Pniné Halakha

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08 – Érouv tavchilin

01 – Raison d’être de l’érouv tavchilin

Quand le Yom tov a lieu la veille de Chabbat, c’est une mitsva que de préparer, la veille de Yom tov, un érouv tavchilin[a], grâce auquel il sera permis de cuisiner, au feu ou au four, pendant le Yom tov, pour le Chabbat. L’érouv tavchilin est un mets cuit, que l’on prépare la veille du Yom tov et que l’on destine au Chabbat. Il est appelé érouv (jonction, mélange), parce que, par son biais, les mets de Yom tov et ceux de Chabbat sont considérés comme joints, mêlés les uns aux autres. Alors, de même qu’il est permis de cuisiner le Yom tov pour le Yom tov même, ainsi sera-t-il permis de cuisiner le Yom tov pour le Chabbat. Certes, si l’on s’en tenait à la seule norme toranique, il serait permis, même sans érouv tavchilin, de cuisiner le Yom tov pour le Chabbat ; mais les sages ont interdit de faire cela sans érouv tavchilin, afin de préserver l’honneur dû au Yom tov et l’honneur dû au Chabbat (Beitsa 15b).

Honneur dû au Yom tov : les sages ont craint que, s’il était permis de cuisiner le Yom tov pour le Chabbat sans limitation, les gens ne s’autorisassent des indulgences, et ne fissent de la cuisine le Yom tov pour un jour ordinaire, enfreignant ainsi un interdit toranique. Par conséquent, il n’ont permis de cuisiner du Yom tov pour le Chabbat que dans le cas où l’on initierait l’œuvre de préparation du Chabbat la veille de Yom tov, par l’effet de l’érouv tavchilin, de façon que tout ce que l’on préparera le Yom tov pour les besoins du Chabbat constituera la suite de ce que l’on avait débuté à la veille de Yom tov. Alors, lorsque les gens verront que, même pour les besoins de Chabbat, il est interdit de cuisiner sans érouv tavchilin, ils diront : « à plus forte raison est-il interdit de cuisiner le Yom tov pour un jour ouvrable ! » (telle est l’explication de Rav Achi dans la Guémara).

Honneur dû au Chabbat : les sages ont craint que, en se livrant aux préparatifs des repas de Yom tov, les gens n’oublient que le lendemain est Chabbat, et qu’ils ne terminent tous les plats succulents pendant Yom tov. Grâce à l’érouv tavchilin, que l’on doit préparer à la veille de Yom tov, ils se souviendront, au cours du Yom tov, qu’il faut garder de bons plats pour le Chabbat (telle est l’explication de Rava). Et puisque l’érouv tavchilin est le moyen d’honorer la fête et de se souvenir du Chabbat, c’est une mitsva pour tout Juif que de préparer un érouv tavchilin.

Il faut avoir soin de terminer le travail de cuisson des aliments destinés au Chabbat avant le coucher du soleil, afin que, fondamentalement, ce que l’on prépare le Yom tov puisse aussi être mangé le Yom tov même, par des hôtes susceptibles de venir[1].


[a]. Littéralement, « jonction des mets ». L’intention porte en pratique sur un mets servant à établir une « jonction » entre le Yom tov et le Chabbat qui le suit. Selon nos principes de translittération, nous devrions rendre ערוב par ‘érouv, l’apostrophe initiale figurant le ע. Mais « le ‘érouv » nous a paru moins euphonique que l’érouv.

[1]. Si la Torah avait interdit de cuire pendant Yom tov pour le Chabbat, l’érouv tavchilin institué par les sages n’aurait pu lever cet interdit. Les Amoraïm, en Pessa’him 46b, sont partagés quant au fondement de la règle. Selon Rabba, puisque, si des hôtes se présentaient pendant Yom tov, ils pourraient profiter de ce que l’on aura préparé pour Chabbat, il apparaît qu’il n’est pas certain que l’on a effectivement cuisiné pour le Chabbat ; par conséquent, on n’a point transgressé d’interdit de la Torah. Face à cela, selon Rav ‘Hisda, on ne retient pas ce « puisque » (ho’il), et quiconque destinerait à un jour ouvrable des plats qu’il cuisine le Yom tov est passible de malqout (flagellation), bien qu’il se puisse que des hôtes viennent et mangent pendant Yom tov ce qui a été préparé ; en revanche, celui qui cuisine le Yom tov pour le Chabbat ne transgresse par d’interdit toranique.

En pratique, la majorité des décisionnaires partagent l’avis de Rabba, et c’est la position du Rif, du Roch, de Na’hmanide, du Rachba, du Ran, du Séfer Mitsvot Gadol et du Hagahot Maïmoniot. D’autres tranchent comme Rav ‘Hisda : Rabbi Zera’hia Halévi, Rabbénou ‘Hananel, Rabbénou Ephraïm et Rabbi Yits’haq be-Rabbi Avraham. Des termes de Maïmonide, on peut déduire que, à ses yeux, la halakha tient compte de ces deux opinions (Beit Yossef 527, 1).

Tossephot (Pessa’him 46b ד »ה רבה), le Rachba et le Mordekhi écrivent que, selon Rabba, celui qui cuisine le Yom tov peu avant le coucher du soleil, de telle façon qu’il ne soit pas vraisemblable que des hôtes profitent du mets, enfreint un interdit toranique. D’après cela, le Maguen Avraham écrit, au début du chap. 527, que dans le cas même où l’on a préparé un érouv tavchilin, il faut avoir soin d’achever la cuisson des plats quand il fait encore grand jour, afin que, si des hôtes se présentent, ils puissent en profiter. C’est aussi l’avis de : Elya Rabba 527, 2, Choul’han ‘Aroukh Harav 1, ‘Hémed Moché 1, Michna Beroura 3, Ben Ich ‘Haï 96, 6 ; et c’est en ce sens qu’incline le Peri Mégadim.

À l’inverse, de nombreux décisionnaires autorisent à cuisiner jusqu’au coucher du soleil [moins le temps de tosséfet Chabbat, bien sûr]. Tel est l’avis de : Radbaz II 668, Richon lé-Tsion, Beitsa 2b, Choel Ouméchiv, deuxième édition II 10, qui s’appuient sur ceux des Richonim qui tranchent entièrement suivant l’opinion de Rav ‘Hisda, et sur l’avis de Maïmonide, lequel, estimant que Rabba est d’accord avec Rav ‘Hisda, tranche successivement comme Rabba (1, 15) et comme Rav ‘Hisda (6, 1). Selon le Peri Mégadim (introduction aux lois de Yom tov 1, 17) et le ‘Aroukh Hachoul’han 527, 3, telle est la coutume d’Israël que de cuisiner, le Yom tov pour le Chabbat, jusqu’au coucher du soleil.

De prime abord, dans la mesure où la majorité des Richonim pensent que la halakha suit Rabba, et où, selon eux, l’interdit est toranique, comment ne tiendrait-on point compte de leur avis ? Et comment se peut-il que tous les Richonim qui pensent comme Rabba n’aient pas averti qu’il faut cuisiner tant qu’il fait grand jour, afin qu’il soit techniquement possible de manger ces mets avant le coucher du soleil ? Peut-être y a-t-il lieu de dire que, en pratique, le mets sera presque toujours partiellement prêt pendant Yom tov ; en effet, il est évident que l’on commence à cuisiner avant l’allumage des veilleuses, et l’on veut encore mélanger et ajouter les épices nécessaires ; aussi a-t-on besoin d’anticiper, et de placer le mets sur le feu un temps significatif avant le coucher du soleil. De plus, il se peut que ces Richonim aient pris en compte l’opinion de Rav ‘Hisda ; alors, puisque le crépuscule [bein hachmachot, période qui sépare le coucher du soleil de la tombée de la nuit] est une période incertaine, appartenant peut-être au jour, peut-être à la nuit, le mets qui se trouve prêt à la fin du crépuscule a un statut doublement douteux (sfeq sfeqa) [a) la halakha va-t-elle d’après Rabba ou d’après Rav ‘Hisda ? b) ce mets a-t-il été achevé de jour ou de nuit ?], cas dans lequel on est indulgent.

En pratique, certains écrivent que, en cas de nécessité pressante, si l’on n’a pas eu le temps de cuisiner assez tôt, on pourra le faire jusqu’au coucher du soleil (cheqi’a) (Béour Halakha 527, 1 ד »ה ועל ; Rav Mordekhaï Elyahou, Maamar Mordekhaï p. 125 ; Chemirat Chabbat Kehilkhata 2, 14 ; ‘Hazon Ovadia p. 278). Le Or lé-Tsion III 22, 3 est rigoureux, mais il donne un excellent conseil : d’ajouter au mets un œuf, car cela cuit en quelques minutes ; et puisqu’il est permis de prévoir des quantités plus grandes que celles dont on a initialement besoin [ribouï chi’ourim, cf. ci-dessus, chap. 6, note 2], il sera permis de cuisiner, avec cet œuf, toutes les autres choses que contient la marmite ; cela, à condition que, avant de poser la marmite sur le feu, on mette dans celle-ci tous les ingrédients.

02 – Ce qu’est l’érouv tavchilin

L’érouv tavchilin est un mets (tavchil, aliment cuit), que l’on met de côté à la veille de Yom tov, et que l’on destine au Chabbat qui suit le Yom tov. Tant que cet érouv existe, il est permis, pendant Yom tov, de faire à l’intention du Chabbat tout ce qu’il est permis de faire à l’intention du Yom tov lui-même.

Le mets constitutif de l’érouv doit être un aliment susceptible d’être mangé avec du pain ; par exemple, de la viande, du poisson, des œufs, des salades cuites, un plat de pois, de la confiture cuite. Mais une chose qu’il ne convient pas de manger avec du pain – comme de la bouillie, des pâtes ou du riz – quoique cette chose soit cuite, ne convient pas pour l’érouv (Beitsa 16a, Choul’han ‘Aroukh 527, 4). Nombreux sont ceux qui ont pris coutume de mettre de côté des œufs, comme érouv, parce qu’ils se conservaient bien, même sans réfrigération, jusqu’au Chabbat (‘Aroukh Hachoul’han 527, 13).

Le mets constitutif de l’érouv peut être cuit à l’eau[b], ou grillé, ou poché[c], ou fumé. Même un aliment mis en conserve convient comme érouv, car toute conserve a un statut semblable à l’aliment cuit. Mais un aliment cru ne peut servir d’érouv (Beitsa 16b, Choul’han ‘Aroukh 527, 5, Cha’ar Hatsioun 25).

A priori, il est bon de mettre de côté, en plus du mets, un volume de kabeitsa de pain ; en effet, certains auteurs pensent que le mets mis de côté rend permise la cuisson à l’eau (bichoul), tandis que le pain rend permise la cuisson au four (afia) (Rabbénou Tam). Mais si l’on s’en tient à la stricte règle, on sera autorisé à cuisiner et à cuire au four pour Chabbat, même si l’on n’a mis de côté qu’un mets (Choul’han ‘Aroukh et Rama 527, 2-3).

De même qu’un mets du volume d’un kazaït peut servir d’érouv tavchilin à une personne seule, de même peut-il servir d’érouv tavchilin à tous les membres de la maisonnée. Celui qui prépare un érouv tavchilin pour tous les gens de la ville peut, lui aussi, acquitter tout le monde par un seul kazaït (Beitsa 16b, Choul’han ‘Aroukh 527, 3).

A priori, il est bon de préparer, comme érouv, un plat honorable et beau ; si c’est possible, il est bon de faire, en tant qu’érouv, une pleine marmite, que l’on cuisine la veille de Yom tov en l’honneur de Chabbat. Cependant, si l’on s’en tient à la stricte obligation, même si l’on met de côté des lentilles, restées dans le fond d’une casserole et que l’on avait fait cuire pour les besoins d’un jour profane, on est quitte de son obligation (Beitsa 16a, Choul’han ‘Aroukh 527, 6, Chné Lou’hot Habrit, Michna Beroura 8) ; cela, à condition que ce plat soit d’une mesure minimale d’un kazaït (environ le volume de la moitié d’un œuf).

Nombreux sont ceux qui ont coutume de manger le mets de l’érouv lors d’un des repas de Chabbat ; puisque ce mets a servi à accomplir une mitsva, il convient de continuer d’accomplir par lui la mitsva du ‘oneg Chabbat (la délectation sabbatique). On a ainsi coutume de prendre le pain de l’érouv comme second pain de la sé’ouda chelichit (troisième repas de Chabbat) et de le rompre alors (Michna Beroura 527, 11 ; 48).

Si l’on a commencé à manger du mets de l’érouv pendant Yom tov : tant qu’il en reste un kazaït, il reste permis de cuisiner, de cuire au four, et de préparer tout ce qui est nécessaire au Chabbat. Mais s’il ne reste pas même un kazaït, il est interdit de faire davantage de mélakhot, pendant Yom tov, à l’intention de Chabbat. Même si le pain réservé pour l’érouv est toujours présent, il ne peut servir d’érouv ; car la partie essentielle de l’érouv est le mets (Choul’han ‘Aroukh 527, 15, Michna Beroura 7).


[b]. Mévouchal : longuement cuit à l’eau.

[c]. Chalouq : ébouillanté ou brièvement cuit à l’eau.

03 – Dépôt de l’érouv tavchilin ; son efficacité

Voici comment on réserve[d] l’érouv tavchilin : on prend un mets cuit et un pain, et l’on récite la bénédiction : Baroukh Ata, Ado-naï, Élo-hénou, Mélekh ha’olam, acher qidechanou bémitsvotav, vétsivanou ‘al mitsvat ‘érouv (« Béni sois-Tu, Éternel, notre Dieu, Roi de l’univers, qui nous as sanctifiés par tes commandements et nous a prescrit la mitsva de l’érouv »). On dira alors ce texte : Bedein ‘érouva, yehé charé lana léafouyé oulvachoulé oul-adlouqé charga, oulmé’bad kol tsarkhana, mi-Yom tov lé-Chabbat (« Par cet érouv, qu’il nous soit permis de cuire au four, de cuisiner, d’allumer des veilleuses et de faire tout ce dont nous avons besoin, du Yom tov pour le Chabbat »). On peut aussi le dire en hébreu : « Bezé ha’érouv, yehé moutar lanou lé-éfot oulvachel oulhadliq ner, véla’assot kol tsorkénou mi-Yom tov lé-Chabbat. »

Si l’on a l’intention d’abattre une bête, le Yom tov, pour la consommer Chabbat, ou de trier des aliments en vue de Chabbat, ou encore de piler des épices : a priori, il est bon de mentionner, au moment où l’on réserve l’érouv, les mélakhot que l’on a l’intention d’accomplir. Cependant, en pratique, même si on ne les a pas mentionnées, toute mélakha qu’il est permis d’accomplir le Yom tov pourra aussi être exécutée, ce jour-là, pour les besoins de Chabbat. En effet, dans la déclaration que l’on prononce au moment du dépôt de l’érouv, on dit bien : « Par cet érouv, qu’il nous soit permis… de faire tout ce dont nous avons besoin, du Yom tov pour le Chabbat[2]. »

Même si l’on n’a pas l’intention de cuisiner le Yom tov pour le Chabbat, on réservera un érouv tavchilin et l’on prononcera la bénédiction sur ce dépôt ; en effet, le propos essentiel de l’érouv est de donner la possibilité de cuisiner pendant Yom tov en vue du Chabbat, même si, en pratique, on ne cuisinera pas. De plus, grâce à l’érouv, on se souvient du Chabbat, et l’on se soucie de préparer des plats pour s’en délecter au trois repas sabbatiques. En outre, selon la majorité des décisionnaires, l’érouv autorise à allumer, le Yom tov, les veilleuses de Chabbat[3].

Grâce à l’érouv déposé par le maître ou la maîtresse de maison, tous les membres de leur maisonnée, ainsi que les invités qui dorment chez eux, sont autorisés à se joindre aux apprêts de la cuisine et de la pâtisserie en l’honneur du Chabbat. Le maître ou la maîtresse de maison est aussi autorisé(e) à nommer un des membres de sa maisonnée, ou l’un des invités, pour que celui-ci procède au dépôt de l’érouv pour le compte de tous. De même, pour ceux qui séjournent dans un hôtel cachère : puisqu’ils mangent la nourriture fournie par la cuisine de l’hôtel, l’érouv de l’hôtel est efficace à leur endroit, et tous les pensionnaires sont autorisés à allumer, le Yom tov, les veilleuses en l’honneur du Chabbat. De même, à la yéchiva : l’érouv de la yéchiva est efficace pour tous les étudiants présents, et pour ses invités[4].

On réserve l’érouv à la veille de Yom tov, et il est préférable qu’il consiste en un mets cuit la veille de Yom tov en l’honneur du saint Chabbat : par le biais d’un tel dépôt, on se souvient qu’il est interdit de cuisiner le Yom tov pour un jour profane, et l’on se souvient qu’il faut garder de belles portions pour le Chabbat. Mais si l’on réservait l’érouv avant la veille de Yom tov, le souvenir de ces choses s’estomperait. Toutefois, a posteriori, même si on l’a réservé longtemps avant la fête, l’érouv est valable, puisque l’on avait l’intention de faire de ce mets un érouv pour la fête. Même si l’on a formé l’intention de déposer un érouv pour plusieurs fêtes à la fois, cet érouv est efficace a posteriori, tant qu’il existe (Choul’han ‘Aroukh 527, 14).


[d]. Mani’him : littéralement on « dépose » l’érouv tavchilin.

[2]. Lorsqu’on récite le texte accompagnant le dépôt de l’érouv, on s’autorise par-là à faire, pour les besoins du Chabbat, toutes les mélakhot autorisées le Yom tov. C’est ce qui ressort du Choul’han ‘Aroukh 527, 12. Certains sont rigoureux : si l’on n’a pas mentionné explicitement telle mélakha que l’on a l’intention de faire, par exemple d’abattre un animal, il sera interdit de l’exécuter (Or Zaroua’, Rama 527, 20). D’autres pensent en revanche que, a posteriori, même si l’on a mis de côté l’érouv sans rien dire, l’érouv est efficace pour toutes les mélakhot (Yam Chel Chelomo, Touré Zahav). En pratique, a priori, si l’on projette de faire une mélakha qui n’est pas mentionnée dans le texte, on la mentionnera explicitement, et l’on ne se contentera pas de la formule oulmé’bad kol tsarkhana (« de faire tout ce dont nous avons besoin ») ; mais si l’on n’a pas fait cette mention, on s’appuiera sur les décisionnaires indulgents (Michna Beroura 63).

Selon certains, l’érouv tavchilin autorise seulement à préparer ce qui est nécessaire aux repas de Chabbat ; mais les autres préparatifs du Chabbat sont interdits ; et c’est, selon ces auteurs, la raison pour laquelle le Choul’han ‘Aroukh 528, 2 décide que, même si l’on a mis de côté un érouv tavchilin, il est interdit d’établir, pendant Yom tov, un érouv ‘hatsérot [jonction des cours, cf. Les Lois de Chabbat II chap. 29], ou un érouv te’houmin [jonction des zones d’habitation sabbatique], en vue du Chabbat (Maguen Avraham 2, Yam Chel Chelomo).

D’autres pensent, en revanche, que l’érouv tavchilin autorise l’accomplissement, pendant Yom tov et en vue de Chabbat, de tout ce qu’il est permis de faire le Yom tov pour le Yom tov lui-même. Or, puisqu’il est interdit d’installer, le Yom tov, un érouv ‘hatsérot ou un érouv te’houmin pour le Yom tov lui-même, il est également interdit de le faire pour Chabbat (Rabbi Aqiba Eiger, et c’est en ce sens qu’incline le Yechou’ot Ya’aqov 528, 1). Selon ces auteurs, il est permis à celui qui a mis de côté un érouv tavchilin de faire réchauffer de l’eau pour un bain rituel où l’on prévoit de s’immerger le Chabbat ; de même, il est permis de plier son talith ou d’enrouler un séfer-Torah, le Yom tov pour le Chabbat. Puisqu’il s’agit d’une controverse portant sur une norme rabbinique – si l’on s’en tient à la théorie du « puisque » (ho’il, cf. note 2 ci-dessus) –, le doute joue dans le sens de l’indulgence. C’est ce que pensent le ‘Héchev Haéfod II 65, le Or lé-Tsion III 22, fin du paragraphe 6, et le ‘Hazon ‘Ovadia p. 302.

[3]. Selon le Hagahot Guedolot, le Or Zaroua’, le Roch, le Rachba et le Ran, il est interdit d’allumer les veilleuses de Chabbat sans érouv tavchilin. Le Beit Yossef apprend des termes du Rif et de Maïmonide qu’il est permis d’allumer les veilleuses, même si l’on n’a pas d’érouv. Il est juste de tenir compte de l’opinion rigoureuse (Michna Beroura 527, 55, Kaf Ha’haïm 112). Cependant, au paragraphe 5 ci-après, nous apprendrons qu’a posteriori, si l’on n’a pas préparé d’érouv, les sages autorisent à allumer une veilleuse unique. Pour le Maamar Mordekhaï 527, 18 et le Kaf Ha’haïm 113, celui qui n’a pas l’intention de cuisiner le Yom tov pour Chabbat ne prononcera pas la bénédiction du dépôt de l’érouv ; en effet, nous avons vu que, pour les besoins de l’allumage des veilleuses, certains disent qu’il n’est pas nécessaire de disposer d’un érouv. Cependant, en pratique, on a coutume de dire la bénédiction, car c’est pour se donner la possibilité de cuisiner que l’on dépose un érouv (comme l’écrit le ‘Hout Chani p. 150). De plus, certains estiment que l’on tient compte de l’opinion de Rava, selon qui la raison d’être de l’érouv est de se souvenir du Chabbat (Touré Zahav 13, et c’est aussi ce qui ressort de plusieurs Richonim).

[4]. L’érouv du maître de maison exempte ceux qui « s’appuient à sa table » [qui dépendent de lui pour se sustenter pendant cette fête et ce Chabbat] (Yam Chel Chelomo, Michna Beroura 527, 56). Cela inclut aussi les enfants mariés qui viennent passer ces jours chez leur père (Echel Avraham du Rav Botchatch, ‘Hazon ‘Ovadia p. 277, note 8). La règle est la même pour toute famille invitée (Maamar Mordekhaï, Mo’adim p. 127). Même chose pour ceux qui séjournent à l’hôtel et pour les élèves de yéchiva, comme l’écrit le ‘Hout Chani p. 155. Sur toutes ces règles, on trouve des opinions contraires, que nous citons en Har’havot 8, 3, 5-7, mais leur théorie ne nous semble pas convaincante. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un cas de doute portant sur une norme rabbinique, cas dans lequel on est indulgent.

04 – Guedol ha’ir, l’autorité spirituelle de la ville

Bien que ce soit une mitsva pour chacun que de réserver un érouv tavchilin, c’est aussi une mitsva pour le guedol ha’ir (« le plus grand de la ville »), c’est-à-dire le rabbin local, que de déposer un érouv tavchilin pour tous les habitants du lieu. Grâce à son érouv, il sera également permis à ceux qui n’ont pas déposé d’érouv tavchilin – en raison d’un empêchement, ou d’un oubli – de cuisiner le Yom tov pour le Chabbat. De même, celui qui ne sait pas déposer l’érouv tavchilin pourra s’appuyer sur l’érouv que réserve le rabbin de la ville. Mais celui qui aurait pu réserver l’érouv, et a transgressé la règle en s’en abstenant, ne pourra pas s’appuyer sur l’érouv du rabbin local, puisqu’il aura manqué d’accomplir la mitsva de réserver l’érouv. De même, celui qui a oublié deux fois de suite de réserver son érouv aura, la deuxième fois, même statut que celui qui s’en est volontairement abstenu ; il ne sera donc pas autorisé à s’appuyer sur l’érouv du rabbin local. Mais si l’on a oublié une première fois, qu’on s’en soit souvenu la suivante, et qu’on ait de nouveau oublié la troisième, on n’est point assimilé au fauteur volontaire, et l’érouv du rabbin est efficace à son égard[5].

Afin que l’érouv soit utile pour tous, il doit appartenir à tous. À cette fin, il faut faire un acte de qinyan (acquisition). C’est-à-dire que le rabbin doit donner le mets constitutif de l’érouv à une autre personne, qui le hissera à la hauteur d’un téfa’h afin d’en faire l’acquisition au nom de tous les habitants de la ville, y compris du rabbin et de lui-même. Alors, lorsque le mets appartiendra à tous les habitants de la ville, le rabbin le prendra, fera la bénédiction sur lui, et dira : Bezé ha’érouv, yehé moutar lanou oulkhol bené ha’ir lééfot oulvachel oulhadliq ner, véla’assot kol tsorkénou mi-Yom tov lé-Chabbat (« Par cet érouv, qu’il soit permis à nous-même et à tous les habitants de la ville de cuire au four, de cuisiner, d’allumer les veilleuses, et de faire tout ce qui nous est nécessaire, du Yom tov pour le Chabbat »).

A priori, il est bon que l’on confie à un homme adulte, qui ne soit pas financièrement dépendant du rabbin, le soin de procéder à l’acte d’acquisition. A posteriori, la propre épouse du rabbin peut accomplir l’acte d’acquisition au nom de tous les habitants de la ville (Choul’han ‘Aroukh 366, 10 ; 527, 10-11).

L’érouv du rabbin est efficace pour quiconque se trouve à l’intérieur de la zone d’habitation sabbatique (te’houm Chabbat), même pour celui qui ne savait pas, au moment où l’érouv était déposé, qu’on le visait également ; du moment que l’on a connaissance, le Yom tov, du fait que le rabbin a réservé un érouv pour tous, on peut cuisiner pour le Chabbat en s’appuyant sur l’érouv rabbinique. Mais pour qui se trouve en dehors du te’houm sabbatique, l’érouv ne saurait être efficace, puisque l’on ne pourrait venir le manger. Même si une personne a déposé un érouv te’houmin[e], de sorte qu’elle pourrait venir manger l’érouv rabbinique, ce dernier ne saurait être efficace pour elle, car il est vraisemblable que le rabbin ne pensait pas à elle au moment de déposer l’érouv (Choul’han ‘Aroukh 527, 8-9).

En un lieu où il est connu que le rabbin a toujours soin de déposer un érouv en vue de tout le monde, celui qui a oublié de déposer son propre érouv peut s’appuyer là-dessus, sans autre vérification. Car il y a une présomption que le rabbin s’est souvenu de déposer l’érouv à l’intention de tous, et que, s’il avait oublié cela, il l’aurait fait savoir publiquement, afin que l’on ne fît pas l’erreur du cuisiner sur le fondement de son érouv rabbinique (Rama 527, 9).

Outre le rabbin local, chaque habitant de la ville est autorisé à déposer un érouv à l’intention de tout le monde, afin que, si le rabbin devait oublier de le faire, on puisse lui faire savoir, ainsi qu’au public, que l’on a soi-même déposé un érouv collectif, et que les gens puissent s’appuyer sur celui-ci. À cette fin, on devra veiller à ce qu’un autre homme lève d’un téfa’h le mets constitutif de l’érouv afin d’en faire l’acquisition pour le compte de toute la collectivité ; on dira alors le texte destiné à inclure tous les habitants de la ville (Michna Beroura 527, 32, Cha’ar Hatsioun 31).


[5]. Nous apprenons au traité Beitsa 16b que les plus grands des Amoraïm réservaient un érouv destiné à tous les habitants de leur ville, plus exactement pour tous ceux qui habitaient dans leur te’houm Chabbat (périmètre d’habitation sabbatique). Mais quand un habitant oublia deux fois de suite de déposer son propre érouv, l’Amora Chemouel lui dit la seconde fois que cet oubli était considéré comme une faute volontaire, et que son érouv rabbinique ne pouvait donc pas lui être utile. En effet, si l’autorité spirituelle de la ville acquittait aussi de leur obligation ceux qui auraient pu déposer un érouv, ou ceux qui négligent de le faire, cela reviendrait à annuler le décret des sages, faisant obligation à chaque chef de famille de prévoir un érouv, la veille de Yom tov – en l’honneur du Yom tov et afin que le Chabbat ne soit pas oublié (Roch et Choul’han ‘Aroukh 527, 7).

Quand donc est-on considéré comme fautif (pochéa’) à cet égard ? Selon le ‘Hayé Adam 102, 7, même si l’on a oublié deux fois qui ne sont pas consécutives, on est considéré comme fautif la seconde fois. Selon le ‘Aroukh Hachoul’han 527, 18, de nos jours, où les tracas se sont multipliés, celui-là même qui oublie deux fois de suite n’est point appelé fauteur, et seul celui qui s’est volontairement abstenu de déposer son érouv ne peut s’acquitter par l’érouv du rabbin local. L’opinion médiane est que celui qui oublie deux fois consécutives est considéré, la seconde fois, comme fautif (Kaf Ha’haïm 48).

Certains Richonim, il est vrai, estiment que le rabbin local peut aussi acquitter de leur obligation ceux qui, quoiqu’ils sachent déposer un érouv, voudraient s’acquitter par l’érouv rabbinique ; et que seul celui qui avait l’intention de déposer son propre érouv, et a oublié deux fois de le faire, est considéré la seconde fois comme fautif, et ne peut s’acquitter par l’érouv du rabbin local (Rachba, Méïri ; cf. Cha’ar Hatsioun 37-38 et ‘Hazon ‘Ovadia p. 291). Cependant, en pratique, puisque tout le monde a effectivement coutume de déposer son propre érouv, celui qui oublie deux fois consécutives est considéré comme fautif, et n’est pas rendu quitte par l’érouv du rabbin.

[e]. Jonction de la zone où l’on séjourne pendant Chabbat avec la zone où l’on souhaite se rendre ; cf. Les Lois de Chabbat II 30, 12.

05 – Quand il n’y a pas d’érouv tavchilin

Si l’on a oublié de réserver son érouv tavchilin, et que ce soit la deuxième fois consécutive que l’on a fait cet oubli, on est considéré comme fautif (pochéa’) à cet égard, et l’on ne pourra s’appuyer sur l’érouv déposé par le rabbin local. On ne le pourra pas non plus si, ayant oublié de déposer son érouv, on se trouve en un lieu où aucun autre Juif n’a déposé d’érouv pour tous. En ces cas, si l’on a, en sa ville, un bon voisin qui a déposé un érouv pour lui-même, on pourra donner à ce voisin ses aliments comme cadeau ; et puisqu’ils appartiendront alors au voisin, celui-ci pourra les cuisiner et les préparer en vue du Chabbat, puis donner de ces plats cuisinés à son ami, pour les besoins du Chabbat.

Si l’on se souvient, avant le repas de Yom tov, que l’on a oublié de faire l’érouv tavchilin, on pourra, au moment où l’on cuisine pour ce repas, remplir une grande marmite d’un mets qui suffise à la fois au Yom tov et au Chabbat. En effet, puisqu’on pose la marmite en une fois sur le feu, il n’y a pas d’interdit à augmenter la quantité des aliments. Mais après que l’on aura posé la marmite sur le feu, il sera interdit d’y ajouter quoi que ce soit pour les besoins du Chabbat (Choul’han ‘Aroukh 503, 2 ; cf. ci-dessus, chap. 3 § 4).

Si l’on s’aperçoit de son oubli après que l’on a achevé de préparer le repas de Yom tov : en raison de l’honneur dû au Chabbat, les sages se sont montrés indulgents, permettant de cuire, pendant Yom tov, un pain unique, de cuisiner une marmite unique et d’allumer une veilleuse unique pour Chabbat (Choul’han ‘Aroukh 527, 20, Michna Beroura 55).

Si, enfreignant la règle, un Juif a sciemment cuisiné, le Yom tov en vue de Chabbat, une quantité supérieure à ce que lui ont permis les sages, il sera néanmoins permis de manger, le Chabbat, ce qu’il a cuisiné, car il n’est pas à craindre que les gens apprennent, à son exemple, à agir ainsi. En effet, tout le monde saura que ce Juif a cuisiné de façon contraire à la halakha. Mais si, après avoir terminé de manger son repas de Yom tov, on a usé de ruse, en faisant mine de cuisiner encore une marmite pour Yom tov, sous le prétexte que, peut-être, des hôtes se présenteront, ou sous le prétexte que l’on veut manger davantage, il sera interdit à soi-même et aux membres de sa maisonnée de manger, pendant Chabbat, de ce que l’on aura cuit par cette manœuvre le Yom tov. En effet, si l’on était indulgent à l’égard de celui qui ruse ainsi, tout le monde aurait recours à cette ruse, et l’on oublierait l’institution de l’érouv tavchilin (Beitsa 17b, Maïmonide 6, 10, Choul’han ‘Aroukh 527, 23-24 ; cf. ci-dessus, chap. 7, note 3, ce qui est dit du ma’assé Yom tov, c’est-à-dire du produit d’une mélakha interdite exécutée pendant Yom tov).

Les décisionnaires sont partagés au sujet de celui qui, n’ayant pas encore mangé le second repas de Yom tov, mais ayant déjà achevé de préparer tous les plats nécessaires audit repas,  voudrait cuisiner encore des mets pour les besoins de Chabbat, et qui, pour qu’il lui soit permis de les cuisiner, forme l’intention d’en manger quelque peu pendant le repas de Yom tov. Certains disent que, puisque, en vérité, cette personne n’a pas d’intérêt réel à en manger pendant le repas de Yom tov, leur cuisson et leur consommation pendant ce repas doivent être considérées comme une ruse, de sorte que c’est interdit (Radbaz ; opinion rapportée sans mention d’auteur par le Choul’han ‘Aroukh 527, 21). D’autres l’autorisent, puisque, en pratique, on mangera quelque peu de chaque mets pendant le repas de Yom tov (Rama 503, 1, Maguen Avraham). Nombreux sont ceux qui ont coutume d’être indulgents, mais il est bon d’être rigoureux (Michna Beroura 503, 7 ; 11)[6].


[6]. Mais si l’on se trouve après le repas, tous les avis s’accordent à dire qu’il est interdit de cuisiner pour les besoins du lendemain, en usant de l’artifice consistant à manger du mets un kazaït pendant Yom tov ; car on considère qu’il s’agit d’une ruse (Choul’han ‘Aroukh 503, 1). Simplement, dans la mesure où, en pratique, on aura mangé un kazaït de ce plat pendant Yom tov, les A’haronim sont partagés quant au fait de savoir si le plat est interdit à celui qui l’a cuisiné et aux membres de sa maisonnée, suivant la règle applicable à la ruse (Michna Beroura 13).

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