Pniné Halakha

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Chapitre 29 – L’érouv : jonction des domaines

01. Comment on modifie le statut du domaine public

Comme nous l’avons vu (au chapitre 21), il est permis, le Chabbat, de déplacer des objets à l’intérieur du « domaine particulier » (rechout haya’hid) ; par contre, dans le « domaine public » (rechout harabim), il est interdit de porter un objet sur une distance supérieure à quatre coudées (amot). De même, il est interdit de transférer un objet du domaine particulier au domaine public, et inversement.

Au moyen d’un érouv[a], on peut aménager le domaine public afin qu’il prenne le statut de domaine particulier. Grâce à cela, il devient permis de porter des objets au sein de ce domaine, sans limitation[b]; il devient également permis de transférer des objets depuis les maisons et les cours jusqu’à l’extérieur, et inversement.

L’érouv comporte deux éléments. L’un relève du domaine lui-même, l’autre des personnes qui y habitent. Le domaine doit être entouré d’une clôture afin d’en faire une entité unitaire, semblable à un domaine particulier. Mais il ne suffit pas d’entourer le terrain, il faut encore créer un partenariat entre toutes les personnes qui habitent à l’intérieur du territoire ainsi délimité. Ce partenariat est mis en place au moyen de nourriture, d’une quantité suffisante pour deux repas auxquels tous les habitants sont associés, et auxquels chacun d’eux est autorisé à venir manger. La nourriture commune est appelée, elle aussi, érouv (jonction), car elle joint les unes aux autres toutes les maisons et cours, faisant d’elles un domaine unifié, un domaine « privé » ou « particulier ».

Nous l’avons vu (chap. 21 § 8), il y a une différence entre le domaine public tel que le conçoit la Torah et le domaine public de rang rabbinique, appelé, lui, karmelit. Pour autoriser le port d’objet au sein d’un domaine public tel que la Torah le définit, il faut l’entourer d’une muraille ou d’une clôture haute d’au moins dix téfa’him (environ 1 mètre)[1], et les portes permettant d’y accéder doivent être fermées la nuit (Choul’han ‘Aroukh 364, 2).

S’il s’agit d’un domaine public de rang rabbinique – domaine dit karmelit –, il n’est pas nécessaire de l’entourer d’une véritable clôture : il suffit de l’entourer du dispositif appelé tsourat hapéta’h (« forme de portail »)[c] pour le transformer en domaine particulier (Ora’h ‘Haïm 362, 10-11).


[a]. Erouv : litt. mélange. Dispositif de jonction des domaines.

 

[b]. En dehors, bien sûr, des objets mouqtsé (cf. chap. 23).

[1]. Un téfa’h (plur. téfa’him), selon l’estimation de Rabbi ‘Haïm Naeh, fait 8 cm ; 10 téfa’him font donc 80 cm. Ce calcul est basé sur les propos de Maïmonide, lorsque celui-ci estime la valeur de la drachme. Or il apparaît que la drachme de l’époque de Maïmonide était d’un volume de 10% inférieur à la drachme turque, de sorte que l’estimation de Rabbi ‘Haïm Naeh doit être quelque peu revue à la baisse. Selon l’estimation révisée, 1 téfa’h fait 7,6 cm, si bien que 10 téfa’him font 76 cm. Il faut encore citer l’opinion du ‘Hazon Ich, qui s’appuie sur les propos du Noda’ Biyehouda, et évalue le téfa’h à 9,6 cm.

 

La halakha suit l’évaluation de Maïmonide – à laquelle adhèrent la très grande majorité des décisionnaires – révisée comme nous l’avons indiqué. Simplement, pendant environ deux générations, on a pris l’habitude de se conformer au calcul de Rabbi ‘Haïm Naeh ; et certains ont coutume d’être rigoureux, conformément à la mesure du ‘Hazon Ich. Il semble qu’il convienne a priori d’adopter la hauteur du ‘Hazon Ich (qu’il s’agisse d’une clôture, ou d’un érouv du type tsourat hapéta’h [tel que défini plus loin]). En effet, il arrive que le fil de l’érouv s’affaisse ; on s’éloigne donc du doute en adoptant une mesure plus élevée ; de plus, l’érouv est destiné au public, or en ce qui touche au public, il y a davantage lieu de tenir compte de toutes les opinions. Aussi, généralement, nous indiquerons dans la suite du texte que dix téfa’him équivalent à un mètre, bien que, si l’on s’en tient à la stricte obligation, on puisse adopter la mesure du Rav Naeh révisée. En revanche, s’agissant d’une brèche de 10 amot, qui invalide l’érouv, il y a lieu d’être rigoureux en adoptant cette fois la mesure du Rav Naeh révisée, ce qui donne 4, 56 m.

 

[c]. Deux poteaux réunis au sommet par une poutrelle ou un fil ; cf. § 2.

02. Tsourat hapéta’h (« forme de portail »)

Nous avons vu (au chapitre 21 § 7-8) que, selon la majorité des décisionnaires, les rues de notre temps sont considérées comme un domaine public de rang rabbinique, c’est-à-dire comme karmelit, et que, pour autoriser d’y transporter des objets, il suffit de les entourer de dispositifs dits tsourat hapéta’h (« forme de portail »), qui créent autour de ces rues une sorte de cloison.

La forme basique d’une telle ouverture se compose de deux poteaux surmontés d’un linteau. On peut obtenir la forme du linteau en plaçant une poutrelle horizontale sur les poteaux, ou même en tendant un fil au-dessus des poteaux.

Le principe fondamental est que les poteaux, sur les côtés, et le fil qui les surplombe, doivent dessiner ensemble la forme d’une ouverture (d’une porte). Or, dans la mesure où la porte la plus basse est au moins haute de dix téfa’him, il faut veiller à ce que la hauteur des poteaux soit d’au moins dix téfa’him. De même, le fil tendu au-dessus d’eux doit s’élever au-delà de dix téfa’him du sol. Si le fil, en quelque endroit, s’affaisse, descendant à une hauteur inférieure à dix téfa’him, toute la longueur séparant les deux poteaux est considérée comme fracturée, car il n’est point de porte dont une partie même minoritaire du linteau soit plus basse que dix téfa’him. Et si la longueur séparant ces deux poteaux (dont le fil est ainsi affaissé en quelque endroit) est de dix amot (4,56 mètres), c’est l’ensemble de l’érouv qui est invalidé, car une brèche de dix amot invalide tout l’érouv[d].

Puisque les poteaux latéraux constituent les côtés de la « porte », ils doivent être solides, de manière à ne pas se balancer sous l’effet d’un vent ordinaire, et à pouvoir supporter une quelconque porte que l’on y mettrait. Même si les poteaux ne sont aptes à supporter qu’une porte légère, de paille, ils restent valides (Ora’h ‘Haïm 362, 11)[2].

Pour la majorité des décisionnaires, il n’y a pas de limite à la longueur de l’ouverture, car, quelle que soit la distance entre les deux poteaux, fût-elle de mille amot, la forme reste celle d’une ouverture élémentaire. Selon Maïmonide, lorsque la majorité du pourtour de la ville est circonscrite par de telles « formes d’ouverture », celles-ci ne doivent pas dépasser la longueur de dix amot pour chacune d’entre elles. A priori, quand c’est possible, il est bon de tenir compte de cet avis. Mais en pratique, comme il est très difficile d’entourer les villages et les villes de « formes d’ouverture » longues de dix amot seulement, on a l’usage d’être indulgent, et de fixer des « formes d’ouverture » sans limitation de longueur (Choul’han ‘Aroukh 362, 10).

Le fil tendu au-dessus des poteaux doit être attaché solidement, de manière à ne pas se détacher sous l’effet d’un vent normal. A priori, quand c’est possible, il faut le tendre de façon qu’il ne se balance pas au vent, et qu’il ne s’affaisse pas à une hauteur inférieure à celle des poteaux, car telle est bien la nature des linteaux que de ne point se balancer ni s’affaisser. Toutefois, a posteriori, même si le fil se balance ou s’affaisse[e], cela reste valide (Michna Beroura 362, 65 ; ‘Aroukh Hachoul’han 362, 37).


[d]. Un érouv est généralement composé d’une succession de poteaux reliés par des fils, afin de pouvoir entourer une superficie suffisamment grande. Il suffit donc que le fil reliant deux de ces poteaux soit trop bas en quelque endroit et que la distance entre ces deux mêmes poteaux soit d’au moins 4,56 m pour invalider l’ensemble du dispositif.

 

[2]. Le poteau servant à la « forme de portail » doit avoir l’apparence d’un poteau ; aussi ne faut-il pas se servir d’une muraille ou d’un mur comme poteau constitutif d’un érouv du type tsourat hapéta’h (Maguen Avraham 363, 28). Mais si la « forme de portail » continue le mur en ligne droite, on peut considérer l’extrémité du mur comme un poteau (‘Hazon Ich 70, 15 ; cf. Hilkhot ‘Erouvin du Rav Lange 4, 12, p. 55).

[e]. À condition de ne pas descendre en-dessous des dix téfa’him prescrits.

03. Le fil doit être tendu au-dessus du poteau et des pylônes électriques

Il faut veiller à ce que le fil disposé en tant que « linteau » soit tendu au-dessus des poteaux, et non sur leurs côtés ; car, pour qu’il y ait « forme de portail », il faut que le linteau soit fixé sur les poteaux de la porte. Même quand le poteau est bas, et que le fil est tendu très haut au-dessus de lui (par exemple à la hauteur d’un fil électrique) – de sorte qu’il y a une discontinuité entre le haut du poteau et le fil –, le poteau reste considéré comme le « montant » du portail, et le fil qui le surplombe comme son « linteau », dès lors que le fil est tendu exactement au-dessus du poteau, et que ce dernier mesure au-moins dix téfa’him. Mais si le fil n’est pas tendu précisément au-dessus du poteau, l’érouv est nul. Si le poteau est courbe, le fil doit être tendu exactement au-dessus de l’extrémité supérieure du poteau ; mais s’il est placé sur quelque autre point du poteau, l’érouv est nul (Choul’han ‘Aroukh 362, 11, Michna Beroura 64)[3].

Les pylônes électriques et téléphoniques, avec leurs fils, ne peuvent servir de « forme de portail », car les fils ne sont pas tendus au-dessus des poteaux, mais sur leurs côtés. Le moyen d’utiliser valablement ces fils électriques pour les besoins de l’érouv, c’est de fixer des poteaux d’une hauteur d’un mètre environ, qui se tiendront exactement en-dessous des fils électriques[4].


[3]. Quand on place un poteau bas sous un fil tendu à une grande hauteur, il faut veiller à ce que rien ne fasse écran entre le poteau et le fil, tel qu’un auvent qui se trouverait entre les deux, ainsi que l’écrivent le Taz et le Michna Beroura 363, 112. Toutefois, certains sont, à cet égard, indulgents a posteriori, comme le ‘Aroukh Hachoul’han 363, 46 et le Méchiv Davar 1, 26.

 

Quand un poteau est percé dans son extrémité supérieure, on peut, selon de nombreux décisionnaires, faire passer le fil par le trou : le fil ne sera pas considéré comme posé de côté, puisqu’il se tiendra sur l’ensemble du poteau placé sous lui. Et quoique le poteau se poursuive quelque peu au-dessus de l’endroit percé, cela n’est pas un motif d’invalidité. C’est la position du ‘Aroukh Hachoul’han 362, 32 et du ‘Hazon Ich 7, 9. Toutefois, le Peri Mégadim et le Michna Beroura 362, 64 sont rigoureux : dès lors que le poteau se continue au-dessus du fil, celui-ci ne peut, selon eux, être considéré comme posé sur lui. Le principe est le même pour un poteau comportant des rainures profondes sur le côté, dans l’une desquelles on enroulerait le fil, de manière que celui-ci soit totalement introduit dans la rainure : les décisionnaires indulgents estiment que le fil est considéré comme valablement posé sur la partie inférieure du poteau, tandis que les auteurs rigoureux pensent que le fil ne saurait être considéré comme posé sur le poteau, puisque celui-ci se prolonge au-dessus du fil. En cas de nécessité, on peut s’appuyer sur les décisionnaires indulgents.

 

[4]. Quand un certain nombre de pylônes électriques sont placés en ligne droite, il suffit de placer des poteaux sous les fils, près des premier et dernier pylônes, tandis que les pylônes intermédiaires ne seront pas considérés comme des montants d’ouvertures, mais seulement comme des soutiens du linteau. Telle est l’opinion de la majorité des décisionnaires, parmi lesquels le Divré Malkiel 3, 16. Toutefois, certains auteurs exigent que soit placé un poteau d’érouv près de chaque pylône électrique, de crainte que les observateurs ne comprennent pas en quoi consiste la parade.

 

Ce que nous disions, dans le corps de texte, des pylônes électriques, reflète l’opinion de la grande majorité des décisionnaires. Cependant, certains auteurs estiment que l’intention de ne pas faire d’un ensemble fil-poteaux un dispositif efficace pour servir d’érouv n’est manifeste que dans le cas où l’on a installé un ensemble en forme de portail, mais en en fixant le fil de côté. En revanche, lorsqu’on a installé des poteaux pour un autre besoin, et que l’on a fixé le fil de côté, il n’y a aucune intention manifeste d’exclure ce dispositif du statut d’érouv, si bien que ledit dispositif peut valablement servir à cette fin. Telle est la position du Choel Ouméchiv, première édition, II 88. Certains décisionnaires sont indulgents en raison du fait que les gobelets sur lesquels passent les fils sont bien attachés, et sont donc considérés comme partie intégrante du fil ; dans ces conditions, le fil doit être regardé comme passant au-dessus du poteau, conformément à l’opinion indulgente rapportée dans la note précédente. De plus, certains estiment que, selon le Rif et Maïmonide, le fait que le fil passe par le côté n’est pas un facteur de nullité ; cette opinion est rapportée par les responsa ‘Helqat Ya’aqov I 200.

 

En pratique, on ne considère pas les pylônes électriques comme « formes d’ouvertures », sauf à être complétés par l’installation décrite ci-dessus. Cf. Hilkhot ‘Erouvin du Rav Lange, chap. 4, notes 60, 66, 67.

04. Clôtures, brèches ; cas de la « pente abrupte » (tel hamitlaqet)

Une clôture d’une hauteur de dix téfa’him est considérée comme une cloison valable, qui est même efficace pour modifier le statut d’un domaine public tel que défini par la Torah (cf. chap. 21 § 7). Cette clôture peut également être faite d’un grillage de fil de fer car, tant que les orifices du grillage ne dépassent pas la largeur de trois téfa’him (22,8 cm), la clôture est considérée comme continue, et elle est efficace pour modifier le statut d’un domaine public de rang toranique.

Si une clôture ou des « formes de portail » délimitent le domaine de l’érouv, et que cette clôture ou ces formes d’ouverture soient entamées par des brèches, l’érouv reste valide, à condition que chacune des brèches n’atteignent pas une largeur de dix amot (4,56 mètres), et que la longueur cumulée de toutes les brèches, de chaque côté de la ville, soit inférieure à la longueur totale de la partie non ébréché de la clôture ou des formes d’ouverture qui sont du même côté (en d’autres termes : que, de chaque côté de la ville, la partie ébréchée soit minoritaire par rapport à la partie non ébréchée) (Michna Beroura 362, 45 ; toutefois, selon le ‘Aroukh Hachoul’han 362, 23, il faut considérer l’ensemble de la clôture ou des formes d’ouverture entourant la ville, et non chaque côté séparément). Mais si les brèches constituent la majorité de la cloison, de l’un quelconque des côtés de la ville, ou qu’une brèche atteigne dix amot, quelque majoritaire que puisse être la cloison, l’érouv n’est pas valide (Choul’han ‘Aroukh 362, 9).

Si, d’un côté de la ville, se trouvent des maisons dotées de cours, que ces cours soient elles-mêmes entourées de clôtures, et qu’entre les cours il y ait un espace ouvert, la règle est la suivante : si l’espace séparant les cours l’une de l’autre est inférieur à dix amot, et que la longueur des cours soit supérieure à dix amot chacune, il n’est pas nécessaire d’entourer ce côté de la ville par une clôture, ni par une « forme de portail ». En effet, la clôture des différentes cours forme cloison ; et des « brèches » inférieures à dix amot n’invalident pas l’encadrement.

Si la ville est entourée d’un parc, et que ce parc ait une terrasse en surplomb, dont la hauteur soit de dix téfa’him, la terrasse forme cloison, et il n’est pas nécessaire d’y faire d’autre cloison, ni de « forme de portail ». Si une partie de la ville est entourée d’une terrasse, il ne sera pas nécessaire de faire d’autre cloison dans cette partie de la ville.

Si un côté de la ville est en pente, et que cette pente soit escarpée, de manière que, sur une distance de quatre amot (1,82 m), la dénivellation soit d’au moins dix téfa’him (76 cm, cf. note 1), on est en présence d’une « colline abrupte » (tel hamitlaqet, litt. « pente cumulée »), qui est considérée comme une parfaite cloison (Choul’han ‘Aroukh 345, 2).

Si un village est entouré d’une clôture, et que, à l’entrée de ce village, il y ait un portail d’une largeur supérieure à dix amot, la règle est la suivante : si le portail doit se fermer la nuit, l’érouv reste valide, même quand le portail est ouvert (Choul’han ‘Aroukh 364, 2, Meloumdé Mil’hama 74). Si le portail reste ouvert la nuit, ou qu’il se ferme au moyen d’un montant en fer, de sorte que, même lorsqu’il est fermé, il ne puisse constituer une cloison valable, il faut fermer la « brèche » que constitue le portail en installant une « forme de portail » au-dessus de lui.

05. Jonction opérée par la nourriture nécessaire à deux repas

Comme nous l’avons vu (§ 1), pour transformer le domaine public, ou le domaine de karmelit, en domaine particulier où il est permis de porter des objets, il ne suffit pas de l’entourer d’une clôture ou de formes d’ouverture : il faut encore faire de toutes les personnes habitant dans le même périmètre des associés. Cela se fait par l’intermédiaire de pain appartenant à toutes les personnes habitant le même périmètre. Ce n’est pas seulement le pain fait à partir de l’une des cinq céréales traditionnelles[f] qui peut valablement servir à la création de l’érouv, mais également le pain de riz (Choul’han ‘Aroukh 366, 8, Michna Beroura 368, 12). Si les habitants sont moins de dix-huit personnes, il suffit que le volume de pain commun soit égal à celui d’une figue sèche par personne. Pour dix-huit habitants, il faut une mesure de dix-huit figues sèches, mesure équivalente à deux repas (pour une personne). Même s’il y a plus de dix-huit habitants, et même s’ils sont mille, il suffit d’une mesure de pain équivalente à deux repas pour que tous soient associés.

Les décisionnaires sont partagés quant à la mesure précisément nécessaire pour constituer deux repas. En pratique, le Choul’han ‘Aroukh (368, 3) décide qu’il faut, a priori, constituer l’érouv au moyen d’un volume équivalent à huit œufs (environ 400 cm³) ; a posteriori, il suffit d’un volume équivalent à six œufs (300 cm³). Cette nourriture est nommée érouv (« mélange ») car, par elle, tous les habitants « se mêlent » les uns aux autres, et leur domaine cloisonné devient un domaine particulier commun.

Puisque l’érouv appartient à tous les habitants de la ville, chacun d’eux est autorisé à le manger quand il le voudra. Si l’érouv est consommé pendant Chabbat : dès lors qu’il existait au moment du crépuscule (bein hachmachot), le vendredi soir, tous les habitants sont déjà devenus « mêlés » et associés dès l’entrée du Chabbat, et il est donc possible de porter d’un domaine à l’autre durant toute la durée du saint jour. Mais pour porter durant un autre Chabbat, il faudra rassembler un nouvel érouv alimentaire, qui associera de nouveau tous les habitants[5].

Dans un kibboutz, ou dans tout endroit doté d’un réfectoire public où tout le monde mange, il suffit d’installer un érouv du type « formes d’ouverture » autour du périmètre, sans qu’il soit nécessaire de prévoir de la nourriture pour deux repas, pour tous les habitants, car la nourriture qui se trouve dans la cuisine commune crée déjà une association entre tous.


[f]. Que sont le blé, l’orge, l’avoine, le seigle et l’épeautre.

[5]. Il y a deux types d’érouv [dans le sens de : jonction de domaines opérée par l’association de plusieurs personnes autour d’un même aliment] : la « jonction des cours » (érouv ‘hatsérot) et « la mise en commun des ruelles » (chitoufé mevoot). L’érouv ‘hatsérot a pour fonction de permettre le port d’objets à l’intérieur d’un domaine particulier partagé entre différents résidents. En effet, nos sages ont interdit de porter d’un appartement occupé par tel résident vers un appartement occupé par tel autre : bien que ces deux appartements relèvent du domaine particulier, le statut de la cour ou partie commune ressemble à celui d’un domaine public, dans la mesure où lesdits appartements sont occupés par des personnes différentes. En installant un érouv ‘hatsérot, les résidents deviennent associés, et peuvent porter d’un appartement à l’autre. L’érouv ‘hatsérot doit être placé dans l’un des appartements (Choul’han ‘Aroukh 365, 3) et être constitué précisément de pain (ibid. 365, 1).

 

Ce que l’on appelle chitoufé mevoot est un dispositif plus efficace, car il transforme tous les appartements, les cours et les rues en un domaine unique, sur toute l’étendue duquel il est permis de porter. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de placer spécialement la nourriture afférente au chitoufé mevoot dans un appartement : on peut également le mettre dans une cour. Il n’est pas même nécessaire que cette nourriture consiste en pain : toute nourriture pouvant convenir à deux repas peut valablement servir au chitoufé mevoot.

 

Quand on installe un érouv du type chitoufé mevoot, il n’est pas nécessaire d’en faire également un qui appartienne à la catégorie d’érouv ‘hatsérot. Aussi a-t-on coutume, de nos jours, de mettre la nourriture prévue pour les deux repas à la synagogue, bien que celle-ci ne soit pas un lieu d’habitation, car la jonction que l’on opère appartient à la catégorie de chitoufé mevoot (Choul’han ‘Aroukh 368, 3 ; 386, 1 ; Béour Halakha ad loc., Rama 366, 3). Mais puisque ce type d’érouv est également efficace pour réaliser une « jonction des cours », on veille à ce qu’il consiste en pain.

06. Comment on dépose l’érouvalimentaire ; sa bénédiction

On a coutume d’utiliser, pour l’érouv, des pains azymes (matsa, plur. matsot), parce que la matsa se conserve longtemps et que, tant qu’elle est consommable, elle peut encore servir en tant qu’érouv, si bien qu’il n’est pas nécessaire de prévoir un érouv nouveau (Choul’han ‘Aroukh et Rama 368, 5). Chaque année, à l’approche de la fête de Pessa’h, on a coutume de déposer un érouv nouveau, et de prononcer la bénédiction qui s’y rapporte, ainsi que le texte traditionnel relatif à l’installation de l’érouv, en vue de l’année à venir. Dans de nombreuses communautés, on confie au rabbin l’honneur de déposer l’érouv pour tous. Si l’on a oublié de déposer l’érouv avant Pessa’h, tant que l’érouv précédent existe toujours, il est permis de continuer de porter dans l’ensemble du territoire entouré.

Il faut placer l’érouv alimentaire dans une seule boîte, ou dans un seul sac. On a coutume de le déposer dans la synagogue ou près d’elle, car ce lieu est commun à tous (Choul’han ‘Aroukh 366, 4 ; cf. note 5).

Avant de déposer cet érouv, il faut veiller à ce qu’il appartienne à tous les habitants de la ville. Par conséquent, celui qui déposer l’érouv doit soulever les matsot de la hauteur d’un téfa’h, et former l’intention de faire l’acquisition de ces matsot au nom de tous les habitants de la ville, et de tous ceux qui viendront y habiter dans l’avenir. Afin de pouvoir réaliser l’acte d’acquisition, il faut que les matsot appartiennent, auparavant, à une autre personne.

Avant de réaliser l’acquisition de l’érouv et de l’installer à sa place, il faut prononcer la bénédiction : Baroukh Ata Ado-naï, Elo-hénou, Mélekh ha’olam, acher qidechanou bemitsvotav, vétsivanou ‘al mitsva ‘érouv (« Béni sois-Tu, Eternel, notre Dieu, Roi de l’univers, qui nous as sanctifiés par tes commandements, et nous as prescrit la mitsva de l’érouv »). Après quoi, on dira : « Par cet érouv, qu’il nous soit permis (à tous les habitants de ce lieu / de ce village / de cette ville / de cette cour) de faire sortir et entrer des objets, des maisons à la cour, de la cour aux maisons, d’une maison à l’autre, d’une cour à l’autre, d’un toit à l’autre, des maisons et des cours à une impasse, d’une impasse à toutes les maisons et cours de cette ville, à nous et à tous ceux qui habitent cette ville, ainsi qu’à toute personne qui s’y adjoindra, pendant tous les Chabbats de cette année, et toutes les fêtes, puissent ces jours nous être propices » (Choul’han ‘Aroukh 366, 15, Michna Beroura 83).

07. En un lieu où habitent des personnes qui transgressent le Chabbat

L’érouv, au sens de nourriture suffisante à deux repas, et par laquelle tous les gens du lieu se trouvent associés, unit tous les habitants. Par cela, tout le territoire entouré est considéré comme domaine particulier, et il est dès lors permis d’y porter des objets. Cela, toutefois, à la condition que tous les habitants du lieu, sans exception, soient associés à l’érouv ; mais si l’un d’entre eux n’est pas intéressé à s’associer à l’érouv, les habitants ne peuvent être considérés comme associés en un domaine unique, et l’érouv est inefficace.

D’après cela, il y a un problème dans les villes et les villages où habitent des gens qui profanent le Chabbat. En effet, ceux-là ne sont point intéressés par l’érouv, de sorte qu’eux et leurs maisons ne sont pas inclus dans la communauté de l’érouv ; dès lors, l’érouv est inefficace en cette ville. La règle est la même quand un non-Juif habite dans la ville : son appartement n’est pas inclus dans l’érouv, et donc annule celui-ci (Choul’han ‘Aroukh 385, 3 ; 382, 1).

La solution est que ce non-pratiquant ou ce non-Juif loue sa maison, pour ce Chabbat, à l’un de ceux qui observent le Chabbat ; alors, sa maison sera elle aussi incluse dans l’érouv. Le problème est que ce correctif est presque irréalisable dans les grands villages, à plus forte raison dans les villes. Aussi a-t-on pris l’usage de recourir à une autre solution : louer toutes les maisons au maire de la ville[g], car celui-ci a le droit d’entrer dans toutes les maisons de la ville (Choul’han ‘Aroukh 391, 1).

Certains auteurs disent que cette solution n’est plus efficace de nos jours car, dans un Etat démocratique, le maire n’a pas le droit d’entrer dans l’appartement d’un particulier sans ordonnance d’un tribunal. Malgré tout, on a l’usage d’être indulgent, car en temps de guerre, le major de garnison et le commandant de la défense civile peuvent ordonner aux soldats d’utiliser des maisons choisies par leurs soins ; même durant des exercices, les soldats peuvent utiliser tout appartement que ces commandants jugent bon. Par conséquent, ils possèdent une certaine part dans toutes les maisons, et l’on peut donc louer leur part avant Chabbat pour les besoins de l’érouv[6].


[g]. La communauté juive organisée prend à bail toutes les maisons de la ville, le bailleur étant le maire.

 

[6]. En pratique, les rabbins ont coutume de faire un acte d’acquisition en présence du maire de la ville et du commandant de la police. Certains exigent également la présence du directeur de district, délégué par le ministère de l’intérieur. En effet, le commandant de la police a autorité pour entrer en cas d’urgence dans toute maison, le maire et le représentant du ministère de l’intérieur ont autorité sur les rues ; et par l’acte d’acquisition, le rabbin obtient le droit de déposer des affaires en quelque endroit qu’il voudra. Par cela, il est considéré comme ayant part à tous les endroits de la commune, et, en vertu de ce pouvoir, il devient possible d’inclure tous les habitants au sein de l’érouv. Il faut savoir qu’en cette matière, on tend toujours à l’indulgence car, dans son fondement, cette règle n’est rien d’autre qu’une pénalité et une restriction : nos sages n’ont pas voulu que les Juifs observants s’installassent dans des quartiers où habitent des gens qui profanent le Chabbat, ou des non-Juifs. Aussi, bien qu’il eût été en réalité possible de s’associer à eux pour les besoins de l’érouv, les sages ont établi une pénalité en interdisant cela. Cependant, faute de choix, pour quelque raison que ce soit, on est indulgent, et l’on permet de les associer à l’érouv. Cf. ‘Hazon Ich 18, 9, ‘Aroukh Hachoul’han 391, 4, Menou’hat Ahava III p. 363.

 

08. Quand l’érouv est tombé pendant Chabbat

Il arrive que l’on s’aperçoive, au cours du Chabbat, que l’érouv[h] se déchire en quelque endroit, et soit donc invalidé. Deux questions se posent alors : 1) Est-il permis de réparer l’érouv pendant Chabbat ? 2) Dans le cas où il serait impossible de le réparer, faut-il faire savoir à tous les habitants que l’érouv est invalidé, afin qu’ils n’aient garde de porter des objets en-dehors de maisons particulières ?

A priori, s’il se trouve un non-Juif, il est préférable que celui-ci répare l’érouv. Certes, il est interdit rabbiniquement de demander à un non-Juif, le Chabbat, d’accomplir un travail pour nous ; mais dans ce cas précis, où il existe une grande nécessité – préserver le public de l’interdit de porter durant Chabbat –, les sages ont permis de demander à un non-Juif de réparer l’érouv, même en accomplissant à cette fin des travaux interdits toraniquement (Michna Beroura 276, 25 ; cf. ci-dessus, 9 § 12).

Mais quand il n’y a pas de non-Juif, il est certain qu’il est interdit à un Juif de réparer l’érouv en faisant une mélakha interdite par la Torah. Par exemple, si le poteau est tombé, il est interdit à un Juif de le redresser en le plantant dans le sol. De même, si le fil s’est déchiré, il est interdit de le rattacher par un nœud permanent, qui est toraniquement prohibé. La question qui se pose est de savoir s’il est permis de rattacher le fil par un nœud de rosette, nœud qu’il est permis de faire le Chabbat, comme on le fait quand on attache ses lacets de chaussures.

Selon certains, il est en tout état de cause interdit de réparer l’érouv durant Chabbat. Bien qu’il soit permis de faire un nœud de rosette le Chabbat, le faire dans notre cas aurait pour effet de permettre le port d’objets ; or cela reviendrait à former une cloison permettant une utilisation (mé’hitsa hamatéret, cf. chap. 15 § 4) – ce qui est interdit le Chabbat. En d’autres termes, nos sages interdisent, le Chabbat, de faire une cloison ayant pour effet de permettre l’utilisation d’un lieu, de sorte qu’avant de faire le nœud il était interdit d’y porter, et que cela deviendrait permis après l’avoir noué.

Selon d’autres, nos sages ont certes interdit, généralement, de faire le Chabbat une cloison permettant une utilisation ; mais pour éviter au public l’écueil de porter pendant Chabbat, il est permis de faire une telle cloison par le biais d’un nœud de rosette. Tel est l’usage en pratique (Mahari Ashkenazy 13, Panim Méïrot I 30, Choel Ouméchiv, deuxième édition I 89, Chemirat Chabbat Kehilkhata 17, 34).

Quand il n’est pas possible de réparer l’érouv, il ne faut pas l’annoncer publiquement, car il est à craindre que certaines personnes ne prennent pas garde à l’interdit de porter ; or il est préférable qu’ils fautent involontairement plutôt que volontairement. Ce n’est que ceux que l’on connaît pour être attentifs à cet interdit, que l’on informera de la rupture de l’érouv[7].


[h]. Dans le sens, cette fois, de dispositif de clôtures ou de « formes d’ouvertures », et non dans le sens alimentaire qui faisait l’objet du paragraphe précédent.

[7]. C’est la position du Ma’hachavot Be’etsa 16. Certes, en principe, dans tous les cas où il y a des chances que le public écoute, et quoiqu’il y ait une majorité de chances qu’il n’écoute pas, on ne dit pas : « mieux vaut qu’ils fautent involontairement que volontairement ». En effet, puisqu’il y a une chance que les gens écoutent la mise en garde, il faut les mettre en garde (Michna Beroura 608, 3, d’après le Roch). Selon cela, de prime abord, il faudrait, dans notre cas aussi, proclamer publiquement que l’érouv est cassé, puisqu’il y a des chances que de nombreuses personnes aient soin, grâce à cela, de ne pas porter. Cependant, le Rav Auerbach (Chemirat Chabbat Kehilkhata 17, note 139) explique que, dans notre cas, le statut de ceux qui portent est plus léger que celui de fauteurs involontaires. En effet, tant qu’ils pensent que l’érouv est valide, ils portent sans aucune conscience de faire une mélakha (cas du mit’asseq, cf. chap. 26 note f), ce dans un domaine d’interdit seulement rabbinique ; aussi est-il préférable de ne pas faire connaître publiquement que l’érouv s’est déchiré.