Pniné Halakha

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Chapitre 21 – Transfert et port d’objets (hotsaa)

01. La mélakha du transfert et du port d’objets

La mélakha du transfert et du port d’objets (hotsaa, littéralement « fait de faire sortir ») consiste à faire passer un objet du domaine particulier[a] (rechout haya’hid) au domaine public (rechout harabim) ou inversement, ou encore à porter un objet dans le domaine public sur une distance de plus de quatre coudées (ama, plur. amot).

Durant les six jours de la semaine, le rôle de l’homme est d’accomplir des travaux afin de perfectionner et de développer le monde : fabriquer des ustensiles, des appareils, construire des maisons, développer l’agriculture, pour les besoins alimentaires et vestimentaires, l’orientation suprême de tous ces travaux étant de construire le Tabernacle et le Sanctuaire, où résidera la Présence divine. Malgré la très haute importance du travail, la Torah nous ordonne de nous abstenir de tout travail, le jour du Chabbat, de méditer aux fondements de la foi et de nous livrer à l’étude de la Torah. De cette façon, le travail que nous accomplissons pendant nos six jours d’activité est paré d’une signification profonde ; il a le potentiel de rapprocher le monde de son parachèvement (tiqoun), et d’y établir le Temple de l’Eternel, Dieu d’Israël.

Mais la mélakha du transfert nous apprend un élément supplémentaire : ce n’est pas seulement le changement opéré dans l’objet lui-même qui est considéré comme un travail, mais encore un changement substantiel apporté à son emplacement. En effet, la question du lieu est d’une grande importance. Il n’est rien dans le monde qui n’ait sa place. Quand une chose est à la place requise, on en retire une utilité ; quand elle n’est pas à la place où l’on aurait besoin d’elle, elle perd son importance. Dans un lieu où l’eau manque, celle-ci possède une grande valeur, tandis qu’en un lieu où il y a surabondance d’eau, sa valeur baisse. Bien plus : sans lieu (maqom), rien ne peut avoir d’existence (qiyoum)[b]. C’est pourquoi Dieu est lui-même appelé Maqom (« Lieu »), car il fait exister (méqayem) le monde et lui attribue une place où il puisse se perpétuer. Nos sages, de mémoire bénie, appellent les différentes catégories de lieu « domaines » (rechout, plur. rechouyot)[c], car toute chose se trouve et se maintient grâce à son appartenance au lieu où elle est placée.

Ainsi, la Torah nous enseigne que le fait de transporter les offrandes (téroumot)[d] vers le lieu du Tabernacle – du domaine particulier propre à chaque Israélite vers le domaine public sur lequel on bâtissait le Tabernacle –, est considéré comme une mélakha, comme il est dit : « Moïse ordonna que l’on fît passer cette consigne dans le camp : “Que personne, homme ou femme, ne fasse plus de travail (mélakha) pour contribuer au Sanctuaire.” Et le peuple cessa d’apporter » (Ex 36, 6).

La Torah répartit les différents lieux en trois catégories de domaines : le rechout harabim, domaine public (litt. domaine de tous, ou domaine du nombre) ; le rechout haya’hid, domaine particulier (litt. domaine du particulier, de l’individu) ; et le meqom ptor, « lieu d’exemption ». Les sages ont étendu le domaine public en décrétant que la majorité des lieux définis toraniquement comme lieux d’exemption adopteraient un statut comparable à celui du domaine public ; on appelle karmelit ce domaine défini rabbiniquement.


[a]. Nous traduisons rechout haya’hid par domaine particulier, plutôt que par domaine privé. En effet, certains édifices, bien qu’ils appartiennent à une personne morale de droit public (Etat, collectivité territoriale, établissement public), sont définis par la halakha comme appartenant au rechout haya’hid en raison de leurs dimensions et de leur conformation.

[b]. Ces noms se rattachent l’un et l’autre à la même racine, קום.

 

[c]. Littéralement : permission, autorisation.

 

[d]. Il s’agit des offrandes de matériaux et d’ouvrages destinés à la construction du Tabernacle.

02. Domaine particulier et domaine public

Le domaine particulier (rechout haya’hid) est un endroit entouré de cloisons, grâce auxquelles il est considéré comme un lieu unitaire, où il est permis de porter des objets. Même si cet endroit est très grand, dès lors qu’il est entouré de cloisons, on le considère comme un seul et même lieu : il n’y a pas de différence essentielle, pour un objet, à se trouver plutôt du côté est ou plutôt du côté ouest de l’espace ainsi délimité.

L’exemple le plus emblématique de domaine particulier est bien sûr la maison. Mais il n’est pas nécessaire, pour constituer un domaine particulier, que l’endroit soit entouré de murs et surmonté d’un plafond : tant qu’une cloison (me’hitsa) haute de 10 téfa’h (76 cm) l’entoure, le lieu se définit comme domaine particulier. Même une fosse profonde de dix téfa’h est considérée comme domaine particulier ; même un rocher ou un monticule haut de dix téfa’h est considéré comme domaine particulier, bien qu’il ne soit pas surplombé de cloisons : le fait même d’être haut de 10 téfa’h au-dessus du reste du territoire tient lieu de cloisons, et nous regardons ces « cloisons » comme prolongeant, s’élevant et entourant la surface du rocher. Toutefois, pour former un domaine particulier, le lieu doit être d’au moins 4 téfa’h de côté (environ 30 cm). Si sa largeur est inférieure à cela, il n’a pas assez d’importance pour être considéré comme un domaine particulier, et a statut de « lieu d’exemption » (meqom ptor). Il faut encore savoir qu’une pente raide est également considérée comme une cloison[1].

Le domaine public (rechout harabim) est un lieu qui sert aux besoins du public, tel que la rue, le marché, une voie reliant deux agglomérations ; cela, à condition que la largeur de ce lieu soit d’au moins 16 amot (7,30 m) et qu’il ne soit pas surmonté d’un plafond. Selon certains avis, il faut encore, pour être qualifié de rechout harabim, que 600 000 personnes y passent ordinairement chaque jour, à l’exemple du nombre de personnes recensées par la Torah à l’époque où nos ancêtres traversaient le désert (cf. ci-après, § 8).

Le principe est que tous les interdits liés au port d’objets ressortissent au domaine public. En d’autres termes, l’interdit de porter (tiltoul) ne s’applique pas en un lieu qui n’appartient pas au domaine public. Dans le domaine public, il est interdit de porter un objet sur une distance supérieure à 4 amot (cf. ci-après, § 3-4) ; de même, il est interdit de transférer un objet du domaine particulier au domaine public et inversement.


[1]. Si la pente entourant une colline est suffisamment abrupte pour que, en marchant 4 amot (182,4 cm), on descende de 10 téfa’h (76 cm), cette pente sera considérée comme une « cloison périphérique » (héqef me’hitsa), qui confère le statut de domaine particulier à tout ce qui se situe au-dessus de lui. Une telle colline est appelée, dans la terminologie talmudique, « colline abrupte » (tel hamitlaqet) (Michna Beroura 345, 5). Les décisionnaires sont partagés quant à la pente elle-même : faut-il la considérer comme faisant partie du domaine particulier ? Cf. Béour Halakha 352, 2 ד »ה בענין). La règle est la même s’agissant d’une vallée entourée, de la même façon, d’une pente abrupte.

 

Nos sages ont décrété que, si un lieu entouré de cloisons est d’une superficie supérieure à un beit sataïm (champ où l’on peut semer deux séa de graines), et quoique la Torah définisse un tel lieu comme domaine particulier, il ne sera permis de porter des objets dans son enceinte que si ses cloisons ont été érigées à titre d’habitation. Si elles sont naturelles, il faudra ériger une cloison d’une longueur de plus de 10 amot, à une distance de la cloison naturelle ne dépassant pas 10 amot, afin que l’homme soit associé au cloisonnement du lieu. Il sera alors permis de porter des objets dans tout le périmètre ainsi délimité (Choul’han ‘Aroukh 358, 8, Michna Beroura 62). La superficie d’un beit sataïm équivaut à celle du parvis du Tabernacle ; elle est de 50 amot sur 100 (5000 amot²), c’est-à-dire 1039,68 m², soit un peu plus de 10 ares.

 

Suivant l’exacte mesure, un téfa’h est la largeur des quatre doigts de la main autres que le pouce (à l’endroit où ils s’articulent à la paume), ce qui équivaut à 7,6 cm (cf. ci-après, chap. 29, note 1). D’après cela, 3 téfa’h = 22,8 cm ; nous écrivons 23 cm au paragraphe suivant, afin d’en faciliter la mémorisation. De même, dans le présent paragraphe : 4 téfa’h font 30,4 cm, mais nous écrivons 30 ; 16 amot font 7,296 m, nous arrondissons à 7,30.

03.Autres domaines : meqom ptor et karmelit

La troisième catégorie de domaine est appelée meqom ptor, « lieu d’exemption ». Y sont inclus les champs, les déserts, les mers et les lacs, ainsi que les autres lieux qui, d’une part, ne sont pas entourés de cloisons qui les définiraient comme domaines particuliers, mais qui, d’autre part, ne servent pas au public de manière régulière. Puisqu’il s’agit d’un lieu indéfini, le meqom ptor n’a pas l’importance, halakhiquement parlant, d’un véritable lieu, et l’on ne considère pas, en ce cas, que l’endroit où l’objet est placé relie ce dernier à lui. Aussi la Torah permet-elle de transférer un objet d’un meqom ptor vers un domaine particulier ou vers le domaine public, ou encore, inversement, de l’un de ces domaines vers un meqom ptor. De même, il est permis par la Torah de porter des objets à l’intérieur d’un meqom ptor, sur quelque distance que ce soit.

Cependant, il existe une ressemblance entre meqom ptor et domaine public, car le public est autorisé à utiliser l’un et l’autre de ces lieux. Pour cette raison, les sages ont dressé une haie protectrice autour de la Torah, en décrétant que tous les lieux ouverts n’appartenant pas au domaine particulier seraient appelés karmelit, et que leur statut serait semblable à celui du domaine public : il est interdit d’y porter un objet sur plus de quatre coudées ; il est également interdit de transférer un objet d’un karmelit vers un domaine particulier ou vers un domaine public, ou encore de l’un de ces deux domaines vers un karmelit.

Seuls les endroits qui ne sont pas appropriés à un usage important, tels que les rochers hauts de plus de 3 téfa’h (environ 23 cm) et dont la largeur est inférieure à 4 téfa’h (environ 30 cm) conservent le statut de meqom ptor, et il est permis de transférer un objet vers eux, depuis un domaine particulier ou public, ou inversement de transférer l’objet depuis le meqom ptor jusqu’au domaine particulier ou public. La raison pour laquelle nos sages n’ont pas décrété d’interdit sur un semblable meqom ptor est que ce lieu diffère entièrement des autres domaines : du fait qu’il est haut d’au moins 3 téfa’h, il est considéré comme séparé de la surface du sol ; et du fait que sa largeur est inférieure à 4 téfa’h, il n’a pas la superficie d’un lieu important, et l’on ne risque pas de se tromper, et de penser que, puisqu’il est permis d’y porter, il est également permis de porter en d’autres lieux dont la superficie est celle de lieux importants[2].


[2]. Un meqom ptor peut s’inscrire au sein du domaine public ; mais les décisionnaires sont partagés quant au fait de savoir s’il peut y avoir un meqom ptor au sein d’un karmelit. Selon certains, puisque le karmelit lui-même était à l’origine un meqom ptor, et que ce sont les sages qui lui ont donné le statut de karmelit, un meqom ptor qui se trouverait inclus au sein d’un karmelit serait assimilé au statut de ce dernier (Ran, Hagahot Maïmoniot, Tour, Beit Yossef au nom de Maïmonide). Selon d’autres, le statut de karmelit est semblable à celui de domaine public ; par conséquent, s’il s’y trouve un endroit dont la largeur soit inférieure à 4 téfa’h, et la hauteur supérieure à 3 téfa’h, cet endroit sera considéré comme meqom ptor (Rachi, Maamar Mordekhaï au nom du Rachba, Méïri, Rabbénou Yerou’ham).

 

En revanche, tout le monde s’accorde à dire qu’il ne saurait y avoir de meqom ptor inclus dans un domaine particulier, car la clôture qui entoure ce dernier confère à tout ce qui s’y trouve le statut de domaine particulier (Rama 345, 19, Béour Halakha ad loc. ד »ה ר »ן et יש חולקים).

 

Le domaine public s’étend, en hauteur, jusqu’à 10 téfa’h seulement. Un homme qui prendrait un objet en main, et qui marcherait sur une corde ou sur une poutre suspendue au-dessus du domaine public, ne transgresserait pas l’interdit de porter, car l’air qui se situe au-dessus de 10 téfa’h est considéré comme meqom ptor. En revanche, les avis sont partagés s’agissant d’une table de plus de 10 téfa’h de hauteur, de plus de 4 téfa’h de largeur, et qui se tiendrait dans le domaine public ou dans un karmelit. Selon le Choul’han ‘Aroukh 345, 16, puisque cette table n’a pas de cloisons qui en feraient un domaine particulier, son statut est celui de karmelit ; selon le Michna Beroura 345, 66 et le Gaon de Vilna, se basant sur plusieurs Richonim, il s’agit d’un meqom ptor, car il n’y a pas de karmelit ni de domaine public au-delà de 10 téfa’h. Selon le Cha’ar Hatsioun 68, le Choul’han ‘Aroukh lui-même est revenu sur son avis (Hilkhot ‘Erouvin du Rav Lange, p. 20).

04. Motif de l’interdit de porter, dans le domaine public, sur plus de quatre coudées

Comme nous l’avons vu, il est interdit de transférer, le Chabbat, des objets d’un domaine à l’autre. À l’intérieur du domaine particulier, même s’il s’agit d’une grande maison, dotée de nombreuses chambres, il est permis de déplacer des objets, sans limitation, car tout le domaine particulier est considéré comme un seul et même domaine, si bien qu’y déplacer des objets n’est pas considéré comme un transfert de domaine à domaine. Par contre, dans le domaine public, on est autorisé à déplacer un objet dans les limites de quatre coudées seulement, car le domaine public appartient à tous, si bien qu’il n’est permis à chacun que d’utiliser les quatre coudées dans lesquelles il se trouve. Quatre coudées constituent la mesure suffisante pour qu’un homme se couche en étendant les bras et les jambes. Si donc on fait sortir un objet de « ses » quatre coudées, on le fait sortir du « domaine » que l’on occupe au sein du domaine public, pour le transférer au domaine public général, ce que la Torah interdit.

D’un point de vue spirituel, il faut savoir que toutes les corruptions, toutes les confusions qui sont au monde émanent de la division, et de la discorde qui l’accompagne. Les peuples se font la guerre, les hommes rivalisent entre eux, les mouvements idéologiques luttent les uns contre les autres : ainsi, de très nombreuses forces se perdent en querelles. L’homme lui-même est déchiré entre ses diverses volontés, qui bien souvent paraissent contradictoires. La réparation de tout cela consiste dans la manifestation de l’unité. Par la foi dans le Dieu Un, qui créa l’ensemble du monde, nous sommes à même de comprendre que les différentes velléités existant dans le monde tendent vers un but unique. Ce n’est qu’en les combinant ensemble, sous la direction de la Torah, qu’il devient possible de développer le monde et de le parfaire. D’après cela, on peut comprendre pourquoi la mitsva « tu aimeras ton prochain comme toi-même » constitue un principe essentiel de la Torah : elle dresse un pont entre les fragments de l’existence, et nous aide à révéler le fondement unitaire du monde.

Sur cette base, nous pouvons comprendre également pourquoi, dans le domaine particulier, il est permis de porter des objets. C’est que le domaine particulier est un lieu parachevé : puisqu’il est circonscrit par des cloisons, sa tendance à l’unité s’y révèle ; dès lors, toutes les pièces, toutes les parties qui le composent sont considérées comme un seul et même lieu, et il est permis d’y déplacer des objets. Le domaine public, en revanche, est un lieu qui n’est pas encore accompli, car les intérêts différenciés des hommes s’y expriment ; aussi, les objets qui y sont placés n’ont pas encore atteint leur emplacement fixe, et tout port d’objet au-delà de quatre coudées est considéré comme une mélakha.

Le karmelit est un lieu qui n’est pas destiné à l’usage de masses humaines ; par conséquent, les divers intérêts n’y trouvent pas une expression très saillante. Aussi, un tel domaine serait regardé par la Torah comme meqom ptor, « lieu d’exemption », auquel les interdits de port d’objet ne s’appliquent pas. Mais puisque les gens l’utilisent pêle-mêle, il y a là une ressemblance avec le domaine public ; c’est pourquoi nos sages ont décidé que la règle applicable au karmelit serait semblable à celle du domaine public : il est interdit d’y porter. Et puisqu’il est parfois fait usage du karmelit par l’individu, à l’exemple de l’usage fait du domaine particulier, les sages ont interdit de transférer quelque objet du karmelit au domaine public.

Mais si l’on entoure le domaine public d’un mur ou d’une barrière, et que l’on en ferme les portes la nuit, on y manifeste le fondement unitaire, le dénominateur commun ; alors, le domaine public devient accompli, comme l’est le domaine particulier, et il devient permis de porter sur toute sa surface. Quant au karmelit, il n’est pas nécessaire, pour parachever ce domaine, de l’entourer d’une barrière ou d’un mur : il suffit de l’entourer d’un dispositif en forme de portail (tsourat hapéta’h)[e]; de cette manière, il est assimilé au domaine particulier, dans lequel il est permis de porter (comme nous l’expliquerons plus en détail au chap. 29 § 2).


[e]. Par exemple des poteaux réunis au sommet par un fil.

05. L’interdit de porter, des points de vue toranique et rabbinique

Nous avons vu que l’interdit de hotsaa s’applique au fait de transférer des objets d’un domaine à un autre, c’est-à-dire du domaine particulier vers le domaine public ou vers celui de karmelit (qui est un « domaine public » de rang rabbinique), ou l’inverse, du domaine public ou de karmelit vers le domaine particulier. De même, l’interdit s’applique au fait de porter un objet sur plus de quatre coudées dans le domaine public ou dans un karmelit. À présent, tentons d’examiner de façon plus précise en quoi consiste la mélakha interdite, du point de vue toranique.

La mélakha de « porter » (hotsaa) se compose de trois étapes : a) prendre l’objet du domaine où il se trouve ; b) le transférer dans un autre domaine ; c) le déposer dans ce second domaine. Même si l’on a opéré ces trois étapes en une seule et même action, on n’en reste pas moins passible de sanction. C’est le cas, par exemple, quand on jette un objet du domaine particulier vers le domaine public, ou bien que l’on jette l’objet à une distance de quatre coudées dans le domaine public. De même, si l’on tient un objet en main, ou que l’on porte un objet dans sa poche, et que l’on aille du domaine particulier au domaine public, on enfreint l’interdit de porter. En effet, au début de sa marche, on accomplit un déplacement d’objet ; puis, durant son passage du domaine particulier au domaine public, on réalise un transfert d’objet ; enfin, quand on se tient dans le domaine public, on accomplit le « dépôt » de l’objet[3].

Tant que les trois étapes n’ont pas été effectuées par la même personne, l’interdit toranique n’est pas réalisé. Par exemple, si une personne prend un ustensile dans un domaine particulier, et tend la main tenant l’ustensile en direction du domaine public, elle n’a pas enfreint l’interdit toranique, puisqu’elle n’a pas posé l’ustensile dans le domaine public. Si une seconde personne, qui se trouve dans le domaine public, prend l’ustensile de la main de la première, l’ustensile sera transféré d’un domaine à l’autre, sans que personne n’ait exécuté la mélakha complète, telle que l’interdit la Torah : la première personne aura réalisé l’enlèvement et le transfert, la seconde le dépôt.

Cependant, les sages ont interdit de réaliser le travail de hotsaa à deux personnes associées. Ils ont craint en effet que, en raison de cette possibilité de contourner l’interdit, celui-ci ne perde sa valeur aux yeux des gens, et que l’on n’en vienne à réaliser seul toute la hotsaa, transgressant ainsi un interdit toranique (Choul’han ‘Aroukh, Ora’h ‘Haïm 347, 1).

Il faut encore savoir que, si l’on s’en tient à la Torah, l’interdit de porter un objet ne s’applique que lorsqu’on le porte de manière habituelle. Par exemple, si l’on prend l’objet en main, ou qu’on le mette dans sa poche, ou dans un sac, on considérera que l’objet est porté de manière habituelle, et que l’interdit toranique est enfreint. Mais si l’on porte l’objet de manière inhabituelle, par exemple en plaçant son mouchoir dans sa chaussure, ou sur sa tête, on ne transgresse pas l’interdit toranique. Cependant, les sages interdisent d’exécuter une hotsaa affectée d’un changement, de crainte que l’on n’en vienne par-là à porter quelque objet sans changement.

En résumé, l’interdit toranique consiste seulement dans la réalisation même de la mélakha : le fait qu’un seul homme l’accomplisse comme il en a l’habitude les jours de semaine. Nos maîtres, quant à eux, ont de plus interdit tout acte permettant d’atteindre le but de la mélakha : l’accomplir avec un changement, ou à deux personnes ; dans ces cas, on enfreint un interdit rabbinique par le fait même que l’on atteint son but en transférant un objet dans le domaine souhaité. Il importe aussi de préciser que l’interdit rabbinique de transférer (ou de porter) un objet en apportant un changement à l’acte, ou en l’accomplissant à deux, s’applique également au domaine de karmelit[4].


[3]. Il est interdit de porter continument d’un domaine particulier à un autre domaine particulier, en passant par un domaine public. Certains auteurs estiment qu’il s’agit d’un interdit toranique (Tossephot, ‘Erouvin 33a ד »ה דהא). Toutefois, de l’avis de beaucoup, tant que l’on ne cesse pas sa marche dans le domaine public, l’interdit n’est que rabbinique car, tant que l’on continue de marcher, on n’a pas encore accompli le « dépôt » de l’objet dans le domaine public (Rachba, Ritva sur ‘Erouvin 33a, Taz 346, 2). C’est en ce second sens que l’on enseigne la halakha (Choul’han ‘Aroukh Harav 347, 9, Rav Chelomo Zalman Auerbach cité par Chemirat Chabbat Kehilkhata 30, note 134). Aussi, en un lieu où existe un doute quant à la validité de l’érouv [dispositif de jonction des domaines, cf. chap. 29], on peut marcher continument d’un domaine particulier à un autre domaine particulier en passant par le domaine public. En effet, tant que l’on ne se tient pas debout en cessant sa marche, on se trouve, selon la majorité des décisionnaires, en présence d’un doute, en un cas où deux éléments d’abstention rabbinique sont rassemblés. En effet, pour une majorité de décisionnaires, les domaines publics de notre temps ont en réalité valeur de karmelit [parce qu’il n’y passe pas quotidiennement 600 000 personnes].

[4]. La différence entre l’interdit de la Torah et l’interdit rabbinique tient à la gravité de la sanction. Si l’on a commis l’interdit toranique, et que la faute fût intentionnelle (mézid), la peine est le retranchement (karet) – ou, dans le cas où sont présents des témoins et où l’on a été mis en garde, la lapidation (seqila). Si la faute n’était pas intentionnelle (chogueg) [par exemple, si l’on avait oublié que c’était Chabbat, ou si l’on ne savait pas que l’acte était interdit], on doit apporter un sacrifice expiatoire (‘hatat). Si l’on a accompli la mélakha en y apportant un changement (chinouï), c’est un interdit rabbinique que l’on a transgressé ; si la transgression était intentionnelle, la sanction est la flagellation de rang rabbinique (malqout midivré ‘Hakhamim) ; si la transgression n’était pas intentionnelle, il n’y a pas de sanction.

 

Autre différence : à l’égard des interdits toraniques, il n’y a pas lieu d’être indulgent, sauf en cas de danger pour l’intégrité des personnes. Concernant les interdits rabbiniques, en revanche, on peut, dans des cas déterminés de nécessité pressante, être indulgent, même quand il n’y a pas de danger pour l’intégrité des personnes. Par exemple, pour les besoins d’un malade, on est indulgent en matière d’interdits rabbiniques (cf. ci-après, chap. 28 § 2). Quand on risque une perte financière importante, les sages permettent de passer outre à leur propre interdit afin de préserver son argent, en transférant celui-ci du domaine public au domaine particulier de façon inhabituelle (Rama 301, 33, Michna Beroura 266, 17). De même, on est indulgent dans le cas où il s’agit de préserver des téphilines, comme l’explique le Choul’han ‘Aroukh 301, 42. Cf. paragraphe suivant.

06. Etapes successives de moins de quatre coudées

Nous avons vu, dans les paragraphes précédents, que la mélakha de hotsaa (« faire sortir ») comprend l’interdit de porter un objet dans le domaine public, sur une distance supérieure à quatre coudées (amot). Le « domaine » personnel de celui qui se tient dans le domaine public s’étend en effet à quatre coudées ; si donc on fait passer un objet au-delà de ses quatre coudées, cela revient à le faire passer dans un autre domaine, ce par quoi l’on transgresse un interdit de la Torah. En revanche, à l’intérieur d’un carré de quatre coudées sur quatre, il est permis[f] de porter. Par conséquent, ce n’est que dans le cas où l’on porte un objet sur une distance supérieure à la diagonale d’un carré de quatre coudées de côté (2,58 m) que l’on transgresse l’interdit de la Torah, car c’est seulement alors qu’il devient certain que l’on a porté l’objet au-delà du carré dans lequel c’était permis.

Si l’on s’en tient à la Torah, la personne qui souhaite déplacer un objet à l’intérieur du domaine public peut porter l’objet sur une distance un peu inférieure à quatre coudées, puis se tenir immobile quelque instant, afin de se fixer, ce faisant, un nouveau lieu, puis marcher une nouvelle fois moins de quatre coudées, s’arrêter de nouveau, et ainsi de suite : marcher puis s’arrêter, puis marcher encore et s’arrêter de nouveau, jusqu’à ce qu’on ait apporté l’objet à l’endroit voulu. Mais nos sages ont interdit cela, de crainte que l’on n’en vienne à parcourir plus de quatre coudées en une fois, transgressant ainsi l’interdit toranique. S’agissant même de karmelit, qui est un « domaine public » de rang rabbinique, nos maîtres interdisent de porter un objet par étapes successives de moins de quatre coudées, de crainte que l’on n’en vienne à porter sur plus de quatre coudées dans le domaine public[5].

Toutefois, dans un cas où l’on risque de perdre son argent – par exemple si le Chabbat a commencé, que l’on ne soit pas arrivé à temps chez soi, que l’on ait beaucoup d’argent dans sa sacoche, que l’on ne puisse le cacher en lieu sûr, et qu’aucun non-Juif ne puisse garder l’argent pour le Juif, ni le lui apporter à son domicile –, les sages permettent de porter la sacoche par étapes successives inférieures à quatre coudées, jusqu’à ce que l’on arrive à un endroit où l’on puisse le mettre en sûreté. Cette permission vaut même dans le domaine public tel que la Torah le définit. Dans un domaine de karmelit, il est permis de porter par étapes successives inférieures à quatre coudées, même pour les besoins d’une mitsva (Ora’h ‘Haïm 266, 7-8, Béour Halakha 349, 5)[6].


[f]. Aux yeux de la Torah (de-Oraïtha).

[5]. Selon de nombreux décisionnaires (Raavad, Rabbi Zera’hia Halévi, le Roch et d’autres), si un grand nombre de personnes sont présentes, il est permis a priori que chacun porte l’objet moins de quatre amot, puis le transmette à son prochain qui, à son tour, portera l’objet moins de quatre amot, etc. ; de cette manière, on pourra faire parcourir une longue distance à l’objet. Pour le Peri Mégadim, même s’il n’y a que deux personnes, la chose est permise, dès lors que l’objet est transmis à l’autre personne chaque fois qu’un peu moins de quatre amot sont parcourues. Toutefois, certains Richonim interdisent de porter de cette manière, même quand les personnes sont nombreuses (Na’hmanide). Ces opinions sont citées par le Choul’han ‘Aroukh 349, 3 et le Béour Halakha ד »ה וחברו. Pour préserver des téphilines, nos sages permettent même à une personne seule de les déplacer par étapes successives inférieures à quatre amot (Choul’han ‘Aroukh 301, 42).

[6]. Si le Chabbat a débuté sans que l’on ait eu le temps de rentrer chez soi, et que l’on n’ait pas cessé de marcher depuis le moment de l’entrée du Chabbat, une parade supplémentaire existe : courir jusqu’à chez soi. Puisque l’on a accompli l’enlèvement de l’objet de son domaine initial avant l’entrée de Chabbat, on ne transgressera pas, quoi qu’il en soit, l’interdit toranique [qui se compose des trois étapes définies au § 5 : enlever, déplacer, poser] ; or pour préserver son argent, les sages ont permis de courir jusqu’à chez soi, bien que l’on réalise, ce faisant, un transfert de domaine à domaine et un dépôt rabbiniquement interdits. Les sages prescrivent de courir, afin de ne pas risquer de se tenir immobile par erreur (Chabbat 153b : « Il faut précisément courir et non marcher. Quelle en est la raison ? Puisque l’on ne dispose pas d’un signe de reconnaissance en marchant ordinairement, on risque d’en venir à enlever et à déposer l’objet [en faisant une halte sur son chemin] »).

Si c’est possible, on devra transférer et déposer sa sacoche dans le domaine particulier en apportant un changement à l’acte ordinaire – en la jetant de derrière son dos –, afin d’atténuer autant que possible la réalisation de l’interdit (Choul’han ‘Aroukh 266, 11).

07. L’autorisation de transfert vers un meqom ptor

Comme nous l’avons vu (§ 3), le meqom ptor (« lieu d’exemption ») est un lieu qui se trouve au sein du domaine public, tel qu’un rocher d’au moins trois téfa’h de haut (environ 23 cm) et de moins de quatre téfa’h de largeur (environ 30 cm). Puisqu’un meqom ptor n’est pas considéré comme un lieu important, il est permis de prendre un objet du domaine public ou du domaine particulier et de le déposer sur un meqom ptor. L’inverse est également vrai : il est permis de prendre un objet posé sur le meqom ptor et de le déposer dans le domaine particulier ou dans le domaine public.

Si l’on s’en tenait à la seule Torah, il serait ainsi possible de transférer un objet du domaine particulier au domaine public, en le faisant d’abord sortir du domaine particulier pour le déposer sur le meqom ptor, puis en l’enlevant du meqom ptor pour le déposer dans le domaine public. Mais nos sages ont interdit cela, afin que l’on n’en vienne pas à s’accorder des indulgences dans des cas de hotsaa interdits par la Torah.

Simplement, les décisionnaires discutent s’il est permis de s’aider d’un meqom ptor pour transférer des objets d’un domaine particulier vers un karmelit, ou inversement. Selon certains, les sages ont également interdit de transférer des objets vers un karmelit, via un meqom ptor ; et bien que l’interdit de transférer des objets vers un karmelit soit un pur interdit rabbinique, les sages n’ont pas fait de distinction entre les cas (Rabbi Zera’hia Halévi, Raavad, Roch). D’autres pensent que les sages n’ont interdit de transférer des objets via un meqom ptor que lorsqu’il est à craindre de transgresser l’interdit toranique de porter d’un domaine particulier vers un domaine public, ou l’inverse ; tandis que le transfert d’objets d’un domaine particulier à un karmelit via un meqom ptor est permis (Rif, Maïmonide).

En pratique, en cas de nécessité, on peut s’appuyer sur l’opinion indulgente et transférer des objets du domaine particulier vers le karmelit ou inversement, via un meqom ptor. Cette solution est importante pour les soldats qui se trouvent, le Chabbat, dans un lieu qui n’est pas entouré d’un érouv. Si un soldat veut transférer un objet d’une tente, qui forme un domaine particulier, vers la cour du camp, laquelle est karmelit, il sortira de la tente sans cesser de marcher, jusqu’à ce qu’il dépose l’objet sur le meqom ptor ; après quoi, il le prendra du meqom ptor pour le déposer dans la cour. Inversement, si l’on veut déplacer un objet de la cour à la tente, on le déposera d’abord sur le meqom ptor, puis on l’apportera dans la tente. On procèdera de la même façon quand on voudra transférer un objet d’une tente à une autre via la cour : on l’extraira d’abord de la tente, puis on le déposera sur le meqom ptor qui est dans la cour, avant de pouvoir le reprendre pour le placer à l’endroit requis[7].


[7]. Cette solution convient bien aux soldats en mission. Le meilleur meqom ptor est le rocher, ou un poteau dont la hauteur est supérieure à 10 téfa’h (76 cm) et dont la largeur est inférieure à 4 téfa’h (environ 30 cm). Mais si le rocher ou le poteau est d’une hauteur inférieure à 76 cm, les décisionnaires sont partagés, comme nous l’avons vu en note 2, quant au fait de savoir s’il peut être considéré comme meqom ptor : selon certains, il n’y a pas de meqom ptor au sein d’un karmelit, selon d’autres, il peut y avoir un meqom ptor au sein d’un karmelit. En cas de nécessité pressante pour les soldats en mission, on peut être indulgent (Méchiv Mil’hama 5 et 60).

 

On a parfois la possibilité de dresser un meqom ptor, simplement en installant un banc dont la largeur soit inférieure à 30 cm. Simplement, un autre doute apparaît dans ce cas : selon le Méïri, les ustensiles ne peuvent être considérés comme meqom ptor (Cha’ar Hatsioun 345, 15). Néanmoins, en cas de nécessité pressante, quand il n’y a pas d’autre issue, on peut considérer également comme meqom ptor des ustensiles dont la hauteur est inférieure à 10 téfa’h et qui se tiennent dans le domaine de karmelit (Choel Ouméchiv IV 3, 2, Hilkhot ‘Erouvin 1, note 16). Comme nous l’avons vu en note 2, une table dont la hauteur est supérieure à 10 téfa’h (76 cm) est, elle aussi, considérée par certains décisionnaires comme meqom ptor ; on peut s’appuyer sur eux en cas de nécessité.

Epaule d’un homme : selon le Rachba et Tossephot, le corps d’un autre homme peut aussi être considéré comme meqom ptor, à condition qu’il mesure plus de 10 téfa’h (76 cm) ; cela peut s’appliquer à l’épaule. Selon d’autres, le corps humain n’est pas considéré comme un lieu ; dès lors, il ne peut servir de meqom ptor (cf. Michna Beroura 347, 10). En cas de nécessité pressante, on peut s’appuyer sur l’opinion indulgente.

08. Le domaine public tel que la Torah le conçoit

La question la plus pratique qui se pose, en matière de hotsaa le Chabbat, est la suivante : les rues de nos villes et de nos villages sont-elles considérées comme domaine public (rechout harabim) par la Torah, ou bien sont-elles seulement un domaine public de rang rabbinique, ce que l’on appelle karmelit ? Si nos rues devaient être considérées comme domaine public toranique, il serait très difficile de les transformer en domaine particulier (rechout haya’hid), car il faudrait pour cela entourer toute la ville d’une barrière, installer des portes à toutes les entrées, et veiller à ce qu’elles soient fermées la nuit. Faute de tels aménagements, il serait impossible de porter des objets à l’intérieur de nos villes et de nos villages.

Mais si nos rues pouvaient être considérées comme karmelit, c’est-à-dire comme un domaine public de rang rabbinique, on pourrait assez facilement en faire un domaine particulier, où il serait permis de porter. Il suffirait d’entourer la ville de ce que nous appelons tsourat hapéta’h (littéralement « forme de portail ») : des poteaux, entre lesquels sont tendus des fils, qui forment une sorte d’ouverture entre chaque poteau et le suivant (cf. chap. 29 § 2-3).

Rappelons en premier lieu que nous apprenons les interdits sabbatiques de la construction du Tabernacle : quand la Torah nous ordonna de nous abstenir de tout travail le Chabbat, elle visait précisément les travaux nécessaires à la construction du Tabernacle, construction à laquelle les Israélites se livrèrent dans le désert. Dès lors, la catégorie juridique de « domaine public » provient, elle aussi, de la réalité qui était celle du désert. Or, puisque la rue principale qui se trouvait dans le camp des Hébreux était large de 16 amot (7,30 m) afin que l’on pût y faire passer deux des charriots dans lesquels on transportait les pièces du tabernacle, seule une rue de 16 amot ou davantage est considérée comme domaine public. Cependant, les Richonim discutent s’il faut également considérer le nombre de personnes qui passent sur une telle voie.

Certains considèrent toute rue, tout marché servant au public et dont la largeur est de 16 amot, comme domaine public tel que la Torah le définit, quel que soit le nombre de personnes qui y passent chaque jour (Maïmonide, Rabbénou Tam, Na’hmanide, Rachba et de nombreux autres auteurs). Suivant cette opinion, l’érouv de notre temps, fait sur le modèle de tsourat hapéta’h (« forme de portail ») n’est pas efficace, car nos villes comportent des rues dont la largeur est de 16 amot (7,30 m) au moins. Il faut ajouter que, selon cette opinion, dès lors qu’il se trouve, dans une ville donnée, des rues larges de 16 amot, un érouv du type tsourat hapéta’h n’est pas non plus efficace à l’égard des rues plus étroites, car la présence d’un domaine public, tel que la Torah le définit, à l’intérieur d’un périmètre entouré de ce type d’érouv, a pour effet d’annuler la délimitation assurée par ce dernier.

D’autres pensent que, puisque le camp des Hébreux au désert comprenait soixante myriades (six cent mille hommes), et que tous devaient aller au Sanctuaire pour aider à sa construction et pour entendre la Torah enseignée par Moïse, par les prêtres et par les lévites, le domaine public se définit comme une voie ou une place large d’au moins 16 amot, où six cent mille personnes passent chaque jour. Une voie où ne passent pas quotidiennement six cent mille personnes a le statut de karmelit. Telle est la position du Beer Hagola, de Rachi, du Séfer Mitsvot Gadol, du Roch et de bien d’autres auteurs. Certains expliquent cette seconde opinion de la façon suivante : même s’il ne passe pas quotidiennement six cent mille personnes, il suffit que, de temps en temps, six cent mille personnes se trouvent passer là en un seul jour, pour que le lieu soit considéré comme domaine public. En effet, même lorsque nos ancêtres étaient dans le désert, ce n’est pas chaque jour que tous les hommes passaient par la voie principale menant au Sanctuaire.

En pratique, seules des villes gigantesques, comme New York ou Mexico, contiennent des rues où passent six cent mille personnes en un seul jour. Mais dans des villes ordinairement grandes, aucune rue ne voit passer six cent mille personnes en un seul jour. Dès lors, d’après cette seconde opinion, on ne trouve pas dans ces villes de domaine public tel que la Torah le définit, et le statut des rues est celui de karmelit ; si bien que l’on peut permettre d’y porter des objets dans les limites d’un érouv de type tsourat hapéta’h. Selon cette opinion, le domaine public tel que la Torah le conçoit consiste principalement dans les voies reliant les villes entre elles. En effet, ces voies sont destinées à tout le monde, et non seulement aux habitants de telle ville en particulier ; elles doivent donc être considérées comme domaine public, même quand il n’y passe pas 600 000 personnes en un jour[8].


[8]. Le Béour Halakha 345, 7 recense douze Richonim indulgents et douze Richonim rigoureux. Le Choul’han ‘Aroukh, pris littéralement, adopte la position rigoureuse, ce qui conduit plusieurs A’haronim à déclarer qu’a priori les Séfarades doivent être rigoureux et ne pas se fier à un érouv de type tsourat hapéta’h (Yalqout Yossef 345, 4, Menou’hat Ahava III 27 § 10 et 59). Face à cela, d’autres A’haronim (Maguen Avraham, ‘Erekh Hachoul’han) estiment qu’en réalité le Choul’han ‘Aroukh n’a pas tranché, car en plusieurs autres endroits, il laisse entendre qu’il partage l’opinion indulgente (303, 18 ; 325, 2). Le Or lé-Tsion, dans son introduction au volume II, première partie, 1-2, explique que, dans les cas de doute portant sur une règle toranique, le Choul’han ‘Aroukh est rigoureux, et que lorsque le doute porte sur une règle rabbinique, le Choul’han ‘Aroukh est indulgent, ce qui permet de résoudre les contradictions relevées. Le Maguen Avraham et le Taz écrivent que la majorité des décisionnaires penchent pour l’indulgence ; selon eux, on peut donc se fier à l’érouv de type tsourat hapéta’h, et permettre le transport d’objets dans celles de nos villes qui en sont dotées. Telle est la coutume de nombreux Ashkénazes. Toutefois, de nombreux A’haronim écrivent que, bien que l’on ne puisse protester contre ceux qui adoptent l’usage indulgent, une personne pieuse fera bien de s’abstenir, car il s’agit d’un doute portant sur une règle de la Torah. C’est ce qu’écrit le Michna Beroura 345, 23.

 

On a soulevé contre la position indulgente l’objection suivante : comment se peut-il que ce critère – passage de 600 000 personnes dans l’artère – ne soit pas mentionné dans le Talmud ? Deuxièmement, nos sages ont décrété de ne point sonner du chofar quand Roch Hachana tombe un Chabbat, et de ne point saisir son loulav [branche de palmier à laquelle sont attachés des rameaux de myrte et de saule] le premier jour de Soukot qui tomberait un Chabbat, de crainte que l’on n’en vienne à porter le chofar ou le loulav dans le domaine public (Roch Hachana 29b). Or, si une voie où ne passent pas 600 000 personnes n’est pas un domaine public, et dans la mesure où il n’existait vraisemblablement pas, à l’époque des sages du Talmud, de rue où passassent 600 000 personnes, nous devons conclure qu’aucune voie ne répondait aux critères toraniques du domaine public à l’époque talmudique : en ce cas, pourquoi les sages ont-ils fait de tels décrets ? Troisièmement : s’il n’existait pas à cette époque de domaine public tel que la Torah le définit, pourquoi les sages ont-ils interdit aux femmes de sortir avec leurs bijoux de crainte d’en venir à les porter en main (cf. ci-après § 14) ?

 

On peut répondre que les sages ont décrété de ne pas sonner du chofar ni de sortir paré de ses bijoux le Chabbat parce que les voies qui relient les villes les unes aux autres sont considérées – et les décisionnaires indulgents sont d’accord sur ce point – comme domaine public, ainsi que l’explique le Béour Halakha 345, 7 סוף ד »ה שאין. Or il était fréquent, à l’époque talmudique, de marcher sur de telles voies, car les villes étaient petites, et l’on marchait d’une ville à l’autre, ou d’un village à une ville, en empruntant ces grandes artères. Quant à la différence entre voie interne à la ville et voie reliant deux villes, elle s’explique par le fait qu’une voie extérieure à la ville appartient à tous, si bien que, même s’il n’y passe pas 600 000 personnes par jour, la voie reste la chose du public, ce qui justifie qu’on la considère comme domaine public. En revanche, une voie interne à la ville, ou qui jouxte la ville, appartient aux habitants de celle-ci, et ne constitue pas un domaine public tel que la Torah le conçoit. Ce n’est que dans le cas où 600 000 personnes la traversent en un jour qu’elle sera considérée, non plus comme la chose des seuls habitants, mais comme la chose de tous ceux qui l’empruntent.

 

Nous pouvons comprendre, d’après cela, pourquoi les sages disent que, n’étaient-ce ses portes, fermées la nuit [qui en font un domaine particulier], Jérusalem aurait été considérée comme domaine public (‘Erouvin 6b) : bien que 600 000 personnes ne parussent pas y passer chaque jour, la ville était affectée aux besoins de l’ensemble du peuple juif, et ses rues appartenaient à tous ceux qui venaient y célébrer les fêtes de pèlerinage ; ce qui leur confère un statut semblable aux voies reliant plusieurs villes. C’est donc seulement parce que la ville est entourée de murailles et que ses portes sont fermées la nuit qu’elle n’est pas considérée comme domaine public. Cf. encore note suivante.

09.Règle à observer en pratique

En pratique, la majorité des communautés ont coutume de suivre l’opinion indulgente : dans celles de nos villes qui en sont dotées, on porte des objets, en s’appuyant sur l’érouv de type tsourat hapéta’h. Cependant, dans la mesure où la moitié des décisionnaires sont rigoureux en la matière, et estiment qu’un érouv de ce type est inefficace dans celles de nos villes comportant des rues de 16 amot de large (7,30 m), il convient de se demander comment la majorité des Juifs ont pu adopter la coutume indulgente. Ne s’agit-il pas d’un cas de doute portant sur un interdit toranique, cas dans lequel on est normalement rigoureux ?

La réponse simple est que, dans des cas rares, où il est très difficile de tenir la position rigoureuse, il arrive que l’usage se répande, parmi le peuple, de s’appuyer sur l’opinion indulgente, bien que l’on se trouve dans un cas de doute portant sur une règle toranique. En l’occurrence, il est très difficile d’être rigoureux dans le sujet qui nous occupe : pour ceux qui suivent la coutume rigoureuse, il est interdit de porter le moindre objet dans leur poche, mouchoir ou autre, or il arrive que cela soit très nécessaire. De même, les familles ne peuvent se rendre visite les unes aux autres, car il est interdit de porter un bébé, une poussette, dans le domaine public, ni des couches, ni un biberon. Aussi, puisque la moitié des décisionnaires sont d’avis que l’on peut être indulgent, on s’appuie sur leur avis, faute de choix, et l’on adopte l’usage indulgent.

Il faut ajouter qu’en réalité la controverse n’est pas équilibrée, car il existe encore quelques conditions pour constituer un domaine public, et si nous les prenons en compte, il apparaît que c’est bien la majorité des décisionnaires qui estiment que nos rues n’ont pas le statut de domaine public tel que la Torah le conçoit ; dès lors, l’érouv de type tsourat hapéta’h y est efficace. Premièrement, certains décisionnaires estiment que le domaine public toranique s’entend uniquement lorsque la rue traverse la ville de part en part, en ligne nettement droite ; si la ligne est un peu courbe, ce n’est déjà plus un domaine public de type toranique. Dans la majorité des endroits, il n’y a pas de rue principale répondant à de critère ; dès lors, on peut se fier au mode dit tsourat hapéta’h. Deuxièmement, selon certains décisionnaires, puisque nos rues sont disposées de telle façon que chacune est croisée par une autre, toutes ces rues sont considérées comme entourées d’une cloison par trois côtés, et ne constituent pas un domaine public tel que défini par la Torah ; dès lors, l’érouv de type tsourat hapéta’h leur est efficace (‘Aroukh Hachoul’han, ‘Hazon Ich). Il existe d’autres motifs d’indulgence, comme nous le rapportons en note 9.

Quand nous additionnons tous ces arguments, il apparaît que, pour la majorité des décisionnaires, nos rues sont considérées comme karmelit, et l’on peut permettre d’y porter quand est installé un érouv de type tsourat hapéta’h.

Malgré cela, selon de nombreux auteurs, puisque l’on est en présence d’un doute en matière d’interdit toranique, il convient a priori d’être rigoureux et de ne pas s’appuyer sur un érouv de type tsourat hapéta’h, en un endroit qui comprend des rues larges de plus de 16 amot[9].


[9]. De quatre points de vue, on peut considérer que nos rues ne ressortissent pas au domaine public tel que la Torah le définit :

 

  1. a) Comme nous l’avons vu, pour la moitié des décisionnaires, tant que 600 000 personnes ne passent pas dans la rue chaque jour, cette rue n’est pas un domaine public tel que défini par la Torah. Or nos rues ne remplissent que très rarement ce critère. Certains auteurs, il est vrai, expliquent que, même si la rue ne voit passer 600 000 personnes que certains jours, elle est considérée comme domaine public (‘Aroukh Hachoul’han 345, 26, Beit Ephraïm, Ora’h ‘Haïm 26, Hilkhot ‘Erouvin 25) ; ces auteurs s’appuient sur l’expression des Richonim : une rue « où se trouvent fréquemment (מצויים) 600 000 personnes ». Mais même cela n’est pas fréquent.

 

  1. b) Selon Rachi et d’autres, seule une rue qui traverse la ville en ligne droite, comme une règle, est considérée comme domaine public ; dans la majorité des endroits, ce n’est pas le cas (cependant le Igrot Moché, Ora’h ‘Haïm I 148 ne retient pas ce critère).

 

  1. c) Selon le Beit Ephraïm 26, ‘Aroukh Hachoul’han 345, 19-22 et le ‘Hazon Ich, Ora’h ‘Haïm 107, 5-8, la configuration de nos rues est telle que chaque rue est croisée dans sa largeur par une autre rue, si bien que chaque rue est entourée de trois « cloisons ». En effet, selon la Torah, on considère qu’il y a cloison (me’hitsa) dès lors que le lieu est majoritairement fermé. Or les maisons qui sont de part et d’autre de la rue obstruent la majorité du terrain, si bien que la rue comporte deux cloisons ; et puisqu’une autre rue la coupe, et que, de part et d’autre de cette seconde rue, se trouvent aussi des maisons, qui elles aussi en obstruent la majorité, cette seconde rue est considérée comme une cloison délimitant la première rue par un troisième côté. Ainsi, chaque rue de la ville est entourée par trois côtés, et ne constitue pas, du point de vue de la Torah, un domaine public. Ce sont les sages qui exigent quatre cloisons [pour constituer un domaine particulier], et qui ne se contentent pas d’une majorité fermée. Or en cas de doute portant sur une règle rabbinique, on est indulgent.

 

  1. d) Il y a lieu de dire que ce sont les sages qui ont décidé qu’un érouv de type tsourat hapéta’h ne permettrait pas de porter dans un domaine public ; en revanche, pour la Torah, ce type d’érouv est considéré comme une parfaite cloison. Il apparaît donc que toute la controverse porte sur une règle de rang rabbinique. Or en cas de doute portant sur une telle règle, on est indulgent (c’est ce qu’écrit le Béour Halakha 364, 2, d’après Maïmonide ; et bien que ces propos aient suscité des objections, le Or lé-Tsion I 30 écrit que telle est l’opinion du Roch : tsourat hapéta’h est un dispositif efficace pour lever l’interdit toranique. Il apparaît donc que la controverse porte seulement sur une règle rabbinique).

 

Il est peut-être permis d’avancer un cinquième point : e) puisqu’une partie du territoire israélien est entouré de clôtures par trois côtés, bien qu’elles soient très éloignées, ces clôtures sont, selon Tossephot, efficaces du point de vue de la Torah ; dès lors, tout le doute porte sur une question de rang rabbinique (cf. Har’havot 29, 4, 3).

 

On voit donc que la controverse n’est pas équilibrée, et que, pour la majorité des décisionnaires, nos rues ne constituent pas un domaine public au sens que la Torah donne à ce terme. De plus, il s’agit d’un cas de sfeq sfeqa (doute qui s’applique à une situation elle-même douteuse), portant sur quatre doutes ; or selon les principes de la halakha, la règle applicable est en ce cas conforme à l’opinion indulgente.

 

Dans les grandes villes, on trouve certaines rues où, s’il ne passe pas chaque jour 600 000 piétons, 600 000 personnes passent néanmoins en voiture. De prime abord, dans ces villes, on ne devrait pas permettre de porter dans le cadre d’un érouv de type tsourat hapéta’h. Cependant, il ne semble pas que les routes doivent être considérées comme « domaine public » : puisqu’il est interdit aux piétons d’y marcher, elles ne sont pas ouvertes au public. Quant aux voitures elles-mêmes, elles sont considérées comme domaines particuliers (Yechou’ot Malko, Ora’h ‘Haïm 26). De ce point de vue, il y a lieu de dire que de nombreuses rues, de l’avis de tous, ne constituent pas un domaine public toraniquement parlant : puisqu’il ne faut pas compter la chaussée, destinée aux voitures, elles ne sont pas larges de 16 amot. Certains auteurs contestent ce raisonnement (‘Aroukh Hachoul’han 345, 26, Igrot Moché, Ora’h ‘Haïm I 139).

 

À l’inverse, il y a quelques motifs d’hésitation concernant l’érouv tel qu’on le pratique dans nos villes : si des non-Juifs sont dans la ville, ou des Juifs qui profanent le Chabbat, nos sages décrètent que ces personnes ne peuvent être considérées comme associées aux autres habitants ; dès lors, la jonction de domaines ne peut s’appliquer. Cf. chap. 29 § 7 où nous indiquons comment on résout ce problème. Problème supplémentaire : les villes comportent des jardins dont la dimension excède un beit sataïm (champ où l’on peut semer deux séa de graines, soit 50 x 100 amot, ou un peu plus de 10 ares) ; or ces jardins annulent l’efficacité de l’érouv ; en effet, il est impossible d’y marcher [on ne peut y marcher là où c’est interdit, non plus que dans les plans d’eau]. Toutefois, en pratique, s’il est permis de marcher dans de tels jardins, parce que des sentiers y sont aménagés, ces jardins n’invalident pas l’érouv. De même, si ces jardins sont entourés de clôtures, ils n’invalident pas l’érouv. Autre problème : selon Maïmonide, l’érouv de type tsourat hapéta’h n’est pas efficace si la distance qui sépare les poteaux est supérieure à 10 amot (4,56 m). Mais puisque la majorité des décisionnaires ne partagent pas cette exigence, et que la règle est de rang rabbinique, on ne tient pas compte de cette objection (telle est la position première du Choul’han ‘Aroukh 362, 10).

 

Lorsqu’on a besoin d’apporter un objet, ou d’amener un enfant, d’une maison à une autre en passant par la rue, certains ont soin de marcher de manière continue, sans s’arrêter, jusqu’à ce qu’ils arrivent à destination [dans le cas où il y a un érouv du type tsourat hapéta’h]. De cette manière, on ne réalise pas de dépôt dans le domaine public, si bien que, de l’avis de nombreux décisionnaires, il n’y a pas là d’interdit toranique (comme nous l’expliquons en note 3). Dès lors, le doute porte, d’un point de vue supplémentaire, sur une question de rang rabbinique, et il semble ainsi que l’on puisse être indulgent a priori.

10. L’interdit ne s’applique pas aux habits dont on est vêtu

Il est permis de s’habiller, de chausser ses souliers, de se coiffer de son chapeau et de sortir ainsi dans le domaine public. En effet, les habits dont on est vêtu sont accessoires au corps. Tout le temps que l’on en est vêtu, ils ne sont pas considérés comme autonomes, mais comme une partie du corps ; on ne transgresse donc pas la défense de porter en en étant vêtu.

S’agissant même de vêtements destinés à des périodes spécifiques, ils sont considérés comme annexes au corps. Il est donc permis de mettre, au-dessus de son manteau, un imperméable en plastique, car certaines personnes ont coutume de s’habiller ainsi quand il pleut. De même, il est permis de recouvrir ses souliers de couvre-chaussures. Il est également permis de mettre deux paires de chaussettes, puisque certains ont l’habitude de procéder ainsi en hiver. On peut aussi mettre deux tricots l’un sur l’autre, car certaines personnes en ont l’usage en hiver. Par conséquent, si l’on veut apporter un tricot à son prochain en passant par le domaine public, on peut l’enfiler au-dessus de son propre tricot, puis l’apporter à son prochain, même en été. En revanche, si l’on prenait le vêtement en main, ou si on le portait sur l’épaule, dans le domaine public, on transgresserait un interdit de la Torah[10].

Même quand une chose n’est pas considérée comme un vêtement, tant que l’on s’en recouvre comme on le ferait d’un vêtement, on est autorisé à sortir ainsi dans le domaine public. Par exemple, une femme qui souhaite apporter à son amie une couverture ou une nappe, peut s’envelopper de cette étoffe comme elle le ferait d’un véritable vêtement et se rendre ainsi dans un autre domaine. De même, celle qui se rend au bain rituel (miqvé) peut s’envelopper d’une serviette et marcher ainsi dans le domaine public. La règle est la suivante : dès lors que l’on porte l’étoffe à la manière d’un vêtement (dérekh levouch), c’est permis (Choul’han ‘Aroukh 301, 35-36). Ainsi, si l’on veut sortir avec un mouchoir, on peut l’attacher autour de son cou comme on le ferait d’une écharpe et sortir ainsi (Michna Beroura 301, 133, Chemirat Chabbat Kehilkhata 18, 48).

Nos sages ont interdit de sortir vêtu d’un habit qui risque de tomber, de crainte qu’on ne le déplace sur une distance de quatre coudées dans le domaine public[11]. En revanche, il est permis de sortir coiffé d’une kipa, bien qu’elle ne tienne pas fortement à la tête ; en effet, même si elle tombe, il n’est pas à craindre qu’on la déplace de quatre coudées, car la règle veut qu’il soit interdit de marcher quatre coudées sans couvre-chef : dès que l’on ramasse sa kipa, on la remet sur sa tête, et il n’est pas à craindre qu’on la porte en main sur une distance de quatre coudées (Choul’han ‘Aroukh 301, 7, Michna Beroura 153).

S’agissant des gants, certains estiment qu’il ne faut pas en mettre pour sortir, à moins que le domaine public soit entouré d’un érouv, de crainte de les mettre dans sa poche quand il fera plus chaud, et de les déplacer de quatre coudées, enfreignant ainsi un interdit de la Torah. A priori, il est souhaitable d’être rigoureux, mais l’usage est d’être indulgent (Choul’han ‘Aroukh 301, 37, cf. Béour Halakha ad loc.).

Les décisionnaires sont partagés quant au couvre-chapeau en plastique[g], que l’on met sur sa coiffe quand il pleut pour la protéger. Certains l’interdisent car ces couvre-chapeaux ne sont pas portés en tant que vêtements, et tout leur but est de protéger le chapeau ; d’autres le permettent, estimant que cela aussi participe du « mode vestimentaire ». Si l’on veut être indulgent, on y est autorisé[12].


[10]. Selon le Choul’han ‘Aroukh 301, 36, tant qu’il s’agit de vêtements, même si l’on n’a pas du tout l’usage d’en porter deux de même sorte l’un sur l’autre, et tant qu’on s’en vêt de la manière dont on met un vêtement (dérekh levouch, « sur le mode vestimentaire »), la chose est permise. Par exemple, si l’on met deux ceintures, l’une sur l’autre, tant qu’on met chacune des ceintures de la façon dont on a l’habitude de porter une ceinture,  la chose est permise. Mais selon le Rama, ce n’est que dans le cas où certaines personnes ont l’usage de s’habiller ainsi – par exemple de mettre deux tricots l’un sur l’autre, ou deux paires de chaussettes – que l’on considérera que ces vêtements sont portés « sur le mode vestimentaire » et qu’il sera permis de sortir ainsi vêtu le Chabbat ; par contre, il n’est pas usuel de mettre deux ceintures l’une sur l’autre, aussi est-il interdit de sortir ainsi accoutré le Chabbat.

[11]. Selon le ‘Aroukh Hachoul’han 301, 53, s’agissant d’un vêtement dont la Torah autoriserait à être vêtu dans le domaine public, mais dont les sages ont interdit de se vêtir – de crainte que le vêtement ne tombe et que l’on n’en vienne à le déplacer de quatre coudées, ou de crainte d’essuyer les moqueries des autres et d’en venir à l’enlever, ou encore de crainte que l’on n’entre aux toilettes, que l’on n’y retire le vêtement et qu’on ne le déplace ensuite de quatre coudées –, l’interdit s’applique uniquement dans le domaine public tel que la Torah le définit. C’est seulement à l’égard des bijoux féminins que les sages ont également interdit d’en être paré dans le domaine de karmelit (cf. ci-après § 14).

 

[g]. Cet accessoire est surtout en usage en Israël et aux Etats Unis.

[12]. Le Igrot Moché, Ora’h ‘Haïm I 108-110 interdit de sortir avec un couvre-chapeau ; il se fonde sur les propos du Choul’han ‘Aroukh 301, 13-14, selon lequel tout ce qui est destiné à protéger le vêtement n’est pas considéré comme vêtement, de sorte qu’il est interdit de sortir ainsi. Puisque cette couverture plastifiée est destinée à protéger le vêtement, et non le corps, qu’elle n’est pas en elle-même un vêtement, et n’apporte pas non plus d’agrément esthétique, il est interdit de sortir ainsi pendant Chabbat. Telle est également l’opinion du Min’hat Yits’haq III 26, qui craint aussi que, une fois la pluie arrêtée, on n’enlève le couvre-chapeau et qu’on ne le transporte sur plus de quatre coudées. Mais selon le Rav Chelomo Zalman Auerbach, s’il s’agit d’une couverture plastifiée spécifiquement conçue pour les chapeaux, et qu’on n’enlève pas quand la pluie cesse, on considère qu’il s’agit d’un vêtement, et qu’il est donc permis de sortir ainsi dans le domaine public (Chemirat Chabbat Kehilkhata 18, note 46). C’est aussi l’opinion du Tsits Eliézer X 23 et du Yabia’ Omer V 24. On peut être indulgent en la matière, car c’est un cas de doute portant sur une règle rabbinique. En effet, du point de vue même de ceux qui l’interdisent, il n’y a pas là d’interdit toranique, cela pour différents motifs : ce n’est pas de cette manière que l’on a l’usage de transporter un objet ; il s’agit d’une mélakha dont la nécessité ne réside pas en elle-même (mélakha ché-eina tsrikha légoufa) ; de l’avis de nombreux décisionnaires, il n’existe pas, de nos jours, de domaine public tel que défini par la Torah. Par conséquent, on peut être indulgent.