Pniné Halakha

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Chapitre 23 – Le mouqtsé

01. Fondement de l’interdit

Nos sages ont interdit de déplacer les objets qui ne conviennent pas au Chabbat, et que l’on place en dehors de son esprit[a]. Il y a deux raisons essentielles à cet interdit : 1) la volonté de conserver le caractère propre du Chabbat, comme jour de sainteté et de repos ; à ce titre, les mains doivent, elles aussi, cesser de déplacer des objets qui n’ont pas de rapport avec le Chabbat, et de s’en occuper ; 2) dresser une barrière protectrice, afin que l’on n’en vienne pas à accomplir une mélakha (travail) pendant Chabbat. Nous commencerons par expliquer plus en détail la première raison.

En plus d’interdire de travailler le jour de Chabbat, la Torah nous ordonne de chômer et de nous reposer en ce jour, comme il est dit : « Le septième jour tu chômeras, afin que se reposent ton bœuf et ton âne, et que se raniment le fils de ta servante et l’étranger » (Ex 23, 12). De même, il est dit : « Six jours on se livrera au travail, mais le septième jour sera repos complet [Chabbat chabbaton], sainteté de l’Eternel » (Ex 31, 15). Pour assurer l’observance de la mitsva toranique, consistant à chômer et à se reposer le Chabbat, nos sages ont pris plusieurs décrets, destinés à conserver le caractère du Chabbat en tant que jour de sainteté et de repos. Parmi ces décisions, figure celle interdisant de déplacer les objets mouqtsé. En effet, s’il nous était permis de déplacer tous les objets qui ne nous sont pas nécessaires pendant Chabbat, nous risquerions de nous fatiguer toute la journée en rangeant nos maisons, nos affaires et nos biens, faisant ainsi échec à la mitsva de chômage et de repos. En outre, les prophètes ont plus d’une fois rappelé la nécessité de conserver au Chabbat son caractère : que la démarche sabbatique, que la conversion sabbatique diffèrent de celles de la semaine. Or, comme prolongement à cela, nos maîtres ont décrété que l’occupation des mains, par les objets et les ustensiles, diffèrerait, elle aussi, de ce qu’elle est en semaine. Grâce à cela, l’empreinte sabbatique est ressentie, même chez ceux qui n’ont pas l’usage de travailler en semaine. Nous voyons donc que la notion de mouqtsé trouve son fondement dans la Torah et dans les paroles des prophètes, tandis que ses définitions et ses détails d’application reposent sur les paroles des sages (‘Aroukh Hachoul’han 308, 4-5 ; cf. ci-dessus, chap. 22 § 1).

Quant à la deuxième raison : comme pour l’ensemble des mitsvot de la Torah, les sages du Talmud ont dressé une haie protectrice afin d’éloigner l’homme de la faute. L’interdit du mouqtsé est ainsi une haie protégeant du risque de porter des objets dans le domaine public, et du risque de faire usage desdits objets pour accomplir quelque autre travail (Maïmonide et Raavad, Chabbat 24, 12-13)[1].

L’interdit de mouqtsé instaure une concordance entre la pensée et l’action (les mains), car toute chose que, d’après la conscience de l’homme, il ne convient pas d’utiliser le Chabbat, est également exclue du commerce des mains.


[a]. Le terme mouqtsé signifie littéralement : mis à part, indisponible. Il est bâti sur la racine קצה à la forme houf’al, qui, dans ce contexte, signifie enlever, séparer, spécifier, ou encore éloigner. G. Hansel parle d’objets mis hors l’esprit.

[1]. Selon le ‘Aroukh Hachoul’han 308, 4-5, dès l’époque de Moïse notre maître, on avait l’usage de s’interdire le mouqtsé. Dans le même sens, le Talmud (Chabbat 30b) nous apprend qu’à l’époque de David et de Salomon, on respectait l’interdit portant sur l’une des catégories de mouqtsé : mouqtsé me’hamat goufo (cf. ci-après, § 2-3). À l’époque de Néhémie, les sages constatèrent que la génération avait failli en profanant le Chabbat ; ils décrétèrent donc que tous les ustensiles auraient statut de mouqtsé, à l’exception de trois ustensiles, nécessaires à l’alimentation, qui restaient permis. Quand les Israélites revinrent à l’observance des règles du Chabbat, les sages levèrent la majorité des interdits qui frappaient les ustensiles, mais une minorité resta en place (Chabbat 123b, Choul’han ‘Aroukh Harav 308, 17 ; cf. ci-après, § 7-9).

 

Selon Rachi et le Cheïltot, l’interdit de mouqtsé est toranique ; en effet, le Talmud (Pessa’him 47b, Beitsa 2b) rapporte l’enseignement de Rabba, selon lequel nous devons préparer le nécessaire du Chabbat à l’approche de ce jour, comme il est dit : « Le sixième jour, ils prépareront… » (Ex 16, 5), ce qui laisse entendre que ce que les Hébreux ne préparaient pas était rendu indisponible, mouqtsé. Cependant, la presque totalité des Richonim estiment que Rabba est revenu sur ses propos, et que l’interdit de mouqtsé est rabbinique. Telle est l’opinion de Tossephot, de Na’hmanide, du Rachba. Certains expliquent que, selon Rachi, seul un mouqtsé au sens le plus fort de ce terme est interdit par la Torah, tandis que les autres catégories de mouqtsé sont interdites rabbiniquement (Pné Yehochoua’, Beitsa 2b). Selon le ‘Hatam Sofer (Ora’h ‘Haïm 79), l’intention de Rachi est de dire que l’interdit toranique de mouqtsé ne porte que sur les aliments, car la Torah nous prescrit de préparer notre nourriture à l’approche de Chabbat ; quant aux autres choses, l’interdit est rabbinique. En tout état de cause, nous avons vu plus haut (chap. 22 § 1), d’après Na’hmanide, que toutes les règles relatives au caractère du Chabbat trouvent leur fondement dans la Torah même, et que ce sont les sages qui en ont fixé les détails. C’est également ce qui ressort des propos de Maïmonide. Cf. Har’havot ad loc.

02. Principes du mouqtsé

En règle générale, nos sages interdisent de déplacer, le Chabbat, les objets qu’il ne convient pas d’utiliser pendant Chabbat, et que l’homme écarte de sa pensée (cf. ci-après, § 10). Il existe plusieurs catégories de mouqtsé :

Mouqtsé par nature (mouqtsé me’hamat goufo, littéralement « mouqtsé en raison de soi-même ») : ce sont les choses qui ne conviennent à aucun usage pendant Chabbat, telles que les pierres, le bois, le sable, les animaux, les aliments qui ne sont pas encore propres à être consommés (comme nous le verrons plus en détail au § 3).

Mouqtsé par valeur (mouqtsé me’hamat ‘hesron kis, litt. « mouqtsé en raison d’une perte financière ») : ce sont les objets de valeur, que l’homme a soin de ne pas prendre en main sans avoir besoin d’en faire un usage spécifique, de crainte qu’ils ne s’abîment. Puisqu’ils n’ont pas d’utilité pendant Chabbat, on les écarte de sa pensée (cf. § 4).

Support d’une chose interdite (bassis lédavar ha-assour, ou mouqtsé par assimilation) : quand, avant Chabbat, on dépose un objet mouqtsé sur un objet qui ne l’est pas, on manifeste son intention que le premier soit sur le second pendant Chabbat ; par conséquent, on a écarté de son esprit l’objet servant de support, de telle sorte que lui aussi prend le statut de mouqtsé (cf. § 5-6).

Mouqtsé par destination (kelim ché-melakhtam lé-issour, litt. « instruments servant à un travail interdit ») : le statut de ce mouqtsé est particulier. Puisqu’il est destiné à l’exécution d’un travail interdit, on l’écarte de son esprit ; en revanche, il arrive que l’on s’en serve pour un besoin permis. Par conséquent, il est interdit de le déplacer pour le protéger d’un dommage ou d’un vol (tsorekh ‘atsmo, « besoin propre à l’objet »), mais il est permis de le déplacer pour le besoin que l’on a de l’objet même, afin d’en tirer un usage autorisé (tsorekh goufo, « pour l’usage de l’objet, pris intrinsèquement », indépendamment de sa destination première), ou pour libérer le lieu qu’il occupe (tsorekh meqomo ; cf. § 7-9).

Si l’objet mouqtsé est une chose répugnante, qui cause du déplaisir – par exemple un pot de chambre –, les sages permettent de le déplacer directement (cf. § 12).

L’interdit réside dans le fait de déplacer le mouqtsé, c’est-à-dire de le faire directement bouger ; en revanche, il est permis de toucher un objet mouqtsé sans le déplacer. Il est donc permis, le Chabbat, d’étendre une nappe sur un ordinateur, sur un téléphone ou sur un autre objet mouqtsé. Pour un besoin permis, on peut déplacer l’objet mouqtsé de manière indirecte : par exemple, si l’on a besoin de prendre en main un objet ou un aliment, et que, en le prenant, on fasse bouger le mouqtsé qui se trouve à côté de lui, il n’y a pas d’interdit, tant que l’on ne touche pas le mouqtsé de ses mains. Mais lorsque le propos est de déplacer le mouqtsé afin de le garder, il est interdit de le faire, même indirectement ; en effet, dès lors que l’on provoque le déplacement manuellement, même de manière indirecte – par exemple par l’intermédiaire d’un balai –, l’acte est interdit. En revanche, il est permis de provoquer le déplacement corporellement, par exemple en poussant l’objet du pied ou du coude, sans se servir de ses mains (cf. § 14).

Quand il n’est pas certain qu’une chose soit, dans les faits, mouqtsé – par exemple, si l’on a trouvé des fruits sous un arbre, et que l’on ne sache pas s’ils sont tombés avant ou pendant Chabbat –, il faut être rigoureux (Beitsa 24b, Choul’han ‘Aroukh 325, 5). Mais quand il y a une controverse portant sur la halakha, certains décisionnaires estimant qu’une chose est mouqtsé, les autres pensant le contraire, la halakha est conforme à l’opinion indulgente (Beit Yossef 279, 4, Cha’ar Hatsioun 309, 24).

03. Mouqtsé par nature (mouqtsé me’hamat goufo)

Toute chose qui ne convient à aucun usage pendant Chabbat a le statut de mouqtsé par nature (mouqtsé me’hamat goufo, littéralement « mouqtsé en raison de soi-même »), ce qui signifie que c’est en raison de son être même, qui n’est d’aucun usage pendant Chabbat, que la chose est mouqtsé. Dans cette catégorie, nous trouvons les pierres, les animaux, les pièces de monnaie, le gravier, la terre, les arbres et leurs branches, les feuilles, et toutes les sortes de déchet ; de même, le corps d’un mort.

Il est interdit de déplacer cette catégorie de mouqtsé, même pour un besoin portant sur une chose permise. Par exemple, il est interdit de prendre une pierre pour qu’elle serve à maintenir une porte ouverte ou fermée, ou pour casser des noix. Si l’on veut lever l’interdit de mouqtsé pesant sur la pierre, il faudra, avant Chabbat, spécifier en pensée qu’elle servira à cet usage – maintenir la porte, ou casser des noix – de manière permanente ; ou bien encore, s’en servir une fois à cet effet durant la semaine (Choul’han ‘Aroukh 308, 20 et 22).

De même, le sable est mouqtsé, et il est interdit d’en recouvrir des saletés. Mais si, avant Chabbat, on a placé du sable à cette fin en un endroit déterminé, ce sable ne sera pas mouqtsé (Choul’han ‘Aroukh 308, 38). Dans le même sens, du sable qui a été déposé dans un bac pour les besoins des jeux d’enfants n’est pas mouqtsé (cf. ci-dessus, chap. 15 § 2).

Quand des aliments sont interdits à la consommation et que l’on a l’intention de les rendre comestibles après Chabbat – par exemple des fruits pour lesquels on n’a pas procédé aux prélèvements et dîmes (téroumot et ma’asserot), ou du pain sur lequel on n’a pas fait le prélèvement rituel (la ‘hala) –, ils sont mouqtsé (Maïmonide, Chabbat 25, 19). Mais de la viande non cachère (taref), que l’on a l’intention de donner à un non-Juif, n’est pas mouqtsé. De même, de la viande taref que l’on a l’intention de donner à un animal n’est pas mouqtsé (Choul’han ‘Aroukh 324, 7).

Quand des aliments seraient comestibles en cas de nécessité pressante, ils ne sont pas mouqtsé. Mais s’ils ne sont pas comestibles sans qu’on les cuise, que ce soit à l’eau ou au four – par exemple la farine, les pommes de terre, les haricots, la viande crue, le poisson cru –, ils sont mouqtsé. Et bien qu’ils puissent convenir à des animaux, ils n’en sont pas moins mouqtsé, car on n’a pas l’habitude de donner à des animaux des aliments destinés aux personnes.

En cas de nécessité pressante, lorsque le congélateur a cessé de fonctionner, et que la viande et le poisson qui s’y trouvent risquent de s’abîmer, on s’appuie sur ceux des décisionnaires qui estiment que, puisque ces aliments sont propres à être consommés par un chien, ils ne sont pas mouqtsé ; il est donc permis de les transférer dans un autre congélateur[2].

Les animaux sont mouqtsé, car ils ne sont d’aucun usage pendant Chabbat. En cas de nécessité, nos sages autorisent à les saisir et à les traîner afin de leur donner à manger, ou afin de les protéger ; mais il est interdit de les soulever (cf. ci-dessus chap. 20 § 3). Les animaux de compagnie, que l’on a l’habitude de soulever constamment pour jouer avec eux, ne sont pas mouqtsé (chap. 20 § 5).

Les déchets alimentaires qui sont consommables par un chien ou un chat ne sont pas mouqtsé : même si le propriétaire des déchets n’a ni chien ni chat, dès lors que des chiens et des chats se trouvent dans la ville, les déchets sont potentiellement utilisables, et ne sont donc pas mouqtsé. Par conséquent, les os ne sont pas mouqtsé, puisqu’ils sont consommables par les chiens et les chats. Par contre, les déchets alimentaires qui ne sont consommables ni par les hommes ni par les bêtes – comme l’enveloppe des graines ou les coquilles de noix, les pépins, les arêtes de poisson, sont mouqtsé. De même, les restes alimentaires consommables par des animaux que l’on ne trouve pas dans les environs sont mouqtsé (Choul’han ‘Aroukh 308, 29. Les noyaux d’abricot, avec lesquels les enfants ont coutume de jouer, et qui ont été extraits du fruit pendant Chabbat, ne sont pas mouqtsé ; cf. Chemirat Chabbat Kehilkhata 16, note 33).


[2]. Le Choul’han ‘Aroukh 308, 31-32 explique que la viande crue n’est pas mouqtsé, car certaines personnes ont l’usage de la manger ainsi, mais que le poisson cru, qu’il n’est pas d’usage de manger, est mouqtsé. Selon le Maguen Avraham et les décisionnaires qui partagent son avis, la viande de poulet tendre n’est pas mouqtsé ; mais si elle est dure, et donc impropre à la consommation, elle est mouqtsé. Pour le Taz 20, si le poisson est propre à la consommation d’un chien, bien qu’on ne le donne pas effectivement aux chiens, il n’est pas mouqtsé. Cf. Michna Beroura et Béour Halakha, qui inclinent dans le sens du Choul’han ‘Aroukh. Et puisque, de nos jours, on ne mange pas de viande crue, celle-ci est mouqtsé. Cependant, puisque certaines personnes donnent à leurs chiens de la viande ou du poisson qui seraient consommables par l’homme, on peut s’appuyer sur les propos du Taz en cas de nécessité pressante. C’est ce qu’écrivent le Yalqout Yossef II p. 359 et le Or’hot Chabbat 19, 118.

04. Mouqtsé par valeur (mouqtsé me’hamat ‘hesron kis)

Les objets de valeur qui n’ont pas d’utilité pendant Chabbat, et que l’on a toujours soin de ne pas ôter de leur place à moins d’avoir à en faire un usage spécifique, cela afin qu’ils ne s’abîment ni ne se perdent, sont appelés mouqtsé par valeur (mouqtsé me’hamat ‘hesron kis, littéralement « mouqtsé en raison d’une perte financière »)[b]. Par exemple, les couteaux particuliers qu’utilisent les abatteurs rituels et les corroyeurs sont mouqtsé ; même si l’on souhaite seulement s’en servir pour couper ses aliments, il est interdit de les prendre (Chabbat 123b, 157a, Choul’han ‘Aroukh 308, 1).

Dans cette catégorie, nous trouvons : les instruments de musique, ordinateurs de poche, appareils photo, mixeurs, etc. Même pour les besoins d’une chose permise – par exemple poser l’objet sur les pages d’un livre afin qu’elles ne tournent pas au gré du vent –, il est interdit de les déplacer. De même, il est interdit, le Chabbat, de s’envelopper dans une étoffe précieuse destinée au travail de couture. En revanche, les ustensiles précieux que l’on a l’habitude d’utiliser pendant Chabbat ne sont pas mouqtsé : par exemple, une montre en or, des lunettes, une loupe de lecture.

Au titre du mouqtsé par valeur, nous trouvons encore : les billets de banque, documents commerciaux importants, cartes d’identité, cartes de crédit, timbres, parchemins de scribe (sofer), papiers à lettre particuliers, dont on a soin de ne pas se servir à d’autres usages (Chemirat Chabbat Kehilkhata 20, 20).

De même, une pendule murale, un tableau précieux, que l’on veille à ne pas déplacer sans raison de peur qu’ils ne s’abîment, sont mouqtsé par valeur (Michna Beroura 308, 168). Une grande armoire, que l’on a soin de ne pas déplacer sans raison de crainte qu’elle ne s’abîme, est également mouqtsé par valeur (Michna Beroura 308, 8). L’interdit porte sur le déplacement de l’armoire dans son ensemble ; en revanche, il est permis d’en ouvrir les portes et les tiroirs qui sont destinés à un usage permanent.

Les verres, assiettes ou vêtements destinés à la vente sont mouqtsé par valeur, car les commerçants veillent généralement à ce qu’il n’en soit pas fait usage. Mais quand un commerçant n’est pas pointilleux à ce sujet, les objets de ce type se trouvant dans son patrimoine ne sont pas mouqtsé. Les commerçants en alimentation n’ont pas l’usage de veiller de façon pointilleuse à ce que l’on ne mange pas de leur marchandise ; aussi, les articles qui sont dans leurs magasins et leurs dépôts ne sont-ils pas mouqtsé (Beit Yossef, Rama 308, 1, Michna Beroura 6-7, Choul’han ‘Aroukh 310, 2, Michna Beroura 4).


[b]. C’est-à-dire en raison de la perte financière qu’entraînerait leur endommagement ou leur perte.

05. Support d’une chose interdite (bassis lédavar ha-assour)

Quand, sur un objet dont l’utilisation est permise, a été posé un objet mouqtsé afin que celui-ci y reste pendant Chabbat, l’objet originellement permis devient[c], lui aussi, mouqtsé, car il sert de support à une chose interdite. Par exemple, si l’on dépose de l’argent sur une table, et quoique la table en tant que telle ne soit pas mouqtsé, elle le devient en tant que support d’une chose interdite, puisque l’on y a déposé de l’argent qui, lui, est mouqtsé. En d’autres termes, dans la décision de poser de l’argent sur la table, est inscrite l’intention tacite de ne pas se servir de cette table pendant Chabbat ; celle-ci devient mouqtsé comme l’argent qui est posé sur elle. Même si l’argent en tombe pendant le Chabbat, puisque la table était mouqtsé au coucher du soleil, elle le reste pendant tout le Chabbat (Choul’han ‘Aroukh 310, 7). En revanche, si l’on ne projetait pas que l’argent resterait là tout le Chabbat, mais qu’on l’a simplement oublié sur la table, cette dernière n’est pas devenue mouqtsé, puisque l’on n’a pas décidé d’en faire le support d’une chose interdite. Toutefois, a priori, il ne faut pas la déplacer avec le mouqtsé qui s’y trouve ; on pourra pencher la table pour que l’argent tombe de côté, puis on la déplacera à l’endroit voulu. Si la chute de l’objet mouqtsé est de nature à lui causer un dommage, par exemple s’il s’agit d’un ordinateur de poche, ou que le mouqtsé posé sur la table soit une pierre et que, près de la table, se trouvent des objets en verre qui pourraient être brisés par la chute, il sera permis de déplacer la table avec le mouqtsé qui s’y trouve, vers un endroit où l’on pourra pencher la table sans causer de dommage (Chabbat 142b, Choul’han ‘Aroukh 309, 4 ; 277, 3 ; cf. ci-après, § 14).

La règle est la même pour un ordinateur portable posé sur un livre, des chandeliers précieux posés sur un plateau, des couteaux précieux placés dans un sac, des pommes de terre crues dans un tiroir, une boîte de bienfaisance (tsédaqa) sur la tribune centrale d’une synagogue (bima) : s’ils ont été placés intentionnellement, l’objet sur lequel ils sont placés prend le statut de support d’une chose interdite, et devient mouqtsé comme eux. Mais s’ils y ont été oubliés, l’objet sur lequel ils sont placés n’est pas mouqtsé.

Parfois, on veut placer l’objet mouqtsé dans une armoire, mais, comme on n’y trouve pas de place libre, on le pose sur un vêtement qui, lui, est dans l’armoire. Dans un tel cas, les décisionnaires sont partagés quant au fait de savoir si cette pose rend le vêtement mouqtsé. Certains disent que, puisque, en pratique, c’est consciemment que le mouqtsé a été posé sur le vêtement, ce dernier est devenu le support d’une chose interdite (Touré Zahav). D’autres disent que, puisque l’intention ne visait pas le fait que le mouqtsé fût placé sur ce vêtement en particulier, et que l’association des deux objets est le produit du hasard, le vêtement n’est pas devenu le support d’une chose interdite (Maguen Avraham). En pratique, en cas de nécessité, on peut être indulgent (Michna Beroura 309, 18)[3].

Si l’on trouve de l’argent ou d’autres objets mouqtsé dans la poche de son vêtement : puisque, de prime abord, on les y a oubliés, le vêtement n’est pas devenu le support d’une chose interdite. Mais pour ne pas continuer d’aller avec du mouqtsé dans sa poche, on tâchera de le secouer de son vêtement. Si l’on a honte de faire cela en public, ou que l’on craigne que l’objet mouqtsé ne se perde, on pourra continuer de porter son vêtement, jusqu’à ce que l’on arrive à un endroit où l’on pourra le secouer de son mouqtsé sans crainte de perte ni de honte[4].


[c]. Pendant la durée de ce Chabbat.

[3]. Si l’intention était que le mouqtsé fût placé sur la chose permise pendant une partie du Chabbat, Rabbénou Tam estime, contrairement à Rachi, que la chose permise n’est pas devenue le support d’une chose interdite. Le Choul’han ‘Aroukh 309, 4 penche pour la rigueur ; mais en cas de nécessité pressante, on peut être indulgent (Michna Beroura 21). De même, les Richonim sont partagés dans le cas où le mouqtsé a été posé pendant le Chabbat, volontairement, par son propriétaire [par exemple, si ce dernier, s’apercevant qu’il avait un objet mouqtsé en poche, l’a mis sur un bureau]. Selon Tossephot, tant que le mouqtsé se trouve sur le support, celui-ci est également mouqtsé ; selon le Or Zaroua’, le support n’est pas mouqtsé ; pour le Rachba et le Ran, si l’intention était que l’objet mouqtsé restât sur le support jusqu’à l’expiration du Chabbat, le support est mouqtsé, tant que l’objet reste posé sur lui. Le Michna Beroura 206, 26 adopte l’opinion indulgente ; cf. Béour Halakha 310, 7, ד »ה מטה.

Le support n’est interdit que lorsqu’il sert le mouqtsé qui le surplombe ; mais si c’est le mouqtsé qui sert l’objet sur lequel il est placé, ce dernier n’est pas interdit. Par conséquent, si l’on a placé une pierre sur un tonneau afin que le bouchon ne s’ouvre pas, ou que l’on ait mis des morceaux de laine mouqtsé sur une casserole pour conserver sa chaleur, le tonneau ou la casserole ne sont pas devenus mouqtsé (Choul’han ‘Aroukh 259, 1, Michna Beroura 9).

 

[4]. Si l’on a intentionnellement placé de l’argent dans la poche de son vêtement, et que l’on ait voulu ensuite, pendant Chabbat, porter ledit vêtement : dans le cas où la partie principale du vêtement constitue l’un des côtés de la poche, comme dans le cas d’une poche de chemise, la chemise devient support d’une chose interdite, et il est interdit de la déplacer. Mais si la poche est simplement cousue dans le vêtement, comme l’est la poche d’un pantalon, le vêtement n’est pas considéré comme support de ce qui se trouve dans la poche, car la poche est annexe au vêtement, et il est permis de déplacer celui-ci. Mais quand c’est possible, on secouera le mouqtsé de la poche, à condition de ne point introduire la main dans la poche, ni de toucher celle-ci de l’extérieur pour la secouer des pièces qui s’y trouvent, car la poche elle-même est mouqtsé (Rama 310, 7, Michna Beroura 29-30 ; cf. Chemirat Chabbat Kehilkhata 20, note 275). Si l’on a seulement attaché une poche à un vêtement, et que de l’argent soit dans la poche, le vêtement devient support d’une chose interdite : puisque la poche n’est pas cousue dans le vêtement, elle n’est pas annexe à celui-ci.

06. Suite

Dans le cas d’un plateau sur lequel on a placé des objets divers, les uns mouqtsé, les autres non mouqtsé : si les objets mouqtsé sont plus importants, à ses yeux, que les autres, le plateau prend le statut de support d’une chose interdite ; mais si ce sont les objets permis qui sont plus importants à ses yeux, le plateau n’est pas mouqtsé (Choul’han ‘Aroukh 310, 8). Par exemple : sur une table, sont posés des veilleuses de Chabbat et des pains tressés (‘halot). Si les veilleuses sont d’argile, ce sont les ‘halot qui sont les plus importantes, et il est permis de déplacer la table. Mais si les veilleuses sont sur des chandeliers d’argent, ces chandeliers, mouqtsé par valeur (mouqtsé me’hamat ‘hesron kis), sont plus importants que les ‘halot : la table est donc le support d’une chose interdite, et il est défendu de la déplacer. Toutefois, si les chandeliers sont sur un plateau, et que le plateau soit lui-même sur une table, seul le plateau est considéré comme support d’une chose interdite, tandis qu’il sera permis de déplacer la table. En effet, sur le support d’un support, il n’y a pas d’interdit[5].

Si l’on a déposé du mouqtsé sur le bien d’autrui, on n’a pas pour autant fait de ce bien le support d’une chose interdite, car on ne saurait interdire le bien d’autrui à son insu ; mais si l’on a fait cela à sa demande, ou bien encore à son gré, le bien devient support d’une chose interdite (Rama 309, 4, Michna Beroura 27).

Même quand le support est beaucoup plus précieux que le mouqtsé qui s’y trouve, dès lors qu’il a cette fonction de support à l’égard de celui-ci, il devient lui-même mouqtsé. Mais quand le mouqtsé n’a aucune importance par rapport au support sur lequel il est placé, il ne rend pas interdit ce dernier. Par conséquent, si l’on a posé une simple pièce de monnaie (de faible valeur) sur une table, ou des os sur une assiette, la table ou l’assiette ne sont pas considérées comme support d’une chose interdite, puisque le mouqtsé n’a pas d’importance par rapport à elles. De même, quand l’usage essentiel du support n’est pas de servir de support – par exemple quand il s’agit de la porte d’une armoire, ou de la porte d’un réfrigérateur, à laquelle sont attachés des tiroirs où se trouvent des objets mouqtsé –, la porte n’est pas considérée comme support du mouqtsé, puisque l’objet essentiel de la porte est de servir à l’ouverture de l’armoire ou du réfrigérateur, et non de servir de support à ce que contiennent les tiroirs qui lui sont attachés (Michna Beroura 310, 31 ; 277, 7 ; Chemirat Chabbat Kehilkhata 20, 77).

Quand une table a pris le statut de support d’une chose interdite, il est défendu de la déplacer ; en revanche, il reste permis d’y manger et d’y étudier, sans la déplacer. De même, il est permis d’en tirer ou d’en rabattre les rallonges, à condition de ne pas déplacer directement la partie sur laquelle se trouve le mouqtsé. Si la table a des tiroirs, il est permis de se servir de ces derniers, tant que l’on ne déplace pas la table elle-même (Téhila lé-David 310, 7, Chemirat Chabbat Kehilkhata 20, 61).


[5]. Le fait que le déplacement de la table entraîne celui des chandeliers est seulement considéré comme un déplacement indirect accompli pour les besoins d’une chose permise. Certains auteurs, indulgents, estiment que des chandeliers d’argent ont seulement le statut de mouqtsé par destination (keli ché-melakhto lé-issour) ; dès lors, selon eux, il est permis de les déplacer pour le besoin de l’objet même (tsorekh goufo) ou de la place qu’il occupe (tsorekh meqomo) (Rabbi Aqiba Eiger) [cf. paragraphe suivant]. Cependant, il n’y a pas lieu de s’appuyer sur cette considération, car de tels chandeliers sont très onéreux, et il faut les considérer comme mouqtsé par valeur (‘Hazon Ich 44, 13, Yalqout Yossef II p. 334, Pisqé Techouvot 279, 1 ; cf. Chemirat Chabbat Kehilkhata 20, 61 et note 242).

 

Les décisionnaires sont partagés quant à la règle applicable au support d’un mouqtsé par destination (keli ché-melakhto lé-issour) : certains estiment que le support devient mouqtsé au même degré que l’objet qui est placé sur lui ; dès lors, il sera permis de le déplacer pour un usage autre que sa destination première (tsorekh goufo), ou pour libérer le lieu qu’il occupe (tsorekh meqomo) (Téhila lé-David 308, 1). D’autres pensent que, puisque le mouqtsé par destination n’est pas un mouqtsé au plein sens du terme, il ne rend pas interdit son support (Yechou’ot Ya’aqov ; cf. Chemirat Chabbat Kehilkhata 20, 50). Puisqu’il s’agit d’une règle rabbinique, la halakha est conforme à l’opinion indulgente.

 

Dans le cas d’une table à tiroir, dans le tiroir de laquelle on a mis des objets mouqtsé importants : s’il est possible d’extraire le tiroir de la table, la table prend le statut de support du tiroir et du mouqtsé qui s’y trouve, de sorte qu’il est interdit de la déplacer (tout comme la poche attachée à un vêtement, dont nous parlions dans la note précédente). S’il est impossible d’extraire le tiroir de la table, le tiroir est considéré comme accessoire à la table (comme la poche ordinaire, cousue dans un pantalon), et le mouqtsé qui s’y trouve ne rend pas la table interdite ; par contre, le tiroir lui-même est mouqtsé (Michna Beroura 310, 31).

07. Mouqtsé par destination (kelim ché-melakhtam lé-issour)

Les kelim ché-melakhtam lé-issour, littéralement « instruments servant à un travail interdit », sont des instruments et objets qui servent habituellement à accomplir des actions interdites pendant Chabbat. Ainsi d’un marteau, de ciseaux, d’une aiguille, de tenailles, d’un annuaire téléphonique. Puisqu’ils sont destinés à des usages interdits pendant Chabbat, ils sont mouqtsé. Cependant, d’un autre point de vue, puisqu’il est également possible de s’en servir pour des actes permis, on ne les écarte pas entièrement de sa pensée. Par conséquent, nos sages leur ont donné un statut intermédiaire : généralement parlant, ils sont mouqtsé, et s’ils sont déposés dans un lieu où ils risquent de subir un dommage ou d’être volés, il est interdit de les déplacer ; en revanche, il est permis de les déplacer pour faire un usage autre de l’objet même (tsorekh goufo, « parce que j’ai besoin de l’objet, pris intrinsèquement »), ou pour libérer le lieu qu’ils occupent (tsorekh meqomo ; Choul’han ‘Aroukh 308, 3).

Tsorekh goufo (« pour le besoin que l’on a de l’objet même », en en faisant un usage autre que celui pour lequel il est conçu) : cela consiste à se servir de l’objet pour accomplir une action permise[d]. Par exemple, utiliser un marteau pour casser des noix, des ciseaux pour ouvrir un sachet de lait, une aiguille pour extraire une épine plantée dans la chair[e], des tenailles pour ouvrir ou fermer un robinet qui n’a pas de poignée, un annuaire téléphonique pour y trouver l’adresse d’un ami. Mais si l’on peut atteindre le même résultat sans se servir d’objets habituellement destinés à un usage interdit, il ne faut pas s’en servir (Michna Beroura 308, 12).

Tsorekh meqomo (« pour les besoins de la place ») : si un instrument destiné à un usage interdit se trouve en un endroit que l’on a besoin d’utiliser – par exemple s’il est placé sur une table où l’on veut poser des aliments ou des livres, ou sur un lit où l’on veut dormir, ou encore sur une chaise où l’on veut s’asseoir –, il est permis de déplacer l’instrument. De même, quand l’instrument est posé sur le sol, à un endroit où les gens qui passent risqueraient de trébucher, il est permis de l’enlever. Dans le même sens, si la porte d’une machine à laver est ouverte, et que la machine se trouve en un lieu de passage, il est permis de la fermer. Quand un tel objet, essentiellement destiné à un usage interdit, gêne l’ouverture ou la fermeture d’une fenêtre, il est permis de l’enlever.

Dès lors que l’on a déjà soulevé l’objet pour « un usage intrinsèque » (tsorekh goufo) ou pour les besoins de la place qu’il occupait (tsorekh meqomo), il est permis de l’apporter jusqu’à l’endroit où il sera en sûreté (Choul’han ‘Aroukh 308, 3 ; cf. ci-après § 15)[6].

Autres exemples d’instruments destinés à une utilisation interdite : stylos, crayons, taille-crayons, pinceaux, papier à écrire, carnets de factures, papier de verre, papier carbone, bougies, allumettes, clous, cigarettes[7].

Il y a des instruments destinés à une utilisation interdite, tels qu’un couteau spécial pour artisan, ou un petit marteau pour la taille des diamants, que l’on a soin de ne pas utiliser à autre chose que ce pour quoi ils sont faits. Par conséquent, ils ont statut de mouqtsé par valeur (mouqtsé me’hamat ‘hesron kis). Dès lors, leur régime est plus sévère : il est interdit de les déplacer pour un usage « intrinsèque » ou pour libérer la place qu’ils occupent (cf. § 4).

Appareils électriques : les ventilateurs, lave-linge, réfrigérateurs, ainsi que les autres appareils qui ne sont pas dotés d’un filament, ont le statut de mouqtsé par destination. Mais les appareils électriques dotés d’un filament ou d’un élément chauffant, tels que les lampes, fourneaux, radiateurs, plaques chauffantes (plata), s’ils étaient allumés au crépuscule de l’entrée de Chabbat, ont statut de mouqtsé par nature, et il est interdit, pendant tout le Chabbat, de les déplacer, même pour un usage permis ou pour en libérer la place. S’ils sont éteints, et n’étaient pas non plus allumés pendant le crépuscule à l’entrée de Chabbat, leur statut est celui de mouqtsé par destination : il est permis de les déplacer pour un usage permis (tsorekh goufo) ou pour libérer la place qu’ils occupent (tsorekh meqomo)[8].


[d]. Tsorekh goufo signifie littéralement « pour les besoins de son corps », c’est-à-dire pour l’usage que l’utilisateur veut tirer des propriétés mêmes de l’objet (le « corps » de l’objet), dans le but d’accomplir un acte permis le Chabbat. C’est ce que nous avons tenté d’exprimer par la formule « pour le besoin que l’on a de l’objet même ». Dans la suite du texte, afin de ne pas en alourdir la lecture, nous traduirons tsorekh goufo par « besoin intrinsèque », ou « usage intrinsèque », c’est-à-dire : usage de l’objet pris intrinsèquement.

 

[e]. En cas de souffrance importante, et en faisant attention de ne pas provoquer le saignement.

[6]. Bien qu’il soit interdit de déplacer de tels ustensiles (destinés à une utilisation interdite) dans le but de les préserver du vol ou d’un dommage, il est permis d’utiliser à cette fin un moyen détourné : on peut déplacer l’objet pour un besoin « intrinsèque » ou pour libérer la place qu’il occupe, puis le ranger à une place où il ne sera ni volé ni abîmé (Michna Beroura 308, 16, Yalqout Yossef II p. 412).

 

[7]. Les choses destinées à une utilisation interdite le Chabbat, mais qui ne sont pas des ustensiles – par exemple des bûches destinées au feu, du pétrole, du savon pâteux ou dur, de la poudre à laver, du cirage pour chaussures – ont le statut de mouqtsé par nature (mouqtsé me’hamat goufo). Il est interdit de les déplacer, même pour un usage permis ou pour libérer la place qu’ils occupent (Michna Beroura 308, 34, Or’hot Chabbat 19, 7).

 

[8]. Le statut d’un filament électrique qui brûlait pendant le crépuscule (bein hachmachot, entre le coucher du soleil et la tombée de la nuit) est semblable à celui d’une bougie : c’est un mouqtsé parfait, comme l’explique le Choul’han ‘Aroukh 279, 1. Certains auteurs, il est vrai, pensent que le filament électrique diffère d’une flamme, car on n’a pas l’habitude de déplacer une flamme, tandis qu’on a l’habitude de déplacer des appareils électriques dotés d’un filament. Aussi estiment-ils que leur statut est celui de mouqtsé par destination (‘Hazon Ich 41, 16, Igrot Moché 3, 50). Cependant, selon la majorité des décisionnaires, un filament électrique a même statut qu’une flamme, et l’appareil électrique, dans son ensemble, est l’accessoire et le support de ce filament ; aussi, est-ce un mouqtsé parfait, un mouqtsé par nature (Chemirat Chabbat Kehilkhata 20, 15*, Min’hat Yits’haq III 43, Yalqout Yossef II p. 425-426, Menou’hat Ahava I 24, 34, Or’hot Chabbat 19, 181-184). Cf. Har’havot.

08. Ustensiles destinés à des usages dont certains sont permis, d’autres interdits

Les ustensiles qui sont à la fois destinés à des usages interdits et à des usages permis suivent, quant à leur statut, la majorité de leur usage (Peri Mégadim, Michna Beroura 308, 10). Par conséquent, un couteau suisse doté de ciseaux n’est pas mouqtsé, car il comprend une majorité de lames de couteau, qui servent à couper la nourriture ; seule la partie ciseaux ne doit pas en être déplacée. De même, une montre dotée d’un ordinateur intégré n’est pas mouqtsé, car la partie principale de cet objet est destinée à un usage permis : lire l’heure. Mais un téléphone portable doté d’une montre est un objet dont l’usage essentiel est de téléphoner ; c’est donc un mouqtsé par destination (instrument destiné à un usage prohibé), qu’il est interdit de déplacer pour un besoin propre à l’objet (le protéger d’un dommage ou d’un vol), mais qu’il est permis de déplacer pour un besoin « intrinsèque » (se servir de l’objet pour accomplir un acte permis le Chabbat : voir l’heure) ; toutefois, il ne faut pas le mettre à cette fin dans sa poche. De même, il est permis de le déplacer pour en libérer la place ; par exemple, si l’on a besoin de la place occupée par le téléphone, ou qu’un réveil se soit mis à sonner et que l’on veuille l’éloigner pour que la sonnerie ne dérange plus son repos. De même, une marmite est, par un côté, mouqtsé par destination, car sa destination essentielle est de cuire les aliments ; mais, quand elle contient un mets cuit, la marmite est accessoire par rapport au mets, et il devient permis de la déplacer. Puis, une fois que l’on a terminé d’en extraire les aliments, et bien que l’on n’ait pas besoin de la place occupée par la marmite, on peut la débarrasser de la table, car on assimile la marmite à un objet dérangeant, comme le serait un pot de chambre (Michna Beroura 308, 20, Béour Halakha, passage commençant par keli ; cf. ci-après § 12).

Un four de cuisson, bien qu’il serve également au rangement de moules et de pâtisseries, a statut de mouqtsé par destination, puisque sa destination essentielle est la cuisson. Toutefois, il est permis d’ouvrir la porte du four pour en sortir des aliments : on considère ce déplacement comme étant fait « pour les besoins de la place » (tsorekh meqomo). Et si l’on veut introduire des aliments dans le four pour les y ranger, on pourra ouvrir la porte du four, puis la refermer : on considèrera ce déplacement accompli pour un « usage intrinsèque » (tsorekh goufo ; Chemirat Chabbat Kehilkhata 20, 79).

Les téphilines ont statut de mouqtsé par destination, puisqu’il est interdit de les mettre pendant le Chabbat et les jours de fête (Yom tov ; Choul’han ‘Aroukh 31, 1). Aussi, ce n’est que pour un « usage intrinsèque » (tsorekh goufo) ou pour les besoins de la place qu’elles occupent (tsorekh meqomo) qu’il sera permis de les déplacer. Usage intrinsèque : si l’on veut les mettre en tant que ségoula[f], par exemple pour échapper à un danger. Nécessité de la place : par exemple, si les téphilines sont rangées dans un étui avec le talith, et que l’on veuille extraire les téphilines de l’étui afin de pouvoir prendre le talith dans son étui (Touré Zahav et Maguen Avraham). En cas de nécessité pressante, lorsque les téphilines risquent d’être endommagées, il est permis de les déplacer sans autre nécessité (Michna Beroura 31, 2, Béour Halakha).

Un pot de fleurs est mouqtsé par destination, puisque l’on a l’habitude d’en faire un usage qui, le Chabbat, serait interdit : planter, arroser, couper. Mais pour un « usage intrinsèque », c’est-à-dire pour décorer la table, ou encore pour libérer la place qu’il occupe, il est permis de le déplacer (cf. ci-dessus, chap. 19 § 10).


[f]. Remède mystique, comportement approprié pour obtenir un bienfait recherché, protection, ascension spirituelle, fécondité, abondance… Mettre les téphilines en tant que ségoula est un usage autre que celui pour lequel elles sont principalement prévues : accomplir la mitsva toranique des téphilines.

09. Objets destinés à un usage permis ; aliments et livres

Les objets destinés à un usage permis (kelim ché-melakhtam lé-heter), tels qu’une table, des chaises, un lit, un oreiller, une bouteille thermos, une montre, un balai, peuvent être déplacés pour un quelconque besoin ; mais il est interdit de les déplacer sans raison. À l’époque de Néhémie, quand de nombreux Israélites manquaient à l’observance du Chabbat, il fut décrété que l’on ne déplacerait pas du tout d’ustensiles. Quand on en revint à l’observance de la halakha, il fut de nouveau autorisé de déplacer les ustensiles destinés à un usage permis, mais on maintint l’interdit de déplacer ces objets sans nécessité. Cela, afin que l’on fasse attention, le Chabbat, à ce que font ses mains, que l’on n’agite pas d’instruments sans raisons. De cette manière, on prendra garde de trébucher dans quelque interdit de Chabbat. De plus, le Chabbat, on doit être en état de repos intérieur ; or le repos des mains, le fait qu’elles ne soient pas occupées à balancer ni à ballotter sans utilité des objets, participe de ce repos intérieur.

Toutefois, concernant les aliments, les livres, les vêtements et les bijoux, aucun interdit n’a été prononcé, car c’est précisément par eux que l’on se délecte du Chabbat. Il est donc permis de les déplacer, même sans aucune utilité.

Les décisionnaires sont partagés quant aux ustensiles dont on se sert constamment, comme les couverts, assiettes et verres. Certains pensent que leur statut est semblable à celui des aliments, pour lesquels il n’y a aucune limitation[g]. D’autres estiment que leur statut est celui d’objets destinés à un usage permis (kelim ché-melakhtam lé-heter), qu’il est interdit de déplacer sans raison. Puisque les règles du mouqtsé sont de rang rabbinique, l’essentiel tient dans l’opinion indulgente. Toutefois, dans la mesure où de nombreux décisionnaires inclinent en cela à la rigueur, il est bon, a priori, de tenir compte de leur avis, et de ne point déplacer gratuitement de couverts, de verres et d’assiettes[9].


[g]. En dehors des aliments qui sont encore impropres à la consommation, lesquels sont mouqtsé par nature, comme on l’a vu au paragraphe 3.

[9]. Une baraïtha (Chabbat 123b) explique que, à l’époque de Néhémie, quand nombreux étaient ceux qui manquaient à l’observance du Chabbat, les sages décrétèrent que tous les ustensiles, à l’exception de trois catégories, seraient mouqtsé ; après que l’on fut revenu à une stricte observance du Chabbat, les sages permirent de nouveau, par une législation en trois étapes, de déplacer lesdits ustensiles. Rava commente : les sages ont permis de déplacer des objets destinés à un usage interdit (mouqtsé par destination) pour les seuls besoins de leur « usage intrinsèque » [cf. note d] ou de la place qu’ils occupent ; quant aux objets destinés à un usage autorisé, ils ont permis de les déplacer, non seulement pour un « usage intrinsèque » et pour libérer la place qu’ils occupent, mais aussi pour les faire passer du soleil à l’ombre, afin qu’ils ne subissent pas de dommage. Selon la majorité des Richonim, l’autorisation de déplacer les objets d’usage permis n’est accordée qu’en cas de besoin – par exemple, pour les faire passer du soleil à l’ombre –, mais non gratuitement. Telle est l’opinion du Ran et du Maguid Michné, qui comprend ainsi Maïmonide ; c’est aussi ce qu’incline à penser le Rachba, et c’est en ce sens que tranchent le Tour et le Choul’han ‘Aroukh 308, 4. Cependant, pour Rabbi Aaron Halévi et le Ritva, quand nos sages ont autorisé à faire passer les objets d’usage permis du soleil à l’ombre, ils ont également autorisé à déplacer lesdits objets sans la moindre nécessité. Les A’haronim prescrivent d’être rigoureux, conformément à la décision du Choul’han ‘Aroukh.

 

Toutefois, les aliments et les livres, qui n’ont jamais été interdits à titre de mouqtsé, peuvent être déplacés, selon tous les avis, sans aucune nécessité. Telle est aussi la règle des vêtements et des bijoux, comme l’écrit le Qtsot Hachoul’han 105 (Badé Hachoul’han 7), ce que le Chemirat Chabbat Kehilkhata 20, 83 retient comme halakha.

 

Les décisionnaires sont partagés quant aux ustensiles dont on se sert régulièrement pour manger. Selon Maïmonide (25, 1-3), le Chné Lou’hot Habrit, le ‘Hayé Adam 66, 3, le Ben Ich ‘Haï (seconde année, Miqets 1), et comme l’enseigne la Michna (Chabbat 123b), seuls trois ustensiles indispensables au service de la table échappaient à l’interdit de mouqtsé : « le couteau à gâteau de figues sèches, la cuiller à marmite (permettant, en semaine, d’ôter les déchets accumulés sur les rebords de la marmite) [selon R. Steinsaltz : “grande cuiller destinée à puiser la soupeˮ], et le petit couteau de table (dont on se sert pour couper le pain et la viande) » ; mais les autres ustensiles de table ont seulement le statut d’objets d’usage permis, qu’il est interdit de déplacer sans nécessité. En revanche, selon Tossephot (sur Chabbat 123b ד »ה מקצוע ), le Roch, Chilté Haguiborim, Téhila lé-David 308, 4, ‘Hessed Laalafim et Michna Beroura 308, 23, les trois ustensiles mentionnés par la Michna ne le sont qu’à titre d’exemples, et représentent l’ensemble des ustensiles utilisés de façon permanente pendant les repas ; si bien que les couverts, les verres et les assiettes ne sont en rien visés par les lois de mouqtsé. Le Rav Ovadia Yossef est rigoureux, et interdit même à l’homme nerveux de ballotter ces ustensiles pour calmer ses nerfs (Yalqout Yossef II p. 452-457). Certains auteurs rigoureux sont néanmoins indulgents sur ce point : c’est ce qui ressort du ‘Aroukh Hachoul’han 308, 15, et c’est ce qu’écrit le Chemirat Chabbat Kehilkhata 20, 83 : « Il est permis de déplacer [l’ustensile de table] quand on tire profit du seul fait de le déplacer et de s’en occuper, même sans en faire un usage réel. » Le Or’hot Chabbat 19, note 108 s’exprime de façon proche, au nom du ‘Hazon Ich.

10. Acquisition du statut de mouqtsé pendant le crépuscule

Toute chose qui est mouqtsé pendant le crépuscule (bein hachmachot) restera mouqtsé pendant tout le Chabbat, même si le motif pour lequel elle a contracté ce statut disparaît. Par conséquent, si l’on a laissé de l’argent sur une table, celle-ci devient mouqtsé au titre de support d’une chose interdite (mouqtsé par assimilation), et même si l’argent tombe de la table au milieu du Chabbat, la table restera mouqtsé, dès lors qu’elle l’était pendant la période de bein hachmachot (Choul’han ‘Aroukh 310, 7 ; cf. ci-dessus § 5). De même, quand une lampe à huile a été allumée avant l’entrée de Chabbat, il est interdit de la déplacer, même après son extinction, et il est également interdit d’utiliser l’huile restante : puisque la lampe était mouqtsé pendant bein hachmachot, elle le reste tout le Chabbat (Choul’han ‘Aroukh 279, 1, Michna Beroura 1). Dans le même sens, lorsqu’un instrument précieux, qui était mouqtsé par valeur, se casse pendant Chabbat, quelque utilisables que puissent être ses débris, ceux-ci restent mouqtsé tout le Chabbat, dès lors que l’instrument était mouqtsé au crépuscule (Michna Beroura 308, 35, d’après Maguen Avraham 308, 19).

Un objet n’est considéré comme mouqtsé que s’il rassemble les deux conditions suivantes : a) être impropre à l’usage au crépuscule ; b) que l’on ait exclu de son intention le fait de s’en servir. L’exemple classique est celui de figues et de raisins qui ont été placés dans l’arrière-cour d’une maison pour qu’ils y sèchent, jusqu’à ce qu’ils deviennent des figues sèches et des raisins secs. Pendant le processus de séchage, ces fruits sont impropres à la consommation, car ils sont effervescents ; de plus, ils sont également éloignés de la pensée de l’homme. Aussi, même si, durant le Chabbat, le processus de séchage s’achève et que ces fruits deviennent propres à la consommation, ils restent mouqtsé tout le Chabbat, puisqu’ils ont été écartés de la pensée pendant le crépuscule. Mais si une seule des deux conditions s’est réalisée, l’objet n’est pas rendu mouqtsé pendant tout le Chabbat. Par exemple, si l’on a placé des épis de blé sur le sol pour les utiliser comme semence : bien qu’on les ait écartés de sa pensée, ils ne sont pas devenus mouqtsé car, en pratique, ils n’étaient pas impropres à la consommation. Il est donc permis de les manger (Choul’han ‘Aroukh 310, 2).

De même, lorsqu’on sait que la chose qui est impropre à l’usage pendant le crépuscule deviendra propre à l’usage au cours du Chabbat, la chose n’est pas mouqtsé, puisqu’on ne l’a pas écartée de sa pensée. Exemple : une marmite a cuit sur la plaque chauffante (plata) à l’entrée de Chabbat. Bien que, pendant le crépuscule, le mets qu’elle contient ne soit pas consommable, on ne l’écarte pas de sa pensée, car on sait qu’il sera consommable par la suite. De même, si l’on suspend des vêtements mouillés à une corde, ils ne sont pas encore utilisables pendant bein hachmachot ; mais si le climat est tel qu’ils seront assurément secs au cours du Chabbat, on ne les exclut pas de sa pensée, et il sera permis de les déplacer quand ils auront séché (Levouché Séred, Chemirat Chabbat Kehilkhata 22, 11)[10].


[10]. Une marmite n’est pas mouqtsé. En effet, on n’a pas d’intérêt particulier que le mets cuise pendant bein hachmachot : on aurait été satisfait aussi bien s’il avait été cuit avant cela. En revanche, s’agissant des veilleuses, on souhaite qu’elles brûlent pendant le crépuscule, afin d’éclairer la maison ; par conséquent, on les écarte de sa pensée, de telle sorte qu’elles restent mouqtsé durant tout le Chabbat (Choul’han ‘Aroukh 279, 1). Mais si l’on a arrêté dans sa pensée que, après l’extinction des veilleuses, on utilisera l’huile restante, celle-ci ne sera pas mouqtsé après l’extinction, puisqu’il est certain que les veilleuses s’éteindront (Choul’han ‘Aroukh 279, 4). Toutefois, le Rama estime que, dès lors que l’huile était interdite pendant le crépuscule, il restera interdit de la déplacer pendant tout le Chabbat, et qu’il ne sert de rien d’émettre une condition contraire.

 

Le Michna Beroura 308, 63 écrit que des vêtements mouillés pendant le crépuscule restent mouqtsé pendant tout le Chabbat. Nombre de commentateurs estiment que le Michna Beroura vise un cas dans lequel il n’est pas certain que les vêtements sécheront pendant Chabbat, mais que, lorsqu’il est certain qu’ils sécheront, le Michna Beroura lui-même permettrait de les déplacer (Min’hat Chelomo I 10, 2, note 4, Min’hat Yits’haq I 81). D’autres pensent que l’intention du Michna Beroura est d’interdire ces vêtements, de crainte que l’on n’en vienne à les essorer afin de les faire sécher (Az Nidberou I 5). En tout état de cause, il est admis, en conclusion, que, dès lors que l’on sait que les vêtements sécheront, il sera permis de les déplacer, une fois secs, pendant Chabbat. C’est ce qu’écrivent le Liviat ‘Hen 37 et le Or’hot Chabbat 19, note 563, au nom du ‘Hazon Ich. Cf. Har’havot. Des fruits qui étaient attachés à l’arbre à l’entrée de Chabbat, et qui en sont tombés pendant Chabbat, sont mouqtsé durant toute la durée du jour, car ils n’étaient pas propres à la consommation au crépuscule, si bien qu’on les a écartés de sa pensée. En effet, si l’on avait projeté de les manger, on les aurait cueillis avant Chabbat (Choul’han ‘Aroukh 322, 3, Michna Beroura 7). De plus, nos sages ont interdit de tels fruits, de crainte qu’on n’en vienne à en cueillir d’autres pendant Chabbat (Beitsa 3a, Michna Beroura 325, 22) ; aussi, même si l’on sait qu’un non-Juif a l’intention de les cueillir pendant Chabbat, de sorte qu’ils ne sont pas mouqtsé, ils restent interdits au titre du décret des sages portant sur les fruits tombés de l’arbre (Cha’ar Hatsioun 26).

 

En revanche, si un animal était en vie à l’entrée de Chabbat, et qu’il ait été abattu rituellement pendant Chabbat pour les besoins d’un malade en danger, il sera permis, même au bien-portant, de manger de sa viande crue. En un tel cas, nous ne disons pas que la bête était mouqtsé au crépuscule, car ce n’est pas tout le monde qui sait exécuter l’abattage, si bien que, en n’abattant pas la bête avant Chabbat, on n’a pas manifesté sa décision de l’écarter de sa pensée, contrairement au cas des fruits que l’on n’a pas cueillis avant Chabbat (Choul’han ‘Aroukh 318, 2, Michna Beroura 8).