Pniné Halakha

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09.Règle à observer en pratique

En pratique, la majorité des communautés ont coutume de suivre l’opinion indulgente : dans celles de nos villes qui en sont dotées, on porte des objets, en s’appuyant sur l’érouv de type tsourat hapéta’h. Cependant, dans la mesure où la moitié des décisionnaires sont rigoureux en la matière, et estiment qu’un érouv de ce type est inefficace dans celles de nos villes comportant des rues de 16 amot de large (7,30 m), il convient de se demander comment la majorité des Juifs ont pu adopter la coutume indulgente. Ne s’agit-il pas d’un cas de doute portant sur un interdit toranique, cas dans lequel on est normalement rigoureux ?

La réponse simple est que, dans des cas rares, où il est très difficile de tenir la position rigoureuse, il arrive que l’usage se répande, parmi le peuple, de s’appuyer sur l’opinion indulgente, bien que l’on se trouve dans un cas de doute portant sur une règle toranique. En l’occurrence, il est très difficile d’être rigoureux dans le sujet qui nous occupe : pour ceux qui suivent la coutume rigoureuse, il est interdit de porter le moindre objet dans leur poche, mouchoir ou autre, or il arrive que cela soit très nécessaire. De même, les familles ne peuvent se rendre visite les unes aux autres, car il est interdit de porter un bébé, une poussette, dans le domaine public, ni des couches, ni un biberon. Aussi, puisque la moitié des décisionnaires sont d’avis que l’on peut être indulgent, on s’appuie sur leur avis, faute de choix, et l’on adopte l’usage indulgent.

Il faut ajouter qu’en réalité la controverse n’est pas équilibrée, car il existe encore quelques conditions pour constituer un domaine public, et si nous les prenons en compte, il apparaît que c’est bien la majorité des décisionnaires qui estiment que nos rues n’ont pas le statut de domaine public tel que la Torah le conçoit ; dès lors, l’érouv de type tsourat hapéta’h y est efficace. Premièrement, certains décisionnaires estiment que le domaine public toranique s’entend uniquement lorsque la rue traverse la ville de part en part, en ligne nettement droite ; si la ligne est un peu courbe, ce n’est déjà plus un domaine public de type toranique. Dans la majorité des endroits, il n’y a pas de rue principale répondant à de critère ; dès lors, on peut se fier au mode dit tsourat hapéta’h. Deuxièmement, selon certains décisionnaires, puisque nos rues sont disposées de telle façon que chacune est croisée par une autre, toutes ces rues sont considérées comme entourées d’une cloison par trois côtés, et ne constituent pas un domaine public tel que défini par la Torah ; dès lors, l’érouv de type tsourat hapéta’h leur est efficace (‘Aroukh Hachoul’han, ‘Hazon Ich). Il existe d’autres motifs d’indulgence, comme nous le rapportons en note 9.

Quand nous additionnons tous ces arguments, il apparaît que, pour la majorité des décisionnaires, nos rues sont considérées comme karmelit, et l’on peut permettre d’y porter quand est installé un érouv de type tsourat hapéta’h.

Malgré cela, selon de nombreux auteurs, puisque l’on est en présence d’un doute en matière d’interdit toranique, il convient a priori d’être rigoureux et de ne pas s’appuyer sur un érouv de type tsourat hapéta’h, en un endroit qui comprend des rues larges de plus de 16 amot[9].


[9]. De quatre points de vue, on peut considérer que nos rues ne ressortissent pas au domaine public tel que la Torah le définit :

 

  1. a) Comme nous l’avons vu, pour la moitié des décisionnaires, tant que 600 000 personnes ne passent pas dans la rue chaque jour, cette rue n’est pas un domaine public tel que défini par la Torah. Or nos rues ne remplissent que très rarement ce critère. Certains auteurs, il est vrai, expliquent que, même si la rue ne voit passer 600 000 personnes que certains jours, elle est considérée comme domaine public (‘Aroukh Hachoul’han 345, 26, Beit Ephraïm, Ora’h ‘Haïm 26, Hilkhot ‘Erouvin 25) ; ces auteurs s’appuient sur l’expression des Richonim : une rue « où se trouvent fréquemment (מצויים) 600 000 personnes ». Mais même cela n’est pas fréquent.

 

  1. b) Selon Rachi et d’autres, seule une rue qui traverse la ville en ligne droite, comme une règle, est considérée comme domaine public ; dans la majorité des endroits, ce n’est pas le cas (cependant le Igrot Moché, Ora’h ‘Haïm I 148 ne retient pas ce critère).

 

  1. c) Selon le Beit Ephraïm 26, ‘Aroukh Hachoul’han 345, 19-22 et le ‘Hazon Ich, Ora’h ‘Haïm 107, 5-8, la configuration de nos rues est telle que chaque rue est croisée dans sa largeur par une autre rue, si bien que chaque rue est entourée de trois « cloisons ». En effet, selon la Torah, on considère qu’il y a cloison (me’hitsa) dès lors que le lieu est majoritairement fermé. Or les maisons qui sont de part et d’autre de la rue obstruent la majorité du terrain, si bien que la rue comporte deux cloisons ; et puisqu’une autre rue la coupe, et que, de part et d’autre de cette seconde rue, se trouvent aussi des maisons, qui elles aussi en obstruent la majorité, cette seconde rue est considérée comme une cloison délimitant la première rue par un troisième côté. Ainsi, chaque rue de la ville est entourée par trois côtés, et ne constitue pas, du point de vue de la Torah, un domaine public. Ce sont les sages qui exigent quatre cloisons [pour constituer un domaine particulier], et qui ne se contentent pas d’une majorité fermée. Or en cas de doute portant sur une règle rabbinique, on est indulgent.

 

  1. d) Il y a lieu de dire que ce sont les sages qui ont décidé qu’un érouv de type tsourat hapéta’h ne permettrait pas de porter dans un domaine public ; en revanche, pour la Torah, ce type d’érouv est considéré comme une parfaite cloison. Il apparaît donc que toute la controverse porte sur une règle de rang rabbinique. Or en cas de doute portant sur une telle règle, on est indulgent (c’est ce qu’écrit le Béour Halakha 364, 2, d’après Maïmonide ; et bien que ces propos aient suscité des objections, le Or lé-Tsion I 30 écrit que telle est l’opinion du Roch : tsourat hapéta’h est un dispositif efficace pour lever l’interdit toranique. Il apparaît donc que la controverse porte seulement sur une règle rabbinique).

 

Il est peut-être permis d’avancer un cinquième point : e) puisqu’une partie du territoire israélien est entouré de clôtures par trois côtés, bien qu’elles soient très éloignées, ces clôtures sont, selon Tossephot, efficaces du point de vue de la Torah ; dès lors, tout le doute porte sur une question de rang rabbinique (cf. Har’havot 29, 4, 3).

 

On voit donc que la controverse n’est pas équilibrée, et que, pour la majorité des décisionnaires, nos rues ne constituent pas un domaine public au sens que la Torah donne à ce terme. De plus, il s’agit d’un cas de sfeq sfeqa (doute qui s’applique à une situation elle-même douteuse), portant sur quatre doutes ; or selon les principes de la halakha, la règle applicable est en ce cas conforme à l’opinion indulgente.

 

Dans les grandes villes, on trouve certaines rues où, s’il ne passe pas chaque jour 600 000 piétons, 600 000 personnes passent néanmoins en voiture. De prime abord, dans ces villes, on ne devrait pas permettre de porter dans le cadre d’un érouv de type tsourat hapéta’h. Cependant, il ne semble pas que les routes doivent être considérées comme « domaine public » : puisqu’il est interdit aux piétons d’y marcher, elles ne sont pas ouvertes au public. Quant aux voitures elles-mêmes, elles sont considérées comme domaines particuliers (Yechou’ot Malko, Ora’h ‘Haïm 26). De ce point de vue, il y a lieu de dire que de nombreuses rues, de l’avis de tous, ne constituent pas un domaine public toraniquement parlant : puisqu’il ne faut pas compter la chaussée, destinée aux voitures, elles ne sont pas larges de 16 amot. Certains auteurs contestent ce raisonnement (‘Aroukh Hachoul’han 345, 26, Igrot Moché, Ora’h ‘Haïm I 139).

 

À l’inverse, il y a quelques motifs d’hésitation concernant l’érouv tel qu’on le pratique dans nos villes : si des non-Juifs sont dans la ville, ou des Juifs qui profanent le Chabbat, nos sages décrètent que ces personnes ne peuvent être considérées comme associées aux autres habitants ; dès lors, la jonction de domaines ne peut s’appliquer. Cf. chap. 29 § 7 où nous indiquons comment on résout ce problème. Problème supplémentaire : les villes comportent des jardins dont la dimension excède un beit sataïm (champ où l’on peut semer deux séa de graines, soit 50 x 100 amot, ou un peu plus de 10 ares) ; or ces jardins annulent l’efficacité de l’érouv ; en effet, il est impossible d’y marcher [on ne peut y marcher là où c’est interdit, non plus que dans les plans d’eau]. Toutefois, en pratique, s’il est permis de marcher dans de tels jardins, parce que des sentiers y sont aménagés, ces jardins n’invalident pas l’érouv. De même, si ces jardins sont entourés de clôtures, ils n’invalident pas l’érouv. Autre problème : selon Maïmonide, l’érouv de type tsourat hapéta’h n’est pas efficace si la distance qui sépare les poteaux est supérieure à 10 amot (4,56 m). Mais puisque la majorité des décisionnaires ne partagent pas cette exigence, et que la règle est de rang rabbinique, on ne tient pas compte de cette objection (telle est la position première du Choul’han ‘Aroukh 362, 10).

 

Lorsqu’on a besoin d’apporter un objet, ou d’amener un enfant, d’une maison à une autre en passant par la rue, certains ont soin de marcher de manière continue, sans s’arrêter, jusqu’à ce qu’ils arrivent à destination [dans le cas où il y a un érouv du type tsourat hapéta’h]. De cette manière, on ne réalise pas de dépôt dans le domaine public, si bien que, de l’avis de nombreux décisionnaires, il n’y a pas là d’interdit toranique (comme nous l’expliquons en note 3). Dès lors, le doute porte, d’un point de vue supplémentaire, sur une question de rang rabbinique, et il semble ainsi que l’on puisse être indulgent a priori.

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