Pniné Halakha

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Chapitre 16 – Allumer, éteindre un feu

01. Allumer un feu (mav’ir)

La Torah dit : « Le septième jour est le Chabbat de l’Eternel ton Dieu. Tu ne feras aucun ouvrage » (Ex 20, 10). Nos sages expliquent que l’intention de la Torah est ici d’interdire, pendant le Chabbat, l’ensemble des trente-neuf types d’ouvrages que l’on exécutait pour les besoins de la construction du Tabernacle. Or, bien que le travail consistant à allumer un feu fasse partie de cet ensemble de trente-neuf travaux – puisque l’on allumait un feu pour préparer les couleurs destinées à la coloration des tentures du Tabernacle –, la Torah mentionne par ailleurs, explicitement, la mélakha[a] de l’allumage (mav’ir), comme il est dit : « Vous n’allumerez pas de feu, dans toutes vos demeures, le jour de Chabbat » (Ex 35, 3). Nos sages demandent en vertu de quoi il était nécessaire de mentionner spécifiquement la mélakha d’allumer. Rabbi Nathan explique que la Torah a voulu mentionner de façon particulière une mélakha à titre d’exemple, afin de nous apprendre que, bien que les trente-neuf travaux interdits le Chabbat nous soient enseignés à partir d’un seul verset (« Tu ne feras aucun travail »), chaque mélakha est néanmoins regardée comme constituant un interdit en elle-même. Par conséquent, celui qui, par erreur, exécuterait plusieurs travaux, serait redevable d’un sacrifice expiatoire (‘hatat) pour chacun d’entre eux (Chabbat 70a).

Grâce à la puissance considérable que possède le feu, l’homme peut maîtriser certaines forces de la nature et les mettre à son service. Par le feu, l’homme créa les ustensiles de fer, améliora son alimentation ; par la suite, il créa de puissantes machines. C’est peut-être pour cela que la mélakha consistant à faire du feu a été choisie, parmi tous les travaux, comme exemple, exprimant la prodigieuse capacité de l’homme à œuvrer au perfectionnement du monde. Le Chabbat, cependant, tout Juif doit se reposer et se hisser au-delà de toutes les activités créatives, se souvenir de son Créateur, qui l’a fait sortir d’Egypte, et se délecter du Chabbat par l’étude de la Torah et par les repas sabbatiques.

De prime abord, il y a lieu de s’interroger sur la nature même de la mélakha d’allumer. Nous avons en effet pour principe que « tous ceux qui abîment sont quittes[b] » (Chabbat 105b), si bien que, lorsqu’un homme déchire un vêtement ou casse un objet par erreur[c], il est quitte de tout sacrifice expiatoire. Certes, celui qui commet une telle détérioration enfreint un interdit rabbinique ; mais il n’enfreint pas d’interdit toranique. Cela étant posé, nous devons nous demander pourquoi celui qui allume un feu, le Chabbat, transgresse un interdit de la Torah, alors que dans toute combustion, la matière combustible, précisément, se détériore. La réponse est que, tant que la jouissance engendrée par le feu – en réchauffant ma maison, en allumant ma bougie ou par quelque autre avantage – importe davantage que la perte de la matière combustible, la mélakha doit être considérée comme créatrice, et non destructrice (Maïmonide, Chabbat 12, 1 ; cf. Kessef Michné).


[a]. Mélakha, plur. mélakhot : ouvrage, travail interdit le Chabbat. Cf. volume 1, chap. 9 § 1-2.

[b].  Si l’on accomplit une mélakha, le Chabbat, dans la seule intention d’abîmer, et non pour les besoins d’une activité créatrice, on est quitte de toute sanction.

 

[c]. Be-chogueg : par mégarde. Cas dans lequel on accomplit une mélakha parce que l’on ignorait qu’elle fût interdite le Chabbat, ou encore parce que l’on avait oublié que c’était Chabbat.

02. Règles relatives à l’allumage

Celui qui allume un feu quelconque transgresse un interdit de la Torah, si cet acte répond à une nécessité. Peu importe qu’il ait allumé ce feu en frottant l’une sur l’autre des pierres à feu, ou bien en s’aidant d’une loupe qui concentre fortement les rayons du soleil vers de la paille, ou bien encore en utilisant une allumette, ou l’électricité. Peu importe aussi que le feu brûle au moyen d’huile, d’essence ou de courant électrique : dès lors que l’on a pour intention de produire du feu, et que l’on en produit, on transgresse l’interdit de la Torah.

En revanche, si l’on produit des étincelles de feu, qui n’ont pas de réelle consistance, on ne transgresse pas d’interdit toranique ; et si ces étincelles ont été produites sans intention, on n’a enfreint aucun interdit. Aussi est-il permis d’utiliser, le Chabbat, des vêtements synthétiques ou des vêtements de laine, bien que, lorsqu’on les met ou les enlève, des étincelles se produisent : puisque ces étincelles sont produites sans que l’on y mette de volonté ni d’intention, il n’y a pas là d’interdit (Chemirat Chabbat Kehilkhata 15, 76, Ye’havé Da’at II 46).

De même que la Torah interdit l’allumage d’un feu nouveau, de même interdit-elle d’augmenter un feu. Certes, les jours de fête (yom tov), la règle est différente : il est interdit de créer un feu nouveau, mais il est permis d’augmenter un feu déjà existant. Mais le Chabbat, ajouter à un feu existant est également chose interdite par la Torah. Par exemple, il est interdit d’augmenter la flamme d’un fourneau à gaz en tournant le bouton qui commande l’écoulement d’une plus grande quantité de gaz. De même, il est interdit de faire couler davantage d’essence dans un réchaud afin d’en augmenter la flamme. Même ajouter de l’huile à une lampe qui est en train de brûler est interdit par la Torah (Beitsa 22a).

De même, il est interdit de remuer des braises car, par cela, le feu augmenterait (Keritout 20a). Il est également interdit d’ouvrir un four à bois, car alors du vent pénétrerait dans le four, soufflant sur les braises et augmentant la flamme (Michna Beroura 259, 21). Si le four à bois est ouvert, ou s’il y a un foyer à l’intérieur d’un lieu fermé, il est interdit d’ouvrir la fenêtre ou la porte face au feu, de crainte qu’un vent fort ne pénètre, soufflant sur les braises. Quand il n’y a pas de vent du tout, il est permis d’ouvrir la porte ou la fenêtre (Choul’han ‘Aroukh 277, 2).

Quand une lampe à huile est posée sur la table, il faut s’efforcer de ne pas remuer la table vivement, de crainte que cela ne conduise l’huile à se rapprocher de la mèche et que la flamme ne grandisse, car alors on commettrait l’interdit d’allumer. Mais s’il s’agit d’une bougie de cire ou d’une lampe à huile où est posée une mèche flottante, il n’est pas à craindre qu’en remuant la table on entraîne l’augmentation du feu (Michna Beroura 277, 18).

03. L’interdit rabbinique de lire à la lumière d’une lampe à huile

Nos sages ont interdit, le Chabbat, de lire à la lumière d’une lampe à huile, de crainte que la flamme ne faiblisse et que l’on n’en vienne à pencher la lampe afin d’amener davantage d’huile vers la mèche, transgressant en cela l’interdit toranique d’allumer. Certes, nos sages font aussi obligation d’allumer une veilleuse[d] en l’honneur du Chabbat ; toutefois, le but de cette veilleuse est d’éclairer le repas, lequel ne nécessite pas un regard aussi scrutateur que celui qu’impose la lecture. De même, cet allumage a été institué pour que l’on puisse marcher chez soi sans se heurter aux meubles. Par contre, les sages ont interdit de faire, à la lumière des veilleuses de Chabbat, une chose qui exige un regard scrutateur (‘iyoun rav), de crainte que, en voulant mieux voir, on n’incline la lampe. Si je veux lire à la lumière de la veilleuse, je dois demander à un camarade de me surveiller, afin de s’assurer que je n’incline point la lampe ; ou bien je peux étudier de concert avec mon camarade, afin que nous nous surveillions l’un l’autre (Chabbat 11a, Choul’han ‘Aroukh 275, 1-3).

Si la veilleuse est une bougie de paraffine, comme la majorité de nos veilleuses actuelles, de nombreux décisionnaires estiment qu’il est permis, même si l’on est seul, d’étudier à sa lumière, car il n’est pas à craindre de l’incliner : si l’on incline la lampe à huile, c’est en effet pour rapprocher l’huile de la mèche ; or dans une bougie de paraffine, la cire adhère à la mèche, et est déjà proche du feu. De même il n’est pas à craindre d’en venir à moucher la mèche, car une bougie de paraffine brûle bien, et il n’est pas besoin de s’en occuper après l’avoir allumée (Michna Beroura 275, 4, Kaf Ha’haïm 275, 11).

Il est permis au particulier d’étudier à la lumière d’une ampoule électrique. Même quand il y a deux interrupteurs, commandant chacun une ampoule, et que l’on n’en a allumée qu’une, il est permis d’étudier à sa lumière. Et même quand il existe une possibilité de tourner l’interrupteur et d’augmenter ainsi l’éclairage dispensé par l’ampoule, il reste permis d’étudier à sa lumière. En effet, le motif du décret de nos sages tient dans la possibilité que la flamme faiblisse et que l’on en vienne à incliner la veilleuse pour lui redonner sa précédente force ; en revanche, nos maîtres n’ont pas craint que l’on n’en vienne à allumer une veilleuse supplémentaire, ou à ajouter de l’huile à la lampe. Or, puisque la lumière de l’ampoule électrique n’est pas sujette à faiblir, on ne craint pas d’en venir à allumer une autre ampoule, ou d’augmenter l’intensité de la lumière. En tout état de cause, a priori, il est bon, dans un tel cas, de placer sur l’interrupteur une étiquette où soit inscrit le mot Chabbat, afin que l’on n’augmente pas la lumière par erreur (Chemirat Chabbat Kehilkhata 13, 37, Ye’havé Da’at VI 20).


[d].  Sur l’allumage des lumières de Chabbat, voir le tome 1, chapitre 4.

04. Règles relatives aux veilleuses de Chabbat

Quand des veilleuses brûlent, à la maison, il faut avoir soin de ne pas ouvrir, à proximité, de fenêtre ou de porte de manière telle que le vent les éteindra. Même si, dehors, souffle un vent faible, qui ne pourrait éteindre les veilleuses, il est interdit d’ouvrir la fenêtre, de crainte que, dès l’ouverture, le vent ne se renforce et n’éteigne les veilleuses, si bien que l’ouverture de la fenêtre serait la cause de l’extinction du feu. Quand il n’y a aucun vent, certains interdisent néanmoins d’ouvrir la fenêtre, et d’autres le permettent. En cas de nécessité, par exemple s’il fait chaud dans la pièce, on pourra ouvrir la fenêtre, comme le permettent les tenants de l’opinion indulgente (Michna Beroura 277, 3).

Il est permis d’ouvrir une fenêtre ou une porte en un endroit de la pièce où, même s’il souffle au-dehors un vent fort, celui-ci ne pourrait éteindre les veilleuses. C’est par exemple le cas lorsque la fenêtre ou la porte sont éloignées des veilleuses, ou que la fenêtre se trouve dans un angle tel que peu de vent pénètre par elle dans la pièce. Même quand le vent risque de faire osciller la flamme, de haut en bas, de droite et de gauche, il est permis d’ouvrir la porte ou la fenêtre, tant que ce vent n’a pas la force d’éteindre la flamme (Choul’han ‘Aroukh 277, 1, Menou’hat Ahava III 26, note 6).

Si, avant Chabbat, on a allumé des veilleuses face à une fenêtre ouverte, et qu’ensuite le vent ait commencé de souffler, il est permis, pendant Chabbat, de fermer la fenêtre afin de protéger les veilleuses car, en fermant la fenêtre, on n’accomplit aucun acte sur les veilleuses elles-mêmes, mais on se contente d’empêcher le vent de les éteindre (Rama 277, 1).

Il est de même permis de fermer la porte sur une pièce où brûle un feu de cheminée. Bien que le vent qui entre dans la pièce souffle sur les braises et attise le feu, et qu’en pratique, après que l’on a fermé la porte, le feu s’affaiblisse un peu, fermer la porte n’est pas considéré comme un acte d’extinction ; en effet, les bûches continuent de brûler normalement, et le fait de fermer la porte empêche seulement de nouveaux coups de vent de continuer d’attiser la flamme (Choul’han ‘Aroukh 277, 2). Mais lorsque  le feu est produit par le gaz ou le pétrole, il est interdit d’affaiblir l’écoulement du gaz ou du pétrole, car ce serait alors un véritable acte d’extinction, puisque l’on agirait alors sur la matière combustible elle-même (Choul’han ‘Aroukh 265, 1)[1].


[1]. Beitsa 22a : « Celui qui met de l’huile dans la lampe est passible de sanction au titre de l’interdit d’allumer (mav’ir), et celui qui s’en sert [= qui puise de l’huile des veilleuses pour un autre usage] est punissable au titre de l’interdit d’éteindre (mekhabé). » Selon Tossephot ד »ה והמסתפק, si le fait de prendre de l’huile est punissable, c’est parce que, dès le moment que l’on prend de l’huile, la flamme faiblit. Mais si l’effet de l’ajout ou de l’extraction de l’huile n’est reconnaissable qu’après l’écoulement d’un certain temps, cela n’est plus considéré comme un allumage direct ou une extinction directe, mais comme le fait de provoquer indirectement un allumage ou une extinction. En revanche, le Roch (Beitsa 2, 17) estime que, même quand l’extraction de l’huile ou son ajout n’a pas d’influence immédiate, il s’agit véritablement d’une extinction ou d’un allumage, tel que la Torah l’interdit, car l’acte accompli a pour effet que la veilleuse brûle plus longtemps ou moins longtemps. L’allumage ou l’extinction ne sont considérés comme indirects que dans le cas où l’acte est accompli par le biais d’un autre élément ; par exemple quand on remplit des cruches d’eau qui, quand le feu les atteindra, se fendront, et l’éteindront. Tandis que, dans notre cas, on ajoute ou l’on retranche au temps de combustion en agissant sur la matière combustible elle-même.

 

D’après ce que nous venons de voir, quand on ajoute du pétrole au four ou de l’huile aux veilleuses, tout le monde s’accorde à dire que l’on transgresse un interdit toranique si le feu se renforce immédiatement. Et dans le cas où le feu ne se renforce pas immédiatement, mais est simplement en mesure de brûler plus longtemps, l’interdit est toranique selon le Roch, rabbinique selon Tossephot.

05. Eteindre (mekhabé) ; notion de mélakha ché-eina tsrikha légoufah

Le fait d’éteindre un feu (mekhabé) afin de préparer du charbon est l’un des trente-neuf travaux interdits le Chabbat. En effet, lors de la construction du Tabernacle, on faisait flamber du bois, puis on l’éteignait afin qu’il se transformât en charbon, avec lequel on allumait un nouveau feu ; celui-ci pouvait se maintenir longuement, pour les besoins de la confection des couleurs dont on décorait les tentures du sanctuaire. De la même façon, celui qui éteint une veilleuse afin de carboniser la mèche, pour que l’on puisse ensuite la rallumer plus facilement, enfreint l’interdit toranique d’éteindre.

La question qui se pose est de savoir quelle règle sera applicable dans le cas où l’on éteint la flamme, non pour les besoins de l’extinction prise en elle-même – faire des braises ou carboniser la mèche –, mais parce que l’on veut économiser l’huile, ou parce que l’on est dérangé par la lumière. En d’autres termes, éteindre, non pour le produit de l’extinction même, mais parce que l’on ne veut pas que la veilleuse continue de brûler. Les Tannaïm sont partagés sur cette question : selon Rabbi Chimon, puisque nous nous trouvons en présence d’une mélakha dont la nécessité ne réside pas dans le produit qui en résulte (mélakha ché-eina tsrikha légoufah)[e], l’interdiction qui pèse sur elle est seulement de rang rabbinique ; selon Rabbi Yehouda, peu importe que ce que l’on recherche ne soit pas le produit même de l’acte : il suffit qu’en pratique l’intention ait consisté à éteindre la veilleuse pour que l’on ait accompli une mélakha, enfreignant ainsi un interdit toranique (Chabbat 31b, 93b).

En pratique, selon Maïmonide (Chabbat 1, 7), une mélakha dont la nécessité ne réside pas en son produit même est un interdit toranique ; mais pour la majorité des Richonim, c’est un interdit rabbinique (Rav Haï Gaon, Rabbénou ‘Hananel, Maor, Na’hmanide, entre autres ; c’est aussi en ce sens que tranche le Choul’han ‘Aroukh 334, 27 ; Michna Beroura 85). Simplement, puisque la différence entre une mélakha dont la nécessité ne réside pas en son produit même, d’une part, et une mélakha ordinaire, d’autre part, consiste seulement dans l’intention qui préside à son accomplissement, la première est considérée comme plus grave que les autres interdits rabbiniques (cf. tome 1, chap. 9 § 6).


[e]. Sur cette notion, cf. tome 1, chap. 9 § 6.

07. Eteindre un feu en cas de danger pour la vie humaine

Dans le cas où il est prévisible que le feu constitue un danger pour la vie d’êtres humains, c’est une obligation, incombant à toute personne qui le peut, que de se hâter de l’éteindre, car le devoir de sauver une vie repousse le Chabbat (piqoua’h néfech do’hé Chabbat). Même dans un cas où le danger n’est pas certain, c’est une obligation que d’éteindre le feu. Par exemple, quand un incendie se déclare dans une grande maison d’habitation, et quoique, apparemment, tous les habitants aient eu le temps de se sauver, il faut, tant qu’il est à craindre qu’une personne puisse être restée à l’intérieur, éteindre le feu. Dans le cas même où, s’il reste une personne, la plus grande probabilité est qu’elle soit mortellement brûlée, on doit tout faire pour éteindre l’incendie, puisqu’il y a une chance de pouvoir encore la sauver (Choul’han ‘Aroukh 329, 3 ; cf. ci-après, chap. 27 § 1).

Il faut agir efficacement sur tous les plans : celui qui le pourra tentera de sauver les gens du feu ; tel autre qui le pourra essaiera de maîtriser le feu lui-même, avec les instruments dont il dispose, tandis que d’autres se chargeront de téléphoner aux pompiers. Si un des spectateurs n’est pas sûr que l’on ait déjà alerté les pompiers, bien qu’il soit vraisemblable qu’on l’ait fait, il devra téléphoner lui-même, pour plus de sécurité, car un cas de doute portant sur le sauvetage d’une vie repousse également le Chabbat (sfeq néfachot do’hé Chabbat). En un pareil moment, il n’y a pas lieu d’interroger un rabbin sur ce qui est permis ou interdit : il faut se hâter et sauver.

En pratique, on a aujourd’hui coutume de considérer tout grand incendie qui se déclare dans une habitation comme un cas de doute portant sur l’intégrité des personnes ; on a donc l’obligation de l’éteindre pendant Chabbat. Par exemple, si un incendie se déclare dans un immeuble à étages, il est à craindre qu’il ne s’étende à d’autres appartements, et que l’on n’ait pas le temps d’en évacuer les habitants. Quand l’incendie est important, on n’a pas le temps de vérifier s’il y a, dans d’autres appartements, des bébés ou des malades qui ne peuvent se sauver par leurs propres moyens. De plus, des ballons de gaz sont fixés aux immeubles et aux maisons, qui risquent d’exploser et de mettre en danger les gens qui se trouvent à l’extérieur. En général, des curieux se groupent autour de l’incendie, qui risquent d’être blessés par une telle explosion ; parfois, les éloigner prendrait plus de temps que d’éteindre le feu. Si le bâtiment incendié est proche d’habitations, le feu risque de se propager vers elles et de mettre en danger leurs habitants. Il arrive aussi que le feu se propage dans des entrepôts où se trouvent des produits chimiques, dont la combustion risquerait d’entraîner la propagation de gaz toxiques, qui mettraient en danger les résidents du quartier.

Le Rav Goren[h] a donné l’instruction suivante : si des terroristes antijuifs provoquent un incendie entraînant des dommages matériels, on l’éteint pendant Chabbat. Même si aucun danger n’est observable pour l’intégrité des personnes, il est à craindre que, dans le cas où l’on n’éteindrait pas le feu, les terroristes éprouvent un sentiment de victoire, qui les encouragerait à commettre d’autres attentats qui, eux, mettraient les personnes en danger (d’après Choul’han ‘Aroukh 329, 6. De nos jours, l’ensemble du territoire israélien est considéré comme un lieu frontalier, exposé à une forme de guerre continue, que mènent les ennemis d’Israël ; cf. infra chap. 27 § 12).


[h]. Rav Chelomo Goren (5678/1918 – 5755/1994). Il fut Grand-Rabbin de l’armée d’Israël, puis Grand-Rabbin d’Israël (5732/1972 – 5743/1983).

06. Incendie de nature à détruire des biens ayant une valeur pécuniaire

Lorsqu’un incendie se déclare le Chabbat, la première question est de savoir s’il y a danger pour les personnes. Si c’est le cas, c’est une mitsva que de tout faire pour l’éteindre. Mais s’il est certain que l’incendie ne met personne en danger, il est interdit de l’éteindre, même si de nombreux biens sont sur le point de brûler – par exemple si une maison entière doit partir en flammes –, car la perspective d’une perte d’argent ne repousse pas le Chabbat (ein iboud mamon do’hé Chabbat).

Bien plus, nos sages ont également interdit d’extraire des affaires d’une maison en feu pour les mettre dans la rue ou dans une cour commune. Même si un érouv[f] unit la cour ou la rue à la maison, ils ont craint que l’on n’en vienne, dans sa précipitation, à vider la maison, à éteindre l’incendie, ou à transférer des objets du domaine particulier au domaine public. Seuls les aliments, les ustensiles et les vêtements nécessaires à ce même Chabbat peuvent être extraits (dans les limites de l’érouv). Si l’on a chez soi un grand récipient, on peut y introduire davantage d’aliments que ce dont on a besoin pour ce Chabbat, et sortir le tout en une fois. De même pour des vêtements : si on les évacue en s’en revêtant, il est permis d’évacuer de nombreux vêtements, davantage même que ce qui est nécessaire pour ce Chabbat. Cet interdit s’applique dans le cas d’une cour commune ; mais il est permis d’évacuer ses aliments et celles de ses affaires qui ne sont pas mouqtsé vers une cour particulière, qui ne nécessite pas d’érouv, ou vers un autre appartement du même immeuble si l’on y a fait un érouv (Choul’han ‘Aroukh 334, 11, Michna Beroura 28)[2].

De même que le maître de maison peut évacuer de chez lui les affaires qui lui sont nécessaires pour le Chabbat, de même peut-il dire à ses voisins : « Venez, et évacuez des objets pour vous-mêmes. » Chaque voisin est alors autorisé à préserver pour soi-même de la nourriture, pour les besoins de Chabbat, et de revêtir tout ce qu’il pourra. Puis, après Chabbat, le pieux usage consiste à rendre les produits et les vêtements que l’on aura préservés (Choul’han ‘Aroukh 334, 9, Chemirat Chabbat Kehilkhata 41, 3-13).

Les décisionnaires sont partagés quant au fait de savoir s’il est permis d’évacuer d’un appartement en feu de l’argent et des objets de valeur, qui ne sont pas nécessaires au Chabbat. Si l’on veut être indulgent, on a sur qui s’appuyer. Cela, à condition de ne pas enfreindre d’interdit toranique : si, pour préserver cet argent, on doit le transporter du domaine particulier au domaine public, dans le cas où la Torah l’interdit, il est défendu de le faire. En revanche, il est permis de porter l’argent en imprimant un changement à la manière habituelle, car le changement a pour conséquence qu’il n’y a plus à cela d’interdit toranique (Choul’han ‘Aroukh 334, 2 ; Touré Zahav ; cf. Michna Beroura 4 et 5, Cha’ar Hatsioun 3, Béour Halakha, passage commençant par Véyech).

Il est permis aux résidents des maisons qui jouxtent l’incendie de préserver tous leurs biens : puisque l’incendie n’a pas encore atteint leur maison, ils ne sont pas si paniqués, et il n’est donc pas à craindre que, à l’occasion de cette évacuation, ils en viennent à éteindre l’incendie (Choul’han ‘Aroukh 334, 1).

Il est certes interdit à un Juif d’éteindre l’incendie, mais il lui est permis de suggérer allusivement à un non-Juif de l’éteindre, en lui disant par exemple : « Quiconque éteint ne perd rien… » Ou bien encore on appellera le non-Juif à venir en urgence, puis on lui racontera qu’un incendie s’est déclaré, et qu’il est interdit aux Juifs de l’éteindre, de façon que le non-Juif comprenne de lui-même que l’on voudrait qu’il éteignît le feu, et que peut-être même on le paiera pour cela (Choul’han ‘Aroukh 334, 26).

De même, il est permis de provoquer indirectement l’extinction de l’incendie. En effet, la Torah n’interdit qu’une exécution directe de la mélakha. Les sages ont étendu l’interdit au fait d’entraîner indirectement l’accomplissement de la mélakha, mais, pour éviter une perte, ils permettent cet accomplissement indirect (grama)[g]. Par conséquent, quand le feu a pris sur un côté d’une armoire, il est permis de couvrir l’autre côté à l’aide de serpillères mouillées, afin que le feu s’éteigne quand il gagnera cet autre endroit. De même, il est permis de placer à l’endroit qui ne flambe pas des sachets remplis d’eau, afin qu’ils se rompent au moment où le feu les rencontrera, et que l’eau se déverse, éteignant le feu (Choul’han ‘Aroukh 334, 22). Il est également permis de verser de l’eau du côté qui ne brûle pas, à condition de la verser loin des flammes, de façon telle que le feu ne commence à s’éteindre qu’après un certain délai (cf. Choul’han ‘Aroukh 334, 24 ; Chemirat Chabbat Kehilkhata 41, 16).


[f].  Sur l’érouv, cf. chap. 29.

 

[2]. Selon Maïmonide et ceux qui partagent son avis, selon lequel une mélakha dont la nécessité ne réside pas en elle-même est interdite par la Torah [cf. paragraphe précédent], il est certain que l’on ne saurait permettre d’éteindre un incendie pour préserver des biens matériels. On comprend, d’après cet avis, pourquoi nos sages ont interdit d’évacuer davantage que ce dont on a besoin pour ce même Chabbat. En revanche, d’après la majorité des décisionnaires, qui estiment qu’une mélakha dont la nécessité ne réside pas en elle-même est interdite par les sages, il y a lieu de s’interroger :

 

En effet, nous voyons par ailleurs que les sages lèvent leurs propres interdits afin que soit évitée une grande perte. Par exemple, ils autorisent à écraser du pied les herbages qui obtureraient une gouttière [et empêcheraient le déversement normal de l’eau du toit, causant le suintement de l’eau par le plafond], afin d’éviter une perte financière (Ketoubot 60a, Choul’han ‘Aroukh 336, 9). Nombreux sont ceux qui pensent que le Talmud parle là de l’interdit toranique de réparer une gouttière, et que les sages ont permis de le faire en y apportant un changement (chinouï) afin d’éviter une perte financière (Liviat ‘Hen 103). De la même façon, les sages permettent d’évacuer des objets précieux vers le domaine public afin de préserver de l’argent, en apportant un changement à la manière ordinaire (Rama 301, 33). Dans le même ordre d’idées, certains autorisent à déplacer des objets mouqtsé pour préserver de l’argent (Choul’han ‘Aroukh 334, 2). Dans ces conditions, pourquoi les sages n’ont-ils pas été indulgents dans le cas d’un incendie, en permettant de l’éteindre afin de préserver tout son argent ?

 

Il y a lieu de répondre qu’une mélakha dont la nécessité ne réside pas en elle-même est un cas plus grave que les autres interdits rabbiniques. C’est ce qu’écrit le Ran (61a dans l’édition du Rif, ד »ה ובמקומם) : une telle mélakha ressemble à un interdit toranique, puisque le même acte, si sa nécessité résidait en lui-même, serait interdit par la Torah ; dans ces conditions, les sages ont craint que l’on ne sache pas distinguer la mélakha dont la nécessité réside en elle-même de celle dont la nécessité ne réside pas en elle-même, et que l’on n’en vienne à être indulgent, y compris à l’égard de travaux interdits par la Torah. Si bien qu’ils ont interdit d’éteindre l’incendie, même quand la nécessité de l’extinction ne tient pas en son produit même. Le ‘Hayé Adam 46, 1 et le Béour Halakha 278 ד »ה מותר s’expriment d’une manière proche. (On trouve un cas semblable : les interdits rabbiniques durant la période s’étendant entre le coucher du soleil et la tombée de la nuit de Chabbat, comme l’explique le Michna Beroura 342, 1).

 

On peut ajouter que, puisque un incendie est un événement qui provoque une profonde panique, et que l’homme est enclin à avoir pitié de son argent, il risque d’accomplir de nombreuses mélakhot ; afin d’éviter la profanation du Chabbat, les sages n’ont donc pas levé leur interdit. Ils n’ont autorisé d’évacuer que de façon mesurée ; de cette façon, il n’est pas à craindre d’en venir à enfreindre d’autres interdits.

 

Le Chemirat Chabbat Kehilkhata 41, note 8, rapporte que le Rav Chelomo Zalman Auerbach s’étonnait : pourquoi ne tient-on pas compte du moral du propriétaire de la maison et de sa famille, qui, voyant leur domicile et leurs biens partir en flammes, pourraient en perdre la raison, et parfois mourir de chagrin ou sombrer dans la folie ? Le même ouvrage, au chap. 32, note 83, écrit en effet que, selon certains auteurs, pour empêcher la démence, on lève même des interdits toraniques. Il semble, en pratique, que dans le cas d’une crainte réelle que l’un des membres de la famille perde sa lucidité, il soit effectivement permis d’éteindre l’incendie ; mais quand cette crainte n’a pas lieu d’être, et quoique la souffrance soit terrible, les sages ne permettent pas d’éteindre l’incendie.

[g].  Cf. chap. 9 § 9.

08. Eteindre un feu pour préserver le public de dommages corporels

D’après ce que nous avons vu au paragraphe 5, celui qui éteint un incendie n’enfreint, selon la majorité des décisionnaires, qu’un interdit rabbinique. En effet, ce n’est que dans le cas où l’on éteint le feu pour préparer des braises (ou pour quelque autre produit direct de l’extinction) que la nécessité de l’extinction réside en elle-même ; en revanche, si on l’éteint pour éviter les dommages engendrés par l’incendie, on n’est pas intéressé par le produit de l’extinction même[i], mais bien par le fait qu’il n’y ait plus de feu, si bien que l’extinction sera considérée, dans un tel cas, comme une mélakha ché-eina tsrikha légoufah (ouvrage dont la nécessité ne réside pas en lui-même).

Certes, s’il s’agit seulement de sauver des biens matériels, les sages maintiennent leur interdit, et défendent d’éteindre un feu dans le seul but de préserver de l’argent. Mais s’il est à craindre que le feu ne provoque des blessures dans le public, les sages autorisent à éteindre le feu. Par exemple, quand une braise est posée dans le domaine public, en un lieu où de nombreuses personnes sont susceptibles d’en subir un dommage ; s’il est possible de l’enlever de là, bien qu’elle soit mouqtsé, on l’enlèvera. Mais s’il est impossible de l’enlever, et bien qu’il n’y ait pas de danger mortel pour les personnes, les sages autorisent à l’éteindre, afin d’empêcher qu’un dommage soit causé au public. En revanche, il est interdit d’appeler les pompiers en un tel cas ; en effet, pour se rendre sur les lieux, ils devraient profaner le Chabbat en conduisant leur véhicule, or il est interdit de passer outre à un interdit toranique dans le seul but d’éviter une possible blessure, dans laquelle il n’y a pas de danger mortel (Choul’han ‘Aroukh 334, 27 ; cf. infra chap. 27 § 16).

En résumé, nous avons vu trois cas dans lesquels il est permis d’éteindre un feu ou de provoquer son extinction : 1) dans le cas d’un danger mortel, c’est une obligation que de tout faire pour sauver les personnes ; b) dans le cas d’un risque de blessure pour le public, il est permis d’éteindre le feu, car les sages n’ont pas appliqué leur interdit aux cas où le public risque des blessures ; en revanche, il est interdit en ce cas de passer outre à des interdits toraniques ; c) dans un cas de perte financière non accompagnée de risque de blessure, il est interdit d’éteindre directement le feu, mais il est permis de provoquer indirectement son extinction. De même, il est permis de demander allusivement à un non-Juif d’éteindre le feu.


[i]. Par exemple, le bois calciné dont on voudrait faire du charbon.