Pessa’h

06. Légumineuses qui n’ont pas été en contact avec l’eau ; huiles de légumineuses

Le statut des légumineuses n’est pas plus sévère que celui des cinq espèces céréalières dont on fait du ‘hamets. Tout ce qui est cachère en matière de céréales le sera donc également en matière de qitniot. C’est ainsi que, si telles légumineuses ne sont pas entrées en contact avec de l’eau, ou même s’il y a eu contact avec de l’eau mais que l’on ait veillé à ce que dix-huit minutes ne passent pas avant de les enfourner comme des matsot, il sera permis de les manger. Certains ont l’usage d’être rigoureux en la matière, mais la majorité des décisionnaires le permettent[3].

Les décisionnaires sont partagés quant au statut des huiles ou des eaux-de-vie produites à partir de légumineuses. Selon les auteurs indulgents, l’interdit des légumineuses ne s’applique pas à l’huile qui en provient. Suivant les avis rigoureux, la règle applicable à l’huile de légumineuses est semblable à celle qui s’applique aux légumineuses elles-mêmes, interdites à la consommation en vertu d’une coutume. Une opinion intermédiaire consiste à dire que, si les légumineuses ont été humectées avec de l’eau, elles sont déjà interdites, et l’huile qui en proviendra sera interdite elle aussi ; mais si on les a moulues à sec et que l’on en ait fait de l’huile, celle-ci sera permise[4].

L’huile de soja, l’huile de canola (colza) et l’huile de coton ne sont pas touchées par l’interdit ; malgré cela, nombreux sont ceux qui ont l’usage d’être rigoureux en s’abstenant d’huile de soja et d’huile de canola. Mais si l’on veut être indulgent, on y est autorisé. Quant à l’huile de coton, l’usage répandu est d’en permettre la consommation[5].

L’huile (lécithine) produite à partir de colza et qui entre dans la composition du chocolat n’est pas incluse dans l’interdit visant les légumineuses. Mais certains sont rigoureux à cet égard[6].

Les chocolats et bonbons, même quand ils portent l’inscription cachère pour Pessa’h, pour les consommateurs de qitniot uniquement (כשר לפסח לאוכלי קטניות בלבד) sont, si l’on s’en tient à la stricte obligation, autorisés à la consommation, y compris de ceux qui s’abstiennent de qitniot, car le mélange a été effectué avant Pessa’h, et la partie qitniot s’est annulée au sein de la majorité. De plus, il s’agit en général, non de légumineuses même, mais d’huiles de légumineuses ; or certains des plus grands décisionnaires estiment que la coutume interdisant les légumineuses ne s’applique pas à leur huile. Toutefois, dans la mesure où certains auteurs sont rigoureux en la matière, les organismes de cacheroute écrivent, sur ces produits, qu’ils ne sont cachères que pour les consommateurs de qitniot[7].


[3]. La majorité des décisionnaires pensent qu’il n’y a pas lieu d’être plus rigoureux en matière de légumineuses qu’en matière de céréales, comme l’écrivent le Choul’han ‘Aroukh Harav 453, 5, le ‘Hayé Adam 127, 1, les responsa du Maharcham I 183, le Beer Yits’haq 11, les responsa Mar’héchet 3, et le Rav Kook, dans Ora’h Michpat 111. Certains auteurs, il est vrai, sont  rigoureux en cette matière, notamment le Choel Ouméchiv I 1, 175  et le Maamar Mordekhaï 32. La raison qu’ils donnent à cela est que les gens risquent de ne pas comprendre ces distinctions, puisque en effet les légumineuses ne fermentent pas du tout. De plus, si l’on préparait des matsot à base de légumineuses, on risquerait de penser que l’on peut accomplir, avec de telles galettes, la mitsva de consommer la matsa. Mais la halakha est conforme à l’opinion indulgente, qui est majoritaire ; de plus, en toute controverse portant sur un simple usage, la halakha suit la position indulgente.

Les décisionnaires discutent encore si le fait d’échauder les légumineuses [c’est-à-dire le fait de les tremper quelques instants dans une eau déjà bouillante, procédé que nous appelons ‘halita] est de nature à autoriser leur consommation. En effet, en matière de céréales, et si l’on s’en tient aux fondements talmudiques de la halakha, la cuisson à l’échaudée annule la possibilité de fermenter. Cependant, les Guéonim sont d’accord sur le fait que, de nos jours, on ne sait plus, strictement parlant, cuire à l’échaudée ; et c’est en ce sens que tranche le Choul’han ‘Aroukh 454, 3. Toutefois, s’agissant de légumineuses, dont l’interdiction n’est que coutumière, le Or Zaroua’ II 256 estime que la cuisson à l’échaudée suffit à autoriser leur consommation. Mais le Mordekhi l’interdit, ainsi que Rabbénou Pérets, dans ses notes sur le Séfer Mitsvot Qatan 222.

[4]. Le Teroumat Hadéchen 113 explique que l’huile produite à partir de qitniot est interdite, parce qu’on les humecte préalablement ; c’est aussi ce qu’écrit le Rama 453, 1. Des termes employés par le Teroumat Hadéchen, il ressort que, si l’on n’humectait pas les légumineuses, il serait permis d’en consommer l’huile. Rabbi Yits’haq El’hanan, dans les responsa Beer Yits’haq 11, est plus indulgent : si l’on trie d’abord les légumineuses afin de s’assurer qu’aucun grain de céréale ne s’y trouve mêlé, l’huile qui en sortira sera permise, parce qu’un acte aura été fait, prouvant que l’on connaît l’interdit. Dans le même sens, les responsa ‘Emeq Halakha 134 autorisent l’eau-de-vie de légumineuses, car l’interdit ne vise que ces dernières, et non les liquides qui en proviennent.

Face à cela, certains A’haronim ont interdit l’huile provenant de légumineuses, même quand celles-ci n’ont pas été humectées. C’est la position du Nichmat Adam 33 et du Avné Nézer, Ora’h ‘Haïm 373. Mais si l’on s’en tient aux termes du Teroumat Hadéchen, et à ceux du Rama qui les reprend, il ressort que l’huile est permise. Or cette position semble problématique, car le consommateur de l’huile mélangera ensuite celle-ci à un plat cuisiné contenant de l’eau, acte qui, s’il s’agissait de céréales, serait interdit. Cependant, selon le Teroumat Hadéchen et le Rama, la coutume consiste à interdire les légumineuses quand elles sont à l’état de grains, ou de farine, mais non d’huile. D’autre part, il n’est pas à craindre que des céréales se soient mêlées aux grains de qitniot, et qu’il y ait fermentation due au mélange d’eau avec l’huile desdites qitniot ; en effet, l’huile provenant de céréales a été annulée, avant Pessa’h, au sein d’une quantité soixante fois supérieure d’huile de qitniot, et elle ne se réactive pas à Pessa’h, comme l’explique le Choul’han ‘Aroukh 447, 4. De plus, il semble que, même s’il s’agissait de céréales, les liquides qui en émanent ne soient pas susceptibles de fermentation, comme l’explique le Ora’h Michpat 111-112 ; les responsa Mar’héchet 3 s’expriment dans le même sens. Les responsa Tséma’h Tsédeq autorisent les pauvres à utiliser l’huile de qitniot, à condition que, lorsqu’elles étaient à l’état de grains, les qitniot n’aient pas été en contact avec de l’eau.

La décision du Rav Kook, dans Ora’h Michpat 108-114, autorisant généralement l’huile de sésame, est bien connue. Elle est motivée par le fait que, outre que les grains n’ont pas été humectés, l’huile, une fois produite, est soumise à un procédé de friture ; or, dans un semblable cas, s’il s’agissait d’huile de céréales, ce traitement annulerait toute possibilité de fermentation ; à plus forte raison sera-t-il efficace pour une huile de légumineuses. Le Avné Nézer, Ora’h ‘Haïm 533 s’exprimait dans le même sens, s’agissant d’une huile de colza ayant subi une phase de cuisson (ce responsum a été écrit en 5658/1898, onze ans avant que le Rav Kook ne se prononce en ce sens). Le Badats (tribunal rabbinique) de la communauté ashkénaze-‘hassidique de Jérusalem s’était alors prononcé contre l’avis du Rav Kook, avec grand bruit, par des protestations publiques, sans craindre de porter atteinte à l’honneur de la Torah, ni à celui  de tous les décisionnaires, nombreux, qui avaient étendu leurs autorisations bien au-delà. Le Rav Kook répondit à ses contradicteurs avec érudition, perspicacité, en présentant des preuves très fortes à l’appui de sa position. Parmi ses propos, il écrivit notamment (op. cit. p. 123) :

« En vérité, la démarche de mes maîtres, autorités éminentes et justes que j’ai eu l’honneur de servir – que leur mérite nous protège, nous et tout Israël –, consistait, chaque fois qu’il y avait place à l’indulgence, à ne pas pencher du côté de la rigueur, en particulier dans les domaines qui ne trouvent pas de fondement fort dans les propos de nos sages, de mémoire bénie, au sein du Talmud. Qu’il nous suffise en effet de ne pas déroger, à Dieu ne plaise, aux usages dans lesquels nous avons été conduits, d’après les coutumes de nos maîtres les décisionnaires. En revanche, concernant des détails dont on peut juger dans un sens ou dans un autre, il est évident qu’il est digne d’éloge, celui qui tend à l’indulgence, s’armant de sagesse afin de répandre le bien, à condition que ses paroles soient fondées sur la halakha, dans toute sa profondeur, et sur un raisonnement droit. »

De plus, écrit le Rav Kook (p. 126), si l’on ajoutait interdit sur interdit, sans que cet ajout trouvât son fondement dans la loi, il serait à craindre que l’on n’enfreigne une défense déduite d’une mitsva positive (lav haba miklal ‘assé), selon ce qu’explique Rachi, au début du premier chapitre de Beitsa : « Lorsque nos maîtres disent, dans les six ordres du Talmud, que l’on ne greffe pas de décret d’interdiction sur un autre décret d’interdiction, ils le tirent de ce verset : “Vous garderez mon observance (litt. Vous garderez ma garde)” (Lv 18, 30), ce que les sages interprètent : “Vous érigerez une garde”, c’est-à-dire : vous devrez instituer des décrets afin de protéger l’observance de ma garde, ma Torah, mais non pour protéger vos propres décrets protecteurs, de sorte que l’on n’ajoutera pas de décret au décret. »

En réponse à ses contradicteurs, selon lesquels il fallait être de plus en plus rigoureux dans nos générations, le Rav Kook écrit : « Je connais bien le caractère des gens de notre génération : c’est précisément quand ils verront que nous autorisons tout ce qu’il y a lieu d’autoriser, en nous fondant sur les profondeurs de la loi, qu’ils comprendront que, si nous n’autorisons pas d’autres choses, c’est en raison de la vérité de la loi toranique. Il s’ensuivra que nombreux parmi eux s’attacheront à la Torah, et écouteront la voix des maîtres, avec l’aide de Dieu. À l’inverse, s’ils s’apercevaient que certaines choses, qu’il eût convenu d’autoriser du point de vue de la stricte règle halakhique, ont néanmoins été interdites par les rabbins, sans considération de la gêne ni de la souffrance d’Israël, il s’ensuivrait une très grande profanation du Nom divin, à Dieu ne plaise, au point que nombre d’entre eux s’insurgeraient, disant de plusieurs règles essentielles de la Torah que, si les rabbins le voulaient, ils pourraient être permissifs. Par suite, le jugement s’en trouverait déformé » (op. cit. p. 126).

D’après cela, si l’on s’en tient à la stricte règle, même si l’on humectait les graines de sésame, l’huile de sésame serait cachère pour Pessa’h ; car, en matière de règle dont le fondement est coutumier, la halakha est conforme à l’opinion indulgente.

[5]. L’huile de soja est produite sans humectage des graines de soja ; par conséquent, pour la majorité des décisionnaires, et pour le Rav Kook, elle n’est pas interdite. Même s’il y avait un humectage préalable, la position principale, en halakha, serait conforme à l’opinion des décisionnaires indulgents, s’agissant d’une règle dont le fondement est coutumier. De plus, il est douteux qu’une telle huile soit touchée par  l’interdit même des qitniot, car le soja est arrivé en Europe il y a une centaine d’années seulement ; or le Igrot Moché, Ora’h ‘Haïm III 63 explique que seules les espèces que l’on avait effectivement l’usage d’interdire sont visées par cette coutume. C’est aussi la directive donnée par le Rav Dov Lior, rabbin et président du tribunal rabbinique de Hébron-Qiryat Arba.

S’agissant de l’huile de coton, le Miqraé Qodech 2, 60 a une position analogue ; l’auteur s’est notamment fondé sur l’opinion de Rabbi Haïm de Brisk, qui lui a été transmise. C’est encore la position du Sidour Pessa’h Kehilkhato 16, 4 au nom du Rav Feinstein. Toutefois, le Min’hat Yits’haq III 138 est rigoureux.

Huile d’arachide : nous avons vu, au paragraphe 4, qu’en Lituanie on avait coutume de manger des cacahuètes, comme l’écrit le Igrot Moché, Ora’h ‘Haïm III 63, car seules les espèces connues pour être coutumièrement défendues sont visées par l’interdit, tandis que les cacahuètes ne sont apparues que tardivement, si bien que l’interdit ne s’y applique pas. Face à cela, le Miqraé Qodech 2, 60 et les responsa ‘Helqat Ya’aqov 97 interdisent de manger des cacahuètes, mais autorisent l’huile d’arachide. C’est aussi la position du Melamed Leho’il, Ora’h ‘Haïm 88 et du Sridé Ech 2, 37, qui signale cependant que le Avné Nézer, Ora’h ‘Haïm 373 l’interdit, ainsi que le Min’hat Eléazar. En pratique, si l’on n’a pas connaissance du fait que, dans sa famille, on avait coutume d’être rigoureux, on peut être indulgent, car il s’agit d’un cas de doute portant sur une coutume.

[6]. Il est vrai que le Badats (tribunal rabbinique) de Jérusalem a l’usage d’être rigoureux quant à la lécithine de colza. Mais il n’y a pas à cela d’interdit lié aux qitniot, car de nombreux doutes convergent dans le sens de l’indulgence. Premièrement, le colza n’est pas une légumineuse, mais fait partie de la famille des crucifères, dont les fruits enlacent la tige, et dont les graines poussent dans une silique, comme la moutarde ; on en fait de l’huile pour l’industrie alimentaire. Par ailleurs, selon le Igrot Moché, Ora’h ‘Haïm III 63, il ne faut pas interdire ce qui n’était pas explicitement exclu par la coutume.

Ensuite, il faut traiter la question de savoir si le statut de qitniot peut s’appliquer à des graines quand il est clair que le végétal dont elles sont issues, fondamentalement, n’appartient pas aux qitniot. Certes, pour le Avné Nézer, Ora’h ‘Haïm 373, l’huile produite à partir du colza doit être considérée comme qitniot, à l’exemple de la moutarde (cependant, d’après l’auteur lui-même, si l’on fait bouillir l’huile, celle-ci sera permise, comme il l’explique au chap. 533).

De plus, nous avons vu que, selon certains décisionnaires, l’huile issue de légumineuses est permise. C’est l’avis du Maharcham I 183, pour qui l’huile de colza est cachère, parce qu’on la produit sans humecter les graines dans de l’eau ; or nous avons vu que, à cet égard, la majorité des décisionnaires sont indulgents, comme pour l’huile de sésame.

En outre, la lécithine s’annule, avant Pessa’h, au sein de la majorité représentée par les autres composants ; et selon le Beer Yits’haq, puisqu’on l’a mélangée aux autres ingrédients avant Pessa’h, elle est annulée. Or en une matière qui a pour fondement la coutume, il est évident qu’une telle conjonction de doutes a pour effet de faire pencher la halakha dans le sens de l’indulgence. C’est en ce sens qu’a tranché le Rav Mordekhaï Elyahou, Primat de Sion, comme le rapportent les responsa ‘Ama Davar I 62.

[7]. Même si des qitniot sont entrées dans la composition pendant Pessa’h, le Rama 453, 1 et le Michna Beroura 9 ont bien précisé que cela s’annule au sein de la majorité, quoique, bien entendu, il ne faille pas faire cela a priori. Mais dans notre cas, les ingrédients ont été mélangés avant Pessa’h, et non dans l’intention d’annuler une partie interdite au sein de la majorité, puisque, selon la coutume séfarade, il est permis de manger des légumineuses. Par conséquent, dès lors que les qitniot ont été mêlées avant Pessa’h, il sera permis de consommer le produit du mélange pendant Pessa’h. De plus, le Rav Yits’haq Elhanan, dans les responsa Beer Yits’haq 11 (comme nous le relevions en note 4) a décidé que l’interdit des qitniot ne portait pas sur leur huile, dès lors que celle-ci a été surveillée en vue de Pessa’h. Et c’est ce qu’enseignent en pratique le Rav Lior et le Rav Rabinowitz.

Le Rav Lior dit encore qu’il est permis de manger des haricots verts en cosses, ou des fèves en cosses, à Pessa’h, car, de cette manière, ils sont considérés comme des légumes et non comme des légumineuses. A priori, on n’a pas coutume de les interdire, et aucune des craintes mentionnées ci-dessus pour expliquer les motifs de l’interdit coutumier des qitniot ne s’y applique.

07. Cas de nécessité, malades et enfants

Même dans les communautés ashkénazes, il est certain que la coutume interdisant les légumineuses n’était pas aussi élevée, dans la hiérarchie des normes, que l’interdit du ‘hamets. Aussi, en cas de nécessité pressante – comme les années de sécheresse ou de famine –, les grands maîtres autorisèrent la consommation des légumineuses. Toutefois, en pratique, il est souvent arrivé que, en cas de sécheresse, les rabbins fussent partagés : les circonstances étaient-elles à ce point urgentes qu’il fallût autoriser les légumineuses ? Certains tendaient à l’indulgence, d’autres à la rigueur. Certains auteurs ne le permettaient qu’aux pauvres, mais l’interdisaient aux riches, car ceux-ci pouvaient acheter d’autres aliments. En ces matières, il faut se conduire, en tout endroit, selon les prescriptions du rabbinat local reconnu, car celui-ci incarne l’autorité en matière religieuse, le mara de-atra (maître du lieu).

Certains A’haronim ont écrit que, de l’avis même des décisionnaires indulgents, il faut appliquer l’indulgence en premier lieu à celles des espèces de légumineuses qui ne ressemblent pas aux céréales ; ce n’est que s’il n’y a pas d’autre choix que l’on pourra étendre l’indulgence au riz, au millet ou au sarrasin (kacha), qui ressemblent aux céréales (Nichmat Adam). Certains A’haronim ont encore écrit que, même lorsqu’on est indulgent, il faut d’abord échauder les légumineuses à l’eau bouillante, car, de cette manière, les céréales elles-mêmes ne fermentent pas. Et bien que, en pratique, on ne permette pas, de nos jours, d’échauder les céréales (cf. ci-dessus, chap. 2 § 7), il est préférable, quand on est contraint d’alléger la coutume interdisant les qitniot, d’amender cet allégement en ce qui est possible (‘Hatam Sofer, Ora’h ‘Haïm 122, Michna Beroura 453, 7)[8].

De même, il est permis à un malade devant manger des légumineuses de les consommer à Pessa’h, même dans le cas où sa maladie ne le met pas en danger. Par exemple, si un malade souffre de constipation, il peut prendre des graines de lin trempées dans de l’eau, ce qui est utile contre cette affection. De même, il est permis de nourrir les bébés qui en auraient besoin d’aliments à base de riz (‘Hayé Adam 127, 6). Il convient en ce cas d’y assigner des ustensiles spécifiques. Dans tous les cas d’indulgence, il faut bien trier les légumineuses, de crainte que n’y soient mêlés des grains de céréales.


[8]. Le ‘Hayé Adam 127, 1 permet de consommer des légumineuses en cas de nécessité pressante, quand on ne parvient à se sustenter qu’avec grande difficulté. Cf. Nichmat Adam 20. C’est aussi l’avis du Mor Ouqtsi’a (qui pense cependant que, a priori, il conviendrait d’annuler entièrement la coutume interdisant les légumineuses). Dans son chapitre consacré aux légumineuses, le Hamo’adim Bahalakha indique que, selon le Hatechouva Méahava, le Maamar Mordekhaï et les responsa du Mahariz Enzil, il n’y a pas lieu de permettre une telle consommation, même en cas de nécessité pressante, ni pour répondre aux nécessités de l’heure.

Face à eux, le Maharam Padwa de Brisk (48) écrit que l’on est indulgent en cas de nécessité pressante. Les responsa Divré Malkiel I 28 et le Choel Ouméchiv, deuxième édition IV 158 ne sont indulgents que pour les pauvres. Le ‘Hatam Sofer, Ora’h ‘Haïm 122 ne s’oppose pas à ceux qui autorisent, mais il attire notre attention sur le fait que, selon lui, les tenants de la position indulgente auraient dû donner pour directive d’échauder préalablement les légumineuses. Selon le Nichmat Adam, ibid. 20, il faut autoriser en premier lieu les légumineuses qui ne ressemblent pas à des céréales, et, faute de choix seulement, autoriser aussi celles qui y ressemblent. Le Michna Beroura écrit simplement que l’on peut autoriser la consommation de qitniot en cas de nécessité pressante ; il signale que, pour le ‘Hatam Sofer et le ‘Hayé Adam, il faut échauder les qitniot préalablement. Le ‘Aroukh Hachoul’han 453, 5 écrit : « Il est explicitement admis, en cas d’année de sécheresse, où les pauvres sont affamés de pain, ce qu’à Dieu ne plaise, que tous les sages de la ville, et à leur tête leur grand rabbin, permettent de manger des légumineuses, durant le Pessa’h de cette année. »

01. Absorption du goût par les ustensiles : cas d’interdiction

Quand on fait cuire un aliment dans un ustensile, son goût est absorbé par les parois et s’y attache. Aussi, si l’on a cuit de la viande tarèfe (non cachère) dans une marmite, le goût du tarèfe est retenu dans les parois et s’y attache ; si, après cela, on cuit de la viande cachère dans la même marmite, cette viande cachère est interdite à la consommation, parce que le goût du tarèfe est sorti des parois de l’ustensile et a été absorbé par elle[1].

Cependant, nous avons pour principe que ce qui transmet un mauvais goût ne rend pas interdit le mets auquel ce mauvais goût se mêle. Par exemple, si un peu de viande tarèfe abîmée est tombée dans de la viande cachère, cette dernière reste autorisée à la consommation, parce que le goût du tarèfe était cause de dommage. La règle est analogue s’agissant du goût absorbé par des ustensiles, et qui s’y attache : nous avons pour principe que, vingt-quatre heures après cette absorption, le goût est altéré. Aussi, si l’on a cuit de la viande tarèfe dans une marmite, et que, plus de vingt-quatre heures après, on y a cuit un autre mets, ce nouveau mets est cachère, car le goût de l’aliment interdit, qui avait été absorbé par la marmite, est désormais altéré ; il ne frappe donc pas d’interdit le mets nouvellement cuit (Choul’han ‘Aroukh, Yoré Dé’a 103, 5).

Toutefois, a priori, il est défendu de se servir d’une marmite qui a absorbé un goût interdit, même après l’expiration de vingt-quatre heures, car nos sages ont craint que, par oubli, par erreur, on n’y cuise des aliments avant l’expiration de ce délai. Par conséquent, les sages ont décidé que, dès lors que la marmite était d’abord interdite à l’emploi, il ne faut plus l’utiliser avant qu’elle n’ait subi un processus de cachérisation (Choul’han ‘Aroukh, Yoré Dé’a 122, 2). Ce n’est qu’a posteriori que, si l’on a oublié que la marmite avait absorbé un goût interdit, et que l’on y ait cuit un autre aliment, ledit aliment sera néanmoins cachère, dès lors que vingt-quatre heures ont passé depuis la cuisson de la chose interdite. Mais si l’on sait que la marmite avait absorbé le goût d’un aliment interdit, et que l’on y ait néanmoins fait cuire un aliment cachère, les sages mettent une telle transgression à l’amende, en interdisant l’aliment à celui qui l’a cuit et aux membres de sa maison, quoique le goût de la chose interdite qui s’y trouve ait déjà été altéré[2].


[1]. On ne saurait déterminer avec précision à quel degré le goût a été absorbé par les parois, ni à quel degré les parois rejettent ensuite ce goût. Certains ustensiles, tels ceux d’argile, absorbent davantage, d’autres moins, comme ceux de métal ; parfois, le goût ne fait que s’attacher aux parois. Certains goûts s’absorbent davantage, d’autres moins ; et pour certains aliments, une petite quantité s’attachant aux parois suffit à elle seule à y donner un goût très fort. Puisque nous sommes dans un doute permanent qu’il n’est pas moyen de lever, les sages ont décidé que, pour sortir du doute, il faut considérer toute la paroi de l’ustensile comme étant remplie du goût du mets que l’on y a fait cuire.

Par conséquent, si, dans une marmite, on a fait cuire de la viande tarèfe, et qu’ensuite on y a fait cuire de la viande cachère, nous considérons la paroi de la marmite comme entièrement saturée de goût de viande tarèfe ; puis, quand on y a fait cuire la viande cachère, on considère que tout le goût du tarèfe est entré dans la viande cachère. Or dans toutes nos marmites et tous nos ustensiles, la contenance n’est pas soixante fois supérieure à l’épaisseur des parois. Il s’ensuit que, chaque fois que l’on cuira un aliment dans une marmite qui a absorbé le goût d’un aliment interdit, tout ce que l’on aura cuit se verra interdit, puisque la contenance de ladite marmite n’est pas soixante fois supérieure à l’épaisseur des parois. Et même si l’on y fait cuire une nouvelle fois un aliment cachère, celui-ci sera également interdit, car il se peut que, au cours de la cuisson précédente, le goût de l’aliment interdit n’ait pas été rejeté, et que ce goût interdit ne soit intégralement rejeté qu’au cours de la nouvelle cuisson. Telle est la règle : dans tous les cas de doute permanent, dans lesquels on ne peut jamais évaluer de façon très précise quelle mesure de goût a été absorbée et quelle mesure est rejetée, il faut être rigoureux.

[2]. Telle est l’opinion de la majorité des décisionnaires : si je cuis un mets intentionnellement dans une marmite qui requérait d’être échaudée, les sages du Talmud m’infligent une pénalité en interdisant le mets, à moi-même ainsi qu’à ceux pour qui je l’ai cuit, comme l’expliquent le Knesset Haguedola sur Yoré Dé’a 122 et le Hagahot Hatour 26. Cf. Darké Techouva, Yoré Dé’a 122, 5 et Yabia’ Omer VIII Yoré Dé’a 14, ainsi que le chapitre Hag’alat Kélim lé-Pessa’h, introduction 2 (p. 17).

02. Statut de l’ustensile ‘hamets à Pessa’h

Quand des ustensiles ont servi tout au long de l’année pour qu’y soit accommodé du ‘hamets à chaud, le goût du ‘hamets a été absorbé et s’est attaché aux parois, en raison même de la chaleur des mets. Il est donc interdit d’utiliser ces ustensiles à Pessa’h s’ils n’ont pas expulsé préalablement le goût du ‘hamets qui s’y trouve absorbé et attaché, par le biais de l’échaudage (hag’ala) ou du chauffage à blanc (liboun).

Si, transgressant la règle, on a cuisiné pendant Pessa’h dans un tel ustensile, alors que l’on savait qu’il n’était pas cachérisé en vue de Pessa’h, et quoique le goût du ‘hamets qui s’y trouvait absorbé et attaché ait été altéré par le fait que vingt-quatre heures se sont écoulées depuis sa dernière utilisation, le mets est interdit. Nous l’avons vu, en effet, les sages ont décidé d’une pénalité frappant ceux qui, transgressant l’interdit, cuisinent dans une marmite qui a absorbé le goût d’un aliment interdit, sans que celle-ci ait été cachérisée.

Dans le cas où l’on a, par erreur, cuisiné à Pessa’h dans une marmite qui n’avait pas été cachérisée, certains estiment que, si vingt-quatre heures se sont écoulées depuis que l’on y a fait cuire du ‘hamets, le mets sera permis à la consommation pendant Pessa’h, puisque le goût du ‘hamets rejeté se sera détérioré (Choul’han ‘Aroukh 447, 10). Mais selon d’autres, le mets reste défendu, car l’interdit frappant le ‘hamets est particulièrement sévère. En effet, une quantité infime de ‘hamets suffit à interdire tout le mélange qui le contient ; de même, lorsque le goût du ‘hamets est altéré, il n’en rend pas moins interdit le mélange qui le contient (Rama ad loc. ; cf. ci-dessus, chap. 7 § 5).

Un ustensile ‘hamets que l’on ne souhaite pas cachériser en vue de Pessa’h, on le nettoie de ses résidus de ‘hamets, puis on le cache dans un endroit fermé, afin que l’on n’en vienne pas à l’utiliser par erreur pendant Pessa’h (Choul’han ‘Aroukh 451, 1 ; cf. ci-dessus chap. 6 § 4, où il est dit qu’il ne faut pas le vendre).

03. De même que l’ustensile absorbe, ainsi rejette-t-il– échaudage et chauffage à blanc intégral

Le principe essentiel en matière de cachérisation d’ustensiles est le suivant : kevol’o, kakh polto (littéralement : « de même qu’il absorbe, ainsi rejette-t-il ») ; en d’autres termes : suivant la manière dont le goût de l’aliment interdit s’est attaché à l’ustensile et y a été absorbé, ainsi l’ustensile rejettera ce goût. Bien que, après une journée, le goût absorbé et attaché dans l’ustensile soit altéré, et qu’il ne porte plus d’interdit, la règle veut que tout ustensile ayant absorbé un goût interdit requiert une cachérisation, semblable à son utilisation interdite. Il existe deux formes principales d’absorption : par l’eau bouillante, et par le feu.

Si le goût interdit a été absorbé et attaché par le biais de l’eau bouillante – comme dans le cas d’une marmite où l’on cuit à l’eau un mets ‘hamets –, il faudra, pour cachériser l’ustensile en vue de Pessa’h, l’immerger dans de l’eau bouillante : par le biais de cette dernière, le goût du ‘hamets en sera rejeté. La règle est la même pour une louche, des cuillers : si l’on s’en est servi pour des aliments ‘hamets dont la chaleur était supérieure à celle de yad solédet bo[a], le goût du ‘hamets y a été absorbé et attaché, et pour qu’il en soit rejeté, il faut les immerger dans de l’eau bouillante ; de cette façon, le goût du ‘hamets en sera expulsé.

Mais si le ‘hamets a été absorbé et s’est attaché à l’ustensile par l’effet de la chaleur, sans intervention d’un liquide – par exemple dans le cas d’un moule où l’on a cuit un gâteau au four, ou de broches à rôtir où l’on a cuit des amuse-bouche, ou encore d’une marmite réservée à la préparation du dja’hnoun yéménite (pâte roulée) ou du kougel ashkénaze (gâteau de pâtes) –, la cachérisation s’opère par chauffage à blanc intégral, puisque l’absorption s’est produite par l’effet du feu, sans liquide. En d’autres termes, il faudra faire passer ces ustensiles par le feu, jusqu’à ce que des étincelles en sortent, ou qu’ils s’embrasent au point de rougir.

La différence entre les deux formes d’absorption est la suivante : l’absorption engendrée par des liquides est une absorption légère ; aussi suffit-il de la force de l’eau bouillante pour expulser des parois de l’ustensile le goût du ‘hamets qui s’y était attaché et y avait été absorbé. En revanche, l’absorption par un moule ou une broche est intense, car c’est avec une grande force que la chaleur du feu fait pénétrer le goût de l’aliment dans les parois de l’ustensile, de sorte que l’eau bouillante ne suffirait pas à en extraire tout le goût ; aussi faut-il cachériser l’ustensile de la façon même dont il a absorbé le goût interdit : par le feu. C’est ce que nous appelons liboun ‘hamour, chauffage à blanc intégral, où le feu brûle et détruit toutes les saveurs absorbées et attachées aux parois de l’ustensile.

Nous voyons donc que l’échaudage expulse de l’ustensile le goût qui s’y trouve absorbé, tandis que le chauffage à blanc consume le goût absorbé dans l’ustensile, alors qu’il s’y trouve encore absorbé et attaché.

Aussi doit-on nettoyer les ustensiles que l’on s’apprête à échauder, en en ôtant tout résidu alimentaire qui pourrait y être attaché ; en effet, l’échaudage extrait le goût absorbé par l’ustensile, mais il ne détruit pas tous les résidus alimentaires qui y adhèrent encore. À l’inverse, il n’est pas nécessaire de nettoyer les ustensiles que l’on doit porter à blanc puisque, de toute façon, tous les résidus alimentaires qui y sont attachés seront totalement brûlés par l’effet du chauffage à blanc.


[a]. Mesure thermique la plus basse qui soit capable de provoquer la cuisson (généralement estimée à 45°C). Cf., dans cette même série, Les lois de Chabbat I chap. 10 § 4.

04. Délimitation des cas d’absorption par le feu et par le liquide ; cas de la poêle

Bien que l’on graisse le moule avec de l’huile afin que la pâtisserie n’accroche pas,  l’absorption du goût par ses parois reste considérée comme étant produite par le feu, et la cachérisation de l’ustensile exige un chauffage à blanc intégral. En effet, ce n’est que lorsque, dans le fond de l’ustensile, il y a de l’huile frémissante et bouillonnante, que l’on considère l’absorption comme produite par un liquide[3].

D’après cela, la cachérisation d’une poêle devrait se faire par échaudage à l’eau bouillante, puisque l’on y met de l’huile frémissante. Et c’est en effet ce que pensent la majorité des Richonim (Roch, Avi Ha’ezri). Même s’il arrive que l’huile disparaisse à la cuisson, et que l’aliment frit y brûle, c’est néanmoins sur un lit d’huile que le goût de l’aliment a été absorbé par la poêle, dès lors qu’il y avait de l’huile au début de la cuisson ; l’absorption est donc légère, et la cachérisation se fait par l’eau bouillante (Michna Beroura 451, 63, Kaf Ha’haïm 137).

Toutefois, certains des plus grands Richonim sont d’un autre avis : selon eux, puisque, dans une poêle, on a l’habitude de faire de la friture avec peu d’huile, il arrive fréquemment que l’huile s’épuise et que l’absorption devienne une absorption par le feu. Aussi, le statut de la poêle est-il semblable à celui d’un moule, et sa cachérisation doit-elle se faire par chauffage à blanc intégral (Rachba). Certes, s’agissant d’une marmite, il est admis que, même si le mets a brûlé et séché, la cachérisation se fait par échaudage ; mais s’agissant d’une poêle, où, dès l’abord, on met peu d’huile, et où il est fréquent que l’huile disparaisse, il y a lieu d’être rigoureux.

En pratique, a priori, il faut cachériser la poêle par chauffage à blanc léger (liboun qal, notion que nous expliquerons au paragraphe suivant) ; a posteriori, dès lors que vingt-quatre heures ont passé depuis la dernière utilisation de la poêle pour y cuire l’aliment interdit, on pourra se contenter de l’échaudage[4].

Il est impossible de cachériser pour Pessa’h une poêle téflonisée (de type Tefal®), qui permet de frire sans huile. Bien que, de prime abord, on eût pu la cachériser au moyen d’un chauffage à blanc intégral, ainsi que l’on cachérise les moules à enfourner, il ne faut pas, en pratique, la cachériser, car elle risque de se détériorer par l’effet du chauffage à blanc (comme nous l’expliquerons ci-après, § 7).

Une poêle qui sert majoritairement à cuire du malawah[b], que l’on cuit et que l’on réchauffe sans huile bouillante, doit se cachériser par chauffage à blanc intégral, puisque l’absorption du goût du ‘hamets par l’ustensile se fait par le biais du feu. Quand ce n’est qu’une minorité d’utilisations qui servent à cette fin, on peut, en cas de nécessité pressante, cachériser la poêle par échaudage, en s’appuyant sur la majorité de ses utilisations (comme nous l’expliquerons ci-après, § 9).


[3]. Selon le Peri ‘Hadach 451, 11, repris par le Choul’han ‘Aroukh Harav 451, 36, « puisque la pâte ne frémit pas dans l’huile ou dans la graisse, le ‘hamets n’est absorbé par l’ustensile que par l’effet du feu. » C’est aussi en ce sens que tranche le Ye’havé Da’at I 7. D’après cela, on considère qu’une marmite où l’on prépare du dja’hnoun ou du kougel absorbe le goût du ‘hamets par l’effet du feu, puisque l’on n’y met pas d’huile frémissante, ni quelque autre liquide frémissant. (Cf. Hag’alat Kélim lé-Pessa’h 5, 23 et addenda). Si la marmite n’est que minoritairement utilisée pour la cuisson de dja’hnoun ou de kougel, on peut, en cas de nécessité, la cachériser à l’eau bouillante, pour les raisons que nous verrons au paragraphe 9.

Une marmite dans laquelle on a cuit un aliment interdit, lequel a séché et brûlé, se cachérise par échaudage, bien que, en pratique, l’absorption dernière soit survenue par le feu. On suit en effet la règle générale, selon laquelle, quand la cuisson a commencé à l’eau, l’ustensile se cachérise à l’eau aussi. Tel est en effet le fondement de la halakha, reposant sur un verset, que la cachérisation d’un ustensile est semblable au mode d’utilisation ; de sorte que l’on va d’après la majorité de celle-ci (cf. ci-après, § 9). Il n’est pas à craindre de goût interdit, car les ustensiles, sauf quand la chose est certaine, n’ont pas été utilisés le jour même.

[4]. Le Béour Halakha 451, 11 conclut que, pour la majorité des décisionnaires, on peut cachériser une poêle par échaudage. Le Choul’han ‘Aroukh, Yoré Dé’a 121, 4 décide que, pour tous les autres motifs d’interdit, le chauffage à blanc est nécessaire, mais que, s’agissant de Pessa’h, on peut se suffire d’un échaudage. De nombreux A’haronim ont expliqué que, s’agissant de Pessa’h, le Choul’han ‘Aroukh a associé aux données du débat l’opinion d’après laquelle le ‘hamets, avant la fête de Pessa’h, est considéré comme intrinsèquement permis (hétéra) ; il a donc tranché dans le sens de l’indulgence, conformément à la majorité des décisionnaires, lesquels permettent de cachériser une poêle par échaudage. C’est l’explication que donnent le Chakh et le Gaon de Vilna dans leurs commentaires sur Yoré Dé’a ibid. Le Rama reconnaît que, si l’on s’en tient à la stricte obligation, on peut cachériser la poêle par échaudage en vue de Pessa’h ; mais il ajoute qu’il convient de la cachériser par chauffage à blanc léger (liboun qal), et tel est l’usage a priori. Les A’haronim, eux aussi, sont partagés sur cette question : pour le Peri ‘Hadach et Rabbi ‘Haïm ben Attar, il faut chauffer à blanc, puisque en pratique on considère que, en absorbant du ‘hamets, c’est un produit interdit (issoura) que la poêle a absorbé. Face à eux, le Choul’han ‘Aroukh Harav autorise a priori la cachérisation par échaudage.

Nous avons dit, dans le corps de texte, que l’on doit a priori cachériser la poêle par chauffage à blanc léger, bien que, de prime abord, selon ceux qui estiment qu’il faut un chauffage à blanc ordinaire – c’est-à-dire intégral – un chauffage à blanc léger restera inefficace. Selon une opinion, le chauffage à blanc léger est aussi efficace que le chauffage à blanc intégral (il se peut que ce soit l’opinion de Rabbi Avigdor, rapportée par le Hagahot Mordekhaï). De plus, certains estiment que le principe selon lequel le mode d’absorption détermine le mode d’expulsion porte également sur le degré de chaleur du chauffage, comme on le verra au paragraphe suivant ; dès lors, un chauffage à blanc léger suffit, puisque sa chaleur est au moins égale à celle de l’absorption. Et il est bon qu’il y ait chauffage à blanc léger, parce qu’il arrive qu’il y ait des rayures dans les poêles, qu’il est difficile de nettoyer ; dans un tel cas, du point de vue même de ceux pour qui la cachérisation de la poêle se fait par échaudage, cette poêle requerra un chauffage à blanc léger, afin de détruire les résidus logés dans les rainures. Toutefois, a posteriori, on pourra s’appuyer sur la majorité des décisionnaires, qui pensent que l’on peut cachériser la poêle par échaudage après l’avoir bien nettoyée, d’autant que, après vingt-quatre heures, il ne s’agit plus que d’un cas de doute portant sur une norme rabbinique.

[b]. Pain yéménite rond, à base de pâte feuilletée.

05. Chauffage à blanc intégral, chauffage à blanc léger (faut-il prendre en compte le degré de chaleur lors de l’absorption ?)

Le chauffage à blanc intégral (liboun ‘hamour) consiste à faire passer l’ustensile par le feu, jusqu’à ce que tout le goût du ‘hamets qui y est attaché et renfermé soit annihilé par la combustion. On peut s’assurer que l’ustensile est arrivé au degré d’incandescence comme suit : si on le met en contact avec une pièce de métal, il en sortira des étincelles de feu ; ou encore, sa surface extérieure s’écaille, ou sa couleur vire au rouge incandescent. De nos jours, pour la majorité des métaux, ces signes n’apparaissent point ; et dès lors qu’ils sont parvenus à une chaleur équivalente à 400 degrés, ils sont considérés comme ayant subi un chauffage à blanc intégral.

Le chauffage à blanc léger (liboun qal) consiste à chauffer l’ustensile au feu jusqu’à ce que, si l’on dépose sur l’envers de l’ustensile un brin de paille ou un fil, celui-ci brûlera, en raison de l’intensité de la chaleur. Par exemple, si l’on veut cachériser une poêle par chauffage à blanc allégé, il faut la déposer sur le feu, et déposer sur elle un morceau de papier : quand le papier commencera à brûler, la poêle sera cachérisée par chauffage à blanc léger.

Le chauffage à blanc léger n’est pas efficace dans les cas où il faut un chauffage à blanc ordinaire, c’est-à-dire intégral. En effet, le propos du chauffage à blanc est d’anéantir par combustion toute trace de goût absorbé par l’ustensile, or c’est seulement par la forme intégrale du chauffage à blanc que ce goût sera éliminé intégralement. En revanche, le chauffage à blanc léger est plus efficace que l’échaudage, car il est capable, plus que l’échaudage, d’expulser le goût contenu dans l’ustensile ; il est aussi capable de brûler une partie du goût qui s’y trouve absorbé et attaché. Parfois, quand il est douteux qu’un ustensile doive ou non être chauffé à blanc, la recommandation sera de se contenter d’un chauffage à blanc léger. Autre utilité : un ustensile creusé de rainures, qu’il est difficile de nettoyer, ne saurait être cachérisé par simple échaudage à l’eau bouillante (hag’ala), car l’échaudage, s’il est en mesure d’expulser le goût contenu dans un ustensile, ne peut rendre cachères les résidus alimentaires attachés aux fentes. En revanche, si l’on fait passer l’ustensile par un chauffage à blanc allégé, et que l’on dirige le feu à l’endroit des rainures, les résidus alimentaires enfouis dans les rainures seront brûlés, et l’ustensile sera donc cachérisé. On peut également opérer un chauffage à blanc léger en introduisant l’ustensile à l’intérieur d’un four de cuisson, et en le chauffant ainsi, à haute température, pendant une demi-heure.

Certains décisionnaires sont plus indulgents, et estiment qu’un ustensile ayant absorbé un goût interdit par l’effet du feu ne doit pas nécessairement être cachérisé par chauffage à blanc intégral : tout dépend, selon eux, du degré de chaleur. En effet, le principe suivant lequel la manière dont l’ustensile a absorbé le goût est précisément celle que l’on devra adopter pour qu’il le rejette (kevol’o, kakh polto) s’applique aussi au degré de chaleur de l’absorption. Par conséquent, si l’ustensile a absorbé le goût interdit à un degré de chaleur de 300 degrés, il devra être cachérisé à cette chaleur. S’il ne l’a absorbé qu’à une chaleur de 200 degrés, il sera cachérisé à 200 degrés, bien que, à ce degré de chaleur, l’ustensile ne rougisse pas, ni ne produise d’étincelles. Selon cet avis, quand un moule a absorbé le goût d’un aliment interdit à la chaleur du four où il est placé, on peut le cachériser à la chaleur de ce même four. En pratique, la halakha est conforme à l’opinion de la majorité des décisionnaires : tout ustensile qui a absorbé le goût d’un aliment interdit par l’effet du feu, à une chaleur supérieure à yad solédet bo[c], doit être cachérisé par chauffage à blanc intégral. Toutefois, en cas de nécessité pressante, on prend en compte l’opinion des décisionnaires indulgents, quand il y a des motifs supplémentaires d’indulgence[5].

Il faut insister sur le fait que l’absorption intégrale par le feu se produit seulement quand l’aliment est encore sur le feu ; c’est le cas, par exemple, quand on a découpé au couteau une pâtisserie qui est encore sur le feu : alors, le couteau en a absorbé le goût par l’effet du feu. Mais si l’on a ôté la pâtisserie du feu, et qu’on l’ait découpée au couteau – et  bien que la pâtisserie soit sèche –, l’absorption du goût par le couteau est considérée comme légère, et la cachérisation qu’elle requiert est l’échaudage à l’eau bouillante.


[c]. Cf. note a.

[5]. Les règles du chauffage à blanc, intégral et allégé, sont expliquées en Choul’han ‘Aroukh et Rama 451, 4, et Michna Beroura ad loc. Certes, il semble que, de l’avis de Rabbi Avigdor, cité par le Hagahot Mordekhaï sur les aliments interdits 17, 5, le chauffage à blanc allégé soit aussi efficace que l’intégral. Mais son opinion n’est pas partagée par les autres décisionnaires.

Pour cachériser les rainures ou fentes, il faut orienter le feu dans leur direction (Choul’han ‘Aroukh 451, 16 et 19). Cf. Touré Zahav 451, 8 qui enseigne que, selon certains, le chauffage à blanc allégé est constitué dès lors que la face opposée de l’ustensile parvient à la température de yad solédet bo. Mais la halakha n’est pas fixée d’après ces avis ; le chauffage à blanc est constitué quand la chaleur est telle que la paille, mise au contact de la face opposée de l’ustensile, brûlerait, comme l’expliquent le Rama 451, 4, le Michna Beroura 31 et les ouvrages postérieurs des A’haronim.

Selon la majorité des décisionnaires, un ustensile qui a absorbé un goût interdit par l’effet du feu, même si la chaleur n’était pas supérieure à yad solédet bo, doit être cachérisé par chauffage à blanc intégral, de manière que des étincelles en sortent. Toutefois, certains décisionnaires sont indulgents, comme indiqué dans le corps de texte : c’est en ce sens que se prononce le ‘Arougot Habossem 119, et c’est aussi en ce sens qu’incline le Min’hat Yits’haq III 66.

06. Hitra bala’ (« c’est un produit cachère que l’ustensile a absorbé ») ; cachérisation en vue de Pessa’h

La règle que nous avons vue, selon laquelle un ustensile qui a absorbé un goût par l’effet du feu doit être cachérisé par le feu, s’applique lorsque l’absorption était celle d’une chose interdite. Par exemple, une broche à rôtir sur laquelle on a fait rôtir de la viande tarèfe : puisque cette broche a absorbé, par l’effet du feu, le goût d’un aliment interdit, sa cachérisation se fait par chauffage à blanc. Mais si, au moment de l’absorption, la viande était cachère, et que cette viande soit devenue interdite seulement après coup, on pourra cachériser la broche par échaudage (à l’eau bouillante). Le cas classique est le suivant : si, sur une broche, on a rôti de la viande d’un sacrifice, cette viande, après l’expiration d’un jour, prend le statut de notar (partie restante du sacrifice), qui l’interdit à la consommation. De même, le goût absorbé par la broche devient, lui aussi, notar ; aussi sera-t-il interdit d’utiliser la broche sans l’avoir cachérisée. Il n’est toutefois pas nécessaire de la chauffer à blanc : il suffit de la cachériser par échaudage à l’eau bouillante, car, au moment où la broche a absorbé le goût de la viande, celle-ci était permise à la consommation[6].

D’après cela, quand on a cuit par erreur, dans un même moule de cuisson, une fois un aliment lacté, une autre fois un aliment carné, la règle à appliquer dépend de la question de savoir si vingt-quatre heures se sont écoulées entre la cuisson du carné et la cuisson du lacté.

Si l’on y a cuit de la viande, et que, avant que vingt-quatre heures n’aient expiré, on y ait cuit une pâtisserie lactée, cette pâtisserie sera interdite à la consommation, parce qu’un parfait goût de viande s’y est mêlé ; de même, le moule a, par la seconde cuisson, absorbé le goût d’une chose interdite[d], de sorte que sa cachérisation devra se faire par chauffage à blanc intégral. Mais si vingt-quatre heures ont passé entre la cuisson de la viande et celle de la pâtisserie lactée, le goût de la viande était dénaturé au moment de la cuisson de ladite pâtisserie ; aussi, celle-ci sera-t-elle cachère. Certes, les sages ont exigé de cachériser le moule ; mais puisque, en pratique, ce dernier n’a pas absorbé de goût interdit, on pourra se contenter de le cachériser par échaudage. Toutefois, puisqu’on a l’habitude d’introduire ce moule dans un four de cuisson, il sera préférable de le cachériser par chauffage à blanc allégé : on l’enfournera, et l’on mettra le four en marche à température maximale pendant une demi-heure. Nous l’avons vu, le chauffage à blanc allégé est plus efficace que l’échaudage[7].

S’agissant du ‘hamets, les plus grands Richonim sont partagés : selon certains, l’absorption du ‘hamets, tout au long de l’année, est considérée comme l’absorption d’une chose permise, puisqu’il est permis, tout au long de l’année, de manger du ‘hamets. Dès lors, il est possible de cachériser les moules de de cuisson, en vue de Pessa’h, par simple échaudage. Mais selon la majorité des décisionnaires, le ‘hamets est appelé chose interdite : bien que, tout au long de l’année, il soit permis de le manger a priori, il est, à l’égard de Pessa’h, constamment considéré comme interdit, puisque même un aliment qui a fermenté avant Pessa’h appartient à la catégorie de ‘hamets, et est interdit à Pessa’h. Par conséquent, il faut cachériser les moules par chauffage à blanc intégral. C’est en ce sens que tranche le Choul’han ‘Aroukh (451, 4). Toutefois, en cas de nécessité pressante, lorsqu’il y a d’autres motifs d’indulgence, il arrive que l’on s’appuie sur l’opinion indulgente (Michna Beroura 451, 28)[8].


[6]. La distinction essentielle entre absorption d’un goût d’abord permis (hitra bala’, littéralement : « il a absorbé une chose permise ») et absorption d’un goût toujours interdit (issoura bala’ : « il a absorbé une chose interdite ») est exposée au traité ‘Avoda Zara 76a. Le propos est le suivant : l’échaudage suffit à extraire de l’ustensile la majorité du goût absorbé dans les parois de l’ustensile, ou qui y est attaché ; mais si le goût absorbé était celui d’une chose interdite dès l’abord, l’ustensile est désormais tenu pour interdit, de sorte que, pour le cachériser, on doit détruire tout le goût qu’il a absorbé. En revanche, si le goût absorbé était celui d’une chose permise, les sages n’ont pas exigé d’expulser également le faible goût restant après échaudage. C’est aux sages qu’est laissée la fixation de cette norme car, après vingt-quatre heures, le goût absorbé est déjà dénaturé, et l’exigence de l’expulser de l’ustensile n’est que rabbinique ; or, lorsque l’absorption s’était faite de manière autorisée, les sages n’ont pas exigé une éradication totale. D’après ce motif, on ne peut être également indulgent, quand un ustensile a absorbé un goût d’abord permis, qu’après l’expiration de vingt-quatre heures.

[d]. Le mélange de lait et de viande.

[7]. Cette règle est bien expliquée par le Rav Pfeuffer, dans son Qitsour Choul’han ‘Aroukh, Bassar be‘halav II 2, suivant l’enseignement de Rabbi Mena’hem Azaria da Fano 96 et du ‘Hatam Sofer, Yoré Dé’a 110. Cf. Kaf Ha’haïm 451, 70, qui détaille les différents systèmes ; bien que les décisionnaires indulgents soient nombreux, son auteur tend à exiger le chauffage à blanc léger pour les ustensiles que cette opération ne détériore pas. Quant à la possibilité d’exécuter un chauffage à blanc léger à l’intérieur du four, cf. Qitsour Choul’han ‘Aroukh du Rav Pfeuffer, chap. 12, notes 7 et 10. Il semble que l’on puisse être indulgent en cela, surtout si l’on fait intervenir l’avis selon lequel le principe d’identité de méthode entre le mode d’absorption et le mode d’expulsion (kevol’o kakh polto) s’applique aussi au degré de chaleur du feu, en associant cet avis à la considération que, après l’expiration d’une journée, on se trouve dans un cas de doute portant sur une norme rabbinique ; si bien que l’on peut donner pour directive a priori d’exécuter un chauffage à blanc léger, par le biais du four.

[8]. Cf. Hag’alat Kélim, introduction 7, où l’auteur énumère en détail les opinions des Richonim. Parmi les avis rigoureux : Rif, Roch, Ran, Rachba ; parmi les avis indulgents : Maïmonide, Rabbénou Tam, Or Zaroua’.

07. Ustensiles qui risquent de se détériorer s’ils sont chauffés à blanc ; règle applicable aux moules

Comme nous l’avons vu, le propos du chauffage à blanc est de brûler toute particule porteuse de goût, absorbée et attachée dans les parois de l’ustensile. À cette fin, il faut porter celui-ci à un degré de chaleur très élevé, au point que, pour les métaux anciens, l’ustensile rougisse, ou que des étincelles de feu en sortent ; pour les métaux récents, il faut porter l’ustensile à une chaleur d’environ 400 degrés. Cependant, certains ustensiles risqueraient de se détériorer par l’effet du chauffage à blanc. Ces ustensiles, il est interdit de les cachériser par chauffage à blanc, parce qu’il est à craindre que celui qui exécute l’opération n’ait pitié de ses ustensiles, et ne les chauffe pas comme il conviendrait, de même qu’il est interdit de cachériser par chauffage à blanc un ustensile d’argile qui a absorbé le goût d’un aliment interdit ou ‘hamets, car le chauffage à blanc risquerait de le fendre. L’échaudage à l’eau bouillante ne serait pas non plus utile pour les instruments d’argile, car leur structure particulière a pour effet qu’ils absorbent les goûts, mais ne les rejettent pas correctement. Ce n’est qu’en les remettant dans une fournaise que l’on peut les cachériser, car, une fois qu’ils sont dans la fournaise, il n’est plus possible d’avoir pitié des instruments d’argile : le feu, puissant, y brûle de toute sa force, et l’ustensile qui se fend est perdu, tandis que l’ustensile qui demeure entier est cachérisé (Choul’han ‘Aroukh 451, 1, Michna Beroura 13-14).

De même les « marmites miraculeuses[e] », destinées à la confection de gâteaux, absorbent les saveurs par l’effet du feu, de sorte qu’il faudrait, de prime abord, les cachériser par chauffage à blanc intégral. Mais dans la mesure où il est à craindre qu’ils ne pourraient résister à un tel traitement, il n’est aucun moyen de les cachériser pour Pessa’h (cependant, si l’on n’y a cuit que des gâteaux de type cake ou quatre-quarts, dont la pâte est liquide, on peut être indulgent et permettre une cachérisation par échaudage à l’eau bouillante ; cf. § 4).

De la même façon, les moules à gâteau pour fours domestiques sont grandement endommagés par le chauffage à blanc intégral : ils enlaidissent, se courbent, au point que, pour la majorité des utilisateurs, ils ne peuvent plus servir. Aussi ne faut-il pas les cachériser par chauffage à blanc. Certains moules industriels ne se détériorent pas tellement par l’effet du chauffage à blanc : on peut donc leur appliquer ce traitement avant Pessa’h.

Il se peut que, si une personne est certaine, dans son for intérieur, de n’être pas dérangée par le fait qu’un moule s’incurve ou enlaidisse, il lui soit permis, en cas de nécessité, de chauffer ce moule à blanc. Mais en pratique, il convient de poser la question à un rabbin[9].


[e]. Sir pélé : sorte de moule métallique, d’invention israélienne, permettant, en l’absence de four électrique, de faire cuire des gâteaux sur une cuisinière ou une gazinière.

[9]. Le Peri Mégadim, Michbetsot Zahav, fin du § 452 explique que, lorsqu’un risque de dommage partiel pèse sur un ustensile, il est permis de le chauffer à blanc. Concernant les moules de cuisson au four, le dommage est du type de ceux qui peuvent conduire la majorité des gens à jeter l’ustensile. Aussi ne faut-il pas cachériser de tels moules, bien que, en pratique, on puisse encore les utiliser, même après un chauffage à blanc qui les endommage esthétiquement (c’est ce qu’enseignent le Sidour Pessa’h Kehilkhato 8, 40 et le Hag’alat Kélim 5, 6 et 13, 315). Certains rabbins tendent à l’indulgence en la matière. Nous avons tendance à être rigoureux dans le cas où il n’y a pas à cela d’ardente obligation. Cependant, en cas de nécessité pressante, on peut s’appuyer sur le ‘Arougot Habossem, cité ici en note 5.

08. Principes de l’échaudage (hag’ala)

Comme nous l’avons vu, quand on cuit un aliment dans une marmite, le goût s’attache aux parois et s’y absorbe ; la cuisson a en effet cette faculté que de mêler les diverses saveurs les unes aux autres, et de même que la cuisson a pour propriété de transmettre le goût de la viande à des pommes de terre, de même fait-elle pénétrer le goût du mets dans les parois de l’ustensile.

Simplement, il existe différents degrés de cuisson. Le principe est le suivant : au mode d’absorption correspond le mode d’expulsion (kevol’o, kakh polto). Si l’absorption s’est faite à un fort degré de cuisson, la cachérisation devra, elle aussi, se faire à un haut degré. En tout état de cause, si la chaleur du mets était inférieure au degré de yad solédet bo (45°), aucune absorption n’est à craindre, et il n’est pas nécessaire d’échauder l’ustensile pour le cachériser. Relevons, ci-après, les différents degrés de cachérisation :

Ustensile premier, posé sur le feu (keli richon ché-’al ha-ech) : la cuisson la plus forte se fait quand l’ustensile est posé sur le feu, car le feu continue de chauffer le mets, ce qui amène les différentes saveurs qui s’y trouvent à se mêler l’une à l’autre, et à se transmettre aux parois de la marmite. En vertu du principe « au mode d’absorption correspond le mode d’expulsion », pour la cachériser, il faudra l’immerger entièrement dans une vaste marmite ayant statut d’ustensile premier (keli richon) posé sur le feu, et contenant de l’eau bouillante. Il faut insister sur le fait suivant : même si, au moment de l’absorption de l’ingrédient interdit ou du ‘hamets, l’eau contenue dans l’ustensile ne bouillait pas, il faut tout de même qu’à l’étape de la cachérisation l’eau de la vaste marmite, elle, soit en ébullition. En effet, le principe « au mode d’absorption correspond le mode d’expulsion » n’est applicable qu’au type d’absorption – par un ustensile premier ou second – ; en revanche, dès lors qu’il est question d’un ustensile premier posé sur le feu, la cachérisation doit se faire avec une eau en ébullition, à la manière dont s’utilise ordinairement un ustensile premier posé sur le feu.

Ustensile premier qui n’est pas posé sur le feu (keli richon ché-eino ‘al ha-ech) : il s’agit d’un ustensile qui, dans un premier temps, a été chauffé sur le feu, puis que l’on a retiré du feu, ou bien sous lequel on a éteint le feu. Un tel ustensile a la faculté de provoquer quelque peu la cuisson : si l’on place un aliment à l’intérieur, celui-ci cuira quelque peu, car l’ustensile recèle, en son sein, une part de chaleur émanant du feu. Mais puisque la chaleur de l’ustensile va en décroissant, sa faculté de provoquer la cuisson va, elle aussi, en décroissant. Conformément au principe « au mode d’absorption correspond le mode d’expulsion », sa cachérisation requiert un keli richon qui, lui-même, n’est pas placé sur le feu, mais qui contient une eau encore très chaude.

Transvasement fait à partir d’un ustensile premier (‘érouï mi-keli richon) : il a la capacité de provoquer une cuisson périphérique. Si l’on verse de la soupe ‘hamets dans une soupière, le goût du ‘hamets sera absorbé par la superficie de la soupière, mais non dans toute son épaisseur. De même, pour la cachériser, il suffira de verser de l’eau bouillante à partir d’un keli richon.

Ustensile second (keli chéni) : quand un mets chaud a d’abord cuit sur le feu, et a été ensuite transvasé de l’ustensile posé sur le feu vers un autre ustensile, ce dernier a statut de keli chéni. Les décisionnaires sont partagés quant au fait de savoir si un tel mets a la propriété de transmettre son goût à la périphérie des aliments et des ustensiles. Par exemple, si l’on pose des couverts dans le keli chéni, certains estiment qu’ils n’en absorberont pas le goût, et d’autres pensent qu’ils l’absorberont. Au sujet d’interdits autres que le ‘hamets, le Choul’han ‘Aroukh décide qu’il convient, a priori, de les échauder. S’agissant de Pessa’h, en raison de la gravité de l’interdit pesant sur le ‘hamets, il faut les échauder (Yoré Dé’a 105, 2, Ora’h ‘Haïm 451, 5 ; Kaf Ha’haïm 20).

Même à l’égard d’un troisième ustensile (keli chelichi), certains auteurs sont rigoureux : tant que la chaleur du mets est égale ou supérieure au degré de yad solédet bo, l’ustensile en absorbe le goût, et il faut le cachériser, de la façon même dont on s’en est servi. Mais la majorité des décisionnaires sont indulgents en la matière : pour eux, une cachérisation n’est pas nécessaire, et il suffit d’un nettoyage. Cependant, en raison de la gravité de l’interdit du ‘hamets, on a l’usage, a priori, d’être rigoureux, et de cachériser l’ustensile par échaudage[10].


[10]. Pour un keli richon qui était placé sur le feu, la cachérisation se fait toujours à l’eau bouillante, que sa chaleur, au moment de l’absorption du goût, ait été seulement un peu supérieure au degré de yad solédet bo, ou que l’ustensile ait été mis sous pression par une chaleur supérieure à cent degrés (Touré Zahav, Yoré Dé’a 94, 3 ; ce principe est bien expliqué par le Qitsour Choul’han ‘Aroukh, Bassar be’halav II, Béour 1 du Rav Pfeuffer). Toutefois, certains auteurs estiment que, même dans le cas d’un keli richon placé sur le feu, on applique au degré de chaleur le principe « au mode d’absorption correspond le mode d’expulsion » ; si donc l’ustensile a absorbé les saveurs interdites à une température de 80°, il les rejettera également à cette température. Cf. Choul’han ‘Aroukh Harav 451, 25 et Kaf Ha’haïm 82, Sidour Pessa’h Kehilkhato 1, 4).

S’agissant d’un keli richon qui n’était pas placé sur le feu : la majorité des décisionnaires pensent que la cachérisation doit se faire à une chaleur égale à yad solédet bo. C’est notamment ce qu’écrivent le Maguen Avraham, Ora’h ‘Haïm 451, 7, le Peri ‘Hadach 452, 3, le Peri Mégadim 451, Michbetsot Zahav 9. Toutefois, le Sidour Pessa’h Kehilkhato 1, 4 cite d’autres avis, selon lesquels la cachérisation doit se faire à une chaleur au moins égale à celle de l’absorption. Aussi, pour se défaire du doute, il est bon d’échauder l’ustensile avec une eau vraiment bouillante. Quant à l’estimation de ce qu’est, en soi, le degré de yad solédet bo, elle est elle-même douteuse, et les avis s’étagent entre 45 et 71° (cf. Pniné Halakha – Lois de Chabbat, vol. 1, chap. 10 § 4). Pour la cachérisation, il faudra un minimum de 71° ; en revanche, on tiendra pour possible l’absorption dès lors que la chaleur de l’ustensile était de 45°.

Quant au keli chéni, la majorité des décisionnaires estiment qu’il n’absorbe pas ; cependant, en raison de la rigueur particulière de l’interdit pesant sur le ‘hamets, nos sages ont ordonné qu’il soit échaudé. A posteriori,  quand on ne l’a pas échaudé, cet ustensile ne rend pas interdit l’aliment chaud qui y a été introduit (Michna Beroura 451, 11). Pour un keli chelichi (troisième ustensile), la grande majorité des décisionnaires estiment qu’il n’absorbe pas. Toutefois, certains auteurs sont rigoureux pour tout ustensile, même le dixième, tant qu’il se trouve à une température de yad solédet bo ; c’est l’avis du Peri ‘Hadach. Cf. Hag’alat Kelim 5, 52 ; et tel est l’usage a priori.

Signalons encore que les décisionnaires sont partagés quant au statut d’un « aliment bloc » (gouch) [aliment compact, qui retient la chaleur]. En matière de cacheroute, Rabbénou Yona, le Méïri, le Maharchal, le Chakh et le Maguen Avraham estiment que, même si un tel aliment se trouve dans un troisième ustensile, la règle applicable sera semblable à celle du keli richon placé hors du feu, car ce type d’aliment conserve sa chaleur. Selon Tossephot, le Ran, le Rama et le Gaon de Vilna, le statut de cet aliment suivra celui de l’ustensile où il est placé. En matière d’échaudage, on a coutume, de toute façon, de cachériser les ustensiles à l’eau bouillante, dans une marmite placée sur le feu.

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