Pniné Halakha

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Chapitre 10 – Le service de Yom Kipour à l’époque du sanctuaire

01. Le saint des saints et le jour de Kipour

Le sanctuaire est le lieu où  se révèlent toutes les valeurs divines, et c’est à partir de lui qu’elles rayonnent dans le monde entier. Dans la pièce appelée qodech (le « saint », ou sanctuaire au sens strict), étaient placés le chandelier (ménora), qui exprime la sagesse (‘hokhma), la table (choul’han), qui représente la subsistance (parnassa), l’autel de l’encens (mizbéa’h haqetoret) qui incarne la prière (téphila) et l’aspiration à la proximité divine. Au-delà, dans le qodech haqodachim (saint des saints), se révèle le fondement de la foi (émouna) et de la Torah. En d’autres termes, c’est là que rayonne le fondement divin de la Torah, et c’est en ce lieu que rayonne la sainteté de l’assemblée d’Israël, car c’est par le biais de ces lumières que Dieu fait vivre l’ensemble du monde. Aussi, le qodech haqodachim est-il le lieu de l’arche d’alliance (aron haberit), où furent placées les tables de pierre et la Torah, qui furent données à Moïse au Sinaï ; au-dessus de l’arche, était le propitiatoire (kaporet) d’or, couvercle surmonté de deux chérubins (kerouvim), qui expriment le lien d’alliance et d’amour unissant le Saint béni soit-Il à Israël. L’emplacement du qodech haqodachim, à Jérusalem, se trouvait sur le rocher de la fondation (éven hachetiya), dont les sages disent qu’il est le rocher à partir duquel fut établi le monde, lors de la création (Yoma 54b). Une cloison (mé’hitsa) séparait le qodech haqodachim du qodech, afin de distinguer entre les différents degrés de sainteté. Car toute la sainteté du qodech émane du qodech haqodachim ; or, sans la mé’hitsa, la lumière du qodech haqodachim se serait élevée vers les régions célestes, et n’aurait pas été en mesure de dispenser lumière et bénédiction en direction du qodech, et, à partir de celui-ci, en direction de l’univers entier.

Bien que nul homme ne soit autorisé à entrer dans le saint des saints, Israël et toute l’humanité peuvent, grâce à la lumière de la Présence divine se dévoilant dans le saint des saints, revenir à Dieu, corriger leurs fautes et prier l’Éternel, par le biais du Temple, comme il apparaît dans la prière du roi Salomon, lors de l’inauguration du sanctuaire (cf. I Rois, chap. 8).

Même après la destruction du Temple et l’exil, l’empreinte de la Présence divine n’a point quitté l’emplacement du qodech haqodachim ; et grâce au désir et à l’aspiration des enfants d’Israël à voir la Présence divine reposer sur la terre, il leur est assuré que leur délivrance viendra, que le nom de l’Éternel sera sanctifié en Israël son peuple, en Jérusalem sa ville, en Sion, demeure de sa gloire, en la royauté de la dynastie de David son messie, en son séjour et en son palais, et que l’Éternel régnera seul sur toutes ses œuvres.

Le lieu du qodech haqodachim est suprêmement élevé par son niveau de sainteté, et nul homme n’est autorisé à s’y introduire. Quiconque y entre est passible d’une mort exécutée par le Ciel même (mita biyedé Chamaïm[a]), comme il est dit :

L’Éternel dit à Moïse : « Parle à Aaron ton frère, et qu’il ne vienne pas en tout temps au sanctuaire, au-delà du rideau (parokhet), devant le propitiatoire qui est sur l’arche, de sorte qu’il ne meure pas. Car dans une nuée, Je me révèle au-dessus du propitiatoire » (Lv 16, 2).

Ce n’est qu’au jour saint et redoutable, Yom Kipour, que le Grand-prêtre entrait, au milieu du nuage de l’encens, au nom de tout Israël, dans le saint des saints, afin d’y accomplir le service (‘avoda) du jour, comme il est dit :

Voici comment Aaron entrera dans le sanctuaire… (ibid. verset 3).

C’est par quatre fois que le Grand-prêtre devait entrer dans le saint des saints, le jour de Kipour ; mais s’il y fût entré une cinquième fois, bien qu’il fût le Grand-prêtre et que le jour fût celui de Kipour, il eût été passible de mort, décrétée par le Ciel (Maïmonide, Biat hamiqdach 2, 4).


[a]. Par opposition à une peine de mort prononcée par le tribunal humain (Sanhédrin).

02. Unification supérieure, unification inférieure ; conduites d’unification et de jugement

La signification de la mitsva se trouve dans le fait qu’il existe, dans la conduite du monde par Dieu, deux degrés : la conduite du monde par le biais du jugement (hanhagat hamichpat), qui correspond à l’unification inférieure (yi’houd ta’hton), et la conduite du monde par le biais de l’unification (hanhagat hayi’houd), correspondant à l’unification supérieure (yi’houd ‘e-lion) (cf. ci-dessus, chap. 7 § 12 et chap. 6 § 4).

La conduite selon le jugement (hanhagat hamichpat) est la conduite manifeste, selon les lois de la récompense et du châtiment, que Dieu a imprimées en ce monde, lois d’après lesquelles fonctionnent le monde de la nature et le monde de l’esprit. De même que celui qui néglige son travail devient pauvre, de même, quand la collectivité ou l’individu choisissent le mal, ils sont punis en ce monde et dans le monde futur.

D’après ces lois, il semble, de prime abord, qu’il n’y a point de remède possible pour les hommes, puisque, généralement, ils ont tendance à suivre leur penchant au mal. Même s’il y a des justes, le gouvernement et le pouvoir sont placés, en général, entre les mains d’hommes avides de domination et de lucre, qui poursuivent leur mauvais penchant. Aussi ne devrait-il y avoir aucune chance que le monde fût délivré de ses épreuves ; et la mort, qui détruit toutes les créatures, devrait finir par détruire aussi le monde.

Cependant, il existe une conduite divine supérieure et occulte, la conduite de l’unification (hanhagat hayi’houd), d’après laquelle Dieu transforme pour le bien tous les processus à l’œuvre dans le monde ; de sorte que, de l’intention mauvaise et des actions impies des pervers et des souverains elles-mêmes, germera finalement le bien. Cette conduite s’accomplit dans le monde par le mérite d’Israël, qui est uni à Dieu par une alliance éternelle, et dont la volonté profonde est constamment orientée vers la réparation du monde. C’est d’après cette conduite divine qu’il est dit, dans la Torah et les prophètes, que la délivrance est chose certaine. Toutefois, comme la conduite de l’unification, cachée, œuvre par le truchement de la conduite du jugement, la voie par laquelle viendra la délivrance dépend du libre arbitre d’Israël. Si les Juifs choisissent le bien, la délivrance viendra bientôt et dans la tranquillité ; mais si, à Dieu ne plaise, ils choisissaient le mal, la délivrance serait tardive, et passerait par des épreuves dures et redoutables.

La conduite de l’unification est cachée, et se révèle dans le qodech haqodachim, au lieu qui est au-delà de tous les lieux, et dont l’existence même au sein du monde matériel est miraculeuse. Aussi est-il interdit d’y entrer. Bien plus, la tentative de s’y infiltrer est dangereuse, car celui qui se lie à un degré si élevé risque de penser que, puisque tout, de toute façon, est pour le bien, il n’est pas nécessaire de s’efforcer de choisir le bien et de surmonter le mauvais penchant ; et, à partir de la trop grande lumière du saint des saints, il trouverait une justification à poursuivre ses penchants, et prétendrait encore que tout cela est pour le bien, et qu’il le fait au nom du Ciel.

Seul le peuple d’Israël, pris généralement, est apte à se lier à la conduite de l’unification, car c’est par son biais que cette conduite agit dans le monde, en ce que, du sein de toutes les souffrances et de toutes les épreuves, Israël croît et dévoile de nouveaux principes de Torah. Mais cela même est de l’ordre du secret, qui se dévoile progressivement, au terme de nombreuses générations. Aussi n’est-ce qu’au jour saint et redoutable, où tout Israël chôme et se détache de toutes les affaires de ce monde, s’abstenant de nourriture et de boisson, de bain, d’onction, de chaussures et de cohabitation charnelle, que le Grand-prêtre peut s’élever au point d’entrer, au nom de la collectivité d’Israël, dans le saint des saints, et d’y attirer la purification du peuple juif et l’expiation de l’impureté extérieure qui s’était attachée à lui. Grâce à cela, tout individu peut accomplir le parfait repentir de ses fautes, ce par quoi tout Israël mérite une bonne année, et le monde progresse vers sa délivrance.

Quand le Temple est détruit, toutes ces hautes réalisations s’accomplissent, de manière limitée, par la sainteté du jour, par le jeûne et par la prière[1].


[1]. Ces deux conduites sont généralement appelées unification supérieure (yi’houd ‘e-lion) et unification inférieure (yi’houd ta’hton) ; dans le vocabulaire de Rabbi Moché ‘Haïm Luzzato (Da’at Tevouna 134 et en d’autres endroits) : conduite de l’unification et conduite du jugement. Ci-dessus, chap. 2, note 4, est expliqué le thème des treize attributs de miséricorde, qui ressortissent à l’unification supérieure. De même, au chap. 6 § 4, est expliqué en quoi consiste la nature même du jour, qui est liée à l’unification supérieure et à la conduite de l’unification. Au chapitre 7 § 12, est exposée la question de l’unification supérieure et de l’unification inférieure, ainsi que la raison pour laquelle on récite à voix haute la phrase Baroukh Chem kevod malkhouto lé’olam va’ed (béni soit le nom de Celui dont le règne est éternel).

Dans son livre Michkené ‘E-lion, le Rav Luzzato dit du saint des saints qu’il est « le lieu de la lumière prodigieuse et de la bénédiction nombreuse ». Et ses dimensions « s’étendent du début à la fin et de la fin au début, vingt amot de part et d’autre, de sorte que la taille de ce sanctuaire était de vingt amot sur vingt. Ensemble, elles forment un mem fermé (ם), ce qui fait la mesure d’un miqvé (bain rituel). » Une allusion à cela se trouve dans les paroles de Rabbi Aqiba, rapportées par la Michna (Yoma 85b) : « Heureux êtes-vous, enfants d’Israël ! Car devant qui vous purifiez-vous, et qui vous purifie ? Votre Père qui est au ciel, comme il est dit (…) : “L’espoir [miqvé, mot désignant aussi la source d’eau vive] d’Israël est Dieu” (Jr 17, 13) ; de même que le miqvé purifie les impurs, de même le Saint béni soit-Il purifie-t-il Israël. » Même après la destruction du Temple, l’essence même du jour de Kipour participe de la notion de saint des saints (qodech haqodachim) ; et le jeûne et la prière relèvent de la notion de sanctuaire (qodech).

03. Le Grand-prêtre (Cohen gadol)

Le rôle des prêtres (les cohanim[b]) est de relier les Israélites à leur Père qui est au ciel, par l’accomplissement du service du sanctuaire, par l’approfondissement de la foi et de la bienfaisance parmi le peuple juif, et par l’enseignement de la halakha. Afin que les cohanim soient consacrés à leur service, sans qu’ils aient besoin de travailler pour se sustenter, la Torah a ordonné de leur attribuer des contributions et autres dons voués à la prêtrise. Et pour préserver leur sainteté, les cohanim sont avertis de ne pas se rendre impurs par le contact d’un mort autre qu’un parent du premier rang[c] ; de même leur est-il interdit d’épouser une femme divorcée ou ‘halala[d]. C’est une mitsva que de nommer Grand-prêtre le plus illustre d’entre les prêtres. Les règles applicables au Grand-prêtre sont plus restrictives encore : il ne peut se rendre impur ni s’endeuiller pour aucun mort, même son père ou sa mère ; et il n’est autorisé à épouser qu’une femme vierge. On le prépose à son service en lui versant l’huile d’onction et en le vêtant de huit habits qui lui sont spécifiques ; comme il est dit : « Et le prêtre supérieur à ses frères, sur la tête duquel aura été versée l’huile d’onction, et qu’on aura préposé pour vêtir les habits, n’échevellera pas sa tête ni ne déchirera ses habits. De toute personne morte, il n’approchera pas ; pour son père et sa mère même, il ne se rendra pas impur. Du sanctuaire, il ne sortira pas, et il ne profanera pas le sanctuaire de son Dieu, car le diadème de l’huile d’onction de son Dieu est sur lui, Je suis l’Éternel » (Lv 21, 10-12). C’est le grand tribunal de soixante-et-onze anciens qui devait décider de la nomination du Grand-prêtre (Maïmonide, Klé Hamiqdach véha’ovdim bo 4, 12-15).

Contrairement aux autres cohanim, qui ne portaient que quatre vêtements durant leur service au sanctuaire, il était enjoint au Grand-prêtre d’y ajouter quatre autres habits, de sorte que ses vêtements étaient au nombre de huit. S’il avait omis un seul de ces vêtements, son service eût été invalidé. Chacun des vêtements consacrés à la prêtrise exprimait une idée particulière, et servait à expier un type de faute, contradictoire avec cette idée. Comme l’enseignent nos sages :

La tunique (ketonet) expie le crime de sang ; le caleçon (mikhnassaïm) expie les unions interdites ; la tiare (mitsnéfet) est expiatoire pour ceux dont l’esprit est grossier ; la ceinture (avnet) expie les pensées fautives ; le pectoral (‘hochen) expie les infractions au droit civil et du commerce ; l’éphod expie l’idolâtrie ; la robe (mé’il) expie la médisance (publique) ; le diadème saint (tsits) expie l’œuvre des effrontés (‘Arakhin 16a).

Le Grand-prêtre doit être le plus pieux des cohanim, continuateur de la voie d’Aaron le prêtre, qui « aimait la paix et poursuivait la paix, aimait les créatures et les rapprochait de la Torah » (Maximes des pères 1, 12). Afin d’exprimer son attachement à Dieu, était gravée sur le tsits qu’il portait au front l’inscription Qadoch Lachem (sanctifié pour l’Éternel). Et pour exprimer son amour et sa responsabilité à l’égard du peuple d’Israël, les noms des patriarches et des tribus d’Israël étaient gravés sur les pierres du pectoral fixé sur son cœur. Même sur les chaînettes qui étaient sur ses épaules, deux pierres précieuses étaient fixées, où les noms des tribus étaient gravés (Maïmonide, Klé Hamiqdach véha’ovdim bo 9, 1 ; 9, 7-9). Le Grand-prêtre doit être aussi supérieur à ses frères en force physique, en sagesse, en beauté et en richesse. S’il présentait toutes ces qualités sauf celle d’être riche, ses frères, les cohanim, lui donnaient de leur argent, afin qu’il présentât toutes les qualités (Yoma 18a).

Si l’on a nommé comme Cohen gadol un homme qui ne se distingue pas par sa piété et par ses qualités, il a néanmoins, a posteriori, le statut de Cohen gadol, et toutes les règles attachées à cette fonction s’appliquent à lui. Mais il est évident que, plus le Grand-prêtre était juste, plus il réussissait en son service et rapprochait davantage Israël de son Père qui est au ciel.

Nos sages enseignent que, durant les quatre cent dix ans d’existence du premier Temple, dix-huit Grands-prêtres furent successivement en fonction. La majorité d’entre eux furent des justes, aussi jouirent-ils d’une longue vie ; tandis que, durant les quatre cent vingt ans du deuxième Temple, plus de trois cents Grands-prêtres furent en fonction, parmi lesquels trois furent des justes, qui servirent de nombreuses années, et presque tous les autres n’étaient pas des justes : ils achetaient au pouvoir leur prêtrise en argent, et ne passaient pas l’année. C’est à ce propos qu’il est dit : « La crainte de l’Éternel ajoute aux jours, mais les années des impies sont abrégées » (Pv 10, 27).

À la suite de la corruption qui sévissait parmi les Grands-prêtres à l’époque du second Temple, la purification et l’expiation d’Israël à Kipour furent altérées, au point que, finalement, le Temple fut détruit, et le peuple d’Israël partit pour un long exil.


[b]. Cohen, plur. cohanim.

[c]. Père, mère, frère, sœur, conjoint, fils, fille.

[d]. Femme ayant entretenu des rapports charnels avec un homme ‘halal, c’est-à-dire issu de l’union d’un cohen avec une femme qui lui était interdite.

04. Le Grand-prêtre au jour de Kipour

Dans le courant de l’année, tous les cohanim sont aptes à procéder aux sacrifices, à offrir l’encens et à préparer les lumières du chandelier (ménora) ; mais à Yom Kipour, étant donnée la grande sainteté du jour, seul le Cohen gadol est apte à accomplir tous ces actes de service (Yoma 32b, Maïmonide, Yom hakipourim 1, 2).

Les offrandes auxquelles le Grand-prêtre procédait, le jour de Kipour, se divisaient en trois catégories : la première consistait dans les sacrifices perpétuels (tamid), que l’on offre chaque jour, et qui sont deux agneaux, l’un le matin, premier de tous les sacrifices, le second à l’approche du soir, après tout autre sacrifice. Font également partie de ce premier cercle l’encens (qetoret) que l’on faisait fumer sur l’autel d’or, deux fois par jour, le matin et à l’approche du soir, ainsi que la préparation (hatava) des lumières et leur allumage (hadlaqa). La deuxième catégorie comprend les sacrifices additionnels (moussaf), à la manière de ce que l’on offre à la néoménie et aux jours de fête ; le jour de Kipour, il s’agit d’un taureau, d’un bélier, de sept agneaux comme holocauste (‘ola), et d’un bouc comme expiatoire (‘hatat). La troisième catégorie est spécifique au jour de Kipour, et comprend : un taureau comme ‘hatat destiné à l’expiation du Grand-prêtre et de ses frères, les cohanim ; avec ce taureau, un bélier comme ‘ola (ces bêtes ont été achetées par le Cohen gadol avec son argent) ; et encore deux boucs pour l’expiation d’Israël, l’un comme ‘hatat, l’autre comme bouc émissaire (sé’ir hamichtaléa’h).

Le Grand-prêtre avait l’obligation d’être marié, à l’époque où il accomplissait le service de Kipour, ainsi qu’il est dit : « “Il fera expiation pour lui et pour sa maison” (Lv 16, 6) : sa maison, c’est son épouse » (Yoma 13a). Et bien que, à l’approche de Kipour, le Grand-prêtre dût se séparer de son épouse durant sept jours, afin de se sanctifier et de se purifier avant le service du jour, il ne pouvait accomplir ce service qu’à la condition d’avoir une femme, car quiconque n’est pas marié n’est pas considéré comme un homme complet (Yevamot 63a) : il demeure sans joie, ni bénédiction, ni bienfait, ni Torah, ni muraille (protectrice des fautes), ni paix (ibid. 62b). Il doit être marié à une femme unique ; s’il en a deux, il est disqualifié pour accomplir le service de Yom Kipour (Yoma 13a). Car ce n’est que s’il a une seule épouse que l’amour et l’unité entre eux peut être complète. Et de même que le Grand-prêtre connaît personnellement l’unité, de même peut-il joindre et unir tout Israël à son Père qui est au ciel.

On ordonnait un cohen supplémentaire, qui puisse remplacer le Grand-prêtre dans le cas où celui-ci deviendrait impur, ou mourrait (Yoma 2a, Maïmonide, ‘Avodat Yom hakipourim 1, 2-3, Klé Hamiqdach véha’ovdim bo 5,10).

05. Les habits du Grand-prêtre, le jour de Kipour

Tout le service des sacrifices perpétuels et additionnels (moussafim), le Cohen gadol l’accomplissait, comme tous les jours de l’année et pendant les fêtes, vêtu de ses huit habits : la tunique, le caleçon, la tiare, la ceinture, le pectoral, l’éphod, la robe et le diadème (tsits). La tunique, le caleçon et la tiare étaient blancs ; les autres habits étaient de différentes couleurs, et certains étaient mêlés d’or. En chacun des fils de l’éphod et du pectoral, qui étaient d’azur (tékhélet), de pourpre (argaman), d’écarlate (tola’at chani, en fait un rouge orangé) et de lin (chech, blanc), était aussi entrelacé un fil d’or (Ex 28, 6 ; Rachi).

Les clochettes de la robe étaient d’or. De même, le diadème (tsits) posé sur le front du pontife, les chaînettes et les anneaux du pectoral et de l’éphod étaient d’or, et les pierres du pectoral étaient enchâssées dans l’or (Ex 28). Ainsi, les habits du Grand-prêtre étaient riches de toutes les nuances les plus magnifiques, et exprimaient l’expansion de la sainteté en ce monde-ci, en toutes ses composantes. Chaque vêtement exprimait en soi-même une idée, et expiait la faute correspondante (cf. ci-dessus, § 3). Si donc il avait manqué au Grand-prêtre ne fût-ce qu’un seul vêtement, son service n’eût pas été valide, car l’intégrité de son apparence eût été altérée.

Cependant, pour le service de Yom Kipour dans le saint des saints, le Grand-prêtre devait être vêtu de quatre vêtements de lin blanc, comme il est dit : « C’est de cette façon qu’Aaron viendra dans le sanctuaire… il portera une tunique de lin consacrée, un caleçon de lin couvrira sa chair, d’une ceinture de lin il se ceindra et d’une tiare de lin il se coiffera ; ce sont des vêtements saints » (Lv 16, 3-4). S’il accomplissait le service dans ses vêtements mêlés d’or, ce service serait invalidé. En effet, lors du service particulier de Yom Kipour, le Cohen gadol doit s’élever totalement, au-delà des contingences de ce monde-ci. Et quoique le foisonnement des nuances présentes en ce monde-ci offre de hautes utilités, il y a aussi, à côté de ces utilités, des manques et des fautes ; pour leur apporter l’expiation, le Grand-prêtre doit s’élever au niveau de l’unité simple, qui se situe au-delà des contrastes du monde, et auquel fait allusion la couleur blanche (Maharal, Guevourot Hachem 51, Nétiv Hatorah 10).

C’est à ce propos que nos sages enseignent : « Pourquoi le Grand-prêtre n’entre-t-il pas en habits d’or dans le saint des saints, pour y accomplir le service ? Parce qu’un procureur ne saurait être un défenseur » (Roch Hachana 26a). L’or est le métal le plus somptueux ; c’est pourquoi les ustensiles du sanctuaire sont fabriqués en cette matière, de façon à révéler la splendeur de la sainteté dans ce monde-ci. Cependant, à côté de cette magnificence, l’or est également à la source de la faute consistant à poursuivre la richesse et les passions matérielles. Aussi l’or rappelle-t-il la faute du veau d’or, dont nos sages disent que c’est à cause de l’or et des richesses que détenaient les Israélites au sortir de l’Égypte qu’ils furent entraînés par leur penchant au mal, se cherchèrent une divinité matérielle et s’adonnèrent à l’idolâtrie (Berakhot 32a). Aussi, lorsque le Grand-prêtre venait dans le qodech haqodachim, afin de purifier la foi des scories qui y étaient attachées, il devait quitter les vêtements d’or et revêtir les vêtements blancs.

06. Immersions, sanctification des mains et des pieds

C’est une mitsva toranique, pour le cohen qui entre dans le sanctuaire, même s’il est pur, que de sanctifier ses mains et ses pieds. Nos sages ont ajouté à cela l’obligation d’immerger tout son corps (comme l’enseigne Rabbi Yehouda au traité Yoma 30a ; Maïmonide, ‘Avodat Yom hakipourim 2, 3). Tant que le prêtre poursuit son service dans le sanctuaire, il n’a pas besoin de répéter la purification de ses mains et de des pieds, ni de s’immerger de nouveau. S’il a uriné, il doit purifier de nouveau ses mains et ses pieds ; s’il a été à la selle, ou qu’il soit sorti de l’enceinte du sanctuaire pendant une durée significative, il doit de nouveau s’immerger, et purifier ses mains et ses pieds (Maïmonide, Biat miqdach 5, 3-5).

L’immersion se faisait au bain rituel qui se trouvait près du parvis ; la purification des mains et des pieds, par l’eau qui sortait des robinets fixés au bassin de cuivre, lequel était entre l’autel des sacrifices et le sanctuaire. Le prêtre posait sa main droite sur son pied droit, et les lavait ensemble, puis il posait sa main gauche sur son pied gauche, et les lavait ensemble. Un cohen qui aurait accompli son service sans avoir d’abord purifié ses mains et ses pieds, était passible de mort prononcée par le tribunal céleste, comme il est dit :

Tu feras un bassin de cuivre, et son support de cuivre, pour l’ablution ; tu le placeras entre la tente d’assignation et l’autel, et tu y mettras de l’eau. Aaron et ses fils s’y laveront les mains et les pieds. Quand ils viendront à la tente d’assignation, ils se laveront à cette eau, afin de ne point mourir ; de même, quand ils approcheront de l’autel pour y servir, pour brûler des sacrifices à l’Éternel (Ex 30, 18-20).

Le jour de Kipour, en plus de l’immersion et de la purification des mains et des pieds qui précèdent le service, il est fait obligation au Grand-prêtre de s’immerger chaque fois qu’il quitte ses vêtements d’or pour revêtir les vêtements blancs, comme il est dit : « Ce sont des vêtements saints ; il lavera à l’eau sa chair avant de s’en vêtir » (Lv 16, 4) ; et chaque fois qu’il quitte ses vêtements blancs pour remettre les vêtements d’or, comme il est dit : « Aaron viendra dans la tente d’assignation, il quittera les vêtements de lin dont il se sera vêtu en entrant dans le sanctuaire, et il les y laissera. Il lavera sa chair à l’eau dans un lieu saint[e], et revêtira ses habits… » (ibid. 23-24).

De plus, c’est pour le Grand-prêtre une mitsva toranique que de purifier ses mains et ses pieds par deux fois, à chaque changement de vêtements : une première fois avant d’ôter ses précédents habits de prêtrise, une seconde après avoir mis ses nouveaux habits de prêtrise. Nous voyons donc que le Grand-prêtre devait, en ce jour, accomplir cinq immersions, et purifier dix fois ses mains et ses pieds (Yoma 32a). Chaque jour, le Grand-prêtre se lavait les mains et les pieds au bassin, comme les autres prêtres ; mais le jour de Kipour, en raison de l’honneur dû au Grand-prêtre – honneur qui veut qu’on ne le dérange pas en le contraignant sans cesse à se rendre au bassin –, on lui apportait l’eau dans une cruche d’or ; et c’est à l’aide de cette cruche qu’il sanctifiait ses mains et ses pieds (Yoma 43b).

Le propos de l’immersion au bain rituel est de se purifier, d’échapper à son état précédent et de s’élever à un nouveau degré : on franchit un nouveau degré en passant aux vêtements blancs, par lesquels on s’élève à un niveau suprême et abstrait ; mais on franchit encore un nouveau degré en revenant aux vêtements d’or, qui révèlent la sainteté au sein de ce monde-ci dans toutes ses nuances. Or pour avoir le mérite d’atteindre au degré suivant, lequel s’exprime par le changement de vêtements, le Grand-prêtre devait s’immerger.

La purification des mains et des pieds est destinée à élever et à consacrer toutes les forces des cohanim au service saint. Si cette purification s’applique précisément aux mains et aux pieds, c’est parce qu’ils expriment la réalisation concrète de toutes les forces présentes en l’homme : les mains, par son travail ; les pieds, par l’implantation de son œuvre dans le monde. À cela font également allusion les dix doigts, qui sont en regard des dix paroles par lesquelles le monde fut créé ; or l’homme, créé à l’image divine, participe, de ses dix doigts, au perfectionnement du monde et à son amendement.

Comme nous l’avons vu, le jour de Kipour, le Grand-prêtre devait purifier ses mains et ses pieds, deux fois par changement de vêtements. La première fois, avant d’ôter les vêtements dans lesquels il avait accompli les actes de service précédents ; en effet, au moment où l’homme a le mérite de se livrer à un service saint, et qui l’élève particulièrement, toutes ses forces augmentent, et l’illumination divine, qui s’est accrue en lui, le protège des penchants qui se sont renforcés en lui, et qui risquent de le faire incliner au mal. Mais lorsqu’il achève ledit service, ses penchants risquent de se répandre en lui pour le mal. Afin qu’ils ne lui portent pas atteinte, le Cohen gadol a ordre de purifier ses mains et ses pieds avant de se défaire de ses habits. Par cela, il parachèvera dans la sainteté toutes les forces qui se seront révélées en lui durant le service précédent. Il purifiera ses mains et ses pieds une seconde fois, après avoir revêtu les vêtements, afin de sanctifier toutes les forces qui sont en lui, à l’approche du service nouveau, sans qu’elles soient encore imparties au service précédent (d’après Orot Hatechouva 14, 33).


[e]. La cour (‘hatser) du tabernacle ou du Temple.

07. L’encens (qetoret)

À côté des sacrifices perpétuels (tamid) qu’ils apportaient chaque jour sur l’autel extérieur – l’un le matin, l’autre à l’approche du soir –, les cohanim faisaient fumer l’encens sur l’autel intérieur, une fois le matin, la seconde à l’approche du soir. Le sacrifice perpétuel exprime le lien manifeste qui unit Israël à l’Éternel ; aussi, on en aspergeait le sang et l’on en plaçait les membres sur l’autel extérieur, visible à tous. Par cela, on reliait toutes les créatures, dans la partie sensible de leur être, à l’Éternel. L’encens exprime le lien intérieur, profond, qui unit Israël à Dieu. Aussi est-il subtil et spirituel pour représenter le lien unissant les âmes à l’Éternel ; et on le faisait fumer sur l’autel intérieur, qui se trouvait dans le sanctuaire.

Onze matières parfumées composaient l’encens. On les pilait toutes, bien finement, afin de les unir entièrement. Par cela, leur bonne odeur se répandait bien. L’idée que porte allusivement cette loi, c’est que, par une unification entière de toutes les forces d’Israël, au service d’un but saint, le monde accède à son parachèvement. Dix des composants correspondaient aux dix degrés de la sainteté, par lesquels le monde fut créé. Un autre composant très important figurait dans l’encens : la ‘helbena (galbanum) dont l’odeur était mauvaise, et qui correspond aux côtés négatifs qui sont au monde. Cependant, une fois que le galbanum était pilé et mêlé aux autres plantes de l’encens, non seulement il ne gâchait pas l’encens mais il en exaltait l’odeur. Cela nous apprend que, lorsque toutes les forces composant Israël s’unissent pour un but saint, la vertu inscrite dans l’intériorité des pécheurs d’Israël se révèle, et eux aussi s’associent et sont utiles au parachèvement du monde (cf. ‘Olat Reïya I pp. 136-138).

Le jour de Kipour, une mitsva particulière s’ajoute à celles auxquelles est tenu le Cohen gadol : faire fumer, au nom de tout Israël, une pleine poignée d’encens dans le saint des saints. Et c’est seulement grâce au mérite de cette précieuse mitsva qu’il était autorisé à entrer dans le saint des saints, comme il est dit :

L’Éternel dit à Moïse : « Parle à Aaron ton frère, et qu’il ne vienne pas en tout temps au sanctuaire, au-delà du rideau, devant le propitiatoire qui est sur l’arche, de sorte qu’il ne meure pas. Car dans une nuée, Je me révèle au-dessus du propitiatoire » (Lv 16, 2)[f].

Ce n’est qu’après avoir offert l’encens dans le saint des saints que le Grand-prêtre était autorisé à apporter le sang du taureau et celui du bouc, et d’en faire l’aspersion face au propitiatoire, afin d’apporter l’expiation sur les sacrifices d’Israël.

Pour comprendre la signification de la « nuée d’encens », il faut savoir que tel est l’ordonnancement du dévoilement divin fait à Israël : Dieu se révèle dans « l’épaisseur de la nuée » (‘anan haqetoret), comme il est dit :

La nuée recouvrit la montagne. La gloire de l’Éternel (kevod Hachem) résida sur le mont Sinaï, et la nuée le recouvrit pendant six jours. Et [l’Éternel] appela Moïse, le septième jour, du sein de la nuée (Ex 24, 15-16).

La nuée exprime une révélation divine suprême et sublime, qui surpasse la compréhension humaine. Du sein de la nuée (‘anan) et de la brume (‘arafel), l’homme peut intégrer et comprendre la notion de Dieu, progressivement, selon ses forces. De même, après que fut achevé l’érection du tabernacle, il est dit :

La nuée recouvrit la tente d’assignation, et la gloire de l’Éternel emplit le tabernacle. Et Moïse ne put entrer dans la tente d’assignation, car la nuée y résidait, et la gloire de l’Éternel emplissait le tabernacle (Ex 40, 34-35).

Au début, la révélation est si élevée, si sublime que nul homme ne peut se tenir devant elle. Ce n’est qu’après, du sein de la nuée et de la brume, que la notion du divin se révèle, progressivement, suivant les forces qu’ont en eux les cohanim. Dans le même ordre d’idées, nous lisons, au temps de l’érection du premier Temple :

Les prêtres apportèrent l’arche d’alliance de l’Éternel à son lieu, au sanctuaire de la maison, au saint des saints, sous les ailes des chérubins (…) Et il advint, quand les prêtres sortirent du sanctuaire, que la nuée emplit la maison de l’Éternel. Or les prêtres ne pouvaient se tenir pour officier, face à la nuée, car la gloire de l’Éternel emplissait la maison de l’Éternel » (I Rois 8, 6-11).

L’encens que le Grand-prêtre faisait fumer au jour de Kipour, dans le saint des saints, exprimait l’union de tout Israël avec la foi parfaite, dont le fondement réside dans ce qui est au-delà de toute compréhension, et dont la révélation est d’abord enfouie et cachée dans l’épaisseur de la nuée, puis qui, du sein de la brume, va en se clarifiant par degrés, suivant notre capacité d’intégration. Grâce à cette connaissance, le Cohen gadol pouvait entrer dans le saint des saints, pour y obtenir l’expiation d’Israël.


[f]. Un midrach assimile la nuée dont parle ce verset à la fumée de l’encens.

08. La cérémonie de l’encens à Kipour

La mitsva s’ordonnançait ainsi : le Grand-prêtre entrait dans le saint des saints, avec une pelle de braises et une louche d’encens. Dans le saint des saints, il prenait une pleine poignée d’encens et la mettait sur les braises ; la fumée montait, s’élevait et se répandait dans le saint des saints, jusqu’à recouvrir le propitiatoire qui surmontait l’arche du témoignage ; ainsi qu’il est dit :

Il prendra une pleine pelletée de braises ardentes, de dessus l’autel, face à l’Éternel, puis deux pleines poignées d’encens fait d’espèces odoriférantes finement pilées, qu’il apportera de l’autre côté du voile. Il mettre l’encens sur le feu, devant l’Éternel. Et la fumée de l’encens couvrira le propitiatoire qui est au-dessus du témoignage, de sorte qu’il [le Grand-prêtre] ne mourra pas (Lv 16, 12-13).

L’idée sous-jacente est ici que l’homme le plus saint d’Israël lui-même ne peut atteindre, en sa conscience, la notion du divin dans son essence ; ce n’est que par le biais de la fumée et de la brume que la Présence divine demeure ici-bas ; et c’est du sein de la brume que la notion du divin va en se révélant. Aussi, le Grand-prêtre devait-il d’abord faire fumer l’encens dans le saint des saints ; puis, seulement après que le saint des saints était empli d’encens, il accomplissait sa mitsva (Yoma 53a).

Puisque l’encens exprime le lien profond qui unit les âmes d’Israël à Dieu, l’encensoir restait dans le saint des saints jusqu’à la fin du service du jour ; et pendant tout ce temps, sa fumée continuait de s’élever. À l’expiration du service du jour, le Grand-prêtre rentrait, au nom de tout Israël, dans le saint des saints ; il prenait congé, recueillait l’encensoir et sortait.

La quantité d’encens qu’il faisait fumer dans le saint des saints était l’équivalent de ce que peuvent contenir les deux mains (deux poignées) (melo ‘hofnav), ni plus ni moins (ibid. 48a), ce qui fait allusion au fait que toute l’intention et toute l’action du Cohen gadol étaient consacrées à la collectivité d’Israël. Nos sages enseignent que ce travail de transvasement de l’encens de la pelle à l’intérieur des mains, sans qu’il n’en tombe une miette à terre, était l’un des plus difficiles qui fussent au sanctuaire (ibid. 49b). L’idée à laquelle il est fait ici allusion, c’est que le Grand-prêtre doit s’efforcer de relier toutes les forces d’Israël en direction du saint des saints, sans même en perdre une seule étincelle.

L’encens que l’on faisait fumer chaque jour était bien pilé, afin d’être fin (daqa). Mais l’encens que le Grand-prêtre faisait fumer dans le saint des saints avait cela de supérieur qu’on le pilait de nouveau, à l’approche du jour de Kipour, afin qu’il fût particulièrement fin (daqa min hadaqa). Le pilage exprime l’idée d’union de toutes les particules d’encens, les unes avec les autres ; et l’encens destiné au saint des saints devait exprimer une union plus profonde encore.

09. Les deux boucs et le taureau

C’est un fait merveilleux que nous trouvons, dans le rituel d’expiation de Yom hakipourim. Le taureau et le bouc, seuls sacrifices de l’année dont le sang fût aspergé dans le saint des saints, expiaient « l’impureté du sanctuaire et des offrandes » ; c’est-à-dire l’impureté causée par ceux qui savaient être impurs, et qui, malgré cela, avaient pénétré dans le sanctuaire, ou avaient mangé de la chair de sacrifices. Le taureau faisait expiation sur les prêtres, et le bouc sur Israël. Face à cela, l’autre bouc, qui était envoyé à la vallée d’Azazel, expiait toutes les autres fautes. La question est de savoir comment il se peut que le taureau et le bouc dont le sang était aspergé dans le saint des saints expiaient un seul péché, tandis que le bouc émissaire expiait toutes les autres fautes[2].

Il y a là une idée très profonde et importante. La racine de toutes les fautes provient d’un défaut que l’on a dans sa foi (émouna) ; un défaut dans le lien que l’on a avec son Créateur, source de sa vie. Le sanctuaire et ses saintetés révèlent la foi dans le monde ; aussi, le fondement de l’expiation dépend-il de la réparation de la foi en sa racine suprême, au saint des saints. Après que la foi elle-même se trouve purifiée de l’impureté qui s’y agrège, toutes les autres fautes vont se séparant de l’homme, parce que celui-ci se lie de nouveau à Dieu, désire ardemment s’attacher à la Torah et à ses mitsvot, et comprend que toutes ses fautes émanaient d’une erreur, de séductions extérieures. Aussi les fautes n’appartiennent pas en propre à l’homme, et leur place est en un lieu abandonné : elles sont toutes envoyées à la vallée d’Azazel.

Le bouc voué à l’Éternel apportait l’expiation à Israël ; mais les cohanim, qui ont pour responsabilité que le lien unissant Israël à Dieu soit maintenu, requéraient une expiation supplémentaire ; aussi leur sacrifice était-il plus grand : un taureau expiatoire. En premier lieu, le Grand-prêtre devait expier ses propres fautes et celles de ses frères, les cohanim, pour tout abus qu’ils auraient pu commettre dans le cadre de leurs saintes fonctions ; ce n’est qu’après cela qu’il pouvait poursuivre, et donner expiation à Israël pour l’impureté causée au sanctuaire et aux offrandes.

C’est à ce propos qu’il est dit :

Il prendra du sang du taureau et en fera l’aspersion, de son doigt, sur la face du propitiatoire, à l’est ; et devant le propitiatoire il fera de son doigt sept aspersions du sang. [Après cela] il égorgera le bouc expiatoire qui est pour le peuple, et apportera son sang de l’autre côté du voile, et il fera, avec son sang, ce qu’il aura déjà fait avec celui du taureau : il l’aspergera sur le propitiatoire et devant le propitiatoire. Et il fera expiation, sur le sanctuaire, des impuretés des enfants d’Israël et de leurs péchés, selon toutes leurs fautes. Ainsi procèdera-t-il pour la tente d’assignation, qui réside avec eux parmi leurs impuretés. (…) Il sortira en direction de l’autel qui est devant l’Éternel, et fera expiation sur lui (Lv 16, 14-18).

Après que l’expiation de l’impureté causée au sanctuaire et aux offrandes était achevée, l’ensemble des autres transgressions étaient traitées à part, et le Grand-prêtre pouvait les envoyer à Azazel, au désert, comme il est dit :

Lorsqu’il aura achevé l’expiation pour le sanctuaire, pour la tente d’assignation et pour l’autel, il présentera le bouc vivant [que l’on s’apprête à envoyer à Azazel]. Aaron imposera ses deux mains sur la tête du bouc vivant, et il confessera sur lui toutes les iniquités des enfants d’Israël et tous leurs péchés, selon toutes leurs fautes, et il les mettra sur la tête du bouc, qu’il renverra par le biais d’un homme préparé à cela, au désert. Le bouc portera sur lui toutes leurs iniquités en une terre inhabitée ; et l’on renverra le bouc dans le désert (ibid. 20-22).


[2]. Le taureau apporte l’expiation aux cohanim, pour la faute commise contre le sanctuaire et contre ses offrandes. Selon Rabbi Yehouda, dans la michna Chevou’ot 2b, le bouc émissaire apportait l’expiation aux cohanim et à Israël pour toutes les autres fautes. C’est aussi ce qu’écrivent Maïmonide (Chegagot 11, 9 ; c’est encore ce qui ressort des Hilkhot téchouva 1, 2) et le Méïri, ‘Hibour Hatéchouva 1, 2. Toutefois, selon Rabbi Chim’on , toutes les fautes des cohanim sont expiées par le taureau. C’est aussi l’opinion du Radbaz (IV 1, 108) et du Peri ‘Hadach (Maïm ‘Haïm).

10. Contact de l’impur avec le sanctuaire et les offrandes – atteinte à la foi

De nombreux sacrifices sont destinés à l’expiation de l’impureté causée au sanctuaire et à ses saintetés : à chaque néoménie et à chaque fête, il nous est enjoint d’offrir un bouc comme expiatoire (‘hatat), afin d’expier le contact des personnes impures avec le sanctuaire et ses offrandes. Simplement, ces sacrifices apportent l’expiation à la personne impure qui ignorait son impureté, et qui, dans cette ignorance, est entrée au sanctuaire ou a mangé de la chair des saintetés. Ils ne pouvaient, en revanche, expier celui qui, après coup, devenait conscient d’être impur. C’est cela que venait expier le bouc expiatoire extérieur de Yom Kipour[g]. Ce sacrifice ne pouvait cependant pas expier le cas de la personne qui, connaissant son impureté, entrait intentionnellement dans le sanctuaire ou mangeait de la chair des sacrifices. Pour un tel cas, c’est le taureau et le bouc dont le sang était aspergé dans le saint des saints qui faisait expiation : le taureau pour les prêtres, le bouc pour Israël.

Quoi qu’il en soit, tous les boucs expiatoires offerts au nom de la collectivité à la néoménie ou lors des fêtes expiaient l’impureté causée au sanctuaire et à ses saintetés ; c’est à ce propos que nos sages disent :

L’impureté causée au sanctuaire et à ses saintetés est plus difficile à corriger que toutes les autres transgressions mentionnées par la Torah. Car toutes les transgressions que mentionne la Torah s’expient par un seul bouc [celui qui est envoyé à Azazel] ; tandis que l’impureté causée au sanctuaire et à ses saintetés s’expie par trente-deux boucs [ceux de Roch hachana, des fêtes et de Yom Kipour]. Toutes les autres transgressions mentionnées par la Torah s’expient une fois par an [par le bouc envoyé à Azazel] ; l’impureté du sanctuaire et de ses saintetés s’expie chaque mois, comme il est dit : « Aussi, par Moi-même, dit le Seigneur Dieu, Je le jure : parce que tu as rendu impur mon sanctuaire par toutes tes immondices et toutes tes abominations, Moi aussi Je retrancherai, et mon œil n’aura point pitié ; et Moi non plus, Je n’aurai point compassion » (Ez 5, 11). Les immondices et les abominations que tu causas étaient difficiles ; et l’impureté causée au sanctuaire plus dure que tout » (Tossefta Chevou’ot 1, 3).

Expliquons cela un peu plus avant :

Les fautes entraînant l’impureté du sanctuaire et des sacrifices signifient l’atteinte causée à la foi (émouna), atteinte dont émanent toutes les fautes et toutes les abominations. En effet, lorsque la foi de l’homme est pure de toute scorie et de tout défaut, il est attaché aux attributs du Saint béni soit-Il, et la vie qu’il porte en lui se renforce. Toute sa volonté tend à ajouter vie et bénédiction dans le monde, sous la conduite de la Torah, et son penchant au mal ne le vainc pas. Mais quand un défaut affecte sa foi, se crée relativement audit défaut une rupture entre sa volonté et la foi ; et l’on pense que, pour se réjouir dans la vie, on devra agir en contradiction avec les directives de la Torah ; alors, le penchant au mal correspondant à ce défaut se renforce en la personne et la fait fauter.

On peut dire que, lorsqu’une personne a une conception erronée de la foi, elle est considérée comme « entrant en état d’impureté dans le sanctuaire ». En effet, la conception de la foi est comparable à l’entrée dans le sanctuaire ; et quand des erreurs et des défauts affectent sa conception de la foi, parce que l’on n’a pas étudié la Torah comme il convenait, ou parce que l’on a de mauvais traits de caractère, c’est en état d’impureté que l’on entre dans le sanctuaire de la foi. Et si l’on s’obstine à agir selon sa foi erronée, on est comparable à celui qui mange de la chair des sacrifices en état d’impureté.

Il y a à cela plusieurs degrés : en général, l’homme pense aux questions relatives à la foi et agit conformément à sa pensée, sans s’apercevoir que sa foi n’est pas suffisamment claire. C’est cela qu’expient les boucs offerts aux néoménies et aux fêtes. Parfois, l’homme ne prête pas attention aux atteintes et aux contradictions qui affectent sa foi ; mais, après avoir agi, il a conscience de n’avoir pas encore épuré suffisamment sa foi. Il a besoin d’une expiation plus grande, et c’est le bouc expiatoire extérieur de Yom Kipour qui lui apporte l’expiation.

Cependant, chacun connaît des situations au cours desquelles s’éveille la pensée du but de son existence, de sa signification profonde, du rôle que l’on a dans le monde. Et si, à ces instants, bien qu’on sache que sa foi n’est pas aussi pure et claire qu’il le faudrait, on poursuit la routine de sa vie et l’on ne prend pas l’initiative d’approfondir sa connaissance de la Torah, de purifier ses traits de caractère, de clarifier sa foi comme il convient, son cas ressemble à celui de l’impur qui entre dans le sanctuaire. Et si l’on s’entête dans sa voie précédente, en se fondant sur sa foi défectueuse, sans faire son examen de conscience, le cas ressemble à celui de l’impur qui mange, sciemment, de la chair des sacrifices. C’est la faute la plus redoutable, car, par elle, l’homme perd son monde. La lumière divine a soudain illuminé son esprit, en un instant il pénètre dans le sanctuaire de sa propre âme, mais au lieu de se purifier, de rendre sa foi plus claire et de donner une direction à sa vie, il reste dans son impureté et poursuit sa routine. Aussi, seuls le taureau et le bouc dont le sang était aspergé dans le saint des saints, avec l’effort de téchouva, étaient à même d’expier cela.


[g]. Celui qui était envoyé à la vallée d’Azazel.