Pessa’h

01. À Pessa’h, toute présence de ‘hamets dans un mélange rend celui-ci interdit

En général, des ingrédients interdits qui se sont mélangés au sein d’ingrédients permis sont considérés comme annulés, dès lors qu’ils sont soixante fois moins nombreux que les ingrédients permis. En effet, ce n’est que s’ils sont dans une proportion supérieure au soixantième qu’ils peuvent donner du goût au mélange ; mais s’ils sont mêlés à soixante fois plus d’ingrédients cachères, ils ne peuvent transmettre de goût, et s’annulent[a]. Si l’on s’en tient à la norme toranique, les ingrédients ‘hamets, eux aussi, s’annulent dans un mélange contenant soixante fois plus d’ingrédients cachères pour Pessa’h. Mais les sages ont été rigoureux, et ont décrété que le ‘hamets, quelle qu’en soit la quantité, rend interdit le mélange le contenant : même s’il se trouve mille fois plus d’ingrédients cachères pour Pessa’h, ou vingt mille fois plus, la présence de ‘hamets interdit tout le mélange.

La raison pour laquelle nos sages ont été sévères réside dans le fait que la Torah elle-même, en matière de ‘hamets, est plus sévère que pour les autres interdits, et cela à deux égards : 1) en général, quand on mange un aliment qui est toraniquement interdit, la peine prévue par la Torah est celle de malqout (trente-neuf coups)[b], tandis que, si l’on mange du ‘hamets à Pessa’h, on est passible de karet (retranchement). 2) S’agissant de tous les autres aliments interdits, il est permis d’en avoir chez soi ; tandis que, pour le ‘hamets à Pessa’h, la Torah ne s’est pas contentée d’en interdire la consommation : elle y a ajouté l’interdit de bal yéraé (« il n’en sera point vu »), et celui de bal yimatsé (« il ne s’en trouvera pas »), afin qu’il ne s’en trouve ni n’en soit vu dans nos demeures, durant toute la durée de Pessa’h. C’est pourquoi les sages ont poursuivi dans cette direction, en plaçant une haie protectrice autour de la Torah, de sorte que, s’il tombe un tant soit peu de ‘hamets dans un plat, celui-ci soit entièrement interdit, à la consommation comme à la jouissance. Il y a à cela une raison supplémentaire : tous les autres interdits alimentaires sont en vigueur tout au long de l’année, si bien que l’on a l’habitude de s’en garder ; tandis qu’en matière de ‘hamets, l’habitude est d’en manger toute l’année, de sorte qu’il est à craindre d’en oublier l’interdiction pendant Pessa’h ; aussi, les sages sont-ils plus sévères en cette matière, afin que chacun se souvienne d’y prendre garde.

Cette règle, selon laquelle un tant soit peu de ‘hamets rend interdit le mélange le contenant, s’applique depuis l’entrée de la fête de Pessa’h. Mais avant Pessa’h, le statut du ‘hamets est semblable à celui des autres interdits, qui s’annulent dans une quantité soixante fois supérieure de produits cachères. Et bien que l’interdit du ‘hamets et la mitsva de l’avoir éliminé entrent en vigueur dès le 14 nissan au midi solaire[c], la règle qui nous occupe à présent, qui veut que le ‘hamets ne s’annule point, ne s’applique qu’à l’entrée de la fête, car c’est seulement alors que la consommation de ‘hamets entraînerait la peine de karet, et qu’entrent en vigueur les interdits de bal yéraé et de bal yimatsé (Choul’han ‘Aroukh 447, 2)[1].


[a]. Pour être annulé, l’élément non cachère doit se trouver en présence d’un élément cachère soixante fois supérieur en quantité (soit : une part non cachère, soixante parts cachères). Par commodité de langage, nous parlerons cependant de « soixantième », suivant l’habitude.

[b]. Cette peine n’est applicable que lorsque le Temple est construit, et que le Sanhédrin fonctionne.

[c]. Et, rabbiniquement, dès la fin de la quatrième heure du jour pour la consommation, et de la cinquième heure du jour pour la jouissance.

[1]. Certes, de l’avis du Cheïltot, de Rabbénou Tam et de Rabbi Zera’hia Halévi, le statut du ‘hamets est, à cet égard, semblable aux autres cas d’interdits, et sa présence est annulée face à soixante fois plus d’ingrédients cachères pour Pessa’h. Mais les autres décisionnaires sont en désaccord avec cette opinion : ils estiment que le ‘hamets ne s’annule pas, même dans un rapport d’un pour mille, comme le dit Rava, qui tranche conformément à l’opinion de Rav au traité Pessa’him 30a. C’est notamment la position du Rif, du Roch, de Maïmonide ; Rabbénou Tam et Rabbi Zera’hia eux-mêmes, en pratique, se gardaient d’être indulgents, puisque l’usage général est d’être rigoureux (cf. Bérour Halakha ad loc.). Toutefois, selon le Michna Beroura 447, 2, qui se fonde sur les A’haronim, on peut, dans le cas où il y a de nombreux autres motifs d’indulgence, associer à ces motifs la position du Cheïltot et être indulgent.

Les motifs de rigueur que nous avons mentionnés ci-dessus, en matière d’interdiction du ‘hamets, sont exposés par Rachi, le Roch, le Séfer Mitsvot Qatan, Rabbénou Yerou’ham et de nombreux autres maîtres. Les premières raisons sont les principales ; aussi est-ce seulement à partir de l’entrée de Pessa’h que la présence de ‘hamets en quantité même minime rend interdit un mélange.

Toutefois, Maïmonide et Na’hmanide expliquent que, si le ‘hamets rend interdit le mélange qui le contient, quelle qu’en soit la proportion, c’est parce que le ‘hamets appartient à la catégorie de davar chéyech lo matirin [chose actuellement interdite, mais qu’il sera possible de permettre plus tard ; le fait qu’elle sera permise plus tard la fait échapper au principe général de l’annulation dans une quantité soixante fois supérieure d’autres ingrédients]. En effet, si l’on s’en tient à la Torah elle-même, le ‘hamets qui était, pendant Pessa’h, la propriété d’un Juif devient permis après Pessa’h. Or une chose qui est destinée à devenir permise est insusceptible de s’annuler. D’après Maïmonide et Na’hmanide, il faut donc interdire un mélange contenant un tant soit peu de ‘hamets dès le midi du 14 nissan. (Seul un mélange du type min bé-mino – c’est-à-dire le mélange d’un produit ‘hamets dans un produit cachère de même nature – est insusceptible de s’annuler depuis le 14 à midi. Mais quand il s’agit d’un mélange de ‘hamets et d’un ingrédient cachère d’une autre nature, ce n’est qu’à l’entrée de la fête que le ‘hamets, en quelque quantité qu’il soit, interdit l’ensemble, comme l’expliquent le Maguid Michné et le Kessef Michné 1, 5. Selon le Ran, il y a lieu d’interdire dès le milieu du jour un mélange comprenant la moindre quantité de ‘hamets, même si l’on se réfère au motif que l’on n’a pas l’habitude de s’en abstenir ; alors, cette part infime de ‘hamets rend interdit l’ensemble depuis le milieu du jour, même si cette part est mêlée à des ingrédients cachères d’une autre nature.)

Mais le Choul’han ‘Aroukh 447, 2 décide que ce n’est qu’à partir de l’entrée de la fête que le ‘hamets rend interdit, même en infime quantité, le mélange le contenant ; et la plupart des A’haronim s’accordent sur ce point.

02. Peut-on sauver un mélange contenant une très petite proportion de ‘hamets ?

Comme nous l’avons vu, le ‘hamets fait l’objet d’une rigueur particulière : un tant soit peu de ‘hamets tombé dans un autre aliment rend celui-ci entièrement interdit, tant du point de vue de la consommation que de la jouissance. Toutefois, de l’avis de la majorité des décisionnaires, si le mélange contient une proportion de composants cachères plus de soixante fois supérieure à la proportion de ‘hamets, on peut sauver la valeur financière du mélange en vendant celui-ci à un non-Juif. Par exemple, s’il est tombé un kilo de ‘hamets dans mille kilos d’autres ingrédients, on pourra jeter un kilo du mélange, afin de ne pas tirer profit du supplément de poids apporté par le ‘hamets, puis vendre le reste à un non-Juif. En effet, lorsque les sages ont interdit de tirer profit de tout le mélange, ils visaient le cas où l’on tirerait également profit du ‘hamets ; mais si l’on jette une quantité correspondante de nourriture, on ne tire plus profit du ‘hamets, et l’on peut vendre le mélange à un non-Juif. Si un grain de blé tombe dans un mets en grand quantité, tout le mets devient interdit à la consommation ; et, tant que le mets se trouve dans la possession du Juif, il est également interdit d’en tirer profit ; mais il reste permis de le vendre à un non-Juif. Dans un tel cas, puisque le grain de blé n’a entraîné aucun supplément dans le prix, il ne sera pas nécessaire de jeter une petite quantité du mets en contrepartie. (Choul’han ‘Aroukh 467, 10).

Toutefois, le Rama (447, 1) est rigoureux, conformément à l’avis d’une minorité de Richonim, qui estiment que, puisqu’il est interdit de tirer profit du mélange, il est également interdit de le vendre à un non-Juif : il faut brûler tout le mélange. Telle est la coutume ashkénaze. Néanmoins, dans un cas où il s’ensuivrait une très grande perte financière, on s’appuie, même selon la coutume ashkénaze, sur l’opinion indulgente, et l’on vend le mélange à un non-Juif (Michna Beroura 447, 3)[2].


[2]. Les décisionnaires sont partagés quant au fait de savoir si le ‘hamets rend interdit, même s’il ne s’agit que de jouissance, tout le mélange. Pour le Raavad et Na’hmanide, le ‘hamets interdit l’ensemble à la consommation, mais non à la jouissance. Selon le Rif, le Roch et la majorité des décisionnaires, le mélange est interdit, même à la jouissance. C’est en ce dernier sens que tranche le Choul’han ‘Aroukh 447, 1.

Mais si l’on jette la contre-valeur du ‘hamets, il devient permis, de l’avis du Rif et du Roch, de vendre le reste à un non-Juif, puisqu’alors on ne tire aucun profit de la présence de ‘hamets : on se borne à recevoir le paiement du reste de la nourriture, qui n’est pas ‘hamets. Une nette majorité de décisionnaires s’accordent sur ce point, et c’est l’avis du Choul’han ‘Aroukh 467, 10. Toutefois, le Rama, dans Darké Moché 447, 2, écrit que le Mordekhi, le Teroumat Hadéchen et le Mahari Brin sont rigoureux, et exigent de brûler tout le mélange, interdisant de le vendre à un non-Juif. En cas de très grande perte, le Michna Beroura 447, 3, au nom des A’haronim, écrit que l’on peut vendre le mélange à un non-Juif. Bien plus : au chap. 467, le Cha’ar Hatsioun 74 indique au nom du Beit Méïr que, si même en le vendant à un non-Juif on s’expose à une très grande perte, on pourra garder le mélange jusqu’à l’issue de Pessa’h ; alors, on pourra le consommer ou le vendre à un Juif.

03. Un produit ‘hamets qui était considéré comme annulé avant Pessa’h est-il « réactivé » à Pessa’h ?

Les plus grands maîtres, parmi les Richonim, discutent d’une question fondamentale : faut-il considérer que le ‘hamets qui, avant Pessa’h, s’était annulé dans un mélange contenant soixante fois plus d’ingrédients non ‘hamets, se « réactive »[d] à l’entrée de Pessa’h ? Puisque, à Pessa’h, le ‘hamets ne s’annule pas, même dans une proportion d’un pour mille, cette « réactivation » aurait pour effet d’interdire tout le mélange. Ou bien dira-t-on que, puisque le ‘hamets était déjà annulé avant Pessa’h, dans soixante fois plus d’autres ingrédients, il ne se réactivera pas à Pessa’h ? Par exemple, si une miette de pain est tombée, avant Pessa’h, dans une grande marmite de viande, il est certain que, avant Pessa’h, la miette est considérée comme annulée ; même après le midi solaire du 14 nissan, on pourra encore manger de ce plat. La question qui se pose est de savoir si, même après l’entrée de la fête, il sera permis de manger de ce plat.

Selon certains auteurs, ce qui est déjà annulé avant Pessa’h par soixante fois plus d’ingrédients autres est considéré comme nul pour toujours ; le ‘hamets ne s’ « éveillera » point à Pessa’h, et tout le mélange restera permis à la consommation (Roch, Séfer Mitsvot Gadol, Tour, parmi d’autres auteurs). Selon d’autres, l’annulation qui s’est produite avant Pessa’h n’est pas efficace à cet égard, et dès l’entrée de Pessa’h, le ‘hamets se réactive et interdit tout le mélange (Maïmonide, Rachba).

Cette question est notamment importante en ce qui concerne les matsot (galettes azymes). Il arrive en effet que tombent des gouttes d’eau sur quelques grains d’un blé mis en tas, que ces grains fermentent, et qu’il soit très difficile de les extraire du tas ; mais il est clair, par ailleurs, que les bons grains, qui n’ont pas fermenté, sont en quantité plus de soixante fois supérieure aux grains qui ont fermenté. D’après l’opinion selon laquelle le ‘hamets se réactive à Pessa’h, il faut conclure que, si l’on a moulu tous ces grains ensemble et que l’on ait fait de cette farine des matsot, il sera interdit de les manger pendant Pessa’h, car le peu de ‘hamets qui s’y trouve se réactive, rendant interdites toutes ces matsot. Aussi faut-il veiller minutieusement à ce qu’il n’y ait, parmi les grains de blé desquels on prépare la farine à matsot, pas même un seul grain qui ait fermenté. Mais selon l’avis qui veut que le ‘hamets annulé avant Pessa’h ne se réactive pas, ces matsot seront cachères à Pessa’h, et il n’est pas nécessaire de vérifier chaque grain, un à un, pour en extraire ceux qui ont fermenté, puisqu’ils sont déjà annulés, avant Pessa’h, par une proportion soixante fois plus grande de grains cachères.


[d]. L’expression hébraïque est ‘hozer vé-né’or, litt. « revient et s’éveille ».

04. La question du ‘hamets « réactivé », en pratique

En pratique, de nombreux auteurs suivent l’opinion selon laquelle le ‘hamets annulé, avant Pessa’h, dans une proportion soixante fois plus grande de produit non ‘hamets, ne se réactive pas, de sorte qu’il est permis de manger ce mélange pendant Pessa’h. Cela, parce que, si l’on s’en tient au seul point de vue de la Torah, le ‘hamets s’annule dans une mesure soixante fois plus grande de produit non ‘hamets, même si le mélange est survenu pendant Pessa’h ; et ce sont les sages qui ont poussé la rigueur jusqu’à interdire un mélange contenant la moindre quantité de ‘hamets. Par conséquent, la controverse quant au fait de savoir si le ‘hamets se réactive à Pessa’h est une controverse portant sur un interdit rabbinique. Or dans un cas de doute portant sur une norme rabbinique, la halakha est conforme à la position indulgente. Tel est, en pratique, l’usage de nombreux Séfarades (Choul’han ‘Aroukh 447, 4).

D’autres estiment que, si le ‘hamets qui s’est annulé avant Pessa’h dans une proportion d’un pour soixante était liquide, la halakha suit l’opinion indulgente : il ne se réactive pas ; par contre, si ce ‘hamets était solide, la halakha est conforme à l’opinion rigoureuse, et le ‘hamets se réactive. Par exemple, quand une goutte de bière est tombée dans une autre boisson, puisque la goutte fusionne avec la boisson et n’a pas de consistance propre, on ne considère pas qu’elle se réactive une fois annulée, rendant le mélange interdit. Mais si le ‘hamets était solide, il se réactive. Par exemple, une miette de ‘hamets tombée dans un autre aliment, parce qu’elle garde une consistance propre et ne fusionne pas avec le mélange, possède une certaine importance ; aussi, dès l’entrée de Pessa’h, elle se réactivera et rendra tout le mélange interdit (Choul’han ‘Aroukh et Rama 447, 4, d’après le Teroumat Hadéchen). Tel est l’usage, en pratique, des Ashkénazes et d’une partie des Séfarades[3].

Le statut de la farine, en raison de la finesse de ses particules, qui se mélangent d’elles-mêmes, est assimilé à celui d’un liquide. En effet, en distinguant le liquide du solide, on se réfère, pour l’essentiel, à la question de savoir si la partie interdite se fond complètement dans la partie permise : dans un mélange liquide, la partie interdite se fond totalement dans la partie permise, tandis que, dans un mélange sec, la partie interdite se maintient. D’après cela, il n’est pas nécessaire de trier le blé que l’on moud pour faire des matsot, car, après que le blé est moulu, la farine obtenue à partir de blé fermenté s’annulera et se fondra entièrement dans le reste de la farine ; même quand commencera Pessa’h, cet élément de fermentation ne se réactivera pas ni n’entraînera l’interdiction des matsot (Choul’han ‘Aroukh et Rama, 453, 3).

Certains auteurs pensent que, d’après ce principe, il est bon de cuire les matsot avant Pessa’h : de cette façon, si une partie minime de la farine ou de la pâte venait à fermenter pendant le pétrissage, cela se fondrait au reste de la pâte, et cela s’annulerait, avant Pessa’h, dans une quantité plus de soixante fois supérieure de pâte non fermentée ; la partie fermentée ne se réactiverait pas à Pessa’h, ni ne frapperait les matsot d’interdiction. Il arrive, pendant le pétrissage des matsot faites à la machine, que de très petits morceaux de pâte s’enfoncent entre les dents de la machine, et s’y maintiennent assez longtemps pour pouvoir y fermenter ; puis ces très petits morceaux retombent dans la pâte. Or puisque les miettes de pâte qui ont fermenté se fondent entièrement dans le reste de la pâte, la chose est semblable à un mélange liquide : après avoir été annulées dans une quantité soixante fois plus grande de pâte cachère avant Pessa’h, ces particules fermentées ne se réactivent pas.

Tout cela correspond à une situation a posteriori. Mais a priori, on apporte à la mitsva un souci de perfection, en confectionnant des matsot qui n’offrent aucune crainte qu’y soit mêlé le moindre élément de ‘hamets. Et ceux qui apportent à leur pratique un supplément de perfection ont soin de ne manger, pendant toute la durée de Pessa’h, que de la matsa chemoura mich’at qetsira, c’est-à-dire de la matsa ayant fait l’objet d’une particulière surveillance depuis le temps de la moisson. Car une telle matsa est cachère, y compris de l’avis des auteurs rigoureux, qui estiment que le ‘hamets – même si le mélange réunit deux éléments liquides – se réactive (cf. ci-après, chap. 12 § 5, note 5)[4].


[3]. S’agissant de la coutume séfarade : selon le Kaf Ha’haïm 447, 76-78, nombre de Séfarades ont l’usage d’être rigoureux en matière de ‘hozer vé-néor (« réactivation du ‘hamets »), comme le notaient le Peri ‘Hadach et le Birké Yossef 447, 14 ; ce qui laisse entendre qu’ils sont rigoureux, même en matière de liquides.

Toutefois, en 76, le Kaf Ha’haïm indique que l’on a l’usage d’être rigoureux comme le Rama, et pas davantage. Dans le même sens, le Zakhor lé-Avraham écrit que la coutume séfarade, à  l’égard de Pessa’h, est conforme au Rama. Cependant, si l’on se réfère aux principes rédactionnels du Choul’han ‘Aroukh, qui rapporte l’opinion indulgente sans autre mention, il apparaît que son auteur est entièrement indulgent. Le Yabia’ Omer II, Ora’h ‘Haïm 23 s’étend sur cette question, confortant l’opinion indulgente, et note que la majorité des Richonim sont indulgents, estimant que le ‘hamets ne se réactive pas. De l’avis du Cheïltot, le ‘hamets s’annule dans soixante fois plus d’autres substances, même pendant Pessa’h. De plus, de l’avis même des décisionnaires rigoureux, l’interdit est de rang rabbinique ; or, quand un doute survient sur une norme rabbinique, il y a lieu d’être indulgent.

Il faut aussi s’interroger sur l’opinion du Choul’han ‘Aroukh qui, au chapitre 442, 4, reproduit les propos de Maïmonide interdisant la triaqa, spécialité contenant une quantité minime de ‘hamets, au motif que ce ‘hamets se réactive à Pessa’h. Comment donc le Choul’han ‘Aroukh peut-il contredire sa propre position, exprimée au chapitre 447, 4 ? Selon le Rama, le Choul’han ‘Aroukh est revenu sur sa position, et conclut de manière indulgente. Mais le Peri ‘Hadach explique que, lorsque l’on mélange du ‘hamets intentionnellement, celui-ci se réactive [tandis que, au chapitre 447, il est question d’une quantité minime de ‘hamets tombée dans le reste du mélange, sans que l’on y ait mis d’intention]. Le Touré Zahav, quant à lui, écrit que, dans la triaqa, le ‘hamets, bien qu’en infime quantité, a un rôle de catalyseur du mélange [comme les levures dans le fromage], aussi est-ce interdit.

Il importe de signaler que, de l’avis même des décisionnaires indulgents, pour lesquels le ‘hamets ne se réactive pas (le Choul’han ‘Aroukh pour le solide aussi bien que pour le liquide, le Rama pour le liquide seulement), il reste interdit de mélanger du ‘hamets de propos délibéré avant Pessa’h, en l’annulant dans une proportion soixante fois plus grande d’autres produits, pour consommer le mélange à Pessa’h (comme il ressort du commentaire que fait le Peri ‘Hadach sur la position du Choul’han ‘Aroukh ; et du Michna Beroura 447, fin du paragraphe 102). Ce n’est qu’a posteriori, si l’infime quantité de ‘hamets s’est mêlée aux autres ingrédients, qu’il sera permis de consommer le mélange. Pour les décisionnaires rigoureux, le mélange, parce qu’il est interdit à la consommation, ne pourra pas davantage rester au domicile du Juif pendant Pessa’h ; et ce n’est qu’a posteriori, dans le cas où Pessa’h est déjà passé, qu’il sera permis de le consommer après Pessa’h (Michna Beroura 447, 102).

Si un peu de ‘hamets s’est mélangé à d’autres ingrédients avant Pessa’h, mais dans une proportion supérieure au soixantième, le Michna Beroura 453, 20 note que, selon le Touré Zahav, il est permis d’y ajouter des ingrédients cachères pour Pessa’h afin d’annuler le ‘hamets en le réduisant au soixantième. Mais pour le Maguen Avraham et la majorité des décisionnaires, c’est interdit, car on semblerait faire échec a priori à un interdit. En cas de nécessité pressante, on pourra s’appuyer sur les décisionnaires indulgents.

[4]. Selon le Teroumat Hadéchen 1, 114, la farine est considérée comme un liquide qui se mélange à soi-même ; c’est aussi l’opinion de la majorité des décisionnaires, comme le rapporte le Michna Beroura 447, 32. Toutefois, le Baït ‘Hadach écrit que, selon le Séfer Mitsvot Qatan et le Raavia, de la farine mélangée à de la farine est considérée comme un mélange de sec dans du sec. Aussi, a priori, faut-il veiller à ce que, au sein de la farine dont on fait les matsot, il n’y ait pas de farine ayant fermenté. C’est ce qu’écrit l’auteur du Michna Beroura 453, 17 et du Cha’ar Hatsioun 25. De plus, il est certain qu’il faut, a priori, tenir compte des avis selon lesquels tout ‘hamets se réactive à Pessa’h, qu’il soit liquide ou sec.

Signalons encore que l’on rencontre trois opinions, au sein de ceux qui estiment que le ‘hamets se réactive : pour les plus rigoureux, il se réactive même dans le cas d’un mélange liquide, et même quand le ‘hamets en tant que tel a été extrait du mélange, laissant seulement une trace infime, elle-même absorbée dans le mélange, et qui n’est plus perceptible. Face à cela, le Michna Beroura 447, 33 rapporte l’opinion du ‘Olat Chabbat et du Elya Rabba, qui sont plus indulgents : pour eux, le ‘hamets ne se réactive que si l’on fait recuire le mélange ; alors, le ‘hamets va ajouter une nouvelle parcelle de goût au mélange ; mais dans le cas contraire, le ‘hamets ne se « réveille » pas. L’opinion médiane est également rapportée par le Michna Beroura, au nom du Maguen Avraham : quand on dit que le ‘hamets se réactive dans le cas d’un solide, cela n’est vrai que dans le cas où un ‘hamets réel demeure dans le mélange.

05. Un élément ‘hamets qui donne un arrière-goût désagréable entraîne-t-il l’interdiction du mélange qui le contient ?

Un principe connu veut qu’un ingrédient donnant à un mélange un arrière-goût désagréable ne rende pas ledit mélange interdit. Par exemple, si un morceau de viande tarèfe[e]  est tombé dans un mets, et que ce mets contienne soixante fois plus d’autres ingrédients que cette viande tarèfe, le goût du tarèfe s’annule, et il est permis de consommer le mets. S’il n’y a pas soixante fois plus de cachère que de tarèfe, il sera interdit de consommer le mets, car le goût du tarèfe y est discernable. Mais dans le cas où le goût de la viande tarèfe est abîmé, le mets sera permis à la consommation – à condition que la partie permise soit majoritaire par rapport à la partie interdite –,  puisque la partie interdite ne fait qu’endommager le mets (Choul’han ‘Aroukh, Yoré Dé’a 103).

La question qui se pose est : quelle règle s’appliquera quand un tel mélange contient du ‘hamets à Pessa’h ? Selon certains (Rachbam, Rachba), puisque nos sages ont décrété, en raison de la gravité de l’interdit du ‘hamets, qu’un tant soit peu de ‘hamets rendait interdit tout le mélange le contenant, nous pouvons comprendre que la chose ne dépend pas du goût que le ‘hamets transmet au mélange ; par conséquent, même quand il transmet un goût altéré, son statut est celui du « tant soit peu de ‘hamets », qui rend interdit tout le mélange qui le contient.

Mais la majorité des Richonim (Rabbénou Tam, Rabbénou Yits’haq, le Roch, le Mordekhi) estiment qu’en cette matière le statut du ‘hamets est semblable à celui des autres interdits : ce n’est que dans les cas où d’autres produits interdits s’annuleraient dans la proportion d’un pour soixante que le statut du ‘hamets est plus sévère : ce dernier ne s’annule pas du tout. Mais dans un cas où d’autres produits interdits n’entraîneraient pas l’interdiction du mélange les contenant, le ‘hamets, lui non plus, ne frappe pas d’interdit le mélange le contenant.

En pratique, l’auteur du Choul’han ‘Aroukh tranche dans le sens de l’indulgence ; le Rama, quant à lui, précise que, dans les communautés ashkénazes, on a coutume d’être rigoureux, un tant soit peu de ‘hamets abîmé rendant interdit tout le mélange qui le contient (Choul’han ‘Aroukh 447, 10).

Prenons un exemple pour expliquer cette controverse : quand, dans une marmite, on a cuit de la viande non cachère, les parois de la marmite absorbent le goût de cette viande. Si l’on cuit, par la suite, un autre mets dans cette même marmite, le mets sera interdit parce que le goût de la viande non cachère, lâché par les parois de l’ustensile, a été absorbé par le mets. Mais si vingt-quatre heures ont passé depuis que l’on a cuit la viande non cachère dans cette marmite, le goût absorbé dans ses parois est désormais altéré (pagoum), et, si l’on y cuit un autre mets, celui-ci ne sera pas interdit, car les parois y auront jeté un goût altéré.

De même, si par erreur on a fait cuire un mets, à Pessa’h, dans une marmite ‘hamets : selon le Choul’han ‘Aroukh et la majorité des décisionnaires, le mets qu’on y a cuit à Pessa’h est cachère, puisque plus de vingt-quatre heures ont passé depuis que l’on y a fait cuire du ‘hamets. Mais selon la coutume ashkénaze, le goût de ‘hamets contenu dans les parois de la marmite, bien qu’altéré, rend interdit le mets, puisqu’à Pessa’h on est rigoureux, et que l’on interdit même un aliment auquel un ingrédient ‘hamets a donné un mauvais arrière-goût[5].


[e]. Tarèfe : non cachère, viande issue d’une bête qui n’a pas été abattue rituellement. Nous proposons cette graphie, plus française que taref, et qui forme un parallèle à cachère.

[5]. Nous l’avons vu, l’usage ashkénaze est d’être rigoureux. Cependant, selon le Michna Beroura 447, 98, en un lieu où l’usage n’est pas fixé, il faut enseigner que la personne indulgente ne commettra pas d’interdit, et que la personne rigoureuse sera bénie pour sa rigueur (d’après le Teroumat Hadéchen). L’usage séfarade le plus répandu est conforme au Choul’han ‘Aroukh ; toutefois, même en ce domaine, certains Séfarades ont l’usage d’être rigoureux, comme le rapporte le Kaf Ha’haïm 447, 228. Le Rama écrit, en 447, 2, que ce n’est qu’à partir de l’entrée de Pessa’h que l’on a l’usage d’être rigoureux dans le cas où du ‘hamets altéré a transmis un mauvais arrière-goût ; en revanche, avant l’entrée de Pessa’h, ce ‘hamets est annulé, même s’il est en quantité supérieure à un soixantième, comme tout autre ingrédient non cachère ayant donné un mauvais goût à un mélange.

Il importe de souligner ceci : il est clair qu’il est interdit – et toutes les opinions concordent en ce sens – d’utiliser un ustensile qui a absorbé le goût d’un produit interdit, même après que vingt-quatre heures ont passé. En effet, nos sages ont craint que, si l’on utilisait de tels ustensiles après l’expiration de vingt-quatre heures, on risque de les utiliser aussi, par erreur, avant que vingt-quatre heures ne passent ; on consommerait alors de la nourriture interdite. Et il est bien certain que la règle est la même à Pessa’h. Si, transgressant cette défense, on a volontairement utilisé un ustensile qui avait absorbé un goût interdit, en ayant soin de le laisser reposer vingt-quatre heures, nombre de décisionnaires estiment que les sages ont frappé cette transgression d’une pénalité, en interdisant le mets à celui qui l’a cuit, ainsi qu’aux personnes à l’intention desquelles il l’a cuit (Michna Beroura 442, 1, Knesset Haguedola, Yoré Dé’a 122, Hagahot Hatour 26 ; cf. Darké Techouva, Yoré Dé’a 122, 5).

06. Consommation d’un mélange contenant du ‘hamets ; sa conservation à Pessa’h

Le statut d’un mélange contenant du ‘hamets, à Pessa’h, est complexe ; les Tannaïm, les Amoraïm, les Richonim comme les A’haronim controversent à ce sujet. Nous résumerons brièvement les règles applicables.

La Torah établit que, si l’on mange la quantité d’un kazaït de ‘hamets pendant Pessa’h, on est puni de retranchement (karet). Si le kazaït de ‘hamets s’est mélangé à d’autres aliments, que ce mélange contienne à présent un kazaït de ‘hamets au sein d’un volume qui peut se consommer en une durée dite d’akhilat prass (c’est-à-dire le temps nécessaire à la consommation d’un volume de trois ou quatre œufs[f]), et que l’on mange, de ce mélange, un semblable volume – consommable, donc, dans le temps d’akhilat prass[g] –, Na’hmanide et d’autres Richonim estiment que l’on est passible de retranchement ; selon le Rif et Maïmonide, en revanche, on est seulement passible de trente-neuf coups (malqout). (Selon Rabbénou Tam, même si l’on n’a mangé de ce mélange que la mesure d’un kazaït, on est punissable toraniquement, comme le rapporte le Roch sur ‘Houlin 7, 31).

Si le mélange ne contient pas un kazaït de ‘hamets au sein d’un volume équivalent à trois ou quatre œufs, et que l’on ait mangé, de ce mélange, un volume au sein duquel se trouve un kazaït de ‘hamets, le Maor et le ‘Itour estiment que l’on est passible de malqout. Selon le Tour, que l’on ait mangé beaucoup ou peu de ce mélange, il suffit que celui-ci ait le goût du ‘hamets pour que l’on ait transgressé un interdit toranique, mais on n’est pas pour autant passible de malqout. Pour Maïmonide, c’est un interdit rabbinique seulement que l’on aura enfreint (selon Maïmonide et le Choul’han ‘Aroukh 453, 2, dans un mélange de blé et de riz, si le goût du ‘hamets est perceptible, ce n’est que dans le cas où l’on en mange un kazaït que l’on enfreint un interdit toranique).

Si le ‘hamets s’est mêlé à un ingrédient cachère de même nature – par exemple, de la farine qui a fermenté, avec de la farine qui n’a pas fermenté –, la farine ‘hamets se voit toraniquement annulée dans la majorité, car le goût des deux farines est semblable. Mais en tout état de cause, il est interdit rabbiniquement de manger de ce mélange (Choul’han ‘Aroukh 447, 1).

Quant à l’interdit de garder un mélange contenant du ‘hamets à Pessa’h : si un kazaït de ‘hamets s’est mélangé à d’autres aliments, tant que ces aliments ne sont pas en quantité plus de soixante fois supérieure au ‘hamets, on enfreint deux interdits : bal yéraé (« il n’en sera pas vu ») et bal yimatsé (« il ne s’en trouvera pas »). Si la quantité d’autres ingrédients est plus de soixante fois supérieure, le ‘hamets est, toraniquement, annulé, et l’on ne transgresse pas de mitsva en gardant chez soi ce mélange. De même, quand le ‘hamets s’est mêlé à un ingrédient cachère de même catégorie que lui – par exemple lorsque de la farine qui a fermenté s’est mélangée à une autre farine –, et que ces deux composants ont un goût semblable, la règle est la suivante : à condition que la farine cachère soit en quantité supérieure, la farine ‘hamets s’annule en elle, selon la Torah, et l’on ne transgresserait pas d’interdit en la gardant. Cependant, bien que, dans ces deux cas, on ne transgresse pas de norme toranique, nos sages imposent de détruire le mélange, de crainte d’en venir à le consommer pendant Pessa’h[6].


[f]. Cf. chap. 16 § 25.

[g]. Le mélange comprend donc trois ou quatre kazaït, dont un de ‘hamets.

[6]. Si l’on n’a pas détruit le mélange, il sera permis d’en tirer profit après Pessa’h, puisque l’on n’aura pas enfreint par-là les interdits de bal yéraé et de bal yimatsé. Quant à le consommer après Pessa’h, le Elya Rabba l’interdit, puisque l’on aura transgressé, en gardant ce mélange, un interdit rabbinique. Mais le Maguen Avraham permet de le consommer, comme l’explique le Michna Beroura 447, 102.

01. La matsa ‘achira, pain azyme pétri dans un liquide autre que l’eau

La pâte levée que la Torah interdit est le produit de la farine et de l’eau. Mais si l’on a pétri de la farine dans du jus de fruit (mei pérot), même si l’on a laissé le mélange reposer un jour entier, au point que la pâte a gonflé, cette pâte n’est pas considérée comme du ‘hamets, car ce gonflement diffère du gonflement propre au ‘hamets, que la Torah interdit. Parmi les liquides ayant statut de mei pérot au sens large du terme, on trouve non seulement tous les jus obtenus effectivement par pressage de fruits, tels que le jus de pomme ou de fraise, mais encore le vin, le miel, le lait, l’huile, l’œuf. Puisque ces différents liquides n’ont pas la propriété de fermenter, au sens halakhique du mot, il est permis, à Pessa’h, de les employer au pétrissage de la pâte, puis de cuire celle-ci et de la manger. Simplement, on ne saurait se rendre quitte, par une telle consommation, de la mitsva de consommer de la matsa (pain azyme) le premier soir de Pessa’h, car la Torah appelle la matsa « pain pauvre » (lé’hem ‘oni) ; or la matsa pétrie à l’aide de liquides autres que l’eau est « riche[a] », puisqu’elle possède un supplément de goût par rapport au simple mélange de farine et d’eau.

Si un peu d’eau s’est mêlée au jus de fruit – ou à quelque autre liquide de même statut –, ce mélange est susceptible de faire fermenter la pâte. Bien plus, selon de nombreux décisionnaires, l’eau adjointe à l’un de ces autres liquides entraîne une fermentation plus rapide. Aussi, pour ne pas s’exposer au risque d’une fermentation, nos sages ont interdit, à Pessa’h, de pétrir une pâte avec du jus de fruit mêlé d’eau (Choul’han ‘Aroukh 462, 1-3).

La coutume ashkénaze est d’interdire la consommation d’un aliment pétri à l’aide de farine et de mei pérot[b], car on craint que de l’eau ne s’y soit mêlée, ce qui conduirait la pâte à fermenter. De plus, on tient compte de l’opinion de Rachi qui, à la différence de la majorité des décisionnaires, estime que les mei pérot à eux seuls peuvent entraîner une fermentation rabbiniquement interdite. Certes, si l’on s’en tenait à la stricte obligation, on pourrait être indulgent, conformément à l’opinion d’une nette majorité de décisionnaires ; mais la coutume ashkénaze – et il n’y a pas lieu d’en changer – est d’être rigoureux. Ce n’est que pour les besoins d’un malade ou d’une personne âgée que l’on a l’usage d’être indulgent (Rama 462, 4). Même parmi les décisionnaires séfarades, nombreux sont rigoureux, de nos jours. En effet, il s’est avéré qu’en général on ajoute de l’eau et différents additifs aux jus de fruit et aux liquides de même statut, de sorte qu’il est grandement à craindre qu’une fermentation interdite se produise dans la matsa ‘achira (Rav Mordekhaï Elyahou)[1].


[a]. Cette matsa pétrie à l’aide de liquides autres que l’eau s’appelle matsa ‘achira, littéralement « pain azyme riche ».

[b]. Afin de ne pas alourdir la version française, nous ne traduirons plus, dans la suite de ce chapitre, cette expression hébraïque qui, on l’a vu, désigne non seulement les jus de fruits mais encore d’autres liquides, à l’exclusion de l’eau.

[1]. Nous sommes ici en présence de deux sujets : a) la farine mélangée à des mei pérot peut-elle fermenter ? b) lorsqu’on a ajouté de l’eau et que la pâte risque de fermenter, est-il permis de pétrir cette pâte en prenant soin qu’elle ne fermente pas ? Le premier sujet est résumé par le Bérour Halakha sur Pessa’him 35a ד »ה מי פירות אין מחמיצין. Selon Rachi et ceux qui partagent son avis, la réunion de farine et de mei pérot produit une fermentation ; simplement, le ‘hamets ainsi produit est ce que l’on appelle ‘hamets nouqché (‘hamets altéré), qui n’est interdit que rabbiniquement. Selon la majorité des Richonim, en revanche, la farine réunie à des mei pérot ne fermente jamais ; toutefois, si l’on y a mêlé de l’eau, le mélange est susceptible de fermenter. Les avis s’opposent simplement quant au degré d’interdiction d’un ‘hamets ainsi obtenu : pour Maïmonide, il s’agit de ‘hamets parfait ; pour Rabbénou Tam, il ne s’agit que de ‘hamets nouqché. Selon le Peri Mégadim, si la majorité [du liquide utilisé] est de l’eau, tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agit de ‘hamets parfait (Béour Halakha 462, 2 ד »ה ממהרים). Cf. Bérour Halakha, réf. cit., et, du Rav Ido Alba, Matsa ‘Achira 5, 7-8.

Le second sujet se trouve au traité Pessa’him 36a, où est citée la controverse opposant les Tannaïm quant à la matsa ‘achira à Pessa’h, controverse rapportée par une baraïtha [texte tannaïtique extérieure à la Michna]. Selon le Rif et Maïmonide, la halakha est conforme à l’opinion de Rabbi Aqiba, selon lequel il est permis de pétrir de la farine dans un mélange de mei pérot ajoutés d’eau, à condition de bien veiller à ce que le mélange ne fermente pas, tout comme on veille à ce que ne fermente pas un mélange de farine et d’eau. C’est aussi l’avis de Rav Nétronaï Gaon et du Méïri. Face à eux, de nombreux auteurs estiment qu’il ne faut pas pétrir de la farine dans des mei pérot ajoutés d’eau, car un tel mélange fermente plus rapidement. Ces mêmes auteurs sont partagés quant à la règle applicable a posteriori, quand un tel mélange a déjà été fait. Selon Rav Haï Gaon et le Halakhot Guedolot, la halakha suit Rabban Gamliel : si un tel mélange a été fait, il doit être brûlé. Mais pour Rabbénou ‘Hananel, Rabbénou Yits’haq Ibn Giat et le Roch, la halakha suit l’opinion de la collectivité des sages (‘Hakhamim), pour qui, si l’on est en mesure de se dépêcher grandement pour mettre au four le mélange, il sera permis de le manger. C’est en ce sens que tranche le Choul’han ‘Aroukh 462, 2.

La coutume ashkénaze est d’être rigoureux : on tient compte de l’opinion de Rachi et de ceux qui se rangent à ses côtés, qui estiment que les mei pérot, même à eux seuls, peuvent provoquer la fermentation ; ou bien encore on craint que de l’eau ne se soit mélangée aux mei pérot. Quant à ce que l’on considère comme eau, d’une part, et comme mei pérot, d’autre part, les choses sont définies en Choul’han ‘Aroukh 462, 3, 7, ainsi que 466 (cf. Encyclopédie talmudique, entrée ‘Hamets 8, pp. 89-99).

Concernant la coutume séfarade, le Primat de Sion, Rav Mordekhaï Elyahou (que la mémoire du juste soit bénie) s’est, il y a longtemps déjà, opposé à ce que l’on accordât un certificat de cacheroute à des matsot ainsi enrichies, car il est à craindre que, aux mei pérot, ne soient mêlés de l’eau, ou des produits de même statut que l’eau, tels que des produits levants (il y a un autre motif d’interdiction de ces produits : ils entraînent un effet proche de la fermentation, comme il apparaît dans le commentaire du Maharam Halawa sur Pessa’him 28a, et en Matsa ‘Achira p. 178). Avec le temps, il est apparu que les craintes du Rav Elyahou étaient justifiées, et que l’on mettait effectivement de l’eau dans les jus, et parfois même des matières levantes. Malgré cela, certains auteurs restent indulgents en la matière, car, à leur avis, ces matières levantes ne fermentent pas de la manière qui est interdite. C’est ce qu’écrivent le Yabia’ Omer IX 42 et le Chama’ Chelomo IV 13-17. Mais selon de nombreux décisionnaires, la matsa ‘achira est interdite toraniquement, ou au moins rabbiniquement, et il est interdit, même aux Séfarades, de manger à Pessa’h de la matsa ‘achira fabriquée industriellement (ou quelque autre pâtisserie azyme ajoutée de mei pérot, produite industriellement).

02. Après cuisson au four, il n’y a plus de fermentation possible ; cas de la matsa trempée

Une fois terminée la cuisson de la matsa, la capacité de fermentation, propre à la farine, disparaît. Même si l’on trempe la matsa dans de l’eau pendant longtemps, elle ne fermentera pas. Le signe que la cuisson est bien terminée est que la matsa est couverte d’une croûte, et que, si on la rompt, aucun filament de pâte n’en ressort. Aussi est-il permis de tremper de la matsa dans de la soupe. Une personne âgée, un malade, qui ne pourraient manger de la matsa sèche le soir du séder, sont autorisés à tremper leur matsa dans de l’eau et à manger cette matsa ainsi attendrie (Choul’han ‘Aroukh 461, 4 ; cf. ci-après, chap. 16 § 29). De même, si l’on a remoulu la matsa, il sera permis de pétrir dans de l’eau la farine ainsi obtenue : il n’est pas à craindre qu’elle fermente car, dès lors qu’elle a été bien cuite au four, elle n’a plus la capacité de fermenter (Choul’han ‘Aroukh 463, 3). C’est ainsi que l’on peut, à Pessa’h, cuire des gâteaux de farine de matsa, faite à partir des cinq céréales susceptibles de fermentation, ou cuisiner diverses boulettes dans la composition desquelles entre la farine de matsa (kneidler, gefilte fish…).

Toutefois, certains ont coutume d’être rigoureux, en s’abstenant de tremper les matsot dans de l’eau, de crainte qu’un peu de farine, contenue dans la pâte, n’ait pas été pétrie convenablement, et ne soit restée, au sein de la matsa, sans cuisson, de sorte que, lorsqu’on trempera la matsa dans l’eau, cette farine fermentera. De même, ils craignent qu’un peu de farine ne se soit attachée à la matsa après la cuisson de celle-ci, si bien que, lorsqu’on trempera la matsa dans l’eau, elle fermentera. Concernant la farine de matsa, il y a un motif supplémentaire de rigueur, c’est la crainte que des ignorants ne prennent de la farine ordinaire pour de la farine de matsa, et n’en viennent à transgresser l’interdit du ‘hamets à Pessa’h. C’est ainsi que les ‘Hassidim, disciples du Baal Chem Tov, avaient l’usage d’être rigoureux pour eux-mêmes en ne mangeant point de matsa trempée (matsa cherouya).

Mais en pratique, l’opinion de la presque totalité des décisionnaires est qu’il n’est pas besoin d’être rigoureux en la matière car, sauf cas particulier, il y a lieu de penser que le pétrissage s’est fait convenablement, et qu’il ne reste pas de farine qui n’ait été pétrie, ni bien cuite. Tel est l’usage séfarade, et l’usage ashkénaze non ‘hassidique. Même parmi ceux qui sont originaires de familles ‘hassidiques, certains, de nos jours, sont indulgents, car l’usage courant consiste à cuire des matsot fines, si bien qu’il n’est plus du tout à craindre qu’il reste, dans la matsa, de la farine qui n’ait pas été convenablement cuite. De même n’est-il pas à craindre que de la farine ait adhéré aux matsot une fois celles-ci cuite, car on veille à ce que le lieu où est stockée la farine soit séparé de celui où sont déposées les matsot sortant du four. Bien que, si l’on se réfère à la stricte obligation, il soit permis a priori de manger de la matsa trempée, il ne faut pas déconsidérer ces gens pieux qui pratiquent la coutume rigoureuse[2].


[2]. Une baraïtha citée par Pessa’him 39b énonce : « Voici les choses qui ne fermentent pas : ce qui est cuit au four… » Maïmonide, dans ses lois relatives au ‘hamets et à la matsa (5, 5), tranche dans le même sens, et telle est aussi la position partagée par les Richonim. Le critère d’une cuisson complète est l’apparition d’une croûte à la surface de la matsa, et que des filaments de pâte ne sortent pas de la matsa quand on la coupe, ces deux signes étant les deux faces d’un seul et même critère, comme l’expliquent le Michna Beroura 461, 15 et le Cha’ar Hatsioun 23.

Le Choul’han ‘Aroukh Harav 463, 3 estime, lui aussi, qu’il n’y a plus de fermentation après cuisson, et qu’il est permis de cuisiner de la farine de matsa ; toutefois, dans les responsa qui se trouvent à la fin de l’ouvrage (responsum 6), il écrit que tout cela n’est dit qu’à la condition que la cuisson ait été totale ; or, dit-il, il est à craindre que toute la farine n’ait pas été intégralement cuite ; de même, il arrive que de la farine s’attache aux matsot, après cuisson. Il conclut qu’il ne faut pas protester face à l’usage majoritaire, qui a sur qui s’appuyer, mais que les personnes rigoureuses seront bénies pour cela.

Concernant la farine de matsa, le Knesset Haguedola 461 rapporte qu’un jour, une femme vit sa voisine, femme de rabbin, qui utilisait de la farine de matsa pour cuire à l’eau et pour frire ; voyant cela, elle fut induite en erreur, et en vint à utiliser de la farine. Quand les sages de la ville entendirent ce récit, ils décidèrent d’interdire l’utilisation de farine de matsa, en raison du marit ‘ayin (littéralement « l’apparence visuelle »), c’est-à-dire pour ne pas induire autrui à de fausses conclusions (cf. Tour 463). Le Peri ‘Hadach et de nombreux A’haronim s’opposèrent à cette conclusion, parmi lesquels les responsa du Ya’avets II 65, au nom de son père le ‘Hakham Tsvi, ainsi que le Cha’aré Techouva 460, cités par le Michna Beroura 458, 4. Le Ma’assé Rav 183 dit aussi que l’on peut faire des boulettes. Cf. Encyclopédie talmudique, entrée ‘Hamets pp. 83-84. Le Kaf Ha’haïm 461, 31 écrit que, de l’avis même des décisionnaires rigoureux, « s’agissant des fines galettes (reqiqin), il n’y a rien à craindre. » Or les matsot de notre temps sont, précisément, de fines galettes. Le Ye’havé Da’at I 21, lui aussi, est indulgent a priori, et écrit que, si l’on a été jusqu’ici rigoureux, parce que l’on croyait que telle était la halakha, on est autorisé à être désormais indulgent, sans avoir à procéder à l’annulation d’un vœu, puisque cette rigueur était, en ce cas, le résultat d’une erreur ; mais si l’on a été rigoureux jusqu’ici parce que l’on voulait observer un pieux usage, et que l’on veuille à présent être indulgent, il sera bon de procéder à l’annulation de son « vœu » devant un tribunal de trois personnes, dans la mesure où l’on n’avait pas dit : « Je n’en fais point le vœu » (bli néder).

En pratique, nombreux sont ceux qui, originaires de familles ‘hassidiques, n’ont plus l’usage, de nos jours, d’être rigoureux en matière de matsa trempée. La raison essentielle en est que les matsot de notre temps sont de fines galettes, et que les fours sont puissants. Si votre père, même issu d’une famille ‘hassidique, était déjà indulgent en la matière et mangeait de la matsa trempée, vous n’avez pas besoin de procéder à l’annulation des vœux. Mais si votre père était rigoureux et que vous souhaitiez être indulgent, il sera bon que fassiez cette annulation, en vérifiant bien, préalablement, que vous ne portez pas atteinte, ce faisant, à l’honneur de votre père.

Détails de la coutume rigoureuse interdisant la matsa trempée : ceux qui ont coutume de ne pas manger de matsa cherouya (trempée) sont néanmoins indulgents pour les besoins d’un malade ou d’un enfant, car le fait de tremper n’est pas considéré comme faire du ‘hamets à Pessa’h. De même, en diaspora, on a l’usage, le huitième et dernier jour de Pessa’h, de préparer des kneidler (boulettes de farine de matsa), afin de montrer qu’il n’y a pas là d’interdit formel, et c’est à ‘Hol hamo’ed (durant les jours intermédiaires de Pessa’h) qu’on les prépare. Toutefois, on est rigoureux à un autre égard : on ne mange pas, pendant ‘Hol hamo’ed, dans les ustensiles où l’on prépare la matsa (ou farine de matsa) trempée. Cependant, le Che’arim Hametsouyanim Behalakha 113, 7 est indulgent à cet égard, et permet l’utilisation des ustensiles où l’on a fait tremper la matsa. À l’inverse, les responsa Qinyan Torah 2, 87 sont rigoureux, interdisant de faire tremper de la matsa dans de l’eau, même pour les besoins d’un malade ou d’un enfant.

Quant à savoir s’il est permis de tremper de la matsa dans du jus de fruit (ou autre liquide de même statut) : selon le sixième responsum imprimé à la fin du Choul’han ‘Aroukh Harav, il n’y a pas lieu d’être rigoureux. On a ainsi coutume de tremper de la matsa dans du vin, ou de tartiner la matsa de confiture ou autres pâtes à tartiner. Tel est l’usage répandu. Le Qinyan Torah 2, 87 est cependant rigoureux, même en cela. Cf. Pisqé Techouvot 458, 5-7.

Selon le Cha’aré Techouva 460, 10, les tenants de l’opinion rigoureuse eux-mêmes peuvent tremper leur matsa dans de l’eau et l’introduire immédiatement dans la bouche, puisqu’en un temps si court la matsa ne pourrait fermenter. Mais ceux qui s’interdisent de tremper leur matsa dans du jus de fruit s’abstiendront aussi de cela.

03. Généralités sur la cacheroute pascale ; systèmes séfarade et ashkénaze en vigueur

Il faut savoir qu’il existe deux approches fondamentales, en ce qui concerne la cacheroute à Pessa’h. Selon la majorité des décisionnaires, les règles applicables au ‘hamets à Pessa’h sont comparables à celles qui s’appliquent aux différents interdits alimentaires, à une différence près : les autres aliments interdits s’annulent dans soixante fois plus d’aliments permis, tandis que le ‘hamets, à Pessa’h, ne s’annule pas dans cette proportion d’un pour soixante. Les autres principes afférents aux mélanges, en revanche, s’appliquent également au ‘hamets à Pessa’h ; aussi, tout le temps que, suivant les principes de la halakha, il n’y a pas lieu de craindre qu’un goût de ‘hamets se soit mêlé à un aliment, celui-ci est cachère à Pessa’h. De même, quand un décisionnaire isolé est rigoureux, et que la majorité de ses confrères est indulgent, la halakha est conforme à l’opinion indulgente.

Cependant, dans les pays de langue germanique, on a pris l’usage d’être très rigoureux quant à l’interdit du ‘hamets. Même quand un décisionnaire isolé conteste l’opinion du plus grand nombre et tranche pour la rigueur, il est fréquent, dans la fixation de la coutume, que l’on tienne compte de son avis. Dans les cas même où, si l’on s’en tenait aux principes de la halakha, il ne serait pas nécessaire de craindre quelque interdit, on a bien souvent l’usage d’être rigoureux, dès lors qu’il est question de l’interdit du ‘hamets. Certes, dans les coutumes ashkénazes elles-mêmes, il y a des limites à la sévérité, et l’on a soin de ne pas décréter interdit sur interdit. Mais la tendance générale est, en tout cas de doute, de craindre la transgression et d’être rigoureux. Cette approche halakhique se fonde sur la rigueur des sages eux-mêmes, qui ont interdit la quantité la plus infime de ‘hamets : de même qu’une miette de ‘hamets ne s’annule pas et rend interdit le mélange où elle se trouve, de même convient-il de tenir compte des avis de décisionnaires isolés. C’est là l’origine de la différence, systématique, entre les décisions du Choul’han ‘Aroukh, fondées sur les principes généralement admis de la halakha, et celles du Rama, qui tient compte a priori des systèmes conçus par les décisionnaires rigoureux. Toutefois, en cas de nécessité pressante, le Rama lui-même est indulgent, comme le Choul’han ‘Aroukh, puisque la position essentielle, en matière de halakha, est conforme à l’opinion de la majorité des décisionnaires[3].

En général, les Séfarades ont coutume de suivre le Choul’han ‘Aroukh, les Ashkénazes le Rama. Toutefois, parmi les rabbins séfarades eux-mêmes, certains ont tendance à être rigoureux, et leur conduite a été adoptée par une partie des communautés séfarades[4].


[3]. Nous mentionnerons ici, de façon très résumée, les principales controverses qui opposent le Choul’han ‘Aroukh au Rama :

1) chapitre 447, 4 : s’agissant de la question débattue par les Richonim, quant au fait de savoir si le ‘hamets annulé avant Pessa’h, au sein d’un mélange, « se réactive » à Pessa’h [cf. ci-dessus, chap. 7 § 3-4], le Choul’han ‘Aroukh décide, en pratique, qu’il ne se réactive point ; il tranche selon l’opinion indulgente, parce qu’il s’agit d’un cas de doute portant sur une norme rabbinique. Le Rama, en revanche, est rigoureux, estimant que le ‘hamets se réactive dans le cas où le mélange est sec ; toutefois, quand le mélange est liquide, il est lui-même indulgent, et tient que le ‘hamets ne se réactive pas.

2) 447, 5 : un produit qui n’a pas été surveillé à Pessa’h, mais pour lequel n’est apparue aucune raison de changer son statut, à l’égard de la cacheroute : le Choul’han ‘Aroukh décide qu’il est cachère ; pour le Rama, il ne l’est pas.

3) 447, 10 : quand un ingrédient transmet un mauvais goût et qu’il s’est mêlé à d’autres, à Pessa’h, le Choul’han ‘Aroukh estime le mélange cachère, comme la majorité des décisionnaires ; de plus, il s’agit d’un cas de doute portant sur une norme rabbinique, cas dans lequel on a l’usage d’être indulgent. Selon le Rama, en revanche, on a coutume d’interdire.

4) 451, 6 : selon le Choul’han ‘Aroukh, pour déterminer le mode de cachérisation des ustensiles par échaudage (hag’ala), on se fonde sur l’utilisation majoritaire de l’ustensile ; pour le Rama, on suit celle de ses utilisations qui, même rare, requiert le mode de cachérisation le plus strict.

5) 451, 11 : pour cachériser une poêle : selon le Choul’han ‘Aroukh, la hag’ala suffit ; pour le Rama, il faut le faire a priori par chauffage à blanc (liboun) léger.

6) 451, 16-17 : un mortier à ‘hamets et un instrument de pétrissage se cachérisent, pour le Choul’han ‘Aroukh, par hag’ala ; pour le Rama, par liboun léger.

7) 453, 1 : question, bien connue, des légumineuses (qitniot, cf. chap. 9).

8) 462, 1 : la matsa ‘achira (matsa enrichie), farine pétrie dans des mei pérot (jus de fruits, ou liquides de même statut) : selon le Choul’han ‘Aroukh, c’est cachère, selon le Rama, il faut craindre qu’une goutte d’eau ne s’y soit mêlée, et que cela n’ait fermenté. Au paragraphe 4 du même chapitre, le Rama écrit que l’on n’est indulgent en la matière qu’en cas de nécessité pressante, pour un malade.

9) 467, 9 : quand on trouve des grains de blé ou d’orge dans un mets, et que cette céréale ne s’est point fendue, le mets est cachère d’après le Choul’han ‘Aroukh, interdit d’après le Rama.

10) 467, 10 : cas du grain de blé fendu que l’on trouve dans un mets (cf. également 447, 1) : pour le Rama, il faut tout brûler ; pour le Choul’han ‘Aroukh, on vend le mets à un non-Juif, en déduisant du prix de vente la valeur du blé.

11) la matsa trempée (matsa cherouya) : la coutume ‘hassidique est de l’interdire.

[4]. Parmi les décisionnaires séfarades, certains sont rigoureux, comme l’est le Rama, ainsi que le rapporte le Kaf Ha’haïm 447, paragraphes 76, 78, 119, et comme l’écrit le Zekhor le-Avraham au début des lois de Pessa’h ; selon cet auteur, on a coutume, en toutes ces controverses, d’enseigner à suivre la position du Rama, « de sorte que, dit-il, en matière de Pessa’h, nous sommes Ashkénazes ». C’est aussi ce qu’enseignent d’autres décisionnaires séfarades. À l’inverse, le Rama lui-même reconnaît que, en cas de nécessité pressante, on adopte, dans la majorité de ces controverses, la position indulgente, celle du Choul’han ‘Aroukh.

04. Surveillance de l’alimentation destinée à Pessa’h

Une question de principe se pose en matière de lois de cacheroute à Pessa’h : quel est le statut des aliments que, tout au long de l’année, on n’a pas l’usage de mêler de ‘hamets ? Sont-ils cachères à Pessa’h, sans qu’il soit besoin d’une surveillance particulière ? Ou bien faut-il craindre que du ‘hamets ne s’y soit mêlé d’une manière ou d’une autre, de sorte que, sans surveillance particulière en vue de Pessa’h, il ne faut pas les consommer durant cette fête ?

La position du Choul’han ‘Aroukh est que, tant qu’aucun doute substantiel n’est apparu, faisant craindre que du ‘hamets ne soit tombé dans ces aliments, ou qu’un goût de ‘hamets n’y ait été intégré par le fait qu’ils ont été cuits dans des ustensiles où, le même jour, on avait fait cuire du ‘hamets, il n’y a pas lieu de craindre que du ‘hamets s’y soit mêlé.

Cependant, le Rama écrit que, s’agissant de certains aliments, la coutume ashkénaze est d’être rigoureux a priori, en s’abstenant de manger des produits qui n’ont pas fait l’objet d’une surveillance particulière en vue de Pessa’h. Cela, parce que, tout au long de l’année, le ‘hamets se trouve couramment auprès de nous, et nous n’avons pas l’habitude d’y prendre garde ; aussi est-il à craindre qu’il en soit tombé dans différents aliments, sans que nous y ayons prêté attention. De plus, il est à craindre que l’on ne se serve, sans y prendre garde, d’ustensiles où est intégré le goût du ‘hamets.

En pratique, toutes les institutions de cacheroute ont aujourd’hui tendance à être rigoureuses, comme le Rama ; elles n’accordent pas leur certificat de cacheroute pour Pessa’h si l’on n’a pas pris garde au ‘hamets durant la préparation des aliments destinés à Pessa’h. Il se peut d’ailleurs que, de l’avis même du Choul’han ‘Aroukh, il faille adopter cette attitude de nos jours, car, dans la fabrication de la nourriture industrielle, tout produit est composé de différents ingrédients, et il est à craindre que l’un d’eux ne soit pas cachère pour Pessa’h. Aussi faut-il avoir grand soin, à Pessa’h, de ne pas consommer d’aliment produit en usine et où ne figure pas un tampon certifiant que le produit est cachère à Pessa’h (cachère lé-Pessa’h).

Mais quand le cas est clair[c], on se trouve souvent devant une différence effective entre la position du Choul’han ‘Aroukh et celle du Rama. Bien que la position essentielle, d’un point de vue halakhique, soit celle du Choul’han ‘Aroukh, la tendance d’aujourd’hui est d’être rigoureux, afin que la nourriture soit cachère suivant tous les avis. Et c’est en ce sens qu’il convient en effet d’agir, lorsqu’il n’y a pas de grande difficulté à être rigoureux. Mais dans le cas où la rigueur entraînerait une perte significative, il y a lieu de conforter ceux qui s’en tiennent à la position du Choul’han ‘Aroukh et de la majorité des décisionnaires : ils peuvent perpétuer leur coutume[5].


[c]. C’est-à-dire quand il est clair qu’il n’y a pas eu de contact avec du ‘hamets.

[5]. Au centre de cette question, se trouve la controverse sur la « réactivation » du ‘hamets à Pessa’h. Les tenants de l’opinion rigoureuse craignent qu’une miette de ‘hamets ne soit tombée dans le mélange avant Pessa’h, et qu’elle ne se « réveille » quand Pessa’h commencera, interdisant l’ensemble. C’est ce qu’écrit le Rama 447, 4, se fondant sur plusieurs Richonim d’Allemagne, et c’est aussi l’avis du Radbaz 1, 487. Mais pour ceux qui estiment que le ‘hamets ne se réactive pas, quand bien même une miette de ‘hamets serait tombée dans le mélange, elle serait déjà annulée avant Pessa’h dans une quantité soixante fois plus grande de produits non ‘hamets, et elle ne se réactiverait pas à l’entrée de la fête. Toutefois, même pour les tenants de la position rigoureuse, il y place à l’indulgence : en effet, comme le dit le Peri ‘Hadach, pourquoi faudrait-il craindre gratuitement qu’une miette soit tombée ? De plus, tout le monde s’accorde à dire que, lorsque le ‘hamets est en quantité infime, l’interdit n’est que rabbinique. En outre, le Cheïltot estime que le ‘hamets s’annule dans une proportion d’un pour soixante, même pendant Pessa’h.

Il existe un risque supplémentaire, c’est que l’on ait cuit les aliments dans des ustensiles servant au ‘hamets, et que ces aliments aient absorbé, par le biais de l’ustensile, le goût du ‘hamets. Mais les décisionnaires indulgents pensent qu’il n’y a pas lieu d’avoir une telle crainte gratuitement. En effet, en général, les ustensiles n’ont pas été utilisés dans les dernières vingt-quatre heures pour y faire cuire du ‘hamets, et s’ils confèrent un goût, celui-ci est altéré. Et même si l’on y a fait cuire du ‘hamets au cours des dernières vingt-quatre heures, le ‘hamets, avant Pessa’h, est considéré comme permis par les lois des mélanges, et l’ustensile a le statut de facteur indirect de goût, dans un cas où ce goût est permis (nat bar nat de-hétéra), ce qui n’est pas interdit. Cf. Ye’havé Da’at I 11 et note ad loc. Cette controverse fondamentale tient aussi à d’autres questions, telles que le statut du goût piquant : transmet-il un goût agréable, lorsqu’il est rejeté de l’ustensile où il était absorbé et qu’il s’intègre à l’aliment que l’on y cuit ? Cf. Michna Beroura sur Choul’han ‘Aroukh, chap. 447, paragraphe 5.

Contents

Série Pniné Halakha 9 volumes
Commandez maintenant
Pniné Halakha We use cookies to ensure the website functions properly and improve user experience. You can choose which types of cookies to enable.
Cookie Selection