Pniné Halakha

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Chapitre 15 – Lecture du Chéma Israël

01 – L’obligation de lire le Chéma Israël

C’est une obligation positive de la Torah que de lire le Chéma Israël la nuit et le matin, comme il est dit (Dt 6, 7) : « Ces paroles… tu les diras… à ton coucher et à ton lever. » L’expression « à ton coucher » désigne la nuit, « à ton lever » désigne le matin.

Nous lisons trois paragraphes (paracha, pluriel parachot ou parachiot). Le premier paragraphe, Chéma (« Ecoute, Israël, l’Eternel est notre Dieu, l’Eternel est Un… », Dt 6, 4-9) contient les notions de réception du joug de la royauté du Ciel, d’unité de Dieu et d’amour de Dieu. Par le deuxième paragraphe, Véhaya im chamoa (« Il adviendra que, si tu écoutes attentivement mes commandements… », Dt 11, 13-21), nous recevons le joug des commandements (les mitsvot). Le troisième paragraphe, Vayomer (« L’Eternel parla à Moïse en ces termes… », Nb 15, 37-41) nous enjoint de nous souvenir des mitsvot par le biais du commandement des tsitsit (les franges rituelles) et rappelle, en conclusion, la sortie d’Egypte.

Les sages ont décidé que le paragraphe Chéma devait précéder le paragraphe Véhaya im chamoa, afin que l’on prenne d’abord sur soi le joug de la royauté du Ciel, puis le joug des commandements. Ils ont aussi décidé que le paragraphe Véhaya im chamoa, qui traite de l’obligation générale d’observer tous les commandements, aussi bien ceux qui sont prescrits le jour que ceux qui sont prescrits le soir, précéderait le paragraphe Vayomer, qui  traite du commandement des tsitsit, lequel n’est prescrit que le jour (Berakhot 13a).

De l’avis de certains Richonim, l’obligation proprement toranique consiste seulement à lire le premier verset du premier paragraphe : « Chéma Israël, Ado-naï Elo-hénou, Ado-naï E’had », car c’est à propos de ce verset qu’il est écrit (Dt 6, 6-7) : « Ces paroles que Je te prescris en ce jour seront en ton cœur… Tu les diras… à ton coucher et à ton lever. » Les sages ont, quant à eux, institué la lecture des trois paragraphes.

On peut dire qu’en effet, l’aspect essentiel de la mitsva consiste à prendre sur soi le joug de la royauté du Ciel, et qu’à cette fin, celui qui lit le seul premier verset accomplit la mitsva, telle que la Torah le lui prescrit. Cependant, plus on s’étend sur la réception du joug de la royauté du Ciel, plus parfaitement on accomplit la mitsva de la Torah. Aussi, les sages ont-ils institué la lecture des trois paragraphes, dans lesquels apparaissent les principes de la foi, de la réception du joug des commandements, ainsi que du souvenir des commandements par le biais des tsitsit. Il apparaît donc qu’en pratique, nous accomplissons une mitsva de la Torah elle-même en lisant les paragraphes du Chéma[1].


[1]. La question est de savoir à quoi s’applique l’obligation : « Tu les diras… à ton coucher et à ton lever ». Selon Maïmonide, Rabbi Aharon Halévi (Séfer Ha’hinoukh), le Rachba, le Ritva, le Méïri, le Rachbats, Rabbi Yehouda Hé’hassid et le Beit Yossef 46, 9, l’obligation concerne le premier verset seulement. C’est aussi ce que laisse entendre le Choul’han ‘Aroukh 63, 4 lorsqu’il dit que seule la lecture de ce verset se trouve invalidée par l’absence de kavana. Selon les élèves de Rabbénou Yona et le Séfer Yereïm, la mitsva se rapporte à tout le premier paragraphe ; en revanche, lorsque, dans le paragraphe Véhaya im chamoa, la Torah emploie les mots « en en parlant… à ton coucher et à ton lever » (Dt 11, 19), ce qui est visé est le commandement d’étudier la Torah de jour et de nuit. Selon le Peri ‘Hadach, la lecture des deux premiers paragraphes est d’obligation toranique. Cf. Yabia’ Omer VIII 6, 4. Le Aroukh Hachoul’han conclut, en se fondant sur plusieurs Richonim, que les trois paragraphes sont d’obligation toranique. Le Mabit (Rabbi Moché ben Yossef di Trani), dans son ouvrage Qiryat Séfer, compare la lecture du Chéma à la mitsva d’étudier la Torah : celui qui apprend un verset accomplit par ce seul fait la mitsva d’étudier la Torah ; mais il n’en reste pas moins que plus on étudie, plus on accomplit la mitsva d’étudier ; ainsi de la lecture du Chéma. Le Yad Pechouta, dans son introduction aux lois de la lecture du Chéma, donne une explication comparable.

02 – Le souvenir de la sortie d’Egypte

C’est une mitsva de la Torah que de se souvenir de la sortie d’Egypte chaque jour, comme il est dit (Dt 16, 3) : « Afin que tu te souviennes du jour de ta sortie de la terre d’Egypte tous les jours de ta vie ». Nos sages relèvent le mot koltous les jours de ta vie »), et apprennent de ce mot que la mitsva de se souvenir de la sortie d’Egypte s’applique le jour et la nuit (Berakhot 12b)[a].

On peut accomplir la mitsva en disant l’un quelconque des versets qui mentionnent la sortie d’Egypte ; de même, on peut accomplir la mitsva en mentionnant la sortie d’Egypte dans sa langue maternelle. Mais les sages ont institué, en vue de l’accomplissement de la mitsva de se souvenir de la sortie d’Egypte, la lecture du paragraphe Vayomer, troisième paragraphe du Chéma. Il se trouve donc deux raisons qui ont conduit à adjoindre le paragraphe Vayomer au Chéma. D’une part, ce paragraphe mentionne la mitsva des tsitsit, qui rappelle l’ensemble des mitsvot ; d’autre part, la sortie d’Egypte y est mentionnée. Aussi a-t-on l’usage de lire le paragraphe Vayomer également la nuit. Il est vrai que, du point de vue des tsitsit, il n’y aurait pas lieu de réciter ce paragraphe la nuit (puisque le port des tsitsit n’est une mitsva que de jour) ; mais du point de vue de la sortie d’Egypte, il y a de toute façon lieu d’en faire la lecture la nuit (cf. Berakhot 14b ; Kessef Michné, lois du Chéma 1, 2-3).

Il existe une différence entre la mitsva de lecture du Chéma et la mitsva du souvenir de la sortie d’Egypte. En effet, on ne peut accomplir la mitsva de lecture du Chéma du matin que durant les trois premières heures du jour, car c’est durant ce laps de temps que les gens se lèvent ; tandis que la mitsva de se souvenir de la sortie d’Egypte durant le jour peut s’accomplir tout le temps qu’il fait jour. Simplement, conformément au décret des sages consistant à lire les trois paragraphes du Chéma, nous accomplissons la mitsva du souvenir de la sortie d’Egypte simultanément avec celle de lire le Chéma. Mais si le temps de la lecture du Chéma a expiré, on accomplira la mitsva du souvenir de la sortie d’Egypte par la lecture de la bénédiction Emet véyatsiv, qui suit le Chéma. Et si la quatrième heure du jour a expiré, on accomplira la mitsva par la lecture du paragraphe Vayomer, ou par la mention de la sortie d’Egypte de quelque autre façon (Michna Beroura 58, 27 ; cf. règles d’Arvit, plus loin, chap. 25, fin de note 3).


[a]. Berakhot 12b : « Ben Zoma a expliqué, à propos du verset Afin que tu te souviennes du jour de ta sortie de la terre d’Egypte tous les jours de ta vie”: “L’expression les jours de ta vie désigne les jours ; l’ajout de tous dans tous les jours de ta vie vient inclure également les nuits.” »

03 – Contenu du premier paragraphe

Le premier paragraphe, « Chéma » (Dt 6, 4-9) est composé de trois parties : 1) le fondement de la foi ; 2) la signification de ce fondement dans notre vie ; 3) des instructions pour enraciner la foi dans notre vie.

    Dans le premier verset, « Ecoute Israël, l’Eternel est notre Dieu, l’Eternel est Un », nous apprenons le fondement de la foi juive unitaire : Dieu, béni soit-Il, est le maître de tout, et il n’est aucune force dans l’univers en dehors de Lui. Et bien qu’il nous semble y avoir dans le monde des forces différenciées et séparées les unes des autres, le Dieu Un insuffle la vie à chacune d’entre elles, et rien n’existe indépendamment de Lui.
    La signification de cette foi dans notre vie est qu’il n’existe aucune valeur dans le monde qui soit indépendante de l’attachement à Dieu béni soit-Il. Aussi, le Chéma se poursuit-il par : « Tu aimeras l’Eternel ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir. » Les sages expliquent (Berakhot 54a) :
    « De tout ton cœur – avec tes deux penchants[b], le penchant au bien et le penchant au mal ». Car le penchant au mal lui-même doit être assujetti au service de Dieu, que ce soit en le contraignant ou en l’inversant dans le sens du bien.
    « De toute ton âme – même si l’on enlevait ton âme », car on doit être prêt au sacrifice de sa vie au nom de sa foi en Dieu.
    « Et de tout ton pouvoir – avec toute ta fortune », car l’argent et les possessions eux-mêmes doivent servir de base et de moyen au service de Dieu ; et si l’on exige d’un Juif de transgresser sa religion sauf à perdre tout son argent, il devra renoncer à son argent et ne pas renier sa foi. On explique également : « De tout ton pouvoir – quelle que soit la mesure[c] qu’Il t’attribue, sois-lui extrêmement reconnaissant. »
    Dans la troisième partie, la Torah nous enseigne comment enraciner en nous les principes de la foi que nous venons de mentionner. Premièrement : « ces paroles que Je t’ordonne en ce jour seront dans ton cœur » ; de plus : « tu les enseigneras à tes enfants ». Même après avoir très bien appris les principes de la foi, et à moins de les répéter et de les rappeler chaque jour à son souvenir, les soucis et les occupations du quotidien risquent de faire oublier à l’homme sa foi. Aussi, avons-nous reçu l’ordre suivant : « Tu en parleras, assis dans ta maison, en marchant en chemin, à ton coucher et à ton lever. » Là se trouve la base de l’obligation de lire le Chéma le matin et la nuit. Cependant, la Torah ne s’est pas contentée de la seule lecture ; elle a ajouté le commandement de placer les paragraphes de la foi à l’intérieur des téphilines et de les attacher à son bras et sur sa tête : « Tu les attacheras en signe sur ton bras et ils seront un fronteau entre tes yeux. » Ce n’est pas tout : la Torah a encore ordonné de fixer ces paragraphes sur les poteaux des portes de sa maison : « Tu les écriras sur les poteaux de ta maison et sur tes portes », de façon qu’à tout moment où nous entrons ou sortons de nos demeures, nous remarquions la mézouza[d] et nous nous ressouvenions des principes de la foi d’Israël. Nous voyons donc que le paragraphe qui traite de la foi et de l’unité du Créateur nous accompagne constamment : dans notre cœur par l’effet de la lecture du Chéma, sur notre corps par les téphilines, et dans nos possessions, représentées par la maison, par le biais de la mézouza.

[b]. Bekhol lévavékha : littéralement de tous tes cœurs, et non bekhol libkha, de tout ton cœur ; d’où l’idée de dualité, développée dans la lecture midrachique du Talmud, entre penchant du cœur au bien (yetser hatov) et penchant du cœur au mal (yetser hara), l’un et l’autre devant être canalisés au service de l’amour de Dieu.
[c]. Mida, mesure, jeu de mot avec meod, pouvoir : « Pour toute mesure que Dieu t’attribue, mesure de bienfait ou mesure d’adversité ».
[d]. Mézouza : étui fixé aux poteaux de nos portes, contenant un parchemin où sont écrits les deux premiers paragraphes du Chéma, où il est précisément question de la mitsva de fixer « ces paroles » sur les poteaux de nos portes.

04 – Les deuxième et troisième paragraphes

Dans le deuxième paragraphe, Véhaya im chamoa’ (Dt 11, 13-21), nous apprenons la valeur des commandements de la Torah, la récompense de ceux qui les observent et la punition de ceux qui les transgressent. Nous apprenons que, si nous aimons Dieu, le servons de tout notre cœur et observons ses mitsvot, nous mériterons la bénédiction divine, la terre donnera son produit, nos jours et ceux de nos enfants se prolongeront sur la terre que l’Eternel a juré de donner à nos ancêtres et à nous-mêmes. Et si, à Dieu ne plaise, nous nous détournions du chemin, la colère divine s’enflammerait contre nous, la terre ne donnerait pas son produit, et nous disparaîtrions de ce bon pays. Puis la Torah nous ordonne une nouvelle fois de méditer ces principes,  nous enjoint de placer les paroles de ce paragraphe, Véhaya im chamoa’, dans les téphilines du bras et de la tête, et de fixer ce même paragraphe sur les poteaux des portes de nos maisons. Dans le premier paragraphe, l’accent était mis sur notre orientation vers le Ciel, sur le don de toutes les forces de notre âme au service de Dieu. Dans le deuxième paragraphe, l’accent est mis sur la révélation de la conduite divine dans le monde. Cette révélation s’exprime par l’observance des mitsvot, ainsi que par la récompense et par la punition, qui manifestent, elles aussi, la providence de Dieu sur le monde.

Le troisième paragraphe, Vayomer (Nb 15, 37-41), expose la mitsva des tsitsit, qui possède une vertu particulière, celle de pouvoir nous rappeler toutes les mitsvot et d’éveiller notre conscience à leur observance, comme il est dit : « Vous vous souviendrez de tous les commandements de l’Eternel et vous les accomplirez. » Une allusion à cela se trouve dans le fait que la mitsva des tsitsit s’accomplit le jour et non la nuit : le jour fait allusion au dévoilement clair de la parole de Dieu dans le monde. Par le dévoilement de la lumière des mitsvot et par leur rappel, nous trouvons la force de surmonter le penchant au mal, comme il est dit : « Vous les accomplirez, et vous ne vous égarerez pas à la suite de vos cœurs et de vos yeux, à la suite desquels vous vous prostitueriez. » À la fin de cette paracha, est mentionnée la sortie d’Egypte, que nous avons l’obligation de nous rappeler le jour comme la nuit. De même que le tsitsit révèle la lumière des mitsvot, de même la sortie d’Egypte révéla qu’il y a un Maître dans le monde, et que le peuple d’Israël a été choisi pour dévoiler Sa parole.

Nous voyons donc que ces trois paragraphes sont la continuation et l’extension du principe de la foi contenu dans le verset Chéma Israël. Dans le premier paragraphe, nous apprenons le sens essentiel de la foi au sein de notre vie : la foi constitue le seul et unique principe de notre vie ; c’est là l’extension des mots Ado-naï E’had (« l’Eternel est Un »). Grâce à cela, nous prenons sur nous le joug des commandements, par le deuxième paragraphe, ce qui constitue l’extension des mots Ado-naï Elo-hénou (« l’Eternel est notre Dieu »). Le troisième paragraphe, quant à lui, contient la mitsva des tsitsit, qui nous rappelle et nous enseigne l’ensemble des mitsvot. Il s’achève par le rappel de la sortie d’Egypte, laquelle a révélé au monde que Dieu a choisi Israël, et qu’Il exerce Sa providence et Son règne sur Son monde. Cela constitue une extension des mots Chéma Israël. Dans le chapitre consacré aux lois des bénédictions du Chéma (16 § 1), nous verrons que les bénédictions instituées par les sages sont elles-mêmes une continuation et un parachèvement apportés à la lecture du Chéma.

05 – Signification de la sortie d’Egypte

Le royaume égyptien, qui a asservi Israël, était essentiellement le régime de la matérialité. L’étude de l’histoire confirme que, parmi tous les peuples de l’Antiquité, aucun ne possédait une culture plus matérialiste que celle de l’Egypte. Les Egyptiens niaient l’existence d’une âme et d’un monde futur qui ne fussent liés à la matérialité ; seuls le corps et la matière importaient en fin de compte à leurs yeux, car ils n’attribuaient pas à l’esprit d’existence propre. C’est pourquoi ils investissaient des moyens grandioses à l’embaumement des morts et à la conservation de leurs corps. Les hautes pyramides elles-mêmes n’étaient rien d’autre que des tombeaux destinés au corps. Leur culture morale était à l’avenant : l’essentiel était d’assouvir le désir du corps et, comme le racontent nos maîtres de mémoire bénie, aucune nation n’était plus immergée que l’Egypte dans les passions (Torat Cohanim, A’haré mot chap. 9). Face à cela, le peuple d’Israël représente le pôle radicalement inverse : ses aspirations sont essentiellement spirituelles.

Durant cette difficile période, la nation matérialiste dominait le peuple d’Israël et l’assujettissait par un dur servage. Il semblait alors que la grande inspiration qui avait commencé de se révéler par le biais des patriarches ne pourrait se restaurer. La matière avait vaincu l’esprit. Alors le Roi des rois se révéla en personne et nous fit sortir d’Egypte.

Par la sortie d’Egypte, Dieu révéla au monde pour la première fois la pleine puissance du spirituel. Il fut manifeste que le monde ne se limite pas à la matière et aux désirs, qu’il y a aussi une spiritualité, qu’il existe un esprit et une âme, et que par conséquent il existe des valeurs morales. La sortie d’Egypte exprime la victoire de l’esprit sur la matière. Quelles que puissent être les tentatives de la matière pour asservir l’esprit, celui-ci se libère finalement des chaînes de celle-là. De même qu’Israël est sorti d’Egypte victorieusement et en emportant de grandes richesses, de même toute lutte entre l’esprit et la matière s’achèvera par la victoire de l’esprit.

Et de même que le peuple d’Israël, qui a prodigué au monde la Torah et la morale, s’est libéré des entraves matérielles de la nation égyptienne, ainsi chaque Juif doit tendre chaque jour à se délivrer des chaînes du matérialisme, afin de dévoiler le spirituel et de se lier au Maître de l’univers par le biais des mitsvot. Aussi avons-nous l’obligation de nous souvenir de la sortie d’Egypte chaque jour et chaque nuit, de méditer grâce à cela sur l’élection et sur la vocation d’Israël, et de nous affranchir par cela des entraves de la matière, dévoilant ainsi la vérité divine éternelle.

06 – Kavana à entretenir pendant la récitation du premier verset

C’est à l’égard du premier verset du Chéma que la concentration de l’esprit (kavana) est principalement requise, car c’est par ce verset que nous recevons le joug de la royauté du Ciel, et c’est au sujet de ce verset qu’il est dit (Dt 6, 6) : « Ces paroles… seront dans ton cœur ». Si bien qu’il faut appliquer sa pensée à ce que l’on dit dans le premier verset ; et dans le cas où l’on ne se serait pas concentré sur les mots que l’on a prononcés, on ne serait pas quitte de son obligation (Berakhot 13b, Choul’han ‘Aroukh 60, 5 et 63, 4).

Quand bien même on se concentre sur la pleine signification de chaque mot, il faut encore s’efforcer de ne pas détourner son attention vers d’autres sujets au milieu du verset. Toutefois, il semble que l’on soit quitte de son obligation a posteriori, dès lors que l’on a également pensé à la signification du verset[2].

Il convient de se concentrer comme suit :

Chéma Israël (« Ecoute, Israël ») : la mitsva de recevoir le joug de la royauté de Dieu est destinée au peuple juif, car c’est lui qui a été créé afin de révéler la foi en l’unité divine dans le monde.

Ado-naï (« l’Eternel ») : ce nom ne se lit pas comme il s’écrit. A l’écrit, c’est le tétragramme : les lettres yod, puis , puis vav, puis . Mais il se lit Ado-naï. Il faut penser, en prononçant le nom, à sa signification dans sa version orale – qu’Il est le maître de tout – mais aussi à la signification du tétragramme écrit : Il a été, Il est et Il sera.

Elo-hénou (« notre Dieu ») : Dieu est fort, Il est tout-puissant, maître de toutes les forces, et Il règne sur nous (Choul’han ‘Aroukh 5, 1).

Lorsqu’on prononcera E’had (« Un »), on pensera que Dieu est seul à régner sur l’univers entier, sur les cieux, sur la terre et aux quatre points cardinaux. Cette intention est contenue allusivement dans les lettres du mot E’had, aleph, ‘heth, dalet : aleph, première lettre de l’alphabet, fait allusion à l’unicité de Dieu ; ‘heth, huitième lettre, correspond aux sept cieux auxquels s’ajoute la terre ; dalet, quatrième lettre, correspond aux quatre points cardinaux. On étirera la prononciation du dalet (le d du mot E’had), le temps de penser que le Saint béni soit-Il est unique en son monde et règne aux quatre coins de l’univers (Choul’han ‘Aroukh 61, 6 ; voir Michna Beroura 18).

Il semble qu’a posteriori on soit quitte de son obligation, même dans le cas où l’on n’a pas appliqué son esprit au commentaire exact de chaque mot et de chaque nom, dès lors que l’on a compris de façon générale le sens des mots, dont l’objet est la réception du joug de la royauté du Ciel[3].

Mais si l’on a laissé dériver son esprit et que l’on n’ait pas même été attentif au sens général des mots – lesquels contiennent l’idée de réception du joug de la royauté du Ciel – on n’est pas quitte de son obligation, et il faut relire le Chéma, cette fois avec kavana. Si l’on s’en aperçoit immédiatement après avoir terminé la récitation du premier verset, on attendra un peu, afin de ne pas paraître lire le Chéma deux fois, et l’on reprendra la lecture du premier verset à voix basse. Si l’on s’en aperçoit au milieu du premier paragraphe, on s’interrompra et l’on reviendra au début du Chéma en le lisant dans l’ordre. Si l’on s’en aperçoit au milieu du deuxième paragraphe, on terminera la lecture de ce paragraphe, puis on répétera l’intégralité du premier paragraphe ; après quoi, on passera au troisième paragraphe sans avoir besoin de répéter le deuxième. En effet, a posteriori, un changement apporté à l’ordre des paragraphes n’invalide pas la lecture (Michna Beroura 63, 14 ; Kaf Ha’haïm 17-18).

Afin d’éveiller la kavana, on a l’usage de lire le premier verset à haute voix. De même, on a l’usage de recouvrir ses yeux de la main droite, afin de ne rien regarder qui puisse dissiper la kavana (Choul’han ‘Aroukh 61, 4-5 ; Michna Beroura 17).


[2]. Béour Halakha 101, 1 (המתפלל), qui se fonde sur le Rachba, lui-même cité par le Beit Yossef 63, 4. Il semble que l’intention du Rachba soit de dire qu’il ne faut pas détourner sa pensée du sens du verset, car à cause de cela, on risquerait de ne pas prendre sur soi le joug de la royauté du Ciel ; mais a posteriori, celui qui a exercé son attention sur le sens des mots, même s’il a rêvassé en cours de route, n’a pas invalidé sa kavana.
[3]. Il semble que, lorsque nos maîtres parlent de la kavana à entretenir en prononçant le mot E’had, ils n’énoncent qu’une règle a priori. On raconte en effet dans Berakhot 13b que Rabbi Yirmiya étirait longtemps la prononciation du mot E’had ; Rabbi ‘Hiya lui dit : « Dès lors que tu as reconnu Son règne en haut, en bas et aux quatre points cardinaux, tu n’as pas besoin de prolonger davantage ta kavana». De même, en ce qui concerne la kavana appliquée aux noms divins : si la règle voulait que l’on ne s’acquittât pas de son obligation à défaut d’une kavana telle qu’elle est décrite par le Choul’han Aroukh (Ora’h ‘Haïm 5), le Talmud aurait nécessairement expliqué cette obligation de façon claire. Dans ce sens, Halikhot Chelomo cite les paroles de Rabbi Aqiba Eiger : « Il semble notamment, à notre humble avis, que n’est exigée, même pour le premier verset, que l’intention de recevoir la royauté du Ciel, et qu’il n’est pas nécessaire de comprendre le commentaire des mots pour être quitte. » D’après les propos du Michna Beroura 62, 3 également, il semble que la kavana exigée corresponde à une compréhension générale du verset. En effet, l’auteur écrit que même celui qui ne comprend pas la langue sainte fera mieux de réciter le Chéma en hébreu, car on ne voit guère de fils d’Israël qui ne sache au moins le sens littéral du premier verset. Cela laisse bien entendre que le Michna Beroura n’exige, pour se rendre quitte, qu’une compréhension générale. (Igrot Moché se prononce dans le même sens en ce qui concerne les noms divins, mais ajoute qu’il est en revanche indispensable de penser que Dieu est Un aux quatre coins du monde et que rien n’existe en dehors de Lui ; cette idée, explique-t-il, est l’extension de l’acceptation du joug de la royauté divine. En effet, c’est parce que rien n’existe indépendamment de Dieu qu’il est obligatoire de recevoir le joug de Son règne).

07 – La deuxième phrase et sa kavana

Immédiatement après le premier verset, on dit à voix basse : Baroukh chem kevod malkhouto lé’olam vaed (« Béni soit le nom de Celui dont le règne glorieux est éternel »). Bien que cette phrase ne fasse pas partie du paragraphe Chéma Israël tel qu’il apparaît dans la Torah, et bien qu’il ne s’agisse même pas d’un verset de la Bible, les sages ont décrété son inclusion dans le premier paragraphe du Chéma, en se fondant sur une tradition ancienne.

Le Talmud raconte, dans le traité Pessa’him (56a), qu’avant la mort de Jacob notre père, tous ses fils se rassemblèrent en sa présence, et qu’il voulut leur révéler les événements de la fin des temps. « La Présence divine se retira alors de Jacob, et il ne put leur révéler ces événements. Il dit à ses fils : “Peut-être l’un d’entre vous n’est-il pas digne (de se voir transmettre une telle révélation)[e] – comme il arriva à Abraham, dont est issu Ismaël, et à Isaac, mon père, dont est issu Esaü –, et m’est-il impossible pour cette raison de vous dévoiler les événements de la fin des temps ?” Tous dirent alors : “Ecoute Israël, l’Eternel est notre Dieu, l’Eternel est Un ; de même qu’il n’est qu’un Dieu en ton cœur, de même il n’est qu’un Dieu en notre cœur.” À ce moment, Jacob dit : “Béni soit le nom de Celui dont le règne glorieux est éternel.” Les sages ont dit : “Quant à nous, que ferons-nous ? Dirons-nous cette phrase [en récitant le Chéma] ? Or elle n’est pas écrite dans la paracha ! Ne la dirons-nous pas ? Mais Jacob notre père, que la paix repose sur lui, l’a lui-même prononcée !” Aussi ont-ils décidé qu’elle serait dite à voix basse. »

Cette phrase est considérée comme l’extension de la réception du joug de la royauté du Ciel mise en œuvre au premier verset. Aussi, pour cette phrase, comme pour le premier verset, il est obligatoire de concentrer son esprit sur le sens des mots. Dans le cas où l’on aurait lu cette phrase sans kavana, il faudrait en répéter la lecture avec kavana (Michna Beroura 63, 12).

Il est bon de marquer une petite interruption entre les mots lé’olam vaed (« à jamais », derniers mots de cette phrase dite à voix basse), et véahavta (« Tu aimeras », premier mot du verset suivant), afin de distinguer la réception du joug de la royauté du Ciel du reste du paragraphe. De même, il convient de marquer une interruption entre le premier verset (Chéma Israël…) et la phrase dite à voix basse (Baroukh chem…), afin de distinguer la réception du joug de la royauté du Ciel telle que la Torah la prescrit de ce qu’ont ajouté les sages (Choul’han ‘Aroukh et Rama 61, 14)[4].

Bien que la foi en l’unité divine soit un sujet plus profond que les océans, nous aborderons quelque peu sa signification. Le premier verset, Chéma Israël, exprime la foi supérieure, absolue et unitaire, et est appelé « unicité supérieure » (yi’houd ‘e-lion). A ce niveau supérieur de conception, rien d’autre n’a d’existence réelle dans le monde ; Dieu est seul en Son monde, et nous sommes tous insignifiants face à Lui. Et puisque l’essence infinie de Dieu ne se dévoile pas en ce monde, il est difficile de concevoir l’unicité supérieure de façon constante ; ce n’est que deux fois par jour, au moment de la récitation du verset Chéma Israël, que nous sommes tenus de nous élever à ce niveau. La deuxième phrase est appelée « unicité inférieure » (yi’houd ta’hton). Par elle, nous prenons sur nous le joug de la royauté du Ciel selon la foi qui se dévoile en ce monde-ci, foi selon laquelle le monde n’est pas nul et non avenu, mais réel et existant, et Dieu, béni soit-Il, le fait vivre et règne sur lui. Selon Sa volonté, Il ajoutera au monde un supplément de vie ou, ce qu’à Dieu ne plaise, diminuera sa vitalité. On dit à ce propos que « Son nom et Sa royauté se dévoilent dans le monde », comme nous le mentionnons : « Béni soit le nom de Celui dont le règne glorieux est éternel » (Tanya, Chapitre de l’unification et de la foi ; Néfech Ha’haïm, chapitre 3).


[e]. Jacob craignait que le retrait de son inspiration divine ne fût motivé par l’indignité éventuelle de l’un de ses fils. Sa crainte reposait sur l’exemple de son père et de son grand-père, eux-mêmes justes, mais dont une partie de la descendance n’avait pas suivi les voies. La cause du retrait était autre : Dieu ne permet pas que soit dévoilé à chacun le terme de l’histoire.
[4]. Selon le Levouch et le Maguen Avraham, si l’on omet la lecture de Baroukh chem…, on n’est pas quitte, puisque les sages en ont institué la récitation, et il faut donc répéter la récitation du premier paragraphe. Mais d’après le Chilté Haguiborim, le Ba’h et le Béour Halakha (61, 13 אחרי), on est quitte. La preuve en est trouvée dans Berakhot 13a, où l’on voit que celui qui lit le Chéma dans le cadre, non de la prière, mais d’une lecture de la Torah, est néanmoins quitte de son obligation de réciter le Chéma, pour peu qu’il ait l’intention de s’acquitter par cette lecture. Or, dans la Torah, on ne trouve précisément pas la mention de Baroukh chem. Par conséquent, si l’on commence la récitation du verset Véahavta, et que l’on s’aperçoive que l’on ne s’est pas concentré sur Baroukh chem, il ressort des paroles du Béour Halakha que l’on n’est pas tenu de revenir en arrière ; et c’est ce qu’écrit explicitement le Aroukh Hachoul’han (c’est aussi ce qu’écrit le Iché Israël). Cependant, des propos du Levouch et du Maguen Avraham, il ressort que l’on doit revenir en arrière, et c’est ce qu’écrit le Kaf Ha’haïm 61, 45. Le même auteur (63, 16) rapporte au nom de Rabbi Isaac Louria que, lorsque l’on revient en arrière pour répéter Baroukh chem, il faut reprendre la lecture depuis le verset Chéma Israël.

08 – Les mitsvot requièrent une intention

Les Amoraïm (maîtres du Talmud) et les Richonim (décisionnaires médiévaux) sont partagés sur la question de savoir si les commandements requièrent une intention. Lorsque la Torah nous enjoint d’accomplir une mitsva déterminée, l’acte même est-il suffisant en tant que tel, ou faut-il former l’intention, en l’accomplissant, de réaliser l’ordre du Créateur ? En pratique, la règle est que les mitsvot requièrent une intention (kavana). On peut expliquer le motif de cette règle en disant que, de la même façon que l’homme est doté d’un corps (gouf) et d’une âme (néchama), et qu’à défaut de l’un ou de l’autre il ne saurait vivre, ainsi la mitsva nécessite un corps et une âme. Le corps est l’acte de la mitsva, et la kavana, l’intention qui accompagne l’accomplissement de la mitsva, constitue son âme.

Par conséquent, si l’on récite, au cours d’une lecture de la Torah, la section Vaet’hanan, dans laquelle se trouve le premier paragraphe du Chéma, et qu’arrive le moment de la lecture du Chéma, on sera quitte de l’obligation de lire le Chéma à la condition d’avoir eu l’intention de faire cette lecture en tant que mitsva de lecture du Chéma. En revanche, si l’on s’est contenté de continuer sa lecture comme à son habitude, sans former l’intention d’accomplir la mitsva de lecture du Chéma, on n’est pas quitte de son obligation à l’égard de cette mitsva (Berakhot 13a ; Choul’han ‘Aroukh 60, 4).

Nous voyons donc que, lors de la lecture du Chéma, nous devons prêter attention à deux types de kavana : d’une part, comme dans toutes les mitsvot, nous devons avoir conscience de ce que, par l’acte que nous faisons, nous réalisons la mitsva de Dieu ; d’autre part, de façon spécifique à la lecture du Chéma, nous devons prêter attention  au sens des mots que nous prononçons. En effet, puisque l’aspect essentiel de la mitsva de lecture du Chéma est de prendre sur soi le joug de la royauté du Ciel, c’est une obligation que de prêter attention au sens des mots que nous prononçons. Et comme nous l’avons vu au paragraphe 6, si l’on n’applique pas sa pensée au sens des mots du verset Chéma Israël, on n’est pas quitte de son obligation, et l’on doit le relire avec kavana.

Revenons à présent à la kavana générale, celle qui relève de toutes les mitsvot. Il arrive que la kavana soit « flottante » (kavana rédouma) ; or cette attention flottante elle-même est suffisante a posteriori. Par exemple, lorsqu’un homme se rend à la synagogue pour prier et qu’il lit le Chéma au cours de sa prière, il s’acquitte par là de son obligation, bien qu’il n’ait pas spécifié consciemment son intention d’accomplir la mitsva de lire le Chéma. Car si on lui demandait : « Pourquoi as-tu lu le Chéma ? », il répondrait tout de suite : « Pour accomplir la mitsva ». Par conséquent, dans un tel cas, la lecture a été caractérisée par une kavana flottante, en veilleuse. De même, si l’on met des téphilines et s’enveloppe d’un talith, même dans le cas où l’on ne spécifie pas consciemment son intention d’accomplir la mitsva, il est de toute façon clair que l’intention de ces actes n’est autre que d’accomplir la mitsva ; et puisqu’une intention flottante est présente, on est quitte de son obligation (Talmud de Jérusalem, Pessa’him 10, 3 ; ‘Hayé Adam 68, 9 ; Michna Beroura 60, 10)[5].

De nombreuses personnes ne savent pas que la raison centrale pour laquelle on lit le troisième paragraphe du Chéma (Vayomer) est d’accomplir par cela la mitsva du souvenir de la sortie d’Egypte, sujet mentionné à la fin du paragraphe. Or ceux qui ne le savent pas ne s’acquittent pas de leur obligation. En effet, si on leur demande pour quelle raison ils ont lu le paragraphe Vayomer, ils ignorent que cette lecture a pour but de mentionner la sortie d’Egypte. Il apparaît donc que, durant leur lecture de ce paragraphe, ils n’avaient pas même une kavana flottante. Aussi faut-il enseigner publiquement que nous lisons le paragraphe Vayomer dans le but de mentionner la sortie d’Egypte.


[5]. De même, si l’on va à la synagogue pour écouter la sonnerie du chofar à Roch Hachana ou la lecture du rouleau d’Esther (Méguila) à Pourim, et que l’on ne pense pas spécifiquement que l’on veut accomplir la mitsva, on est néanmoins quitte a posteriori de son obligation. En effet, le fait même d’aller à la synagogue indique une volonté d’accomplir la mitsva, et l’on se trouve dans un cas de kavana En revanche, si l’on est chez soi, que l’on entende le son du chofar ou la lecture de la Méguila en provenance de la synagogue toute proche, et que l’on ne spécifie pas son intention d’accomplir la mitsva par son écoute, on ne se rend pas quitte. Toutefois, selon ceux qui pensent que les mitsvot ne requièrent pas d’intention, on est quitte.

Le fond de la controverse se trouve au traité Berakhot 13a et au traité Roch Hachana 28-29a. Selon Rava, les commandements ne requièrent pas de kavana pour être valides ; pour Rabbi Zeira, ils requièrent une kavana. Mentionnons quelques décisionnaires : pour Tossephot et les élèves de Rabbénou Yona, les mitsvot ne requièrent pas de kavana ; face à eux, le Halakhot Guédolot, le Rif et le Roch pensent qu’elles requièrent une kavana. C’est dans ce dernier sens que tranche le Choul’han ‘Aroukh, Ora’h ‘Haïm 60, 4. Le Béour Halakha explique que, de l’avis même de ceux qui pensent que les mitsvot ne nécessitent pas de kavana pour être valides, deux conditions sont cependant nécessaires à la validité de la mitsva. a) On doit savoir, au moment de l’accomplissement de l’acte, qu’il existe un tel commandement. Par exemple, si l’on dit le Chéma, on doit être conscient de l’existence d’une mitsva de lecture du Chéma ; au moment de la consommation de la matsa (pain azyme), savoir qu’il existe une mitsva de consommation de la matsa. Si l’on savait cela au moment de l’acte, bien que l’on fût dépourvu de kavana, même flottante, on est quitte de son obligation, selon cette opinion. b) On doit avoir l’intention d’accomplir l’acte lui-même, de façon que celui-ci ne soit pas le produit involontaire d’une occupation autre. Si l’on souffle dans un chofar, par exemple [pour faire de la musique], et que les sons produits soient, de façon accidentelle, identiques à ceux d’une sonnerie de chofar conforme à la règle, on n’aura pas pour autant accompli la mitsva.

Les décisionnaires sont encore partagés sur le point de savoir si la kavana est également une condition de validité de la mitsva dans le cas d’une mitsva rabbinique. Le Maguen Avraham écrit au nom du Radbaz que, pour ce qui concerne les mitsvot rabbiniques, l’absence d’intentionnalité n’est pas une cause d’invalidité de la mitsva. Il semble que cette opinion procède de l’idée que la halakha, en ce domaine, est douteuse : nous ne savons pas qui, de Rava ou de Rabbi Zeira, est plus prêt de la vérité. Par conséquent, pour une règle de rang toranique, on tranche le droit selon l’opinion rigoureuse, tandis que pour une règle de rang rabbinique, on suit l’opinion indulgente. Toutefois, selon le Elya Rabba, le Gaon de Vilna et le ‘Hida, la règle finalement tranchée est que les mitsvot requièrent une intentionnalité, même en ce qui concerne les mitsvot rabbiniques. Et c’est ce que laisse entendre le Choul’han ‘Aroukh. En tout état de cause, en matière de bénédiction, et même en ce qui concerne des bénédictions dites à l’occasion de l’accomplissement de mitsvot toraniques, on tient compte de l’opinion selon laquelle la validité des mitsvot n’est pas conditionnée par la kavana, car nous avons pour principe qu’ « en cas de doute en matière de bénédiction, on est indulgent ». Aussi, celui qui n’a pas appliqué son attention au départ, et bien qu’il doive répéter l’acte même de la mitsva, ne doit cependant pas répéter la bénédiction se rapportant à cette mitsva, de crainte que la halakha ne soit conforme à l’opinion selon laquelle les mitsvot ne nécessitent pas de kavana pour être valides (Michna Beroura 60, 10 et Béour Halakha). [Par exemple, si l’on a mangé de la matsa, le premier soir de Pessa’h, sans intention d’accomplir la mitsva, on devra consommer de nouveau la quantité requise de matsa, mais on ne répétera pas pour autant la bénédiction se rapportant à la mitsva.]

09 – Règles de la récitation du Chéma

On lit le Chéma avec une grande concentration, avec crainte, révérence, tremblement et frisson. On pense en son for intérieur que l’on est en train de lire la parole du Roi, le Saint béni soit-Il. Et bien que nous lisions le Chéma chaque jour, matin et soir, nous devons nous efforcer de nous concentrer sur le sens des mots comme s’ils étaient nouveaux pour nous (Choul’han ‘Aroukh 61, 1-2).

En plus d’être concentré, le lecteur doit être précis dans la prononciation des lettres : il ne faut avaler aucune lettre, ne pas accentuer une lettre spirante, ni aspirer une lettre accentuée. De même, il faut a priori distinguer l’une de l’autre les lettres aleph et ‘ayin, khaf et ‘het, et distinguer les voyelles qamats et pata’h, tséré et ségol (Choul’han ‘Aroukh, Ora’h ‘Haïm 61, 14-23). Les sages ont dit : « Quiconque lit le Chéma en prononçant avec précision toutes ses lettres, on refroidit à son profit le feu de la géhenne » (Berakhot 15b). A posteriori, si l’on a lu le Chéma sans être précis dans la prononciation des lettres, on est quitte, à condition de ne pas avoir escamoté tout un mot ou toute une syllabe (Choul’han ‘Aroukh 62, 1 ; Michna Beroura 1).

Il faut rendre audible à son oreille ce qui sort de sa bouche, durant la récitation du Chéma. A posteriori, si l’on a simplement articulé les mots sans les avoir rendus audibles à son oreille, on est quitte, puisque l’on a accompli un acte par le mouvement de ses lèvres. Mais si l’on s’est contenté de penser les mots du Chéma, on n’est pas quitte de son obligation, puisque l’on n’en a pas articulé le texte (Choul’han ‘Aroukh 62, 3 ; voir ci-dessus, chap. 1 § 9)[6].

Si l’on s’en tient à la stricte règle, quoiqu’il convienne  a priori de lire le Chéma et de prier dans la langue sainte,  la récitation du Chéma ou de la prière dans une langue autre que l’hébreu nous rend quitte, à condition de comprendre cette autre langue (cf. plus haut, chap. 1 § 10). Toutefois, certains grands décisionnaires modernes écrivent que, de nos jours, il est impossible de s’acquitter de la lecture du Chéma dans une autre langue que l’hébreu, car nous ne savons pas traduire certains mots avec précision. Par exemple, l’expression véchinnantam (« tu les enseigneras ») contient à la fois une idée de répétition et d’aiguisement de l’esprit (« tu les répéteras et les enseigneras avec une précision aiguë ») ; or il ne se trouve pas un verbe semblable dans les langues autres que l’hébreu. Puisqu’il est donc impossible de traduire le Chéma de façon précise, on ne peut le réciter dans une langue étrangère (Michna Beroura 63, 3)[7].


[6]. Selon les élèves de Rabbénou Yona, il convient de réciter le Chéma en suivant ses signes musicaux (téamim) ; certains ont coutume de mettre en pratique ce supplément de perfection (hidour) apporté à la mitsva (Choul’han ‘Aroukh 61, 24). D’autres disent que l’essentiel est la kavana; par conséquent, s’il est difficile de se concentrer sur le sens des mots tout en respectant la mélodie des téamim, on fera mieux de lire le Chéma sans tenir compte des téamim (Rama, Michna Beroura 61, 38).

Le Michna Beroura (61, 40) écrit que, selon la majorité des décisionnaires, on peut s’acquitter de l’obligation de lecture du Chéma en l’entendant réciter par un autre. Selon le Aroukh Hachoul’han, on peut s’acquitter par la simple écoute, à condition que dix personnes soient présentes. (Les décisionnaires sont partagés sur le point de savoir si celui qui se rend quitte par l’écoute doit ou non comprendre toute la paracha. Cf. Michna Beroura ad loc., Iché Israël 20, 26).

[7]. Cette décision est difficile à comprendre. En effet, une traduction ne peut jamais rendre compte de la source avec une entière précision ; or, si les sages du Talmud disent que l’on s’acquitte de la lecture du Chéma en toute langue, cela laisse bien entendre que, selon eux, il n’est pas nécessaire que la traduction soit parfaitement précise. Mais le Aroukh Hachoul’han explique qu’effectivement, à l’époque de la Michna et du Talmud, on connaissait la langue sans doute aucun ; tandis que, de nos jours, où nous avons des doutes quant à la signification de certains mots, nous ne pouvons plus traduire parfaitement. L’auteur, Rabbi Ye’hiel Mikhal Epstein (1829-1908 de l’ère civile), donne plusieurs exemples de doute et conclut : « Par conséquent, de nos jours, il est interdit de réciter le Chéma, la ‘Amida et les différentes bénédictions autrement que dans la langue sainte. Et c’est ce qu’ont enseigné les grands de la Torah, il y a environ quatre-vingts ans. »

Cela reste pourtant difficile : au-delà de quatre-vingts ans, n’y avait-il point de doutes ? Pourquoi donc les décisionnaires n’ont-ils pas enseigné auparavant que l’on ne se rendait pas quitte par la récitation d’une traduction ? Peut-être cette question n’était-elle pas alors fréquente, et qu’elle n’a donc pas été écrite. On peut aussi soutenir que, de nos jours (principalement après la création de l’imprimerie), nous sommes plus pointilleux quant au sens précis des mots. Dès lors, les doutes se sont multipliés ; aussi, de notre point de vue, de nos jours, les traductions ne sont pas précises, et l’on ne peut se rendre quitte par elles de son obligation ; en revanche, lorsqu’on n’était pas si pointilleux sur le sens extérieur du mot, et que l’accent était mis sur l’idée qui s’en dégageait au sein du contexte, la traduction était considérée comme précise. Quoi qu’il en soit, en pratique, même de nos jours, un converti qui ne sait ni lire ni comprendre l’hébreu doit, selon le Meqor ‘Haïm, réciter le Chéma dans une traduction.

10 – Façon de réciter le Chéma

Il est permis de réciter le Chéma debout, assis ou couché sur le côté. Certes, selon la maison d’étude de Chamaï, il faut réciter le Chéma du soir en étant allongé, et celui du matin en se tenant debout, comme il est dit : « En te couchant et en te levant ». Cependant, la halakha est conforme à l’opinion de la Maison d’étude de Hillel, selon laquelle l’intention de la Torah n’est ici que de nous instruire des temps de lecture du Chéma : celui-ci doit se dire lorsque les gens sont couchés et lorsque les gens se lèvent ; en revanche, aucune limitation n’est donnée par la Torah quant à la posture du lecteur (Berakhot 10a ; Choul’han ‘Aroukh 63, 1).

On peut apprendre de cette règle que la foi (émouna) n’est pas une chose détachée du monde, et qui ne pourrait être atteinte que dans des circonstances particulières. La foi, qui s’exprime par le biais de la récitation du Chéma, relève de toutes les circonstances de la vie de l’homme dans ce monde-ci ; aussi peut-on lire le Chéma dans toutes les postures.

Si l’on s’en tient à la règle stricte, on peut même lire le Chéma en marchant, comme il est dit : « Ces paroles… tu les diras… en marchant en chemin » (Dt 6, 7). Toutefois, les sages ont dit qu’il ne convenait pas de prendre sur soi le joug de la royauté du Ciel comme s’il s’agissait d’une chose accidentelle. Aussi, il est recommandé à celui qui se trouve en chemin de se tenir immobile durant la récitation du premier verset du Chéma (Choul’han ‘Aroukh 63, 3 ; Michna Beroura 9). Il est interdit de lire le Chéma en étant étendu sur le dos ou sur le ventre, car ce n’est pas une façon respectueuse de le réciter (Choul’han ‘Aroukh 63, 1 ; voir aussi Choul’han ‘Aroukh, Even Ha’ézer 23, 3)[8].

En raison de l’importance du premier paragraphe, dans lequel nous recevons le joug de la royauté du Ciel, on doit prendre garde, en le lisant, de se livrer à quelque autre occupation, ou de faire signe à autrui, de ses yeux, de ses doigts ou de ses lèvres (Choul’han ‘Aroukh 63, 6).


[8]. Selon le Choul’han ‘Aroukh 63, 1, conformément à l’avis de la majorité des Richonim, on peut a priori réciter le Chéma, allongé sur le côté. Toutefois, d’après les élèves de Rabbénou Yona, ce n’est que lorsqu’on s’est déjà déshabillé et couché, et qu’il est difficile de se rasseoir, que l’on peut réciter le Chéma allongé sur le côté ; mais a priori, on ne dira pas le Chéma allongé sur le côté. Le Rama tient compte de leurs paroles. En ce qui concerne la lecture du Chéma que l’on fait sur son lit avant de se coucher (cf. chapitre 26), et qui n’est pas une obligation toranique, le Maguen Avraham est d’avis qu’il n’y a pas lieu d’être rigoureux. Cf. Michna Beroura 239, 6.