségol (Choul’han ‘Aroukh, Ora’h ‘Haïm 61, 14-23). Les sages ont dit : « Quiconque lit le Chéma en prononçant avec précision toutes ses lettres, on refroidit à son profit le feu de la géhenne » (Berakhot 15b). A posteriori, si l’on a lu le Chéma sans être précis dans la prononciation des lettres, on a néanmoins accompli la mitsva, à condition de ne pas avoir escamoté toute une syllabe (Choul’han ‘Aroukh 62, 1 ; Michna Beroura 1).

Il faut rendre audible à son oreille ce qui sort de sa bouche, durant la récitation du Chéma. A posteriori, si l’on a simplement articulé les mots sans les avoir rendus audibles à son oreille, on a accompli la mitsva, puisque l’on a fait un acte par le mouvement de ses lèvres. Mais si l’on s’est contenté de penser les mots du Chéma, on n’a pas accompli la mitsva (Choul’han ‘Aroukh 62, 3).

Si l’on s’en tient à la stricte règle, quoiqu’il convienne a priori de lire le Chéma et de prier dans la langue sainte,  la récitation du Chéma ou de la prière dans une langue autre que l’hébreu nous rend quitte, à condition de comprendre cette autre langue (cf. plus haut, chap. 12 § 7). Toutefois, certains grands décisionnaires modernes écrivent que, en pratique, il est impossible d’accomplir la mitsva de lire le Chéma dans une autre langue que l’hébreu, car nous ne savons pas traduire certains mots avec précision. Par exemple, l’expression véchinnantam (« tu les enseigneras ») contient à la fois une idée de répétition et d’aiguisement de l’esprit (« tu les répéteras et les enseigneras avec une précision aiguë ») ; or il ne se trouve pas un verbe semblable dans les langues autres que l’hébreu. Puisqu’il est donc impossible de traduire le Chéma de façon précise, on ne peut le réciter dans une langue étrangère (Michna Beroura 63, 3 ; cf. La Prière d’Israël, chap. 15, note 7).

10. Façon de réciter le Chéma

Il est permis de réciter le Chéma debout, assis ou couché sur le côté (Berakhot 10a ; Choul’han ‘Aroukh 63, 1). On peut apprendre de cette règle que la foi (émouna) n’est pas une chose détachée du monde, et qui ne pourrait être atteinte que dans des circonstances particulières. La foi, qui s’exprime par le biais de la récitation du Chéma, relève de toutes les circonstances de la vie de l’homme dans ce monde-ci ; aussi peut-on lire le Chéma dans toutes les postures.

Si l’on s’en tient à la règle stricte, on peut même lire le Chéma en marchant, comme il est dit : « Ces paroles… tu les diras… en marchant en chemin » (Dt 6, 7). Toutefois, les sages ont dit qu’il ne convenait pas de prendre sur soi le joug de la royauté du Ciel comme s’il s’agissait d’une chose accidentelle. Aussi, il est recommandé à celle qui se trouve en chemin de se tenir immobile durant la récitation du premier verset du Chéma (Choul’han ‘Aroukh 63, 3 ; Michna Beroura 9).

En raison de l’importance du premier paragraphe, dans lequel nous recevons le joug de la royauté du Ciel, on doit prendre garde, en le lisant, de se livrer à quelque autre occupation, ou de faire signe à autrui, de ses yeux, de ses doigts ou de ses lèvres (Choul’han ‘Aroukh 63, 6).

Il convient de signaler que les mitsvot nécessitent, pour être valablement accomplies, une intention (Choul’han ‘Aroukh 60, 4), c’est-à-dire qu’en plus de l’exécution même de l’acte de la mitsva, il faut encore avoir à l’esprit que cet acte ou cette parole constitue une mitsva. Quant au sens de cette règle, on peut expliquer que, de même que l’homme est doté d’un corps et d’une âme, ainsi la mitsva a-t-elle un corps et une âme : le corps est l’acte constitutif de la mitsva, l’intention qu’on y met en est l’âme (cf. La Prière d’Israël 15, 8).

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