Pniné Halakha

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Chabbat

10. Chamor – s’abstenir des travaux du Tabernacle

Les six jours ouvrables, il nous incombe de pourvoir à nos besoins et aux affaires de la société. La majeure partie des talents de l’homme et de son énergie sont tournés vers les travaux de son champ, l’agencement de sa maison, la préparation de sa nourriture et de ses vêtements, ou tout autre ouvrage créatif. Cependant, quelque amour que l’on puisse éprouver pour son travail, celui-ci comporte une part d’asservissement. Les besoins de la vie courante enserrent l’homme dans les chaînes de ce monde-ci, et lui font oublier la foi et l’âme. La cessation de tout labeur le jour de Chabbat nous permet de nous élever au-dessus des tracas du temps et des nécessités du lieu, vers un monde de liberté et de repos, un monde où l’âme peut parvenir à l’expression de soi-même. C’est à ce propos que nos sages enseignent que le Chabbat est un avant-goût du monde à venir (cf. Berakhot 57b).

Afin d’accéder réellement à la grandeur du Chabbat, le Juif doit, ce jour-là, regarder le bien qui est dans le monde, comme il est écrit : « Cantique, chant pour le jour de Chabbat. Il est bon d’être reconnaissant envers l’Eternel, de chanter à ton nom, Être suprême ; d’annoncer, le matin, ta bonté, et ta fidélité pendant les nuits » (Ps 92, 1-3). Le Chabbat, il faut méditer sur la providence divine, qui dirige tout pour le bien, et accepter la réalité telle qu’elle est, avec amour, sans pression ni volonté de la modifier. Même s’il nous manque quelque chose, que l’on n’a pas eu le temps de préparer la veille de Chabbat, ou qu’il soit arrivé quelque accident qui cause du tourment, il y a lieu d’accepter cela d’un esprit serein et de se délecter en Dieu. De cette façon, la bénédiction et la sainteté se répandront sur tous les actes de l’homme pendant la semaine.

On pourrait croire que seuls les travaux profanes sont interdits pendant Chabbat ; mais la Torah a également interdit les travaux destinés à la construction du Sanctuaire. Mieux : c’est de l’ouvrage du Tabernacle que nous apprenons quels sont les trente-neuf travaux interdits le Chabbat, car tous les travaux que nos ancêtres exécutaient lors de la construction du Tabernacle sont précisément ceux qu’il nous est interdit d’accomplir pendant Chabbat ; comme il est écrit, immédiatement après la mention de l’ouvrage du Tabernacle : « Cependant, mes Chabbats vous garderez » (Ex 31, 13), ce qui nous apprend que, quelque grande que soit la mitsva de construire le Tabernacle, de cela même il faut s’abstenir pendant Chabbat. En effet, l’œuvre du Tabernacle elle-même doit être reliée à sa profonde racine divine ; faute de quoi, en raison des nombreux soucis attachés à la construction du Tabernacle, on risquerait d’oublier le but ultime de celui-ci. Le Tabernacle demeurerait alors comme un corps sans âme, et ne pourrait remplir sa vocation : révéler la parole de l’Eternel dans le monde. Quelquefois, ce sont précisément ceux qui se livrent à des travaux liés au Sanctuaire qui doivent prêter le plus d’attention à cela, car ils ont une telle conscience de la valeur de ce qui est saint qu’ils risquent d’investir tout leur être pour en construire les structures extérieures, au point d’en oublier l’essence intérieure.

Malgré la grande différence existant entre la sainteté du Sanctuaire et le reste du monde, le monde entier devrait en réalité être un Sanctuaire, c’est-à-dire un lieu sur lequel repose la Présence divine. Dès lors, le moindre des travaux qu’exécute l’homme en ce monde doit être relié à l’œuvre du Sanctuaire. Simplement, dans le Sanctuaire, les concepts divins se révèlent de façon manifeste et concentrée, tandis que, dans le reste du monde, leur manifestation s’opère de façon voilée et diverse. Aussi doit-on orienter ses actes[6], faire en sorte qu’ils soient accomplis au nom du Ciel (léchem Chamayim), aussi bien dans les champs qu’à l’usine, dans la recherche scientifique comme dans le commerce : tout doit être accompli dans le dessein de faire du bien au monde et de le réparer, jusqu’à ce qu’il parvienne à son but : être tout entier un Sanctuaire pour la Présence divine. Même l’argent que l’homme dépense doit être destiné à vivre de façon juste devant l’Eternel, à aider à la fondation d’une famille, qui soit un Sanctuaire, lieu de résidence des bons traits de caractère et des idéaux divins. Tout cela, il est possible de le réaliser grâce à la sainteté du Chabbat, durant lequel on n’accomplit aucun travail, et duquel on puise la valeur intérieure de toutes les œuvres.

Il faut encore savoir que le but de l’homme n’est pas de travailler dur. Si la faute du premier homme n’avait pas eu lieu, nous vivrions encore au jardin d’Eden, et tout notre travail s’y ferait dans la joie et la tranquillité, sans inquiétude ni peine. Après la faute, il nous faut gagner notre vie à la sueur de notre front pour pouvoir subsister (Qidouchin 82a). Cette peine-là sert, dans une grande mesure, à la réparation de la faute, mais elle risque aussi d’ancrer notre existence dans le monde de la matière, loin des idéaux de la foi, de la liberté et de la joie. C’est pourquoi le Chabbat est si important, avant-goût du monde futur, durant lequel nous nous attachons au plus haut idéal. Par l’effet de cet attachement, le Chabbat donne un sens profond aux six jours de la semaine : ceux-ci ne visent pas seulement à satisfaire les besoins de la subsistance immédiate, mais encore à réparer le monde et à l’élever vers sa Délivrance, jusqu’à ce qu’il revienne à sa condition de jardin d’Eden et de résidence de la Présence divine[7].


[6]. Lekhaven : littéralement orienter (verbe de même racine que le mot kavana). Investir ses actes d’une intention.

[7]. Bien qu’il soit interdit, le Chabbat, d’exécuter les travaux nécessaires à la construction du Tabernacle et du Sanctuaire, il est permis d’apporter des sacrifices durant ce jour ; de même, il est permis, ce jour-là, de pratiquer la circoncision (Chabbat 133a). Cela s’explique par le fait que ces mitsvot sont l’expression du lien profond et particulier qui attache Israël à Dieu, si bien qu’elles conviennent au propos du Chabbat et n’en sont pas une profanation. En revanche, la construction du Tabernacle consiste à attirer la lumière intérieure vers l’extérieur, ce qui est interdit pendant Chabbat, car le Chabbat est tout intérieur.

11. Le Chabbat équivaut à l’ensemble des mitsvot, car s’y révèle la foi

L’un des grands mérites du Chabbat est que, par lui, Israël accède à un avant-goût du monde futur, s’élève au-delà des cloisons et des écrans que ce monde-ci dresse entre l’homme et la Source de sa vie. Grâce à cela, il nous est donné de recueillir la lumière de la foi et de la Torah, et de nous relier pleinement à toutes les mitsvot que celle-ci comporte.

Nos sages enseignent : « Dans la Torah, dans les Prophètes aussi bien que dans les Hagiographes, nous trouvons témoignage que le Chabbat équivaut à l’ensemble des mitsvot de la Torah » (Talmud de Jérusalem, Nédarim 3, 9). Dans la Torah (le Pentateuque), comme il est dit : « L’Eternel dit à Moïse : “Jusqu’à quand refuserez-vous de garder mes commandements et mes lois ? Voyez, l’Eternel vous a donné le Chabbat” » (Ex 16, 28-29). Cette parole a été dite après que l’on eut transgressé le Chabbat en tentant de ramasser la manne ce jour-là. Cela nous laisse entendre que la profanation du Chabbat est comparable à la violation de l’ensemble de la Torah, de toutes les mitsvot. Dans les Prophètes, comme il est dit : « Mes Chabbats, eux aussi, je les leur ai donnés pour servir de signe entre Moi et eux, afin que l’on connût que Je suis l’Eternel qui les sanctifie. Mais elle s’est révoltée contre Moi, la maison d’Israël, dans le désert ; ils n’ont pas marché selon Mes lois, ils ont dédaigné Mes décrets – qui font vivre l’homme qui les met en pratique – et Mes Chabbats, ils les ont transgressés à l’excès… Et Je dis à leurs enfants : … “Marchez selon Mes lois… et sanctifiez mes Chabbats : ils seront un signe entre Moi et vous, afin que l’on sache que Je suis l’Eternel votre Dieu. Mais les enfants se sont révoltés contre Moi…” » (Ez 20, 12-22). Dans les Hagiographes, comme il est dit : « Et sur le mont Sinaï, Tu descendis, et parlas avec eux du haut du ciel ; et Tu leurs donnas des règlements droits, des lois de vérité, de bons décrets et de bons commandements. Ton saint Chabbat, Tu le leur fis connaître ; Tu leur prescrivis des commandements, des décrets et une Loi, par la main de Moïse ton serviteur » (Ne 9, 13-14). (Voir encore ci-après chap. 22 § 2. Voir aussi tout le chapitre 20 d’Ezéchiel).

Nos sages enseignent, dans le même sens : « Quiconque observe le Chabbat conformément à sa réglementation, même s’il sert les idoles comme au temps d’Enoch (époque à laquelle on commença à commettre le péché d’idolâtrie), se voit pardonné » (Chabbat 118b). En observant scrupuleusement le Chabbat, on se renforce dans sa foi ; dès lors, ses fautes sont considérées comme involontaires et sont pardonnées. Nos maîtres disent encore : « Quiconque garde le Chabbat est éloigné de la transgression » (Mekhilta sur la section Bechala’h).

12. Le Temple fut détruit à cause de la profanation du Chabbat

Avant la destruction du Premier Temple, Dieu envoya le prophète Jérémie pour faire savoir au peuple et aux rois de Juda que leur avenir dépendait de l’observance du Chabbat, comme il est écrit :

Ainsi me parla l’Eternel : « Va, et tu te tiendras à la porte des Fils du Peuple, par où entrent les rois de Juda et par où ils sortent, et à toutes les portes de Jérusalem. Tu leur diras : “Ecoutez la parole de l’Eternel, rois de Juda, et vous tous, gens de Juda, et tous les habitants de Jérusalem qui venez en ces portes. Ainsi a dit l’Eternel : Prenez garde à vous-mêmes, et ne portez point de fardeau, le jour du Chabbat, ni  n’en introduisez dans les portes de Jérusalem. Et vous ne ferez pas sortir de fardeau de vos maisons, le jour du Chabbat, ni n’exécuterez aucun ouvrage ; et vous sanctifierez le jour du Chabbat, comme Je l’ai ordonné à vos pères. Mais ils n’écoutèrent pas, ne tendirent pas l’oreille, ils raidirent leur nuque afin de ne pas entendre et de ne pas recevoir la remontrance. Or il adviendra, si vous m’écoutez attentivement, proclame l’Eternel, en vous abstenant d’apporter quelque fardeau dans les portes de cette ville le jour du Chabbat, et si vous sanctifiez le jour du Chabbat en vous abstenant d’y faire aucun ouvrage, que des rois et des princes viendront dans les portes de cette ville, assis sur le trône de David, montés sur des chars et des chevaux, et eux et leurs ministres seront des hommes de Juda et des habitants de Jérusalem ; et cette ville sera établie pour toujours. Et ils viendront des villes de Juda, des environs de Jérusalem et de la terre de Benjamin, de la plaine, de la montagne et du midi, ceux qui apportent holocauste et sacrifice, offrande et encens, et ceux qui apportent des sacrifices de reconnaissance dans la maison de l’Eternel. Mais si vous ne m’écoutez pas pour sanctifier le jour du Chabbat et pour ne point porter de fardeaux en franchissant les portes de Jérusalem le jour du Chabbat, j’allumerai un feu en ses portes, qui dévorera les palais de Jérusalem et ne s’éteindra pas” » (Jr 17, 19-27).

Nos sages disent de même : « Jérusalem ne fut détruite que parce que l’on y profanait le Chabbat, comme il est dit : “Ils ont détourné les yeux de Mes Chabbats et Je fus profané au milieu d’eux” (Ez 22, 26) » (Chabbat 119b). Dans la suite de ce passage d’Ezéchiel (v. 30), il est dit : « Je cherchai parmi eux un homme qui élevât une fortification, qui se tînt sur la brèche devant Moi, en faveur du pays, afin qu’il ne fût pas détruit, mais Je ne trouvai pas. »

13. La Délivrance dépend de l’observance du Chabbat

Le livre d’Isaïe nous apprend que la Délivrance dépend de la pratique du droit et de la justice, ainsi que de l’observance du Chabbat, comme il est dit :

Ainsi parle l’Eternel : gardez le droit (michpat) et pratiquez la justice (tsedaqa), car mon salut est près de venir et ma justice près de se dévoiler. Heureux l’homme qui fait cela, le fils de l’homme qui s’y attache, qui garde le Chabbat et ne le profane point, et préserve sa main de toute action mauvaise. Et qu’il ne dise pas, le fils de l’étranger, qui s’agrège à l’Eternel : « L’Eternel m’a séparé de son peuple [je ne mériterai pas tout le bien que Dieu conserve au bénéfice d’Israël, pour le temps de la Délivrance] », et qu’il ne dise pas, l’eunuque : « Voici, je suis un arbre desséché [car je n’ai pas d’enfants, et donc pas d’avenir]. » Car ainsi parle l’Eternel : « Aux eunuques qui gardent mes Chabbats, ont choisi ce que J’ai désiré et qui tiennent ferme mon alliance, Je donnerai, dans ma maison et dans mes murailles, un monument et un nom, meilleur que des fils et des filles ; un nom perpétuel Je leur donnerai, qui ne sera pas retranché. Et les fils de l’étranger, qui s’agrègent à l’Eternel pour le servir et pour aimer le nom de l’Eternel, pour lui être des serviteurs, quiconque observe le Chabbat, se gardant de le profaner, ceux qui tiennent ferme mon alliance [grâce à la garde du Chabbat, ils mériteront d’être considérés comme de parfaits Israélites] : Je les mènerai sur ma montagne sainte, et Je les réjouirai dans ma maison de prière ; leurs holocaustes et leurs sacrifices seront agréées sur mon autel, car ma maison sera appelée maison de prière pour tous les peuples. Discours du Seigneur Dieu, qui rassemble les dispersés d’Israël : il en est d’autres que Je rassemblerai, en sus de ses rassemblés (Is 56, 1-8).

Nos sages apprennent de cela : « Si le peuple d’Israël gardait deux Chabbats conformément aux prescriptions, il serait immédiatement délivré, comme il est dit : “Ainsi parle l’Eternel aux eunuques qui garderont mes Chabbats[8]” ; or il est dit ensuite : “Je les amènerai sur ma montagne sainte etc.” » (Chabbat 118b).

Au premier abord, il y a lieu de se demander pourquoi, selon nos sages, si le peuple d’Israël observait deux Chabbats, il serait immédiatement délivré. Le prophète n’annonce-t-il pas que la Délivrance dépend du droit et de la justice ? Il y a lieu de dire que, si le peuple juif observait deux Chabbats conformément aux prescriptions, il observerait assurément aussi le droit et la justice, car, par l’effet du Chabbat, on se libère de la sujétion aux appétits de possession et d’argent, et l’on s’élève dans la foi ; grâce à cela, on désire accomplir le droit et la justice durant les six jours travaillés. Dans le même sens, nos maîtres disent : « Israël ne sera délivré que par le mérite du Chabbat, comme il est dit : “Par la tranquillité et par le repos viendra votre salut” (Is 30, 15) » (Lv Rabba 3, 1). Et véritablement, par le droit et la justice, on peut accéder à la Délivrance car, par le biais du droit et de la justice, on se libère des chaînes de la matière et des passions, on apporte leur réparation spirituelle (tiqoun) aux six jours de travail, et l’on peut ainsi garder le Chabbat comme il convient, s’élever dans la foi, l’attachement à Dieu, et mériter la Délivrance (cf. Baba Batra 10a ; Dt Rabba 5, 7).

Nos maîtres disent encore que, grâce à l’observance du Chabbat, on mérite de s’établir en terre d’Israël ; comme l’a dit le Saint béni soit-Il à Abraham notre père : « Si tes enfants acceptent le Chabbat, ils entreront dans le pays ; sinon, ils n’y entreront pas » (Gn Rabba 46, 9). Or l’entrée dans le pays constitue le commencement de la Délivrance.


[8].  Le pluriel mes Chabbats indique un nombre minimal de deux Chabbats.

14. Gravité de la profanation du Chabbat

Après avoir étudié la valeur immense du Chabbat, nous pouvons comprendre la gravité particulière de sa  profanation (‘hiloul Chabbat), que la Torah punit de la sanction la plus grave : pour celui qui a profané le Chabbat intentionnellement (mézid), et en présence de témoins (‘edim) qui lui ont préalablement adressé une mise en garde (hatraa), la mort par lapidation (seqila) ; pour le profanateur intentionnel sans témoins, la peine de retranchement (karet), comme il est dit : « Vous garderez le Chabbat, car il est saint pour vous, celui qui le profane mourra, car toute personne qui y fait un ouvrage sera retranchée du sein de son peuple » (Ex 31, 14). Certes, en pratique, on n’a presque jamais exécuté la peine de mort : il était très rare que toutes les conditions justifiant cette peine fussent réunies chez un même homme. C’est pourquoi nos sages enseignent qu’un Sanhédrin[9] qui ferait exécuter un homme tous les sept ans serait considéré comme un tribunal sanguinaire ; selon Rabbi Eléazar fils d’Azarya, même s’il faisait exécuter un homme tous les soixante-dix ans, il serait considéré comme sanguinaire (Makot chap. 1, michna 10).

Malgré cela, c’est un fait que l’un des deux seuls cas, mentionnés par la Torah, dans lesquels on fit exécuter un homme est lié à la profanation publique du Chabbat. Comme il est dit : « Les enfants d’Israël étaient dans le désert. Or ils trouvèrent un homme qui ramassait du bois le jour de Chabbat. Ceux qui l’avaient trouvé ramassant du bois le firent approcher de Moïse, d’Aaron et de toute l’assemblée. On le plaça sous garde, car ce que l’on devait lui faire n’avait pas été expliqué. L’Eternel dit à Moïse : “Il mourra, l’homme ; que toute l’assemblée le lapide en dehors du camp.” Toute l’assemblée le fit sortir hors du camp, et on le lapida, et il mourut, comme l’Eternel l’avait ordonné à Moïse » (Nb 15, 32-36). À ce qu’il semble, la Torah veut nous apprendre, par ce récit, combien grave est le dommage causé aux valeurs de la foi et de la nation par celui qui profane le Chabbat en public.

Ce récit reste pourtant difficile à comprendre. Comment se peut-il que l’homme qui ramassait du bois ait osé profaner le Chabbat publiquement ? Une explication est donnée par nos sages : après la faute des explorateurs et le décret qui fut édicté à l’égard de la génération du désert – prévoyant que cette génération n’entrerait pas en terre d’Israël –, certains pensaient qu’il n’était plus obligatoire d’appliquer les commandements de la Torah. C’est pourquoi le ramasseur de bois voulut faire savoir aux yeux de tous qu’il fallait continuer d’observer les commandements. Animé d’une ardeur religieuse particulière, il décida de profaner le Chabbat publiquement, afin que l’on fût obligé de le mettre à mort, et qu’ainsi tout le peuple vît combien la chose était grave (ce midrach est cité par Tossephot sur Baba Batra 119b). Certains affirment que le ramasseur de bois était Tselof’had, qui mérita que ses filles chérissent la terre d’Israël et pussent en hériter.

Concernant encore la gravité de la profanation du Chabbat, le Zohar (II 151a) enseigne que, au moment où le jour de Chabbat est sanctifié, le feu de la géhenne (guehinom) s’écarte des méchants, à l’exception de ceux qui n’avaient jamais observé le Chabbat, et qui sont également punis pendant ce jour. Cependant, quiconque s’est repenti, et à plus forte raison celui qui a été puni pour sa faute, comme le ramasseur de bois, est pardonné, et n’encourt pas de punition pour elle dans la géhenne.


[9].  La juridiction suprême, qui siégeait à Jérusalem à l’époque du Temple.

15. Celui qui profane le Chabbat s’exclut d’Israël

Nous voyons une gravité particulière à la profanation du Chabbat, en ce que celui qui le profane publiquement, de même que celui qui sert un culte idolâtre, est considéré comme s’étant exclu d’Israël : son statut est comparable à celui d’un non-Juif. Comme l’écrit Maïmonide, « le Chabbat et l’interdit de l’idolâtrie équivalent, l’un et l’autre, à l’ensemble des autres mitsvot de la Torah. Le Chabbat est le signe éternel qui nous relie au Saint béni soit-Il. Par conséquent, tandis que celui qui transgresse les autres mitsvot fait partie des impies d’Israël, celui qui profane publiquement le Chabbat est comparable à l’idolâtre ; l’un et l’autre sont comme des non-Juifs en toute chose » (Hilkhot Chabbat 30, 15). En d’autres termes, celui qui transgresse quelqu’une des mitsvot de la Torah n’est pas, pour autant, considéré comme renégat envers toute la Torah ; on le considère comme un Juif qui a péché. Tandis que les idolâtres et ceux qui profanent publiquement le Chabbat, même s’ils n’ont pas fauté dans le but de provoquer autrui, et même s’ils pratiquent les autres commandements, sont l’objet d’une sanction particulière prévue par les sages : tant qu’ils ne se repentent pas, ils sont considérés comme ayant renié toute la Torah, et leur statut est semblable à celui de non-Juifs en toute chose (‘Erouvin 69b ; ‘Houlin 5a). Cela se traduit, en pratique, par le fait que l’on n’accepte pas les sacrifices qu’ils apporteraient au Temple (Maïmonide, Ma’assé haqorbanot 3, 4), on ne les compte pas parmi le [10] (Michna Beroura 55, 46), on ne boit pas le vin qu’ils ont touché, et l’on n’a pas l’obligation de les faire bénéficier d’actes de bienfaisance, comme on y est obligé à l’égard de chaque Juif (Ahavat ‘Hessed I 3, 3).

Toutefois, dans les dernières générations, plusieurs des plus grands décisionnaires ont donné pour directive, en pratique, que tant que le profanateur du Chabbat ne fait pas cela par esprit de révolte, on ne doit pas le traiter comme un idolâtre. En effet, dans le passé, lorsque tout Israël observait le Chabbat, quiconque le profanait publiquement, même s’il n’avait pas d’intention provocatrice, était considéré comme s’excluant d’Israël. Tandis que, dans les dernières générations où, à notre grande affliction, l’observance du Chabbat s’est délitée chez nombre de Juifs, seul celui qui profane le Chabbat publiquement dans l’intention de provoquer autrui et de porter atteinte à la Torah d’Israël est considéré comme idolâtre ; tandis que celui qui profane le Chabbat pour ses propres besoins n’est pas considéré comme ayant décidé de se rendre étranger à la tradition juive (Melamed Lého’il, Ora’h ‘Haïm 29 ; Binyan Tsion Ha’hadachot 23 ; cf. La Prière d’Israël 2, 8).

Aussi, en pratique, si un tel homme veut se joindre à un minyan, on le compte parmi les dix. Et l’on est tenu de lui dispenser des bienfaits, comme à tout Juif. Certes, on trouve, même de nos jours, de nombreux décisionnaires qui estiment que le statut de celui qui profane publiquement le Chabbat est semblable à celui d’un non-Juif. Aussi convient-il que, même celui qui éprouve des difficultés à observer le Chabbat, en raison de son éducation et de ses habitudes, s’efforce à tout le moins d’allumer les veilleuses de Chabbat avant le coucher du soleil, de réciter le Qidouch sur une coupe de vin et de se garder autant que possible d’accomplir des travaux. De cette façon, il apparaîtra comme une personne aux yeux de laquelle le Chabbat est important, et qui veut se relier à la tradition de son peuple ; dès lors, même de l’avis des décisionnaires rigoureux, le grave statut de profanateur public du Chabbat, assimilé à l’idolâtre, ne s’appliquera pas à lui.

On se doit de signaler que, en tout état de cause, un Juif ne peut se séparer de sa judéité. Même s’il servait des idoles, profanait le Chabbat intentionnellement et commettait tous les interdits de la Torah, il resterait juif, et son âme conserverait la sainteté propre à Israël. Simplement, ce serait un grand impie, dont la sanction serait plus grave que celle qui s’applique aux autres impies, qui ne se sont pas détournés d’Israël (Zohar II 151b). Aussi nos sages ont-ils pour position que, d’un côté, on doit s’éloigner d’un tel homme, mais que, de l’autre, quand la chose est possible, on s’efforce de l’éveiller au repentir.


[10]. Quorum de dix Juifs mâles majeurs, nécessaire pour procéder à la prière publique.

16. Un Chabbat de paix et d’unité

Le Chabbat, nous nous attachons à la Source de notre vie. Par cela, la racine unitaire de toutes les créatures se révèle et, dès lors, la paix s’opère dans le monde. L’opposition la plus profonde qui soit au monde est celle de l’esprit (roua’h) et de la matière (‘homer), celle de l’âme (néchama) et du corps (gouf). Si l’on s’en tient à une vision profane, il semble que ces deux opposés se contrarient l’un l’autre et luttent l’un contre l’autre. Cependant, le Chabbat, il apparaît que l’âme et le corps se complètent l’un l’autre, car, par l’âme, le corps prend vie et reçoit la bénédiction, tandis que, par le corps, l’âme se manifeste. De là vient l’obligation sabbatique de se délecter spirituellement et matériellement, par l’étude de la Torah, la prière, les repas et le sommeil (cf. ci-après, chap. 2 § 5).

La paix s’établit aussi, le jour de Chabbat, entre les autres principes qui sont au monde. Durant les jours ouvrables, il semble que tous les hommes sont en compétition, en lutte les uns avec les autres, pour l’argent, les honneurs et l’amour, et que toute réussite d’un individu se fait au détriment d’un autre. Par suite, les dissensions se multiplient dans le monde, et la voie des méchants, ennemis d’Israël, prospère. Le Chabbat, en revanche, se révèle le fait que tout procède d’une tendance unitaire : les forces même qui semblent antagonistes, en vérité se complètent et se fécondent mutuellement ; toutes ensemble aspirent à Dieu, source de leurs vies. Quant aux méchants, qui s’attachent au mal et semblent, si l’on s’en tient à un regard profane, réussir, ils n’ont en réalité pour rôle que d’éveiller les justes ; et quand ils ont rempli ce rôle, ils disparaissent du monde. C’est bien ce que le septième jour exalte, comme il est dit :

Cantique, poème pour le jour de Chabbat. Il est bon de rendre grâce à l’Eternel, de chanter à ton nom, Être suprême ; d’annoncer, le matin, ta bienfaisance, et ta fidélité durant les nuits, sur les dix-cordes, sur la harpe, aux sons harmonieux de la lyre. Car Tu me réjouis, Eternel, par ton œuvre, de l’ouvrage de tes mains j’exulte en chantant. Combien grandes sont tes œuvres, ô Eternel, très profondes sont tes pensées. L’homme stupide ne le sait pas, le sot ne comprend pas cela ; [l’homme stupide et le sot ne comprennent pas que tout va dans le sens du bien ; il leur paraît que les méchants prospèrent, mais en vérité…] quand les méchants croissent comme de l’herbe, que fleurissent tous les ouvriers d’injustice, c’est pour être anéantis à jamais. Mais Toi, Tu es pour toujours dans les hauteurs, Eternel. Oui, voici tes ennemis, Eternel, oui, voici que tes ennemis sont perdus, détruits tous les ouvriers d’injustice. Tu grandis ma force comme celle du buffle, dans ma décrépitude je reverdis au contact de l’huile. Mon œil contemple la chute de mes adversaires, mon oreille entend la défaite des malfaiteurs qui se dressent contre moi. Le juste fleurit comme le dattier, comme un cèdre au Liban il s’élève. Plantés dans la maison de l’Eternel, dans les parvis de notre Dieu ils sont florissants. Ils produiront encore dans la haute vieillesse, seront pleins de sève et verdoyants, pour proclamer que l’Eternel est juste, qu’Il est mon rocher ; point d’injustice en Lui (Ps 92).

Nous voyons donc que la paix véritable comprend deux aspects : d’une part, la paix donne la place qui lui convient à chaque faculté et à chaque aspiration ; dès lors, celles-ci parviennent à leur amendement (tiqoun), et il apparaît qu’elles ne portent point de mal en elles, et ne sont pas antagonistes les unes des autres. D’autre part, le mal achevé lui-même est destiné à éveiller les forces du bien ; et quand celles-ci s’éveillent, le mal a terminé son rôle et se consume. Il ne souffre pas de cela, car il a rempli sa mission.

Les maîtres du Zohar enseignent : « Viens et vois : le monde ne se maintient que par la paix. Lorsque le Saint béni soit-Il créa le monde, celui-ci ne put se maintenir avant que le Saint béni soit-Il n’y eût établi la paix. Et qu’est-ce que la paix ? Le Chabbat, qui est la paix des mondes supérieurs et inférieurs. Alors, le monde put subsister » (III 176b). Ils disent encore que l’on doit prendre soin de ne pas dégrader la sainteté du Chabbat par des disputes ; et celui qui a le cœur triste doit s’efforcer, le Chabbat, de se détourner de sa tristesse ; et si l’on a quelque querelle avec sa femme ou avec une autre personne, on se réconciliera le Chabbat (Tiqouné Zohar 57a).

C’est à cela que fait allusion l’allumage des veilleuses de Chabbat : tant que sa maison est sombre, même quand tout est en ordre, l’homme tâtonne dans l’obscurité pour trouver ses affaires, se heurte à des obstacles, trébuche, au point qu’il lui semble que tous ses meubles et ses biens se sont ligués contre lui pour le faire chuter. Quand on allume la lumière, il s’aperçoit que tout est à sa place pour le servir. Cette image fait allusion à notre situation dans le monde : tant que nous nous tenons éloignés de Dieu et des idéaux divins, nous sommes plongés dans l’obscurité, et il nous semble que le monde entier est confus, divisé, et que les méchants dominent. Mais dès lors que l’on jouit de la lumière du Chabbat, qui révèle la foi parfaite, on voit de quelle manière les différentes forces se complètent l’une l’autre, et comment le mal se consume, comme en une fumée (cf. ci-après chap. 4 § 1).

Les maîtres du Zohar enseignent que, grâce au dévoilement de la sainteté sabbatique et de la foi parfaite en Dieu Un, la joie abonde dans tous les mondes, la paix se fait dans les mondes supérieurs comme inférieurs, et tout uif jouit d’une âme supplémentaire et d’une délectation suprême. Même ceux des méchants, jugés dans la géhenne, qui honoraient le Chabbat, se reposent de leur peine pendant le saint jour (I 48a, II 88b, 151a, 205a, III 94b, 176b, 273a).

01. Les préparatifs du Chabbat

Comme nous l’avons vu au précédent chapitre, les six jours ouvrables et le Chabbat sont liés : de même que l’homme est doté d’un corps et d’une âme, de même la semaine possède un corps et une âme. Les jours travaillés en sont le corps et le Chabbat en est l’âme. Et de même que l’homme accompli est celui dont l’âme et le corps fonctionnent en harmonie, le corps recevant l’influx spirituel de l’âme et donnant à celle-ci la possibilité de s’exprimer, ainsi la semaine accomplie est celle où le lien entre Chabbat et jours ouvrables est un lien étroit. Les jours ouvrables, nous préparons tout le nécessaire du Chabbat ; grâce à cela, ces jours s’élèvent, se sanctifient, et puisent du Chabbat leur valeur.

Nos sages enseignent (Beitsa 16a) que, tous les jours de sa vie, « Chamaï l’Ancien mangeait en l’honneur de Chabbat » : s’il trouvait une belle bête, il disait : « Celle-ci est pour Chabbat. » S’il en trouvait ensuite une autre, plus belle que la première, il mangeait la première et gardait la seconde, prisée davantage, pour Chabbat. En d’autres termes, les jours ouvrables, Chamaï mangeait des mets moins délectables, car il gardait les plus délectables pour Chabbat. Par conséquent, il mangeait chaque jour de sa vie en l’honneur du Chabbat, et se demandait toujours comment honorer celui-ci et le sanctifier. Hillel l’Ancien, en revanche, adoptait une autre conduite : tous ses actes étaient faits au nom du Ciel, et il honorait et sanctifiait même les jours profanes, comme il est dit : « Béni soit l’Eternel au jour le jour. » Aussi, quand se présentait à lui un bon mets durant la semaine, il le mangeait, assuré qu’il était que Dieu, qui l’avait mis en présence d’un bon mets durant la semaine, lui en présenterait un plus délectable en l’honneur du saint Chabbat. Ainsi, Hillel donnait à chaque jour l’honneur et la valeur qui lui revenait (Rachi ad loc. ; Na’hmanide sur Ex 20, 8).

Les décisionnaires écrivent toutefois que, de l’avis d’Hillel l’ancien lui-même, il est préférable, en général, d’adopter la conduite de Chamaï, et de conserver les mets les plus délectables pour Chabbat ; simplement, Hillel était doté d’une confiance en Dieu toute particulière, et était certain que Dieu le mettrait en présence de mets plus délicieux encore pour Chabbat. Tandis qu’un homme qui n’est pas animé d’une telle certitude doit, quant à lui, avoir à cœur d’honorer chaque jour le Chabbat, et conserver pour celui-ci les mets les meilleurs (Michna Beroura 250, 2).

De nos jours, cette règle n’a presque plus d’implication pratique car, dans les magasins alimentaires, on trouve une profusion de produits durant toute la semaine, et il n’y aurait pas de raison de craindre que, en mangeant un certain mets de choix les jours ouvrables, on ne puisse plus le trouver en magasin à l’approche du Chabbat. Par conséquent, le principe, de nos jours, est de programmer nos achats de manière telle que les aliments destinés au Chabbat soient les plus délectables.

Il est bon de déclarer, au moment de faire ses courses, que tel achat est « en l’honneur du saint Chabbat » (likhvod Chabbat qodech) : cette coutume relève de la mitsva de zakhor (« souviens-toi du jour de Chabbat ») (Na’hmanide ad loc.). Il est bon, également, de goûter les mets que l’on prépare pour le Chabbat, afin de les accommoder comme il convient, et de faire ainsi du Chabbat un délice (Maguen  Avraham 250, 1 au nom de Rabbi Isaac Louria ; Michna Beroura 2).

02. Le vendredi

Bien que, d’une certaine manière, il faille se préparer chaque jour au Chabbat, le principal de cette préparation doit se faire le vendredi, comme il est dit : « Le sixième jour, ils prépareront ce qu’ils auront apporté » (Ex 16, 5). Et de même que les enfants d’Israël dans le désert se nourrissaient de la manne, qui tombait pendant la nuit, et que, dès le matin du sixième jour, ils sortaient la recueillir, de même est-ce une mitsva que de s’empresser de préparer le nécessaire du Chabbat, le vendredi matin (Choul’han ‘Aroukh, Ora’h ‘Haïm 250, 1). C’est une bonne coutume pour la femme que de se lever tôt, le vendredi, de cuire des pains (‘halot) en l’honneur de Chabbat, et de procéder au prélèvement sur la pâte (‘hala)a (Rama 242, 1).

Malgré l’obligation de se hâter de procéder aux achats du Chabbat de bon matin, il ne faut pas faire passer cela avant la prière de Cha’harit (prière du matin). De même, si l’on a l’habitude d’étudier après la prière, on étudiera comme de coutume, puis on se hâtera d’acheter et de préparer ce qui est nécessaire au Chabbat. Ce n’est que s’il est à craindre que, après la prière, il ne reste plus dans les magasins de produits alimentaires destinés au Chabbat, qu’il sera permis d’acheter les produits nécessaires avant la prière (Michna Beroura 250, 1).

Les A’haronimb ont enseigné qu’il est préférable d’acheter les aliments destinés au Chabbat le vendredi, plutôt que le jeudi, car il est alors plus manifeste que les achats sont faits en l’honneur du Chabbat. Il existe une seconde raison à cela : autrefois, quand il n’y avait pas de réfrigérateurs, il n’y avait pas de moyen de conserver les aliments frais, et pour que les aliments du Chabbat fussent de bonne qualité, il fallait les acheter et les cuisiner le vendredi. Toutefois – même à l’époque, et à plus forte raison aujourd’hui –, si certains aliments risquent de ne plus être sur le marché le vendredi, ou si leur préparation est très longue, il est préférable de les acheter le jeudi (Michna Beroura 250, 2).

Si l’on se trouve devant deux possibilités : cuisiner le vendredi et être fatigué le soir de Chabbat, ou cuisiner le jeudi et conserver les plats au réfrigérateur, de manière à accueillir sereinement le Chabbat, il est préférable d’achever la cuisine le jeudi ; simplement, on réservera au vendredi une petite partie des préparatifs. En effet, la mitsva essentielle est d’honorer le Chabbat et d’en faire un objet de délice ; pour cela, il importe d’être alerte et serein.

Dans certaines familles, la tension qu’on éprouve à vouloir achever tous les préparatifs avant l’entrée de Chabbat est telle que le vendredi devient un jour de nervosité et de disputes. L’Accusateur et le penchant au mal sont partie prenante en cela, car, avant l’entrée du Chabbat de paix, s’éveille la force antagoniste dans le but de susciter la colère et la controverse, et d’empêcher Israël d’accueillir le Chabbat convenablement. Dans le même sens,  le Talmud rapporte qu’un certain couple, chaque semaine à l’approche du Chabbat, se disputait de façon terrible. Rabbi Méïr eut l’occasion de séjourner dans leur ville pendant trois semaines. Chaque soir de Chabbat, il demeurait chez eux, jusqu’à ce qu’il rétablît la paix entre eux. Il entendit une voix émanant de l’Accusateur : « Malheur à moi, car Rabbi Méïr m’a chassé de cette maison » (Guitin 52a). Afin de ne pas laisser place à l’Accusateur, il faut bien programmer les préparatifs de Chabbat, de manière à pouvoir accueillir celui-ci dans la sérénité et la joie (c’est également ce qui ressort du décret d’Ezra, cf. § 4).

Il existe une coutume sainte, consistant à achever tous les préparatifs de Chabbat avant le milieu du jour (le midi solaire), après quoi on se repose et l’on se livre à l’étude de la Torah, à l’approche de Chabbat. Quiconque se conduit ainsi a le mérite d’accueillir Chabbat dans la sérénité et la joie, et parvient à ressentir l’âme supplémentaire (néchama yétéra) qui lui est octroyée pendant Chabbat.


[1]. Le mot ‘hala, plur. ‘halot, a deux sens : a) les pains généralement tressés, traditionnellement préparés en l’honneur du Chabbat et des fêtes ; b) dans une acception halakhique, la ‘hala est le nom de la portion que l’on prélève sur la pâte pétrie. À l’époque du Temple, cette portion devait être offerte aux prêtres (Nb 15, 18-21) ; aujourd’hui, on la brûle.[2]. Décisionnaires modernes, du 16ème siècle à l’époque contemporaine.

Pniné Halakha Les lois de Chabbat I + II
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03. Achat des aliments de Chabbat

C’est une mitsva que de se délecter, le Chabbat, par des mets et des plats de choix, et par des boissons savoureuses, selon les moyens propres à chacun ; quiconque fait des dépenses importantes en l’honneur du Chabbat et prépare de bons et nombreux plats, est digne de louange (Maïmonide, Chabbat 30, 7). Il est dit, à ce propos : « Tu appelleras le Chabbat délice » (Is 58, 13). Nos sages ont enseigné : « Quiconque fait du Chabbat un objet de délice mérite de grandes choses : on lui octroie un héritage sans limite, on réalise les désirs de son cœur, il est préservé des souffrances précédant la venue du Messie, de la guerre de Gog et Magog et de la peine de la géhenne (Guéhinom) ; il mérite même la richesse » (Chabbat 118a-119a). Cela, parce que la vie et la bénédiction dépendent du lien qui unit le monde de la matière à celui de l’esprit. L’homme vivant est l’homme dont l’âme siège dans le corps, tandis que, dans la mort, l’âme est séparée du corps. Quand le monde de la matière est attaché à celui qui est au-dessus de lui, il est vivifié et béni par la racine dont il émane ; mais quand il s’éloigne de la racine de sa vitalité, de la foi et des valeurs de l’esprit, sa vie s’amoindrit, il s’atrophie progressivement, et la malédiction le poursuit. La particularité du Chabbat est d’être doté d’un supplément de sainteté, qui se révèle dans l’âme et dans le corps tout ensemble, par la Torah, par la prière, mais aussi par les repas de Chabbat. De cette manière, une grande unité s’opère entre l’esprit et la matière, entre l’âme et le corps ; la vitalité se renforce et la bénédiction abonde dans le monde. C’est pourquoi nos sages ont enseigné que celui qui se délecte du Chabbat comme il convient mérite de nombreuses bénédictions et est préservé du malheur (cf. encore ci-après chap. 7 § 1).

Il faut dépenser, pour les mets de Chabbat, selon ses possibilités et en fonction de ses habitudes de semaine. En d’autres termes, il n’est pas nécessaire d’acheter, en l’honneur du Chabbat, les aliments les plus chers du marché ; mais il faut acheter des aliments qui soient meilleurs que ceux que l’on a l’habitude de manger en semaine, chaque famille selon son usage. On peut dire qu’il est bon que le prix des aliments destinés au Chabbat soit au moins double de celui des aliments de semaine. Quant à ceux qui apportent à leur pratique un supplément de perfection, ils investissent davantage encore dans leurs dépenses de Chabbat ; en récompense, une grande rétribution leur est destinée.

Si l’on est dans la gêne et que l’on ne puisse pas acheter des aliments excellents pour Chabbat, on restreindra ses dépenses alimentaires de semaine afin de pouvoir, à tout le moins, ajouter à son ordinaire de petits poissons en l’honneur du jour (Chabbat 118b). Certaines personnes ont l’habitude de gaspiller de l’argent en dépenses superflues, et ce n’est que lorsqu’ils en viennent aux dépenses afférentes aux besoins d’une mitsva qu’ils commencent à économiser et à se restreindre. En réalité, il faut économiser sur les superfluités et, en revanche, savoir dépenser et embellir son ordinaire pour les besoins d’une mitsva. Nos sages ont enseigné que les moyens de subsistance de l’homme lui sont fixés d’un Roch Hachana (jour de l’an) à l’autre (Beitsa 16a) ; c’est à lui d’avoir soin de ne pas faire de dépenses superflues, de crainte de sortir du cadre qu’on lui a fixé et de se retrouver dépourvu. Font exception les dépenses de Chabbat, de fêtes (Yom tov), ainsi que l’argent dépensé pour que ses enfants étudient la Torah (talmud Torah) : si l’homme dépense moins pour de tels besoins, on lui réduit d’en haut son budget, et s’il dépense davantage, on ajoute à son budget (Touré Zahav 242, 1).

Quand on n’a pas d’argent disponible pour les courses alimentaires du Chabbat, on emprunte de l’argent afin de pouvoir faire du Chabbat un objet de délice. On ne s’inquiétera pas de ne pas être en mesure de rendre la somme prêtée, en raison de quelque empêchement, car « le Saint béni soit-Il a dit à Israël : “Mes enfants, empruntez sur mon compte et conférez à ce jour sa sainteté ; ayez foi en Moi : Je rembourserai” » (Beitsa 15b). Tout cela, à condition de ne pas compter sur un miracle : quand nous parlons d’emprunter, nous visons le cas où l’on possède un commerce sûr, ou un salaire régulier, ou encore des économies sur lesquelles on peut s’appuyer. C’est dans un tel cas que nos sages ont dit qu’il ne fallait pas craindre de n’être pas en mesure de rembourser sa dette car, si l’on procède comme il convient, que l’on travaille assidument et que l’on ne dilapide pas son argent, l’Eternel accordera son assistance afin de pouvoir payer sa dette.

Mais si l’on ne sait pas comment on remboursera sa dette, on n’empruntera pas au prétexte de se délecter du Chabbat, afin de ne pas être, à Dieu ne plaise, un impie qui ne rembourse pas ses dettes1. On ne tendra pas non plus la main pour demander la charité (tsédaqa), mais on mangera, le Chabbat, des aliments simples, comme l’a dit Rabbi Aqiba : « Fais de ton Chabbat un “jour profane”, mais ne dépends pas des créatures » (Pessa’him 112a). Grâce au fait de ne pas être dépendant d’autrui, on s’enrichira (Péa 8, 9). Mais un pauvre qui est déjà contraint de tendre la main et de recevoir la tsédaqa pour différents besoins recevra également de la tsédaqa afin de pouvoir se délecter du Chabbat (Michna Beroura 242, 1).


[3]. C’est ce qui ressort de Tossephot sur Beitsa 15b, et c’est ce qu’écrit explicitement le Echel Avraham, de Rabbi Avraham Botchatch 242, deuxième édition. Selon le ‘Aroukh Hachoul’han 242, 44, on n’emprunte que dans le cas où l’on a un métier qui permette de rendre l’emprunt. Le Hagahot Achré écrit que l’on empruntera sur gage. De cette manière, on n’aura pas à craindre d’être « un impie qui emprunte et ne rembourse pas » ; car si l’on ne rembourse pas, c’est le gage qui servira de remboursement. C’est aussi l’avis du Elya Rabba et du Choul’han ‘Aroukh Harav 242, 3. Toutefois, selon le Gaon de Vilna, quand on emprunte pour les besoins de Chabbat, on peut compter sur un miracle. Peut-être est-ce l’objet de la controverse entre Rabbi Ichmaël et Rabbi Chimon bar Yo’haï dans Berakhot 35b, quant au fait de savoir s’il faut se conduire d’après les communs usages de la société des hommes (dérekh erets) ou si l’on peut se fier au miracle. Cf. Har’havot.
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