Pniné Halakha

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Chapitre 22 – Le caractère du Chabbat

01. Mitsva de préserver le caractère du Chabbat comme jour de repos

La Torah nous ordonne de ne point accomplir de travaux le jour du Chabbat, comme il est dit : « Mais le septième jour est le Chabbat [cessation] en l’honneur de l’Eternel ton Dieu ; tu n’y feras aucun ouvrage » (Ex 20, 10). Les ouvrages (mélakhot) dont parle le verset consistent dans les trente-neuf travaux par le biais desquels le Tabernacle fut construit, comme il fut enseigné à Moïse au mont Sinaï (cf. ci-dessus, chap. 9 § 1-2). De plus, nos sages ont institué des haies protectrices autour de la Torah, afin que l’on ne fasse aucun acte qui puisse nous conduire à exécuter l’un quelconque des travaux que la Torah interdit (cf. chap. 9 § 3-4). Nous avons également ordre de chômer, le Chabbat, comme il est dit : « Six jours durant, tu accompliras tes ouvrages, et le septième jour du chômeras (tichbot) » (Ex 23, 12). Le propos de ce verset est que, en plus de nous abstenir de tout ouvrage (mélakha) proprement dit, nous cessions nos activités, et nous nous reposions de toute fatigue et de toute peine : par exemple, que l’on n’ouvre pas son magasin, et que l’on ne transporte pas de charges[a] en vue des travaux de la semaine. Certes, en se livrant à de telles activités, on ne transgresserait pas d’interdit portant sur l’un des trente-neuf travaux, mais on manquerait à l’observance d’une mitsva positive de la Torah, celle de chômer et de se reposer pendant Chabbat (Na’hmanide sur Lv 23, 24 ; cf. Maïmonide 21, 1 ; ci-après, paragraphe 2).

Comme prolongement de cette mitsva, les prophètes nous enseignent qu’il faut conserver le caractère du Chabbat, en tant que jour digne d’honneur et sanctifié, jour où l’on ne s’occupe pas de choses profanes ; et que celui qui respecte cela est promis à une grande récompense, comme il est dit :

Si tu retiens ton pas, le Chabbat, t’abstenant de te livrer à tes affaires en mon saint jour, et que tu appelles le Chabbat « délice », le jour saint de l’Eternel « honoré », que tu l’honores en t’abstenant de suivre tes chemins ordinaires, de chercher la fortune et d’en faire le sujet de tes paroles, alors tu te délecteras en l’Eternel, Je te ferai chevaucher sur les hauteurs de la terre et te nourrirai de l’héritage de Jacob ton père, car c’est la bouche de l’Eternel qui a parlé (Is 58, 13-14).

De ces paroles du prophète, nos sages tirent de nombreuses directives relatives au Chabbat, directives émanant d’un principe central : ne pas se conduire, pendant Chabbat, de la manière dont on se conduit les jours de semaine. Nos sages disent ainsi :

« Que tu  l’honores » : que tes vêtements sabbatiques ne soient pas comme tes vêtements de semaine. (…) « En t’abstenant de suivre tes chemins ordinaires » : que ta démarche, le Chabbat, diffère de ta démarche des jours de semaine. « De chercher la fortune[b] » : tes affaires sont frappées d’interdit, mais les affaires du Ciel sont permises. « D’en faire le sujet de tes paroles » : que tes paroles, le Chabbat, ne soient pas semblables à tes paroles de semaine. La parole [profane] (dibour) est interdite ; mais la simple pensée (hirhour) est permise (Chabbat 113a).

Le statut halakhique de ces directives est supérieur à celui de dispositions rabbiniques simples (taqanot), parce qu’elles ont pour racine la mitsva toranique de chômer (Ex 23, 12, déjà cité), et parce que leur fondement s’exprime dans les paroles des prophètes ; c’est pourquoi elles ont le statut de normes tirées des livres prophétiques (divré qabala)[c].

Nous avons déjà exposé plus haut les mitsvot relatives à l’honneur dû au Chabbat, et à la délectation qu’on en doit tirer (chapitres 2, 4, 5, 7). L’honneur s’exprime par des vêtements propres au Chabbat, par le fait de se laver le corps, de préparer la maison et d’allumer des veilleuses. La délectation se traduit par les repas sabbatiques, le sommeil et l’étude de la Torah. Dans le présent chapitre, nous exposerons les mitsvot et les mesures préventives destinées à la préservation du caractère du Chabbat en tant que jour saint et jour de repos. Ces mitsvot sont le fondement de tous les interdits décrétés par les sages, au fil des générations, au titre de ‘ovdin de’hol (activités profanes). Le principe halakhique de ‘ovdin de’hol signifie que toute activité caractéristique de la semaine est interdite le Chabbat. Dans cette catégorie, figurent les jeux de ballon des grandes personnes, la nage dans une piscine, la gymnastique et le vélo. Afin de préserver le caractère propre du Chabbat comme jour de repos, nos sages ont encore institué l’interdit du mouqtsé (que nous exposerons au prochain chapitre). Ils ont également décidé que l’on ne jouerait pas d’instruments de musique (cf. ci-après § 17-19).

Bien que le statut des mitsvot visant à préserver le caractère du Chabbat et à ne point se livrer à des activités profanes (‘ovdin de’hol) soit plus élevé que celui des simples mesures préventives (seyaguim) instituées par nos sages, ces dernières sont, du point de vue des principes du droit halakhique, plus sévères que les premières. En effet, les mesures préventives, telles que l’interdit d’exécuter des mélakhot en y apportant un changement (chinouï) ou de demander à un non-Juif de l’accomplir pour nous, sont effectives, même pour les besoins d’une mitsva (cf. chap. 9 § 3-4, 11), tandis que les interdits relatifs au caractère du Chabbat sont levés pour les besoins d’une mitsva (comme nous le verrons tout au long du présent chapitre). D’autres interdits sont composés de ces deux sources : du point de vue de la préservation du caractère du Chabbat, il eût été possible de les lever pour les besoins d’une mitsva, mais dans la mesure où il s’agit également de défenses émanant de décrets rabbiniques, il est interdit d’y passer outre, même pour les besoins d’une mitsva.


[a]. Même à l’intérieur du domaine particulier, ou du domaine public entouré d’un érouv.

[b]. Littéralement : de trouver tes affaires, ou de trouver tes objets. Ce que vise le verset est la recherche d’un accroissement de patrimoine (Da’at Miqra).

 

[c]. Littéralement : paroles de tradition. Il s’agit de normes halakhiques fondées sur les paroles des prophètes postérieurs à Moïse.

02. Achat et vente

Il est interdit, le Chabbat, d’acheter ou de vendre. Celui qui ouvre son magasin, vend et achète, le Chabbat, comme il le fait les jours de semaine, même s’il prend soin de n’exécuter aucun des trente-neuf travaux, enfreint une mitsva de la Torah. Celle-ci prescrit en effet que le Chabbat soit un jour chômé (chabbaton, Ex 31, 15), or celui qui se livre au commerce dans sa boutique ne chôme pas (Na’hmanide sur Lv 23, 24, Ritva, ‘Hatam Sofer). Le livre de Néhémie raconte également que, lorsque Néhémie arriva à Jérusalem, il constata que se tenait un marché le jour de Chabbat :

Les Tyriens [qui se livraient au commerce] s’étaient établis dans la ville, apportaient du poisson et toute marchandise, qu’ils vendaient, le Chabbat, aux gens de Juda, à Jérusalem même. Je querellai les dignitaires de Juda, et leur dis : « Quelle est cette mauvaise chose que vous faites, en profanant le jour du Chabbat ? Vos pères n’ont-ils pas agi ainsi, de sorte que notre Dieu amena sur nous et sur cette ville tout ce mal ? Et vous, vous ajoutez à la colère contre Israël en profanant le Chabbat ! » (Ne 13, 16-18).

En conséquence, les marchands commencèrent à débiter leur marchandise, le Chabbat, en dehors des murailles de Jérusalem. Néhémie réagit en ordonnant de fermer les portes de la ville durant tout le Chabbat :

Les colporteurs et les marchands de toute denrée passèrent la nuit hors de Jérusalem une fois ou deux. Mais je les mis en garde et leur dis : « Pourquoi passez-vous la nuit face à la muraille ? Si vous recommencez, j’étendrai la main contre vous [pour vous punir] ! » Depuis lors, ils ne vinrent plus le Chabbat (ibid. v. 20-21).

Tout cela n’est dit qu’au sujet d’un commerce que l’on fait, le Chabbat, de manière régulière : en ce cas, on transgresse un interdit toranique. Mais si l’on achète ou vend, le Chabbat, de manière occasionnelle, pour les besoins de la semaine, on transgresse un interdit tiré des livres prophétiques (divré qabala), comme il est dit, dans le verset d’Isaïe déjà cité : « Tu l’honoreras en t’abstenant de suivre tes chemins ordinaires, de chercher la fortune et d’en faire le sujet de tes paroles » (Is 58, 13), ce qui signifie que l’on ne doit pas s’occuper de ses affaires profanes le Chabbat (Chabbat 113a). Toutefois, de ce qui est dit dans les Prophètes, nous n’apprenons pas encore qu’il est interdit d’acheter et de vendre pour les besoins d’une mitsva ; ce sont donc les sages qui érigèrent une haie protectrice autour de la Torah, et qui interdirent tout achat, toute vente, même pour les besoins d’une mitsva, de crainte que l’on n’en vînt à écrire (comme l’expliquent Rachi et Tossephot sur Beitsa 37a, Michna Beroura 306, 11). Ce n’est que pour les besoins de la mitsva de peupler la terre d’Israël que nos maîtres ont permis d’acheter une maison à un non-Juif, le jour de Chabbat, de manière telle que le non-Juif écrive le contrat et recueille lui-même l’argent (Choul’han ‘Aroukh 306, 11, Elya Rabba 22, Mor Ouqtsi’a, contrairement à Maguen Avraham 19 ; cf. ci-dessus chap. 9 § 12).

En raison de l’interdit du commerce, certains interdisent de vendre, le Chabbat, des montées à la Torah. Mais beaucoup ont coutume d’être indulgents en ce domaine, et ils ont sur qui s’appuyer. Car en pratique, on ne réalise pas de paiement ni d’acquisition pendant Chabbat ; et le fait de s’engager à payer pour une montée à la Torah est considéré comme répondant aux besoins d’une mitsva (Michna Beroura 306, 33, Ye’havé Da’at II 41). Mais si les dons promis à l’occasion de montées à la Torah sont de faible montant, il ne convient pas d’être indulgent en la matière, ni de faire perdre pour cela du temps aux fidèles.

03. Réception de marchandise provenant d’un magasin, d’un restaurant

Si l’on a besoin, le Chabbat, d’aliments pour un repas sabbatique – cas dans lequel, par exemple, des invités supplémentaires sont venus, ou bien encore dans le cas où l’on ne s’est pas préparé convenablement au Chabbat –, on est autorisé à se présenter chez le propriétaire d’un magasin d’alimentation et à lui demander des denrées de son magasin, en s’engageant tacitement à les lui régler après Chabbat. Cela, à condition de ne pas parler de paiement ; c’est-à-dire qu’il faut demander les produits de la manière dont on demande à son voisin de nous prêter quelque chose, sans mentionner les mots achat, vente, paiement. Il est en revanche permis de dire au commerçant que, à l’issue de Chabbat ou dans le courant de la semaine, on lui reparlera de ce qu’on aura pris, et que « l’on s’arrangera ». Quoique le commerçant  comprenne de ces mots que l’autre a l’intention de lui payer la marchandise, il n’y pas là d’interdit, du moment que l’on n’a pas mentionné la question du paiement de façon explicite, mais seulement par allusion.

On aura soin de ne pas mentionner le prix du produit, ni de le peser, ni de le mesurer selon ce que l’on a coutume de faire les jours de semaine afin de déterminer le prix. En revanche, il est permis de remplir un certain récipient, qui n’est pas destiné à la mesure, et de convenir que, le lendemain, on en fera la mesure, ce par quoi chacun comprend que le prix sera calculé en fonction du résultat de la mesure ; mais on se gardera bien de mentionner la question du paiement dans ses propos. De même, il est permis de remplir un récipient destiné à la mesure afin d’y mettre les aliments nécessaires, mais il est interdit d’y mesurer la quantité voulue et de verser celle-ci dans le panier du client, car alors, il serait manifeste que l’intention était de mesurer. Dans le même sens, il est permis de demander au commerçant cinq oranges, ou cinq bouteilles, car ce chiffre n’est pas le signe d’une vente : c’est simplement de cette façon que l’on décrit la quantité de ses besoins. Si la même personne a déjà pris de semblables produits chez ce marchant, par le passé, il est interdit de parler de la dette accumulée, ni de calculer la somme de cette dette et de ce que l’on prend aujourd’hui (Choul’han ‘Aroukh 323, 1-4, Michna Beroura 20, Chemirat Chabbat Kehilkhata 29, 18-25).

Si le commerçant ne croit pas que son visiteur se souviendra de le payer après Chabbat, il peut lui demander de lui laisser un vêtement ou quelque autre objet, mais il ne dira pas qu’il s’agit d’un « gage » (machkon) ou d’une « caution » (‘éravon), comme on le fait en semaine (Rama 307, 11).

Si l’on prend des produits alimentaires dans un magasin, le Chabbat, on ne les prendra pas par grands cartons, comme on peut le faire dans la semaine ; cela, afin de ne pas donner l’impression qu’on les prend pour les besoins de son commerce. On les prendra en main, ou sur l’épaule, comme on le fait quand on apporte des aliments pour un repas. Même si le changement apporté à la manière de porter les aliments oblige l’emprunteur à aller et venir plusieurs fois afin d’amener à destination tous les aliments nécessaires, il est préférable de marcher davantage que de paraître se livrer à une activité commerciale. Mais si l’on a des invités chez soi, qui attendent le repas, on se pressera d’apporter tous les aliments en une fois, bien qu’on les porte alors à la manière des jours de semaine. De même, si l’on marche en un endroit où il n’y a pas de risque d’être suspecté d’apporter tout cela pour son commerce, on pourra porter les denrées suivant l’habitude de la semaine, afin de s’épargner des allées et venues (opinion rapportée par le Choul’han ‘Aroukh 323, 5, Michna Beroura 25, Rama 510, 8).

Un propriétaire de magasin, ou d’hôtel, qui souhaiterait donner à ses clients la possibilité de recevoir des produits alimentaires le Chabbat, pourra vendre, avant le Chabbat, des tickets de différentes couleurs, de telle façon que, si l’on se présente pendant Chabbat et que l’on donne au serveur un ticket jaune, on reçoive les produits nécessaires à un premier repas, pour un ticket vert, un deuxième repas, pour un ticket rouge, une boisson, pour un ticket bleu, un gâteau, etc. Quand le nombre des couleurs ne suffit plus à la variété des produits, il est permis d’écrire (avant Chabbat) le nom du produit sur le ticket. Par contre, il est interdit d’y indiquer le prix des denrées auxquelles a droit le porteur du ticket, car alors, le ticket serait semblable à un billet de banque, qu’il est interdit de lire pendant Chabbat (Michna Beroura 307, 50 ; 323, 20, Chemirat Chabbat Kehilkhata 29, 26.

04. Prêt d’argent, prêt d’objets, cadeaux

De même qu’il est interdit d’acheter et de vendre pendant Chabbat, de même est-il interdit de prêter un bien ou d’acquitter une dette : puisqu’on a l’usage d’écrire des actes à ces occasions, il est à craindre qu’on n’en vienne à écrire. Par conséquent, si, pour les besoins de Chabbat, on doit demander un aliment à son prochain, ou un vêtement, ou encore une chaise, on le fera en parlant de prêt courant (hachala), car alors il n’est pas d’usage de noter ce que l’on prête[d]. Dans une langue qui n’offre pas de différence terminologique entre le fait de prêter formellement ou de prêter de manière informelle, on dira : « Donne-moi… » Si le prêteur craint que l’emprunteur n’oublie de lui rendre l’objet, il pourra demander qu’il laisse chez lui quelque objet, mais sans dire, comme on le ferait en semaine, qu’il s’agit d’un « gage » ou d’une « caution » (Chabbat 148a, Rama 307, 11). Si le demandeur se trompe, et s’exprime en termes de prêt formel (halvaa), on lui répondra qu’il est interdit de prêter de manière formelle, mais que l’on peut lui prêter la chose de manière informelle (Choul’han Chelomo 307, 15, 2).

De l’avis de certains décisionnaires, il est interdit d’offrir un cadeau ou de recevoir un cadeau le Chabbat, parce qu’au moment où le cadeau est donné, l’objet passe du patrimoine de celui qui offre au patrimoine de celui qui reçoit, or cela ressemble à un cas de vente (Maguen Avraham 306, 15, Birké Yossef 7, Michna Beroura 33). D’autres estiment qu’il est permis d’offrir un cadeau pendant Chabbat, car on ne dresse pas d’acte écrit pour un cadeau (Beit Méïr d’après le Rif et Maïmonide). A priori, on a coutume d’être rigoureux et de ne point offrir de cadeaux pendant Chabbat ; mais en cas de besoin, pour l’accomplissement d’une mitsva, tout le monde s’accorde à le permettre (Choul’han ‘Aroukh, Ora’h ‘Haïm 658, 3-4). Il est donc permis d’offrir des récipients ou des mets pour les besoins du repas de Chabbat (Michna Beroura 306, 33). De même, il est permis de donner des récompenses aux enfants qui participent à une étude de Torah, car on considère que cela répond aux besoins d’une mitsva : encourager les enfants à l’étude.

Si l’on veut, pendant Chabbat, apporter un cadeau à un jeune homme qui fête sa bar-mitsva, il convient de procéder au transfert de propriété avant Chabbat. C’est-à-dire que l’on demandera à un tiers de soulever le cadeau dans l’intention de l’acquérir pour le compte du jeune homme. De cette façon, le cadeau passera dans son domaine avant le Chabbat ; et, pendant Chabbat, on lui présentera le cadeau, qui lui appartenait déjà depuis la veille. Si l’on n’a pas procédé ainsi, on peut lui confier le cadeau en tant que dépôt, jusqu’à l’issue de Chabbat, et c’est à l’issue du saint jour que le destinataire du cadeau en fera l’acquisition (Chemirat Chabbat Kehilkhata 29, 31). Certains décisionnaires sont indulgents, et permettent d’offrir un cadeau pour une bar-mitsva, considérant que ce don relève quelque peu d’une mitsva : celle de réjouir le jeune homme (Elya Rabba, ‘Hatam Sofer). En cas de nécessité, on peut s’appuyer sur ces avis (Sridé Ech 2, 26).

Il est interdit de faire un tirage au sort, le Chabbat, pour déterminer qui recevra telle part d’un mets, et qui telle autre part : puisqu’il importe à chacun de recevoir une part aussi grande et aussi savoureuse que possible, il est à craindre que l’on n’en vienne à mentionner le prix des différentes parts, à les mesurer ou à les peser. De plus, un tel tirage au sort serait assimilé au jeu de dés, qui est interdit. Quand les différents lots ne sont pas égaux en valeur, il est interdit de les tirer au sort, y compris entre les membres d’une même famille. Mais s’ils sont égaux en valeur, il est permis aux membres de la famille de les tirer au sort entre eux (Chabbat 148b-149a, Choul’han ‘Aroukh 322, 6 ; cf. ci-après, § 8). Il est permis de tirer au sort le fait de monter à la Torah, ou de réciter le Qaddich, car il n’y a là rien qui se puisse mesurer ou calculer (Michna Beroura 322, 24).


[d]. L’hébreu distingue la halvaa, prêt d’argent ou prêt d’un bien formalisé par un écrit, de la hachala, prêt d’objet accompli sur un mode informel.

05. Activités d’un tribunal rabbinique, mariage, prélèvements et dîmes

Nos sages ont interdit, le Chabbat, d’examiner un différend judiciaire et d’exécuter les peines prononcées par un tribunal rabbinique (beit din). De même, il est interdit de réaliser, le Chabbat, les actes constitutifs d’un mariage (iroussin : transmission de la bague à l’épousée, devant témoins ; nissouïn : entrée des époux sous le dais nuptial, lecture de l’acte de mariage et bénédictions), d’un divorce (transmission de l’acte de divorce), une cérémonie de ‘halitsa (« déchaussage », cérémonie par laquelle on se dégage de l’obligation du lévirat), ou une cérémonie de lévirat. Les sages ont interdit ces procédures, de crainte que l’on en vînt à écrire (Beitsa 37a). De même, il est interdit, pendant Chabbat, de racheter un premier-né, car le rachat ressemble à un acte de vente. Si le trente-et-unième jour à compter de la naissance de l’enfant tombe le Chabbat, on repousse le rachat au lendemain. De même, nos maîtres ont interdit de consacrer un bien, d’en faire l’anathème, ou d’en évaluer la valeur pour le dédier au Temple ; en effet, quand on consacre ainsi un bien, celui-ci est juridiquement transféré dans le domaine du Sanctuaire, ce qui ressemble à une vente. En revanche, il est permis de s’engager à faire un don (tsédaqa), car l’engagement en tant que tel ne réalise pas encore le changement de patrimoine. Si l’on a acheté, vendu, ou fait l’un quelconque des actes susmentionnés pendant Chabbat, l’acte est néanmoins valable (Michna Beitsa 36b ; Choul’han ‘Aroukh 339, 4).

Le Chabbat, on ne procède pas aux prélèvements (térouma, plur. téroumot) ni aux dîmes (ma’asser, plur. ma’asserot), ni à l’extraction de la ‘hala (morceau que l’on prélève pour rendre le pain propre à la consommation). En effet, faire ces prélèvements est assimilable au fait de consacrer des fruits au Sanctuaire. De plus, c’est assimilable au fait de rendre des fruits propres à être consommés (Beitsa 36b, Maïmonide 23, 14). Si, par erreur, on a procédé à de tels prélèvements, il est permis de consommer, pendant Chabbat, les produits que les prélèvements auront rendu propres à la consommation. Par contre, si l’on a fait ces prélèvements en sachant qu’ils étaient interdits, ce qui est fait est certes valablement fait, et les produits sont permis, mais il est interdit à tout Juif de les consommer avant l’issue de Chabbat (Michna Terouma 2, 3, Michna Beroura 339, 25).

Si l’on craint de ne pas avoir le temps de prélever les téroumot et les ma’asserot avant Chabbat, on pourra réciter, avant Chabbat, mais sans bénédiction, le texte relatif à ces prélèvements, pour ce que l’on prélèvera pendant Chabbat. Ce que l’on aura récité le vendredi aura amorcé le processus de prélèvement, et par ce biais, il sera permis, même après l’entrée de Chabbat, de prélever effectivement les téroumot et les ma’asserot, en récitant le texte habituel, assorti de sa bénédiction. De même, si l’on craint de ne pas avoir le temps de prélever la ‘hala, on pourra la prélever de cette façon.

Seul celui qui est propriétaire des fruits peut procéder au prélèvement requis en profitant de la condition émise le vendredi – c’est-à-dire en s’appuyant sur le texte, relatif aux prélèvements, que l’on aura récité le vendredi. Mais pour toute autre personne, cette condition n’est pas efficace. Si l’on est invité à partager un repas de Chabbat chez autrui, et que l’on craigne que le maître de maison n’oublie de prélever les téroumot et ma’asserot, on pourra lui demander, la veille de Chabbat, de faire de lui son délégué (chalia’h) afin de procéder auxdits prélèvements pour son compte. De cette façon on pourra émettre la condition, dès la veille de Chabbat, que l’on procédera aux prélèvements effectifs pendant Chabbat (Michna Demaï chap. 7, 1 et 5, Talmud de Jérusalem ad loc., Maïmonide, Ma’asser 9, 7-9)[1].


[1]. Lorsque nous disons que seuls le propriétaire des fruits ou son délégué peuvent émettre une condition permettant de prélever pendant Chabbat, nous visons par-là les fruits ayant statut de tével, c’est-à-dire des fruits sur lesquels les prélèvements n’ont assurément pas été faits. Mais s’agissant de fruits ayant statut de demaï, c’est-à-dire des fruits sur le prélèvement desquels pèse un doute, même un tiers peut former ladite condition (Talmud de Jérusalem, Demaï 7, 1). Le texte à réciter, quand on veut émettre cette condition, est le texte même que l’on récite pour le prélèvement des téroumot et ma’asserot, à ceci près que l’on donnera à tous les verbes valeur de futur : מה שאני עתיד להפריש (« ce que je me destine à prélever »). Après que l’on aura déposé la térouma à sa place, on n’y touchera plus pendant Chabbat, car elle est mouqtsé (cf. ci-après, chap. 23 § 15).

06. Immersion au bain rituel et mesures

Comme on le sait, quand un Juif a acheté ou reçu d’un non-Juif un ustensile de cuisine, il lui est interdit de s’en servir pour s’alimenter, avant de l’avoir trempé dans un bain rituel (miqvé). Si l’on n’a pas trempé cette pièce de vaisselle avant Chabbat : certains pensent qu’il est interdit de le faire pendant Chabbat, car cela peut se comparer à la réparation (tiqoun) de l’ustensile[e]; en effet, avant l’immersion, l’ustensile était impropre à l’usage alimentaire, et grâce à l’immersion, il devient utilisable (Roch). D’autres pensent que, si l’on a besoin de l’ustensile pour manger, il est permis de le tremper, et de réciter la bénédiction y afférente, car la simple immersion ne doit pas être considérée comme un tiqoun ; en effet, a posteriori, si l’on s’en était servi sans l’avoir immergé, la nourriture eût été pourtant cachère (Rif). Mais s’il y a là un non-Juif digne de confiance, il est préférable de lui faire don de l’ustensile et de lui demander l’autorisation de s’en servir car, de cette façon, il sera permis au Juif de manger au moyen de l’ustensile sans que celui-ci n’ait été immergé au miqvé (Choul’han ‘Aroukh 323, 7). Il conviendra, après le Chabbat, que le Juif demande au non-Juif de lui redonner l’ustensile en cadeau. Alors, on le trempera au miqvé, en disant la bénédiction[2].

Tous les avis s’accordent à dire qu’il est permis à une personne de se tremper elle-même au miqvé, le Chabbat, pour se purifier. Même aux yeux de ceux qui estiment que l’immersion de la vaisselle est interdite, l’immersion du corps de l’homme ne ressemble pas nécessairement à un acte de réparation (tiqoun), puisqu’elle ressemble également à une simple ablution (cf. ci-dessus, chap. 14 § 9). Néanmoins, on ne procède pas, le Chabbat, à l’immersion d’un prosélyte afin d’achever sa procédure de conversion. En effet, par le biais de cette immersion, il devient un homme nouveau, ce qui fait bien de l’immersion un acte de réparation, de parachèvement. De plus, l’immersion à titre de conversion doit se faire devant une juridiction rabbinique (beit din) ; or, de même qu’il est interdit de juger judiciairement, de même est-il interdit de procéder à l’immersion du prosélyte (Yevamot 46b). Si, a posteriori, on n’a pas respecté cette règle, et que l’on ait procédé à l’immersion du prosélyte pendant Chabbat, l’immersion est néanmoins valable, et la personne est devenue juive (Choul’han ‘Aroukh, Yoré Dé’a 268, 4).

Il est interdit de faire des mesures pendant Chabbat, car mesurer est considéré comme un acte profane (Choul’han ‘Aroukh 306, 7, Michna Beroura 34). Par conséquent, il est interdit de peser une personne, ou de la mesurer (Chemirat Chabbat Kehilkhata 14, 42). De même, il est interdit de mesurer la longueur ou la largeur de meubles, ou de chambres.

Pour les besoins d’une mitsva, il est permis de mesurer et de peser. Il est donc permis de vérifier si un bain rituel (miqvé) contient bien 40 séa. De même, il est permis de mesurer un médicament pour un malade, ou de lui prendre la température avec un thermomètre mécanique (Choul’han ‘Aroukh 306, 7, Chemirat Chabbat Kehilkhata 40, 2). Puisqu’il est permis de faire, pour les besoins d’un bébé, tout ce que l’on est autorisé à faire pour un malade, on est autorisé, en cas de nécessité, à mesurer la quantité de nourriture dont le bébé a besoin. De même, lorsqu’il est nécessaire de vérifier si le bébé a gagné en poids après son repas, il est permis de le peser (avec une balance non électrique, Chemirat Chabbat Kehilkhata 37, 5).


[e]. C’est-à-dire le fait de rendre l’ustensile propre à être utilisé.

[2]. Selon le Beit Yossef, Maïmonide est indulgent, comme le Rif ; de même, le Choul’han ‘Aroukh 323, 7 laisse entendre que, en cas de nécessité pressante, il est permis de tremper des ustensiles au miqvé, le Chabbat. Le Maharam ben ‘Haviv écrit, dans les responsa Qol Gadol 15, que l’on prononcera la bénédiction sur l’immersion (Liviat ‘Hen 72, 75). D’autres estiment (Ziv’hé Tsédeq et ‘Aroukh Hachoul’han) que le Choul’han ‘Aroukh, en Yoré Dé’a 120, 16, revient sur son opinion, et que la seule solution consiste à faire acquérir l’ustensile à un non-Juif. Le Rama, dans Divré Moché, est également rigoureux, et telle est la position du Chaagat Aryé 56. A posteriori, si l’on a procédé à l’immersion, il est permis d’utiliser l’ustensile (Maguen Avraham et Michna Beroura 323, 33). Le Béour Halakha expose bien la question.

 

Si l’ustensile reste dans le patrimoine du non-Juif, mais qu’en pratique il se trouve dans le domaine du Juif, on l’immergera sans bénédiction. Aussi convient-il que le Juif demande au non-Juif, après Chabbat, de lui faire cadeau de cet ustensile en retour, afin de pouvoir le tremper avec bénédiction (Taz, Michna Beroura 323, 35).

07. Marcher tranquillement ; courir, sauter

Notre monde est rempli de manques. Pour les combler, nous nous hâtons, courons tout au long de la semaine, peinons et consacrons nos efforts à différents travaux. Mais le jour de Chabbat, qui offre un avant-goût du monde futur, nous avons ordre de nous abstenir de tout travail, comme si tout était déjà parachevé, que nous n’ayons plus besoin de nous dépêcher, mais seulement de nous délecter de la sainteté du Chabbat et de méditer, avec le regard de la foi, sur la parfaite intériorité du monde, tel que le Saint béni soit-Il le créa. Or c’est une mitsva que de donner expression à cette position spirituelle, y compris dans sa manière de marcher, laquelle doit être tranquille, ainsi que l’enseignent nos maîtres en s’appuyant sur le verset d’Isaïe déjà cité (58, 13) : « “Tu l’honoreras en t’abstenant de suivre tes chemins ordinaires” : que ta démarche sabbatique ne soit pas semblable à celle des jours profanes » (Chabbat 113a).

Par conséquent, il est interdit de courir, le Chabbat ; de même, il est interdit de marcher à grands pas. Ces interdits valent quand on se déplace pour ses propres besoins : alors, il faut marcher calmement, pour l’honneur du Chabbat. Mais si l’on va écouter un cours de Torah, ou prier, c’est une bonne action que de courir (Berakhot 6b, Choul’han ‘Aroukh 301, 1). Car le fait de courir pour accomplir une mitsva ne porte pas atteinte à l’honneur du Chabbat ; au contraire, c’est là l’expression du caractère propre au Chabbat, où l’on se repose des tracas de ce monde, ce qui permet de stimuler le service de Dieu.

Il est permis de courir et de sauter dans le cas où cela présente une grande utilité personnelle. Par exemple, il est permis de courir pour s’abriter de la pluie ; de même, il est permis de sauter au-dessus d’une flaque d’eau, afin de ne pas salir son pantalon. Dans le même sens, il est permis de courir pour aller voir une chose délectable (Chabbat 113b, Choul’han ‘Aroukh 301, 2-3). Il est également permis aux enfants et aux jeunes, qui ont du plaisir à courir, de se joindre à des jeux où l’on court, puisque à leur égard cette course n’est pas une charge mais un plaisir (Choul’han ‘Aroukh 301, 2). Il est de même permis à des adultes, pour le plaisir, de sauter, par jeu, en compagnie de petits enfants.

08. Gymnastique et vélo

Il est interdit de faire de la course à titre de culture physique, car ce type de course n’est pas un délice mais un effort. Bien que les adeptes de la culture physique tirent du plaisir de leur effort, leur plaisir tient dans le fait de préserver leur santé et leurs aptitudes physiques, et non dans la course en tant que telle. Même si l’on est en excellente condition physique, que l’on ait l’habitude de courir chaque jour et que l’on en tire du plaisir, il est interdit de courir pendant Chabbat, car cela relève des activités profanes (‘ovdin de’hol) ; car aux yeux des spectateurs, on semble dédaigner le Chabbat et le réduire au rang de jour profane. Toutefois, à l’intérieur de la maison, il est permis à celui qui en retire du plaisir de sauter et de faire de la gymnastique, dans la mesure de son plaisir. Cela, à condition de ne pas se fatiguer beaucoup, ni de s’entraîner d’après un programme déterminé, ni d’utiliser des appareils d’entraînement, car tout cela relèverait de l’activité profane. De même, il est interdit de jouer au ballon, car cela aussi relève de l’activité profane. Même aux enfants, il est interdit de jouer avec un ballon du type de ceux que les adultes ont l’habitude d’utiliser : là encore, on considère cela comme une activité profane[3].

Il est permis, le Chabbat, de marcher pour favoriser sa santé, à condition de marcher à pas normal, sans agrandir son pas, ni presser le pas. Bien qu’il ne faille pas se livrer à des activités curatives, le Chabbat, la promenade reste permise, promenade de santé comme promenade de plaisir, car on ne saurait, extérieurement, voir de différence entre elles, du fait que nombreux sont ceux qui ont plaisir à se promener (Michna Beroura 301, 7). De même, il est permis de faire des étirements légers pour se délier les os ou les muscles.

Les A’haronim s’accordent à interdire, le Chabbat, la pratique du vélo. Selon certains, le motif de l’interdit est la crainte que l’on ne sorte de la zone d’habitation sabbatique (te’houm) ; selon d’autres, on craint qu’une panne ne survienne et que l’on n’en vienne à réparer le vélo. Mais la raison principale est que cette activité a un caractère profane (‘ovdin de’hol), car le vélo sert principalement de moyen de transport – pour aller, par exemple, à son travail –, ou à la pratique sportive[4].


[3]. Certes, selon le Or lé-Tsion II 36, 12, l’interdit ne s’applique que dans le cas où l’on s’entraîne pour transpirer, dans un but médical ; en revanche, il est permis de courir à titre de culture physique, de même qu’il est permis aux jeunes de courir pour le plaisir (d’après Maïmonide, et contrairement à Rachi ; cf. Béour Halakha 328, 42).

 

Toutefois, il semble en pratique qu’il y ait dans la gymnastique un côté profane, comme l’enseigne la Tossefta Chabbat 17, 16 : « On ne court pas le Chabbat à titre de culture physique ; mais on peut se promener à son rythme, sans crainte, même toute la journée. » Il est certes permis de courir aux jeunes qui y trouvent du plaisir, mais la raison en est qu’ils tirent du plaisir de la course prise en elle-même ; par contre, quand le plaisir découle simplement de l’amélioration de la santé, la course est interdite, comme l’expliquent le Choul’han ‘Aroukh 301, 1-2, le Taz 1 et le ‘Aroukh Hachoul’han 44. C’est aussi ce que prescrivent en pratique le Tsits Eliézer VI 4 et le Chemirat Chabbat Kehilkhata 34, 22. Toutefois, si l’on éprouve du plaisir à la gymnastique en tant que telle, on est autorisé à en faire (Melamed Leho’il, Ora’h ‘Haïm 53, Rav Chelomo Zalman Auerbach cité par Chemirat Chabbat Kehilkhata 16, note 106). Cela, à condition de ne pas faire cette gymnastique de manière ordonnée et professionnelle, car ce serait une activité profane (‘ovdin de’hol). De même, il semble qu’il soit interdit à un adulte qui a plaisir à courir de le faire à l’extérieur, car il paraîtrait mépriser le Chabbat, ce qui rangerait nécessairement cette activité dans la catégorie de ‘ovdin de’hol. Cf. Har’havot.

 

[4]. Les responsa Rav Peal’im I 25, il est vrai, permettent le vélo [dans un domaine délimité par un ‘érouv] : pour l’auteur, il n’y a pas lieu d’interdire le vélo au seul motif que l’on pourrait en venir à voyager en voiture, et nous ne devons pas non plus prendre de nouveaux décrets d’interdiction fondés sur notre seule opinion. Mais la très grande majorité des décisionnaires sont rigoureux, pour les motifs que nous mentionnons ci-dessus. C’est la position de : Qtsot Hachoul’han 110, Badé Hachoul’han 16, Yaskil ‘Avdi III 19, Tsits Eliézer VII 30, Chéelat Ya’aqov 45, Kaf Ha’haïm 404, 8, Chemirat Chabbat Kehilkhata 16, 18. Selon le Or lé-Tsion II 42, 1, bien que du point de vue de la stricte obligation, il eût été possible de le permettre, cela reste interdit, parce que l’on a pris l’usage d’interdire.

 

Nous trouvons dans la Michna, Beitsa 25b, une possible source à l’opinion d’après laquelle le vélo relève de ‘ovdin de’hol : « Nos maîtres ont enseigné : “L’aveugle ne sort pas avec son bâton [un jour de fête]… et l’on ne sort pas assis sur une chaise.” » Rachi commente : « “Avec son bâton” : car ces façons seraient profanes, ce qui serait dédaigner le jour de fête ; “et l’on ne sort pas assis sur une chaise” : de ces chaises [à porteur] sur lesquelles on installe une personne. » La Guémara précise que l’interdit relatif à la chaise s’applique lorsque celle-ci repose sur les épaules des porteurs, et Rachi explique que, lorsqu’on porte la chaise sur les épaules, cela ressemble à « un acte profane, accompli en public, et dont le but est d’amener le passager à une destination plus éloignée que dans le cas où l’on porte la chaise à la main. »

09. Trajet à pied pour des besoins profanes

Même quand on marche tranquillement, il est interdit de se rendre dans un champ ou dans une usine afin de programmer, mentalement, son travail des jours de semaine. Cela fait partie de ces « affaires » auxquelles il est interdit de se livrer le Chabbat, comme il est dit : « Tu l’honoreras en t’abstenant de suivre tes chemins ordinaires, de chercher la fortune (littéralement : de trouver tes affaires) » (Is 58, 13). En revanche, quand il n’est pas manifeste aux yeux d’autrui que l’on a pour intention de programmer son travail, cet acte n’est pas frappé d’interdit. Il est donc permis de se promener le Chabbat, comme à son habitude, même si l’on passe près de son champ ; et l’on peut, en passant, regarder son champ et réfléchir à son travail, à condition qu’il ne soit pas extérieurement discernable que l’on observe son champ pour ce motif. Mais l’attitude pieuse, en la matière, consiste à ne pas réfléchir à son travail pendant Chabbat (cf. Choul’han ‘Aroukh 306, 8).

De même, si l’on construit une maison, on ne l’inspectera pas pendant Chabbat, car il serait manifeste que l’on programme son ouvrage. Si l’on a l’intention de rénover ou d’agrandir son domicile, il sera, là encore, interdit d’examiner le lieu d’une façon telle qu’il soit discernable que l’on programme son travail. Si l’on veut acheter un appartement, il est interdit d’examiner, le Chabbat, des appartements en vente. Mais il est permis, dans ce dernier cas, de marcher dans une rue où se construisent de nouveaux immeubles : quoique l’on ait pour intention de les regarder, tant que l’on paraît seulement se promener et que l’on ne s’arrête pas pour les observer, il n’est pas manifeste que l’on programme un achat. De même, si l’on a l’intention d’acheter des produits électriques, il est permis de regarder, en marchant dans la rue, où se trouve un magasin d’électricité ; par contre, on ne regardera pas les prix (Chemirat Chabbat Kehilkhata 29, 10). Mais la piété veut que l’on s’abstienne entièrement de penser à ces choses pendant Chabbat.

Il est interdit de se rendre, à l’approche du soir, à l’extrémité du périmètre d’habitation sabbatique (te’houm), afin de pouvoir, dès l’issue de Chabbat, louer les services d’ouvriers pour travailler pour son compte. De même, il est interdit de se rendre dans son champ, son magasin ou son usine, à l’approche du soir, afin de pouvoir commencer à y travailler dès l’issue de Chabbat. En effet, puisqu’il est perceptible que l’on se déplace, le Chabbat, pour les besoins de son travail, force est de dire que l’on se consacre à ses affaires pendant Chabbat. Mais s’il n’est pas perceptible que l’on marche à cette fin – cas dans lequel, par exemple, de nombreuses personnes ont l’habitude de se promener à ce même endroit –, et quoique à l’issue de Chabbat on aille y employer des ouvriers ou commencer à y travailler, cela n’est pas interdit ; car l’interdit ne tient que dans le cas où il est manifeste que l’on se déplace pour des besoins profanes (Choul’han ‘Aroukh 306, 1, Michna Beroura 1, Béour Halakha, passage commençant par Chéme’ayen ; Choul’han ‘Aroukh 307, 9, Michna Beroura 40)[5].


[5]. L’interdit de se rendre à l’extrémité du te’houm à l’approche du soir ne s’applique que dans le cas où il n’existe aucune possibilité de faire le même acte de manière autorisée. Mais si la raison pour laquelle on se rend à l’extrémité du te’houm à pareil moment est que l’on veut, après Chabbat, rapporter des fruits déjà cueillis, qui se trouvent en dehors du te’houm, ou encore rendre visite à des proches qui se trouvent hors du te’houm, cela devient permis. En effet, il n’y a pas là d’interdit intrinsèque, car, s’il y avait là un érouv, on pourrait rapporter ces fruits ou rendre cette visite pendant Chabbat. En revanche, il est interdit de se rendre à l’extrémité du te’houm à l’approche du soir dans le but de rapporter, après Chabbat, des fruits qui sont, pour l’heure, encore sur l’arbre, ou des fruits qui ont statut de mouqtsé, car en ce cas, l’interdit est intrinsèque, puisqu’il ne serait pas possible de le lever pendant Chabbat. De même, s’agissant de l’interdit des paroles profanes, que nous exposerons au prochain paragraphe : s’il existe une possibilité que la chose dont on parle soit potentiellement permise pendant Chabbat – par exemple dans le cas où il y a un érouv, on sera autorisé à dire que l’on a l’intention de se rendre à tel endroit, le lendemain, ou d’en rapporter des fruits (Chabbat 150b, Choul’han ‘Aroukh 307, 8, Michna Beroura 35. Le Choul’han ‘Aroukh Harav 16 explique le fondement de l’autorisation ; le Or’hot Chabbat 22, note 7 rapporte d’autres motifs).

10. Parler de ses travaux ou de ses comptes

C’est une mitsva que d’honorer le Chabbat au moyen de la parole, comme il est dit : « Tu l’honoreras en t’abstenant de suivre tes chemins ordinaires, de chercher la fortune et d’en faire le sujet de tes paroles » (Is 58, 13), ce que nos sages commentent : « Que tes paroles, le Chabbat, ne soient pas semblables à tes paroles de semaine » (Chabbat 113a). Le propos est ici de ne pas parler, le Chabbat, de ce qu’il nous est interdit de faire en ce jour. On ne dira donc pas : « Demain, je voyagerai en voiture », ou « j’écrirai une lettre », ou « j’achèterai telle chose ». À plus forte raison nous est-il interdit de demander à notre prochain de voyager le lendemain pour notre compte, ou d’écrire un courrier pour nous, ou encore d’acheter pour nous quelque objet (Choul’han ‘Aroukh 307, 1). L’interdit porte sur ce que l’on a l’intention de faire dans l’avenir ; en revanche, sur ce que l’on a déjà réalisé, il est permis de parler, à condition que l’intention ne soit pas de donner des directives à son prochain sur la manière de réaliser la chose en question.

L’interdit porte sur le fait de parler de choses qu’il est interdit de faire le Chabbat ; mais il est permis d’y penser. Nos maîtres enseignent en effet : « “Et d’en faire le sujet de tes paroles” : la parole est interdite, mais la pensée est permise » (Chabbat 113a). Même une parole qui se contente de faire allusion au travail est assimilée à la pensée, et est permise. Par exemple, il est interdit de dire : « Demain, je m’entretiendrai par téléphone avec untel » ; mais il est permis de dire : « Demain, je m’entretiendrai avec untel », bien qu’il soit clair que l’on a pour intention de parler par téléphone. De même, il est interdit de dire : « Demain, j’irai en voiture à Jérusalem », car voyager en voiture est interdit ; mais il est permis de dire : « Demain, j’irai à Jérusalem », car le fait d’aller, en soi, n’est pas interdit. Certes, il se peut que Jérusalem se trouve en dehors de la zone d’habitation sabbatique où l’on se trouve ; mais si l’on construisait un ‘érouv reliant cette zone à Jérusalem, il serait permis d’y marcher ; et puisque cette marche n’est pas interdite de manière inconditionnelle, il est permis d’en parler. Bien que notre interlocuteur comprenne que nous avons l’intention de voyager le lendemain en voiture, et que, s’il le souhaite, il pourra se joindre à nous, cela n’est rien d’autre qu’une allusion, ce qui est permis.

De même, si je veux prendre un taxi à l’issue de Chabbat, je suis autorisé à demander à un ami chauffeur de taxi : « Penses-tu que tu pourras venir chez moi à l’issue de Chabbat ? » Puisque je n’ai pas demandé si l’ami pourra venir avec son taxi afin de me conduire, et quoique celui-ci comprenne que telle est bien mon intention, ce n’est pas interdit. Mais je ne peux lui dire : « S’il te plaît, viens chez moi à l’issue de Chabbat », car une allusion prenant la forme d’un ordre est interdite. De même, si je veux recruter un ouvrier le dimanche, je suis autorisé à dire à l’ouvrier, pendant Chabbat : « J’espère vous rencontrer dimanche. » Mais je ne peux lui dire : « S’il vous plaît, venez me voir dimanche » (Chabbat 150a, Choul’han ‘Aroukh 307, 7).

Il est interdit de parler de comptes qui présentent une utilité commerciale, mais il est permis de parler de comptes qui n’ont aucune utilité. Il est par exemple interdit de parler du prix que l’on doit payer à des ouvriers, mais il est permis de parler de ce qui a déjà été payé. De même, si mon interlocuteur souhaite acheter une maison, il m’est interdit de lui dire combien on a vendu une maison semblable. En revanche, il m’est permis de le dire à une personne qui n’a pas l’intention d’acheter de maison. Il m’est également permis de dire quelle fut la récolte de mon champ l’année précédente, ou à combien s’élève le budget de l’Etat, etc., puisque ces paroles n’ont pas de lien avec les affaires que le locuteur ou l’auditeur ont l’intention de faire pendant la semaine (Choul’han ‘Aroukh 307, 6)[6].

Il faut toutefois limiter les vaines paroles, le Chabbat. Celui qui trouve un grand plaisir dans des propos de ce genre est autorisé à en tenir quelque peu, ce qui fera partie de ses délices matérielles du Chabbat. Mais on n’en fera pas à l’excès l’objet de ses entretiens, de même qu’il ne faut pas verser à l’excès dans la nourriture, la boisson et le sommeil, afin de ne pas grever les heures que l’on doit consacrer, le Chabbat, à l’étude de la Torah. Or nous avons vu que nous devions, à tout le moins, étudier la Torah pendant six heures, le Chabbat (Choul’han ‘Aroukh et Rama 307, 1, Michna Beroura 4 ; cf. ci-dessus chap. 5 § 1).


[6]. Quand il existe une grande nécessité à parler de commerce le Chabbat – par exemple si l’on a rencontré une personne que l’on ne pourra plus rencontrer en semaine, de telle façon que l’on essuierait une grande perte si l’on ne s’entretenait pas avec elle –, il est permis de parler de l’affaire en imprimant un changement à ses propos ; par exemple, au lieu de dire « 100 shekels », on dira « 100 pains » (Echel Avraham de Rabbi Avraham Botchatch 307). Nous voyons en effet qu’en matière d’interdits rabbiniques, quand on accomplit l’acte interdit de manière inhabituelle, celui-ci est considéré comme accompli sur le mode de chevout de-chevout (restriction rabbinique ajoutée à une autre), ce que les sages autorisent pour éviter une grande perte (Che’arim Hametsouyanim Bahalakha 90, 3 et Qountras A’haron).