La prière d’Israël

01 – Les bénédictions de reconnaissance

Nos sages ont institué de nombreuses bénédictions qui doivent se dire le matin au lever. Leur but est d’exprimer notre reconnaissance envers Dieu pour le bien qu’il nous prodigue chaque jour. Il est ainsi rapporté en substance dans le Talmud (Berakhot 60b) :

Quand on se réveille, on exprime sa reconnaissance envers Dieu en disant : “Mon Dieu, l’âme que Tu as placée en moi est pure ; Tu l’as créée (…) Sois béni, Eternel, qui rends leur âme aux défunts”. Quand on en entend le chant du coq, qui annonce la venue du jour nouveau, on dit : “Sois béni, Eternel, notre Dieu, Roi de l’univers, qui donnes au coq l’intelligence de distinguer le jour de la nuit”. Lorsqu’on ouvre les yeux, on prononce la bénédiction : “… qui rends la vue aux aveugles”. Quand on redresse ses membres et que l’on s’assoit sur son lit après avoir été retenu par les chaînes du sommeil, on dit : “qui délivres les captifs”. Lorsqu’on s’habille : “qui habilles ceux qui sont nus”. Quand on se lève : “qui redresses ceux qui sont courbés”. Lorsqu’on se tient fermement debout sur le sol : “qui étends la terre sur les eaux”. Quand on met ses chaussures : “qui as répondu à tous mes besoins”. Quand on commence à marcher : “qui diriges les pas de l’homme”. Quand on attache sa ceinture à son pantalon : “qui ceins Israël de vaillance”. Lorsqu’on met un couvre-chef, chapeau ou kippa : “qui couronnes Israël de gloire”. Lorsqu’on se lave rituellement les mains : “qui nous as sanctifiés par tes commandements et nous as ordonné de nous laver les mains”. Et lorsqu’on se lave le visage, on dit : “qui ôtes les chaines du sommeil de mes yeux”, etc.

Les sages ont encore institué trois bénédictions de reconnaissance particulières pour louer Dieu de nous avoir choisis et de nous avoir donné ses commandements : “qui ne m’as pas fait naître non-juif”, “qui ne m’as pas fait naître esclave” et “qui ne m’as pas fait naître femme1. Les femmes disent : “qui m’as fait naître selon Ta volonté”.

La routine de l’existence détourne généralement notre attention de toute la bonté que le Saint béni soit-Il déploie en notre faveur. En raison de cette méconnaissance, même les bienfaits quotidiens dont le Saint béni soit-Il gratifie l’homme ne parviennent pas à le réjouir ; sa vie devient ennuyeuse, vide, et pour sortir de cette apathie, il se cherche différentes sources de plaisir. Afin que nous ne soyons pas ingrats, nos sages ont institué pour nous les bénédictions matinales (Birkot hacha’har), dans lesquelles nous rendons grâce à notre Créateur pour toutes choses, petites ou grandes, par lesquelles nous pouvons œuvrer dans le monde. Grâce à cette reconnaissance à l’égard de Dieu, nous accédons à une réflexion sur le monde qui procède d’une vision riche et pleine ; nous apprenons que toute chose, dans notre vie, est dotée d’une valeur divine, et le désir s’éveille en nous d’œuvrer pour le bien durant le jour nouveau.

  1. Cette bénédiction ne porte évidemment la marque d’aucune mésestimation de la femme, créée à l’image de Dieu, en regard de l’homme et en pleine égalité avec celui-ci. Elle exprime la reconnaissance de l’homme d’avoir reçu, en tant que tel, davantage de commandements à accomplir. De même, en louant Dieu de ne nous avoir pas fait naître non-Juifs, c’est pour l’alliance de la Torah et des six cent treize mitsvot que nous exprimons notre reconnaissance.

02 – L’ordre des bénédictions matinales

Comme nous l’avons vu, la décision des sages consistait à l’origine à bénir et à louer Dieu pour chaque chose au moment même de sa jouissance : lorsqu’on se réveille, on exprime sa reconnaissance envers Dieu pour l’âme qu’il place en notre sein, en prononçant la bénédiction Elo-haï néchama (« Mon Dieu, l’âme que tu as placée en moi est pure ») ; quand on ouvre les yeux, on dit Poqéa’h ‘ivrim (« qui rends la vue aux aveugles »), lorsqu’on redresse ses membres, on dit Matir assourim (« qui délivres les captifs »), et ainsi de toutes les bénédictions. Mais de nos jours, la coutume a changé, et l’on a l’habitude de dire toutes les Birkot hacha’har d’un seul tenant.

On peut à première vue s’en étonner : n’est-il pas évident qu’il convient mieux de louer Dieu au moment même de la jouissance éprouvée ? De cette façon, le processus du réveil est doté d’une signification profonde, dans la mesure où des bénédictions de reconnaissance envers Dieu accompagnent chaque étape du lever. Et en effet, Maïmonide décide que l’on doit dire chacune des bénédictions du matin exactement comme il est expliqué dans le Talmud, chacune au moment adéquat. Certains Juifs originaires du Yémen se conforment à l’usage de Maïmonide, de nos jours encore.

Mais, comme nous l’avons dit, la coutume généralement répandue consiste à dire toutes ensemble les Birkot hacha’har, à la synagogue ou chez soi, après avoir fait sa toilette et s’être habillé. Il y a plusieurs raisons à cela : la première est que les sages ont décidé que l’officiant devait dire à voix haute les Birkot hacha’har à la synagogue, afin d’acquitter les ignorants – qui ne les savent pas par cœur – de leur obligation. Pour ceux-là même qui connaissent les bénédictions par cœur, il est à craindre qu’en raison des préoccupations liées à leur lever, ils n’oublient quelqu’une d’entre elles ; tandis que s’ils les récitent en s’appuyant sur leur sidour, à la synagogue, ils se souviendront de les prononcer toutes. De plus, il nous importe de parfaire notre pratique, et de prononcer les bénédictions matinales de la façon la plus honorable, c’est-à-dire avec les mains propres et un vêtement convenable. Aussi repoussons-nous la récitation des bénédictions jusqu’à ce que nous ayons terminé tous les préparatifs en vue de la prière (Choul’han ‘Aroukh 46, 2). Par ailleurs, il est très difficile à certains de se concentrer immédiatement au réveil, et ce n’est qu’après s’être habillés et nettoyé le visage qu’ils peuvent dire les bénédictions du matin avec kavana (Séder Hayom).

03 – Les Birkot hacha’har pour celui qui n’éprouve pas la jouissance correspondante

Les grands Richonim (décisionnaires du 11ème au 16ème siècle) sont partagés sur la question suivante : un homme qui ne jouit pas de façon personnelle de l’objet d’une des bénédictions matinales peut-il néanmoins la prononcer ? Par exemple, un aveugle peut-il dire Poqéa’h ‘ivrim  (« qui rends la vue aux aveugles ») ?

Selon Maïmonide (Téphila 7, 9), seul celui qui jouit d’une chose peut dire la bénédiction qui s’y rapporte. Par conséquent, une personne qui a dormi la nuit dans ses vêtements n’a pas à dire Malbich ‘aroumim  (« qui habilles ceux qui sont nus »), puisqu’elle n’a pas à s’habiller le matin. Un invalide privé de la faculté de marcher ne dit pas Hamékhin mits’adé gaver (« qui orientes les pas de l’homme »). Une personne paralysée, qui ne peut mouvoir ses membres, ne dit pas Matir assourim  (« qui délivres les captifs »), ni Zoqef kéfoufim (« qui redresse ceux qui sont courbés »). Tel est l’usage d’une partie des Juifs originaires du Yémen. L’auteur du Choul’han ‘Aroukh lui-même (Ora’h ‘Haïm 46, 8) tient compte de l’opinion de Maïmonide et décide que l’on ne mentionne pas le nom de Dieu (A-donaï) dans des bénédictions se rapportant à des choses dont on ne tire pas de jouissance.

Face à cela, l’auteur du Kolbo (chap. 1) écrit au nom de Rav Netronaï Gaon, du Rav Amram Gaon et des autres Guéonim1 que la coutume est de dire toutes les bénédictions du matin dans l’ordre, que l’on jouisse ou non de ce à quoi elles se rapportent, car ces bénédictions matinales ont été instituées pour la jouissance qu’en tirent la généralité des gens. De plus, le fait que d’autres jouissent d’une certaine chose profite, de manière indirecte, à celui-là même qui n’en jouit pas directement. Aussi, même une personne paralysée qui ne peut se redresser, bénira Dieu pour le fait que d’autres puissent se redresser et l’aider. De même, un aveugle dira la bénédiction Poqéa’h ‘ivrim (« qui rends la vue aux aveugles ») pour ce que d’autres peuvent voir, et peuvent grâce à cela lui indiquer son chemin, lui préparer tout ce dont il a besoin. C’est dans ce sens que tranche le Rama.

Dans le même sens, selon Rabbi Isaac Louria, tout Juif doit dire le rituel des bénédictions du matin dans son intégralité, afin de louer Dieu pour les bienfaits généraux dont Il gratifie le monde. Or, dans les coutumes de prière, les Séfarades ont pris, sur de nombreux points, l’usage d’aller selon les vues de Rabbi Isaac Louria. Aussi, les Séfarades ont-ils, eux aussi, pour coutume de dire toutes les Birkot hacha’har dans l’ordre, sans distinction2.

  1. Gaon, Guéonim : maîtres des académies babyloniennes à l’époque post-talmudique (du 6ème au 11ème siècle de l’ère civile).
  2. Les décisionnaires sont partagés sur la question de savoir si l’on doit dire, le jour de Kippour et à Tich’a béav (le 9 av, jour du deuil national) la bénédiction Chéassa li kol tsorkhaï – ou kol tsorki, selon les versions – (« qui as satisfait tous mes besoins »), bénédiction se rapportant aux chaussures, alors que durant ces deux jours, il est interdit de se chausser de cuir comme à l’habitude. D’après le Roch, le Ritva et le Tour, on dit cette bénédiction ; c’est en ce sens que se prononce le Michna Beroura 554, 31 d’après le Levouch, le Elya Rabba et le Peri Mégadim. Tel est l’usage des Ashkénazes et d’une partie des Séfarades (cf. Yalqout Yossef VIII p. 51). Mais selon Rabbi Isaac Louria, bien qu’un endeuillé dise Chéassa li kol tsorkhaï durant son deuil, nous ne devons pas prononcer cette bénédiction durant ces deux jours de jeûne. C’est ce que décident en pratique le ‘Hida, le Ben Ich ‘Haï et le Kaf Ha’haïm 46, 17. Le Rav Péalim 2, 8 ajoute que, d’après cet usage, on ne dit pas non plus cette bénédiction à l’issue du jeûne. (Le Maassé Rav rapporte en revanche que le Gaon de Vilna avait coutume de dire la bénédiction à l’issue du jeûne).

04 – Heure limite des bénédictions du matin

Si l’on a oublié de réciter les Birkot hacha’har avant la prière, on pourra les réciter après la prière, à quelques exceptions près. La bénédiction sur l’ablution des mains, Al nétilat yadaïm  ne peut être dite après la prière, puisqu’elle a été instituée comme préparation à celle-ci. De même, on ne pourra réciter après la prière les bénédictions de la Torah (Birkot Hatorah, cf. chapitre suivant), car on s’en sera déjà acquitté par la bénédiction Ahavat ‘olam (bénédiction qui précède le Chéma, voir chap. 16). On ne pourra pas non plus dire la bénédiction Elo-haï néchama, car certains sont d’avis que l’on s’en sera déjà acquitté par la bénédiction Mé’hayé hamétim (« qui ressuscites les défunts »), dans la ‘Amida.

Aussi, si l’on est contraint de sauter les bénédictions du matin pour pouvoir se joindre à temps à la prière publique, on commencera, à tout le moins, par dire les bénédictions Al nétilat yadaïm, Elo-haï néchama et les bénédictions de la Torah, car si l’on ne les récite pas préalablement, on ne pourra plus les rattraper après la prière (Michna Beroura 52, 2) 1.

Jusqu’à quand peut-on dire les Birkot hacha’har ? Etant donné que certains auteurs établissent une équivalence entre l’heure limite de leur récitation et l’heure limite de l’office du matin, on s’efforcera a priori de les réciter avant la fin de la quatrième heure solaire du jour. A posteriori, on pourra les dire jusqu’au midi solaire. Mais si l’on n’a pas eu le temps de les dire avant midi, on pourra les réciter toute la journée, car l’opinion de la majorité des décisionnaires est que l’heure limite de ces bénédictions est différente de celle de la prière de Cha’harit : en effet, il s’agit de bénédictions de reconnaissance pour les bonnes choses dont l’homme jouit au cours de la journée ; aussi, dans le cas où elles n’auraient pas été récitées le matin, on pourra les dire a posteriori jusqu’à la fin de la journée2.

    1. Voir chap. suivant § 2 note 2, où la question est largement abordée du point de vue des bénédictions de la Torah. Au sujet de Elo-haï néchama, le Michna Beroura 52, 9 et le Béour Halakha ad loc. disent que, selon le Peri ‘Hadach, on s’acquitte de son obligation par la bénédiction Mé’hayé hamétim, dans la ‘Amida. Le ‘Hayé Adam et le Dérekh Ha’haïm reproduisent les paroles du Peri ‘Hadach. Certes, le Maamar Mordekhaï s’oppose à ces vues, et le Peri Mégadim écrit que les termes du Rama lui-même ne semblent pas s’accorder avec elles ; et c’est ce qui semble se dégager des paroles du Gaon de Vilna. Mais quoi qu’il en soit, pour sortir du doute, celui qui doit sauter les Birkot hacha’har pour pouvoir prier en communauté dira préalablement Elo-haï néchama. Si l’on n’a pas dit cette bénédiction, on ne la récitera pas après la prière, selon le principe safeq berakha lehaqel (en cas de doute sur la nécessité de dire une bénédiction, on est indulgent, c’est-à-dire que l’on s’abstient). Toutefois, selon le Béour Halakha, celui qui s’appuie sur les décisionnaires d’après lesquels on peut dire Elo-haï néchama après la prière « ne perd rien ». Le Michna Beroura écrit encore que, si l’on a l’intention expresse de ne pas s’acquitter de Elo-haï néchama par la bénédiction Mé’hayé hamétim dans la ‘Amida, on ne s’en acquitte pas et, dès lors, on peut dire cette bénédiction après la prière. Le Ye’havé Da’at 4, 5 écrit en note qu’une telle intention est inefficace ; d’après cela, si l’on s’aperçoit, au milieu des bénédictions du Chéma, que l’on n’a pas dit les Birkot hacha’har, on dira Elo-haï néchama entre deux bénédictions du Chéma ou entre une bénédiction du Chéma et le Chéma lui-même, afin de ne pas laisser passer l’occasion de dire cette bénédiction (Yalqout Yossef I p. 53)
    2. Le Dérekh Ha’haïm écrit, d’après le Maguen Avraham, que la règle qui s’applique aux Birkot hacha’har équivaut à celle qui s’applique à la prière du matin : de même que l’heure limite de la prière du matin est la fin de la quatrième heure solaire – c’est-à-dire la fin du premier tiers de la journée – ainsi en est-il des bénédictions matinales. D’autres pensent que, de même que la prière de Cha’harit peut être dite a posteriori jusqu’au milieu du jour, ainsi en est-il des bénédictions matinales (Rav Chelomo Kluger). Selon le Kaf Ha’haïm 71, 4, si l’on a déjà dit la prière de Cha’harit, on peut réciter les bénédictions matinales jusqu’à la fin de la quatrième heure, mais si l’on n’a pas encore prié, on peut les prononcer jusqu’au midi solaire. Toutefois, de l’avis de la majorité des décisionnaires, il n’y a pas de corrélation entre les Birkot hacha’har et la prière ; celui qui oublie de dire ces bénédictions le matin peut donc les prononcer toute la journée. C’est ce qu’écrivent le Michna Beroura 52, 10, Rav Péalim 2, Ora’h Haïm 8 et le Yalqout Yossef I p. 54. (Selon le Gaon de Vilna, si l’on oublie de les dire de jour, on peut même les réciter la nuit jusqu’à son coucher)

05 – Heure des Birkot hacha’har pour celui qui se lève en pleine nuit

A priori, il faut prononcer toutes les Birkot hacha’har aussi près que possible de son lever, et il n’est pas nécessaire de les dire précisément après l’apparition de l’aube. Aussi, celui qui se lève avant l’aube (alot hacha’har) afin d’étudier la Torah, de travailler, ou dans quelque autre but, prononcera les bénédictions matinales immédiatement après son lever. En revanche, il ne faut pas dire les Birkot hacha’har avant le milieu de la nuit (‘hatsot). Aussi, celui qui se lève avant le milieu de la nuit devra-t-il attendre minuit pour dire ces bénédictions. Et si l’on dit les Birkot hacha’har avant le milieu de la nuit, on n’est pas quitte de son obligation de réciter ces bénédictions (Michna Beroura 57, 31 ; Kaf Ha’h aïm 29) 1, dans la mesure où, a posteriori, tout le monde s’accorde à dire que l’on est quitte de cette bénédiction, même avant que le jour ne luise. De plus, si l’on sépare les bénédictions du matin les unes des autres, on risque d’en venir à un oubli ou à une erreur].

Si l’on se lève après le milieu de la nuit pour quelques heures, et que l’on ait l’intention de se recoucher ensuite jusqu’à l’heure de la prière du matin – cas, par exemple, d’un soldat qui se lève après minuit pour une garde et retourne ensuite se coucher –, on dira les bénédictions du matin après son lever principal. Si, de son point de vue, le premier lever est principal, et que l’on considère le fait de redormir comme l’équivalent d’un somme au milieu de la journée, on dira les Birkot hacha’har à son premier lever. Mais si c’est le second lever qui est principal, on récitera ces bénédictions à son second lever. L’usage des kabbalistes est en tout état de cause de dire ces bénédictions au premier lever, dès lors que celui-ci a lieu après le milieu de la nuit ; et si l’on ne les avait pas dites au premier lever, on les dirait au second2. Au second lever, on redira ces bénédictions en mentionnant le nom divin et Sa royauté. Mais si l’on a mentionné le nom et la royauté la première fois, on ne redira pas ces bénédictions au second lever. Dans le Béour Halakha, le même auteur précise que le Peri ‘Hadach est d’avis de ne pas dire ces bénédictions au premier lever, mais uniquement quand on aura fini de dormir pour cette nuit. Selon lui, si l’on dit ces deux bénédictions au premier lever, on n’en est pas quitte : il faudra les redire au second lever. Le ‘Hayé Adam partage son avis en ce qui concerne la bénédiction Hama’avir cheina. Mais le Chaaré Téchouva et le Dérekh Ha’haïm pensent qu’il ne faut pas redire ces bénédictions au second lever. C’est pourquoi le Michna Beroura décide que, si l’on a déjà récité ces bénédictions, on ne les répète pas. Le Kaf Ha’haïm 46, 49 écrit, au nom de différents décisionnaires et kabbalistes, que ces deux bénédictions elles-mêmes doivent être dites dès le premier lever (du moment que celui-ci suit minuit) avec mention du nom et de la royauté, et que le sommeil suivant est considéré comme un sommeil diurne. Tel est l’usage séfarade. Les Ashkénazes se conforment a priori à l’avis du Michna Beroura ; mais a posteriori, de l’avis même du Michna Beroura, on est quitte si l’on a dit ces bénédictions au premier lever.

À notre humble avis, il vaut mieux donner pour consigne générale de réciter toutes les bénédictions après son lever principal. En effet, si l’on dit la majorité des bénédictions à son premier lever, en laissant deux d’entre elles pour son second lever, il est à craindre que l’on ne se trompe, ou que l’on n’oublie de dire ces deux bénédictions, ou encore que l’on ne récite par erreur toutes les bénédictions la deuxième fois également. C’est pourquoi j’ai simplement écrit, plus haut, qu’il fallait réciter les bénédictions à son lever principal. Et même si le premier lever était le principal, celui qui dirait alors Elo-haï néchama et Hama’avir cheina aurait sur qui s’appuyer.

D’après les kabbalistes, si l’on reste éveillé toute la nuit, le temps adéquat pour la récitation des bénédictions est après minuit pour les Birkot hacha’har, et après le lever de l’aube pour les bénédictions de la Torah. Cependant, le Ben Ich ‘Haï (Toledot 14) écrit au sujet de celui qui irait dormir après minuit que, malgré l’avis du Rachach – selon lequel il pourrait dire les Birkot hacha’har après minuit, avant de se coucher –, la coutume est de les dire au réveil. C’est dans ce sens que se prononce le Rav Mordekhaï Elyahou dans son sidour, p. 3.].

Quant aux bénédictions de la Torah, l’opinion de la majorité des décisionnaires est qu’elles sont régies pas la même règle que celle qui s’applique aux bénédictions relatives aux commandements ; à ce titre, on devra les dire à chaque fois que l’on se lève d’un « sommeil régulier » (cheinat qéva, environ une demi-heure), la nuit. Cependant, nombreux sont ceux qui ont pour coutume de ne les réciter qu’une fois, après le premier lever, comme les autres Birkot hacha’har (voir chapitre suivant § 6).

    1. Au sujet de la bénédiction Hanoten la-sekhvi bina(« qui donnes au coq l’intelligence de distinguer le jour de la nuit »), le Choul’han Aroukh 47, 13 écrit d’après le Roch et le Tour que l’on doit attendre, pour pouvoir la réciter, la lumière du jour. Le Michna Beroura 47, 31 et le Béour Halakha rapportent que les A’haronim (Maguen Avraham au nom du Zohar, Peri ‘Hadach, Gaon de Vilna) s’accordent à dire que cette bénédiction peut être récitée, elle aussi, avant que le jour ne luise. Toutefois, le ‘Hayé Adam écrit qu’a priori, il y a lieu de se garder de dire cette bénédiction avant que le jour ne luise, tout le temps que l’on n’a pas entendu le chant du coq. Et a posteriori, le Michna Béroura conclut que l’on est quitte même si l’on n’a pas entendu le chant du coq, à condition que la bénédiction ait été dite à partir de minuit. Le Kaf Ha’Haïm 30 écrit au nom du Peri ‘Hadach et du ‘Hida qu’en pratique, et d’après le Zohar, il est possible de dire cette bénédiction après minuit a priori. C’est ce que j’ai écrit ci-dessus [en ne distinguant pas cette bénédiction des autres
    2. Selon le Michna Beroura 47, 30, si l’on se lève la première fois après le milieu de la nuit (‘hatsot), on peut dire alors les bénédictions matinales. L’auteur ne précise pas s’il est préférable de les dire lors du premier lever. Cependant, selon le Kaf Ha’haïm 46, 49, qui se fonde sur la Kabbale, il est bon de dire ces bénédictions dès son premier lever après minuit. Si l’on ne sait pas évaluer quel est, du premier ou du second lever, le principal, on adoptera la conduite du Kaf Ha’haïm et l’on dira les bénédictions à son premier lever.

    Il est important de signaler que, selon le Michna Béroura  47, 30, on doit dire, à son premier lever, les bénédictions Elo-haï néchama et Hama’avir cheina mé’einaï (« Qui ôtes les chaines du sommeil de mes yeux ») sans mentionner le nom divin ni Sa royauté [par exemple, dire « Baroukh hama’avir cheina mé’einaï… » au lieu de « Baroukh Ata Ado-naï Elo-hénou Mélekh ha’olam, hama’avir cheina mé’einaï… »

06 – Si l’on est resté éveillé toute la nuit

En principe, même si l’on n’a pas dormi de la nuit, on récite les Birkot hacha’har. En effet, nous avons déjà vu (§ 3) que ces bénédictions ont été instituées pour répondre à la jouissance de la collectivité ; si bien que celui qui ne jouit pas personnellement de telle ou telle chose prononce néanmoins la bénédiction qui s’y rapporte. Toutefois, en ce qui concerne certaines bénédictions, il existe des coutumes distinctes.

En matière de nétilat yadaïm, on s’accorde à dire qu’il faut se laver les mains avant la prière ; mais les décisionnaires discutent quant au fait de savoir s’il faut réciter la bénédiction relative à cette ablution. Selon la coutume ashkénaze, le mieux est d’aller aux toilettes, de faire ses besoins avant la prière et de toucher, à cette occasion, l’un des endroits du corps habituellement couverts car, depuis la précédente ablution, on aura quelque peu transpiré à cet endroit, ce qui obligera à se laver les mains et à dire la bénédiction. Mais suivant la coutume séfarade, en tout état de cause, on ne prononcera pas la bénédiction sur cette ablution (cf. chap. 8 § 1, note 1).

S’agissant des bénédictions de la Torah : il est convenu que, si l’on a dormi au moins une demi-heure au cours de la journée précédente, on devra réciter, le matin venu, les Birkot ha-Torah. Si l’on n’a pas dormi de toute la journée, une grande majorité de décisionnaires estiment que l’on devra réciter les Birkot ha-Torah ; mais puisque certains décisionnaires pensent qu’il ne faut pas les réciter en pareil cas, il sera bon, a priori, de les écouter réciter par un fidèle qui a dormi, et de former l’intention de s’en acquitter par cette écoute (cf. ci-après chap. 10 § 7).

 

Concernant les bénédictions Elo-haï néchama et Hama’avir cheina (dans la version séfarade : Hama’avir ‘hevlé cheina), certains disent que l’on ne peut les réciter que dans le cas où l’on a soi-même dormi. Il est donc juste de les écouter de la bouche d’un camarade qui a dormi, et de former l’intention de s’en acquitter par cette écoute. Mais si personne n’est présent qui s’apprête à les réciter, la majorité des décisionnaires estiment qu’on les récitera soi-même ; tel est l’usage de tous les Séfarades et d’une partie des Ashkénazes. Mais certains Ashkénazes ont l’usage d’être rigoureux, dans le doute, et de les réciter sans mention du nom divin ni de Sa royauté 1.

 

En résumé : suivant la coutume de la majorité des communautés juives, ceux qui restent éveillés toute la nuit récitent toutes les bénédictions matinales ainsi que les bénédictions de la Torah, et doivent aussi se laver les mains avant la prière. Simplement, selon la coutume séfarade, on ne dira pas la bénédiction sur cette ablution, tandis que, selon la coutume ashkénaze, on ira d’abord aux toilettes et l’on touchera un endroit du corps habituellement découvert, puis on dira la bénédiction sur l’ablution.

 

Quant à ceux qui ajoutent un supplément de perfection à leur pratique, ils se rendront quittes des bénédictions de la Torah, d’Elohaï néchama et de Hama’avir cheina en les écoutant réciter par quelqu’un qui a dormi durant la nuit. Quand il n’y a personne dont on puisse entendre ces bénédictions, certains Ashkénazes ont coutume de réciter Elo-haï néchama et Hama’avir cheina sans mentionner le nom divin ni la royauté divine dans les formules de bénédiction.

 

D’après la Kabbale, on a coutume de dire les bénédictions matinales après ‘hatsot, le milieu de la nuit (Kaf Ha’haïm 46, 49). Selon la halakha, on ne peut réciter l’ensemble des birkot hacha’har qu’à partir de l’aube (‘amoud hacha’har). Quant aux bénédictions de la Torah, tout le monde s’accorde à dire qu’il faut avoir soin de ne les réciter qu’à partir de l’aube[2.La coutume séfarade est fondée sur Rabbi Isaac Louria, selon lequel on dit toujours l’ensemble des bénédictions matinales (Birké Yossef 46, 12, Ben Ich ‘Haï, Vézot haberakha 3, Kaf Ha’haïm 46, 49). Pour la coutume ashkénaze, selon le ‘Atéret Zeqenim 46, 4, si l’on reste éveillé toute la nuit, on ne récitera pas les bénédictions Elo-haï néchama et Hama’avir cheina. C’est aussi l’avis d’Elya Rabba, de Mor Ouqtsi’a et du ‘Hayé Adam 8, 9. Leur opinion repose sur une position médiane, entre les Guéonim et Maïmonide, position selon laquelle certaines bénédictions ne se récitent que si l’on a personnellement tiré jouissance de ce à quoi elles se rapportent ; si l’on n’en a pas eu soi-même la jouissance, on ne récite pas ces bénédictions. Le Peri Mégadim et le Cha’aré Techouva ne se prononcent pas de façon définitive sur la position du ‘Atéret Zeqenim, et indiquent que la question mérite approfondissement. Le Cha’aré Techouva conclut que l’on écoutera réciter ces bénédictions par un camarade, et c’est aussi ce qu’écrit le Michna Beroura 46, 24. Cependant, il se peut que, en l’absence de camarade en vue, ces auteurs prescriraient de les réciter soi-même.

 

Des propos du Rama, on peut inférer qu’on les dira soi-même en ce cas, et c’est ce que prescrivent en pratique le ‘Aroukh Hachoul’han 46, 13 et le Choul’han Hatahor 46, 8. En pratique, les Ashkénazes sont autorisés à adopter leur avis. Or, dans la mesure où telle est la coutume des Séfarades et d’une partie des Ashkénazes, nous avons rapporté cela, dans le corps de texte, comme coutume principale. Certes, selon la coutume séfarade, on est autorisé a priori, si l’on reste éveillé toute la nuit, à dire toutes les bénédictions, y compris Elo-haï néchama et Hama’avir cheina ; mais puisque certains décisionnaires ashkénazes sont rigoureux en cela, nous avons écrit, pour toutes les coutumes, que ceux qui apportent à leur pratique un supplément de perfection écouteront ces bénédictions de la bouche d’une personne qui a dormi.

 

Concernant les bénédictions de la Torah, la coutume de tous les Séfarades est de les réciter et, en cette matière, il est clair que la grande majorité des décisionnaires ashkénazes estiment aussi qu’on les récite, comme on le verra au chap. 10 § 7, note 8. Toutefois, le Michna Beroura estime qu’on ne les récitera pas soi-même, mais qu’on les écoutera d’un camarade, et que, s’il n’y a pas de camarade qui ait dormi, on formera l’intention de s’en acquitter au moment de la bénédiction Ahava rabba.

 

Le Kaf Ha’haïm 46, 49 explique que, selon Rabbi Isaac Louria, on récite les Birkot hacha’har immédiatement après le milieu de la nuit (‘hatsot), tandis que l’on doit avoir soin de réciter les Birkot ha-Torah à partir de l’aube seulement. C’est aussi ce qu’écrit le Ben Ich ‘Haï, Vézot haberakha 3. Dans le cas où on les a récitées avant l’aube, certains estiment que l’on ne s’en est pas acquitté. Cf. infra, chap. 10, note 8..

 

 

  1. C’est-à-dire que l’on conclura Elo-haï néchama par « Baroukh hama’hazir néchamot… » au lieu de « Baroukh Ata Ado-naï, hama’hazir néchamot… » De même, on dira « Baroukh hama’avir cheina mé’einaï… » au lieu de « Baroukh Ata Ado-naï Elo-hénou Mélekh ha’olam, hama’avir cheina mé’einaï… » ; et ainsi de la formule conclusive de cette bénédiction : « Baroukh gomel ‘hassadim tovim… » au lieu de « Baroukh Ata Ado-naï, gomel ‘hassadim tovim… »

01 – Valeur des bénédictions de la Torah

Après que le pays fut dévasté et le peuple juif exilé de sa terre, se posa la grande question : « Pourquoi le pays a-t-il été détruit ? » (Jr 9, 11). Tout le monde savait, bien sûr, que c’était en raison de nos fautes que nous avions été exilés de notre terre. La question était d’identifier la faute fondamentale en raison de laquelle avait commencé l’écroulement spirituel qui avait mené à la destruction. Le Talmud raconte que cette question a été posée aux sages, aux prophètes et aux anges de service, mais que ceux-ci ne savaient pas répondre ; jusqu’à ce que le Saint béni soit-Il en personne vînt expliquer : « L’Eternel dit : “Parce qu’ils ont abandonné ma Torah, que Je leur avais enseignée” » (Jr 9, 12). Comme l’explique le Talmud, l’intention prêtée au verset est que les Juifs ne prononçaient pas de bénédiction sur la Torah avant de s’adonner à son étude (Nédarim 81a) : certes, ils étudiaient véritablement la Torah ; mais parce qu’ils ne se référaient pas à celle-ci comme à un enseignement divin révélé, cela leur était compté comme un abandon de la Torah divine. Car celui qui étudie la Torah comme quelqu’une des sciences humaines n’est en rien considéré comme s’adonnant à l’étude de la Torah. En revanche, dire la bénédiction de la Torah comme il convient signifie que notre approche de la Torah émane de la foi (émouna) et du lien que l’on établit avec Celui qui donne cette Torah.

Nos sages demandent encore dans la Guémara (Nédarim 81a) : pourquoi tous les fils d’érudits ne poursuivent-ils pas la voie de leurs pères et ne deviennent-ils pas érudits à leur tour ? Les parents auraient voulu sans aucun doute que leurs enfants allassent dans leur voie, s’adonnant toute leur vie à l’étude de la Torah, et c’est bien dans ce sens qu’ils les ont élevés ! Pourquoi donc n’ont-ils pas réussi à éduquer tous leurs enfants à cela ? De plus, à cette époque, c’était chose très habituelle qu’un fils poursuivît le métier de son père, les fils de menuisiers devenaient menuisiers, les fils de cultivateurs étaient à leur tour cultivateurs, et ainsi de tous. La question de la Guémara se pose donc avec d’autant plus d’acuité : pourquoi une proportion relativement élevée d’enfants d’érudits ne sont-ils pas érudits eux-mêmes ? Plusieurs explications sont données à cela dans le Talmud, la dernière d’entre elles étant celle de Ravina : « Parce qu’ils ne disent pas la bénédiction de la Torah préalablement à son étude ». Cela signifie que, bien souvent, les enfants d’érudits n’étudient la Torah que parce qu’ils ont vu leur père l’étudier ; comme tous les enfants qui aiment imiter leurs parents, eux aussi s’efforcent d’étudier la Torah. Or il est impossible d’acquérir la Torah autrement que par une étude faite pour la gloire du Ciel (léchem Chamayim), en établissant une relation personnelle avec Celui qui donne la Torah ; aussi, ces enfants qui n’étudient que par routine et par imitation de leurs pères ne voient-ils pas de bénédiction naître de leur étude.

02 – Contenu des bénédictions de la Torah ; règle de Ahavat ‘olam

Les bénédictions de la Torah comportent trois parties. Dans la première, nous bénissons Dieu de nous avoir sanctifiés par ses commandements et de nous avoir ordonné de nous livrer à l’étude de la Torah. Dans la deuxième, nous demandons à Dieu que la Torah qu’il enseigne à son peuple Israël soit agréable à notre bouche, que nous méritions de l’étudier avec plaisir, et que nous méritions, nous et nos descendants, de connaître la Torah1. Dans la troisième partie, nous bénissons Dieu et Lui exprimons notre reconnaissance pour nous avoir choisis parmi tous les peuples et nous avoir donné sa Torah. Nos Sages disent (Berakhot 11b) qu’il s’agit de la partie la plus importante des bénédictions de la Torah, dans la mesure où elle mentionne l’élection d’Israël : Dieu nous a « choisis parmi tous les peuples », et en vertu de cela, « nous a donné sa Torah ». Telle est la nature de l’âme d’Israël que d’être liée et attachée à Dieu et à sa Torah ; aussi, seul le peuple d’Israël peut-il recevoir la Torah et éclairer le monde par son biais.  Parmi les nations du monde, il peut se trouver des non-Juifs justes et pieux ; mais il s’agit de la piété particulière d’individus, qui ne peuvent réparer le monde dans son ensemble. Seul le peuple d’Israël peut servir Dieu dans un cadre national et œuvrer  à la réparation du monde par les chemins de la vérité et de la bonté, comme en témoigne notre longue histoire.

D’après cela, on peut comprendre pourquoi la bénédiction Ahavat ‘olam (ou Ahava rabba selon la version ashkénaze), que nous récitons avant la lecture du Chéma2, peut remplacer a posteriori les bénédictions de la Torah. En effet, cette bénédiction est consacrée à l’amour de Dieu envers Israël, se termine par les mots « Qui choisit son peuple Israël avec amour », et le thème de la Torah y est longuement mentionné, en ce qu’Israël et la Torah sont liés l’un à l’autre et dépendent l’un de l’autre.

En pratique, si l’on n’est pas certain d’avoir dit les bénédictions de la Torah, on aura l’intention de s’en rendre quitte au moment de réciter la bénédiction Ahavat ‘olam. De même, celui qui a oublié de réciter les bénédictions de la Torah avant la prière, et qui arrive à la bénédiction Ahavat ‘olam, aura l’intention de se rendre quitte des bénédictions de la Torah par la récitation d’Ahavat ‘olam ; après la prière, il se souviendra d’étudier quelque peu, comme on le fait après les bénédictions de la Torah (Choul’han ‘Aroukh 47, 7) 3.

  1. Les Richonim comme les A’haronim sont partagés sur la question du nombre des bénédictions de la Torah. Selon Rabbénou Tam, le Roch et d’autres, il y a deux bénédictions, car la deuxième partie que nous avons mentionnée ci-dessus n’est que la continuation de la première. Aussi faut-il, selon eux, introduire cette deuxième partie par la conjonction de coordination (ו) : vé-haarev (« et rends agréable… »). Dès lors, il est clair qu’il n’y a pas lieu de répondre amen après avoir attendu son prochain terminer la première partie de ces bénédictions. Pour Maïmonide et d’autres auteurs, en revanche, on compte trois bénédictions ; on doit donc dire haarev (« rends agréable »), et l’on répond amen après la première partie. Le Choul’han ‘Aroukh, Ora’h ‘Haïm 47, 6 écrit qu’il vaut mieux introduire la deuxième partie par (vé-haarev) afin d’être quitte aux yeux de tous les décisionnaires. Le Michna Beroura 12 rapporte que, de l’avis de la majorité des A’haronim, on ne répond pas amen après la fin de la première partie ; aussi est-il recommandé de dire cette première partie à voix basse, afin de sortir du doute. Toutefois, le Ben Ich ‘Haï et le Kaf Ha’haïm 47, 10-13 écrivent que l’on répond amen à la suite de la première partie, car notre maître Rabbi ‘Haïm Vital a témoigné de cet usage au nom de Rabbi Isaac Louria ; et que malgré cela, on dit vé-haarevet non haarev.
  2. Sur les bénédictions qui précèdent et suivent le Chéma Israël, voir chap. 16.
  3. La source se trouve en Berakhot 11b, qui retient la formule Ahava rabba comme principale, comme dans le rituel ashkénaze, tandis que la formule Ahavat ‘olam, propre aux rituels sfard et séfarade, est conforme à l’opinion de Rabbanan (la communauté des rabbins) dans le même passage. Quand on a oublié de dire les bénédictions de la Torah et que l’on arrive à Ahavat ‘olam, le Michna Beroura 53, 9 donne pour consigne d’avoir l’intention de s’en acquitter par ce texte. Voir le Béour Halakha (פוטרת), selon lequel les élèves de Rabbénou Yona laissent entendre que, pour se rendre quitte des bénédictions de la Torah, il faut une intention expresse lorsqu’on récite Ahavat ‘olam. Toutefois, d’après le Roch, a posteriori, on s’en acquitte même sans intention. C’est ce qui se dégage, en pratique, des propos des A’haronim.

Les sages sont également partagés sur le point de savoir si l’on doit étudier immédiatement après la récitation des bénédictions de la Torah. Pour le Talmud de Jérusalem, il faut étudier immédiatement, et c’est aussi l’opinion de la majorité des Richonim. Cependant, certains disent (dans Tossephot sur Berakhot 11a) que le Talmud de Babylone conteste cette opinion. Aussi, selon Tossephot, il n’est pas nécessaire d’étudier immédiatement.

Les décisionnaires hésitent encore à dire si la lecture du Chéma peut avoir valeur d’étude. Aussi, pour sortir du doute, faut-il étudier quelque passage après la prière (de l’avis de la majorité des décisionnaires, la lecture du Chéma n’est pas considérée comme une étude ; cf. Michna Beroura 17 et Béour Halakha au nom de Rabbi Aqiba Eiger). Toutefois, si l’on n’a pas étudié, on est quitte a posteriori (Choul’han ‘Aroukh Harav 6, Kaf Ha’haïm 17). De plus, nous prenons part à l’étude lors de la conclusion de l’office : en effet, les sages ont institué la récitation d’Ouva lé-Tsion afin que chaque Juif étudie chaque jour quelques versets des prophètes – et c’est pourquoi on a aussi traduit ces versets en araméen – comme il sera expliqué plus loin, chap. 23 § 2. De même, disons-nous le Pitoum haqetoret et Tana devei Elyahou en guise d’étude des paroles des sages, comme nous le verrons au chap. 23 § 5.

03 – Ces bénédictions sont-elles une obligation toranique ?

Rabbi Yehouda a dit au nom de Rav : « D’où savons-nous que la bénédiction préalable à l’étude de la Torah trouve sa source dans la Torah ? En ce qu’il est dit (Dt 32, 3) : “Quand j’invoque le nom de l’Eternel, glorifiez notre Dieu” » (Berakhot 21a).

Ce passage talmudique s’explique de la façon suivante : toute la Torah consiste en noms du Saint béni soit-Il (Zohar II 87, 1 ; Tiqouné Zohar, Tiqoun 10) ; en effet, Lui-même reste totalement soustrait à notre connaissance, et c’est par le biais de la Torah que le Saint béni soit-Il se révèle au monde. La Torah est donc constituée de noms du Saint béni soit-Il, car c’est par elle qu’Il se révèle au monde1. C’est à ce propos qu’il est dit : « Lorsque j’invoque le nom de l’Eternel » – avant d’étudier la Torah – « glorifiez notre Dieu » – prononcez une bénédiction en l’honneur de Celui qui donne la Torah2.

En pratique, les Richonim sont partagés sur la question de savoir si ce passage talmudique doit être compris littéralement, ce qui signifierait qu’il existe une mitsva de rang toranique de réciter les bénédictions de la Torah avant d’étudier3. Selon Maïmonide et le Choul’han ‘Aroukh (Ora’h ‘Haïm 209, 3), il s’agit d’une obligation rabbinique, et l’interprétation midrachique du verset cité n’est qu’un appui textuel apporté à la règle4. D’après cela, en cas de doute, il faut être indulgent et ne pas dire la bénédiction. Tel est l’usage séfarade (Kaf Ha’haïm 47, 2). Toutefois, selon la majorité des Richonim, parmi lesquels Na’hmanide et le Rachba, la mitsva de dire les bénédictions de la Torah trouve sa source dans la Torah écrite. Aussi, dans un cas d’incertitude – quand on se demande si l’on a dit ou non les bénédictions de la Torah –, on doit être rigoureux et les réciter, conformément au principe sfeqa de-oraïtha lé’houmra (« en cas de doute sur une règle de rang toranique, on doit être rigoureux »). Tel est l’usage ashkénaze (Michna Beroura 47, 1) 5.Selon Maïmonide, la seule bénédiction de rang toranique est le Birkat hamazon (actions de grâce après le repas) ; c’est ce qu’écrit le Choul’han ‘Aroukh, Ora’h ‘Haïm 209, 3. Toutefois, la majorité des Richonim et des A’haronim pensent que les bénédictions de la Torah sont, elles aussi, de rang toranique. C’est ce que s’emploie à démontrer le Chaagat Aryé : en effet, la Guémara a voulu enseigner un kal va’homer [raisonnement a fortiori, l’une des règles d’herméneutique par lesquelles le texte biblique s’étudie] à partir des bénédictions de la Torah, pour en tirer un enseignement sur la bénédiction qui précède le repas ; or il n’est pas admis de tirer un kal va’homer d’une règle rabbinique. Quoi qu’il en soit, en cas de doute, le Chaagat Aryé donne pour directive de ne dire que la bénédiction Acher ba’har banou(« qui nous as choisis », troisième partie des bénédictions de la Torah). Bien que certains soient d’avis de réciter l’intégralité de ces bénédictions, c’est dans ce même sens que tranche le Michna Beroura 47, 1. Cf. Chéérit Yossef 47, 3 pour une large vue sur les sources. Cf. aussi Aroukh Hachoul’han 47, 2, qui explique que, d’après Maïmonide lui-même, les bénédictions de la Torah ont rang toranique, mais sont seulement incluses au sein de la mitsva d’étude, et ne constituent donc pas une mitsva autonome.].

Cependant, d’après toutes les opinions, s’il se trouve près de nous une personne qui n’a pas encore dit les bénédictions de la Torah, il vaut mieux écouter cette personne réciter les bénédictions (en ayant l’intention de se rendre quitte par l’écoute), et sortir ainsi du doute. Quand aucune possibilité de cet ordre ne se présente, mais que l’on s’apprête à prier et à dire la bénédiction Ahavat ‘olam, on formera l’intention de s’acquitter par elle de son obligation. Mais si l’heure de la prière n’est pas encore venue, et que personne alentour n’est en mesure de nous faire entendre ces bénédictions, on doit, selon ceux qui soutiennent que les bénédictions de la Torah sont une obligation toranique, être rigoureux et, dans le doute, en réciter le texte. Simplement, il suffira de dire la troisième partie, Acher ba’har banou (« qui nous as choisis »), qui est la plus importante des bénédictions de la Torah.

    1. C’est par son nom que l’on se manifeste. La notion de nom signifie ici le mode de manifestation dans le monde de ce qui est caché. De ce point de vue, les noms divins constituent un voile de Dieu, puisque Son essence est inconnaissable ; mais dans le même temps, ils sont une médiation entre Lui et l’homme, et manifestent Sa présence dans le monde.
    2. Le verbe eqra (j’invoquerai, j’appellerai) a pour racine les lettres קרא, et peut également se comprendre : je lirai. Dans cette perspective midrachique, le verset se lit : « Quand je m’apprête à lire la Torah constituée de noms divins, je dois d’abord bénir notre Dieu pour le don de cette Torah.
    3. Sur la différence entre normes toraniques (de-oraïtha) et rabbiniques (derabbanan), voir chapitre 1, note c.
    4. Asmakhta: appui, référence. Illustration scripturaire apportée à une règle rabbinique. L’asmakhta peut avoir un aspect mnémotechnique, mais plus profondément, elle a pour but de révéler le fondement toranique de la norme produite par les sages – tout autonome qu’elle est – fondement dernier, enfoui dans les mots du verset.

04 – Avant quelle étude on doit dire ces bénédictions

Avant d’étudier quelque discipline toranique que ce soit, il faut prononcer les bénédictions de la Torah (Choul’han ‘Aroukh, Ora’h ‘Haïm 47, 2). Ce qui veut dire que même une personne qui n’aurait l’intention d’étudier, ce jour-là, que du midrach, ou seulement de la halakha, devrait dire les bénédictions de la Torah au début de ce jour. La raison en est que toute la Torah, qu’il s’agisse de Torah écrite ou orale, de parties juridiques ou philosophiques, tout a été transmis à Moïse sur le mont Sinaï (Talmud de Jérusalem, Péa, chapitre 2, halakha 4), et c’est à l’égard de l’ensemble de ces disciplines qu’il faut dire : « Bénis sois-tu… qui nous as choisis entre tous les peuples et nous a donné Sa Torah ».

Les décisionnaires sont partagés sur la nécessité de dire ces bénédictions avant de penser à des sujets de Torah. Par exemple, celui qui se réveille le matin et voudrait réfléchir quelque peu à des sujets toraniques, ne serait pas tenu, de l’avis de la majorité des décisionnaires, de dire les bénédictions de la Torah ; certains sont toutefois d’un avis opposé. Pour sortir du doute, celui qui se lève et veut réfléchir à des sujets de Torah dira tout d’abord les bénédictions de la Torah et prononcera quelques versets. Mais si l’on se réveille en pleine nuit avec l’intention de se rendormir, et que l’on veuille entre-temps penser à des sujets toraniques jusqu’à l’endormissement, il n’est pas besoin de dire au préalable les bénédictions de la Torah1.

Quant à ceux qui écoutent de la musique ‘hassidique (où sont chantés des versets etc.) quand ils se réveillent le matin, ou durant la nuit, ils n’ont pas besoin de dire auparavant les bénédictions de la Torah, puisque leur intention, en cela, n’est pas d’étudier.

On peut réciter les bénédictions de la Torah et les bénédictions du matin (Birkot hacha’har) aussi bien debout qu’assis, couché ou en marchant. Certains exigent que l’on dise les bénédictions de la Torah en se tenant debout ou en marchant, mais non assis ou couché2.

  1. Selon le Choul’han ‘Aroukh 47, 4, il n’y a lieu de dire les bénédictions que pour une étude faite en prononçant les mots, car c’est essentiellement de cette façon que l’on étudie, comme il est dit : « Ce livre de la Torah ne s’écartera pas de ta bouche, et tu le méditeras jour et nuit » (Jos 1, 8). Certes, il est possible, et peut-être même souhaitable, de s’adonner à l’approfondissement (iyoun) d’un sujet talmudique (souguia) par la seule pensée. Mais le reste du temps, il faut étudier en articulant les mots avec les lèvres (Choul’han ‘Aroukh Harav, lois de l’étude de la Torah 2, 12) car, de cette façon, l’apprentissage devient plus clair, et les idées abstraites se fixent dans le cœur de l’étudiant. De plus, quand on apprend à haute voix, on se souvient mieux de son étude (cf. ‘Erouvin 54a). Cependant, selon le Gaon de Vilna, bien que l’essentiel de l’étude doive se faire en prononçant les mots, la pensée en elle-même s’inscrit aussi dans le champ de la mitsva, comme il est dit (dans le même verset de Josué) : « et tu le méditeras (vé-haguita) jour et nuit », le verbe haguita (racine הגה) se référant à la réflexion. Aussi faut-il, selon lui, dire les bénédictions de la Torah avant de méditer. Le Kaf Ha’haïm 6 mentionne des avis selon lesquels, si on lit un livre des yeux, il est vraisemblable que l’on en viendra à articuler des mots avec la bouche. Quoi qu’il en soit, et bien qu’il soit bon de tenir compte de l’opinion du Gaon de Vilna, il est obligatoire d’articuler quelques versets après avoir dit les bénédictions de la Torah, afin de juxtaposer à celles-ci un type d’étude requérant bénédiction d’après toutes les opinions. Nous avons ainsi l’usage de réciter, après les bénédictions de la Torah, les versets de la Birkat Kohanim (bénédiction sacerdotale, cf. Nb 6, 22-27 ; Michna Beroura 47, 5).

Celui qui se réveille le matin et veut rester couché peut frotter ses mains sur sa couverture, prononcer les bénédictions de la Torah, dire quelques versets, puis méditer à des sujets de Torah, comme l’explique le Choul’han ‘Aroukh, Ora’h ‘Haïm 4, 23 et Michna Beroura, paragraphes 59 et 61. Pour le cas où l’on se lèverait au cours de la nuit, j’ai écrit ci-dessus que l’on pouvait méditer sans bénédiction, en me référant à l’opinion du Choul’han ‘Aroukh et en l’associant à notre coutume, conforme à l’opinion de Rabbénou Tam, de ne dire ces bénédictions qu’une fois par jour, comme il sera expliqué aux paragraphes 6 et 7.

Le Choul’han ‘Aroukh 47, 3 explique encore que celui qui écrit des propos de Torah (divré Torah) est considéré comme celui qui étudie, et doit à ce titre réciter préalablement les bénédictions ; certains ne sont pas de cet avis, notamment le Taz. Les A’haronim s’accordent à dire que celui qui veut écrire des propos de Torah récitera d’abord les bénédictions puis prononcera quelques versets ; il sera ainsi quitte d’après toutes les opinions (Michna Beroura 47, 4 ; Kaf Ha’haïm 5).

  • Les Richonim écrivent que les bénédictions relatives aux mitsvot doivent être dites debout. Aussi, la bénédiction sur le port du talith, par exemple, se dit-elle debout, de même que la bénédiction qui précède la sonnerie du chofar à Roch Hachana, ou le balancement du loulav (branche de palmier) à Soukot (Beit Yossef, Ora’h ‘Haïm, début du chapitre 8). D’après cela, les bénédictions de la Torah doivent, elles aussi, à première vue, être récitées debout, car elles font également partie de la catégorie des bénédictions relatives aux mitsvot. Toutefois, le Pné Yéhochoua (Méguila 21a) pense que cette exigence n’a cours qu’à l’égard des mitsvot dont l’accomplissement lui-même se fait debout, comme la moisson de la gerbe d’orge (Omer) et la sonnerie du chofar ; en revanche, pour les mitsvot qui peuvent s’accomplir aussi bien debout qu’assis, comme l’étude de la Torah, il est permis de dire la bénédiction assis. C’est ce qu’écrit le Ye’havé Da’at 5, 4. Le Yaskil Avdi écrit, d’après la halakha et la Kabbale, qu’il convient de dire les bénédictions de la Torah en se tenant debout. Mais cette exigence n’existe qu’a priori, et il est clair que si l’on a dit ces bénédictions en restant assis, on est quitte. Même la sonnerie du chofar et le compte de l’Omer, en cas de nécessité, peuvent d’ailleurs s’accomplir assis, comme l’explique le Michna Beroura 8, 2. Nombreux sont les Ashkénazes qui ont coutume de dire les bénédictions du matin et celles de la Torah et en se tenant debout ; certains ont l’usage de les dire en marchant, mais non assis.
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