La Prière juive au féminin

04. Contenu du premier paragraphe

Le premier paragraphe, « Chéma » (Dt 6, 4-9) est composé de trois parties : 1) le fondement de la foi ; 2) la signification de ce fondement dans notre vie ; 3) des instructions pour enraciner la foi dans notre vie.

  • Dans le premier verset, « Ecoute Israël, l’Eternel est notre Dieu, l’Eternel est Un », nous apprenons le fondement de la foi juive unitaire : Dieu, béni soit-Il, est le maître de tout, et il n’est aucune force dans l’univers en dehors de Lui. Et bien qu’il nous semble y avoir dans le monde des forces différenciées et séparées les unes des autres, la vérité est que Dieu est Un, qu’Il insuffle la vie à chacune d’entre elles, et que rien n’existe indépendamment de Lui.
  • La signification de cette foi dans notre vie est qu’aucune valeur dans le monde ne peut s’abstraire de l’attachement à Dieu béni soit-Il. Aussi, le Chéma se poursuit-il par : « Tu aimeras l’Eternel ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir. » Les sages expliquent (Berakhot 54a) :
  1. « De tout ton cœur : avec tes deux penchants[c], le penchant au bien et le penchant au mal ». Car le penchant au mal lui-même doit être assujetti au service de Dieu, que ce soit en le contraignant ou en l’inversant dans le sens du bien.
  2. « De toute ton âme : même si l’on enlevait ton âme », car on doit être prêt au sacrifice de sa vie au nom de sa foi en Dieu.
  3. « Et de tout ton pouvoir : avec toute ta fortune », car l’argent et les possessions eux-mêmes doivent servir de base et de moyen au service de Dieu ; et si l’on exige d’un Juif de transgresser sa religion sauf à perdre tout son argent, il devra renoncer à son argent et ne pas renier sa foi. Les sages expliquent également : « De tout ton pouvoir : quelle que soit la mesure[d] qu’Il t’attribue, sois-Lui extrêmement reconnaissant. »
  • Dans la troisième partie, la Torah nous enseigne comment enraciner en nous les principes de la foi que nous venons de mentionner. Premièrement : « ces paroles que je t’ordonne en ce jour seront dans ton cœur » ; de plus : « tu les enseigneras à tes enfants ». Même après avoir très bien appris les principes de la foi, et à moins de les répéter et de les rappeler chaque jour à son souvenir, les soucis et les occupations du quotidien risquent de faire oublier à l’homme sa foi. Aussi, la Torah prescrit-elle : « Tu en parleras, assis dans ta maison, en marchant en chemin, à ton coucher et à ton lever. » Là se trouve la base de l’obligation de lire le Chéma le matin et la nuit. Cependant, la Torah ne s’est pas contentée de la seule lecture du Chéma ; elle a ajouté le commandement de placer les paragraphes de la foi à l’intérieur des téphilines et de les attacher à son bras et sur sa tête : « Tu les attacheras en signe sur ton bras et ils seront un fronteau entre tes yeux. » Ce n’est pas tout : la Torah a encore ordonné de fixer ces paragraphes sur les poteaux des portes de sa maison : « Tu les écriras sur les poteaux de ta maison et sur tes portes », de façon qu’à tout moment où nous entrons ou sortons de nos demeures, nous remarquions la mézouza[e] et nous nous ressouvenions des principes de la foi d’Israël.

[c]. Bekhol lévavékha : littéralement de tous tes cœurs, et non bekhol libkha, de tout ton cœur ; d’où l’idée de dualité, développée dans la lecture midrachique du Talmud, entre penchant du cœur au bien (yetser hatov) et penchant du cœur au mal (yetser hara’), l’un et l’autre devant être canalisés au service de l’amour de Dieu.

[d]. Mida, mesure, jeu de mot avec meod, pouvoir : « Pour toute mesure que Dieu t’attribue, mesure de bienfait ou mesure d’adversité ».

[e]. Mézouza : étui fixé aux poteaux de nos portes, contenant un parchemin sur lequel sont écrits les deux premiers paragraphes du Chéma, où il est précisément question de la mitsva de fixer « ces paroles » sur les poteaux de nos portes.

05. Les deuxième et troisième paragraphes

Dans le deuxième paragraphe, Véhaya im chamoa’ (Dt 11, 13-21), nous apprenons la valeur des commandements de la Torah, la récompense de ceux qui les observent et la punition de ceux qui les transgressent. Nous apprenons que, si nous aimons Dieu, le servons de tout notre cœur et observons ses mitsvot, nous mériterons la bénédiction divine, la terre donnera son produit, nos jours et ceux de nos enfants se prolongeront sur la terre que l’Eternel a juré de donner à nos ancêtres et à nous-mêmes. Et si, à Dieu ne plaise, nous nous détournions du chemin, la colère divine s’enflammerait contre nous, la terre ne donnerait pas son produit, et nous disparaîtrions de ce bon pays. Puis la Torah nous ordonne une nouvelle fois de méditer ces principes,  nous prescrit de placer les paroles de ce paragraphe, Véhaya im chamoa’, dans les téphilines du bras et de la tête, et de fixer ce même paragraphe sur les poteaux des portes de nos maisons. Nous voyons donc que, dans le premier paragraphe, l’accent était mis sur notre orientation vers le Ciel, sur le don de toutes les forces de notre âme au service de Dieu ; tandis que, dans le deuxième paragraphe, l’accent est mis sur la révélation de la conduite divine dans le monde. Cette révélation s’exprime par l’observance des mitsvot, ainsi que par la récompense et par la punition, qui manifestent, elles aussi, la providence de Dieu sur le monde.

Le troisième paragraphe, Vayomer (Nb 15, 37-41), expose la mitsva des tsitsit, qui possède une vertu particulière, celle de pouvoir nous rappeler toutes les mitsvot et d’éveiller notre conscience à leur observance, comme il est dit : « Vous vous souviendrez de tous les commandements de l’Eternel et vous les accomplirez. » Une allusion à cela se trouve dans le fait que la mitsva des tsitsit s’accomplit le jour et non la nuit : le jour fait allusion au dévoilement clair de la parole de Dieu dans le monde. Par le dévoilement de la lumière des mitsvot et par leur rappel, nous trouvons la force de surmonter le penchant au mal, comme il est dit : « Vous les accomplirez, et vous ne vous égarerez pas à la suite de vos cœurs et de vos yeux, à la suite desquels vous vous prostitueriez. » À la fin de cette paracha, est mentionnée la sortie d’Egypte. De même que le tsitsit révèle la lumière des mitsvot, de même la sortie d’Egypte révéla qu’il y a un Maître dans le monde, et que le peuple d’Israël a été choisi pour dévoiler Sa parole.

Nous voyons donc que ces trois paragraphes sont la continuation et l’extension du principe de la foi contenu dans le verset Chéma Israël. Dans le premier paragraphe, nous apprenons le sens essentiel de la foi au sein de notre vie : la foi constitue le seul et unique principe de notre vie ; c’est là l’extension des mots Ado-naï E’had (« l’Eternel est Un »). Grâce à cela, nous prenons sur nous le joug des commandements, par le deuxième paragraphe, ce qui constitue l’extension des mots Ado-naï Elo-hénou (« l’Eternel est notre Dieu »). Le troisième paragraphe, quant à lui, contient la mitsva des tsitsit, qui nous rappelle et nous enseigne l’ensemble des mitsvot. Il s’achève par le rappel de la sortie d’Egypte, laquelle a révélé au monde que Dieu a choisi Israël, et qu’Il exerce Sa providence et Son règne sur Son monde. Cela constitue une extension des mots Chéma Israël. Par la suite (§ 12), nous verrons que les bénédictions du Chéma instituées par les sages sont elles-mêmes une continuation et un parachèvement apportés à la lecture du Chéma.

06. Signification de la sortie d’Egypte

Le royaume égyptien, qui a asservi Israël, était essentiellement le régime de la matérialité. L’étude de l’histoire confirme que, parmi tous les peuples de l’Antiquité, aucun ne possédait une culture plus matérialiste que celle de l’Egypte. Les Egyptiens niaient l’existence d’une âme et d’un monde futur qui ne fussent liés à la matérialité ; seuls le corps et la matière importaient en fin de compte à leurs yeux, car ils n’attribuaient pas à l’esprit d’existence propre. C’est pourquoi ils investissaient des moyens grandioses à l’embaumement des morts et à la conservation de leurs corps. Les hautes pyramides elles-mêmes n’étaient rien d’autre que des tombeaux destinés au corps. Leur culture morale était à l’avenant : l’essentiel était d’assouvir le désir du corps et, comme le racontent nos maîtres de mémoire bénie, aucune nation n’était plus immergée que l’Egypte dans les passions (Torat Cohanim, A’haré mot chap. 9). Face à cela, le peuple d’Israël représente le pôle radicalement inverse : ses aspirations sont essentiellement spirituelles.

Durant cette dure période, la nation matérialiste dominait le peuple d’Israël et l’assujettissait par un dur servage. Il semblait alors que la grande inspiration qui avait commencé de se révéler par le biais des patriarches ne pourrait se restaurer. La matière avait vaincu l’esprit. Alors le Roi des rois se révéla en personne et nous fit sortir d’Egypte.

Par la sortie d’Egypte, Dieu révéla au monde pour la première fois la pleine puissance du spirituel. Il fut manifeste que le monde ne se limite pas à la matière et aux désirs, qu’il y a aussi une spiritualité, qu’il existe un esprit et une âme, et que par conséquent il existe des valeurs morales. La sortie d’Egypte exprime la victoire de l’esprit sur la matière. Il devint manifeste que, quelles que puissent être les tentatives de la matière pour asservir l’esprit, celui-ci se libère finalement des chaînes de celle-là. De même qu’Israël est sorti d’Egypte victorieusement et en emportant de grandes richesses, de même toute lutte entre l’esprit et la matière s’achèvera par la victoire de l’esprit.

Et de même que le peuple d’Israël, qui a prodigué au monde la Torah et la morale, s’est libéré des entraves matérielles de la nation égyptienne, ainsi chaque Juif doit tendre chaque jour à se délivrer des chaînes du matérialisme, afin de dévoiler le spirituel et de se lier au Maître de l’univers par le biais des mitsvot. Par la mitsva de nous souvenir de la sortie d’Egypte, nous nous rappelons la spécificité et la vocation d’Israël ; grâce à cela, nous pouvons nous affranchir des entraves de la matière, et dévoiler ainsi la vérité divine éternelle (cf. encore Pniné Halakha, Pessa’h, 1, 2-4).

07. Kavana à entretenir pendant la récitation du premier verset

C’est à l’égard du premier verset du Chéma que la concentration de l’esprit (kavana) est principalement requise, car c’est par ce verset que nous recevons le joug de la royauté du Ciel, et c’est au sujet de ce verset qu’il est dit (Dt 6, 6) : « Ces paroles… seront dans ton cœur ». Si bien qu’il faut appliquer sa pensée à ce que l’on dit dans le premier verset ; et dans le cas où l’on ne se serait pas concentré sur les mots que l’on a prononcés, on ne serait pas quitte de son obligation (Berakhot 13b, Choul’han ‘Aroukh 60, 5 et 63, 4).

Quand bien même on se concentre sur la pleine signification de chaque mot, il faut encore s’efforcer de ne pas détourner son attention vers d’autres sujets au milieu du verset. Toutefois, il semble que l’on soit quitte de son obligation a posteriori, dès lors que l’on a également pensé à la signification du verset (La Prière d’Israël 15, note 2).

Il convient de se concentrer comme suit :

Chéma Israël (« Ecoute, Israël ») : la mitsva de recevoir le joug de la royauté de Dieu est destinée au peuple juif, car c’est lui qui a été créé afin de révéler la foi en l’unité divine dans le monde.

Ado-naï (« l’Eternel ») : ce nom ne se lit pas comme il s’écrit. À l’écrit, c’est le tétragramme : les lettres yod, puis , puis vav, puis . Mais il se lit Ado-naï. Il faut penser, en prononçant le nom, à sa signification dans sa version orale et dans sa version écrite. Dans sa version orale : Il est le maître de tout. Dans sa version écrite : Il a été, Il est et Il sera.

Elo-hénou (« notre Dieu ») : Dieu est fort, Il est tout-puissant, maître de toutes les forces, et Il règne sur nous.

Lorsqu’on prononcera E’had (« Un »), on prolongera sa prononciation, le temps de penser que Dieu est seul à régner sur l’univers entier, sur les cieux, sur la terre et aux quatre points cardinaux. Cette intention est contenue allusivement dans les lettres du mot E’had (aleph, ‘heth, dalet) : aleph, première lettre de l’alphabet, fait allusion à l’unicité de Dieu ; ‘heth, huitième lettre, fait allusion au fait que Dieu règne sur les sept cieux auxquels s’ajoute la terre ; dalet, quatrième lettre, rappelle que Dieu est seul à régner aux quatre points cardinaux (Choul’han ‘Aroukh 5, 1 ; 61, 6 ; voir Michna Beroura 18).

A posteriori, la fidèle a accompli la mitsva, même dans le cas où elle n’a pas appliqué son esprit au commentaire exact de chaque mot et de chaque nom, dès lors qu’elle a compris de façon générale le sens des mots, dont l’objet est la réception du joug de la royauté du Ciel (La Prière d’Israël 15, note 3).

Mais si l’on a laissé dériver son esprit et que l’on n’ait pas même été attentif au sens général des mots du premier verset, on n’a pas accompli la mitsva et, si l’on veut accomplir celle-ci, il faut relire le premier verset du Chéma, cette fois en se concentrant (Michna Beroura 63, 14 ; Kaf Ha’haïm 17-18 ; cf. La Prière d’Israël 15, 6).

Afin d’éveiller la kavana, on a coutume de lire le premier verset à haute voix. De même, on a coutume de recouvrir ses yeux de la main droite, afin de ne rien regarder qui puisse dissiper la kavana (Choul’han ‘Aroukh 61, 4-5 ; Michna Beroura 17).

08. La deuxième phrase et sa kavana

Immédiatement après le premier verset, on dit à voix basse : Baroukh chem kevod malkhouto lé’olam vaed (« Béni soit le nom de Celui dont le règne glorieux est éternel »). Bien que cette phrase ne fasse pas partie du paragraphe Chéma Israël tel qu’il apparaît dans la Torah, et bien qu’il ne s’agisse même pas d’un verset de la Bible, les sages ont décrété son inclusion dans le premier paragraphe du Chéma, en se fondant sur une tradition ancienne.

Le Talmud raconte, dans le traité Pessa’him (56a), qu’avant la mort de Jacob notre père, tous ses fils se rassemblèrent en sa présence, et qu’il voulut leur révéler les événements de la fin des temps. « La Présence divine se retira alors de Jacob, et il ne put leur révéler ces événements. Il dit à ses fils : “Peut-être l’un d’entre vous n’est-il pas digne (de se voir transmettre une telle révélation)[f] – comme il arriva à Abraham, mon grand-père, dont est issu Ismaël, et à Isaac, mon père, dont est issu Esaü –, et m’est-il impossible pour cette raison de vous dévoiler les événements de la fin des temps ?” Tous dirent alors : “Ecoute Israël, l’Eternel est notre Dieu, l’Eternel est Un ; de même qu’il n’est qu’un Dieu en ton cœur, de même il n’est qu’un Dieu en notre cœur.” À ce moment, Jacob dit : “Béni soit le nom de Celui dont le règne glorieux est éternel.” Les sages ont dit : “Quant à nous, que ferons-nous ? Dirons-nous cette phrase [lors de la récitation du Chéma] ? Or elle n’est pas écrite dans la paracha ! Ne la dirons-nous pas ? Mais Jacob notre père, que la paix repose sur lui, l’a lui-même prononcée !” Aussi ont-ils décidé qu’elle serait dite à voix basse. »

Cette phrase est considérée comme l’extension de la réception du joug de la royauté du Ciel mise en œuvre au premier verset. Aussi, pour cette phrase, comme pour le premier verset, il est obligatoire de concentrer son esprit sur le sens des mots (Michna Beroura 63, 12). Comme nous l’avons vu (§ 1), il est bon que les femmes récitent les deux premières phrases du Chéma chaque jour.

Il convient de marquer une petite interruption entre les mots lé’olam vaed (« à jamais », derniers mots de cette deuxième phrase), et véahavta (« Tu aimeras », premier mot du verset suivant, si on le récite), afin de distinguer la réception du joug de la royauté du Ciel du reste du paragraphe. De même, il convient de marquer une interruption entre le premier verset (Chéma Israël…) et la phrase dite à voix basse (Baroukh chem…), afin de distinguer la réception du joug de la royauté du Ciel telle que la Torah la prescrit de ce qu’ont ajouté les sages (Choul’han ‘Aroukh et Rama 61, 14).

Bien que la foi en l’unité divine soit un sujet plus profond que les océans, nous aborderons quelque peu sa signification. Le premier verset, Chéma Israël, exprime la foi supérieure, absolue et unitaire, et est appelé « unicité supérieure » (yi’houd ‘e-lion). A ce niveau supérieur de conception, rien d’autre n’a d’existence réelle dans le monde ; Dieu est seul en Son monde, et nous sommes tous insignifiants face à Lui. Et puisque l’essence infinie de Dieu ne se dévoile pas en ce monde, il est difficile de concevoir l’unicité supérieure de façon constante ; ce n’est que deux fois par jour, au moment de la récitation du verset Chéma Israël, que nous sommes tenus de nous élever à ce niveau. La deuxième phrase est appelée « unicité inférieure » (yi’houd ta’hton). Par elle, nous prenons sur nous le joug de la royauté du Ciel selon la foi qui se dévoile en ce monde-ci, foi selon laquelle le monde n’est pas nul et non avenu, mais réel et existant, et Dieu, béni soit-Il, le fait vivre et règne sur lui. Selon Sa volonté, Il ajoutera au monde un supplément de vie ou, ce qu’à Dieu ne plaise, diminuera sa vitalité. On dit à ce propos que « Son nom et Sa royauté se dévoilent dans le monde », comme nous le mentionnons : « Béni soit le nom de Celui dont le règne glorieux est éternel » (Tanya, Chapitre de l’unification et de la foi ; Néfech Ha’haïm, chapitre 3).


[f]. Jacob craignait que le retrait de son inspiration divine ne fût motivé par l’indignité éventuelle de l’un de ses fils. Sa crainte reposait sur l’exemple de son père et de son grand-père, eux-mêmes justes, mais dont une partie de la descendance n’avait pas suivi les voies. La cause du retrait était autre : Dieu ne permet pas que soit dévoilé à chacun le terme de l’Histoire.

09. Règles de la récitation du Chéma

Celle qui lit le Chéma doit le faire avec une grande concentration, avec crainte, révérence, tremblement et frisson. Elle pensera en son for intérieur qu’elle est en train de lire la parole du Roi, le Saint béni soit-Il, et elle se concentrera sur le sens des mots comme s’ils étaient nouveaux pour elle (Choul’han ‘Aroukh 61, 1-2).

En plus d’être concentrée, la lectrice doit être précise dans la prononciation des lettres : il ne faut avaler aucune lettre, ne pas accentuer une lettre spirante, ni aspirer une lettre accentuée. De même, il faut a priori distinguer l’une de l’autre les lettres aleph et ‘ayin, khaf et ‘het, et distinguer les voyelles qamats et pata’h, tséré et ségol (Choul’han ‘Aroukh, Ora’h ‘Haïm 61, 14-23). Les sages ont dit : « Quiconque lit le Chéma en prononçant avec précision toutes ses lettres, on refroidit à son profit le feu de la géhenne » (Berakhot 15b). A posteriori, si l’on a lu le Chéma sans être précis dans la prononciation des lettres, on a néanmoins accompli la mitsva, à condition de ne pas avoir escamoté toute une syllabe (Choul’han ‘Aroukh 62, 1 ; Michna Beroura 1).

Il faut rendre audible à son oreille ce qui sort de sa bouche, durant la récitation du Chéma. A posteriori, si l’on a simplement articulé les mots sans les avoir rendus audibles à son oreille, on a accompli la mitsva, puisque l’on a fait un acte par le mouvement de ses lèvres. Mais si l’on s’est contenté de penser les mots du Chéma, on n’a pas accompli la mitsva (Choul’han ‘Aroukh 62, 3).

Si l’on s’en tient à la stricte règle, quoiqu’il convienne a priori de lire le Chéma et de prier dans la langue sainte,  la récitation du Chéma ou de la prière dans une langue autre que l’hébreu nous rend quitte, à condition de comprendre cette autre langue (cf. plus haut, chap. 12 § 7). Toutefois, certains grands décisionnaires modernes écrivent que, en pratique, il est impossible d’accomplir la mitsva de lire le Chéma dans une autre langue que l’hébreu, car nous ne savons pas traduire certains mots avec précision. Par exemple, l’expression véchinnantam (« tu les enseigneras ») contient à la fois une idée de répétition et d’aiguisement de l’esprit (« tu les répéteras et les enseigneras avec une précision aiguë ») ; or il ne se trouve pas un verbe semblable dans les langues autres que l’hébreu. Puisqu’il est donc impossible de traduire le Chéma de façon précise, on ne peut le réciter dans une langue étrangère (Michna Beroura 63, 3 ; cf. La Prière d’Israël, chap. 15, note 7).

10. Façon de réciter le Chéma

Il est permis de réciter le Chéma debout, assis ou couché sur le côté (Berakhot 10a ; Choul’han ‘Aroukh 63, 1). On peut apprendre de cette règle que la foi (émouna) n’est pas une chose détachée du monde, et qui ne pourrait être atteinte que dans des circonstances particulières. La foi, qui s’exprime par le biais de la récitation du Chéma, relève de toutes les circonstances de la vie de l’homme dans ce monde-ci ; aussi peut-on lire le Chéma dans toutes les postures.

Si l’on s’en tient à la règle stricte, on peut même lire le Chéma en marchant, comme il est dit : « Ces paroles… tu les diras… en marchant en chemin » (Dt 6, 7). Toutefois, les sages ont dit qu’il ne convenait pas de prendre sur soi le joug de la royauté du Ciel comme s’il s’agissait d’une chose accidentelle. Aussi, il est recommandé à celle qui se trouve en chemin de se tenir immobile durant la récitation du premier verset du Chéma (Choul’han ‘Aroukh 63, 3 ; Michna Beroura 9).

En raison de l’importance du premier paragraphe, dans lequel nous recevons le joug de la royauté du Ciel, on doit prendre garde, en le lisant, de se livrer à quelque autre occupation, ou de faire signe à autrui, de ses yeux, de ses doigts ou de ses lèvres (Choul’han ‘Aroukh 63, 6).

Il convient de signaler que les mitsvot nécessitent, pour être valablement accomplies, une intention (Choul’han ‘Aroukh 60, 4), c’est-à-dire qu’en plus de l’exécution même de l’acte de la mitsva, il faut encore avoir à l’esprit que cet acte ou cette parole constitue une mitsva. Quant au sens de cette règle, on peut expliquer que, de même que l’homme est doté d’un corps et d’une âme, ainsi la mitsva a-t-elle un corps et une âme : le corps est l’acte constitutif de la mitsva, l’intention qu’on y met en est l’âme (cf. La Prière d’Israël 15, 8).

11. Les deux cent quarante-huit mots

La Torah donne vie et guérison au monde et à l’homme ; et particulièrement la récitation du Chéma, où sont inclus les fondements de la foi et de l’observance des mitsvot.  Nos sages enseignent que le Chéma comprend deux cent quarante-huit mots ; de même, le corps de l’homme comprend deux cent quarante-huit membres ; et lorsqu’un homme lit le Chéma correctement, chaque membre de son corps se relie au mot correspondant et guérit par son biais. Cependant, en pratique, les trois paragraphes du Chéma ne contiennent que deux cent quarante-cinq mots. Aussi, pour atteindre le nombre de deux cent quarante-huit, l’officiant dit, à la fin de la lecture du Chéma, les trois mots Ado-naï Élo-hékhem Émet (« L’Eternel votre Dieu est vérité ») ; par cela, on obtient le nombre de deux cent quarante-huit mots (Zohar ‘Hadach sur Ruth 95, 1 ; cf. La Prière d’Israël 15, 12).

Cependant, les femmes qui ne prient pas à la synagogue n’entendent pas l’officiant, aussi prennent-elles l’usage de ceux qui prient seuls : selon la coutume ashkénaze, on dira, avant le Chéma, les trois mots E-l Mélekh nééman (« Dieu est le Roi digne de foi ») (Rama 61, 3). Et bien que l’on considère que la femme est en réalité dotée de deux cent cinquante-deux membres, puisque s’ajoutent, dans l’utérus, deux conduits (les trompes de Fallope) et deux pavillons (Bekhorot 45a), on peut dire que, puisque deux cent quarante-huit membres sont communs à tout le genre humain, l’essentiel est de faire affluer sur eux la bénédiction, et par là, la bénédiction sera également dispensée aux organes spécifiques de la femme (Min’hat Eléazar II 28, Haelef lekha Chelomo, Ora’h ‘Haïm 120).

Selon la coutume en usage chez la majorité des Séfarades, celui qui prie seul ajoutera lui-même les trois mots Ado-naï Élo-hékhem Émet[g] (Kaf Ha’haïm 61, 15-16). Par conséquent, il convient que la femme adopte cet usage quand elle prie seule. Selon une autre opinion, il est bon, suivant la tradition séfarade, que la femme dise les deux formules : E-l Mélekh nééman avant le Chéma, et Ado-naï Élo-hékhem Émet après. De cette façon, elle dira deux cent cinquante-deux mots, correspondant à ses deux cent cinquante-deux membres (Chéérit Yossef II p. 186).


[g]. Les derniers mots du troisième paragraphe du Chéma sont Ani Ado-naï Elo-hékhem (Je suis l’Eternel votre Dieu) ; ils sont immédiatement suivis du mot Émet (vérité). Dans le cadre de la prière publique, l’officiant répète alors les trois mots Ado-naï Elo-hékhem Émet (« l’Eternel votre Dieu est vérité »), portant le nombre de mots du Chéma de deux cent quarante-cinq à deux cent quarante-huit. Quand il prie seul, c’est le particulier qui répète ces trois mots.

12. Les bénédictions sont une extension du Chéma

Les bénédictions du Chéma ne sont pas semblables aux autres bénédictions assortissant des mitsvot – instituées, pour leur part, à titre de préparation à leur accomplissement, et dans lesquelles figure la formule acher qiddechanou bémitsvotav vétsivanou (« … qui nous as sanctifiés par Tes commandements et nous a ordonné de… »). Celles du Chéma sont des bénédictions de louange et de reconnaissance, et appartiennent en un sens au registre de la prière ; leur propos est d’exprimer, de façon plus large, le sens du Chéma, dont le message essentiel est inscrit dans le premier verset.

Dans le Chéma, nous disons Ado-naï E’had (Dieu est Un) : Dieu est l’être unique qui crée et maintient l’ensemble de l’univers, et il n’existe aucune divinité hormis Lui. Dans la première bénédiction du Chéma, nous approfondissons ce principe : après avoir exprimé notre louange pour la lumière qui se renouvelle chaque jour, nous continuons de louer Dieu en ce qu’Il « renouvelle chaque jour, constamment, l’œuvre de la création ». Et pour insister sur Son unité, en même temps que nous Le louons pour la création de la lumière, nous rappelons qu’Il a également créé l’obscurité. À l’office du soir, dans la bénédiction correspondante, en même temps que nous Le louons de « faire descendre le soir », nous rappelons qu’Il crée aussi le jour. Nous voyons donc que le principe de la foi en l’unité divine, énoncé dans le Chéma, est développé dans la première bénédiction qui le précède.

Le sens des premiers mots, Chéma Israël, est que la foi unitaire se révèle au monde par le biais d’Israël, qui a été créé à cette fin. Cette idée se voit approfondie dans la deuxième bénédiction, dans laquelle nous exprimons notre reconnaissance envers Dieu pour l’amour qu’Il nous témoigne, et par l’effet duquel Il nous a donné Sa Torah. Nous prions pour avoir le mérite de comprendre la Torah, de l’appliquer avec amour et, grâce à cela, de dévoiler Son nom dans le monde.

Les mots Ado-naï Elo-hénou (l’Eternel est notre Dieu) signifient que Dieu est le maître de toutes les forces, et qu’Il règne sur le monde selon Sa volonté. Sa domination sur le monde, dans toutes ses forces et tous ses éléments, s’est dévoilée de la façon la plus claire lors de la sortie d’Egypte, mentionnée à la fin du Chéma. Cela aussi s’est manifesté par le biais du peuple d’Israël. Dans la troisième bénédiction, nous approfondissons ce principe, et louons Dieu en ces termes : « Tu es le premier et Tu es le dernier, et en-dehors de Toi nous n’avons pas de Roi, de Libérateur, de Sauveur. Tu nous as délivrés de l’Egypte… ». Puis nous rappelons la plaie des premiers-nés et le passage de la mer Rouge. Nous terminons cette bénédiction par la formule : « Bénis sois-Tu Eternel, qui délivras Israël. »

Nous voyons donc que chacune des trois bénédictions constitue la continuation et l’extension des principes de la foi énoncés dans le Chéma.

Puisque ces bénédictions diffèrent de celles qui sont prononcées avant l’accomplissement d’une mitsva, l’ordre de leur lecture ne conditionne pas leur validité. Et bien que, de prime abord, il faille évidemment réciter ces bénédictions dans l’ordre institué par les sages, on est tout de même quitte a posteriori si l’on a modifié cet ordre. De même, si l’on a récité les bénédictions du Chéma sans réciter le Chéma lui-même, on a accompli une mitsva par ce que l’on a récité. Même si la fidèle n’a récité que l’une de ces bénédictions, elle sera récompensée pour ce qu’elle aura dit (La Prière d’Israël 16, note 1).

13. Règles de la récitation des bénédictions

Une femme qui récite les Pessouqé dezimra et les bénédictions du Chéma prendra soin de ne pas marquer d’interruption entre les premiers et les secondes. En effet, les Pessouqé dezimra se récitent comme préparation à la prière, si bien qu’il faut prendre garde de s’interrompre, du début de la bénédiction Baroukh chéamar, qui introduit les Pessouqé dezimra, à la fin de la ‘Amida (Choul’han ‘Aroukh 54, 3).

Au cours de la bénédiction Yotser or, on récite les versets de la Qédoucha (Qadoch, qadoch, qadoch… et Baroukh kevod…). Et bien qu’il soit interdit de réciter une Qédoucha en-dehors de la prière publique, la Qédoucha qui figure au sein des bénédictions du Chéma ne nécessite pas, de l’avis de la majorité des décisionnaires, la présence d’un quorum de fidèles (minyan). En effet, nous y exposons comment les anges de service proclament la sainteté du nom divin, sans avoir l’intention de la proclamer nous-mêmes à cette heure (élèves de Rabbénou Yona, Roch). Toutefois, a priori, afin de tenir compte de toutes les opinions, il est préférable que la femme qui récite la bénédiction Yotser or autrement qu’au sein d’un minyan récite la Qédoucha qui s’y trouve incluse en chantant la mélodie traditionnelle, qui en assortit les versets (suivant les té’amim, signes musicaux qui ponctuent le texte biblique). En effet, sa récitation sera alors considérée comme faite sur le mode de l’étude, ce qui sera permis selon tous les avis (Teroumat Hadéchen, Choul’han ‘Aroukh 59, 3). Il n’est pas nécessaire pour cela de connaître très bien les té’amim ; l’essentiel est de chanter à la manière des lecteurs des té’amim, afin de sembler occupé à la lecture de versets des Prophètes.

Bien que la récitation du Chéma et de ses bénédictions constitue une mitsva en soi, et que la ‘Amida constitue elle aussi une mitsva en soi, une femme qui récite les deux doit juxtaposer ces mitsvot l’une à l’autre : immédiatement après avoir terminé de lire les mots Gaal Israël, elle commencera la récitation de la ‘Amida.  Nos sages disent que quiconque accole la bénédiction de la Délivrance[h] à la ‘Amida a part au monde futur (Berakhot 4b). Si on les enchaîne suivant l’usage de Vatiqin[i], on est assuré de ne connaître aucun dommage ce jour-là (Berakhot 9b et Tossephot ad loc.). Quant à celui qui s’interrompt entre la mention de la Délivrance et la ‘Amida, il ressemble à cet ami du Roi, venu frapper à la porte royale ; quand le Roi sort de son palais afin de connaître sa requête, il s’aperçoit que son ami est parti s’occuper d’autre chose ; aussi le Roi part-il à son tour pour s’occuper d’autre chose.

La mention de la Délivrance, qui rappelle que Dieu délivra Israël d’Egypte, est semblable au fait de frapper à la porte du Roi. En effet, la Délivrance du peuple d’Israël témoigne du grand amour du Saint béni soit-Il à l’égard d’Israël ; aussi, la sortie d’Egypte est-elle considérée comme les fiançailles du Saint béni soit-Il avec Israël. Or il est interdit de perdre le bénéfice de ce moment. C’est empreint de la proximité particulière qui se manifeste par la Délivrance que l’on doit parvenir à l’attachement (deveqout) que met en mouvement la prière, et demander que, de même que Dieu nous a délivrés de l’Egypte, il nous bénisse et nous délivre de nouveau (cf. Talmud de Jérusalem, Berakhot, chap. 1 halakha 1).


[h]. C’est-à-dire la bénédiction Emet véyatsiv, dernière bénédiction du Chéma, également appelée Gaal Israël (« qui délivras Israël »), d’après ses derniers mots, ou Birkat haguéoula (« bénédiction de la Délivrance »).

[i]. De façon à commencer la ‘Amida au premier rayon du soleil.

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