Pniné Halakha

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Chapitre 20 – La bénédiction sacerdotale (Birkat Cohanim)

01 – Le commandement de Birkat Cohanim

La Torah fait obligation aux prêtres (Cohanim)[a] de bénir le peuple d’Israël, comme il est dit (Nb 6, 22-26) :

L’Eternel parla à Moïse en ces termes : Parle à Aaron et à ses fils et dis-leur : « Ainsi bénirez-vous les enfants d’Israël ; vous leur direz : “Que l’Eternel te bénisse et te garde ; que l’Eternel t’éclaire de Sa face et te prenne en grâce ; que l’Eternel porte Sa face vers toi et te donne la paix.” » Ils placeront Mon nom sur les enfants d’Israël et Je les bénirai.

Ce commandement s’applique chaque jour. Quand un Cohen que l’on a appelé à monter sur l’estrade s’y refuse, et bien qu’en droit strict il ne transgresse en cela qu’un seul commandement de la Torah, on considère en pratique qu’il en transgresse trois. En effet, la formulation des versets laisse entendre que le Saint béni soit-Il désire bénir Israël : par trois fois, et dans des termes dénotant l’impératif et l’empressement, la Torah enjoint les Cohanim de bénir Israël, comme il est dit : « Ainsi bénirez-vous… Vous leur direz… Ils placeront Mon nom ». Aussi, le refus d’un Cohen d’accomplir la volonté du Créateur en bénissant le peuple juif est-il considéré comme une transgression de trois mitsvot de la Torah (Sota 38b ; Maïmonide, Téphila 15, 12).

Même dans le cas où un Cohen a déjà béni Israël le même jour, c’est pour lui une mitsva de monter de nouveau sur l’estrade et de procéder une nouvelle fois à la bénédiction dans le cadre d’un autre minyan, s’il est appelé à le faire. Toutefois, s’il ne monte pas la deuxième fois, il ne lui est pas compté de transgression d’une obligation de rang toranique (Choul’han ‘Aroukh 128, 3).

Le Séfer ‘Harédim (12, 18) énonce un grand enseignement : ce ne sont pas seulement les Cohanim qui accomplissent un commandement de la Torah en procédant à la bénédiction sacerdotale, mais les Israélites eux-mêmes, qui se tiennent face à eux en silence, recueillis, et qui répondent amen à leur suite, sont associés aux prêtres dans l’accomplissement du commandement toranique.

À travers la Birkat Cohanim, nous apprenons à prêter attention à un fait essentiel : c’est le Saint béni soit-Il qui nous dispense la bénédiction ; et notre présence quotidienne pour recevoir la bénédiction sacerdotale enracine en nous la foi en ce principe (Guide des Egarés III, 44 ; Ha’aqéda 74). Plus on est conscient du fait que c’est le Saint béni soit-Il qui bénit son peuple Israël par amour, plus on s’ouvre et l’on se dispose à recevoir la bénédiction (cf. Séfer Ha’hinoukh, commandement n°378). Le libre-arbitre est un fondement du monde. Aussi la bénédiction que le Saint béni soit-Il nous dispense est-elle liée à notre propre intervention ; ou, selon les termes de la Kabbale : « De l’éveil d’en bas dépend l’éveil d’en-haut. » En d’autres termes, par l’éveil de notre volonté de recevoir Sa bénédiction, s’éveille la volonté supérieure de déverser la bénédiction sur Israël. Par l’accomplissement de la mitsva de la Birkat Cohanim, le peuple juif exprime sa volonté de recevoir la bénédiction divine.


[a]. Cohen, pluriel Cohanim: prêtre. Dans la suite du texte, nous utiliserons les termes Cohen et Cohanim, suivant l’usage de l’étude juive, sans les traduire systématiquement par prêtre(s).

02 – La kavana de l’assemblée des Israélites durant la bénédiction

Pendant la Birkat Cohanim, chaque fidèle israélite doit se tenir face aux Cohanim, en concentrant son attention sur la bénédiction, sans regarder les Cohanim ni quoi que ce soit, afin de ne pas détourner son esprit de la bénédiction (Choul’han ‘Aroukh 128, 23 ; Michna Beroura 89)[1]

Nos sages ont décrété que, lorsqu’un Cohen est affecté d’une anomalie physique telle qu’elle pourrait conduire certains fidèles à le contempler et à ne plus appliquer leur esprit à la bénédiction, ce Cohen ne se joint pas à la bénédiction des prêtres. Aussi, à l’époque où les Cohanim n’avaient pas encore l’usage de recouvrir de leurs taliths leurs visages et leurs mains, un Cohen affecté d’un défaut au visage ou aux mains –  tel qu’une clarté inhabituelle de l’épiderme, ou des doigts courbés – ne montait pas sur l’estrade. Mais de nos jours où tous les Cohanim ont coutume de recouvrir de leurs taliths leurs visages et leurs mains, un défaut qui affecterait le visage où les mains d’un Cohen n’empêche plus celui-ci de se joindre à la bénédiction. En revanche, si un défaut visible affecte la jambe d’un Cohen, il ne participe pas, même aujourd’hui, à la Birkat Cohanim, de crainte que cela ne détourne l’attention des fidèles. Toutefois, s’il réside de façon permanente dans le voisinage de la communauté, si bien que son défaut n’excite plus la curiosité des gens, ce Cohen peut monter sur l’estrade, puisque la chose n’est vraisemblablement pas susceptible d’attirer l’attention des fidèles (Choul’han ‘Aroukh 30, 31).

De même, si l’on possède une prononciation inhabituelle, par exemple si l’on prononce la lettre aleph (non gutturale) en la confondant avec le ‘ayin (guttural), on ne participe pas à la Birkat Cohanim, car la chose est susceptible de détourner de la bénédiction l’attention des auditeurs. Mais si l’on a une prononciation habituelle, quoique l’on ne produise pas de façon précise les gutturales ‘ayin ou ‘heth, cela n’est pas susceptible d’attirer l’attention des auditeurs, dans la mesure où cette prononciation est connue. Il en va de même pour toutes les prononciations notoires : ashkénaze, yéménite etc. : puisque ces prononciations sont connues, elles ne sont pas susceptibles d’attirer l’attention. Ce n’est que si l’on confond ou altère véritablement la prononciation des lettres, au-delà de ce qui est habituel, ou encore si l’on bégaye beaucoup, que l’on ne se joindra pas à la bénédiction (Choul’han ‘Aroukh 128, 33 ; Michna Beroura ad loc.).

En tout état de cause, nous apprenons de ces règles combien les auditeurs doivent se concentrer durant la bénédiction des prêtres, puisque nos sages ont décidé que tout Cohen affecté d’une chose susceptible de suspendre la concentration des fidèles ne monterait pas sur l’estrade.


[1]. Après la Birkat Cohanim, on trouve un texte destiné à la récitation des fidèles, intitulé Adir bamarom. Toutefois les décisionnaires sont partagés sur le moment où il convient de le lire. Selon le Choul’han ‘Aroukh 130, 1, on doit dire Adir bamarom après le rituel de réparation des mauvais rêves (Hatavat ‘halom), rituel qui se dit lui-même à l’occasion de la Birkat Cohanim. C’est ce que laisse entendre le Talmud, Berakhot Le Kaf Ha’haïm 130, 9, suivant le Zohar, dit qu’il ne faut pas réciter ce texte durant la bénédiction Sim chalom. Le Michna Beroura 130, 6 rapporte que certains ont l’usage de dire Adir bamarom après chaque bénédiction sacerdotale, et qu’on le dit pendant que l’officiant récite Sim chalom. Cette opinion trouve sa source dans les propos du Rif, du Roch et du Taz. Chacun continuera selon sa coutume.

03 – Où se tiennent les destinataires de la bénédiction

Lorsque les Cohanim procèdent à la bénédiction, les destinataires de celle-ci doivent se tenir face à eux, comme il est dit (Nb 6, 23) : « Ainsi bénirez-vous les enfants d’Israël : vous leur direz… ». Nos sages, de mémoire bénie, apprennent de ce verset que la bénédiction des Cohanim doit se faire à l’exemple de la conversation de l’homme avec son prochain : il faut parler face à face et à haute voix, de façon que tous les destinataires de la bénédiction puissent entendre.

Tandis que les Cohanim, émetteurs de la bénédiction, doivent se tenir debout, la  stricte règle de droit permet aux destinataires de la bénédiction de rester assis. Toutefois, tout le monde a l’usage de se lever au moment de la Birkat Cohanim. Mais si un homme est malade ou faible, et qu’il lui soit difficile de se tenir debout, il peut rester assis au moment de la bénédiction (Michna Beroura 128, 51 ; Tsits Eliézer 14, 18).

Si l’on se tient derrière les Cohanim, on n’est pas inclus dans la bénédiction ; mais si l’on se tient véritablement à leur côté, on tournera la tête en leur direction, et l’on sera inclus dans la bénédiction. Ceux qui s’assoient aux premières rangées de la synagogue doivent évaluer leur situation à l’égard des Cohanim : s’ils leur font face, ou font véritablement face à leur côté, ils peuvent rester à leur place en orientant leur visage en leur direction. Mais si leur place est située derrière les Cohanim, ils doivent changer de place pendant la bénédiction (Choul’han ‘Aroukh 128, 24).

Toute personne qui, à la synagogue, se tient à face aux Cohanim, est incluse dans la bénédiction. Même si des gens de haute taille se tiennent devant soi, ou s’il se trouve un pilier devant sa place, qui font écran entre les Cohanim et soi-même, on reste inclus dans la bénédiction, dans la mesure où l’on se trouve face aux Cohanim. En revanche, si l’on se tient devant les Cohanim mais en leur tournant le dos, on n’est pas inclus dans la bénédiction.

Si, en raison d’une contrainte, on ne peut se rendre à la synagogue, par exemple si l’on doit se rendre à son travail, ou si l’on est une femme ou un enfant et que l’on n’aille pas à la synagogue, on est néanmoins inclus dans la bénédiction. En effet, la bénédiction sacerdotale est destinée à l’ensemble du peuple juif. Seuls ceux qui pourraient venir se tenir devant les Cohanim et négligent de le faire ne sont pas inclus dans la bénédiction[2].


[2]. Si l’on est en train de réciter la ‘Amida alors que l’on se tient derrière les Cohanim, on ne se déplace pas en plein milieu de la ‘Amida pour se tenir devant eux. Il semble qu’il faille considérer un tel cas comme un cas de contrainte (oness). Aussi, le fidèle ainsi contraint bénéficie-t-il de la bénédiction à l’endroit où il se trouve. L’usage est semblable à celui de l’officiant : même quand les Cohanim sont placés derrière l’officiant, celui-ci ne va pas se placer face à eux. Bien que la marche ne soit pas une interruption complète, il ne faut pas marcher à moins d’y être obligé. Il est vraisemblable que l’officiant soit, dans un tel cas, considéré comme contraint, et qu’il bénéficie donc de la bénédiction à l’endroit où il se tient. (Le Igrot Moché, Ora’h ‘Haïm V 20, 23 écrit cependant qu’il faut marcher ; toutefois dans le vol. IV 21, 2, il écrit différemment.)

Quand le fidèle récite la ‘Amida et que l’assemblée arrive à la Birkat Cohanim, le fidèle se tait et se concentre sur la bénédiction. Certes, en ce qui concerne la Qédoucha et l’Amen yehé Chemeh rabba du Qaddich, on n’est pas obligé de s’interrompre. Mais quand il s’agit de la Birkat Cohanim, puisque certains sont d’avis que les Israélites, destinataires de la bénédiction, accomplissent eux-mêmes une mitsva de la Torah par leur écoute, il faut s’interrompre et écouter, sans toutefois répondre amen. Si, en revanche, on prie simultanément avec l’officiant, on répond amen aux trois versets de la Birkat Cohanim. Mais pour la bénédiction qui précède lesdits versets (Baroukh Ata… acher qidechanou biqdouchato chel Aharon vé-tsivanou levarekh et ‘amo Israël béahava – « Sois béni… qui nous as sanctifiés par la sainteté d’Aaron et nous a ordonné de bénir Ton peuple Israël par amour »), certains disent qu’il ne faut pas répondre amen à moins d’avoir achevé la ‘Amida, même dans le cas où l’on va au même rythme que l’officiant. Cf. Michna Beroura 128, 79 qui écrit cela au sujet de l’officiant lui-même ; voir aussi Nessiat Kapaïm Kéhilkhata 15, Iché Israël 33, 3.

04 – Quatre règles toraniques

Quatre règles de rang toranique gouvernent l’accomplissement de la bénédiction sacerdotale : « On ne fait la bénédiction qu’en langue sainte, debout, en étendant les mains et à haute voix » (Choul’han ‘Aroukh, Ora’h ‘Haïm 128, 14). Quand il est impossible d’accomplir quelqu’une de ces quatre règles, on ne procède pas à la bénédiction.

La première règle est que la bénédiction se dit en hébreu. On le sait, de nombreux commandements s’accomplissent par le biais de la parole. Nos sages expliquent, dans la Michna (Sota 32a), que les mitsvot de lecture du Chéma, de la ‘Amida et du Birkat hamazon (actions de grâce après le repas), peuvent s’accomplir dans d’autres langues que l’hébreu (voir ci-dessus chap. 1 § 10 ; chap. 16 § 9) ; tandis que la Birkat Cohanim doit se réciter uniquement dans la langue sainte, comme il est dit (Nb 6, 23) : « Ainsi bénirez-vous », c’est-à-dire dans cette langue, consignée dans la Torah.

L’explication à cela est peut-être la suivante : le Chéma a pour objet d’exprimer verbalement notre foi, aussi la langue dans laquelle on professe cette foi n’est-elle pas d’une importance centrale. De même, en ce qui concerne la ‘Amida, le principal est d’exprimer notre prière de façon compréhensible. Tandis que la Birkat Cohanim est une bénédiction qui vient de Dieu en notre direction, et la langue dans laquelle le Saint béni soit-Il dévoile sa volonté dans le monde est la langue sainte. Aussi les Cohanim sont-ils tenus de réciter la bénédiction divine dans les termes mêmes où elle est écrite dans la Torah.

La deuxième règle est que la Birkat Cohanim doit se réciter debout. Aussi, un Cohen faible ou handicapé, obligé de s’asseoir sur une chaise roulante et ne pouvant tenir sur ses jambes, même durant le temps de la bénédiction, n’y participera pas. En effet, le corps de lois régissant la bénédiction sacerdotale est comparable à celles qui régissent le service des prêtres dans le Temple, comme il est dit (Dt 10, 8) : « Pour servir et bénir en Son nom » : de même que le service dans le Sanctuaire se fait debout, ainsi la bénédiction doit-elle être dite debout (Sota 38a).

La présentation entière de l’homme est quand il est dressé : c’est de cette façon qu’il est visible de la tête aux pieds ; cela traduit l’idée de l’ensemble de ses facultés, spirituelles et matérielles. Pour que le service des prêtres et leur bénédiction atteignent la perfection, ils doivent se réaliser précisément debout.

La troisième règle est que les Cohanim doivent étendre leurs mains au moment de la bénédiction, c’est-à-dire les diriger vers les destinataires de celle-ci, comme il est dit (Lev 9, 22) : « Aaron étendit les mains en direction du peuple et le bénit. » Un Cohen dont les mains sont faibles ou tremblantes, et qui n’aurait pas la force de les maintenir levées pendant la bénédiction, n’est pas autorisé à monter sur l’estrade pour y prendre part. Même s’il installait une courroie ou un support destinés à l’aider à garder les mains levées, cela ne serait pas juridiquement efficace, car le Cohen doit étendre les mains par lui-même, sans aucune aide (Michna Beroura 128, 52).

Rabbi Na’hman de Breslev explique que le fait de lever les bras traduit le puissant désir du cœur de bénir Israël par amour. Il y a un lien et une relation directe entre les bras et le cœur ; la proximité physique des bras et du cœur en est l’indice. Aussi les mouvements des bras sont-ils un mode d’expression du cœur, comme il est dit : « Elevons nos cœurs, placés sur nos mains, vers le Dieu des cieux » (Lam 3, 41). Lorsque les Cohanim étendent leurs bras pour bénir Israël, ils expriment l’amour du cœur à l’égard d’Israël, cela avec une grande puissance (Liqouté Halakhot, Nessiat Kapaïm 5, 3).

Le Rav Kook ajoute que le fait de lever les bras en avant de soi connote le futur. Les bras avancent en effet au-delà de l’endroit où se tient le corps. Les Cohanim élèvent donc les mains pour exprimer leur aspiration à un monde parfait, réparé, et leur prière pour y parvenir (‘Olat Reïya I 284).

La quatrième règle prévoit que les Cohanim doivent prononcer la bénédiction à haute voix, afin que tous les fidèles présents à la synagogue puissent les entendre, comme il est dit : « Vous leur direz », ce que nos maîtres commentent : « A la manière d’un homme parlant à son prochain » (Sota 38a). Si la synagogue est petite, il suffit que le Cohen prononce la bénédiction d’une voix moyenne, puisque c’est de cette façon que l’on a l’habitude de se parler dans une pièce de petites dimensions. Si la synagogue est grande, il faut réciter la bénédiction à voix haute, de telle façon que, même si chaque Cohen se trouvait seul à la prononcer, tous les fidèles l’entendraient. Un Cohen dont la voix est faible, au point qu’il est presque impossible de l’entendre, ne participe pas à la bénédiction sacerdotale (Michna Beroura 128, 53). Toutefois, s’il se trouve d’autres Cohanim, dont les voix s’entendent bien, il devient permis au Cohen dont la voix est faible de monter sur l’estrade avec les autres pour prendre part à la Birkat Cohanim (cf. Tsits Eliézer 15,21).

05 – Le lien entre Birkat Cohanim, d’une part, prière et sacrifices d’autre part

A l’époque où le Temple était construit, les Cohanim bénissaient l’assemblée après avoir terminé le service des sacrifices. C’est ce qui apparaît dans la Torah, au sujet du huitième jour de l’inauguration du Tabernacle, jour à partir duquel les Cohanim ont pris leur service dans le Sanctuaire : « Après avoir offert l’expiratoire, l’holocauste et le rémunératoire,  Aaron étendit les bras en direction du peuple et le bénit, puis il descendit » (Lv 9, 22). On apprend donc que la bénédiction sacerdotale se faisait à la clôture du service des sacrifices.  La raison en est qu’après l’oblation des sacrifices, qui témoigne de notre disposition au renoncement et à l’abnégation en l’honneur de Dieu, béni soit-Il, nous devenons aptes à recevoir Sa bénédiction.

En-dehors du Temple, nos sages ont décrété que la Birkat Cohanim se réciterait durant la prière, car les offices de prière viennent en remplacement du cérémonial des sacrifices. De plus, il existe une ressemblance entre le sacrifice et la prière, car l’un et l’autre traduisent le désir ardent de se rapprocher de Dieu. Et de même qu’après les sacrifices, les Cohanim bénissaient le peuple, ainsi nos maîtres prescrivent-ils la bénédiction du peuple par les Cohanim à l’approche de la conclusion de la ‘Amida.

Afin de mettre davantage l’accent sur le lien existant entre la Birkat Cohanim et la conclusion du service des sacrifices, nos sages ont décidé que les Cohanim devaient commencer à se diriger vers l’estrade pendant la bénédiction Retsé (« Agrée »), qui évoque le rétablissement des sacrifices. Un Cohen qui aurait manqué de se mettre en marche pendant Retsé aurait manqué du même coup l’occasion d’accomplir le commandement. Il lui serait alors interdit de monter sur l’estrade pendant la présente ‘Amida (Choul’han ‘Aroukh 128, 8). A priori, on se met en marche au début de Retsé ; néanmoins, tout le temps que l’officiant n’est pas arrivé à la conclusion de cette bénédiction, il reste autorisé au Cohen de se mettre en marche afin de monter sur l’estrade (Michna Beroura 128, 25).

Quand un Cohen s’est mis en retard et constate qu’il n’aura pas le temps d’achever l’ablution de ses mains avant la fin de la bénédiction Retsé, on peut lui conseiller la parade suivante : alors qu’il se tient encore près du bassin, il marquera un petit pas en direction de l’estrade. Grâce à ce pas, on considérera qu’il a commencé à marcher en direction de l’estrade pendant la bénédiction Retsé. Après cela, il achèvera son ablution, puis continuera d’aller vers l’estrade pour y prononcer la bénédiction (cf. Michna Beroura 128, 27-28 ; Chaar Hatsioun 30 ; Nessiat Kapaïm Kehilkhata 7, 2 note 8).

Puisque la bénédiction sacerdotale est liée au service des sacrifices, nos sages enseignent que, de même que l’oblation des sacrifices ne se fait que de jour, ainsi la bénédiction sacerdotale se dit de jour. Aussi n’y a-t-il pas de Birkat Cohanim à l’office d’Arvit. A première vue, il y aurait eu lieu de procéder à la Birkat Cohanim à l’office de Min’ha ; mais les sages ont décidé que cette bénédiction ne se ferait pas à Min’ha, car cet office a lieu après le repas de midi, et il est à craindre qu’un Cohen ne monte sur l’estrade après avoir bu du vin, profanant ainsi la bénédiction. En effet, on sait qu’il est interdit à un Cohen sous l’effet de l’alcool de servir dans le Temple et de bénir le peuple (Choul’han ‘Aroukh 128, 38). En revanche, à l’office de Néïla (clôture de Kippour), ou à l’office de Min’ha des jours de jeûne, on procède à la bénédiction des Cohanim : dans la mesure où l’on jeûne, il n’y a pas à craindre d’ébriété (Choul’han ‘Aroukh 129, 1) ; cela, à condition que l’on fasse l’office de Min’ha du jour de jeûne après onze heures solaires moins un quart à partir du lever du jour (plag hamiin’ha) ; mais si l’on fait l’office de Min’ha du jour de jeûne avant le plag hamin’ha, on ne procède pas à la bénédiction des Cohanim[3].


[3]. Certains sont d’avis, il est vrai, que l’on peut bénir l’assemblée à Min’ha, un jour de jeûne, même avant le plag hamin’ha (Min’ha guédola; cf. chap. 24 § 3). Mais, pour la majorité des décisionnaires, on ne fait la Birkat Cohanim qu’après le plag hamin’ha. En effet, c’est essentiellement à la Néïla de Kippour qu’il y a lieu de faire la bénédiction des Cohanim dans l’après-midi ; et effectivement, on ne récite pas cette bénédiction à Min’ha de Kippour. La raison en est la suivante : on craint que les gens ne se trompent, et ne croient que la règle applicable à l’office de Min’ha du jour de jeûne s’applique également à Min’ha des autres jours – durant lesquels l’ébriété est à craindre. Quant aux jours de jeûne durant lesquels il n’y a pas d’office de Néïla (c’est-à-dire tous les jours de jeûne autres que Kippour), on y récite la Birkat Cohanim à Min’ha, à condition que cela soit à une heure semblable à celle de la Néïla de Kippour, c’est-à-dire à l’approche de la tombée de la nuit. Cf. Torat Hamoadim, Taanit 3, 3, Nessiat Kapaïm Kehilkhata 2, 5.

Quoiqu’il y ait des opinions divergentes quant au calcul du plag hamin’ha – une heure solaire et quart avant le coucher du soleil, pour certains, une heure solaire et quart avant l’apparition des étoiles selon d’autres –, on peut tenir pour essentielle la première opinion (une heure solaire et quart avant le coucher du soleil). En effet, la seconde opinion (une heure solaire et quart avant l’apparition des étoiles) s’accorde avec la vision de Rabbénou Tam, pour lequel l’heure de l’apparition des étoiles (tset hakokhavim) se produit 72 minutes après le coucher du soleil, comme nous l’avons vu au chapitre 11, note 14. (C’est-à-dire que, pour Rabbénou Tam, le plag hamin’ha tombe entre 2 et 18 minutes avant le coucher visible du soleil. Et nombreux sont les décisionnaires qui ne précisent pas à la minute le moment de plag hamin’ha). Quoi qu’il en soit, il est bon de retarder la prière de Min’ha à une demi-heure ou trois quarts d’heure avant le coucher du soleil, car c’est le temps le plus proche de celui de la Néïla. De cette façon, on récite la bénédiction des Cohanim à l’approche du coucher du soleil.

06 – L’ablution des mains avant la bénédiction

Avant de procéder à la bénédiction, les Cohanim doivent se laver les mains jusqu’au poignet. Une allusion à cela se trouve dans la Bible, comme il est dit : « Elevez les mains en état de sainteté, et bénissez l’Eternel » (Ps 134, 2). Un Cohen qui ne se serait pas lavé les mains ne pourrait prendre part à la bénédiction sacerdotale (Sota 39, 1). Les plus grands maîtres parmi les Richonim sont partagés sur le motif de cette ablution rituelle. Selon Maïmonide (Téphila 15, 5), ce n’est que lorsque les mains sont sales qu’il est obligatoire de se les laver ; mais un Cohen qui aurait procédé à l’ablution rituelle de ses mains le matin et qui aurait pris garde de toucher à quelque endroit souillé n’aurait pas besoin de se relaver les mains avant la bénédiction des Cohanim. D’après Rachi et Tossephot, en revanche, il faut se laver les mains rituellement et les sanctifier en l’honneur de la bénédiction sacerdotale, même si les mains sont déjà propres (Sota 39a).

En pratique, on est rigoureux : un Cohen dont les mains sont déjà propres doit, lui aussi, se laver les mains rituellement avant la bénédiction des Cohanim, conformément à l’opinion de Rachi et de Tossephot. Toutefois, on ne prononce pas de bénédiction sur cette ablution, même si l’on a, avant cela, touché à quelque endroit souillé, car il n’est pas certain que les sages aient institué une bénédiction pour cette ablution (Michna Beroura 128, 24 d’après Elya Rabba).

Des propos du Zohar, il ressort que cette ablution est destinée à sanctifier les Cohanim et leurs mains à l’approche de la bénédiction sacerdotale. Pour élever cette sanctification à un degré supplémentaire, il est d’usage que ce soit un descendant de la tribu de Lévi qui verse l’eau sur les mains des prêtres. Quand il ne se trouve pas de lévite (Lévi) à la synagogue, il est souhaitable que ce soit un premier-né – lequel possède en tant que tel une certaine sainteté – qui verse l’eau sur les mains des prêtres. Quand il ne se trouve ni Lévi ni premier-né, le Cohen se lave les mains par lui-même (Choul’han ‘Aroukh 128, 6 ; Michna Beroura 22).

Si le Cohen craint de ne pas trouver d’eau à la synagogue, et donc de ne pouvoir se laver les mains avant la Birkat Cohanim, il se lavera rituellement les mains chez lui, avant l’office, et prendra soin de les garder propres. De cette façon, il pourra bénir l’assemblée. Mais si le Cohen n’a pas fait attention à la propreté de ses mains après l’ablution rituelle du matin, et qu’il ne dispose pas d’eau pour se laver les mains à l’approche de la bénédiction sacerdotale, il ne montera pas sur l’estrade pour y bénir l’assemblée.

Dans tous les cas où le Cohen n’est pas autorisé à prendre part à la bénédiction de l’assemblée, il est souhaitable qu’il sorte de la synagogue avant le moment de la bénédiction, afin que l’administrateur (le gabaï) ne risque pas de se tromper et de l’appeler à l’estrade alors qu’il n’est pas autorisé à y monter. De plus, si le Cohen se trouve à l’intérieur de la synagogue et qu’il n’est pas appelé à se présenter à l’estrade, il est à craindre que les gens s’imaginent que ce Cohen a été disqualifié de l’exercice de sa prêtrise.

07 – Participation des Israélites à la bénédiction des Cohanim

Quand arrive le moment de la Birkat Cohanim, les Cohanim ne sont autorisés à commencer leur bénédiction que lorsque l’officiant ou l’administrateur (gabaï) annonce : « Cohanim ! ». En effet, dans la Torah, il est dit à Moïse : « Tu leur diras » (Nb 6, 23), c’est-à-dire que Moïse, qui n’était pas Cohen, devait ordonner aux Cohanim de bénir Israël. De ce passage, nos sages apprennent qu’il faut préalablement interpeler les prêtres (en annonçant : « Cohanim ! »), et c’est seulement ensuite que ceux-ci commencent leur bénédiction. Mais si ce n’est qu’un seul Cohen qui monte à l’estrade, on n’annonce pas « Cohanim ! », puisqu’il est dit dans la Torah : « Tu leur diras », ce qui laisse entendre que c’est seulement s’il se trouve au moins deux Cohanim que l’on fait cette annonce (Choul’han ‘Aroukh 128, 10). Certains apprennent de là que la bénédiction sacerdotale se trouve réalisée dans sa pleine acception lorsqu’au moins deux Cohanim sont présents (Rabbénou Pérets cité par le Tour 128 ; cf. ‘Aroukh Hachoul’han 128, 9).

Même en ce qui concerne la Birkat Cohanim en soi, les Cohanim ne la récitent pas de leur propre chef : c’est l’officiant qui la leur énonce mot à mot, les Cohanim répétant chaque mot après lui. Certains officiants se trompent et énoncent les mots de la bénédiction à voix basse ; ce n’est pas un usage correct : il faut au contraire que la voix de l’officiant se fasse nettement entendre des Cohanim, tout en restant légèrement plus faible que la leur (cf. Tsits Eliézer 14, 17 ; Nessiat Kapaïm Kehilkhata 12, 3). Après chaque verset, l’assemblée répond amen.

Nous avons vu au paragraphe 1 que « de l’éveil d’en bas dépend l’éveil d’en haut ». En d’autres termes, lorsque le Saint béni soit-Il a créé le monde, il a établi que le libre-arbitre constituerait un principe central. Aussi, ce n’est qu’une fois que nous avons évertué notre volonté, ici-bas, à obtenir un résultat positif déterminé, que s’éveille, en regard, la volonté d’en haut de nous porter assistance afin que nous obtenions ce résultat. Aussi est-il nécessaire que l’un des Israélites faisant l’objet de la bénédiction proclame en premier lieu : « Cohanim ! ». En cela, il exprime par sa bouche la volonté du peuple de recevoir la bénédiction de Dieu, et seulement alors les Cohanim commencent leur bénédiction. Même alors, l’officiant doit réciter préalablement chaque mot ; de cette façon, il traduit la volonté du peuple de voir se réaliser chaque détail de la bénédiction ; les Cohanim répètent alors le même mot, et le Saint béni soit-Il répand sur nous sa bénédiction (Liqouté Halakhot, Nessiat Kapaïm 3, 4).

08 – L’obligation de se déchausser avant la bénédiction

L’un des neuf décrets édictés par Raban Yo’hanan ben Zakaï (qui vivait à l’époque de la destruction du Second Temple) concerne les lois de la bénédiction sacerdotale. Ce décret prévoit que les Cohanim ne montent pas à l’estrade pour y prononcer la bénédiction quand leurs pieds sont chaussés de sandales ou de souliers. Il y a différentes raisons à cette disposition. La première est le respect dû à l’assemblée : il n’est pas convenable que les prêtres bénissent le peuple quand à leurs pieds sont des chaussures qu’ils ont promenées dans la boue. De plus, le service des prêtres dans le Temple se faisait pieds nus, en raison de la sainteté du lieu, qu’il ne convenait pas  de voir fouler par des chaussures. Quant à la raison halakhique, elle est la suivante : les sages ont craint que, si les prêtres portaient des chaussures à lacets, ceux-ci ne se défassent. Il en résulterait un sentiment de gêne, puisque les Cohanim se tiennent sur une estrade élevée, à la vue de tout le peuple. Pour cacher l’objet de sa gêne, un Cohen risquerait de se pencher pour relacer sa chaussure ; de ce fait, les gens risqueraient de le suspecter de n’être pas un vrai Cohen, en se disant : « S’il se penche ainsi, c’est pour s’abstenir de bénir l’assemblée ; cela, parce qu’il n’est pas Cohen ! » (Sota 40a).

En conclusion, pour ces différentes raisons, il ne faut pas monter sur l’estrade chaussé de souliers ou de sandales avec lesquels on marche dans la rue, ni avec des chaussons d’appartement à lacets. Il est également interdit de se présenter à l’estrade avec des chaussons d’appartement faits en cuir, même sans lacets, du fait que les chaussures sont en principe fabriquées en cuir, et que toute chaussure de cuir est visée par l’interdit de Raban Yo’hanan Ben Zakaï. En revanche, il est permis de monter à l’estrade avec des chaussons faits d’une autre matière que le cuir, s’ils ne sont pas dotés de lacets.

Si l’on se trouve dans une ville où l’on n’a pas l’habitude de se présenter pieds nus ou en sandales sans chaussettes devant des gens honorables, il convient que les Cohanim montent sur l’estrade en chaussettes (Michna Beroura 128, 18). Dans une ville où l’on a l’habitude d’aller en sandales sans chaussettes, même devant des gens honorables, il est permis de prendre part à la bénédiction pieds nus (‘Olat Tamid § 11).

Il arrive que se pose la question suivante : que doit faire un Cohen handicapé, qui ne peut se déchausser ? De même, que doit faire un Cohen à l’armée, quand le temps ne suffit pas à défaire les lacets de ses chaussures militaires. Dans de tels cas de nécessité impérieuse, certains décisionnaires sont indulgents et permettent au Cohen de prendre part à la bénédiction en se tenant sur le plancher de la synagogue, sans monter sur l’estrade. En effet, certains décisionnaires sont d’avis que le décret de Raban Yo’hanan Ben-Zakaï interdisant de garder ses chaussures ne vise que le cas où l’on monte sur l’estrade, car l’estrade est un endroit surélevé, d’où les pieds et les chaussures des Cohanim se voient distinctement ; ce n’est que dans un tel cas que le fait d’apparaître en chaussures est source de déconsidération pour le Cohen. En revanche, si celui-ci se tient sur le plancher, à une hauteur égale au reste de la communauté, il n’est plus interdit de bénir l’assemblée les pieds chaussés. En cas de nécessité impérieuse, les Cohanim peuvent s’appuyer sur ces décisionnaires et bénir Israël les pieds chaussés, en se tenant sur le plancher de la synagogue, à condition que leurs chaussures soient propres (cf. Igrot Moché, Ora’h ‘Haïm II 32 au sujet d’un handicapé ; pour un cas de nécessité impérieuse, voir Tsits Eliézer 14, 11 et Ye’havé Da’at 2, 13).

09 – Le rôle des Cohanim

Les Cohanim avaient traditionnellement deux rôles principaux (en-dehors du service du Temple) : le premier était d’éduquer le peuple juif et de lui enseigner la halakha, comme il est dit : « Car les lèvres du Cohen garderont le savoir, et c’est de sa bouche que  l’on recherchera la Torah » (Malachie 2, 7). Le second rôle est d’être des hommes de bienfaisance et de paix, comme l’était Aaron, qui « aimait la paix et poursuivait la paix, aimait les créatures et les rapprochait de la Torah » (Maximes des Pères 1, 12). On raconte que le grand-prêtre Aaron savait comment rétablir la paix entre l’homme et son prochain, ainsi qu’entre l’homme et sa femme. Grâce à son mérite, des milliers de couples juifs furent consolidés : par l’effet de la paix qu’il rétablissait entre époux, ceux-ci renonçaient à se séparer. Grâce à cela, des enfants naissaient de ces couples, et l’on nommait les fils Aaron, d’après le nom du grand-prêtre.

Afin de permettre aux Cohanim de développer ces deux principes, la sagesse et la bienfaisance, la Torah a établi que la famille sacerdotale ne recevrait pas d’héritage territorial en terre d’Israël, et que leur subsistance proviendrait des prélèvements et des dons destinés à la prêtrise, dispensés par les Israélites, de façon que les Cohanim puissent être disponibles pour étudier la Torah, éduquer et diriger le public. Et dès lors que les Juifs leur octroyaient des dons, tout le peuple juif se trouvait associé au service spirituel des prêtres. De plus, en n’ayant pas de terres et en n’étant pas engagés dans la compétition économique, les Cohanim pouvaient plus facilement développer en leur sein des sentiments d’amour et de bonté à l’égard du peuple.

L’amour est également le socle de la bénédiction des Cohanim, car c’est l’amour qu’ils éprouvent pour le peuple qui en fait de dignes envoyés, bénissant Israël au nom de l’Eternel.  Tel est bien le sens de la bénédiction qui précède la Birkat Cohanim : « Sois loué… qui nous a sanctifiés par la sainteté d’Aaron et nous as ordonné de bénir Ton peuple Israël par amour. » Les décisionnaires écrivent qu’un Cohen haï de l’assemblée, ou qui haïrait celle-ci ou un seul de ses membres, n’a pas le droit de prendre part à la Birkat Cohanim. S’il y prend part alors qu’il est animé de sentiments de haine, il se met en danger. Il faut donc qu’il efface ces sentiments haineux de son cœur, ou qu’il sorte de la synagogue avant la Birkat Cohanim, car celle-ci consiste, dans son principe même, à bénir Israël par amour (Michna Beroura 128, 37 ; Rav Tsvi Yehouda Kook sur ‘Olat Reïya II 413).

10 – Cas du Cohen impie

Le commandement de bénir l’assemblée incombe à tous les Cohanim, aussi bien justes qu’impies. Par conséquent, même un Cohen qui fauterait en mangeant des aliments interdits, en ayant des relations charnelles interdites, ou en commettant quelque autre faute (à part celles qui seront mentionnées ci-après), n’en serait pas moins tenu de monter sur l’estrade. Et s’il s’abstenait de prendre part à la bénédiction, il ne ferait qu’ajouter une faute supplémentaire au nombre de ses péchés. Comme l’écrit Maïmonide (Hilkhot Téphila 15, 6) : « On ne dit pas à un homme impie : “Ajoute encore une impiété en t’abstenant d’accomplir les mitsvot.” »

Il n’y a pas lieu de s’étonner qu’un Cohen impie puisse bénir Israël, car c’est en vérité l’Eternel qui bénit Son peuple Israël par amour. Pour que la bénédiction se dévoile dans le monde, les Cohanim ont été enjoints d’exprimer celle-ci par leurs lèvres ; grâce à cela, nous prenons davantage conscience de ce que Dieu est la source de la bénédiction dans le monde. Et dans la mesure où les Cohanim, dans leur ensemble, constituent le groupe doté de la mission la plus sainte au sein du peuple d’Israël[b], ils ont été choisis pour traduire la volonté divine de bénir ce peuple. Mais la bénédiction en elle-même ne dépend pas de la piété particulière du Cohen qui y prend part ; elle dépend de la volonté divine de bénir le peuple d’Israël (Maïmonide ad loc. 7 ; cf. ‘Olat Reïya I p. 283).

En revanche, si un Cohen a commis des fautes entachant sa prêtrise, nos sages le sanctionnent en lui interdisant de monter sur l’estrade. Par exemple, un Cohen marié à une femme divorcée n’est pas autorisé à prendre part à la Birkat Cohanim. De même, un Cohen qui ne prend pas garde de se rendre impur au contact de morts n’est pas autorisé à bénir l’assemblée. La raison en est la suivante : puisque ces interdits sont destinés à préserver la sainteté particulière des Cohanim, celui qui les transgresse porte atteinte à sa prêtrise ; aussi les sages le mettent-ils à l’amende en lui interdisant de monter à l’estrade. De même, on ne le fait pas monter le premier lors de la lecture de la Torah, alors que la première section d’une lecture publique de la Torah est en principe réservée au Cohen.

Si le Cohen décide de se repentir, il doit d’abord divorcer de la femme qui lui est interdite, et s’engager publiquement à ne plus épouser de femme qui lui soit interdite. Après cela, il pourra de nouveau bénir l’assemblée. De même, s’il se rendait fréquemment impur au contact de morts, il devra prendre sur lui de s’en abstenir à l’avenir (Choul’han ‘Aroukh, Ora’h ‘Haïm 128, 40-41).

Un Cohen qui a pris part à un culte étranger n’est plus qualifié pour participer à la Birkat Cohanim. On apprend cela de l’analogie avec le régime juridique du service des prêtres dans le Temple (cf. ci-dessus § 5) : de même qu’un Cohen qui aurait pris part à un culte païen est disqualifié à l’égard du service du Temple, de même est-il disqualifié à l’égard de la bénédiction sacerdotale (Mena‘hot 109a, Tossephot ad loc.). Mais s’il se repent d’un repentir entier, il peut recommencer à bénir l’assemblée (Choul’han ‘Aroukh 128, 37).

Certains décisionnaires assimilent la règle applicable à celui qui transgresse le Chabbat publiquement – c’est-à-dire devant dix Juifs – à la règle applicable à l’idolâtre, qui n’est pas autorisé à bénir l’assemblée. C’est en ce sens que tranche le Michna Beroura (128, 134). Cependant, de l’avis de plusieurs grands décisionnaires parmi les A’haronim, un Cohen qui transgresse le Chabbat publiquement peut néanmoins monter sur l’estrade, cela pour plusieurs raisons. Premièrement, il n’est pas certain que la règle applicable à celui qui transgresse le Chabbat soit assimilable à celle qui régit l’idolâtre. Deuxièmement, il faut distinguer ceux qui transgressent le Chabbat de nos jours et ceux qui le transgressaient autrefois. Autrefois, quand quelqu’un transgressait publiquement le Chabbat, il était clair que cette transgression exprimait une provocation et une opposition à l’encontre de la Torah et des commandements. De nos jours, en revanche, ceux qui transgressent le Chabbat n’ont pas l’intention de provoquer les autres, et même s’ils le font publiquement, ils ne le font qu’en raison de leur manque de foi et de leur manque d’étude, et non dans le but de défier ou de chercher querelle. Aussi, un Cohen qui transgresse le Chabbat sans volonté de profaner le nom divin ni de porter atteinte à la Torah, peut, selon l’opinion indulgente, monter à l’estrade[4].

Mais un Cohen qui transgresse le Chabbat par provocation, en s’associant, par exemple, à l’organisation de trajets en bus le Chabbat, ou en manifestant pour l’ouverture de commerces ou de cinémas le Chabbat, est comparable à un idolâtre et se disqualifie à l’égard de la bénédiction sacerdotale, tout le temps qu’il ne s’est pas repenti.


[b]. Puisqu’ils sont chargés du service du Temple et de l’instruction du peuple.
[4]. Certains sont indulgents, afin que les fils de ces Cohanim ne se considèrent pas eux-mêmes comme des non-Cohanim et ne soient amenés, sous l’empire de cette idée fausse, à épouser des femmes interdites aux prêtres. C’est ce qu’écrit l’auteur des responsa Chout A’hiézer IV 3, et c’est ce que l’on rapporte au nom de Rabbi Elyahou David Rabinowitz-Teomim. Selon Igrot Moché, Ora’h ‘Haïm I 33, en droit strict, celui qui transgresse le Chabbat n’est pas disqualifié pour la bénédiction des Cohanim. Dans le vol. II, le même auteur écrit que le Levouché Mordekhaï est lui-même indulgent à cet égard. Voir plus haut, chap. 2 note 10, où sont rapportées les opinions d’A’haronim selon lesquels on peut associer au minyan un Juif qui n’observe pas le Chabbat, attendu que, de nos jours, son intention n’est pas de provoquer les autres.