Pniné Halakha

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Chapitre 09 – Autres abstentions de Kipour

01. La mitsva de se mortifier

Comme nous l’avons vu au début du chapitre précédent, c’est une mitsva « positive » (un commandement de faire) que de jeûner au jour de Kipour, comme il est dit : « Ce sera pour vous une loi perpétuelle : au septième mois, le dixième jour du mois, vous vous mortifierez » (Lv 16, 29). Certes, l’essentiel de la mitsva de « mortification » (‘inouï) tient dans l’abstention de nourriture et de boisson, de sorte que seul celui qui transgresse l’un de ces deux interdits est passible de sanction : karet (retranchement) pour une transgression intentionnelle, ‘hatat (sacrifice expiatoire) pour une transgression inintentionnelle ; mais la mitsva de se mortifier comprend encore quatre interdits, qui, eux aussi, impliquent une certaine souffrance. Si donc on y joint l’interdit de manger et de boire, on compte en tout cinq interdits : 1) manger et boire ; 2) se laver ; 3) s’oindre ; 4) porter des chaussures ; 5) avoir des relations conjugales (Michna Yoma 73b).

La mitsva de la mortification ne signifie pas qu’il faille accomplir des actes entraînant la souffrance, comme de rester assis sous le soleil en plein midi. La mitsva consiste à s’abstenir de certaines choses, dont la cessation occasionne une certaine souffrance (Yoma 74b ; 76b-77b). Le fondement de cela se trouve dans ce verset : « C’est pour vous un Chabbat solennel (Chabbat chabbaton), et vous mortifierez vos personnes » (Lv 23, 32). Nos sages enseignent : le mot Chabbat signifie (dans ce contexte) que vous vous absteniez[a] de toute nourriture ou boisson ; le mot chabbaton signifie que vous vous absteniez également de certaines autres choses, qui font obstacle à la mortification (Yoma 74a). De plus, de ce qu’il est dit cinq fois, dans la Torah, qu’il y a une mitsva de se mortifier, nos sages apprennent qu’il faut s’abstenir de ces cinq choses (Yoma 76a).

Les décisionnaires sont partagés quant au degré précis de gravité des quatre autres interdits. Selon certains, puisqu’il n’est pas dit explicitement que l’interdit vise le fait de manger et de boire, mais qu’il est généralement dit « vous mortifierez vos personnes », la mitsva toranique inclut l’ensemble des cinq abstentions, comme les sages l’apprennent des versets. Mais selon la majorité des décisionnaires, seuls le fait de manger et le fait de boire sont toraniquement interdits, car c’est dans leur abstention que se trouve la principale mortification. Quoi qu’il en soit, si la Torah n’a pas dit explicitement que la mitsva consiste à s’abstenir de manger et de boire, mais qu’elle consiste à se mortifier, c’est pour nous apprendre que la mortification doit s’exprimer par des abstentions supplémentaires ; et c’est sur cette base que les sages ont interdit les quatre autres actes[1].


[a]. La racine שבת comporte l’idée de cessation, de dessaisissement, d’abstention. Vous « chômerez » de toute prise de nourriture.

[1]. Yoma 76a : « Ces cinq mortifications, à quoi correspondent-elles ? Rav ‘Hisda a dit : “À l’injonction cinq fois répétée par la Torah de mortifier sa personne : a) Nb 29, 7 : Le dixième jour de ce septième mois sera pour vous une convocation sainte, et vous mortifierez vos personnes ; b) Lv 23, 27 : Cependant, le dix de ce septième mois est le jour des expiations ; ce sera pour vous une convocation sainte, et vous mortifierez vos personnes ; c) ibid. 32 : C’est pour vous un Chabbat solennel, et vous mortifierez vos personnes ; d) ibid. 16, 31 : C’est pour vous un Chabbat solennel, et vous mortifierez vos personnes : loi perpétuelle ; e) ibid. 29 : Ce sera pour vous une loi perpétuelle : au septième mois, le dix du mois, mortifiez vos personnes.” »

La deracha (élaboration herméneutique) de l’expression Chabbat chabbaton, rapportée dans le corps de texte, est exposée en Yoma 74a.

De prime abord, il semble ressortir de ces propos de la Guémara que l’ensemble des cinq mortifications ont rang toranique. Et c’est en effet l’opinion du Chéïltot, du Halakhot Guedolot, du ‘Itour et du Séfer Yeréïm.

D’autres tiennent en revanche ce raisonnement : dans la mesure où c’est uniquement pour le fait de manger ou de boire que l’on est passible de karet (retranchement) ou de ‘hatat (sacrifice expiatoire) – comme les sages le tirent du verset « J’anéantirai cette personne (néfech) » (Lv 23, 30) : la sanction du retranchement ne s’applique qu’aux cas de mortification tels que, si on les prolongeait longtemps, il y aurait anéantissement de la personne (Yoma 74b) –, il apparaît que seuls  lesdits interdits sont toraniques. De plus, nous voyons que Rabbi Éliézer était indulgent à l’égard du roi d’Israël et de l’épousée (la kala), les autorisant à se laver le visage, et à l’égard de l’accouchée, l’autorisant à mettre des chaussures. De même, les sages ont permis de laver et d’oindre les enfants ; or, si ces actes étaient toraniquement interdits, il serait aussi interdit de donner ces soins aux enfants. Aussi Rabbénou Tam, Rabbénou Yits’haq, le Riva, le Rachba, le Roch, le Ritva, le Méïri et le Séfer Ha’hinoukh estiment-ils que les quatre interdits supplémentaires sont de rang rabbinique, et que les versets cités par le Talmud ne le sont qu’à titre d’appui (asmakhta) apporté à une norme rabbinique.

Quant à ceux qui tiennent que l’interdit est toranique, ils expliquent que la Torah a donné autorité aux sages pour définir en quoi consistent les interdits ; c’est pourquoi les sages peuvent lever ces interdits dans certains cas (Rabbénou Nissim). Et le fait que l’on n’encoure point la peine de karet pour la transgression de ces quatre interdits supplémentaires s’explique par le fait que, tant que l’on ne mange ni ne boit, la principale mortification s’accomplit encore.

Il semble, à notre humble avis, que tous les décisionnaires s’accordent à dire que le fondement de ces quatre interdits est toranique, et que ses détails d’application sont rabbiniques. Aussi la Torah a-t-elle été laconique, se contentant d’exprimer cette mitsva en des termes de mortification, termes incluant toute abstention qui entraîne quelque souffrance, et non seulement celle de manger et de boire. Simplement, pour la majorité des décisionnaires, l’obligation proprement toranique porte sur le fait de manger et de boire, puisque c’est le lieu de la principale souffrance ; tandis que, s’agissant des autres abstentions entraînant quelque souffrance, la Torah a laissé aux sages le soin de les définir, tout en faisant allusion, dans les versets, au fait qu’il y a lieu d’interdire cinq choses. D’autres auteurs, en revanche, estiment que ces quatre interdits eux-mêmes sont véritablement inclus dans la mitsva toranique : s’abstenir de ces actes participe de la mitsva de mortification ; simplement, dans la mesure où ils ne constituent pas la mortification principale, il a été confié aux sages d’en définir les conditions.

02. Se laver

Toute ablution destinée au plaisir est interdite, le jour de Kipour, qu’elle soit faite à l’eau chaude ou à l’eau froide ; il est même interdit de laver une partie du corps, ou même de mettre le petit doigt dans l’eau. Mais si l’on s’est sali avec de la boue, ou quelque excrément, ou que l’on ait saigné du nez, on est autorisé à laver l’endroit souillé, puisque l’intention est ici d’ôter la souillure et non de créer une jouissance. De même, quand on change la couche d’un bébé, on nettoie l’endroit souillé, puis on se lave les mains au savon, afin d’ôter la salissure. Et bien que chaque ablution destinée à ôter une souillure entraîne quelque plaisir, cela n’est pas considéré comme une ablution de plaisir, puisque l’intention essentielle est d’enlever la saleté (Choul’han ‘Aroukh, Ora’h ‘Haïm 613, 1).

De même, quand on prépare la nourriture d’un enfant, il est permis de rincer à cette fin les aliments et les ustensiles, puisqu’il ne s’agit pas d’une ablution de plaisir.

Si l’on a beaucoup transpiré, au point d’en être importuné et d’en souffrir beaucoup, on est autorisé à laver l’endroit où l’on a transpiré, puisque l’intention n’est pas de se laver pour le plaisir (Michna Beroura 613, 2, Cha’ar Hatsioun 4).

De même, si l’on est particulièrement sensible, et que l’on ne saurait être serein sans s’être rincé le visage le matin, on sera autorisé à se passer de l’eau sur le visage ; mais si l’on peut être rigoureux en s’en abstenant, on sera béni pour cela.

Si, au cours du sommeil, se sont formées des dépôts aux coins des yeux, et qu’on ne puisse les ôter sans eau, on sera autorisé à les ôter à l’aide d’un peu d’eau (Choul’han ‘Aroukh et Rama 613, 4, Michna Beroura 9).

On ne se rincera pas la bouche, à Kipour, en raison de l’interdit de se laver, mais aussi parce qu’il est à craindre que, à l’occasion de ce rinçage, on n’avale une goutte d’eau. Même si l’on sait que de sa bouche émane une mauvaise odeur, et qu’on s’en afflige beaucoup, on ne pourra se rincer la bouche. Le conseil que l’on peut donner, en ce cas, est de se brosser les dents avec une brosse sèche[2].

Une épousée, dans les trente premiers jours de son mariage, est autorisée à se laver le visage, si elle craint que, en ne le faisant pas, elle ne soit objet de dégoût pour son mari ; en effet, cette ablution ne viserait pas le plaisir, mais le seul fait de n’être point être repoussante aux yeux son mari[3].

Il est permis de prendre une serviette un peu humide, par exemple une serviette avec laquelle on s’est essuyé les mains, et de la faire passer sur ses yeux et sur son visage afin de les nettoyer quelque peu et de se rafraîchir. En effet, l’interdit de se laver ne porte pas sur une telle humidité faible. Cela, à la condition que cette serviette ne soit pas humide au point de pouvoir créer une « humidité seconde » (toféa’h ‘al menat lehatpia’h), c’est-à-dire qu’elle ne soit pas mouillée au point de pouvoir mouiller la main qui, à son tour, pourra mouilla quelque autre chose (Choul’han ‘Aroukh 613, 9). En général, dans les lingettes humectées elles-mêmes, on trouve une humidité du degré de toféa’h ‘al menat lehatpia’h ; aussi est-il interdit de s’en servir pour le plaisir ou pour se rafraîchir. Mais il est permis de s’en servir pour ôter de la saleté ou quelque souillure. Si les lingettes ont séché, au point que leur humidité ne soit plus du degré de toféa’h ‘al menat lehatpia’h, il sera même permis de se rafraîchir quelque peu à leur contact.


[2]. Certes, durant les jeûnes courts, on peut être indulgent et se laver les dents avec de l’eau, afin d’ôter la mauvaise odeur, tout en faisant attention de ne pas avaler de gouttes d’eau. Certes, il est clair que l’on avale, ce faisant, un peu de cette eau. En effet, après que la bouche est humidifiée, un peu de l’eau qui se trouvait à l’intérieur de sa bouche se mêle à la salive. Mais puisque l’intention ne porte pas sur cela, on peut, en cas de nécessité, être indulgent pendant les jeûnes courts ; et, en cas de grande souffrance, on peut même étendre l’indulgence jusqu’au jeûne du 9 av (Pniné Halakha – Zemanim, Fêtes et solennités juives I, chap. 7 § 5). Mais à Kipour, où même la boisson du moindre liquide est interdite par la Torah, on ne peut être indulgent. Le Séfer Mitsvot Qatan (221) cité par le Beit Yossef (613, 4) écrit ainsi qu’il est interdit de se rincer la bouche et de se laver les dents, « car même l’ingestion d’une quantité minime est toraniquement interdite, or il est à craindre que de l’eau ne parvienne à sa gorge », de sorte que l’on enfreindrait un interdit toranique. Si l’on n’avait aucune intention d’avaler de l’eau, c’est un interdit rabbinique que l’on enfreindrait ; mais puisque le fondement de l’interdit est toranique, il faut être rigoureux.

Ceux à qui un brossage à l’aide d’une brosse sèche n’est pas utile, et qui souffrent beaucoup de la mauvaise odeur, pourront se brosser les dents avec de l’eau mêlée d’un peu de savon. De cette manière, le goût de l’eau s’altère entièrement, et, si l’on venait à en avaler, c’est un mauvais goût que l’on sentirait, de sorte qu’il n’y aurait pas d’interdit.

[3]. C’est l’opinion de Rabbi Eliézer (Yoma 78b), et c’est en ce sens que tranchent le Rif, Maïmonide et le Roch. Mais certains Richonim (Rabbi Yits’haq ibn Ghiat, Séfer Mitsvot Gadol) tranchent suivant l’opinion de la communauté des sages (‘Hakhamim), qui sont rigoureux. Le Choul’han ‘Aroukh 613, 10 est indulgent. Cependant, le ‘Hayé Adam 145, 15 écrit que, si l’époux ne voit pas son épouse de la journée, il n’y a pas lieu d’être indulgent à cet égard.

03. Se laver pour les besoins d’une mitsva

Pour les besoins d’une mitsva, il est permis de se laver les mains traditionnellement. Par conséquent, les cohanim (prêtres) sont autorisés à se laver chaque main à l’approche de la bénédiction sacerdotale (Birkat cohanim) (Rama 613, 3, Choul’han ‘Aroukh 128, 6). Mais si l’on a eu une émission séminale pendant Kipour, et quoique, en tout autre jour, on aurait eu coutume de s’immerger au bain rituel (miqvé), on ne s’immergera pas durant Kipour, car une coutume pieuse ne saurait repousser l’interdit de se laver[b]. De même, une femme isolée par son flux (nida) et dont la date d’immersion tomberait à Kipour, repoussera son miqvé à l’issue du jeûne (Choul’han ‘Aroukh 613, 11-12)[4].

Le matin, au réveil, on se lave les mains traditionnellement : trois fois alternées sur chaque main, jusqu’à l’articulation métacarpo-phalangienne (qui relie les doigts au reste de la main). En effet, un esprit d’impureté (roua’h ra’a) repose sur les mains, après le sommeil nocturne, et cet esprit d’impureté risque de porter atteinte aux ouvertures du corps[c] avec lesquelles les mains entreraient en contact. Or pour l’éliminer, il faut laver chaque main, trois fois par alternance[d]. Après avoir fait ses besoins aux toilettes, on se relave les mains selon la même méthode, et l’on récite la bénédiction : Baroukh… ‘al nétilat yadaïm. En effet cette ablution est une mitsva, puisque nos sages ont institué une ablution des mains, assortie d’une bénédiction, à l’approche de la prière du matin (cf. La Prière d’Israël, 8, 4, note 2). Et bien que, le reste de l’année, nous ayons l’habitude d’accomplir la mitsva avec un supplément de perfection, en lavant à chaque fois toute la main, on se contente, à Kipour, de verser l’eau sur les doigts, y compris sur les articulations qui les relient au reste de la main. Cela parce que, si l’on s’en tient à la stricte règle, une telle ablution, limitée aux doigts, suffit aussi bien à la propreté qu’à l’élimination de l’esprit d’impureté (Choul’han ‘Aroukh 613, 2). Il est vrai que, en général, lorsqu’on a l’intention de se laver les mains jusqu’aux articulations métacarpo-phalangiennes incluses, une petite partie du reste de la main est, elle aussi, mouillée ; mais aucune transgression n’est à craindre à cet égard, puisque l’intention ne porte pas sur cela.

Si l’on touche une partie de son corps ordinairement couverte, partie où de la sueur peut s’être agrégée, on est considéré comme ayant touché un endroit souillé. Si l’on veut, après cela, prononcer des paroles saintes, on devra se relaver les mains. En effet, c’est pour les besoins d’une mitsva qu’on se les lavera, et non pour le plaisir (Michna Beroura 613, 5-6, Kaf Ha’haïm 6, La Prière d’Israël 5, 2). Un doute s’est présenté quant au cas suivant : si l’on est allé aux toilettes, mais que l’on n’ait pas touché, de ses mains, d’endroits ordinairement couverts, peut-être n’est-il pas besoin de se laver les mains rituellement, puisque ses mains n’ont pas été en contact avec un endroit souillé ? Pour sortir du doute, il est juste que celui qui va aux toilettes touche, de son doigt, quelque endroit de son corps ordinairement couvert ; ensuite, il pourra, de l’avis de tous, se laver les mains jusqu’aux articulations métacarpo-phalangiennes incluses, afin de pouvoir réciter, en état de propreté, la bénédiction Acher yatsar (Choul’han ‘Aroukh 613, 3, Michna Beroura 4)[5].


[b]. En ce cas, on pourra nettoyer à l’eau froide les endroits souillés du corps.

[4]. Au traité Yoma 88a, nos sages disent que celui qui a eu une pollution séminale s’immerge, le jour de Kipour. C’est en ce sens que tranche, en pratique, Rabbi Yehouda Barceloni. Et pour ceux qui seraient tourmentés, et qui ont l’habitude constante, en cas de pollution séminale, de se tremper au miqvé, le Maharil, le Mahari Weil et le Mahari Bruna 49 l’autorisent. C’est aussi en ce sens que tranche le Rav Pe’alim, Ora’h ‘Haïm II 61 ; et c’est aussi ce que, parfois, prescrivent les Hassidim (Pisqé Techouvot 613, 6, note 23). Cependant, de nombreux Richonim interdisent cela, parce que l’autorisation formulée par la Guémara se rapporte à une époque où l’on se conformait au décret d’Ezra, d’après lequel, en cas de pollution séminale, il faut s’immerger au miqvé ; tandis que, de nos jours, où nous n’avons plus cette obligation, un usage dicté par la piété ne saurait annuler la halakha interdisant de se laver à Kipour. En effet, une coutume peut avoir pour effet d’interdire ce qui, en principe, est permis, mais non de permettre ce qui est interdit (Maïmonide, Chevitat Hé’assor 3, 3 ; Rabbénou Tam, Maharam, Mordekhi, Hagahot Maïmoniot). C’est en ce sens que se prononce le Choul’han ‘Aroukh 613, 11, et telle est la position d’une majorité décisive d’A’haronim.

S’agissant d’une immersion au miqvé destinée à passer de l’impureté rituelle à la pureté : selon une majorité de Richonim, s’immerger au temps prescrit est une mitsva, et celle-ci repousse l’interdit de se laver. Mais selon Rabbénou Tam, cela ne repousse pas l’interdit. Cependant, pour ceux-là même qui tiennent que, fondamentalement, se tremper au temps prescrit est une mitsva, Tossephot (sur Beitsa 18b) estime que ce n’est plus, de nos jours, une mitsva, car tout le monde a contracté l’impureté liée au contact d’un mort, de sorte que l’immersion, de ce point de vue, n’a pas pour effet de purifier.

Quant à l’immersion faite de nos jours par les femmes pour quitter le statut de nida, elle n’a pas véritablement lieu en son temps. En effet, nous sommes rigoureux, et exigeons que la femme nida compte sept jours propres, comme si elle avait le statut de zava (flux sanguin étranger au cycle menstruel, et cause d’impureté rituelle majeure). Le sujet est résumé par le Beit Yossef, Ora’h ‘Haïm 554, 8, et c’est en ce sens que tranche le Choul’han ‘Aroukh 613, 12.

[c]. Telles que les yeux, les oreilles, les narines, la bouche, le méat urinaire et l’anus.

[d]. On verse de l’eau, à l’aide d’un récipient, sur la main droite, puis sur la gauche, puis de nouveau à droite, à gauche, à droite et à gauche.

[5]. De nombreuses règles font l’objet de controverse. Nous en mentionnerons ici quelques-unes ; puis nous exposerons la halakha.

Selon la majorité des décisionnaires, il n’est nécessaire de verser l’eau, après avoir fait ses besoins aux toilettes, qu’une fois sur chaque main ; et certains ont coutume de verser l’eau trois fois sur chaque main (cf. Michna Beroura 4, 39). De même, le jour de Kipour, la majorité des décisionnaires estiment que l’on doit se laver les mains en versant l’eau une fois sur chaque main ; mais certains disent qu’il faut trois fois (Hilkhot ‘Haguim 45, 25). Cf. La Prière d’Israël 8, 3-5, note 2. Si l’on a touché, de son doigt, quelque endroit de son corps habituellement recouvert, certains disent que l’on se lavera rituellement cette seule main, jusqu’aux articulations métacarpo-phalangiennes (‘Hayé Adam 40, 18, Michna Beroura 613, 6). D’autres estiment qu’il faut laver les deux mains, car c’est aux deux mains que s’étend l’esprit d’impureté (Chné Lou’hot Habrit, Yafé Lalev ; cf. Kaf Ha’haïm 4, 86). De même, si l’on touche du doigt sa chaussure, même si elle est de toile, certains disent qu’on devra laver cette seule main rituellement, tandis que d’autres sont d’avis qu’on lavera les deux mains.

Il existe d’autres doutes, par exemple quant au fait de savoir si celui qui touche un endroit du corps ordinairement recouvert, mais où il n’y a aucun agrégat de sueur, doit néanmoins se laver les mains rituellement (cf. La Prière d’Israël 5, note 2).

De prime abord, il y a lieu d’objecter, à l’égard de ceux qui estiment permis de se laver les mains, que, du point de vue de la stricte règle halakhique, celui qui touche à quelque endroit du corps où se trouve un agrégat de sueur, et qui voudrait ensuite prononcer des paroles saintes, peut se contenter de se frotter les mains dans une serviette, ou quelque autre tissu du même genre (Choul’han ‘Aroukh 4, 23 et Michna Beroura 61). Mais il semble que, dans tous les cas où la personne a l’habitude, au cours de l’année, de se laver rituellement les mains, il lui soit permis de le faire également à Kipour, bien que, si l’on s’en tenait à la stricte obligation, on pût se contenter de se frotter les mains dans quelque tissu ayant pour effet de nettoyer. En effet, cette ablution est faite pour les besoins d’une mitsva, et non pour le plaisir. Mais pour qui a l’habitude de se contenter, parfois, de se frotter les mains dans une serviette, il sera interdit de se laver les mains rituellement à Kipour, en un tel cas, puisque cette ablution n’est pas à proprement parler une mitsva pour cette personne. Par conséquent, la plupart de ces débats portent, en définitive, sur la question de savoir quelle est notre pratique habituelle durant toute l’année. D’après cela, il y a lieu de se demander pourquoi le Choul’han ‘Aroukh est rigoureux, exigeant que l’on se lave rituellement les mains le matin au lever, et après s’être rendu aux toilettes, jusqu’aux articulations métacarpo-phalangiennes seulement, alors que la coutume généralement appliquée durant l’année est de laver toute la main. Il y a lieu de dire que, à la différence des doutes que nous avons cités, et qui portent sur la loi, le Choul’han ‘Aroukh estime que l’ablution de toute la main est une simple rigueur que l’on s’impose ; aussi faut-il, à Yom Kipour, se contenter de se laver les mains en se limitant à la stricte exigence de la loi ; et la majorité des A’haronim s’accordent avec ses propos.

Certes, on rapporte au nom de Rabbi Isaac Louria qu’il faut se laver rituellement toute la main afin de se défaire de l’esprit d’impureté. Mais on explique que, le jour de Kipour, l’esprit d’impureté est affaibli ; aussi suffit-il, à Kipour, de verser l’eau sur les doigts et l’articulation qui les relie à la main (Ben Ich ‘Haï, Toledot 2 ; Kaf Ha’haïm 4, 14 ; cf. Min’hat Yits’haq X 45).

04. Onction et parfums

Il est interdit de s’oindre, ne serait-ce que sur une petite partie du corps, d’huile ou de quelque autre matière destinée à nourrir la peau (Choul’han ‘Aroukh 614, 1). Bien entendu, tous les types de maquillage qui sont interdits le Chabbat, au titre de la mélakha de teindre ou de celle d’enduire, sont également interdits à Kipour, puisque tous les interdits de Chabbat s’appliquent aussi à Kipour (Les Lois de Chabbat I 14, 4).

Si l’on souffre de démangeaisons, on est autorisé à s’oindre, à Kipour, d’huile liquide (Yoma 77b) ; cela, à la condition que ce ne soit pas constitutif de l’interdit d’administrer un soin médical, car la règle applicable à Kipour est semblable à celle de Chabbat, or nos sages ont décrété, s’agissant de la personne peu souffrante, qu’elle ne fasse pas usage de médicaments, le Chabbat, de crainte qu’elle n’en vienne à piler des plantes médicinales. Par conséquent, il est permis à ceux qui souffrent de démangeaisons d’oindre leur peau d’une huile dont les personnes bien portantes elles-mêmes oignent parfois leur corps, car une telle onction n’est pas considérée comme un acte médical. Si la démangeaison dérange la personne au point qu’elle souffre véritablement, il lui sera permis de s’oindre la peau d’une huile médicinale fabriquée en usine (Les Lois de Chabbat II 28, 5).

Il est interdit, au titre de l’interdit de se laver, d’utiliser un parfum ou un déodorant destiné à donner une bonne odeur au corps. En effet, ces produits laissent sur la peau aspergée une humidité telle que celui qui la toucherait serait, à son tour, mouillé, ce qui constitue le degré de toféa’h ‘al menat lehatpia’h[e]. Mais s’il s’agit d’ôter une mauvaise odeur, il est permis de s’en servir, de même qu’il est permis de laver un endroit du corps qui s’est sali, puisqu’alors ce n’est pas pour le plaisir ni pour se rafraîchir que l’on se lave, mais pour ôter la souillure ou la mauvaise odeur (cf. § 2). Il est de même permis de s’asperger la peau d’une lotion anti-moustique, puisque l’intention n’est pas le plaisir, mais de se protéger des moustiques[6].


[e]. Sur cette notion, cf. ci-dessus, dernier alinéa du paragraphe 2.

[6]. Bien qu’il soit permis de se laver, dans le cas où cela n’est pas pour le plaisir, le fait de s’oindre, même quand ce n’est pas pour le plaisir, est interdit, comme l’explique le Talmud de Jérusalem (Yoma 8, 1). C’est ce qu’écrivent Maïmonide, le Choul’han ‘Aroukh 614, 1 et le Michna Beroura 1. En effet, le plaisir que l’on tire de l’onction est grand ; aussi, ceux-là même qui ont pour intention de s’oindre pour retirer quelque souillure en tirent du plaisir, de sorte que c’est interdit (Maguen Avraham). Ce n’est que dans le cas où l’onction ne vise aucunement le plaisir – par exemple si la visée est thérapeutique –, que l’interdit de s’oindre ne s’applique pas. Selon le Baït ‘Hadach et le Touré Zahav, il n’y a pas de différence à faire entre le fait de s’oindre et le fait de se laver : même quand le propos de l’ablution est de retirer quelque salissure légère, c’est interdit ; mais quand la salissure est grande, il est permis de la retirer, aussi bien en se lavant qu’en s’oignant. Le Michna Beroura (613, 2) tranche en pratique comme le Maguen Avraham. Quoi qu’il en soit, de nos jours, on ne se sert plus d’huile pour se défaire d’une souillure.

Si l’on a changé la couche d’un enfant, et que l’on en ait contracté une mauvaise odeur sur sa main, il sera permis de laver cette main avec du savon liquide. Il n’est pas à craindre, en ce cas, d’enfreindre l’interdit de s’oindre, car on n’utilise pas alors d’huile, qui soit absorbée par le corps ; quant à l’odeur du savon, elle est destinée à dissiper la mauvaise odeur. Mais il est interdit, au titre de l’onction, d’utiliser un savon contenant une quantité de crème telle qu’on en ressent ensuite la présence sur la main.

Certains auteurs ont prescrit de ne pas utiliser de parfum ni de déodorant, sans expliquer si c’est au titre de l’onction (sikha) ou à celui de l’ablution (re’hitsa) (Rav Abba Chaoul, Rav Dablitzki). Selon le Pisqé Techouvot 614, 1, c’est au titre de l’onction. Le Chémech Oumaguen III 56 écrit, dans le même sens, qu’il est interdit, au titre de l’onction, de vaporiser du parfum sur son bras. Cependant, nous ne voyons d’onction que dans le cas où la matière est destinée à nourrir la peau, tandis que le parfum à base d’alcool et le déodorant ne sont pas destinés à cela. Par conséquent, il semble que tout le débat, concernant ces produits, touche au seul interdit de se laver ; ainsi, le ‘Hida autorise les cohanim qui doivent se laver les mains avant de procéder à la bénédiction sacerdotale, à laver leurs mains avec une eau mêlée d’eau de rose, afin de donner aux mains une bonne odeur (‘Haïm Chaal I 74). On voit donc bien que le fait de conférer une bonne odeur n’est pas constitutif de l’interdit d’onction. Par conséquent, le déodorant, qui humidifie le corps au degré de toféa’h ‘al menat lehatpia’h [c’est-à-dire que le corps mouillé par lui peut mouiller à son tour quelque autre chose] est interdit au titre de l’ablution (re’hitsa). Mais si le but poursuivi est de dissiper une mauvaise odeur, cela devient permis (c’est ce qui semble ressortir des propos du Rav Chelomo Zalman Auerbach, Halikhot Chelomo, Bein hamétsarim 14, note 56 ; c’est aussi ce qu’écrit en son nom le ‘Hazon Ovadia 4, Ta’aniot p. 295, et ce qu’écrit le Rav Nebenzahl dans Yerouchalaïm Oumo’adéha, p. 274).

À notre humble avis, une femme qui craindrait, en n’utilisant point de parfum, de répandre une mauvaise odeur et d’être mal perçue, est autorisée à faire usage d’un parfum ou d’un déodorant liquide afin de prévenir l’apparition d’une telle odeur. Un vaporisateur déodorant à sec, qui ne mouille pas le corps, est d’usage permis à Kipour. Si le déodorant est solide et qu’il faille l’étaler, c’est interdit au titre du fait d’enduire (memaréa’h) (Les Lois de Chabbat I 14, 5, note 3).

05. Mettre des chaussures

Il est interdit, le jour de Kipour, de porter des sandales ou des chaussures. Dans le passé, la matière utilisée pour fabriquer des chaussures était le cuir, car on ne savait pas travailler d’autres matières pour en faire des chaussures ou sandales solides, résistantes et souples. Ce n’est que pour les besoins de la maison que l’on fabriquait, parfois, des sandales de liège, de caoutchouc ou de bois, et les gens s’en servaient seulement comme de chaussons d’intérieur. Les pauvres, qui avaient l’habitude d’aller pieds nus, s’en servaient parfois quand le chemin était trop dur. La question s’est donc posée de savoir s’il est permis de marcher en sandales ou en chaussures autres qu’en cuir, le jour de Kipour.

Certains Richonim interdisent de marcher en sandales de bois, parce que l’on ne sent pas ainsi la dureté du chemin ; mais ils permettent les sandales de liège ou de caoutchouc, car marcher ainsi est une souffrance, puisque le pied ressent la dureté du chemin (Rachi, Maïmonide, Tossephot, Rabbénou Yerou’ham).

D’autres Richonim autorisent toutes sandales ou chaussures qui ne sont pas fabriquées en cuir ; car tant qu’elles ne sont pas en cuir, elles ne sont pas considérées du tout comme chaussures ou sandales. Leur statut est semblable à celui d’un vêtement (malbouch), et il n’est donc pas interdit de s’en servir pour marcher à Kipour (Na’hmanide, Roch, Rachba). C’est en ce sens que se prononcent, en pratique, la majorité des A’haronim (Choul’han ‘Aroukh 614, 2).

Cependant, il apparaît clairement que l’opinion de ces autorités se fondait sur une époque où les sandales faites dans d’autres matériaux que le cuir étaient toutes inconfortables à la marche, de sorte que l’on pouvait dire qu’elles n’étaient pas considérées comme de véritables sandales ou chaussures. Mais de nos jours, où il est courant de fabriquer de bonnes chaussures en différentes matières autres que le cuir, il est interdit de marcher, à Yom Kipour, avec des chaussures ou des sandales que l’on utilise couramment à l’extérieur, durant l’année, en des endroits où il y a des pierres ou du gravier ; et la matière dans laquelle elles sont faites n’importe pas à cet égard.

Certes, dans la génération précédente, quand il n’était pas encore courant de faire de bonnes chaussures dans d’autres matières, certains décisionnaires autorisaient le port de chaussures confortables, à condition qu’elles ne fussent pas de cuir, ni de quelque matière synthétique semblable au cuir ; mais plus le temps passe, plus il est courant de produire des chaussures d’excellente qualité en d’autres matières, et plus décroît le nombre des décisionnaires qui autorisent à les porter pendant Kipour.

Par conséquent, comme nous l’avons dit, il est interdit, le jour de Kipour, d’aller en chaussures ou en sandales qu’il est courant de porter à l’extérieur, en des endroits où se trouvent des pierres, et la matière dans laquelle elles sont faites n’importe pas. Mais il est permis de marcher en chaussons d’intérieur, en toile, ou en chaussures de caoutchouc très simples, avec lesquelles il n’est pas habituel de marcher à l’extérieur, en des endroits où se trouveraient des pierres ou du gravier. (Quoi qu’il en soit, dans la mesure où il se trouve encore des décisionnaires indulgents, qui permettent l’usage de chaussures ou de sandales, du moment qu’elles ne sont pas en cuir, il n’y a pas lieu de protester quand des personnes s’appuient sur ces avis)[7].


[7]. Le traité Yoma 78b rapporte que plusieurs Amoraïm autorisaient le port de sandales de liège ou d’autres matières semblables. Mais une michna est ensuite citée, qui considère la béquille de l’unijambiste, laquelle est faite en bois, comme une chaussure. La Guémara explique alors que les chaussures de bois sont interdites, tandis que celles de liège ou d’autres matières semblables sont permises. C’est ce qu’écrivent Rachi, Tossephot, le ‘Itour et Rabbénou Yerou’ham. Cela s’explique par le fait que la chaussure de bois est forte, et protège le pied, tandis que ce qui est fait en liège ou en d’autres semblables matières ne protège pas convenablement ; aussi n’appelle-t-on pas non plus cela chaussure. Dans le même sens, Maïmonide écrit, au sujet de la permission de porter des sandales de liège ou de caoutchouc : « Car la dureté du sol parvient au pied, et l’on se sent comme pieds nus » (Chevitat ‘Assor 3, 7). C’est aussi la position de plusieurs A’haronim – parmi lesquels le Panim Méïrot II 28, le ‘Hida et le Gaon de Vilna –, que d’interdire toute sandale ou chaussure avec laquelle on ne sent pas la dureté du sol. (Rabbi Zera’hia Halévi estime que le statut du liège et des matières comparables est semblable à celui de chaussures de bois ; aussi cet auteur ne permet-il que d’enrouler le pied dans un vêtement.)

Face à cela, Na’hmanide écrit que seules les chaussures ou sandales de cuir sont considérées comme chaussures, comme le pense Rabbi Yo’hanan ben Nouri (Chabbat 66a), à la différence de toutes chaussures faites en une autre matière ; dès lors, ces dernières sont permises à Kipour. C’est l’opinion du Roch, du Rachba, du Ritva et du Méïri. C’est aussi en ce sens que l’on comprend l’opinion du Rif ; et c’est en ce sens que tranche le Choul’han ‘Aroukh 614, 2. Sont aussi de cet avis la majorité des A’haronim, qui suivent en cela le Choul’han ‘Aroukh et ne diffèrent pas d’opinion ; telle est la position du Zéra’ Émet et du Maharchag. Et c’est ce qui est usuellement enseigné. Quoi qu’il en soit, le Michna Beroura 614, 5 précise que, bien que la majorité des décisionnaires soient d’avis que toute chaussure autre qu’en cuir est considérée comme vêtement, et qu’elle n’est donc pas interdite, de sorte qu’il n’y a pas lieu de protester face aux indulgents, il est juste d’être rigoureux si on le peut, et d’aller en anpilaot de tissu, comme il est d’usage – les anpilaot sont des bas épais ou des chaussons d’intérieur –, puisque certains décisionnaires interdisent toutes les sortes de chaussures qui protègent bien le pied.

De même, la majorité des décisionnaires des dernières générations ont enseigné que, en pratique, il est permis de marcher en chaussures ou en sandales autres qu’en cuir, mais qu’il est juste d’être rigoureux dans le cas où ces chaussures sont confortables, et où l’on ne sent pas, avec elles, la dureté du sol. C’est ce qu’on peut lire dans le Halikhot Chelomo 5, 16-17, et les Hilkhot ‘Haguim 45, 38-39 du Rav Mordekhaï Élyahou. Le ‘Hazon Ich p. 313 est indulgent a priori.

Il semble toutefois clair que, de l’avis même des décisionnaires indulgents, la permission de porter des chaussures ou des sandales autres qu’en cuir s’explique parce que, à ces époques, il n’existait aucune matière qui, du point de vue de la solidité, de la résistance et de la souplesse, pût servir de substitut au cuir. Tous les substituts, faits d’autres matières, faisaient alors figure de simples « vêtements », et servaient de chaussons, ou bien il s’agissait de sandales de très mauvaise qualité, que seuls des pauvres utilisaient parfois. En effet, les pauvres marchaient généralement pieds nus, et ce n’est que lorsque leur pied était blessé, ou qu’ils parcouraient un chemin jonché d’obstacles particulièrement durs aux pieds, qu’ils entouraient leurs pieds de quelque protection. C’est sur de tels types de sandales que les Amoraïm et les Richonim controversent : ceux qui tenaient pour l’avis rigoureux interdisaient de telles chaussures, parce qu’elles protégeaient, dans une certaine mesure, des obstacles du sol ; les tenants de l’opinion indulgente autorisaient cela, en raison de l’inconfort qu’il y avait à marcher ainsi – c’est pourquoi il n’était pas courant de fabriquer de telles sandales.

Mais de nos jours, où il est courant de fabriquer de bonnes chaussures et sandales dans des matériaux divers, et où nombre de gens les portent, marcher ainsi le jour de Kipour serait, de l’avis de tous, fondamentalement interdit. Le Ritva explique ainsi qu’il tranche conformément à l’opinion indulgente, permettant d’aller en chaussures de bois, parce qu’il n’est pas d’usage de faire de telles chaussures (Chabbat 66a). C’est aussi ce qu’écrit Rabbénou Nissim (sur Yoma 2b) quand il explique la position indulgente. D’autres Richonim écrivent ainsi que toutes les chaussures que l’on a l’habitude de porter durant toute l’année sont d’usage interdit à Kipour (Yeréïm 420, Tossephot sur Yevamot 103a ד »ה באנפיליא). C’est aussi la position du Maharchag II 110 selon qui la halakha est conforme à l’opinion indulgente, s’agissant de chaussures autres qu’en cuir, parce qu’il n’est pas d’usage de faire, dans des matières autres que le cuir, de bonnes chaussures, que les gens auraient l’habitude de porter ; par conséquent, poursuit l’auteur, même si, par exception, on avait fait à partir de ces matières de bonnes chaussures, celles-ci resteraient permises. Mais de nos jours où il est courant de faire de nombreuses chaussures en différentes matières, cet auteur lui-même serait rigoureux.

En résumé, il n’y aurait pas de controverse entre Richonim en ce qui concerne les chaussures de notre temps, s’ils les avaient pu connaître : tous s’accorderaient à dire que, si les chaussures sont de bonne qualité, et qu’il soit courant de les porter tout au long de l’année, il est interdit de les porter le jour de Kipour. C’est ce qu’écrivent le Ahola Chel Torah II 81 et le Hilkhot ‘Hag Be’hag 22, 25 au nom du Rav Elyachiv. Il semble que, plus le temps passe et l’on s’habitue à porter des chaussures ou sandales de différentes matières, plus nombreux sont les décisionnaires rigoureux, qui les considèrent comme de véritables chaussures. Certes, s’agissant des nu-pieds (tongs) de caoutchouc, une certaine perplexité s’est manifestée ; car de nombreuses personnes ont l’habitude d’en porter, également dans la rue. Il semble que le critère à appliquer soit celui-ci : si de nombreuses personnes ont l’habitude de marcher, avec de telles sandales, à l’extérieur, même en des endroits où se trouvent des pierres et du gravier, elles sont interdites à Kipour. Mais si, sur des pierres ou du gravier, il n’est presque personne qui marche avec de telles sandales, il est permis de les porter à Kipour (le Baït ‘Hadach estime que l’on doit aller pieds nus, mais on ne tient pas compte de son opinion).

On peut trouver peut-être quelque justification au bénéfice des personnes indulgentes, qui portent de bonnes chaussures ou sandales autres qu’en cuir, en disant qu’elles partagent l’opinion de la majorité des Richonim, selon qui l’interdit de porter des chaussures est de rang rabbinique, et que les sages, suivant leur compréhension profonde, n’ont pas étendu leur interdit au-delà des chaussures de cuir ; de sorte que toutes chaussures qui ne sont pas de cuir, même si tout le monde s’accordait à les considérer aujourd’hui comme de bonnes chaussures, échapperaient au champ de l’interdit, interdit auquel il ne faut pas ajouter, de nos jours, de nouvelles rigueurs. On peut aussi observer que, de nos jours encore, les chaussures et sandales faites en cuir sont considérées comme de meilleure qualité que les autres. Rabbi Isaac Louria a expliqué que, si les chaussures de cuir ont été interdites, c’est parce qu’elles participent du « secret des tuniques de peau d’Adam, le premier homme, qui étaient en peau de serpent » (Peri ‘Ets ‘Haïm, Cha’ar Yom hakipourim 4).

Quoi qu’il en soit, il semble en pratique qu’il n’y ait pas lieu à l’indulgence à cet égard, et que l’interdit s’applique à toutes chaussures ou sandales qu’il est courant de porter à l’extérieur, en des endroits où sont des pierres ou du gravier.

06. Cas de permission, quant au port de chaussures

Il est permis aux malades, aux parturientes et aux accouchées, qui risqueraient de tomber malades à cause du froid en allant pieds nus[f], de porter des chaussures (Choul’han ‘Aroukh 614, 3).

Il est permis à ceux qui marchent en un lieu où un danger est à craindre, en raison de la présence possible de scorpions ou de semblables bêtes, de porter des chaussures. De même, il est permis à ceux qui marchent en un endroit boueux ou fangeux de porter des chaussures, afin de ne pas souiller leurs pieds. Un soldat, dans le cadre de son service, peut aussi porter ses chaussures militaires (Choul’han ‘Aroukh 614, 4). En effet, l’interdit de porter des chaussures ou des sandales tient lorsque le  but est de marcher confortablement ; mais si l’on a besoin de les porter pour quelque autre raison, il n’y a pas d’interdit.

Si l’on a besoin de semelles orthopédiques, et que l’on souffre beaucoup en ne les ayant pas aux pieds, il est permis de les placer, même si elles sont en cuir, à l’intérieur de chaussons ou de chaussures de caoutchouc rudimentaires, et de les utiliser à Kipour. Cela, parce que le but de ces semelles n’est pas de procurer du plaisir, mais d’empêcher une souffrance particulière (‘Helqat Ya’aqov II 83)[8].


[f]. Ou pauvrement chaussés, comme on l’a vu dans le paragraphe précédent.

[8]. Les responsa ‘Helqat Ya’aqov II 83 autorisent celui qui souffre beaucoup quand il marche sans ses semelles, et quoique celles-ci soient recouvertes de cuir – à les placer dans des chaussons de toile ou de caoutchouc, afin d’éviter un grand désagrément ; ce cas ressemble à celui de l’homme délicat (histénis) qui marcherait en un lieu où il y aurait de la fange, cas dans lequel il est permis de porter des chaussures, puisque ce n’est pas la jouissance que l’on poursuit en les portant (Rama 614, 4). De plus, la semelle orthopédique ne fait pas partie de la chaussure, de sorte que le cas ressemble à celui où l’on se tient sur un coussin de cuir, ce qui est permis (Rama 614, 2, Michna Beroura 9). C’est la position du Chemirat Chabbat Kehilkhata 39, 37 et du Nichmat Avraham 614, 4. Le ‘Hout Chani (p. 137) craint que ces semelles ne doivent être considérées comme faisant partie de la chaussure, mais il les autorise à ceux qui ne peuvent marcher autrement.

En pratique, si l’on souffre beaucoup sans semelles orthopédiques, on peut être indulgent et en utiliser, même si elles sont en cuir ; on les placera dans des chaussures de caoutchouc sommaires, qu’il n’est pas habituel de porter dehors. Si les semelles orthopédiques sont faites dans une autre matière, on pourra être indulgent, même s’il n’y a pas de grande souffrance.

07. Relations conjugales

La cinquième mortification consiste à s’abstenir de relations conjugales. Pour s’éloigner de la transgression, les époux doivent se comporter comme au temps où la femme est nida : ne pas se toucher l’un l’autre, et ne pas dormir dans le même lit (Choul’han ‘Aroukh 615, 1, Michna Beroura 1)[9].

Plusieurs Richonim des pays ashkénazes écrivent qu’il faut se garder de manger, la veille de Kipour, des aliments susceptibles de provoquer une émission vaine de semence (Rama 608, 4). De nos jours, les médecins ne savent pas dire quels aliments provoquent cela ; aussi n’est-il pas obligatoire de s’abstenir de tel aliment. Il est juste que les jeunes s’abstiennent de dormir d’une façon qui, à leur connaissance, risquerait de causer une pollution nocturne. Nombreux sont ceux qui ont coutume de réciter, avant de dormir, les psaumes 1 à 4, ce qui constitue une ségoula[g] contre les pollutions nocturnes (Michna Beroura 619, 14).


[9]. Selon le Touré Zahav, c’est seulement durant la nuit qu’il faut se comporter, à l’égard de sa femme, comme aux jours où elle est nida. Mais le Choul’han ‘Aroukh 615, 1 n’a pas fait de différence entre le jour et la nuit. C’est dans ce dernier sens que se prononce le Michna Beroura 1, se fondant sur Maguen Avraham, Élya Rabba, Birké Yossef, Choul’han ‘Aroukh Harav et ‘Hayé Adam. Cependant, en cas de nécessité, on peut être indulgent le jour (Élef Lamaté 1, Ben Ich ‘Haï, Vayélekh 15). Il est donc permis à des époux d’être kvaters [personnes qui, lors d’une circoncision,  amènent le bébé vers le fauteuil du prophète Élie], quand une circoncision a lieu le jour de Kipour, l’épouse faisant passer le bébé de ses mains à celles de son époux (Halikhot Chelomo 5, 22).

[g]. Acte ou comportement approprié, spirituellement, pour produire telle chose souhaitable ou éviter telle autre, fâcheuse.

08. Enfants

À partir du moment où les petits enfants parviennent à l’âge de l’éducation, c’est-à-dire, en l’occurrence, à l’âge où ils comprennent la mitsva de Yom Kipour, on les instruit à ne pas se laver ce jour-là, ni à s’oindre, ni à porter de chaussures ou de sandales. En général, les enfants parviennent à ce stade à l’âge de cinq ou six ans. Certains parents apportent à leur pratique un supplément de perfection, en les éduquant à ne pas porter de chaussures dès l’âge de trois ans.

En plus de la mitsva d’éduquer les petits au commandement du jeûne, il est interdit aux adultes de les induire en erreur, même les bébés qui viennent de naître, en leur faisant faire une chose interdite. Car de même qu’il est interdit aux adultes de nourrir les enfants d’insectes ou de sang, ou de rendre impur un cohen mineur, de même est-il interdit aux adultes de laver, d’oindre ou de chausser de cuir les enfants (Pniné Halakha – Les Lois de Chabbat II 24, 2). Mais quand il y a à cela une certaine nécessité médicale, il devient permis de les laver ou de les oindre. Cela n’entre pas dans le champ de l’interdit de médication, que les sages ont décrété quant au Chabbat et aux fêtes, parce que, pour les nécessités liées à la maladie ou à l’indisposition d’un enfant, les sages ont levé l’interdit fixé à l’endroit des adultes (ibid. 6). De même, quand un enfant risque de subir un dommage en n’ayant pas de chaussures, on pourra lui en mettre.

S’agissant du jeûne, il est impossible d’éduquer des enfants de cinq et six ans à jeûner, car ils sont encore faibles, et le jeûne risque de leur nuire. Aussi attend-on qu’ils parviennent à l’âge de neuf ans. À ce moment, on commence à instruire les garçons et les filles en bonne santé à jeûner quelques heures : s’ils ont l’habitude de manger à huit heures, le matin, ils mangeront à l’approche de midi, le jour de Kipour. S’ils sont faibles, on ne les éduque pas à cela depuis l’âge de neuf ans, mais de dix ans.

À partir de onze ans, on éduque les garçons et les filles à jeûner toute la journée de Kipour ; s’ils sont faibles, ils peuvent être indulgents et ne jeûner que jusqu’au midi solaire.

À partir de douze ans, les filles ont l’obligation toranique de jeûner. Les garçons de douze ans, eux, doivent jeûner en vertu des paroles des sages, afin de s’éduquer à la mitsva. Même quand un garçon est faible, il lui faut s’efforcer de jeûner le jour entier. Cependant s’il est malade, et quoique sa maladie ne présente pas de danger pour sa personne, il n’est pas obligé de jeûner, puisqu’il n’est pas encore parvenu à l’âge des mitsvot. Il s’efforcera alors de jeûner jusqu’au midi. À partir de treize ans, les garçons sont à leur tour tenus toraniquement de jeûner[10].

Nombreux sont ceux qui encouragent les petits enfants, parvenus à l’âge de l’éducation, à ne pas manger ni boire le soir de Kipour. Bien que certains auteurs pensent qu’il n’y a pas lieu d’être rigoureux à cet égard, tel est l’usage de beaucoup, afin d’éduquer les petits à participer un peu au jeûne. Mais s’ils demandent à boire ou à manger, il faut le leur donner (Élef Hamaguen 616, 5).

Nombreux sont ceux qui estimaient que, avant l’âge de neuf ans, il fallait empêcher les enfants de jeûner, ne fût-ce que quelques heures au cours de la journée, de crainte que cela ne les mette en danger (Rama 616, 2). Mais la majorité des enfants veulent jeûner quelques heures, avant même l’âge de neuf ans ; et puisque les médecins pensent qu’il n’y a pas de danger à cela, la majorité des Juifs ont coutume de les laisser jeûner quelques heures, le matin, et il n’y a pas lieu d’annuler cet usage (Échel Avraham de Rabbi Avraham Botchatch, d’après Rachi).


[10]. La question est traitée en Yoma 82a, dans la Michna puis la Guémara. On trouve en pratique trois opinions, quant au jeûne des enfants : selon le Roch et Rabbi Yechaya A’haron zal, quatre ans avant qu’ils soient assujettis à la mitsva, on éduque les enfants en bonne santé à jeûner quelques heures ; deux ans avant qu’ils y soient assujettis, on les éduque à jeûner toute la journée. S’ils sont faibles, c’est seulement trois ans avant qu’ils y soient assujettis qu’on les éduque à jeûner quelques heures, et on les éduque à jeûner le jour entier un an avant qu’ils y soient assujettis. Puisque les filles sont toraniquement tenues d’observer les mitsvot à l’âge de douze ans, on commence à les éduquer au jeûne à l’âge de huit ans (comme le dit Rav Houna). Les garçons sont tenus aux mitsvot à l’âge de treize ans ; on commence donc à les éduquer au jeûne à neuf ans (comme le dit Rav Na’hman).

Selon le Rif, Maïmonide et le Choul’han ‘Aroukh 616, 2, il n’y a pas de différence à faire entre les garçons et les filles : tout enfant en bonne santé est instruit à jeûner quelques heures à partir de neuf ans, et, s’ils sont faibles, à partir de dix ans. À partir de onze ans, on éduque les garçons et les filles, qu’ils soient en bonne santé ou faibles, à jeûner pleinement. Ce n’est que si l’enfant, garçon ou fille, est vraiment malade, qu’il ne jeûnera pas avant d’être parvenu à l’âge où la Torah l’y oblige (c’est en ce sens que ces auteurs expliquent l’opinion de Rav Na’hman).

D’autres tranchent d’après l’opinion de Rabbi Yo’hanan, selon qui on n’éduque pas du tout l’enfant à jeûner un plein jour : c’est seulement quand ils parviendront à l’âge où l’on est tenu aux mitsvot, qu’ils auront l’obligation de jeûner toute la journée. Quant au fait d’éduquer à jeûner quelques heures, cela commence deux ans avant cela. C’est l’opinion de Rabbi Yits’haq ibn Ghiat, du Roqéa’h et de Rabbi Eliézer de Metz. Selon le Teroumat Hadéchen et le Rama, il faut s’appuyer sur ces autorités pour dispenser d’un jeûne complet l’enfant maigre, qui n’a pas la force de jeûner. Selon le Élya Rabba, il faut a priori instruire les enfants à ne pas jeûner un jour complet avant qu’ils n’arrivent à l’âge des mitsvot, car tous doivent être considérés comme malades. C’est aussi l’opinion du ‘Aroukh Hachoul’han 616, 17 et du Halikhot Chelomo 6, 14.

Le Michna Beroura 616, 9 cite les différentes opinions. Le Rav Mordekhaï Élyahou, dans le Maamar Mordekhaï sur les fêtes 45, 19, écrit qu’il faut encourager les mineurs à se conformer à l’avis du Choul’han ‘Aroukh. Et c’est en ce sens que nous nous sommes exprimé dans le corps de texte, à l’exception des enfants de onze ans : s’ils sont faibles, nous adoptons l’opinion indulgente, et tel est l’usage courant.

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