Chabbat

05. Les parfums (bessamim)

    Nos sages prescrivent de réciter, à l’issue de Chabbat, une bénédiction sur des parfums et de respirer ceux-ci car, une fois le Chabbat terminé, la dimension supplémentaire de l’âme (néchama yetera) se retire, et l’âme s’en attriste ; pour l’aider à se restaurer, on respire des plantes odoriférantes, et l’âme, disent nos maîtres, en tire du plaisir. Même si l’on n’éprouve pas de tristesse de ce que le Chabbat soit achevé, on tentera de prendre conscience, en sentant ces parfums, de la grandeur du Chabbat, grandeur telle que l’on devrait être affecté de son achèvement, au point de devoir recourir à une bonne odeur pour revenir à soi.

On récite une bénédiction sur les parfums à l’issue de Chabbat, mais non à l’issue des jours de fête, car ces derniers ne nous confèrent pas une âme supplémentaire. De même, quand, à l’issue de Chabbat, commence un jour de fête, on ne récite pas, dans la Havdala de fin de Chabbat, de bénédiction sur les parfums, car la joie du Yom tov, et ses mets, sont propres à nous rendre notre sérénité (Choul’han ‘Aroukh 491, 1 et Michna Beroura).

De même, à l’issue de Kippour, on ne récite pas de bénédiction sur les parfums car, le jour de Kippour, on doit jeûner, par conséquent on n’y reçoit pas d’âme supplémentaire, et l’on ne s’afflige donc pas tellement de son achèvement (Choul’han ‘Aroukh 624, 3).

Tous les auditeurs de la Havdala doivent sentir les plantes odoriférantes. L’officiant doit donc attendre que tous les participants en respirent le parfum ; ce n’est qu’après cela qu’il passera à la bénédiction de la flamme. Si certains des participants n’ont pas eu le temps de sentir ces plantes avant que l’officiant ne récite la bénédiction de la flamme, ils écouteront celle-ci, ainsi que la bénédiction Hamavdil, et respireront les parfums seulement après. Si l’on est anosmique, on ne récitera pas la bénédiction des parfums (Choul’han ‘Aroukh 297, 5, Michna Beroura 13 ; Chemirat Chabbat Kehilkhata 61, 8).

Nos sages ont prévu, pour chaque catégorie de plante à parfum, une bénédiction particulière. Si la source de l’odeur est un arbuste[d], on dira Baroukh… boré ‘atsé bessamim (« Sois loué… qui crées les arbustes odoriférants »). Si la source est une herbe[e]: Boré ‘isbé bessamim (« … qui crées les herbes odoriférantes »). Si c’est un fruit : Hanoten réa’h tov bapérot (« qui donnes une bonne odeur aux fruits »). Pour une odeur d’origine minérale ou animale : Boré miné bessamim (« qui crées différentes sortes d’odeur »). Néanmoins, s’agissant de la Havdala, les Ashkénazes ont coutume de dire, quel que soit le type de parfum, Boré miné bessamim ; cela, parce que certaines personnes ne connaissent pas bien les différents types de parfum et les bénédictions qui s’y rapportent ; or si l’on se trompait, disant Boré ‘isbé bessamim pour un arbuste, ou Boré ‘atsé bessamim pour une herbe, on ne serait pas quitte de la bénédiction. On a donc l’usage de dire Boré miné bessamim, car cette bénédiction est, a posteriori, efficace pour toutes les sortes de parfum. La coutume des Séfarades est de réciter, lors de la Havdala, la bénédiction spécifique à la catégorie de parfum utilisé. Par exemple, sur le myrte ou le romarin, on dit ‘Atsé bessamim (Michna Beroura 216, 39 ; 297, 1 ; Kaf Ha’haïm 297, 31 ; Pniné Halakha, Bénédictions 14, 1 ; 5).

On ne dira la bénédiction que sur un parfum destiné à répandre une bonne odeur, mais non sur un parfum destiné à dissiper une mauvaise odeur, tel qu’un déodorant que l’on place dans les toilettes, ou un déodorant corporel qui masque l’odeur de la transpiration (Pniné Halakha, Bénédictions 14, 3).

Sur un parfum composé d’essences synthétiques, certains prescrivent de ne pas dire de bénédiction car un tel mélange n’a, dans sa nature, aucune bonne odeur, et ce n’est que par l’effet d’un traitement artificiel qu’une bonne odeur est créée. En pratique, il semble que, si l’on veut réciter la bénédiction Boré miné bessamim sur un tel parfum, on y soit autorisé car, en définitive, les caractères chimiques qui ont permis la création de cette bonne odeur ont été créés par Dieu, et c’est sur cela que porte la bénédiction (Pniné Halakha, Bénédictions 14, 2-3, note 3).

Certains embellissent encore la pratique en prenant, pour la bénédiction, un cédrat sur lequel on avait accompli la mitsva des quatre espèces à Soukot : ayant servi à l’accomplissement d’une mitsva, ce fruit convient particulièrement à la bénédiction de la Havdala. On y plante des clous de girofle, grâce auxquels le parfum gagne en puissance et en tenue (selon le Rama 297, 4). Puisqu’alors le parfum conjugue les facettes de deux sources odoriférantes – le fruit et l’arbuste –, c’est la bénédiction Boré miné bessamim que l’on récitera, d’après toutes les coutumes (Michna Beroura 216, 39).


[d].  C’est le cas par exemple de la rose ou de myrte. Pour les clous de girofle, on dit également Boré ‘atsé bessamim (cf Pniné halakha, Bénédictions 14, 5).

 

[e].  Par exemple des feuilles de menthe ou de basilic.

06. La bougie

Nos sages ont institué une bénédiction sur la bougie, à l’issue de Chabbat, en souvenir du fait que, au sortir du premier Chabbat, le Saint béni soit-Il inspira au premier homme le frottement de deux pierres l’une contre l’autre, ce qui produisit du feu.

A priori, c’est sur une bougie « torche » que l’on récitera la bénédiction, c’est-à-dire une bougie tressée pourvue de deux mèches au moins. En effet, quand le feu émane de deux sources, sa lumière est vive. Quand on n’a pas de bougie tressée, on peut allumer deux allumettes : elles aussi peuvent être considérées comme formant torche. Faute de choix, on pourra a posteriori réciter la bénédiction sur une bougie à une seule mèche (Choul’han ‘Aroukh 298, 2).

La bougie doit éclairer de telle façon que, même s’il n’y avait pas de lumière électrique, on pourrait distinguer, à sa lumière, deux pièces de monnaie différentes. On a coutume de vérifier ce degré d’éclairage en contemplant les lignes de sa main, ainsi que le lieu où se joignent les ongles et la pulpe des doigts. Nos maîtres voient dans cette coutume un signe de bénédiction (Choul’han ‘Aroukh 298, 3-4).

Les auditeurs de la Havdala doivent, eux aussi, voir la lumière de la bougie. Si l’on se tient éloigné, il faut se rapprocher afin de pouvoir jouir de sa clarté et distinguer les lignes de sa main, ainsi que la jonction des ongles et de la pulpe des doigts. Si l’on a écouté la Havdala sans avoir vu la lumière de la flamme, on est quitte de la Havdala en tant que telle, mais on n’aura pas accompli la mitsva de louer Dieu pour la création du feu. Ce sera donc une mitsva que d’allumer une bougie et de réciter sur elle la bénédiction Boré méoré haech (Michna Beroura 297, 13 ; 298, 13). Si l’on a vu la flamme, mais sans avoir été suffisamment proche pour être capable de distinguer les lignes de sa main, on ne répétera pas la bénédiction de la bougie car, selon certains, on est quitte de son obligation pour peu que l’on ait aperçu la flamme (Or’hot ‘Haïm cité par le Beit Yossef 298, 4 ; Kaf Ha’haïm 298, 22).

Ceux qui apportent à la mitsva un supplément de perfection ont coutume d’éteindre la lumière électrique au moment de dire la bénédiction sur la bougie, afin que la jouissance tirée de la lumière de celle-ci soit manifeste ; alors, même ceux qui se tiennent un peu éloignés pourront distinguer à sa lumière les lignes de leurs mains (cf. Chemirat Chabbat Kehilkhata 61, 33).

On ne doit réciter la bénédiction que sur une bougie allumée pour sa lumière même, et non sur une bougie allumée pour un motif honorifique. Par exemple, on ne récite pas la bénédiction sur une veilleuse allumée à la mémoire d’un défunt, ni sur une bougie allumée à la synagogue devant l’officiant, car c’est pour faire honneur, et non pour éclairer, que l’on allume ces bougies (Michna Beroura 298, 30).

Certains A’haronim avaient coutume de réciter la bénédiction Boré méoré haech sur une ampoule électrique, car l’électricité a même statut que le feu. Mais nombreux sont ceux qui estiment que la bénédiction ne doit pas se dire sur une ampoule électrique, car celle-ci ne peut, selon eux, être assimilée au feu : en effet, le feu brûle par l’effet de l’oxygène, tandis que l’ampoule électrique ne contient pas d’oxygène, mais seulement un filament incandescent. Même si l’on admettait qu’il s’agit de feu, il n’y aurait pas lieu de dire une bénédiction sur un feu recouvert d’un verre : puisque la bénédiction sur la flamme fut instituée en souvenir du feu que le premier homme produisit à l’issue de Chabbat, la flamme utilisée doit être semblable à celle d’alors : découverte, sans globe de verre[4].


[4]. Plusieurs grands A’haronim ont pris l’usage de réciter la bénédiction, à l’issue de Chabbat, sur une ampoule électrique, dans le but de détromper ceux qui pensaient que l’électricité n’était pas du feu, et qui voulaient l’allumer pendant Chabbat. Tel était l’usage de Rabbi ‘Haïm de Brisk, de Rabbi ‘Haïm Ozer Grodzinski et du Rabbi de Rogatshov. Mais d’après la majorité des décisionnaires, il ne convient pas de réciter la bénédiction sur une ampoule électrique, laquelle ne brûle pas, comme le feu, à l’aide de l’oxygène. De plus, un globe de verre recouvre le filament ; or, selon le Choul’han ‘Aroukh 298, 15, on ne dit pas la bénédiction sur une bougie recouverte d’un verre. Le Béour Halakha précise que telle est l’opinion de nombreux décisionnaires. La raison en est qu’un feu recouvert ne ressemble pas au feu que produisit Adam, le premier homme. C’est la position du Har Tsvi, Ora’h ‘Haïm 2, 114 et du Yabia’ Omer, Ora’h ‘Haïm I 17-18. Sur une lampe à néon, tous les avis s’accordent à dire qu’on ne récite pas la bénédiction, car la lumière provient d’un gaz et non d’un filament brûlant (Chemirat Chabbat Kehilkhata 61, 32).

07. Temps limite de récitation de la Havdala

Si l’on n’a pas récité la Havdala sur une coupe de vin à l’issue de Chabbat, que cela soit en raison d’une contrainte – comme dans le cas d’un soldat qui participait à une mission opérationnelle –, en raison d’un oubli, voire de propos délibéré, on pourra, selon la majorité des Richonim (notamment Maïmonide, Tossephot, le Roch), dire la Havdala jusqu’à la fin de la journée de mardi, car les trois premiers jours de la semaine sont encore liés au Chabbat qui précède.

Certains pensent (les Guéonim) que ce n’est que le dimanche que l’on peut rattraper la Havdala ; selon une opinion, même le dimanche, il faut encore n’avoir rien mangé depuis l’issue de Chabbat (Beer Hagola). Certains ont coutume de tenir compte de ces opinions, et de ne réciter la Havdala sur une coupe de vin, assortie de sa bénédiction, que jusqu’au dimanche, à condition de ne rien avoir consommé depuis l’issue de Chabbat (Ben Ich ‘Haï, Kaf Ha’haïm 299, 26).

Cependant, en pratique, la majorité des décisionnaires estiment que, si l’on a omis de réciter la Havdala à la sortie de Chabbat, et même si l’on a mangé entre-temps, on dira la Havdala sur une coupe de vin, avec bénédiction, ce jusqu’à la fin de la journée de mardi (Choul’han ‘Aroukh et Rama 299, 6 ; Michna Beroura 19). Mais cette disposition ne s’applique qu’aux deux bénédictions que sont Haguéfen (sur le vin) et Hamavdil (« qui distingues le saint du profane… ») ; en revanche, ce n’est que le samedi soir que l’on récite les bénédictions relatives aux parfums et à la bougie, car c’est seulement alors que le besoin de restaurer l’âme par le parfum des plantes ou épices se fait sentir ; de même, la bénédiction de la bougie fut instituée en souvenir du feu dont Adam fit la découverte à l’issue de Chabbat. Le dimanche, il n’est donc plus approprié de réciter la bénédiction sur ces deux éléments.

08. L’interdit de manger et de travailler avant la Havdala

De même que c’est une mitsva que de prélever une part de temps profane pour le conférer au temps saint à l’entrée de Chabbat, de même est-ce une mitsva que de procéder ainsi à l’issue de Chabbat. Il faut donc avoir soin de ne faire aucun travail dans les quelques premières minutes qui suivent la tombée de la nuit. Après quoi la Torah permet d’accomplir un travail, même avant la Havdala. Mais nos sages ont décidé qu’il ne serait permis de travailler qu’après avoir prononcé la formule de Havdala incluse dans la bénédiction Ata ‘honen, quatrième bénédiction de la ‘Amida, ou bien après avoir dit les mots : Baroukh hamavdil bein qodech le’hol (« Béni soit Celui qui distingue le saint du profane »)[f]. S’agissant même d’un travail interdit par les sages et non par la Torah, l’exécuter est défendu avant la récitation d’une formule de Havdala (Choul’han ‘Aroukh 299, 10).

En raison de l’importance de la Havdala récitée sur une coupe de vin, nos sages ont interdit de manger et de boire depuis le coucher du soleil jusqu’à ladite Havdala. Toutefois, il est permis de boire de l’eau, considérée comme boisson de moindre importance (Choul’han ‘Aroukh 299, 1). Mais certains A’haronim interdisent également de boire de l’eau avant la Havdala (Kaf Ha’haïm 299, 6)[5].

Nous voyons donc qu’il n’est permis d’accomplir un travail qu’après une Havdala verbale, et qu’il n’est permis de manger et de boire qu’après la Havdala sur la coupe.

Lorsque, à la fin du troisième repas, on récite le Zimoun[g] sur une coupe de vin, la majorité des décisionnaires sont d’avis que le mezamen doit boire le vin après le Birkat hamazon, bien que le soleil soit déjà couché, et même si la nuit est tombée. En effet, boire ce vin est conçu comme le prolongement du repas, et de même qu’il est permis à celui qui a commencé le troisième repas de continuer à manger, même après le coucher du soleil et la tombée de la nuit, de même est-il permis de boire le vin de la coupe du Birkat hamazon (Choul’han ‘Aroukh 299, 4).

D’autres estiment que, puisque l’on n’a pas toujours soin de réciter le Zimoun sur une coupe de vin, cette dernière ne peut être considérée comme le prolongement direct du troisième repas ; aussi est-il interdit d’en boire le vin avant la Havdala (Maguen Avraham, Michna Beroura 299, 14). Ceux qui suivent cette opinion mettent de côté la coupe de vin du Zimoun jusqu’après l’office d’Arvit, puis récitent sur elle la Havdala. Quand, durant le troisième repas, sont présents de nouveaux mariés, on récite les sept bénédictions du mariage sur une coupe de vin et, nécessairement, on dit aussi la bénédiction sur le vin ; dès lors, le mezamen, l’époux et l’épouse boivent de ce vin[6].

À partir de la tombée de la nuit (tset hakokhavim), il est permis de faire la Havdala sur le vin, même avant la prière d’Arvit (Maguen Avraham 489, 7 ; Michna Beroura 18). Ensuite, dans la ‘Amida, on inclura le passage Ata ‘honantanou. Celui qui récite la Havdala doit veiller à boire moins d’un revi’it de vin car, s’il buvait un revi’it, il serait considéré comme chatouï (sous l’effet de la boisson), et ne pourrait dire Arvit qu’après que l’effet de l’alcool se serait dissipé (La Prière d’Israël 5, 11).


[f]. L’auteur distingue la Havdala par excellence, ensemble de quatre bénédictions récitées sur une coupe de vin, des formules de Havdala, plus brèves. L’une des deux formules indiquées suffit à permettre à celui qui la récite d’accomplir un travail avant la Havdala sur la coupe.

 

[5]. Si l’on n’a ni vin ni ‘hémer médina (« boisson du pays »), et que l’on sache que l’on en recevra le lendemain avant le milieu du jour, de nombreux décisionnaires estiment qu’il est interdit de manger et de boire avant de faire, le lendemain, la Havdala sur la coupe (Roch). Si l’on se sent faible, et qu’il soit difficile de jeûner, on peut être indulgent et s’appuyer sur les avis selon lesquels, dès lors que l’on ne dispose pas de vin pour la Havdala, il est permis de manger à l’issue de Chabbat (Choul’han ‘Aroukh 296, 3 ; Michna Beroura 21).

 

[g]. Sur le Zimoun et sur le mezamen, cf. chap. 7 § 5, note h.

 

[6]. Le Choul’han ‘Aroukh 299, 4 décide que l’on doit boire du vin de la coupe sur laquelle a été récité le Birkat hamazon, même après la tombée de la nuit, à l’issue de Chabbat. Selon le Rama et le Michna Beroura 299, 14, cela ne s’entend que dans le cas où l’on a coutume de réciter toujours le Zimoun sur une coupe de vin, conformément à l’opinion de Tossephot et du Roch. En revanche, si l’on suit le Rif et Maïmonide, d’après lesquels il n’est pas obligatoire de réciter le Zimoun sur une coupe de vin, il est interdit de boire le vin de la coupe avant la Havdala (cf. Pniné Halakha, Bénédictions 5 § 13). Mais si l’on a achevé le Birkat hamazon entre le coucher du soleil et la tombée de la nuit, période douteuse – est-ce le jour ? est-ce la nuit ? –, on pourra boire de ce vin. Selon certains (Elya Rabba, Tosséfet Chabbat), ceux-là même qui pensent qu’il n’y a pas d’obligation (‘hova) à réciter le Zimoun sur une coupe de vin admettent que cela n’en constitue pas moins une mitsva [dans le sens d’acte qu’il est bon de faire] ; aussi, celui qui veut prononcer la bénédiction sur la coupe de vin à la fin de la sé’ouda chelichit accomplit par cela une mitsva, bien qu’il boive avant la Havdala.

En pratique, nombreux sont ceux qui ont coutume de ne pas boire la coupe du Birkat hamazon récité à la suite de la sé’ouda chelichit ; mais de nombreux Séfarades ont coutume de la boire. En tout état de cause, concernant les sept bénédictions du mariage, une nette majorité de décisionnaires estiment que l’on prononce la bénédiction sur le vin et que l’on en boit. Cf. Igrot Moché, Ora’h ‘Haïm IV 69 ; Min’hat ‘Hinoukh 3, 113 ; Chemirat Chabbat Kehilkhata 59, 17 ; Yalqout Yossef 291, 19.

01. La mitsva, telle que la Torah la prévoit

C’est une mitsva « positive » que de s’abstenir, le jour de Chabbat, de tout travail, comme il est dit : « Six jours, tu feras ton ouvrage, mais le septième jour tu chômeras (tichbot) » (Ex 23, 12). Quiconque accomplit un travail le Chabbat, en plus d’enfreindre cette mitsva « positive », transgresse une mitsva « négative »[a], comme il est dit : « Mais le septième jour est cessation (Chabbat) en l’honneur de l’Eternel ton Dieu ; tu n’y feras aucun travail » (ibid. 20, 10). Si des témoins ont mis en garde l’auteur de la transgression, lui disant de ne pas la commettre, et qu’il l’ait néanmoins commise, il est passible de lapidation (seqila)[b]. Si la transgression a été volontaire, mais qu’il n’y ait pas de témoins, l’auteur est passible de retranchement (karet), comme il est dit : « Vous garderez le Chabbat, car il est saint pour vous ; ceux qui le profanent seront punis de mort ; car quiconque fait un ouvrage (mélakha, plur. mélakhot) en ce jour sera retranché du sein de son peuple[c] » (ibid. 31, 14). Si la transgression a consisté à accomplir par erreur un travail, on a l’obligation d’apporter un sacrifice expiatoire (‘hatat) au Temple (Maïmonide, Chabbat 1, 1 ; cf. ci-dessus, chap. 1 § 14).

Bien que la mitsva consiste à s’abstenir de tout travail, la Torah mentionne quatre types de travaux de manière explicite : le labour, la moisson, l’allumage d’un feu, le transfert d’objet de domaine à domaine. Le labour et la moisson, comme il est dit : « Six jours tu travailleras, mais le septième jour tu chômeras, du labour et de la moisson tu t’abstiendras » (Ex 34, 21). Nous apprenons de là[d] que les travaux même dont la vie humaine dépend, desquels l’homme tire sa nourriture, sont interdits le Chabbat (Ibn Ezra, Na’hmanide). La production de feu, comme il est dit : « Vous n’allumerez pas de feu, dans toutes vos demeures, le jour de Chabbat » (Ex 35, 3). Nos sages enseignent que, si ce travail est mentionné spécifiquement, c’est pour nous apprendre que chaque travail est l’objet d’un interdit particulier ; si donc un même homme accomplit deux travaux par erreur, il doit deux sacrifices expiatoires (Chabbat 70a, suivant l’opinion de Rabbi Nathan ; cf. infra, chap. 16 § 1). Le transfert d’objet, comme il est dit : « Que chacun reste en sa demeure, que personne ne sorte de sa place le septième jour » (Ex 16, 29). Cette mélakha est mentionnée spécifiquement pour nous apprendre que, bien qu’elle soit de prime abord facile à accomplir, puisqu’elle n’entraîne pas de changement dans la chose transférée elle-même, elle n’en fait pas moins partie des travaux interdits (cf. infra chap. 21 § 1).

Lorsque la Torah interdit le travail, elle vise les travaux productifs, tels que ceux que l’on accomplissait lors de la construction du Tabernacle (michkan). En revanche, les actes qui ne portent pas de production nouvelle, même s’ils requièrent un effort corporel, ne sont pas interdits. Par exemple, le transfert d’une aiguille du domaine privé au domaine public est considéré comme une mélakha, tandis que porter des chaises et des tables dans un même domaine n’est pas considéré comme une mélakha (cf. chap. 21 § 1). De même, réchauffer des aliments cuits, le Chabbat, selon certaines conditions, n’est pas considéré comme un travail, tandis que cuire est considéré comme un travail (chap. 10 § 2). Fixer une fenêtre dans ses gonds est considéré comme un travail, même s’il se fait facilement, tandis que l’ouverture et la fermeture d’une fenêtre ne sont pas des travaux (chap. 15 § 3) ; remonter un pied de table quand il s’est détaché est une mélakha, tandis qu’allonger la table en en déployant les rallonges n’est pas une mélakha (chap. 15 § 7).

Nous tirons un principe essentiel de la construction du Tabernacle : de même que le Tabernacle fut construit de façon intentionnelle et programmée – comme il est dit : « pour faire tout ouvrage de pensée[e] » (Ex 35, 33) –, de même, le Chabbat, la Torah interdit l’exécution d’ « ouvrages de pensée » (mélékhet ma’hachavet), qui ont pour but la réalisation directe de l’ouvrage. Mais celui qui exécuterait un travail en apportant un changement (chinouï) à son exécution normale, ou qui l’exécuterait pour un besoin autre que le produit même résultant de ce travail (mélakha ché-eina tsrikha légoufah), ou de façon à détériorer (meqalqel) et non à construire ou à réparer, ou de façon que l’ouvrage ne puisse avoir aucune permanence (qiyoum), celui-là n’aurait pas transgressé d’interdit toranique, car il n’aurait pas fait ce que l’on entend par l’expression « ouvrage de pensée ». Cependant, tous les actes précités sont interdits par les sages (comme nous le verrons aux paragraphes 3 à 8). À ce sujet, nos sages enseignent dans la Michna : « Les règles du Chabbat sont comme des montagnes suspendues à un cheveu : les versets qui les régissent sont en petit nombre, mais les règles, elles, sont nombreuses » (‘Haguiga 1, 8). En effet, sur la base des versets consacrés à la construction du Tabernacle, s’est forgée une profusion de règles.

On trouve encore de larges discussions au sujet de la mesure (chi’our) à partir de laquelle on est passible de sanction pour l’accomplissement d’un travail interdit. Par exemple, dans les travaux liés à la préparation de nourriture, si la transgression a pour effet de produire le volume minimal d’une groguéret (volume d’une figue sèche), on est punissable (d’un sacrifice expiatoire dans le cas d’un travail fait par erreur, de mort dans le cas d’une transgression volontaire). Dans le cas d’un volume inférieur, bien que l’on ait transgressé par là un interdit de la Torah, on n’est pas punissable. En revanche, pour des travaux tels que le labour, les semailles, la moisson ou la construction, même le plus petit acte est punissable. Pour ne pas trop étendre le champ de notre propos, nous nous limiterons à l’exposé de ce qui est interdit et de ce qui est permis, car c’est bien ce qui nous est le plus nécessaire en pratique.


[a]. Par commodité de langage, et parce que cette terminologie est très répandue dans le monde juif francophone, nous traduisons mitsvat ‘assé (« mitsva de faire ») par mitsva positive, et mitsvat lo ta’assé (« mitsva de ne pas faire ») par mitsva négative. Mais il serait plus exact de traduire : commandement de faire et commandement de ne pas faire (ou simplement : interdit).

[b]. Toutes les peines mentionnées ici, quand elles requièrent la présence du Sanhédrin – la juridiction humaine suprême – (comme la peine de mort), ou la présence du Temple (comme la peine consistant à offrir un sacrifice), ne sont pas applicables de nos jours. À l’époque même du Temple et du Sanhédrin, la peine de mort requérait la réunion de tant de conditions que son application était très rare.

 

[c]. La lecture talmudique s’appuie sur les deux parties du verset pour identifier deux peines, correspondant chacune à un cas différent de transgression.

 

[d]. Les talmudistes ont pour principe que chaque mot de la Torah apporte un supplément d’information. La Torah énonce déjà un interdit général portant sur tout travail. L’interdit qui pèse sur les quatre types de travaux mentionnés spécifiquement par la Torah aurait donc pu être déduit de cet interdit général. Si néanmoins la Torah a éprouvé le besoin de les mentionner, c’est pour nous laisser entendre une série d’enseignements supplémentaires.

[e]. Nous suivons pour ce verset la traduction d’André Chouraqui.

02. Les trente-neuf travaux du Tabernacle et leurs dérivés

Les travaux dont l’exécution est interdite le Chabbat sont l’ensemble des travaux qui furent exécutés pour les besoins de la construction du Tabernacle. En effet, juxtaposé au paragraphe relatif à la construction du Tabernacle, se trouve le verset suivant : « Toutefois, vous garderez mes Chabbats » (Ex 31, 13), afin de nous apprendre que, bien que la construction du Tabernacle soit une grande mitsva, il faut s’abstenir, pendant Chabbat, de l’ensemble des travaux nécessaires à cette construction. C’est ce qu’expriment nos sages : « On n’est punissable que pour l’exécution d’un travail assimilable à l’un des travaux nécessaires à la construction du Tabernacle » (Chabbat 49b). Il est écrit, de même : « Mes Chabbats, vous les garderez, et mon Sanctuaire, vous le craindrez ; Je suis l’Eternel » (Lv 19, 30) ; ce que Rachi commente : « Bien que Je vous mette en garde au sujet du Sanctuaire, vous garderez mes Chabbats : la construction du Temple ne repousse pas le Chabbat. »

Cela signifie que l’homme, créé à l’image de Dieu, a pour mission fondamentale de s’associer à Dieu dans le parachèvement[f] du monde. Or le parachèvement essentiel du monde réside dans la construction du Sanctuaire, dans lequel réside la Présence divine. Du Tabernacle (michkan), la lumière rayonne sur le monde entier ; il apparaît alors que l’univers entier est propre à constituer un Tabernacle, c’est-à-dire un lieu où réside la Présence divine. Car en tout lieu où l’homme accomplit son ouvrage au nom du Ciel, avec droiture et miséricorde, afin d’ajouter au bien du monde, réside la Présence divine, et la sainteté du Tabernacle s’étendra jusqu’à lui. Nous voyons donc que toutes les réalisations qui sont au monde ont pour but, dans leur essence, de faire de ce monde un Sanctuaire où repose la Présence divine. Or malgré toute la valeur de cette œuvre, nous avons ordre de nous en dessaisir le jour de Chabbat. De même que le Saint béni soit-Il créa le monde en six jours et cessa l’œuvre créatrice le septième jour, conférant en cela une signification profonde aux six jours de l’action, ainsi nous est-il ordonné de cesser notre œuvre, le Chabbat, ce par quoi il nous est donné de révéler la valeur profonde de tous nos travaux (cf. supra chap. 1 § 10).

Nous tenons qu’il fut dit à Moïse notre maître, sur le mont Sinaï, que le nombre des travaux du Tabernacle était de trente-neuf (Chabbat 70a). En voici la liste : 1) semer ; 2) labourer ; 3) moissonner ; 4) mettre en gerbe ; 5) battre les céréales ; 6) vanner ; 7) trier ; 8) moudre ; 9) tamiser ; 10) pétrir ; 11) cuire ; 12) tondre la laine ; 13) blanchir la laine ou le lin ; 14) carder ; 15) teindre ; 16) filer ; 17) ourdir ; 18) introduire deux fils de chaîne à l’intérieur des anneaux d’un métier à tisser ; 19) tisser deux fils de trame dans la chaîne ; 20) ôter deux fils de trame de la chaîne, ou deux fils de chaîne de la trame ; 21) nouer ; 22) dénouer ; 23) coudre deux points ; 24) déchirer pour recoudre deux points ; 25) chasser un cerf ; 26) l’égorger ; 27) le dépecer ; 28) saler et tanner la peau ; 29) tracer des traits ; 30) racler ; 31) découper ; 32) écrire deux lettres ; 33) effacer afin d’écrire deux lettres ; 34) construire ; 35) démolir afin de construire ; 36) éteindre un feu ; 37) allumer ou attiser un feu ; 38) donner à un ouvrage un dernier coup de marteau pour en achever la fabrication ; 39) transférer un objet d’un domaine à un autre (Chabbat 73b).

Ces trente-neuf travaux sont appelés travaux-principes (av mélakha, pluriel avot mélakhot) ; les travaux qui leur sont semblables sont, eux aussi, appelés travaux-principes. En revanche, des travaux qui ne ressemblent à un travail-principe que partiellement sont appelés dérivés (tolada, pluriel toladot). Il n’y a pas, en pratique, de différence de régime entre le principe et son dérivé : tous deux sont interdits par la Torah, et la peine encourue est identiques pour l’un et pour l’autre. Simplement, tout travail qui est semblable à ce que l’on faisait dans le cadre de la construction du Tabernacle se nomme av mélakha, tandis qu’un travail dont la ressemblance avec l’un des travaux du Tabernacle est plus éloignée se nomme tolada (Maïmonide, Commentaire de la Michna, Chabbat 7, 2).

La conséquence halakhique de la division des travaux sabbatiques en trente-neuf est que, si un même homme a fauté par erreur et a exécuté l’ensemble des trente-neuf travaux, il devra apporter au Temple trente-neuf sacrifices expiatoires. S’il a fait cinq travaux différents, il devra cinq expiatoires. Mais s’il a accompli plusieurs ouvrages relevant du même travail-principe et de ses dérivés, il ne devra qu’un seul expiatoire (Maïmonide op. cit. 7, 7-9).


[f]. Tiqoun : littéralement réparation. Amendement, processus visant à amener le monde à son but et à sa perfection.

03. L’interdit rabbinique d’exécuter des travaux en y apportant un changement, ou de les exécuter à deux

    Comme nous l’avons vu (§ 1), ce que la Torah interdit, le Chabbat, c’est d’exécuter un travail de la façon habituelle, à l’exemple des artisans qui construisaient le Tabernacle, comme il est dit : « Pour accomplir tout ouvrage d’art » (Ex 35, 33). Mais si l’on a fait ce travail de manière inhabituelle (kil’a’har yad, littéralement « du dos de la main »), c’est-à-dire en y apportant un changement (chinouï) dans le mode d’exécution, on n’a pas transgressé d’interdit toranique et, par conséquent, on n’est point passible de la peine prévue par la Torah pour sanctionner la profanation du Chabbat. Si l’on s’en tenait à cela, on pourrait, de prime abord, accomplir durant Chabbat tous les travaux, en apportant un changement au mode opératoire. Mais nos sages ont dressé une haie protectrice autour de la Torah, en interdisant d’accomplir un travail assorti d’un changement. Ainsi, celui qui transfère un objet du domaine particulier au domaine public d’une manière habituelle, par exemple en l’ayant en main, ou en le portant dans une de ses poches, transgresse un interdit toranique. Si on le porte de façon inhabituelle, par exemple sur le pied, dans la bouche, dans le creux du coude, sur l’oreille, dans les cheveux, c’est seulement un interdit rabbinique que l’on transgresse (Chabbat 92a). De même, si l’on a l’habitude d’écrire de la main droite uniquement, on transgresse un interdit toranique en écrivant de la main droite ; mais si l’on écrit de la main gauche, on transgresse un interdit rabbinique (Chabbat 103a ; cf. infra, chap. 18 § 2). Si l’on se coupe les ongles avec des ciseaux, on enfreint un interdit de la Torah ; mais si on les coupe à l’aide de ses mains, ou qu’on les ronge avec les dents, c’est un interdit rabbinique que l’on enfreint, puisque l’on modifie le procédé habituel (Chabbat 94b ; cf. infra, chap. 14 § 2).

Si deux personnes s’associent pour accomplir un travail que chacune aurait pu exécuter seule, par exemple si elles ont tenu ensemble une plume pour écrire, elles ne transgressent pas par-là d’interdit toranique. Il est écrit en effet : « Si une personne faute par erreur, parmi le peuple du pays, en faisant un des actes que l’Eternel interdit de faire, se rendant ainsi fautif » (Lv 4, 27), ce que nos maîtres élaborent : « “En faisant” : en accomplissant l’acte dans son intégralité, et non partiellement » (Chabbat 92b). Or quand deux personnes font ensemble le travail, chacune n’en accomplit qu’une partie. En revanche, s’ils font ensemble un travail qu’il eût été impossible d’exécuter seul – en transférant, par exemple, un meuble lourd de domaine à domaine –, ils transgressent l’un et l’autre un interdit toranique. Dans le cas où l’un d’entre eux pourrait porter seul ce meuble, mais que l’autre ne le pourrait point, celui qui le pourrait transgresse un interdit toranique, tandis que celui qui ne le pourrait point, et se contente d’aider l’autre, transgresse un interdit rabbinique (Maïmonide 1, 16)[1].

La différence de régime entre un interdit de la Torah et un interdit rabbinique tient à ce que, dans un cas de doute touchant un interdit toranique, on doit être rigoureux, tandis qu’en cas de doute portant sur un interdit rabbinique, il est permis d’être indulgent. De plus, en cas de nécessité, quand il existe un doute si un acte déterminé est rabbiniquement interdit ou permis, on peut l’accomplir en y apportant un changement. Par le changement, un niveau supplémentaire de doute portant sur un enseignement rabbinique affecte désormais cet acte, et il est permis d’être indulgent. (Cf. encore ci-après § 11-12, la règle de chevout de-chevout pour les besoins d’une mitsva et d’une impérieuse nécessité).


[1]. Selon certains auteurs, si deux personnes font conjointement une mélakha, ils sont quittes de tout expiatoire, mais ils ont commis un interdit toranique (Meqor ‘Haïm, Beer Yits’haq, Ora’h ‘Haïm 14). Mais pour la majorité des décisionnaires, l’interdit est rabbinique (Avné Nézer, Yoré Dé’a 393, 9-10 ; Yabia’ Omer, Ora’h ‘Haïm V 32, 7 ; cf. Chemirat Chabbat Kehilkhata 1,  Klalé mélakhot Chabbat, note 86).

04. Fondement des décrets et règlements rabbiniques en matière de Chabbat

Nos sages ont pris de nombreux décrets (gzera, plur. gzérot) en matière de Chabbat, afin de constituer une haie protectrice autour de la Torah. Par exemple, ils ont interdit la prise de médicaments, de crainte que l’on n’en vienne à broyer des plantes médicinales (cf. chap. 28 § 4). Ils ont également interdit de monter une bête et de se servir d’un arbre (en y montant ou en s’y appuyant, par exemple), de crainte d’en venir à couper une branche (chap. 19 § 7 ; 20 § 1). Ils ont encore interdit d’effectuer, sur le produit du sol, les prélèvements (terouma, plur. teroumot) destinés aux prêtres, et de prélever les dîmes (ma’asser, plur. ma’asserot), car on semblerait, ce faisant, consacrer la terouma et rendre les fruits permis à la consommation (chap. 22 § 5). Ils ont, de plus, interdit de jouer de la musique instrumentale, de crainte d’en venir à réparer les instruments (22 § 17). Ils interdisent aussi de demander à un non-Juif d’exécuter un travail pour nous (25 § 1). De même, nos maîtres ont défendu de tirer profit d’un travail exécuté en infraction avec un interdit sabbatique (26 § 1).

Nos sages ont, par ailleurs, édicté des règlements (taqana, pluriel taqanot), destinés à préserver le caractère du Chabbat en tant que jour de repos et de sainteté. Ils nous prescrivent ainsi de ne point parler d’affaires profanes le Chabbat, de ne pas aller examiner celles-ci, ni de préparer, durant Chabbat, des choses destinées aux jours de la semaine (chap. 22 § 9-10 et 15). De même, ils nous prescrivent de ne pas marcher rapidement, de la manière dont on marche durant les jours profanes (22 § 7). Ils interdisent encore de prendre des mesures, durant Chabbat, de la façon dont on mesure pendant la semaine (22 § 6). En outre, ils attribuent à tout objet qui n’est pas destiné à être utilisé le Chabbat un statut de mouqtsé (objet mis « hors l’esprit »), qu’il est interdit de déplacer, afin d’empêcher que l’on se fatigue à ranger sa maison ou sa remise, ce qui rendrait le Chabbat semblable à un jour de semaine (chap. 23 § 1).

De même, si les sages interdisent d’exécuter un travail en y apportant un changement, ou par le biais de deux personnes, cela répond aux deux préoccupations que nous évoquions : empêcher que l’on ne se trompe en exécutant finalement ce travail d’une manière habituelle, enfreignant ainsi un interdit toranique ; et préserver le caractère propre du Chabbat.

Ce n’est pas de leur propre chef que nos sages ont décidé d’ajouter aux interdits déjà prévus par la Torah : c’est la Torah elle-même qui leur ordonne de placer des haies protectrices autour d’elle, comme il est dit : « Vous préserverez mon observance » (littéralement : « Vous garderez ma garde ») (Lv 18, 30), ce que nos sages entendent comme : « Etablissez une garde pour ma garde », des normes autour de mes normes (Yevamot 21a). De plus, les sages ont reçu pour mission de donner expression, au moyen de règlements, à l’intention poursuivie par la Torah, comme il est dit : « Interroge ton père, il te racontera, tes anciens, ils te le diront » (Dt 32, 7). Les Juifs, de leur côté, ont ordre d’observer ces décrets et règlements, comme il est dit : « Tu ne t’écarteras pas de la parole qu’ils te diront, ni à droite ni à gauche » (Dt 17, 11 ; cf. Chabbat 23a). La raison en est que les paroles de la Torah écrite sont célestes, et ont seulement pour but de définir les principes. Pour que la Torah s’accomplisse en nous, nos sages ont reçu ordre de donner un cadre aux mitsvot de la Torah, par des décrets et des bornes. Toutes les limites protectrices, tous les règlements décidés par nos sages sont fondés sur les principes enseignés par la Torah écrite.

De même, en ce qui concerne les lois du Chabbat : nous l’avons vu, l’interdit du travail a pour objet de nous faire cesser notre activité et de nous donner du repos, comme il est dit : « Mais le jour du Chabbat, tu chômeras » (Ex 34, 21), et : « Tu ne feras aucun travail, toi, ton fils, ta fille, ton serviteur ni ta servante… afin que ton serviteur et ta servante se reposent comme toi » (Dt 5, 13). Or si l’on exécutait des travaux en y apportant un changement, on ne cesserait pas son activité ; et si l’on déplaçait des objets destinés à l’usage de la semaine, on ne se reposerait pas. C’est pourquoi nos sages ont interdit l’exécution modifiée d’un travail, ainsi que le déplacement du mouqtsé (cf. Na’hmanide sur Lv 23, 24, Maïmonide, Chabbat 21, 1 ; 24, 12).

La mitsva d’édicter des règlements était confiée au grand tribunal de soixante et onze anciens, qui siégeait près du Tabernacle ou, plus tard, du Temple. Ce tribunal avait d’abord été fondé par Moïse notre maître, et son existence se prolongea jusqu’à la destruction du deuxième Temple. Tous les sages qui en étaient membres avaient reçu l’ordination, transmise de maître à disciple, depuis Moïse notre maître. Tout le peuple juif est tenu d’observer les règlements de ce haut tribunal, comme il est dit : « Tu agiras conformément à la parole qu’ils [les membres du haut tribunal] te diront, depuis ce lieu qu’aura choisi l’Eternel, et tu auras soin d’observer tout ce qu’ils t’enseigneront. C’est selon la Torah qu’ils t’enseigneront, suivant la loi qu’ils t’indiqueront, que tu agiras ; tu ne t’écarteras pas de la parole qu’ils te diront, ni à droite ni à gauche » (Dt 17, 10-11).

05. Davar ché-eino mitkaven et psiq reicha

  • Davar ché-eino mitkaven
  • Si l’on a l’intention d’accomplir un acte permis, et qu’au moment de son accomplissement il soit possible qu’une mélakha s’accomplisse également – mélakha qui aurait une utilité si elle s’accomplissait –, mais que l’on n’ait pas l’intention de faire ce travail interdit, et qu’il ne soit pas non plus certain qu’il s’accomplira, on est autorisé à exécuter l’acte permis, sans craindre que celui-ci soit accompagné de la chose interdite. Par conséquent, il est permis, le Chabbat, de traîner un lit ou un banc sur le sol, bien qu’il y ait une majorité de chances que les pieds du meuble creusent des sillons sur le sol, ce qui s’apparente au labour (‘haricha). En effet, puisque l’on n’a pas l’intention de labourer, et puisqu’il n’est pas non plus certain que le fait de traîner ce meuble produira des rainures, la chose est permise. De même, il est permis de marcher sur l’herbe en un lieu où il est probable que la marche aura pour effet d’arracher des brins d’herbe, parce que l’on n’a pas l’intention d’arracher, et qu’il n’est pas certain qu’on arrachera des herbes en marchant. Cette notion s’appelle davar ché-eino mitkaven (« chose sur laquelle ne porte pas l’intention »).

     

    1. Psiq reicha

    Mais s’il est certain (vadaï) que le fait de traîner le banc occasionnera la formation d’un sillon dans le sol, cela devient interdit (cf. chap. 19 § 2). De même, s’il est clair qu’en marchant on provoquera l’arrachement de brins d’herbe, il devient interdit de marcher là (19 § 8). Car dès lors que l’on a la certitude que l’accomplissement de l’acte permis entraînera nécessairement la réalisation d’un acte interdit, on ne saurait prétendre que l’on n’en a pas l’intention. On est alors juridiquement assimilable à celui qui commettrait l’interdit intentionnellement. Simplement, si l’on a intérêt à la conséquence interdite de l’acte, l’interdit sera toranique ; tandis que si l’on ne trouve pas d’intérêt dans la conséquence interdite, l’interdit sera rabbinique.

    De même, il est interdit de fermer la porte de sa maison quand il s’y trouve un cerf. On ne peut prétendre que l’on souhaite seulement fermer sa porte, et non capturer le cerf ; en effet, dès lors que je suis certain qu’en fermant la porte je capturerai le cerf, mon cas ne diffère pas de celui qui en aurait l’intention (Chabbat 106b).

    Cela peut se comparer au cas suivant : je tranche la tête d’un volatile pour qu’un enfant puisse jouer avec cette tête. J’assure n’avoir aucune intention de tuer le volatile mais seulement d’en trancher la tête. Cette prétention n’est pas recevable, car il est clair que, en tranchant la tête du volatile, je trouve un intérêt dans le fait de le tuer, si bien que j’enfreins par là un interdit toranique. C’est d’après ce cas d’école que le Talmud appelle le présent principe psiq reicha vélo yamout (« la tête est coupée mais il ne mourra pas ») (Chabbat 75a ; Maïmonide 1, 5-6, Kessef Michné ad loc.).

    Ces principes ne sont pas spécifiques au Chabbat : pour tous les interdits de la Torah, la règle veut que davar ché-eino mitkaven soit permis, et que psiq reicha soit interdit[2].


    [2]. Selon Rabbi Yehouda, davar ché-eino mitkaven (« une chose sur quoi ne porte pas l’intention ») est un interdit rabbinique : même dans le cas où il n’est pas certain que l’ouvrage se réalisera, et où le but de l’acte est uniquement d’accomplir la chose permise, cela reste interdit, dès lors que celui qui fait l’acte tire bénéfice de l’ouvrage interdit. Selon Rabbi Chimon, dès lors que l’intention vise uniquement la chose permise, et qu’il n’est pas certain que l’ouvrage interdit se réalisera, l’acte est permis (Beitsa 23a). Rav se range à l’opinion de Rabbi Yehouda, Chemouel à celle de Rabbi Chimon. Abayé dit au nom de Rabba qu’en la matière la halakha suit l’opinion de Rabbin Chimon : davar ché-eino mitkaven est chose permise (Chabbat 22a). S’agissant même d’un acte entraînant la réalisation d’un ouvrage interdit par la Torah, cela reste permis (Chabbat 46b).

     

    Ce principe s’applique à tous les interdits de la Torah. À leur égard aussi, la halakha suit l’opinion de Rabbi Chimon, comme l’écrivent Tossephot (75a ד »ה מתעסק). C’est aussi l’avis du Rachba, du Roch (14, 9) et du Ran, contrairement au Cheïltot, qui estime qu’en ce domaine la halakha ne suit Rabbi Chimon qu’en matière de Chabbat, du fait que la Torah n’interdit effectivement que les ouvrages investis d’une intention (mélékhet ma’hachavet) (comme expliqué en Tossephot 110b ד »ה תלמוד).

     

    Même quand il est presque sûr (qarov lévadaï) que la conséquence interdite s’accomplira, certains permettent l’acte qui risque de l’entraîner, car l’ouvrage interdit reste un davar ché-eino mitkaven (Méïri, Ritva, Rivach). D’autres l’interdisent rabbiniquement (Teroumat Hadéchen 64, Maharcha cité par Béour Halakha 277, 1 ד »ה שמא). Quand il est certain que l’ouvrage interdit se réalisera à moins d’une circonstance inattendue, l’acte est, selon tous les avis, interdit toraniquement.

     

    Psiq reicha quand la conséquence engendrée par l’acte est un interdit rabbinique (psiq reicha bé-issour ‘Hakhamim) : selon la majorité des décisionnaires, l’acte est interdit. Aussi est-il interdit de traîner un banc quand il est certain qu’une rainure se creusera, bien que le creusement de la rainure soit réalisé de manière inhabituelle (avec un changement, chinouï) et que, dès lors, l’interdit soit rabbinique. Tel est l’avis du Maguen Avraham (314, 5), et c’est ce qui ressort de Tossephot, Na’hmanide, Ritva, Roch et Choul’han ‘Aroukh 337, 1. C’est aussi l’opinion des décisionnaires suivants : Elya Rabba, Tosséfet Chabbat, le Gaon de Vilna, Choul’han ‘Aroukh Harav 337, 1 et 3, ‘Hayé Adam 30, 2, Rabbi Aqiba Eiger, Ben Ich ‘Haï (II Vaéra 6), Michna Beroura 314, 11 puis 316, 18 et Cha’ar Hatsioun 21. Toutefois certains auteurs sont indulgents (Teroumat Hadéchen, Méïri, Maharcham), et l’on prend en considération leur opinion, dans certains cas, comme élément supplémentaire contribuant à l’indulgence (cf. Yabia’ Omer IV 34, Menou’hat Ahava II 1, 6).

     

    Psiq reicha quand la conséquence engendrée par l’acte n’apporte aucun bénéfice à son auteur (psiq reicha dela ni’ha leh) : selon le ‘Aroukh et plusieurs Richonim, l’acte est permis. Selon eux, la permission qui est donnée dans le cas de davar ché-eino mitkaven s’applique également quand il est certain que l’ouvrage interdit s’accomplira, du moment que ce résultat ne convient pas à l’auteur de l’acte (ce qui inclut aussi le cas où ce résultat lui est indifférent). Toutefois, cette opinion indulgente ne s’applique pas au cas même où l’on tranche la tête d’un poulet, car prétendre ne pas avoir l’intention de tuer le poulet n’est pas recevable, soit que cette prétention ne puisse être crue, soit que, quand bien même elle pourrait l’être, elle ne prévaut pas chez la plupart des gens. En revanche, quand il est véridique que l’ouvrage engendré par l’acte n’apporte aucun bénéfice à son auteur, le cas relève, aux yeux du ‘Aroukh, du davar ché-eino mitkaven, et cela est permis. Mais pour la grande majorité des décisionnaires, c’est un interdit rabbinique. On associe simplement l’opinion du ‘Aroukh, dans certains cas, comme élément supplémentaire contribuant à l’indulgence.

     

    Psiq reicha quand la conséquence engendrée n’apporte pas de bénéfice à l’auteur de l’acte, et que cette conséquence est un interdit rabbinique (psiq reicha dela ni’ha bé-issour derabbanan) : certains permettent, d’autres interdisent. En cas de nécessité, on est indulgent (Michna Beroura 316, 5 ; 321, 57). Cf. Yabia’ omer V 27, 1 selon lequel la chose est permise aux yeux de la majorité des décisionnaires. En tout état de cause, ce cas relève du principe de chevout de-chevout (cf. infra, § 11-12), où l’on est indulgent pour les besoins d’une mitsva ou en cas de grande nécessité. Dans le cas d’un psiq reicha dela ni’ha leh comportant deux éléments faisant chacun appel à des dispositions rabbiniques, de nombreux auteurs permettent l’acte a priori (Peri Mégadim, Echel Avraham 316, Echel Avraham 7 ; Dagoul Merevava 340 ; cf. infra, chap. 18 § 3, note 2. Du Michna Beroura 340, 17 on peut inférer que, de prime abord, l’auteur est rigoureux).

     

    Psiq reicha douteux (sfeq psiq reicha) : par exemple, dans le cas où l’on ferme une porte et où il est douteux qu’il y ait là un cerf ; ou dans le cas où l’on ouvre un réfrigérateur et où l’on n’est pas sûr d’en avoir éteint l’ampoule avant Chabbat. Certains auteurs permettent l’acte, en le rattachant au cas de davar ché-eino mitkaven (Taz 316, 3). D’autres l’interdisent car la réalité sur laquelle porte le doute est déjà existante, ce qui nous ramène à un cas de doute portant sur un interdit toranique, cas dans lequel on est rigoureux (Rabbi Aqiba Eiger). En cas de nécessité, on est indulgent ; si l’acte qui en résulte est un interdit rabbinique, on est assurément indulgent, de même qu’on l’est dans un cas de doute portant sur une prescription rabbinique (comme l’explique le Béour Halakha 316, 3 ד »ה ולכן).

    Certaines choses dépendent entièrement de l’intention : si l’on vise un résultat interdit, elles sont interdites, et si l’on vise un résultat permis, elles sont permises. Cf. infra, chap. 15 § 10 en matière de bois aromatiques ; Har’havot 9, 5, 9 en matière d’eau froide dont on remplit une casserole chaude).

     

    06. Mélakha ché-eina tsrikha légoufah (ouvrage dont la nécessité ne réside pas en lui-même)

    Comme nous l’avons vu, un principe particulier s’applique au Chabbat : c’est l’ouvrage assorti d’une intention (mélékhet ma’hachavet) que la Torah interdit d’exécuter, c’est-à-dire un ouvrage accompli dans l’intention délibérée de l’accomplir. À partir de là, une controverse se fait jour entre les Tannaïm, sur la règle qui s’applique lorsqu’on a l’intention d’accomplir un travail déterminé, mais non pour les besoins mêmes du produit qui en résulte[g]. Par exemple, l’extinction d’une lampe traditionnelle, quand ce travail est exécuté pour lui-même, vise la production de charbon, ou le mouchage de la mèche, afin que l’on puisse mieux l’allumer ensuite. Dans ces différents cas, une utilité directe réside dans l’extinction elle-même. En revanche, si l’on éteint la lampe parce que l’on veut économiser l’huile, ou parce que l’on est dérangé par la lumière, on n’aura pas effectué ce travail pour le produit même de l’extinction, mais parce que l’on ne voulait pas que la lampe continuât de brûler : on aura accompli ce travail, mais non pour les besoins du produit qui en résulte. Selon Rabbi Chimon, puisqu’il s’agit d’un ouvrage dont la nécessité ne réside pas en lui-même (mélakha ché-eina tsrikha légoufah), le travail qui l’a fait naître n’est interdit que rabbiniquement.  Selon Rabbi Yehouda, en revanche, même dans le cas où l’on ne vise pas le produit même de l’action (le « corps de l’ouvrage »), et dès lors que l’on a, en pratique, l’intention d’éteindre la lampe, on exécute un travail et l’on transgresse un interdit toranique (Chabbat 31b ; 93b ; cf. infra, chap. 16 § 5).

    Autre exemple : si l’on creuse un trou dans le sol afin d’y fixer l’une des poutres de sa maison, on transgresse l’interdit de construire (boné) ; de même, si l’on creuse un trou pour y planter un arbre, on transgresse l’interdit de labourer (‘horech). Mais si l’on a besoin de terre, et que l’on creuse la terre pour cette raison, on aura effectué un travail de creusement, mais non pour les besoins du produit de ce creusement lui-même[h]. Selon Rabbi Chimon, puisque l’intention est ici d’extraire de la terre et non de creuser un trou, on ne transgresse pas en cela d’interdit toranique, mais seulement un interdit rabbinique. Selon Rabbi Yehouda, puisqu’en pratique on exécute intentionnellement un travail de creusement, on enfreint un interdit toranique (la mélakha de ‘horech, labourer).

    Certes, tout le monde s’accorde à dire qu’il est interdit d’accomplir un tel ouvrage, qui n’est pas nécessaire pour lui-même ; mais ce débat est d’importance essentielle : si le fait d’exécuter un ouvrage qui n’est pas nécessaire pour lui-même constitue un interdit rabbinique seulement, il sera possible de l’autoriser dans des cas déterminés ; mais si cet interdit est toranique, on ne pourra l’autoriser en aucune façon.

    En pratique, la grande majorité des décisionnaires estiment qu’exécuter un ouvrage qui n’est pas nécessaire pour lui-même est un interdit rabbinique (Rav Haï Gaon, Rabbénou ‘Hananel, Na’hmanide, Rachba, Roch). Toutefois, puisque certains décisionnaires sont rigoureux (Maïmonide, Chabbat 1, 7), et que, de plus, ce qui différencie un tel acte d’un travail interdit par la Torah réside uniquement dans l’intention qui y préside, la mélakha ché-eina tsrikha légoufah est considérée comme plus grave que les autres interdits rabbiniques[3].


    [g].  Létsorekh goufo : littéralement, « pour son propre besoin ».

    [h].  Dans les deux premiers cas, ce qui est visé est le trou, destiné aux besoins d’un autre ouvrage ; dans le dernier, c’est la terre.

     

    [3]. Le Choul’han ‘Aroukh 316, 8 et 334, 27 mentionne, sans attribution spécifique, l’opinion de la majorité des décisionnaires, puis il mentionne l’opinion de Maïmonide en citant expressément son nom, afin de nous laisser entendre que l’opinion principale est celle de la majorité des décisionnaires. Le Michna Beroura 334, 85 et le Yabia’ Omer IV 23, 1 se prononcent en ce sens. Toutefois, on est plus rigoureux en matière de mélakha ché-eina tsrikha légoufah que dans les autres interdits rabbiniques, car son exécution est semblable à celle d’un ouvrage interdit par la Torah (Tossephot, Chabbat 46b ד »ה דכל ; Cha’ar Hatsioun 278, 4).

     

    La différence entre mélakha ché-eina tsrikha légoufah et psiq reicha tient au fait que, dans le psiq reicha, je suis intéressé par l’obtention de la conséquence interdite, si bien que l’acte est interdit par la Torah elle-même ; tandis que, dans la mélakha ché-eina tsrikha légoufah, je ne suis pas intéressé par la conséquence interdite, ce qui fait de l’acte, selon une majorité de décisionnaires, un interdit rabbinique. Si bien que, dans tous les cas où l’auteur du psiq reicha ne tire aucun profit de son acte (psiq reicha dela ni’ha leh, cf. note 2), l’interdit est rabbinique. Simplement, quand je tranche la tête d’un poulet, je ne peux arguer que la mise à mort du poulet ne m’est d’aucun profit : une telle prétention ne serait qu’une feinte naïveté, car quiconque tranche la tête d’un poulet veut tuer celui-ci. C’est l’opinion de Tossephot (Chabbat 103a ד »ה בארעא) et de Maïmonide (tel que l’explique le commentaire de Rabbénou Pera’hia 42, 1).

     

    On peut ajouter que, dans le psiq reicha, l’action permise est annexe et s’annule devant l’acte interdit, tandis que, dans la mélakha ché-eina tsrikha légoufah, l’action permise ne s’annule pas ; si bien que, suivant Rabbi Chimon, l’interdit n’est que rabbinique.

     

    Les Richonim expliquent encore que la mélakha ché-eina tsrikha légoufah consiste en une seule action ; aussi, quand mon intention vise le but permis, ma pensée fait disparaître toute intention qui se porterait sur l’interdit. Le psiq reicha, en revanche, est porteur de deux conséquences, et l’intention permise, qui se porte sur la conséquence autorisée, n’annule pas l’interdit frappant la seconde conséquence (ainsi que le rapportent le Rachba et le Ritva). Cf. Har’havot 9, 6.

     

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