Pniné Halakha

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01 – Introduction

01 – La thématique des fêtes

Ce sont six jours de Yom tov (fête chômée) que la Torah nous prescrit d’observer : 1) le premier jour de Pessa’h ; 2) le septième jour de Pessa’h ; 3) la fête de Chavou’ot ; 4) Roch hachana ; 5) le premier jour de Soukot ; 6) Chemini ‘atséret. La mitsva consiste à faire de ces jours des jours saints, en nous abstenant de tout travail, en étudiant la Torah, en nous réjouissant en notre fête[a], en louant Dieu pour tout le bien qu’il nous a prodigué. Par cela, nous nous souviendrons de l’Éternel notre Dieu, qui nous a choisis d’entre tous les peuples, nous a donné la Torah, nous a sanctifiés par ses commandements (les mitsvot), nous a rapprochés de son culte, et a évoqué sur nous son grand et saint nom. Grâce à cela, nous nous détachons d’une vie consacrée aux seules nécessités du moment et aux occupations profanes, nous nous élevons, par l’effort d’amélioration de nos traits de caractère (tiqoun hamidot) et de purification du cœur, nous nous renforçons dans l’étude de la Torah et la pratique des mitsvot, et nous nous rappelons la grande destinée qui nous est impartie : parachever le monde dans le règne du Tout-puissant.

En plus de ce que toutes les fêtes ont entre elles de commun, chacune exprime une idée particulière, qu’il nous est donné de recueillir, chaque année de nouveau : le premier jour de Pessa’h (Pâque) est le jour où l’Éternel nous fit sortir d’Égypte, de la maison de servitude, pour accéder à la perpétuelle liberté ; pour nous renforcer dans le souvenir de la sortie d’Égypte, il nous est prescrit de consommer, ce soir-là, de la matsa (pain azyme), du maror (herbes amères), de la viande du sacrifice pascal, et de raconter la sortie d’Égypte. Le septième jour de Pessa’h est celui où l’Éternel fendit pour nous la mer Rouge, nous la fit traverser à pied sec, et y noya les Égyptiens qui nous poursuivaient.

Le jour de Chavou’ot (la Pentecôte), Dieu nous donna la Torah, par laquelle nous amendons le monde ; corrélativement, il nous a été enjoint d’apporter au sanctuaire deux pains faits de ‘hamets (pâte levée), pour nous apprendre que, par le biais de la Torah, le penchant au mal (yétser hara’) lui-même, auquel le ‘hamets fait allusion, s’amende, et s’associe à la sainteté (cf. ci-après, chap. 13 § 7).

Le 1er tichri (Roch hachana) est le jour de la création du monde, ou, plus précisément, le sixième jour depuis la création, jour où fut créé le premier homme. Il nous est ordonné d’en faire un jour du souvenir (Yom hazikaron), de sonner du chofar et de nous éveiller au repentir, la téchouva. Il existe un autre jour saint et redoutable, Yom Kipour, jour des expiations ; mais puisque les interdits qui doivent y être observés sont plus sévères, Kipour n’est pas considéré comme l’une des fêtes (‘haguim).

Le premier jour de Soukot n’a pas été institué pour rappeler un événement ponctuel ; ce jour-là, nous nous souvenons de l’ensemble de la providence que Dieu exerça sur nous lorsqu’Il nous fit sortir d’Égypte, nous conduisit dans le désert, et étendit sur nous ses nuées de gloire (‘anané kavod). La saison pendant laquelle cette fête a lieu est celle où nous achevons de récolter les fruits de l’année, où nous refermons le cercle des fêtes annuelles, et où nous louons l’Éternel pour le produit de l’année agricole. La fête de Soukot nous mène à celle de Chemini ‘atséret, fête de conclusion dernière de l’année, où il nous est donné de nous attacher spécialement à l’Éternel notre Dieu. Aussi convient-il de clore en ce jour la lecture de la Torah et de se réjouir en celle-ci.


[a]. ‘Hag, plur. ‘haguim : fête.

02 – Saisons agricoles et jours de jugement

Les noms des fêtes de pèlerinage reflètent la saison agricole durant laquelle elles ont lieu, comme il est dit : « Tu célébreras en mon honneur trois fêtes par an. Tu garderas la fête des azymes… à l’époque du mois de la germination, car c’est alors que tu sortis d’Égypte… Puis la fête de la moisson [Chavou’ot], prémices de tes produits, que tu auras semés au champ ; et la fête de la récolte [Soukot] à l’issue de l’année, quand du champ tu rassembleras tes produits. Trois fois l’an, chaque mâle se montrera à la face du Seigneur Éternel » (Ex 23, 14-17). Il est dit, de même : « Tu garderas la fête des azymes… à l’époque du mois de la germination, car c’est au mois de la germination que tu sortis d’Égypte… Tu te feras une fête des semaines, des prémices de la moisson de blé, et la fête de la récolte, à la clôture de l’année » (ibid. 34, 18-22).

La fête de Pessa’h appartient au « mois de la germination » (‘hodech ha-aviv, litt. mois de l’épi), où tout commence à germer. La fête de Chavou’ot est aussi appelée ‘hag haqatsir (fête de la moisson), car on achève alors la moisson de blé, lequel constitue la base de l’alimentation humaine. La fête de Soukot est également appelée ‘hag ha-assif (fête de la récolte), car on termine alors de rassembler toutes les récoltes céréalières de l’année, ainsi que ses fruits, à l’intérieur de la maison. Or ce sont là des jours où, de manière naturelle, l’homme se réjouit : au printemps, il se réjouit de la germination, qui se manifeste avec une formidable vitalité après l’hiver ; à l’époque de la moisson, il se réjouit de l’abondante bénédiction dont la production céréalière est gratifiée ; au temps de la récolte, de la profusion de bons fruits qu’il a l’avantage de rassembler dans sa maison. Or il nous est prescrit d’élever et de sanctifier nos sentiments naturels, par le biais des mitsvot propres aux fêtes.

Le processus naturel, à l’œuvre dans ce monde-ci, reflète le processus spirituel qui se produit dans les mondes supérieurs. La fête de Pessa’h est un temps de commencement et de renouvellement ; aussi, c’est à cette époque que nous sortîmes d’Égypte et que nous devînmes un peuple. La fête de Chavou’ot est un temps de mûrissement du processus de croissance, porté à son plus haut point ; aussi est-ce pendant cette période que nous reçûmes la Torah (cf. ci-après, chap. 13 § 1-4). La fête de Soukot est un temps de joie pour la récolte, et de conclusion de la bénédiction matérielle ; c’est à ce moment que nous exprimons notre grande joie pour la Présence divine (Chékhina) reposant sur nous, et pour tous les bienfaits que nous avons à vivre à l’ombre de la providence divine.

En d’autres termes, toute fête est l’expression de la conclusion d’une étape, tant d’un point de vue naturel que spirituel : Pessa’h conclut l’étape de l’éclosion printanière qui suit l’assoupissement hivernal, et marque la sortie d’Égypte, de la maison de servitude. À Chavou’ot, se conclut le premier stade de la germination ; c’est alors le temps de la moisson céréalière et du don de la Torah. À Soukot, se concluent toutes les étapes : on rassemble tous les fruits, matériels et spirituels, qui reflètent le lien accompli unissant Israël à l’Éternel.

Pour unir le processus agricole et naturel, ainsi que le processus spirituel qui lui fait face, à la source de la sainteté, il nous est ordonné de monter, durant les trois fêtes de pèlerinage, au Temple, d’y offrir des sacrifices, holocauste (‘ola) et rémunératoires (chelamim), et de nous réjouir devant l’Éternel.

Les jours de fête sont aussi des jours de jugement. Nos sages enseignent, dans la Michna, que le monde est jugé en quatre phases : à Pessa’h, le monde est jugé à l’égard de la production céréalière, qui s’apprête à croître jusqu’à Chavou’ot ; à Chavou’ot, on est jugé à l’égard des fruits de l’arbre, qui sont sur le point de pousser pendant l’été ; à Soukot, c’est à l’égard de l’eau, c’est-à-dire les pluies de l’hiver, que l’on est jugé ; et Roch hachana est le jour du jugement général, pour toutes les créatures (Roch Hachana 16a). Grâce à la célébration des fêtes, conforme aux lois qui les régissent, nous sommes jugés favorablement. Et tel est le bon conseil que nous a donné l’Éternel, par les commandements des fêtes : nous relier à Lui, à chaque saison, par la reconnaissance et la joie, et attirer, grâce à cela, la bénédiction sur la saison prochaine.

03 – Israël et les fêtes

La sainteté du Chabbat fut fixée lorsque Dieu créa l’univers en six jours et cessa son œuvre le septième, et elle se maintient depuis lors. En revanche, la sainteté des fêtes dépend du peuple d’Israël. Il y a, à cet égard, deux aspects à considérer : le premier est que l’idée particulière dont chaque fête est porteuse s’est révélée par le biais d’Israël : à Pessa’h, l’Éternel fit sortir Israël d’Égypte ; à Chavou’ot, Il donna la Torah à Israël ; à Soukot, on se souvient de la providence particulière de Dieu à l’égard de son peuple Israël ; à Roch hachana, Israël se tient tel un officiant agissant au nom de toute la création, prêt à introniser l’Éternel comme roi de l’univers.

Le deuxième élément est que, en pratique, l’observance de toutes les fêtes dépend du mois hébraïque, dont le commencement est proclamé par Israël. En d’autres termes, bien que le mois hébraïque soit fonction du cycle lunaire, ce n’est point l’apparition de la lune en son renouvellement qui détermine la consécration du mois nouveau, mais seulement le beit-din (tribunal rabbinique) du peuple juif, qui peut proclamer le commencement du mois, comme il est dit : « Ce mois sera pour vous… » (Ex 12, 2), ce que nos sages commentent ainsi : « Que ce témoignage vous soit confié » (Roch hachana 22a). Environ trois cents ans après la destruction du deuxième Temple, lorsque les sages d’Israël, et à leur tête le prince Hillel II, virent que, en raison de la servitude et des misères, il leur serait difficile de continuer à consacrer les mois, ils calculèrent les mois et les années à venir et les consacrèrent, jusqu’à la fin des générations. Mais là encore, la consécration des mois demeure dépendante des Juifs vivant sur la terre d’Israël : c’est par l’effet du calcul qu’ils effectuent pour fixer les mois, d’après le calcul perpétuel effectué par Hillel, que les mois sont sanctifiés. Mais si, à Dieu ne plaise, il n’y avait plus de Juifs sur la terre d’Israël, la fixation des mois faite par le dernier beit-din ne serait pas efficace, et les mois et les fêtes seraient annulés. Cependant, Dieu nous a promis qu’une telle chose n’arriverait jamais (Maïmonide, Qidouch ha’hodech 5, 1-3 ; Séfer Hamitsvot 153 ; Pniné Halakha, Zemanim, Fêtes et célébrations juives I, 1 § 3, note 3).

Nous voyons donc que la sainteté des fêtes dépend du peuple d’Israël, et c’est la raison pour laquelle nos sages ont ainsi libellé la bénédiction des fêtes, dans la prière et dans le Qidouch : Baroukh Ata Hachem, meqadech Israël véhazemanim (« Béni sois-Tu, Éternel, qui sanctifies Israël et les époques »). De prime abord, cela semble difficile à comprendre. En effet, on sait qu’il n’est pas d’usage de clore une bénédiction par la mention de deux éléments. Cependant, Israël et les fêtes ne constituent précisément pas deux choses séparées, puisque c’est Israël qui consacre les fêtes (Berakhot 49a). Face à cela, la sainteté du Chabbat est permanente, et c’est Dieu qui, de manière directe, la fait exister. Aussi la bénédiction du Chabbat est-elle : Baroukh Ata Hachem, meqadech ha-Chabbat (« Béni sois-Tu, Éternel, qui sanctifies le Chabbat ») (Pessa’him 117b). Aussi, bien que le Chabbat soit, plus que les fêtes, sanctifié et élevé, la mitsva de se réjouir pendant les fêtes est plus grande que la réjouissance du Chabbat, car, en elles, la valeur de nos propres actes dans ce monde-ci se dévoile davantage.

Puisque la sainteté des fêtes dépend d’Israël, la sainteté d’Israël, qui s’étend à chaque Juif, se révèle pendant les fêtes ; grâce à cela, se révèle l’unité d’Israël. Nous voyons aussi que, à Chavou’ot, c’est en nous tenant debout, tous unis devant le mont Sinaï, que nous reçûmes la Torah (cf. ci-après, chap. 13 § 6). Le sacrifice pascal, lui aussi, fait allusion à l’unité d’Israël et à son élection (Maharal de Prague, Guevourot Hachem[b] 5, 36-37). De même, les quatre espèces végétales qui sont prises en un seul faisceau à Soukot, expriment l’unité rassemblant toutes les composantes du peuple.

Par suite, afin de ne pas créer de séparation entre les différents pèlerins, les sages ont décidé d’une indulgence à l’égard des ignorants (‘amé haarets) : tout au long de l’année, le décret des sages prévoit que le contact des ignorants est source d’impureté, car, parmi eux, il s’en trouvait qui n’appliquaient pas avec soin les lois relatives à l’impureté et à la pureté. Mais pendant les fêtes, les sages donnèrent pour consigne de se fier aux déclarations de ces gens : quiconque dirait être pur serait cru, et son contact ne rendrait pas impures les viandes des sacrifices ni les autres nourritures. Les sages appuient cette indulgence sur un verset : « Tous les hommes d’Israël furent assemblés contre la ville, tous amis, comme un seul homme » (Jg 20, 11). Quand tout le monde est rassemblé, chacun accède à la dignité de confrère (‘haver[c]), auquel on prête foi en matière de pureté (‘Haguiga 26a). De même, il est dit : « Jérusalem, qui est construite comme une ville bien unifiée » (Ps 122, 3) : c’est-à-dire une ville qui rend confrères tous les Israélites (Talmud de Jérusalem, ‘Haguiga 3, 6).


[b]. Traduit en français par Edouard Gourévitch sous le titre Les Hauts Faits de l’Éternel (Cerf).

[c]. Dans le vocabulaire talmudique, ‘haver ne signifie pas seulement « ami », mais collègue en matière de science toranique.

04 – Le Chabbat et les fêtes, quant aux mitsvot et aux sanctions

À chacun des jours de Yom tov s’appliquent la mitsva « positive[d] » de chômer, et la mitsva « négative[e] » interdisant de faire un quelconque ouvrage (mélakha). Par conséquent, ce sont douze mitsvot qui traitent du chômage de Yom tov[1].

Face à cela, ce sont seulement deux mitsvot qui se rapportent au chômage sabbatique : l’une est la mitsva positive de chômer de tout travail, la seconde est la mitsva négative interdisant d’accomplir aucun travail (Pniné Halakha, Les Lois de Chabbat 9, 1). Cela, parce que le propos de tous les Chabbats est le même, tandis que, s’agissant des fêtes, chacune a une signification qui lui est particulière ; aussi, des mitsvot relatives au chômage nous sont-elles prescrites pour chacune, séparément.

Le point commun qu’il y a entre les Chabbats et les fêtes, c’est que, en pratique, à chaque Chabbat ou à chaque fête on est tenu à l’observance d’une mitsva positive de chômer de tout travail, et d’une mitsva négative de ne point accomplir de travail. Par conséquent, celui qui chôme, le Chabbat ou un jour de fête, accomplit par-là une mitsva positive, et s’il effectue quelque travail, il fait échec à cette mitsva positive et enfreint une mitsva négative. Et puisque, aux fêtes de pèlerinage, il nous est enjoint de chômer, ces fêtes aussi sont appelées, comme le Chabbat, Chabbaton (repos solennel), et parfois même elles sont appelées Chabbat (Mena’hot 65b).

Toutefois, il existe une différence entre le Chabbat et les fêtes, du point de vue de la sévérité du chômage : le Chabbat, tout travail est interdit (cf. Les Lois de Chabbat 9, 1-2), tandis que, le Yom tov, il est permis d’accomplir une mélakha domestique pour les besoins de la préparation d’aliments, et seuls les travaux serviles[f] sont interdits. Tel est le principe : plus un jour est sanctifié, plus nous devons nous effacer devant la Providence divine et nous détacher de la mélakha (cf. ci-après, chap. 3 § 1 ; 10, 7).

Du point de vue de la sanction également, la loi du Chabbat est plus sévère que celle du Yom tov ; car celui qui accomplit intentionnellement une mélakha pendant Chabbat – si des témoins sont présents qui l’avaient mis en garde pour le dissuader de commettre cela, et que néanmoins il l’ait fait – est passible de lapidation[g] (seqila) ; si l’on a commis cette transgression intentionnellement, mais sans témoins, on est passible de retranchement (karet) ; et si c’est de façon non intentionnelle que l’on a commis cette mélakha le Chabbat, on est tenu d’apporter un sacrifice expiatoire (‘hatat) (Maïmonide, Chabbat, 1, 1). Tandis que, le Yom tov, celui qui fait une mélakha intentionnellement et devant témoins est passible de flagellation (trente-neuf coups), et, en cas de faute commise sans intention, n’est pas même passible d’un sacrifice expiatoire. Il y a une autre différence : celui qui, par un même acte commis par méconnaissance des interdits, accomplit plusieurs mélakhot le Chabbat, doit apporter un sacrifice expiatoire distinct pour chacune de ces mélakhot. Tandis que celui qui, un Yom tov, accomplirait plusieurs mélakhot, de manière intentionnelle et après avoir été mis en garde une fois, est passible d’une flagellation unique pour toutes les mélakhot accomplies (Makot 21b ; Maïmonide, Yom Tov 1, 3).

En ce qui concerne les sacrifices qu’il nous est prescrit d’offrir au Temple, le Chabbat est doté d’un ensemble de sacrifices qui lui est propre, et chacun des six jours de fête est, de même, doté d’un ensemble de sacrifices qui lui est propre, comme on le voit dans la paracha Pin’has (Nb 28). Par ailleurs, il existe des mitsvot spécifiques aux fêtes, qui ne sont point prescrites le Chabbat. À Pessa’h, c’est une mitsva que de manger de la matsa (pain azyme), et il est interdit de consommer du ‘hamets (pâte levée) ; et l’on trouve d’autres mitsvot, nombreuses, relatives à la soirée du séder. À Roch hachana, c’est une mitsva que de sonner du chofar. À Soukot, c’est une mitsva que de résider dans la souka et de saisir le loulav. À Chavou’ot et à Chemini ‘Atséret, il n’y a pas de mitsva particulière, autre que la joie de la fête ; car ces deux fêtes ont pour propos d’être une clôture[h], c’est-à-dire un rassemblement festif venant conclure un cycle : Chavou’ot conclut le processus allant de la sortie d’Égypte au don de la Tora (cf. ci-après, chap. 13 § 6), et Chemini ‘Atséret conclut tout le cycle des trois fêtes de pèlerinage ainsi que le processus de téchouva, d’expiation, et de joie qui suit celle-ci.


[d]. Obligation de faire.

[e]. Obligation de ne pas faire.

[1]. Dans le Lévitique, paracha Émor (chap. 23), toutes les fêtes sont mentionnées, assorties des commandements qui s’y appliquent. Or pour chacune des fêtes citées, sont prescrites la mitsva de chômer et celle de n’accomplir aucune œuvre servile (mélékhet ‘avoda) : ce sont le premier et le septième jour de Pessa’h (Lv 23, 7-8), la fête de Chavou’ot (ibid. 21), Roch hachana (ibid. 24-25), le premier jour de Soukot et Chemini ‘Atséret (ibid. 35-36). Au livre des Nombres aussi, dans la paracha Pin’has (chap. 28), sont mentionnées les fêtes ; mais là, à côté de l’interdit du travail, sont mentionnés les sacrifices particuliers à chaque fête. Dans ces deux chapitres, c’est la mitsva du Chabbat qui inaugure la série des fêtes ; cela, afin de nous apprendre que le Chabbat est la racine de la sainteté des fêtes. La mitsva de chômer le premier et le septième jour de Pessa’h est également mentionnée en Ex 12, 16 et en Dt 16, 8.

[f]. Mélékhet ‘avoda, littéralement « ouvrages de travail ». On verra dans la suite du livre ce que recouvrent ces travaux interdits le Yom tov, par opposition à ceux qui y sont autorisés.

[g]. Cette sanction n’était applicable qu’à l’époque du Temple, mais les conditions de son application sont si difficiles à réunir qu’elle n’a guère été mise en pratique.

[h]. Le mot ‘atséret signifie clôture. La fête de Chavou’ot est également appelée ‘Atséret (elle clôt le cycle commencé à Pessa’h).

05 – La mitsva d’étudier la Torah pendant la fête

C’est une mitsva que d’étudier abondamment la Torah, les Chabbats et les jours de fête, comme l’ont dit nos sages : « Les Chabbats et les jours de Yom tov n’ont été donnés que pour s’y livrer à l’étude des paroles de Torah » (Talmud de Jérusalem, Chabbat 15, 3). Il y a à cela trois fondements : le premier est la mitsva même de l’étude toranique (mitsvat talmud Torah), dont nos sages disent qu’elle vaut autant que l’ensemble des autres mitsvot (Péa 1, 1 ; Maïmonide, Talmud Torah 3, 3-9). Tout Israélite y est tenu, comme il est dit : « Vous les étudierez [les lois et les statuts que Je vous fais entendre aujourd’hui], et vous garderez leur accomplissement » (Dt 5, 1). La mitsva consiste à s’adonner à l’étude de la Torah, de jour et de nuit, comme il est dit : « Ce livre de la Torah ne quittera pas ta bouche, et tu le méditeras de jour et de nuit » (Jos 1, 8). Par conséquent, l’homme doit étudier la Torah chaque jour de sa vie ; même le jour de sa mort, on ne s’abstiendra pas d’aller à la maison d’étude (beit hamidrach) et d’apprendre les paroles de la Torah (Chabbat 83b) ; car si l’on se détachait de la Torah, on oublierait ce que l’on avait appris, or la Torah nous met en garde : « Seulement, garde-toi et garde bien ton âme, de peur que tu n’oublies… et de peur qu’elles [les paroles dont tes yeux furent témoins] ne s’écartent de ton cœur, aucun des jours de ta vie » (Dt 4, 9 ; Maïmonide, Talmud Torah 1 § 3 et 10). Quiconque pourrait s’adonner à l’étude de la Torah et s’en abstient, son attitude relève du mépris de la parole divine (Sanhédrin 89a). Certes, les jours profanes, quand on est affairé à gagner sa subsistance, on ne peut se livrer de longues heures à l’étude ; et cependant, cela reste une obligation que de fixer des temps consacrés à l’étude de Torah, jour et soir (Maïmonide, ibid. 1, 8 et 3, 13). Mais les Chabbats et les jours de fête, où l’on est libre de tout travail, la mitsva d’étudier la Torah reprend sa place dans toute sa vigueur. Et c’est à cette fin que les Chabbats et les jours de fête ont été donnés à Israël : pour que les Juifs soient libérés de leurs travaux et puissent se consacrer à la Torah (cf. Tanna Devei Elyahou Rabba 1).

Le deuxième principe est que les Chabbats et les fêtes sont des jours saints, qui ont été donnés aux Israélites pour qu’ils s’élèvent dans l’échelle de la connaissance toranique, et éclairent, par leur biais, les jours de semaine. Le Chabbat est destiné à éclairer et à élever, chaque semaine, les six jours profanes ; et chacune des fêtes est destinée à dispenser sa lumière particulière sur toute l’année. Par conséquent, Moïse notre maître prescrivit aux Israélites de lire, chaque jour de fête, dans le rouleau de la Torah, des passages relatifs à ladite fête ; de même leur prescrivit-il « de poser des questions et de donner des homélies relatives au thème de la présente fête : aux lois de Pessa’h pendant Pessa’h, aux lois de Chavou’ot à Chavou’ot, aux lois de chaque fête à son heure » (Méguila 32a, Cha’ar Hatsioun 429,5). C’est à ce propos que le Saint béni soit-Il dit à Moïse notre maître : « Fais-toi de grandes assemblées, et discours devant elles, réunies en nombre, des thèmes du jour, afin que les générations à venir apprennent de toi à réunir des assemblées chaque Chabbat et chaque fête, et à se rassembler dans les maisons d’étude, pour instruire Israël et lui enseigner les paroles de la Torah, ce qui est interdit et ce qui est permis ; afin que mon grand nom soit loué parmi mes enfants (Yalqout Chim’oni, Vayaqhel 408). De même, les sages d’Israël ont pris coutume, tout au long des générations, de discourir devant la communauté, de halakha et d’aggada[i]. La deracha[j] principale avait lieu le jour et se nommait pirqa ; on avait grand soin que tous vinssent l’écouter (cf. Les Lois de Chabbat I 5, 4 et Har’havot de la version hébraïque, ad loc.). Les soirs de Chabbat et de fête également, on fixait une deracha ; à ce qu’il semble, on y traitait largement d’aggada (Mordekhi sur Pessa’him 611), et les femmes aussi venaient l’écouter (Talmud de Jérusalem, Sota 1, 4).

Troisième principe : l’étude de la Torah est l’une des expressions de la mitsva de se réjouir durant la fête, parce que l’étude réjouit, comme il est dit : « Les statuts de l’Éternel sont droits, ils réjouissent le cœur » (Ps 19, 9). C’est pour cette même raison qu’il est interdit d’étudier la Torah le 9 av et les jours de deuil (Ta’anit 30a ; Chaagat Aryé 69).

En plus de la mitsva d’étudier abondamment la Torah durant la fête, il faut, tandis qu’on est à table pour le repas festif (la sé’ouda), prononcer des paroles de Torah, afin de relier la nourriture à sa racine spirituelle. Si l’on ne fait pas cela, les aliments que l’on prend sont considérés comme « sacrifices faits aux morts[k] » (ziv’hé métim), car on se détourne de l’âme (Maximes des pères 3, 3 ; Pniné Halakha, Lois des bénédictions 13, 8). Il faut être particulièrement attentif à cela lors des repas de fête, car plus le repas sera important et réjouissant, plus il ouvrira les cœurs et rendra puissantes les sensations ; or si l’on ne s’emploie pas à élever ces sentiments par le biais de paroles de Torah, de chants et de louanges, il est à craindre que les participants n’en viennent à la frivolité et à des propos moqueurs. De même, nous voyons que les sages blâmaient ceux qui, dans la joie de leurs agapes, chantaient des paroles indécentes et grossières ; et s’ils faisaient cela à partir de versets du Cantique des cantiques – que l’on retirait de leur contexte – l’offense n’en était que plus grande.

Nos sages ont enseigné : « Celui qui lit un verset du Cantique des cantiques et en fait une sorte de chant [frivole], et celui qui lit un verset au banquet en dehors de son temps[l] amène le mal sur le monde. Car la Torah se couvre d’un cilice, se tient devant le Saint béni soit-Il et dit devant Lui : “Maître du monde, tes fils m’ont rendue pareille à un violon dont joueraient des railleurs.” Le Saint béni soit-Il lui répond alors : “Ma fille, quand ils mangent et boivent, à quoi devraient-ils s’occuper ?” Elle dit alors : “Maître du monde, s’ils connaissent l’Écriture, qu’ils s’entretiennent de Torah, des Prophètes et des Hagiographes ; s’ils connaissent la Michna, qu’ils s’entretiennent de Michna, de lois et d’aggada ; et s’ils connaissent le Talmud, qu’ils s’entretiennent des lois de Pessa’h pendant Pessa’h,  des lois de Chavou’ot à Chavou’ot, des lois de chaque fête à son heure” » (Sanhédrin 101a).


[i]. Halakha : partie législative et juridique de la Torah ; aggada : partie narrative, théologique et éthique de la Torah.

[j]. Homélie, discours rabbinique.

[k]. Suivant l’expression de Ps 106, 28 : sacrifices idolâtres, offerts à des dieux inexistants, donc morts.

[l]. Par exemple un verset appartenant à une fête pendant une autre fête, ou un jour profane, par esprit de dérision.

06 – Durée de l’étude et des repas

Pour tenter de cerner le caractère du Yom tov, examinons deux versets qui, de prime abord, semblent se contredire. Dans l’un, il est dit que la fête est « pour Dieu » (l’Hachem) : « Cessation[m] en l’honneur de ton Dieu » (Dt 16, 8) ; dans l’autre, il est dit que la fête est « pour vous » (lakhem) : « Une fête de clôture aura lieu pour vous » (Nb 29, 35). Selon Rabbi Yehochoua, le propos de la Torah est que nous partagions la journée : « La moitié pour Dieu, la moitié pour vous » (‘hetsio l’Hachem vé-‘hetsion lakhem), c’est-à-dire « une moitié pour manger et boire, une moitié pour la maison d’étude ». Selon Rabbi Eliézer, chacun est fondé à choisir pour soi-même : soit de consacrer toute la journée à Dieu et à la maison d’étude (koulo l’Hachem), soit de la consacrer à soi-même et au festin (koulo lakhem) (Pessa’him 68b ; Beitsa 15b). Cependant, celui-là même qui choisirait de s’adonner à l’étude de la Torah toute la journée devrait, selon Rabbi Eliézer, manger quelque chose, afin de ne pas jeûner. De même, si l’on choisit de consacrer toute la journée au festin, il faut tout de même prier et s’adonner à quelque étude, le soir et le jour, et prononcer des paroles de Torah à table (Rabbénou Pérets, Rabbi Aaron Halévi, Chné Lou’hot Habrit). Il faut ajouter que, si l’on choisit de consacrer toute la journée au festin, ce choix doit être fait au nom du Ciel (léchem Chamaïm), afin de se réjouir de la sainteté de la fête et de réjouir les pauvres et les solitaires (Peri Tsédeq, ‘Hag ha-Chavou’ot 5 ; ci-après § 11).

En pratique, la halakha a été tranchée conformément à l’avis de Rabbi Yehochoua : il faut partager la journée, en y consacrant une moitié à la maison d’étude et une moitié à manger et à boire (Choul’han ‘Aroukh 529, 1). Certains disent qu’il faut avoir soin, avec une grande exactitude, de ne pas consacrer moins de la moitié de la journée à Dieu. Rabbi ‘Haïm Ben-Atar (auteur du Or Ha’haïm) écrit que, si l’on consacre moins de la moitié du temps à Dieu, c’est la part de Dieu qui est volée par notre fait (Richon lé-Tsion sur Beitsa 15b). D’autres estiment qu’il n’est pas besoin de calculer les heures avec exactitude ; ce qu’il faut, c’est étudier environ la moitié du jour (Peri Mégadim). En pratique, il semble que le fait de ne pas calculer les heures rende très négligent quant à la part destinée à la Torah ; par conséquent, pour rétablir la place de cette mitsva, il est nécessaire de calculer les heures du jour, et de s’habituer à consacrer la moitié d’entre elles à l’Éternel. Il semble que les sept heures pendant lesquelles l’homme a l’habitude de dormir chaque jour ne fassent pas partie du compte. Il nous reste donc dix-huit heures sur les vingt-cinq que comporte la fête. Sur ces dix-huit heures, il faut donc en consacrer neuf à Dieu. Or, bien que la partie essentielle de ce temps doive être consacrée à l’étude de la Torah – comme le disent les sages : « la moitié pour la maison d’étude » (Pessa’him 68b) – la prière est, elle aussi, considérée comme s’inscrivant dans la moitié destinée à Dieu, à condition qu’on ne l’étire pas par un excès d’hymnes et de cantillation synagogale ; car si l’on étire ainsi le temps des offices, cela ne saurait être sur le compte de la moitié destinée à Dieu (Yam Chel Chelomo, Maguen Avraham). Nous voyons donc que, parmi ces neuf heures, on peut considérer que trois, environ, sont consacrées à la prière ; il faut par conséquent consacrer environ six heures à l’étude de la Torah.

Pour les femmes aussi, il y a une mitsva d’étudier la Torah pendant la fête. C’est ainsi qu’elles ont pris coutume de se joindre aux homélies du Chabbat et des fêtes. Mais les femmes n’ont pas l’obligation de consacrer la moitié de la journée à Dieu ; et celle qui a le mérite de le faire cependant, sera bénie pour cela[2].


[m]. De tout travail (Rachi).

[2]. Nous tenons pour principe que, lorsqu’une controverse oppose Rabbi Eliézer à Rabbi Yehochoua, la halakha suit l’opinion de Rabbi Yehochoua. C’est ainsi que la halakha est tranchée dans le cas qui nous occupe : il faut consacrer la moitié de la journée à Dieu (Rabbi Yits’haq Ibn Ghiat, Raavia, Or Zaroua’ et d’autres ; c’est en ce sens que tranche le Choul’han ‘Aroukh 529, 1). Telle est la conclusion du Talmud de Jérusalem, qui ne mentionne pas que c’est là l’opinion de Rabbi Yehochoua : « Donne une part à l’étude de la Torah et une part pour manger et boire » (Chabbat 15, 3). C’est aussi ce qui ressort des propos de Maïmonide, qui décrit un emploi du temps compatible avec les propos de Rabbi Yehochoua (Yom Tov 6, 19) ; et c’est en ce sens que se prononcent le Choul’han ‘Aroukh Harav 529, 10, le Michna Beroura 1 et le Kaf Ha’haïm 2.

De nombreux auteurs ont écrit que l’intention de Rabbi Eliézer n’était pas de dire qu’il fallait véritablement consacrer toute la journée à Dieu ou au festin, puisque celui qui étudie toute la journée doit bien, lui aussi, manger quelque chose, afin de ne pas être en jeûne et de ne pas s’affliger pendant la fête ; simplement, si l’on choisit de consacrer toute la journée à l’étude, on ne sera pas tenu de faire un repas important. À l’inverse, celui-là même qui veut consacrer toute la journée au « pour vous », aux repas et aux plaisirs corporels, devra bien prier et étudier un peu de Torah, comme on y est obligé chaque jour (Rabbénou Pérets et Rabbi Aaron Halévi sur Beitsa 15b ; Chné Lou’hot Habrit, Chavou’ot, Torah Or 16).

Cependant, selon le Méïri (Beitsa ad loc.), si, du fait de son assiduité à l’étude, on n’a rien mangé du tout, on aura tout de même accompli la mitsva de célébrer la fête. Le Sfat Emet (ad loc.) estime que, de l’avis même de Rabbi Eliézer, on peut partager la journée en deux parties égales (il faut signaler que, même en matière de prière, Rabbi Eliézer pense que l’essentiel de la mitsva dépend de la volonté et du choix de l’homme, comme le rapporte la Michna Berakhot 4, 4 : « Celui qui fait de sa prière une chose routinière, sa prière ne s’élève pas au rang de supplication ».)

Il semble que, pour Rabbi Yehochoua, il faille inclure le temps de prière à l’intérieur de la « moitié dédiée à Dieu ». C’est ce qui ressort de l’emploi du temps décrit par Maïmonide, et ce que rapportent le Choul’han ‘Aroukh Harav 529, 10 et le Michna Beroura 1 (cf. Har’havot sur Pniné Halakha – Chabbat 5, 1, 10). Simplement, l’essentiel de la moitié dédiée à Dieu doit être consacrée à la Torah ; aussi, Rabbi Yehochoua dit-il, en Pessa’him 68b : « moitié pour la maison d’étude » ; à l’époque des sages, la synagogue, destinée aux prières, était distincte de la maison d’étude.

Certains ont soutenu que, pour Rabbi Yehochoua, il fallait avoir soin d’accomplir de façon pointilleuse la moitié consacrée à Dieu. Rabbi Haïm Ben-Attar, dans Richon Lé-Tsion (Beitsa 15b), écrit ainsi que, si l’on s’étend dans son repas du matin, et que l’on ne complète pas, dans l’après-midi, le temps prévu, on aura causé que la part de l’Éternel se trouve dérobée. C’est aussi ce qu’écrivent le Baït ‘Hadach, Ora’h ‘Haïm 242, le Pné Yehochoua, Beitsa ad loc., le Chaagat Aryé 69 et le Kaf Ha’haïm 529, 10 ; et c’est ce qui ressort des propos du Yam Chel Chelomo, ‘Houlin 1, 50 et du Maguen Avraham, début du chap. 529, selon qui il faut protester contre les officiants qui s’étendent dans leur chant, car ces longueurs ne font point partie de la moitié consacrée à Dieu.

D’autres, en revanche, estiment qu’il n’est pas nécessaire d’être pointilleux en la matière. C’est ce qu’écrivent explicitement le Peri Mégadim, Ora’h ‘Haïm, Echel Avraham 242 § 1 et le Sfat Emet, Beitsa 15b. Certains veulent déduire cela de tous les décisionnaires qui ont rapporté les propos de Rabbi Yehochoua sans autre mention, ni précision quant au partage de la journée. Il semble toutefois que, à leur avis, il faille étudier à tout le moins presque la moitié du jour. Peut-être veulent-ils dire que l’on peut étudier parfois plus de la moitié du jour, et parfois moins, mais que, tout compte fait, on aura étudié environ la moitié du jour. Et puisque nous voyons, en pratique, que cette règle est entièrement négligée, il semble, à notre humble avis, que, de leur propre point de vue, il soit obligatoire de calculer les heures de la fête comme nous en avons donné le détail dans le corps de texte, afin de rétablir l’étude de la Torah pendant les fêtes à la place qui lui revient. Il faut également tenir compte des heures de la nuit, puisque celle-ci fait aussi partie de la fête. Nous voyons ainsi que les anciens fixaient une étude de Midrach le soir (Tossephta sur Beitsa 2, 6, Tossephot sur Pessa’him 109a). Simplement, les heures que nécessite le sommeil doivent être déduites du compte global. De cette matière, on voit qu’il faut avoir soin de consacrer neuf heures à Dieu.

Il semble également que, bien qu’il faille avoir soin de ne pas consacrer moins de la moitié du jour à Dieu, celui qui a convenablement accompli la mitsva de la joie, par son repas festif, en mangeant de la viande et en buvant du vin, et à qui il reste du temps sur la « moitié pour vous », puisse ajouter à l’étude de la Torah, sans craindre de faire échec, en cela, à la mitsva. La différence entre les deux moitiés est que la part qui revient à l’Éternel n’est pas dans les mains de l’homme : son but est assigné à la Torah ; tandis que la partie qui est « pour vous » dépend de la disposition de l’homme. S’il n’en était pas ainsi, que pourrait faire un homme qui a déjà passé trois heures à table, qui ne peut manger davantage, et qui ne veut pas davantage dormir ? Serait-il obligé de converser de choses profanes afin d’accomplir la « moitié pour vous » ? De plus, lors des repas eux-mêmes, il est juste d’abonder en paroles de Torah (Maximes des pères 3, 3, Sanhédrin 101a) ; or serait-il concevable que, si l’on a déjà rempli sa « moitié pour Dieu », on ne puisse plus prononcer de nombreuses paroles de Torah à sa table ? La directive essentielle est donc conforme à ce que nous avons appris de Rabbi Yehochoua : il est obligatoire de consacrer le temps qui convient à un repas important, comme on le voit en Chabbat 119b, où Rabbi Zeira avertit les disciples des sages de ne point étudier la Torah à l’excès, au détriment des délices du Chabbat. Cf. Har’havot sur le présent passage et sur Les Lois de Chabbat 5, 1-4, où nous citons de nombreuses sources relatives à cette halakha.

07 – Les repas de la fête – convocation sainte

C’est une mitsva que de faire, un jour de Yom tov, deux repas importants (sé’ouda, plur. sé’oudot), l’un le soir, l’autre le jour, et c’est l’une des expressions centrales de la sainteté de la fête ; car il est dit de toutes les fêtes qu’elles sont des miqraé qodech, des « convocations saintes », or nos sages enseignent : « Par quoi les sanctifieras-tu ? Par la nourriture, par la boisson et par une tunique propre » (Sifra, Émor 12, 4). En cela, les fêtes sont égales au Chabbat, car elles et lui sont appelés miqraé qodech. Maïmonide écrit ainsi :

De même que c’est une mitsva que d’honorer le Chabbat et de s’en délecter, ainsi de tous les jours de Yom tov, comme il est dit : « Tu appelleras… le jour saint de l’Éternel “honoré” [qedoch Hachem mékhoubad”]» (Is 58, 13) ; or tous les jours de Yom tov sont appelés miqraé qodech, convocations saintes (Yom Tov 6, 16).

Certes, le Chabbat, les sages ont institué trois repas, ce qu’ils ont déduit d’allusions contenues dans des versets (Chabbat 117b) ; et cette exigence reflète le niveau particulier auquel s’élève le Chabbat. Tandis que, le Yom tov, la mitsva consiste à faire deux repas, l’un le soir, l’autre le jour (Roch, Tour). Car chaque jour, l’homme a besoin de prendre deux repas (arou’hot) ; or la mitsva de la fête est de transformer ces repas en sé’oudot, repas importants (Choul’han ‘Aroukh 529, 1 ; Birké Yossef 3 ; Michna Beroura 13 ; Kaf Ha’haïm 24).

C’est une mitsva que de manger, à chacun de ces deux repas, du pain (cf. ci-après, chap. 2 § 5), et que de prononcer la bénédiction sur deux pains (lé’hem michné) ; car, comme le Chabbat, il ne tombait pas non plus de manne le Yom tov : c’est la veille de la fête que, en l’honneur de celle-ci, descendait du ciel une double part (Choul’han ‘Aroukh 529, 1 ; Pniné Halakha, Les Lois de Chabbat 7, 3)[3].

Bien que la sainteté de Chabbat soit supérieure à celle des fêtes, c’est une mitsva que de prévoir des repas de fête plus abondants que ceux du Chabbat, et d’y être vêtu avec plus d’apprêt, en raison de la mitsva de Vé-sama’hta be-‘haguékha (« Tu te réjouiras en ta fête », Dt 16, 14), comme nous le verrons au paragraphe qui suit.


[3]. Du Chabbat et des fêtes, il est dit qu’ils sont des miqraé qodech (convocations saintes) ; et de même que c’est une mitsva que d’honorer le Chabbat et d’en faire un objet de délice – comme le dit explicitement le verset d’Isaïe (58, 13) : « Tu appelleras le Chabbat “délice”, le jour saint de l’Éternel “honoré” » – de même est-ce une mitsva les jours de fête, comme l’écrit Maïmonide, Yom Tov 6, 16. Le Choul’han ‘Aroukh 529, 1 tranche dans le même sens : « Il faut l’honorer et s’en délecter, comme du Chabbat. » Cf. Les Lois de Chabbat 7, note 2, où l’on voit que les Richonim sont partagés quant au fait de savoir si cet honneur et ce délice sont une obligation biblique ou rabbinique. De l’analyse midrachique que donnent les sages de l’expression miqra qodech, il ressort que cette obligation est biblique, et telle est l’opinion de Na’hmanide. En revanche, du fait que cet enseignement est tiré d’un verset d’Isaïe, il ressort que l’obligation n’est pas de-oraïtha (du Pentateuque), comme l’écrivent Maïmonide et le Séfer Ha’hinoukh.

Les propos de Maïmonide laissent entendre que, le Yom tov également, il faudrait prendre trois repas (Chabbat 30, 9 ; selon le Beit Yossef, on n’est pas obligé de comprendre ces propos ainsi). En pratique, la presque totalité des décisionnaires estiment que la mitsva consiste seulement à prendre deux repas. Le Tour rapporte que tel était l’usage du Roch ; et c’est en ce sens que tranchent le Choul’han ‘Aroukh 529, 1, Tossephot Yom Tov, le Choul’han ‘Aroukh Harav et le Michna Beroura 12. Le Levouch explique que, pour préserver la joie de Yom tov, les sages ne se sont point montrés rigoureux en exigeant un troisième repas ; car, parfois, organiser un tel repas requiert quelque effort.

Le ‘Hida explique que, selon la Kabbale, il n’y a pas lieu de faire trois repas, un jour de fête. Certains recommandent d’ajouter au repas festif [du matin] un mets : celui-ci sera considéré comme « troisième repas » (opinion rapportée par le Colbo et citée par Maguen Avraham et Michna Beroura 12). Il semble que, pour qui a faim à l’approche de la fin du jour, il soit juste de faire un troisième repas, ou de goûter à quelque nourriture, faute de quoi on s’affligerait, en définitive, pendant la fête.

Pour la majorité des Richonim, c’est une mitsva que de manger du pain à chaque sé’ouda de Yom tov, au titre de la délectation du jour (‘oneg Yom tov) (Méïri, Ma’hzor de Vitry, responsa de Rabbi Aqiba Eiger 1), ou au titre de la joie (Rabbénou Yits’haq, Roch). Toutefois, selon Tossephot (Souka 27a, ד »ה אי בעי) et Rachba, il n’est pas obligatoire de manger du pain ou de la matsa, aux repas de fête, en dehors du premier soir de Pessa’h, et du premier soir de Soukot. Quant au cas où l’on oublie de réciter Ya’alé véyavo dans le Birkat hamazon, cf. ci-après, chap. 2 § 6 et Har’havot sur le présent passage.

08 – La mitsva de la joie

C’est une mitsva positive que de se réjouir durant les fêtes, comme il est dit : « Tu te réjouiras en ta fête » (Dt 16, 14). Nous avons vu que le Chabbat et les fêtes sont appelés miqraé qodech (convocations saintes), et que c’est une mitsva que de les sanctifier par des repas et des vêtements honorables (Sifra, Émor 12, 4). La mitsva de la joie (sim’ha) vient ajouter un étage supplémentaire à la mitsva précédente : prendre, le Yom tov, davantage de vin et de viande que le Chabbat (comme nous l’expliquerons au prochain paragraphe). De même, la mitsva consiste à porter, le Yom tov, des vêtements plus beaux que ceux du Chabbat : il suffit, le Chabbat, de porter des vêtements honorables, tandis que, le Yom tov, la mitsva veut que l’on porte ses plus beaux habits. Et s’il est nécessaire d’acheter des vêtements festifs, il est juste de le faire à l’approche de la fête (Choul’han ‘Aroukh 529, 1, Maguen Avraham 4, Michna Beroura 12).

La mitsva de la joie comporte quatre parties : a) l’essentiel de la mitsva consiste à faire une chose particulière, porteuse d’un supplément de joie, et qui diffuse des sentiments de joie sur toute la journée festive. Les hommes diffèrent des femmes, à cet égard : pour la réjouissance des hommes, il faut prendre, le Yom tov, un repas contenant du vin et de la viande (comme nous le verrons au paragraphe suivant) ; pour la réjouissance des femmes, il faut acheter, à l’approche de la fête, un nouveau vêtement ou un nouveau bijou ; par un unique vêtement, on accomplit la mitsva (cf. ci-après, § 10). Pour réjouir les enfants, il faut leur acheter des friandises, car c’est par elles qu’ils se réjouissent le plus. b) Les fêtes, comme le Chabbat, sont appelées convocations saintes, car il nous est ordonné de les sanctifier par de bons repas et de beaux habits. Or puisque, pendant les fêtes, s’ajoute à cela la mitsva de la joie, les hommes comme les femmes doivent veiller à ce que, plus encore que le Chabbat, les repas soient bons et les vêtements beaux. De même, étudier la Torah participe de la mitsva, puisque cette étude réjouit (cf. § 5). c) Toute chose dont les gens ont l’habitude de se réjouir, comme le chant, la danse et la promenade, c’est, pour celui qui se réjouit de cela, une mitsva que de s’y adonner (cf. ci-après § 13). d) Participe de la mitsva le fait d’être de bonne humeur, joyeuse et plaisante, et de s’abstenir de paroles attristantes pendant toute la durée des jours de fête. À ce titre, il est interdit de prendre le deuil, de prononcer un éloge funèbre ou de jeûner (cf. § 14)[4].

La joie doit s’appliquer à la fête même, et non à une chose qui risque de nous faire oublier la joie de la fête. Par conséquent, il est interdit de se marier pendant les fêtes, comme l’ont enseigné les sages : « Tu te réjouiras en ta fête – et non par ta femme[n] » (Mo’ed Qatan 8b). Le nouveau marié éprouve en la personne de son épouse une joie particulièrement vive, de sorte qu’il ne prête plus attention à la joie propre à la fête. Mais il est permis de se marier la veille d’une fête, et de donner, pendant la fête, ses repas de chéva’ berakhot[o], car, de cette manière, c’est la joie de la fête qui est principale, et la joie propre aux chéva’ berakhot n’y porte pas atteinte, mais s’y joint (Choul’han ‘Aroukh 546, 1-3 ; cf. ci-après, chap. 10 § 4).

Bien que la mitsva « Tu te réjouiras en ta fête » (Dt 16, 14) soit dite, dans la Torah, au sujet des trois fêtes de pèlerinage, cela s’applique également à Roch hachana, car tous les jours de Yom tov ont même statut. Simplement, la joie des trois fêtes est plus grande, car c’est une mitsva que de se rendre alors en pèlerinage à Jérusalem, et d’y offrir les sacrifices (chelamim) de joie (Michna Beroura 597, 1).


[4]. Pessa’him 109a : « Les maîtres ont enseigné : “L’homme a l’obligation de réjouir ses enfants et les membres de sa maisonnée, les jours de fête, comme il est dit : Tu te réjouiras en ta fête (Dt 16). Par quoi les réjouira-t-on ? Par le vin.” Rabbi Yehouda dit : “Les hommes par ce qui leur convient, et les femmes par ce qui leur convient. Les hommes par ce qui leur convient : le vin. Et les femmes, par quoi ? Rav Yossef a enseigné : En Babylonie, par des vêtements colorés ; en terre d’Israël, par des vêtements de lin bien repassés.” »

En cela consiste la mitsva de la joie supplémentaire aux autres jours. Toutefois, aux femmes, elles aussi, s’applique la mitsva de manger davantage et de se réjouir, par les repas de Yom tov, davantage que par les repas de Chabbat (cf. Rabbi Aqiba Eiger, suppléments au responsum 1, Chaagat Aryé 65). Et aux hommes aussi, s’applique la mitsva de porter, les jours de fête, des vêtements agréables et réjouissants, plus que le Chabbat (Choul’han ‘Aroukh 529, 1). De même, bien que ce soit spécialement par le repas du matin que les hommes accomplissent la mitsva de la joie supplémentaire (comme nous l’expliquons au paragraphe suivant), la mitsva veut aussi que le repas du soir soit marqué par un supplément de joie.

La source de tout cela se trouve dans ce que nous avons appris au paragraphe précédent : le Chabbat et les fêtes sont appelés convocations saintes, d’où il suit qu’il faut les sanctifier « par la nourriture, par la joie et par une tunique propre » (Sifra, Émor 12, 4). Or, les jours de fête, il faut ajouter à cela plus encore, parce qu’il est dit : « Tu te réjouiras en ta fête ». De sorte que, en plus de la joie de base – apportée par la chose que l’on considère comme particulièrement réjouissante –, c’est un devoir que d’ajouter à la joie lors de tous les repas festifs, et dans l’habillement festif. Telles sont les deux premières parties de la mitsva. La troisième partie est distincte de la deuxième, car c’est une chose facultative, qui participe de la mitsva pour ceux que cela réjouit, tandis que les deux premières parties sont obligatoires pour tous. Nous y reviendrons en § 13. La quatrième partie sera expliquée en § 14.

[n]. Cela ne signifie certes pas que les relations conjugales soient interdites pendant les fêtes ; elles participent au contraire de la joie de la fête.

[o]. Sept bénédictions récitées pendant les sept premiers jours du mariage.

09 – Vin et viande, lors des repas festifs

À l’époque du Temple, c’est à Jérusalem que s’accomplissait, principalement, la joie propre aux fêtes, par le biais du qorban ‘haguiga, le sacrifice spécifique à la fête ; ainsi qu’il est dit : « Tu te réjouiras devant l’Éternel ton Dieu… au lieu que l’Éternel ton Dieu aura choisi pour y faire résider son nom » (Dt 16, 11). Il est dit également : « Tu immoleras des sacrifices rémunératoires (chelamim), tu mangeras là et tu te réjouiras devant l’Éternel ton Dieu » (Dt 27, 7) (cf. nos explications ci-après, § 15).

Après la destruction du Temple, la mitsva de la joie supplémentaire aux autres jours s’accomplit, pour les hommes, par la consommation de vin lors des repas festifs (Pessa’him 109a ; Choul’han ‘Aroukh 529, 1). On peut accomplir la mitsva par le biais d’une autre boisson alcoolisée, puisque ces boissons réjouissent ; simplement, il est préférable de se réjouir avec du vin, qui est la plus importante des boissons. Celui qui boit du jus de raisin n’accomplit pas par-là la mitsva, puisque cette boisson n’est pas alcoolisée, et ne réjouit donc pas particulièrement. La quantité de vin jugée réjouissante est celle par laquelle il devient plus difficile de se concentrer, de sorte qu’il serait interdit à un rabbin, ayant ainsi bu, de fixer la halakha (Maguen Avraham 99, 1). Certains, parmi les plus grands sages, avaient coutume de boire beaucoup de vin, au repas de fête, et s’abstenaient de fixer la halakha, depuis ce repas jusqu’au lendemain (Beitsa 4a, Keritot 13b ; Sifté Cohen, Yoré Dé’a 242, 19). Nos sages estiment que, à tout le moins, il faut boire, au titre de cette joie, un peu moins d’un revi’it de vin (75 ml). La majorité des hommes doivent cependant boire, pour cela, beaucoup plus d’un revi’it.

Il ne faut pas exagérer dans sa consommation de vin, cela afin de ne pas en arriver à l’état d’ébriété. L’ébriété n’engendre pas la joie, en effet, mais la débauche, la sottise et la séparation d’avec la vie réelle. Or il nous est prescrit de nous réjouir d’une joie qui soit liée à la vie, et qui lui donne un sens, des valeurs de mitsva et de sainteté.

Bien que la mitsva de la joie réside principalement dans le vin, manger de la viande bovine, aux repas de fête, participe de la mitsva, car cela réjouit. Nous voyons que boire du vin est une obligation (‘hova) et que manger de la viande bovine participe du commandement (mitsva) de la joie[p] (Choul’han ‘Aroukh 529, 1, Choul’han ‘Aroukh Harav 7, Michna Beroura 11). Pour celui qui préfère la volaille, comme pour celui qui n’a pas la possibilité d’avoir de la viande bovine, la mitsva sera de manger de la volaille, car sa consommation a, elle aussi, un caractère réjouissant et festif (‘Havot Yaïr, fin du chap. 178).

La mitsva de se réjouir, le Yom tov, d’une joie particulière, tient principalement dans le repas du jour, de même que, nous le voyons, toutes les mitsvot des fêtes ont cours, principalement, le jour. Cependant, servir en abondance de bons et réjouissants mets lors du repas du soir, plus qu’on ne le fait le Chabbat, participe aussi de la mitsva. Simplement, à la différence du repas du jour, il n’y a pas de mitsva à boire plus qu’à l’accoutumée au repas du soir.

Les femmes, elles aussi, ont l’obligation de prendre, les jours de fête, des repas honorables et réjouissants, mais elles ne sont pas obligées de boire du vin. Une femme que le vin réjouit, ce sera pour elle une mitsva que d’en boire. Quant à l’homme que la consommation de vin ou de viande ne réjouirait pas, il ne doit pas se contraindre à en prendre : il s’achètera, pour les besoins des repas de fête, les aliments qui le réjouissent le plus (Chaagat Aryé 65)[5].


[p]. Quand le mot mitsva (commandement) est employé par opposition à ‘hova (obligation), il signifie : acte qui, sans être obligatoire, participe de la volonté divine quand il est accompli.

[5]. Pessa’him 109a : « Une baraïtha enseigne : Rabbi Yehouda ben Bétéra dit : “À l’époque du Temple, il n’y avait pas de joie sans viande, comme il est dit : Tu immoleras des rémunératoires, tu mangeras là, et tu te réjouiras devant l’Éternel ton Dieu (Dt 27, 7). Maintenant que nous n’avons pas le Temple, la joie ne tient que par le vin, comme il est dit : Et le vin réjouit le cœur de l’homme (Ps 104, 15).” » De prime abord, il semble que, même à l’époque du Temple, on se réjouissait avec du vin, mais que la joie liée au sacrifice était si grande que l’on accomplissait par lui la mitsva de la joie, même si l’on ne buvait pas de vin. Mais de nos jours où nous ne mangeons plus de chair sacrificielle, la mitsva consiste à boire du vin. Le Beit Yossef 529, 1 s’étonne des propos de Maïmonide (6, 18), qui écrit que la mitsva consiste également, de nos jours, à manger de la viande. Selon le Choul’han ‘Aroukh Harav 529, 7, boire du vin est une ‘hova (obligation), tandis que manger de la viande participe de la mitsva. C’est aussi ce qui ressort du Baït ‘Hadach et du Maguen Avraham, et ce qui apparaît dans le Béour Halakha 529, 2, ד »ה כיצד, et dans le Michna Beroura 11.

Nous avons vu qu’il faut boire plus d’un revi’it, car s’il est interdit à celui qui boit un revi’it de fixer la halakha, il demeure permis de fixer la halakha lorsque le revi’it est bu au cours du repas, car alors le vin enivre moins. Le Maguen Avraham 99, 1 écrit au nom des Hagahot Séfer Mitsvot Qatan que, après le repas de Yom tov, il est interdit de fixer la halakha, ce qui montre que l’on buvait alors plus d’un revi’it. La Guémara (Beitsa 4a) explique que certains rabbis ne fixaient pas la halakha, du repas au lendemain, ce qui laisse entendre qu’ils buvaient beaucoup, et que l’effet du vin ne se dissipait que le lendemain (responsa du Rachba I 247, Sifté Cohen, Yoré Dé’a 242, 19).

Selon le Darké Téchouva (Yoré Dé’a 89, 19), les hommes ont l’obligation, le Yom tov, de prendre deux repas « importants », avec du vin et de la viande : le premier repas le soir, l’autre le jour. Aussi cet auteur écrit-il qu’il n’est pas souhaitable de prendre un repas lacté le soir de Chavou’ot. Cependant, il semble que, de son point de vue même, le repas du jour ait plus d’importance que celui du soir, comme le Chabbat (Pessa’him 105b, Choul’han ‘Aroukh 271, 3). D’après le Sfat Emet (Souka 48a) et le ‘Aroukh Hachoul’han Ha’atid (199, 17), l’obligation de manger de la viande et de boire du vin ne s’applique qu’à un seul des deux repas, qui peut être celui du jour ou du soir. Le ‘Aroukh Hachoul’han ajoute que le faire aux deux repas est une mitsva. La coutume est d’avoir soin de prendre un repas important le jour, avec du vin et de la viande bovine ; quant au soir, on confère au repas un caractère festif, plus qu’on ne le fait le Chabbat, mais on n’est pas pointilleux quant au fait de manger de la viande bovine et de boire plus d’un revi’it de vin. Le Netsiv se prononce dans un sens proche dans son ‘Émeq Chééla (67, 8).

Pour ceux qui ne se réjouissent point par le vin et la viande, de même que pour les femmes, les repas ne sont pas constitutifs de la « joie supplémentaire », qui forme la première partie de la mitsva de se réjouir ; les repas s’inscriront, en revanche, dans la deuxième partie de cette mitsva de réjouissance, partie consistant à ajouter des mets aux repas, plus qu’on ne le fait le Chabbat.

10 – La mitsva de se réjouir, pour les femmes

C’est une mitsva positive, pour les femmes, que de se réjouir pendant la fête ; et bien qu’il s’agisse d’une mitsva positive dépendante du temps[q] (mitsvat ‘assé ché-hazman gramah), cette mitsva est commune aux hommes et aux femmes, car il est dit : « Tu te réjouiras en ta fête, toi, ton fils et ta fille » (Dt 16, 14). De même, nous apprenons que l’homme doit se réjouir, en mangeant sa part de sacrifice rémunératoire (chelamim) – acheté avec l’argent de la seconde dîme (ma’asser chéni) –, en compagnie de sa femme, comme il est dit : « Tu mangeras là, devant l’Éternel ton Dieu, et tu te réjouiras, toi et ta maison » (Dt 14, 26) ; or « ta maison » (beitékha) désigne ton épouse (Yevamot 62b). Et bien que les femmes n’aient pas l’obligation de se rendre en pèlerinage au Temple et d’y offrir des sacrifices, elles sont tenues à la mitsva de la joie, comme les hommes ; aussi, les femmes qui se rendaient au Temple accomplissaient leur mitsva de réjouissance par la consommation de la chair du rémunératoire (Maïmonide, ‘Haguiga 1, 1). Quant aux femmes qui ne se rendaient pas au Temple, elles devaient se réjouir par d’autres choses concourant à la joie (Chaagat Aryé 66).

Après la destruction du Temple, la mitsva de se réjouir particulièrement s’accomplit, pour les femmes, par l’achat d’un vêtement neuf ou d’un bijou neuf, à l’approche de la fête. Par cela, en effet, les femmes se réjouissent davantage que par le repas. Et bien qu’elles ne portent pas le vêtement neuf pendant toute la durée de la fête, ce vêtement laisse, tout au long de celle-ci, son empreinte de joie. Aussi est-ce par ce vêtement, ou ce bijou, que les femmes accomplissent la première partie de la mitsva de la réjouissance festive (cf. ci-dessus, § 8).

En plus de cette première partie de la mitsva de se réjouir, c’est une mitsva toranique, pour toute femme, que de se réjouir en portant de beaux vêtements et bijoux. De même, elle se réjouira en buvant du vin et en mangeant de la viande aux repas, ce qui est constitutif de la deuxième partie de la mitsva de se réjouir. Cependant, celle que la consommation de vin et de viande ne réjouirait pas n’a pas l’obligation de s’y contraindre ; elle mangera, aux repas, les mets qui la réjouissent le plus.

Autrefois, il était habituel que le mari achetât à sa femme le nouvel habit, ou le nouveau bijou destiné à la fête. Cela, parce que dans la majorité des familles, le mari était l’unique responsable de l’argent et des achats. Et puisqu’il n’existait pas un grand choix de vêtements et de bijoux, tout vêtement ou bijou neuf qu’il achetait était réjouissant pour son épouse ; et le fait qu’il fût acheté à la femme, comme cadeau de la part de son mari, renforçait encore la joie. Mais de nos jours, où les modèles de vêtements et de bijoux se sont multipliés de manière indénombrable, et où le choix est devenu plus complexe, il est d’usage, dans de nombreuses familles, que ce soit la femme qui se choisisse le vêtement ou le bijou, tandis que le budget affecté à cet achat est déterminé par les deux membres du couple, selon le niveau de leurs revenus (comme nous le verrons en § 12). Pour être associé à la mitsva, il convient que l’homme encourage sa femme à acheter le vêtement ou le bijou à l’approche de la fête : par cela, cet achat sera considéré comme un cadeau qu’il lui offre, et la joie qui y sera attachée sera d’autant plus grande. Certains hommes se trompent, et dépensent des centaines de shekels pour un cédrat (étrog) particulièrement beau, tandis qu’ils réduisent la dépense quand il s’agit d’acheter un vêtement à leur femme. Ils oublient que l’achat d’un vêtement ou d’un bijou à sa femme est pleinement une mitsva de la Torah, tandis que l’achat d’un cédrat dont le prix est dix fois plus élevé que celui d’un cédrat simplement cachère, n’est qu’un hidour (supplément de perfection apporté à la pratique), qu’il ne nous a pas été prescrit d’accomplir.

Une femme non mariée – par exemple une célibataire ou une veuve – doit accomplir d’elle-même la mitsva de la réjouissance, dans toutes ses parties : s’acheter un vêtement ou un bijou en l’honneur de la fête, prendre des repas réjouissants, se joindre à des célébrations réjouissantes et s’abstenir de choses attristantes (Chaagat Aryé 66).


[q]. Les femmes sont en général dispensées de cette catégorie de mitsvot.