Pniné Halakha

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Joie et bénédiction du foyer

05. La sainteté dont est porteuse l’observance des interdits sexuels

Comme nous l’avons vu, le premier degré de la sainteté matrimoniale consiste dans le fait que l’homme se lie à sa femme conformément à la halakha, et se garde des relations interdites. Maïmonide comptabilise trente-sept interdits toraniques, au titre des issouré bia (relations charnelles interdites) (Michné Torah, Qédoucha). On peut répartir ces interdits en cinq catégories. La première est celle des relations interdites au titre de la proximité familiale ; par exemple, l’union avec sa mère, sa fille, sa sœur, sa tante, sa belle-sœur, la fille ou la petite-fille de sa femme. Dans ce groupe, sont inclus la majorité des interdits. La deuxième catégorie comprend les cas de mésalliance : l’interdit de se marier avec des non-Juifs qui ne se sont pas convertis selon la halakha, l’interdit d’épouser un mamzer (personne issue de l’union adultérine d’une femme mariée et d’un homme autre que son époux), ou un eunuque. La troisième catégorie comprend l’union charnelle de deux hommes, ainsi que les relations zoophiles. La quatrième catégorie est celle de la femme mariée à autrui. La cinquième est l’interdit des relations charnelles avec une femme nida (isolée par la période mensuelle)[2].

Il existe encore un grave interdit sexuel : le fait de violer une femme ou un homme, et à plus forte raison des enfants. Ce péché est généralement commis à l’occasion de la transgression d’une des relations interdites au titre de la proximité familiale, ou de l’isolement de la femme nida, ou encore d’une relation homosexuelle entre hommes. Cependant, même quand le viol est commis en dehors de ces cas d’interdit, il porte très gravement atteinte à la personne violée, au point que, d’un certain point de vue, le viol est considéré comme un meurtre, ainsi qu’il est dit : « Car de même qu’un homme se lève contre son prochain pour le tuer, ainsi cette chose-là » (Dt 22, 26).

Dix-sept autres mitsvot sont consignées dans la Torah quant au cadre matrimonial, parmi lesquelles les lois du divorce, le lévirat (yiboum) et la cérémonie du déchaussage (‘halitsa), la règle applicable au séducteur, ainsi qu’au violeur d’une jeune fille vierge, et le statut de la femme sota (soupçonnée d’adultère)[3].

Ne prenons pas à la légère la sainteté de celui qui se garde de tous ces interdits et observe toutes ces mitsvot. Nous voyons qu’en pratique la majorité de ceux qui ne prennent pas sur eux le joug de la Torah et des mitsvot échouent à préserver l’alliance contractée avec leur conjoint. Parmi les personnes pratiquantes elles-mêmes, ce n’est pas tout le monde qui réussit à tenir bon à cet égard.

Nos sages enseignent : « Quiconque s’abstient de commettre une transgression, on lui accorde une récompense semblable à celle qu’il eût reçu pour l’accomplissement positif d’une mitsva. Rabbi Chimon, fils de Rabbi, a enseigné : “Il est dit en effet : Seulement, montre-toi fort, en t’abstenant de consommer le sang, car le sang, c’est la vie même… (Dt 12, 23). Or, si celui qui s’abstient de consommer du sang – chose que l’homme a en dégoût – est récompensé de cette abstention, à combien plus forte raison celui qui s’abstient du vol et des unions interdites, que l’homme désire et convoite, s’acquerra-t-il un mérite, pour lui ainsi que pour ses générations, et pour les générations de ses générations, jusqu’à la fin de toutes les générations » (Michna Makot 3, 16). De même, il est écrit : « Soyez saints, car Je suis saint, Moi, l’Éternel votre Dieu » (Lv 19, 2). Rachi explique ce que vise le verset, quand il parle ici de sainteté : « Abstenez-vous (littéralement : soyez séparés) des unions interdites et de la transgression. Car en tout endroit où tu trouves une mesure de précaution destinée à prévenir la transgression d’une union interdite, tu trouves la sainteté. » Nous voyons de là que toute personne qui respecte l’alliance de son mariage est appelée sainte (qadoch).


[2]. Voici la liste des mitsvot relevées par Maïmonide dans l’introduction aux lois sur les unions interdites, au livre Qédoucha du Michné Torah : 1) Ne pas avoir de relations charnelles avec sa mère ; 2) la femme de son père ; 3) sa propre sœur ; 4) la fille de la femme de son père ; 5) la fille de son fils ; 6) sa propre fille ; 7) la fille de sa fille ; 8) ne pas épouser une femme et sa fille ; 9) ne pas épouser une femme et la fille de son fils ; 10) ne pas épouser une femme et la fille de sa fille ; 11) ne pas avoir de relations charnelles avec la sœur de son père ; 12) avec la sœur de sa mère ; 13) la femme du frère de son père ; 14) la femme de son fils ; 15) la femme de son frère ; 16) la sœur de sa femme ; 17) ne pas s’accoupler à un animal ; 18) l’interdit pour une femme de s’accoupler à un animal ; 19) l’interdit de la relation homosexuelle avec un homme ; 20) ne pas « découvrir la nudité » de son père [c’est-à-dire ne pas avoir de relation charnelle avec lui] ; 21) ne pas découvrir la nudité du frère de son père ; 22) ne pas avoir de relation charnelle avec une femme mariée à un autre homme ; 23) avec une femme nida (isolée par son flux) ; 24) ne pas se marier avec des non-Juifs ; 25) l’interdit d’intégrer à l’assemblée d’Israël l’Ammonite et le Moabite ; 26) ne pas interdire, en revanche, l’intégration à l’assemblée d’Israël de l’Égyptien, à partir de la troisième génération ; 27) ne pas interdire l’intégration à l’assemblée d’Israël de l’Iduméen, à partir de la troisième génération ; 28) interdire l’intégration à l’assemblée d’Israël du mamzer (personne issue d’une relation entre une femme mariée et un homme autre que son mari) ; 29) interdire l’intégration à l’assemblée d’Israël du saris (eunuque) ; 30) l’interdit d’énucléer un mâle, même s’il s’agit d’une bête domestique, d’une bête sauvage ou d’un oiseau ; 31) l’interdit pour le Grand-prêtre (Cohen gadol) d’épouser une veuve ; 32) l’interdit pour le Grand-prêtre de s’unir charnellement à une veuve, même sans l’épouser ; 33) l’obligation faite au Grand-prêtre d’épouser une femme vierge ; 34) l’interdit, pour un prêtre (cohen) d’épouser une femme divorcée ; 35) l’interdit, pour un prêtre, d’épouser une zona (prostituée) ; 36) l’interdit, pour un prêtre, d’épouser une femme ‘halala (femme issue de l’union d’un prêtre et d’une femme qu’il lui était interdit d’épouser) ; 37) l’interdit de s’approcher (par un contact physique exprimant le désir) de quelqu’une des personnes auxquelles il est interdit de s’unir, et ce, même sans qu’il y ait relation charnelle.

[3]. Le volume Nachim du Michné Torah est consacré entièrement à ces règles. Mentionnons les mitsvot toraniques, telles que Maïmonide en dresse la liste dans cet ouvrage : « Les règles de la vie matrimoniale comprennent quatre mitsvot essentielles : a) épouser une femme en établissant une ketouba [acte de mariage] et en lui remettant les qidouchin [objet, tel qu’une bague, dont la remise à la femme formalise la création du lien matrimonial] ; b) ne pas avoir de relations charnelles avec une femme sans être lié à elle par le biais d’une ketouba et de qidouchin ; c) ne rien retrancher à la nourriture, aux vêtements ni au droit conjugal revenant à la femme ; d) croître et multiplier par elle.

Les règles du divorce (guérouchin) comprennent deux mitsvot : 1) l’homme doit divorcer en remettant un acte (le guet) à son épouse ; 2) il est interdit d’épouser de nouveau son épouse si celle-ci a été remariée à un tiers entre-temps.

Les règles du lévirat (yiboum) et de la cérémonie de ‘halitsa comprennent trois mitsvot : 1) le devoir d’épouser la femme de son frère décédé sans descendance ; 2) le devoir de se prêter à la cérémonie libératoire qu’est la ‘halitsa, dans le cas où l’on n’exerce pas le lévirat ; 3) l’interdit fait à la femme, quand elle est susceptible d’être épousée en vertu du lévirat, de se marier à un tiers, tant qu’elle n’est pas dégagée de l’option offerte à son beau-frère.

Les règles applicables à la jeune fille vierge comprennent cinq mitsvot : 1) imposer une amende au séducteur ; 2) l’obligation faite au violeur d’épouser la femme violée ; 3) l’interdit fait au violeur de divorcer de la femme qu’il avait violée ; 4) que la femme victime de calomnie reste pour toujours mariée à celui qui l’avait calomniée ; 5) l’interdit pour le calomniateur de divorcer de son épouse.

Les règles de la sota comprennent trois mitsvot : 1) appliquer à la femme suspecte d’adultère la procédure décrite par la Torah pour lever la jalousie de son mari ; 2) ne pas mettre d’huile sur son sacrifice ; 3) ne pas y mettre d’encens.

06. Les mitsvot en tant que barrière protectrice contre la faute

Outre sa valeur intrinsèque, grâce à laquelle s’exprime l’amour entre époux, la mitsvat ‘ona constitue également une protection contre la faute des relations adultères. Aussi, celui qui n’est pas marié est davantage exposé à la tentation du mauvais penchant ; il doit se renforcer davantage, par le biais de la Torah et des mitsvot, afin de conserver, pour l’être qui lui est véritablement destiné, et dont le lien sera sanctifié par le cadre matrimonial, les facultés d’amour qui sont en lui. Quelquefois, le penchant au mal devient très puissant, au point qu’il est très difficile de lui résister ; alors, plus l’homme se sera renforcé grâce à l’étude de la Torah et à la pratique des mitsvot, plus il trouvera de forces en lui-même pour préserver son âme. Et cela même résulte de l’aide divine.

Le Talmud raconte ainsi (Mena’hot 44a) :

Rabbi Nathan a enseigné : « Il n’est pas de mitsva inscrite dans la Torah, aussi facile soit-elle à accomplir, à qui ne soit associée une récompense en ce monde-ci ; quant à la rétribution dans le monde futur, je ne peux même savoir à combien elle s’élève. Apprends cela de la mitsva des tsitsit (franges rituelles). Il arriva qu’un homme, qui observait scrupuleusement la mitsva des tsitsit, entendit parler d’une prostituée, se trouvant au-delà des mers, demandant pour ses services quatre cents zehouvim (pièces d’or). Il lui fit envoyer quatre cent zehouvim, et lui fixa un rendez-vous. Quand le moment fut venu, il vint attendre à l’entrée de chez elle. Sa servante arriva, qui dit à sa maîtresse : “Cet homme, qui t’a expédié quatre cent zehouvim est arrivé ; il attend à la porte.” Elle répondit : “Qu’il entre.” Il entra. Elle lui prépara sept lits, six d’argent, l’autre d’or ; chaque lit était séparé du suivant par une échelle d’argent ; la dernière était d’or. Elle monta sur le marchepied supérieur et s’y installa nue ; lui aussi y monta et s’installa nu face à elle. Alors ses quatre tsitsit vinrent le frapper au visage ; sur quoi il glissa et s’assit sur le sol. Elle aussi glissa et s’assit sur le sol. Elle lui dit : “Par l’empereur de Rome ! Je ne te laisserai pas que tu ne m’aies dit quel défaut tu as trouvé en moi.” Il lui dit : “Par le service du Temple ! Je n’ai jamais vu de femme aussi belle que toi. Mais l’Éternel notre Dieu nous a prescrit un commandement, dont le nom est tsitsit. Au sujet de ce commandement, il est écrit deux fois : Je suis l’Éternel votre Dieu (Nb 15, 41). [Ce redoublement de l’expression signifie :] Je suis Celui qui punira, et Je suis Celui qui récompensera. À présent, les [quatre] tsitsit me sont apparus comme quatre témoins [prêts à déposer contre moi].” Elle lui dit : “Je ne te laisserai pas que tu ne m’aies dit ton nom, le nom de ta ville, le nom de ton maître et le nom de la maison d’étude où tu apprends la Torah.” Il lui écrivit ces informations et les lui remit. Elle se leva et divisa toute sa fortune : un tiers pour le royaume [afin qu’on la laissât se convertir], un tiers pour les pauvres [afin d’expier ses fautes], et un tiers qu’elle prit pour elle-même, en sus des lits susmentionnés.

Elle se rendit à la maison d’étude de Rabbi ‘Hiya. Elle lui dit : “Mon maître, ordonne que l’on me convertisse au judaïsme.” Il lui dit : “Ma fille, peut-être as-tu posé les yeux sur l’un des disciples ?” Car il craignait qu’elle ne voulût épouser un des disciples des sages parce qu’elle n’avait point trouvé d’autre époux parmi son peuple, ou qu’elle ne désirât l’argent dudit disciple, et qu’elle ne souhaitât donc pas se convertir au nom du Ciel. Elle dévoila alors l’écrit qu’elle avait en main, et le lui remit. Il y était relaté l’histoire qui avait eu lieu, le fait qu’elle était riche et que de nombreux hommes la désiraient, mais qu’elle avait choisi un disciple pour la grandeur de son esprit. Puisqu’il en était ainsi, Rabbi ‘Hiya accepta de la convertir. Il lui dit : “Va, profite de ton acquisition !” Ces mêmes lits qu’elle lui avait préparés de manière interdite, elle les lui prépara désormais de manière permise. Telle fut la récompense de cet homme en ce monde-ci. Quant à sa récompense dans le monde future, j’ignore à combien elle s’élève. »

Nous voyons que, lorsque cet ardent désir tombe dans la prostitution, il est mauvais. Mais lorsqu’il s’épanouit dans le cadre bien ordonné du mariage, il est bon et saint ; on le considère même comme une récompense divine.

07. Santé de l’esprit et réparation de l’âme

Il importe d’ajouter que, grâce à l’accomplissement de la mitsvat ‘ona dans la joie, on répare et l’on réconforte son âme, parce que Dieu créa l’être humain de telle façon que l’un de ses instincts centraux est l’instinct attirant mutuellement l’homme et la femme. Tous les hommes, il est vrai, ne sont pas égaux à cet égard ; certains ont un instinct plus puissant que d’autres. Mais il existe chez tous, et celui qui ne l’éprouve pas souffre, du point de vue psychique, d’un handicap. Chez la majorité des individus, il s’agit du plus fort des instincts ; et quand on le musèle, le psychisme risque de se déformer ; il devient difficile de remplir son rôle en tant qu’être humain. C’est aussi cela que visent les sages, lorsqu’ils disent : « Quiconque n’a pas de femme n’est pas un homme » (Yevamot 63a) ; car il est écrit : « Mâle et femelle Il les créa ; Il les bénit et les nomma Homme (adam) » (Gn 5, 2). Or, puisque cet instinct est si fort, l’épreuve à laquelle il soumet l’individu est difficile. C’est pourquoi la Torah a jugé bon de nous donner tant de mitsvot en ce domaine : afin d’orienter et d’amender cet instinct.

Certains hommes, et certaines femmes, pensent par erreur que, s’ils bridaient cet instinct et accomplissaient moins souvent cette mitsva, ils pourraient s’élever davantage dans l’échelle de la spiritualité. Le résultat risque d’être le contraire. En effet, il arrive que, en ne laissant pas s’exprimer ce désir conformément à la halakha, et en se bridant au-delà de ce qu’ordonne la Torah, l’homme tombe finalement dans de graves fautes d’unions interdites. Aussi, un homme qui, de par sa nature, aurait besoin de plus de relations conjugales que ce qu’ont fixé les sages, ne devra point s’efforcer de s’en abstenir et de suivre le modèle commun à la majorité. De même, quand une femme sent que son mari a davantage besoin de telles relations, il convient qu’elle l’y encourage, car c’est ce qui lui correspond et est bon pour lui, et, de cette façon, il préserve sa sainteté. Si, par contre, il devait se brider au-delà de ce qui lui convient, son penchant au mal risquerait de le provoquer, l’incitant à s’occuper de femmes étrangères, voire de petites filles. On le sait, il est fréquent que ceux qui tombent dans l’adultère ou le viol de mineures n’aient pas eu, durant la période précédant leur faute, de relations conjugales normales et conformes à la périodicité prescrite[4].

Si l’on s’élève dans la voie de la sainteté, en dirigeant cet instinct dans le cadre sanctifié du mariage, afin d’accroître amour et joie, les époux ont l’avantage de se relier à la racine de la vie. En effet, grâce à la mitsvat ‘ona, une étincelle divine repose entre les membres du couple, et se révèle dans le monde par leur intermédiaire. Ainsi que le dit Rabbi Aqiba : « L’homme et la femme, s’ils sont méritants, la Présence divine est entre eux » (Sota 17a ; cf. Zohar III, Ra’ya Méhemna 34a). C’est à ce propos que les kabbalistes écrivent de celui qui n’éprouve pas ce désir-là qu’un âne vaut mieux que lui : il ne peut rien comprendre dans sa plénitude, et il ne peut pas non plus aimer Dieu véritablement (Réchit ‘Hokhma, Cha’ar Ha-ahava, fin du chap. 4).

Nous l’avons vu (ci-dessus, chap. 1 § 5), le fondement de la foi d’Israël est la révélation de l’unité. Or par la mitsvat ‘ona, lorsqu’elle est accomplie avec désir et grand amour, l’unité se révèle dans le monde. En effet, par le biais de cet intense désir, deux personnes distinctes s’unissent entièrement l’un avec l’autre, et l’âme comme le corps participent ensemble à la mitsva ; le yétser hara’ (penchant au mal) lui-même se transforme pour le bien, et s’unit avec le yétser hatov (penchant au bien), pour intensifier la joie et l’amour entre époux. Grâce à cela, les époux peuvent se relier à la source de la vie, s’élever dans la foi (émouna), œuvrer au parachèvement et à la Délivrance du monde. Une partie d’eux-mêmes s’unit totalement à l’étincelle divine, et d’elle naît une vie nouvelle, ce par quoi les époux ont le mérite de devenir les associés du Saint béni soit-Il dans l’enfantement d’une âme nouvelle en ce monde (Nida 31a).


[4]. Nombre d’homme qui trompent leur femme et ont des relations adultères s’engagent dans cette voie après une période durant laquelle ils n’ont pas accompli leurs unions suivant la périodicité prescrite ; par exemple, une période de grossesse, d’accouchement, ou quand, en raison d’indispositions diverses, leurs femmes annulaient leurs relations charnelles. Même des crimes tels que les relations incestueuses, ou les viols de mineures, auraient pu être évités, dans bon nombre de cas, si des relations conjugales normales avaient été entretenues. C’est aussi pour cette raison qu’il faut prendre soin d’accomplir la mitsvat ‘ona conformément à la halakha, qu’il s’agisse des unions périodiquement fixées ou des unions supplémentaires, qui doivent s’accomplir lorsque l’un des époux en ressent le désir (cf. ci-dessus, chap. 2 § 7-8). Ce n’est que lorsque les deux époux sont d’accord, d’un cœur entier, pour annuler une union ou un certain nombre d’unions, que cela ne constitue pas une transgression de leur part ; simplement, ils manquent d’accomplir une mitsva.

Or de prime abord, certaines sources paraissent enseigner le contraire : selon elles, il semble préférable de brider son instinct, car c’est précisément de cette façon que l’on pourra le dominer. Ainsi : « Rabbi Yo’hanan a dit : “L’homme a un petit organe qui, s’il l’affame, est rassasié, et s’il le rassasie, est affamé” » (Souka 52b). Dans le même sens, le Raavad demande, dans Cha’ar Haqedoucha (cité par le Tour, Even Ha’ezer 25) : « Comment les sages ont-ils pu dire (en Sota 47a) de l’instinct [sexuel] qu’il est bon de le rapprocher de la main droite et de le repousser de la main gauche ? Nous voyons pourtant que les sages eux-mêmes ont fixé des unions régulières, obligatoires ; or, s’il en est ainsi, comment peut-on en limiter le nombre par la gauche qui repousse ? »

Dans sa réponse, le Raavad explique que ce passage du traité Sota vise les relations conjugales des tayalim [cf. ci-dessus, chap. 2 § 7 et note 5] : la périodicité de leurs relations est en principe quotidienne, et ce n’est qu’à leur propos que les sages enseignent que, si les deux époux sont d’accord, il est bon de limiter quelque peu cette fréquence. Au lieu qu’elle soit véritablement quotidienne, il est juste de « résister à son penchant et de ne pas satisfaire tout son désir, mais que la main gauche repousse et que la droite rapproche. Il ne s’agit point d’un complet rejet, car il se pourrait que, dans sa lutte contre son penchant afin de le contenir, on en vînt à annuler entièrement son devoir conjugal. »

Le Raavad explique encore que les sages visent, par leur maxime, l’homme qui voudrait avoir des relations plus fréquentes que la périodicité à lui prescrite. En un tel cas, que sa droite rapproche et que sa gauche repousse : qu’il ne satisfasse pas tout son désir. Comme l’explique Tossephot sur Souka 52b : « S’il le rassasie : s’il se livre beaucoup à l’union, de jour et de nuit. » En ce cas, cet organe ne se rassasie pas, mais reste affamé, car alors l’homme devient dépendant de cette excitation, tout comme ceux qui dépendent des drogues : ils ne peuvent plus se passer de leur dose de toxique, et, de temps en temps, afin d’éprouver de la satisfaction, ils doivent en augmenter la puissance. De telles relations charnelles ne sont plus l’expression de l’amour, mais la satisfaction d’une dépendance corporelle insatiable. C’est à ce propos que nos sages enseignent : « S’il l’affame, il se rassasie. » Mais cet enseignement ne vise en aucune façon à annuler une mitsva de la Torah en renonçant à des unions périodiquement fixées, ni à des unions dictées par l’éveil particulier d’un désir, au-delà même de la périodicité fixée.

08. Pureté et impureté

Il reste cependant à expliquer deux règles, l’une toranique, l’autre rabbinique, dont il semble résulter de prime abord que, malgré la sainteté de la mitsvat ‘ona, celle-ci comporte également un aspect d’impureté (touma).

Selon la Torah, l’émission séminale provenant d’un Israélite est l’un des facteurs-sources d’impureté (av hatouma). L’homme et la femme israélites ayant eu une relation charnelle conformément à la mitsva de la Torah, contractent eux-mêmes le niveau d’impureté appelé richon latouma (premier degré d’impureté), dès lors que du sperme a été émis à cette occasion[d]. Pour se purifier, ils doivent s’immerger dans un miqvé (bain rituel), puis attendre la tombée de la nuit. Alors ils retrouvent leur pureté ; il leur est alors permis d’entrer au Temple et de consommer la viande des sacrifices. S’ils sont cohanim (de la famille des prêtres), il leur est de nouveau permis de manger des offrandes. La règle est la même pour des ustensiles ou des vêtements qui auraient touché de la semence d’un Juif : ils deviennent impurs, et il est interdit de s’en servir ni de les porter lorsqu’on souhaite toucher aux choses pures et aux saintetés du sanctuaire. Pour les purifier, on doit les tremper dans un bain rituel. Il est dit en effet : « Quand un homme aura une émission de semence, il lavera à l’eau toute sa chair et sera impur jusqu’au soir. Tout vêtement, tout cuir sur lequel se trouverait de la semence émise, sera lessivé à l’eau et sera impur jusqu’au soir. Pour une femme avec laquelle un homme aurait cohabité charnellement, tous deux se laveront à l’eau et seront impurs jusqu’au soir » (Lv 15, 16-18)[5].

La notion d’impureté est l’expression d’un déficit de vie. Le cas le plus élevé d’impureté (avi avot hatouma, « principe des principes de l’impureté ») est celui du mort. L’impureté de nida (écoulement sanguin mensuel de la femme) est, elle aussi, l’expression d’une forme de mort, puisqu’il y avait une possibilité de commencement d’une grossesse, et que cette possibilité est perdue, morte en définitive. L’impureté liée à l’émission séminale illustre, elle aussi, la même idée : cette semence aurait pu engendrer la vie, mais elle s’est perdue et est devenue matière morte (Kouzari II 60-62). La Torah nous enseigne que, même lorsque la semence est émise pour accomplir la mitsvat ‘ona, elle est porteuse d’impureté. Dans le même sens, nous apprenons que la naissance elle-même rend impure la mère qui a enfanté. L’idée qui ressort de cela est que, chaque fois qu’une grande notion descend dans le monde pour s’y incarner, cela s’accompagne d’un certain degré de mort ; parce que la vision initiale, présidant à cette incarnation, est toujours plus élevée que sa réalisation. Les espoirs, à l’approche d’une naissance, sont merveilleux, le cœur est porté à croire que, après la naissance, le monde entier se transformera dans le bon sens, que l’enfant nouveau sera parfait. En pratique, après la naissance, on retombe dans la routine de l’existence, les douleurs et la faiblesse. Malgré le miracle de la naissance, le nouveau-né devra, lui aussi, se confronter à tous les défis accompagnant la vie de l’homme. Le corps lui-même ressent cela : c’est la dépression qui affecte la mère dans la période qui suit l’accouchement.

L’homme, lui aussi, ressent un certain abattement après que sa semence a été émise, quoique la chose se soit produite dans le cadre saint de la mitsvat ‘ona. Avant cela, il croyait que, dans peu de temps, il pourrait se rapprocher de son épouse bien-aimée, et que tout serait pour le mieux, perpétuellement. Son cœur se remplissait d’enthousiasme, et d’une émotion qui ne cessait de croître jusqu’à ce que sa semence fût émise ; or voici qu’il retombe dans la routine de ce monde-ci. Tout son enthousiasme s’est comme vidé. Les femmes, en revanche, n’ont presque pas de sensation de chute. Après avoir atteint le sommet du plaisir, la redescente vers ce monde est douce et facile. Quand l’union s’est accomplie dans l’amour et la joie, il en subsiste une sensation de calme et de satisfaction pendant une longue période. En effet, l’impureté provient de la semence de l’homme, et non des écoulements émanant de l’excitation de la femme.

L’on peut dire que l’abattement consécutif au sommet du plaisir de l’homme exprime le manque de celui-ci : il n’est pas tout à fait entier. Même lorsqu’il aime véritablement, ce n’est que très temporairement qu’il parvient à s’unir tout à fait à l’être aimé. Même lorsqu’il souhaite vraiment réjouir son épouse, il reste encore, dans une certaine mesure, « à l’intérieur de lui-même ». Il ne parvient pas à joindre tout le désir qu’il porte en lui au sentiment d’amour. S’il y réussissait, la mort ne subsisterait pas dans le monde ; il n’y aurait plus de dépression post-natale ni d’asthénie post-coïtale.

Les sages font allusion à cela quand ils expliquent la notion d’impureté liée à la naissance (Lv Rabba 14, 5) :

Certes, c’est dans le péché que j’ai été enfanté, dans la faute que ma mère m’a conçu (Ps 51, 7). Rabbi A’ha enseigne : « Quand même on serait le plus éminent parmi les hommes pieux, il est impossible que l’on n’ait, par aucun côté, trait au péché. David a dit devant le Saint béni soit-Il : “Maître des mondes, mon père, Ichaï, aurait-il voulu le moins du monde me faire exister ? N’est-il pas vrai qu’il n’avait d’autre intention que son plaisir ? Considère qu’il en est ainsi : après la fin de leur cohabitation, l’un se tourne d’un côté, l’autre se tourne de l’autre côté [pour s’endormir] ; et c’est Toi qui rassemble chaque goutte provenant de cette union [et t’inquiètes de faire vivre l’embryon].” C’est à ce propos que David dit : Car mon père et ma mère m’ont abandonné, et l’Éternel m’a recueilli (Ps 27, 10) ».


[d]. Le sperme lui-même a le statut d’av hatouma (source d’impureté) ; ce qui le touche contracte le statut de richon latouma, « premier degré d’impureté », c’est-à-dire : corps ayant été, au premier degré, en contact avec la source.

[5]. Les relations conjugales rendent impure la femme, non en raison du contact avec la semence émise par l’homme – en effet, ce contact se fait en un endroit caché du corps, endroit où le contact est insusceptible de rendre impur –, mais parce que, comme la Torah nous l’apprend, la relation charnelle en tant que telle la rend impure (Nida 41b-42a, Maïmonide, Chear avot hatouma 5, 9). Après le rapport, et pendant trois jours, si la femme rejette du sperme, elle en contractera l’impureté ; après ce délai, le sperme perd sa consistance, de sorte qu’il ne transmet plus d’impureté. Du sperme séché ne transmet pas non plus l’impureté ; le sperme d’un non-Juif non plus.

09. Le décret d’Ezra

Comme prolongement à la Torah, qui déclare impure l’émission de semence, Ezra le scribe et sa cour rabbinique ont décrété que l’homme ayant eu des relations conjugales, de même que celui qui, malgré lui, a constaté une émission séminale en dehors de telles relations, ne pourrait pas étudier la Torah ni prier, avant de s’être immergé dans un miqvé (Baba Qama 82b, Roch). La raison en est qu’il faut étudier la Torah « dans la crainte, la révérence, le frisson et le tremblement », de la façon même dont nous reçûmes la Torah au Sinaï ; tandis que la semence est émise « dans la frivolité et l’autosatisfaction » (Berakhot 22a, Rachi). Autre motif : « Afin que les Israélites ne soient pas comme ces coqs, qui, après l’accouplement, vont, viennent et mangent » (Talmud de Jérusalem, Berakhot 3, 4) ; de même : « Afin que les disciples des sages ne soient pas constamment avec leurs femmes, comme des coqs » (Berakhot 22a).

Il ne faut pas conclure de toutes ces raisons qu’il y aurait quelque tache dans l’union entre l’homme et sa femme. Simplement, il ne faut pas exagérer en cela, à la manière d’un coq, qui n’a rien d’autre à faire en son monde. L’homme a d’autres vocations, spirituelles, professionnelles ; s’il était constamment occupé à l’accouplement, à la manière d’un coq, il ne pourrait remplir ses différentes missions. L’immersion au bain rituel crée une certaine charge rituelle, destinée à assurer que l’homme accomplisse la mitsvat ‘ona selon la mesure qui lui convient, sans exagération.

De plus, l’immersion a pour but de séparer les domaines. La Torah doit s’étudier avec gravité, crainte et révérence, tandis que la mitsvat ‘ona possède un côté ludique, s’accomplit dans un sentiment de libération, une joie rompant les entraves, comme il est dit : « Or voici, Isaac riait (metsa’heq) avec Rébecca sa femme » (Gn 26, 8). Or Rachi explique que le terme metsa’heq vise ici les relations conjugales. De même, nos sages ont décrété que l’homme doit porter une ceinture « séparant son cœur de sa nudité », quand il prononce des paroles consacrées. Ainsi, une séparation est ménagée entre le cerveau et le cœur, sièges de l’intellect et du sentiment, d’une part, et le membre viril, siège de l’instinct génésique, faute de quoi il serait à craindre que les appétences provenant du membre viril ne se mêlassent aux pensées du cerveau et aux sentiments du cœur. L’ingérence de ces passions aurait pour effet la difficulté de l’homme à se concentrer sur les notions de l’esprit et du cœur, dans la pureté, au point que l’intellect et l’émotion deviendraient assujettis à la réalisation des désirs. Par conséquent, afin de fortifier le monde spirituel, l’homme doit étudier la Torah avec « crainte, révérence, frisson et tremblement », comme il convient à la gravité et à la sainteté des paroles toraniques. Grâce à cela, quand l’homme reviendra au côté matériel, il pourra diriger celui-ci d’une façon juste et parachevée. C’est pourquoi nos sages ont prescrit, parmi les bénédictions matinales (birkot hacha’har), d’exprimer notre reconnaissance envers Dieu pour la ceinture dont nous nous ceignons : « Béni sois-Tu… qui ceins Israël de bravoure. » Cette bravoure (guevoura), consistant à opérer une séparation entre cœur et nudité, libère l’homme de la servitude de l’instinct, et lui permet de sanctifier le penchant à la matérialité par le biais de la mitsvat ‘ona.

Toutefois, en pratique, la conduite instituée par le décret d’Ezra ne s’est pas répandue parmi le peuple juif. Un certain nombre d’hommes ne voulaient point perdre de leur temps d’étude ; et comme il leur était difficile d’accomplir l’immersion au miqvé, ils s’abstenaient d’avoir des relations conjugales, et annulaient ainsi la mitsvat ‘ona ainsi que la mitsva de procréer.

D’autres, au contraire, voulaient accomplir la mitsvat ‘ona, mais comme il leur était difficile de pratiquer l’immersion au miqvé, ils annulaient leur étude de Torah. Et nombreux étaient ceux qui ne tenaient aucun compte de ce décret, car ils ne voulaient léser ni la mitsvat ‘ona, ni la mitsva d’étudier la Torah. Or, constatant que le décret n’avait pas été véritablement adopté parmi le peuple juif, les sages l’abrogèrent, et permirent à nouveau à ceux qui avaient perdu de la semence, ainsi qu’à ceux qui avaient eu des relations conjugales, d’étudier et de prier, sans limitation (Berakhot 22a, Maïmonide, Qriat Chéma 4, 8).

Quoi qu’il en soit, il y a encore des hommes qui, de nos jours, apportent à leur pratique un supplément de perfection (hidour) en s’immergeant au miqvé comme le voulait le décret d’Ezra, avant la prière et l’étude. D’autres accomplissent le hidour en se lavant, simplement, avec une quantité d’eau de 9 kav (environ 11 litres). Puisque, dans toute maison moderne, se trouve une douche, il est bon d’être exigeant envers soi-même sur ce point[6].


[6]. De la Guémara Berakhot 22a-b, il ressort que verser sur soi neuf kav d’eau n’est efficace que dans le cas d’un homme en bonne santé, qui aurait perdu de la semence malgré lui, ou d’un homme souffrant qui aurait eu une relation conjugale ; les disciples des sages ont même statut que les hommes souffrants. Cependant, après l’abrogation du décret imposant de se rendre au miqvé, le Rav Haï Gaon et le Rif ont écrit que, de l’avis même des maîtres qui exigent d’aller au miqvé avant la prière, il suffit désormais de se laver avec 9 kav d’eau. De même, le Michna Beroura 88, 4 explique que, bien que la coutume exigeant l’immersion au miqvé avant la prière n’ait plus cours, il existe des gens de haut mérite (anché ma’assé) qui ont l’usage de s’immerger au miqvé en cas de perte séminale et qui, si cela leur est difficile, se lavent avec 9 kav. Selon l’évaluation de Rabbi ‘Haïm Naeh, 9 kav équivalent à 12,44 litres ; selon l’évaluation corrigée : 10,8 l.

Mode d’ablution : si l’on se lave au moyen de 9 kav d’eau, ceux-ci doivent être versés sur soi ; il ne s’agit pas de se tremper dedans (Berakhot 22a). Ils doivent être versés de manière continue, sans interruption (Michna Beroura 88, 4). Selon le Raavad, les sages requièrent que l’eau soit versée par l’effet d’une force humaine, afin que toute l’eau parvienne sur le corps de l’homme. D’après cela, de prime abord, on n’est pas quitte par une simple douche. Cependant, selon le Séfer ‘Hassidim (828), on peut s’acquitter par de l’eau qui se déverse d’elle-même, à condition que tout le corps, y compris les bras, en soit lavé ; d’après cela, on peut s’acquitter par une douche. Telle est l’opinion du Kaf Ha’haïm 88, 7 et du Yaskil ‘Avdi V, Ora’h ‘Haïm 13. C’est en ce sens que tranchent la presque totalité des décisionnaires, dont les propos sont cités par le Yalqout Yossef 88, 1 et le Pisqé Techouvot 88, note 42. Certains auteurs disent qu’il faut bien veiller à ce que l’eau parvienne à chaque partie du corps (Peri Mégadim, Michbetsot Zahav 88, 1) ; certains écrivent, d’après cela, qu’il faut d’abord verser de l’eau sur la plante de ses pieds, faute de quoi l’eau n’arriverait pas jusque-là (Kaf Ha’haïm 88, 7). D’autres, en revanche, estiment que le fait que l’eau n’atteigne pas une partie du corps (ce que l’on appelle ‘hatsitsa, séparation) n’invalide pas l’ablution ; en effet, les sages n’ont pas exigé que l’on lève les pieds du sol (responsa Maamar Mordekhaï 1-2 cité par Cha’aré Techouva 88, 1). Cela laisse entendre que, de l’avis même de ceux qui exigent l’absence de toute séparation entre l’eau et le corps, et requièrent que les pieds eux-mêmes soient mouillés, on n’est pas pointilleux au point d’exiger que l’eau parvienne à chacun des endroits du corps – par exemple l’intérieur des oreilles. En effet, si une telle exigence avait cours, elle devrait être formulée explicitement par les sages. De plus, il est impossible que la faible quantité de 9 kav parvienne à chacun des endroits du corps. C’est aussi ce que laissent entendre le Maté Ephraïm 606, 10, Elef Lamaté ad loc. 3, et le Pisqé Techouvot 88, 5.

Certes, le Maamar Mordekhaï, Ora’h ‘Haïm 88, 2 comprend, des propos de Maïmonide et du Choul’han ‘Aroukh, que le décret d’Ezra visait seulement les disciples des sages, qui ont l’habitude de se livrer à l’étude de la Torah ; mais de nos jours, où il est facile de respecter cette exigence, laquelle coïncide avec nos habitudes de propreté, il est bon que chacun ait soin de l’accomplir (en se versant au moins la mesure de 9 kav d’eau).

10. Degrés de sainteté et d’intention

Revenons aux principes : la mitsvat ‘ona a ceci de particulier que sa sainteté se révèle au sein de la réalité matérielle. Bien plus, la passion et le désir matériels, qui inclinent généralement dans le sens du penchant au mal, se transforment, grâce à elle, en mitsva, et se sanctifient. Aussi, cette mitsva produit-elle une réparation (tiqoun) particulièrement grande, car, par son biais, il apparaît qu’aucun domaine n’est déconnecté du divin, et que l’Éternel est Dieu dans les cieux et sur la terre. La passion matérielle elle-même se relie à la sainteté et la renforce. En cela, la mitsvat ‘ona ressemble à la mitsvat yichouv haarets (commandement de peupler et d’édifier la terre d’Israël) : par ces deux mitsvot, en effet, la sainteté se dévoile sur la terre (cf. ci-dessus, chap. 1 § 5).

Simplement, parce que la mitsvat ‘ona s’accomplit au moyen des côtés les plus matériels qui sont en l’homme, et que l’instinct qui y œuvre est grand, l’homme risque d’être attiré, plus que de raison, par cette matérialité, au point d’oublier la mitsva en tant que telle, et de penser à soi-même au lieu de penser à sa femme. Telle est l’essence de l’impureté qui accompagne cette mitsva sainte. Toutefois, le propos n’est pas ici de dissuader l’homme d’accomplir la mitsva, seulement de l’encourager à s’élever dans l’intentionnalité de l’acte. C’est à ce propos que les sages, attirant l’attention de ceux qui veulent s’élever dans les degrés de la sainteté et de la piété, leur recommandent de se sanctifier durant les relations conjugales, c’est-à-dire de former l’intention de réjouir leur femme autant que faire se peut. De même, nous voyons que, parmi les dix décrets pris par Ezra le scribe, dont un faisait obligation à l’homme de s’immerger dans un bain rituel après les relations conjugales, deux autres visaient à accroître l’amour entre l’homme et sa femme. Le premier consistait à manger de l’ail les nuits de Chabbat, car l’ail « stimule l’amour » ; ainsi, l’homme pouvait s’unir à sa femme dans un grand désir. Le second obligeait les colporteurs à vendre, dans toutes les villes, des parfums et des bijoux, afin que les femmes fussent chères aux yeux de leur époux (Baba Qama 82a-b ; cf. ci-dessus, chap. 2 § 5).

Il convient de prendre conscience d’un merveilleux principe, en matière de mitsvot gouvernant les relations de l’homme et de son prochain (mitsvot bein adam la’havéro) : par leur biais, les choses routinières de l’existence elles-mêmes se transforment en objet de mitsva. Lorsqu’un homme se prépare un aliment savoureux, il n’accomplit pas de mitsva, mais pourvoit simplement à ses besoins matériels et psychiques. En revanche, lorsqu’il prépare un aliment savoureux à un invité, il accomplit une mitsva. La chose est d’autant plus vraie en ce qui concerne les relations entre époux : quand ils se réjouissent l’un l’autre, ils se sanctifient par la sainteté de la mitsvat ‘ona, et la Présence divine réside entre eux.

Le principe général est conforme à ce que nous avons vu (ci-dessus, § 3) : il existe deux degrés de sainteté de la mitsva. Le premier s’atteint par le fait même de mener une vie matrimoniale conforme à la halakha, en se gardant de la faute des unions interdites et des relations charnelles durant la période de nida. Le second degré s’atteint par un supplément d’amour et d’unité entre les membres du couple, ce qui permet à la vie éternelle, que recèle le lien qui les unit, de se dévoiler dans toute sa profondeur.

Au cours de notre étude, jusqu’ici, nous nous en sommes tenus à la thèse centrale, selon laquelle, plus les membres du couple s’apportent de plaisir et de joie mutuelle, plus parfaitement ils accomplissent la mitsva, et plus leur union est sainte. Toutefois, il faut signaler qu’il existe deux autres manières de définir la sainteté caractérisant cette mitsva : la thèse de Maïmonide et la voie de la sainteté ascétique. Puisqu’il y a du vrai dans chaque voie, leur étude a de la valeur. Par elle, la voie centrale se concevra de manière plus complète et équilibrée.

11. Thèse de Maïmonide

Maïmonide, fidèle à sa ligne dans la voie de la sainteté, considère les besoins du corps et ses jouissances comme des moyens seulement, permettant de mener au but véritable : le service spirituel de Dieu. En créant l’homme, Dieu l’a doté d’un corps ; aussi l’homme doit-il prendre soin de ce corps, en manifestant une grande responsabilité, parce que ce corps est l’instrument à l’aide duquel il médite la Torah et accomplit les mitsvot. Si donc l’homme ne satisfaisait pas les besoins du corps, parmi lesquels se trouve l’attirance physique naturelle pour les relations conjugales, il perdrait son équilibre et sa santé, corporelle et psychique ; il ne pourrait se livrer à son service spirituel. Les règles relatives aux unions interdites, ainsi que les mitsvot du mariage, sont destinées à guider l’homme, en lui enseignant comment satisfaire le désir naturel du corps dans le cadre de la halakha. Plus on aura soin de satisfaire ce qui est strictement nécessaire à soi-même et à son épouse, sans être entraîné par les passions corporelles, plus on se sanctifiera. Tel est le propos de la mitsvat ‘ona : satisfaire l’instinct naturel, chacun suivant sa santé et son métier, ni plus, ni moins.

Quand l’homme suit cette voie, le soin qu’il met à satisfaire ses besoins corporels est lui-même considéré comme service de Dieu :

Quand il se livrera aux relations conjugales, il ne le fera que pour donner vigueur à son corps, et pour établir sa semence [pour procréer]. (…) Par conséquent, celui qui marche en cette voie toute sa vie sert l’Éternel constamment. Même quand il se livre à ses activités de commerce ; même durant ses relations conjugales. En effet, en toute chose, sa pensée vise la seule satisfaction de ses besoins, afin que son corps soit apaisé, prêt pour le service divin. (…) Nos maîtres, à ce propos, prescrivent : « Que tous tes actes soient au nom du Ciel » (Maximes des Pères 2, 12). C’est à ce propos que Salomon, dans sa sagesse, déclare : « En toutes tes voies, connais-Le » (Pr 3, 6) » (Dé’ot 3, 2-3).

Aussi Maïmonide s’oppose-t-il à l’opinion des sages des nations, qui font l’éloge de ceux qui s’éloignent totalement des femmes, car ils agissent contre la nature, s’affligent eux-mêmes et portent atteinte à leur santé. Et de même que l’on n’encourage pas l’homme à se priver régulièrement de nourriture, ni à se retenir de faire ses besoins, de même n’y a-t-il pas lieu de l’encourager à s’éloigner de sa femme. Même si celle-ci est d’accord, il doit, tant qu’il en ressent naturellement le désir, satisfaire son instinct. Cependant, dans la mesure où il s’agit d’un moyen seulement, il n’y a pas lieu de multiplier son emploi au-delà du nécessaire. Celui qui se livrerait aux plaisirs de son corps au-delà de la mesure nécessaire au service de Dieu, ressemblerait par-là aux animaux, qui sont mus par leur seul instinct naturel. De ce point de vue, « le sens du toucher est notre honte[e] » (Guide des égarés II 36).

En ce sens, il est vraisemblable que, plus l’homme se livrera à l’étude de la Torah, moins il éprouvera de besoin d’ordre charnel ; ce sera pour lui une source d’élévation, tant que sa femme s’élève avec lui. Toutefois, quand il éprouvera un réel besoin de cela, il ne s’efforcera pas de se retenir. Car s’il le faisait, il aurait constamment besoin de lutter contre son penchant, et, au lieu de s’élever dans l’échelle spirituelle, son esprit serait mobilisé par la lutte contre son corps. Bien plus : il serait à craindre qu’il ne s’abusât lui-même, qu’il lui parût avoir réussi à se libérer du joug de ce penchant, mais que celui-ci, un temps bridé, ne fît irruption sans plus de frein, au point de le faire commettre des unions interdites. Et même s’il ne fautait pas, tant d’effort pour freiner son penchant aurait pour effet d’altérer son esprit, de perdre sa santé psychique. Aussi la Torah nous donne-t-elle cette mitsva, et définit tous ses détails d’application. Par elle, l’homme comme la femme peuvent se comporter conformément à la halakha, tant à l’égard de leur conjoint que de leur propre corps.

L’avantage de la voie proposée par Maïmonide est que celui qui l’emprunte n’a pas tendance à s’abuser soi-même. Il n’essaie pas d’être trop abstinent – ce par quoi il s’abuserait en croyant qu’il a réussi à s’éloigner des désirs corporels et à s’élever au niveau de la continence et de la sainteté. D’un autre côté, il ne s’abuse pas en se livrant constamment aux affaires du corps et à ses désirs, en prétendant que, de cette manière, il sanctifie la matière et « élève des étincelles de sainteté[f] ». Le seul manque de cette position est qu’elle vide le corps et l’acte charnel de leur valeur intrinsèque.

Les caractères rationalistes, critiques et sagaces aiment l’approche maïmonidienne, car elle n’a pas la prétention de sanctifier ce qui semble n’être pas saint. Cependant, même pour des cercles plus larges, cette approche a une grande utilité, en ce qu’elle reconnaît les besoins physiques de l’homme, sans essayer d’en changer la nature[7].


[e]. Citation que Maïmonide fait d’Aristote, Éthique à Nicomaque III 13.

[f]. Vocabulaire emprunté à la Kabbale.

[7]. Maïmonide écrit, dans Hilkhot dé’ot 3, 2-3 : « L’homme doit faire tendre l’intégralité de ses actions vers la seule connaissance de Dieu, béni soit-Il. En étant assis, en se levant, en parlant, tout visera cela. (…) De même, quand on mangera, boira ou cohabitera charnellement, on n’aura pas pour intention de faire ces choses afin d’en jouir seulement – au point que l’on ne mangerait et boirait que ce qui est doux à son palais, et que l’on se livrerait aux relations conjugales dans le but d’en tirer plaisir –, mais on aura pour seule intention, en mangeant et en buvant, de contribuer à la santé de son corps et de ses membres (…). De même pour ses relations conjugales : on ne s’y adonnera que pour contribuer à la santé de son corps et pour procréer. Par conséquent, on ne s’adonnera pas aux relations conjugales chaque fois que l’on en aura le désir, mais bien à chaque fois que l’on saura devoir émettre sa semence comme mesure médicatrice, ou pour procréer. (…) On appliquera son esprit à la pensée que l’on aura un fils qui, peut-être sera un sage et un grand d’Israël. Il se trouve donc que celui qui emprunte cette voie toute sa vie sert Dieu constamment, même quand il se livre à son commerce, et même quand il s’adonne à l’union conjugale. » Comme on le sait, dans le jeune âge, ce besoin se fait sentir deux ou trois fois par semaine ; à l’âge adulte, cela descend à une fois par semaine, et, dans la vieillesse, à moins que cela. Toutes ces considérations sont conformes à la moyenne ; certains individus ont des besoins plus élevés, d’autres moindres.

Maïmonide écrit encore, en Issouré bia 21, 9 : « La femme de l’homme lui est permise ; par conséquent, tout ce qu’un homme veut faire à sa femme, il peut le lui faire : il peut avoir des relations avec elle quand il le veut, l’embrasser en quelque endroit du corps qu’il veut, s’unir à elle par la voie naturelle ou par la voie autre que naturelle, ou encore orale. Malgré cela, la mesure de piété consiste à ne pas s’adonner à cette frivolité, mais à se sanctifier, au moment des relations conjugales, comme nous l’avons expliqué dans Hilkhot dé’ot, et à ne pas quitter l’usage commun, selon lequel ces relations ne visent que la procréation. »

Dans le même ouvrage, 21, 11 : « L’esprit des sages n’approuve pas celui qui multiplie les rapports conjugaux, et qui se trouve auprès de sa femme comme un coq ; un tel homme est très défectueux, ses actes sont ceux d’un ignorant. » Nous voyons donc que, d’un côté, l’auteur loue ceux qui limitent les rapports conjugaux, et que, de l’autre, il ne musèle pas le penchant naturel qui est en l’homme. Cf. Har’havot.

Il faut bien sûr ajouter que, même lorsque le détachement convient au corps et à l’esprit de l’homme, il n’en est pas moins tenu de réjouir sa femme, chaque fois qu’elle est intéressée par cela. Voici ce qu’en dit Maïmonide, Ichout 14, 1-2 : « La périodicité dont parle la Torah varie chez chaque homme en fonction de sa force et de son labeur. (…) La femme doit s’opposer à ce que son mari pratique son commerce, si ce n’est en un lieu proche, afin qu’il ne s’abstienne pas des relations qu’il lui doit ; il ne partira en voyage qu’avec l’autorisation de sa femme… » Il écrit encore, en Issouré bia 21, 11 : « Quiconque restreint ses relations conjugales est digne d’éloge, à condition de ne pas annuler, sans le consentement de son épouse, celles des relations qui reviennent à celle-ci. » La règle est la même quand l’abstinence convient à la femme et non à l’homme : il ne faut annuler aucune union sans l’accord de l’homme.

12. La sainteté ascétique et l’amour suprême

Il existe une autre voie, d’après laquelle l’union charnelle entre l’homme et la femme est porteuse de sainteté ; grâce à cette union, la Présence divine réside entre les époux, l’unité divine se révèle dans le monde, les cieux et la terre se relient, et une abondance de bénédiction se répand sur tous les mondes. Simplement, cet idéal est si élevé, si sublime, qu’il faut avoir grand soin d’accomplir cet acte dans un complet amour, avec de profondes aspirations, de profonds épanchements de l’âme. Il est juste de l’accomplir au moment qui convient le plus à cela, la nuit de Chabbat, après le milieu de la nuit. En effet, le Chabbat est le temps saint, durant lequel la paix se révèle dans tous les mondes, et c’est le temps qui convient pour ajouter abondance de bénédiction par le biais de l’union (cf. Zohar I 50a, 112a, III 49b).

Cette thèse ne diminue en rien la valeur de l’amour ; mais pour elle, l’amour est si élevé qu’il devient une chose suprême et ardemment désirable. Plus il est élevé, plus s’intensifie la passion qui tend vers lui ; mais c’est un désir plein de crainte, de respect et de délicatesse. L’homme est semblable à un roi responsable, dont chacun des actes a une influence sur le monde entier, et la femme à une belle et noble reine, fine et sensible, qui, par chaque bonne action qu’elle fait, et par chacun des beaux sentiments qu’elle éprouve, élève le monde entier. Toutes les batailles et tous les hauts faits de son mari sont pour elle, et toute sa beauté, toutes les bonnes actions qu’elle accomplit, sont pour lui. Ils sont prêts à faire don de leur vie pour rester fidèles l’un à l’autre. Tout l’épanchement de l’âme, tout l’honneur qui les anime, font que l’union entre eux bouleverse jusqu’aux profondeurs de l’esprit et de la conscience, mais il n’est pourtant pas indispensable de parvenir au sommet de la jouissance physique.

Le Talmud raconte ainsi, au sujet de Rabbi Eliézer :

On demanda à Mère Chalom [sa femme] : « Comment se fait-il que tes enfants soient tellement beaux ? » Elle répondit : « Mon mari ne s’entretient avec moi, ni au début de la nuit, ni à la fin, mais au milieu de la nuit. Quand il s’entretient avec moi, il découvre  un téfa’h [selon un avis, il découvre  un téfa’h de mon corps, environ 8 cm] et recouvre un téfa’h ; et il ressemble à un homme qu’un démon contraindrait [c’est-à-dire qu’il est saisi de crainte et de révérence]. Je lui ai demandé : “Pour quelle raison [agis-tu ainsi] ?” Il me répondit : “Afin que je ne sois pas tenté de poser les yeux sur une autre femme, ce qui ferait que mes enfants procèderaient [spirituellement] de la bâtardise” » (Nédarim 20b).

En d’autres termes, Rabbi Eliézer explique à sa femme, pour ainsi dire : « Si je perdais la crainte et l’honneur particulier que je te dois, il n’y aurait plus de différence entre toi et une autre femme ; notre union ne serait pas parfaite, et cela porterait atteinte aux enfants, car il s’agirait d’une forme d’adultère et de bâtardise. »

Quant à l’expression « il découvre un téfa’h et recouvre un téfa’h », certains commentateurs l’expliquent ainsi : « il limitait la pénétration de son membre durant le rapport, afin de limiter son propre plaisir » (Raavad, Choul’han ‘Aroukh, Ora’h ‘Haïm 240, 8). Il ressort de cette explication qu’il s’adonnait à l’union d’une manière propre à limiter son plaisir, mais il se peut que, grâce à cela, le plaisir de son épouse fût plus intense. On trouve d’autres explications : selon l’une, il ne découvrait pas beaucoup de sa propre chair ; selon l’autre, il ne découvrait pas beaucoup de la chair de sa femme… Mais les décisionnaires postmédiévaux (A’haronim) ainsi que les kabbalistes ont réfuté cette explication, puisqu’elle contredit la halakha ainsi que les intentions mystiques énoncées par la Kabbale, d’après lesquelles l’union doit s’accomplir sans vêtements (Kaf Ha’haïm 240, 61).

L’avantage de ceux qui suivent cette voie est qu’ils ne sont pas entraînés par les désirs matériels ; l’épanchement, l’aspiration à l’union conservent leur amour. L’inconvénient est que de nombreux souhaits demeurent inaccomplis ; l’homme ne peut éprouver toutes ses sensations, et les sanctifier par la mitsvat ‘ona. Autre grave inconvénient : nombreux sont ceux qui, tentant de suivre cette voie, s’abusent eux-mêmes, croient parvenir à la sainteté, alors qu’ils dépriment leurs ardents désirs, lesquels risquent de faire irruption en retour, en se traduisant par de laides pensées, voire par des unions interdites. Cela peut encore avoir pour effet de perturber leur esprit, sous l’effet de la grande tension qu’ils s’imposent. Aussi les rabbins et les éducateurs mettent-ils en garde les jeunes : même s’ils souhaitent suivre cette voie, ils devront, dans les premières années de leur mariage, se conduire suivant l’usage établi, et se réjouir naturellement, conformément à la halakha. Ce n’est qu’après cela qu’ils vérifieront prudemment s’il leur convient d’emprunter la voie de la sainteté ascétique. Il est indispensable d’ajouter que la situation découlant de la destruction du Temple, ainsi que l’exil, furent des facteurs centraux dans la constitution de cette voie, comme nous le verrons au paragraphe 15. Nous voyons ainsi que dans la génération qui suivit la destruction du Temple, comme dans celle qui suivit la Choah, les rigueurs et limitations, en matière de sim’hat ‘ona (joie de l’union) s’accrurent[8].


[8]. Cf. ci-après, § 15, où l’on explique que, à la suite de la destruction du Temple, le lien existant entre l’homme et sa femme s’est altéré, et que les usages d’abstinence se sont accrus. Effectivement, Rabbi Eliézer vécut à l’époque de la destruction du Temple, et, avec Rabbi Yehochoua, aida au sauvetage de Raban Yo’hanan ben Zakaï et à son transfert hors de Jérusalem, avant la destruction (Guitin 56a). Or il semble que, à mesure que l’exil se prolongeait, les usages d’abstinence s’enracinaient plus profondément parmi le peuple juif. Cf. Tsidqat Hatsadiq 146, où il est dit que la conduite de Rabbi Eliézer était liée à son caractère, marqué par la rigueur et la crainte (yira) ; et c’est en vertu de ce caractère qu’il obtint que ses enfants fussent si beaux. Pour autant, la halakha ne suit pas son avis ; aussi, les sages disent-ils, dans la Guémara, qu’il agissait comme si un démon l’eût contraint : par cette expression, ils font allusion au fait qu’il ne convient pas, selon eux, d’agir ainsi, d’être « comme sous la domination » d’un démon intérieur. La halakha suit l’opinion de Rabbi Yehochoua, qui exprime des objections quant aux usages d’abstinence (Baba Batra 60b, cf. ci-après § 15), et dont le caractère inclinait vers l’amour ; aussi paraissait-il « laid » en ce bas monde (Ta’anit 7a), car, vu de l’extérieur, il paraissait moins lié à la sainteté. Dans la génération qui suivit la Choah, on a également vu prôner par une partie des maîtres hassidiques et des rabbins des rigueurs et des limitations, dépassant ce qui était en usage jusque-là, et qui s’assimilent aux règles halakhiques applicables en temps de détresse (cf. ci-dessus, chap. 2 § 14).

13. La voie centrale vers la sainteté

Cependant, en pratique, et conformément à ce que nous enseignent les propos des sages et des décisionnaires, la voie centrale, quant à l’accomplissement de la mitsvat ‘ona, veut que, plus l’homme accroît l’expression de l’amour et de la joie entre son épouse et lui-même, plus il se sanctifie. Cette sainteté comporte une part de détachement, en ce que l’homme ne porte son attention sur aucune autre femme que la sienne, et la femme ne porte son attention sur aucun autre homme que son mari. En cette sainteté, se révèle aussi la racine divine de l’âme des époux : par le biais de leur union dans l’amour et l’ardent désir, une étincelle de l’unité divine se révèle en eux, leur donnant, ainsi qu’à tous les mondes, un supplément de vie.

De même, le Zohar, dans son commentaire de la paracha Qedochim (III 81a-b), dit au sujet du verset « Parle à toute l’assemblée des enfants d’Israël, et dis-leur : “Soyez saints, car Je suis saint, Moi l’Éternel votre Dieu” » (Lv 19, 2) que l’Éternel choisit le peuple d’Israël et fit de lui une nation particulière, nation par laquelle l’unité divine se révèle dans le monde ; aussi la sainteté divine réside-t-elle sur Israël, et Dieu dirige-t-il ce peuple de manière particulière :

Quand donc l’homme est-il appelé un ? Lorsqu’il est mâle et femelle réunis, qu’il se sanctifie d’une sainteté supérieure, et forme l’intention de se sanctifier en son couple. Il est alors complet, et est appelé un, sans défaut. À cette fin, l’homme doit réjouir son épouse à cette heure [celle de l’union], la préparer d’abord afin qu’elle soit avec lui d’une même volonté ; l’un et l’autre dirigeront ensemble leur intention sur la même chose. Quand ils se trouveront ensemble, alors tout sera un, dans l’âme et dans le corps : dans l’âme, pour s’attacher l’un à l’autre en une même volonté ; dans le corps, comme nous l’avons vu, car l’homme qui n’est pas marié est semblable à un homme divisé, tandis que, lorsqu’ils s’unissent, mâle et femelle, ils forment comme un seul corps. Il se trouve donc qu’ils sont une même âme et un même corps, et sont appelés Homme unitaire (Adam é’had). Alors, le Saint béni soit-Il réside sur l’un [sur cette unité], et dépose un esprit de sainteté sur cet un [il naîtra de leur union des âmes saintes] : ils sont nommés enfants du Saint béni soit-Il…

Toutefois, chacun sait que ses possibilités sont limitées, et que le corps ne saurait dévoiler tout l’amour et toute la vérité inscrits dans le lien matrimonial. Si donc la relation entre époux était principalement basée sur la passion du corps, il serait à supposer qu’elle s’achèverait rapidement. Aussi les époux ont-ils l’obligation de baser la relation les unissant sur le côté spirituel. Pour cela, il est indispensable d’observer un certain détachement, du point de vue corporel, détachement qui donnera une place importante au côté de l’âme. Ce détachement prend principalement place durant les jours de nida (séparation due aux règles), comme l’ordonne la Torah. Au-delà de cela, la mitsvat ‘ona, elle aussi, doit s’accomplir dans les limites de la possibilité même de réjouir l’autre, et de se réjouir soi-même, comme il convient. Il arrive que l’homme, suivant sa passion, essaie d’ajouter aux unions périodiques qui lui sont prescrites, et qu’il en attende un surcroît d’amour et d’attachement entre sa femme et lui. Or il se peut qu’il sente que l’amour, au contraire, se dérobe, que le grand élan disparaît, et que sa passion devient plus extérieure. Il lui faut alors revenir à l’ordre habituel fixé par les sages au titre de la mitsvat ‘ona, afin d’accorder une place équilibrée à l’âme et au corps. Grâce à cela, l’amour et la joie qui relie les époux se révèleront, lorsqu’ils accompliront la mitsvat ‘ona, de façon complète[9].


[9]. Parfois, un homme qui a beaucoup exagéré dans la satisfaction de cette passion, à plus forte raison quand il l’a fait de manière fautive, a besoin d’une réparation corrélative : s’abstenir, un certain temps, de manifester cette passion. Cela peut se comparer à un homme qui, ayant entretenu des pensées pécheresses, a décidé de s’abstenir de vin pendant une période déterminée, afin de se prémunir contre le péché auquel il pensait (Berakhot 63a). Une telle situation est en particulier fréquente chez les personnes naguère non pratiquantes, qui reviennent à la pratique des mitsvot (ba’alé téchouva). Toutefois, à la différence de la consommation de vin, dont le nazir (l’abstème) décide de s’éloigner, la mitsvat ‘ona est une obligation de la Torah ; aussi, l’homme doit-il accomplir son obligation selon la périodicité prescrite, et il lui est interdit de se détacher, et de corriger ses excès sur le compte de la joie de son épouse. Au contraire, ce sera là sa réparation essentielle que de s’évertuer, de toute la force de son intention, à réjouir son épouse, particulièrement quand il faut, pour cela, contenir sa propre jouissance. Tout cela, afin de pouvoir, par la suite, se réjouir de nouveau, avec son épouse, d’une joie plus vive encore en accomplissant la mitsva.

14. La mitsva et les instruments de la mitsva

Puisque cette mitsva est également appelée dérekh erets (loi naturelle, bonnes manières), il va de soi qu’elle doit s’accomplir dans le plaisir et la joie, suivant la voie commune à l’humanité. L’encadrement de ce vif désir naturel par la mitsva n’est pas destiné à le museler, mais à révéler sa valeur sainte, et à l’orienter conformément à la halakha, afin qu’il puisse s’assouvir, dans le dévouement, tout au long des années. Toutefois, il reste à se demander s’il y a quelque valeur à ce que l’homme et la femme intensifient chacun son propre désir, et s’efforcent eux-mêmes d’éprouver autant de plaisir et de joie que possible, ou s’il leur suffit de s’appliquer à se réjouir l’un l’autre.

On peut, semble-t-il, appliquer à ce domaine une distinction halakhique importante : il existe, d’un côté, la mitsva, et de l’autre les instruments de la mitsva (makhchiré mitsva). La mitsva qui incombe à l’homme est d’apporter jouissance à sa femme, tandis que le fait qu’il éprouve lui-même de la jouissance est considéré comme un instrument (un moyen) de la mitsva. En effet, grâce à cela, l’homme aura davantage d’envie et de volonté de réjouir son épouse. Selon la halakha, les instruments de la mitsva sont assimilés à la mitsva elle-même ; cela, à condition qu’ils se joignent à celle-ci. En d’autres termes, lorsque l’homme réussit à réjouir son épouse, la propre joie qu’il éprouve participe aussi de la mitsva ; et plus il apportera de joie à son épouse, plus grande sera sa mitsva, de sorte que, par-là même, la joie qu’il éprouvera personnellement sera, elle aussi, considérée comme participant d’une mitsva plus grande. Par contre, s’il ne parvient pas à apporter jouissance à son épouse, la jouissance personnelle qu’il éprouvera ne sera pas constitutive d’une mitsva. Cependant, cette jouissance aura tout de même une valeur élémentaire, en ce qu’elle le préservera de la faute, comme nous l’avons vu ci-dessus (§ 3 et 5).

Même chose du côté de la femme : lorsqu’elle réjouit son mari, elle accomplit une mitsva, tandis que le plaisir personnel qu’elle éprouve est, à son égard, un instrument de la mitsva. Et plus elle parviendra à donner de jouissance à son mari, plus grande sera la valeur de la propre jouissance qu’elle éprouve.

Si l’on approfondit davantage le sujet, on s’aperçoit que, par le fait qu’elle veuille jouir de l’union, et que, à cette fin, elle s’ouvre à son mari, lui donnant la possibilité de la réjouir d’une pleine joie, elle lui permet d’accomplir sa mitsva. Si bien que la jouissance qu’elle éprouve constitue un instrument de la mitsva de deux points de vue : grâce à elle, la femme donne à son mari le mérite d’accomplir la mitsva, et le désir croît en elle de le réjouir.

De même pour l’homme : la joie et le plaisir qu’il éprouve grâce à sa femme font partie des instruments de la mitsva à deux égards : par cela, le désir va croître en l’homme d’apporter plus de jouissance à sa femme, et il donnera à celle-ci le mérite d’accomplir sa propre mitsva, consistant dans le fait d’apporter à son mari jouissance.

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