Joie et bénédiction du foyer

01. Interdit de la castration

Le propos de la Création est d’ajouter de la vie dans le monde, ainsi qu’il est dit à la fin du récit biblique de la Création : « Dieu les bénit et leur dit : “Croissez et multipliez, emplissez la terre” » (Gn 1, 28 ; cf. aussi 1, 22 ; 8, 17 ; 9, 1 et 9, 7). Par suite, la Torah interdit tout acte de castration d’un mâle, aussi bien chez l’homme que chez l’animal, comme il est dit : « Ecrasé, broyé, démembré, châtré[a] : vous n’offrirez pas ceux-là à l’Eternel, et en votre pays vous n’en ferez point » (Lv 22, 24). De la fin du verset, « en votre pays, vous n’en ferez point », nous apprenons qu’il est non seulement interdit d’offrir en sacrifice une bête mâle dont l’un des organes de reproduction est abîmé, mais également d’accomplir un acte qui porte atteinte à l’un des organes de reproduction, chez un homme ou chez un animal. Celui qui, transgressant cet interdit, fait un acte de castration, est puni de flagellation. Bien que le verset précise « en votre pays », nos sages enseignent, se fondant sur la tradition, que cet interdit toranique vaut également en dehors de la terre d’Israël (Chabbat 110b, Maïmonide, Issouré Bia 16, 10).

Les organes reproducteurs du mâle comportent trois parties : les testicules, dans lesquels la semence est formée, le canal déférent, et le pénis, qui est le membre servant à la pénétration elle-même. Puisque toute lésion importante est castratrice, elle est toraniquement interdite. Même si l’on castre après une première castration, on transgresse un interdit. Par conséquent, si un individu écrase les testicules de son prochain, au point que celui-ci ne puisse plus enfanter, puis qu’un deuxième les lui sectionne, qu’un troisième lui coupe le canal déférent, qu’un quatrième lui broie le pénis et qu’un cinquième le lui coupe, chacun des agresseurs a enfreint un interdit toranique, dont la sanction est la flagellation, puisque chacun a commis un acte de castration (Chabbat 111a, Choul’han ‘Aroukh, Even Ha’ezer 5, 11).

Boire une potion stérilisante dont l’effet est semblable à une castration est également interdit. En effet, le verset suivant du même passage dit : « Parce que leur mutilation est en eux, un défaut est en eux » (Lv 22, 25), ce dont nos maîtres apprennent que toute destruction de la faculté de procréer est interdite (Chabbat 111a, Choul’han ‘Aroukh, Even Ha’ezer 5, 11). Toutefois, puisqu’une telle castration se fait de manière indirecte, de nombreux auteurs estiment que l’interdit est en ce cas de rang rabbinique. D’autres estiment que l’interdit est toranique, mais que, puisque sa transgression ne porte pas atteinte de manière directe aux membres reproducteurs, elle n’est pas sanctionnée par la flagellation[1].


[a]. Le texte biblique cite quatre types d’animaux castrés. Tous ont même statut : il est interdit de les offrir en sacrifice.

[1]. Certains pensent que le fait de boire un breuvage à effet castrateur est un interdit toranique. Telle est l’opinion de Rabbi Yechaya A’haron zal et du ‘Emeq Chééla 105, 9. C’est aussi ce qu’écrit le Nétivot Lachevet 5, 7 au sujet de l’opinion de Maïmonide et du Choul’han ‘Aroukh. Mais pour de nombreux décisionnaires, l’interdit est seulement rabbinique. C’est ce que veut préciser le Séfer Yereïm 342, du fait que les sages autorisent la prise d’une boisson stérilisante à une femme âgée et stérile. C’est l’opinion du Rachba sur Chabbat 110b, opinion qu’il fonde sur le fait que la Torah n’a explicitement interdit que l’atteinte portée à la matière même des organes reproducteurs. C’est aussi ce qu’écrivent le Méïri, le ‘Hatam Sofer, Even Ha’ezer 1, 20, le ‘Hazon Ich, Even Ha’ezer 12, 7, le Yabia Omer VIII Even Ha’ezer 14.

Certains estiment que, dans le cas où il est possible que cela sauve des femmes ou des enfants d’un viol, voire, dans des cas plus rares, d’un meurtre, il est permis de castrer pleinement un mâle qui a déjà commis ce crime plusieurs fois, bien que l’acte soit, d’ordinaire, toraniquement interdit (responsa Mena’hem Méchiv 2, 18). Si la castration se fait par le biais de la chimie, elle n’aura d’effet que temporaire, de sorte que l’interdit sera rabbinique seulement : en un tel cas, il est certain qu’il est permis d’accomplir cet acte afin d’empêcher des viols et adultères, même s’il n’y a pas à craindre pour la vie des victimes potentielles (cf. Yad Yehouda 5, 11-12, responsa Acher ‘Hanan 6-7, 62). Une stérilisation chimique se fait, de nos jours, par injection d’hormones féminines (œstrogènes), ou en administrant une médication contrariant les hormones mâles (androgènes). Une telle stérilisation fait obstacle à la possibilité de féconder une femme, et diminue beaucoup la pulsion sexuelle ; mais son influence est temporaire.

02. L’interdit de se marier fait à l’homme dont les génitoires sont écrasés

Il est interdit à un homme qui, en raison de l’atteinte subie par l’une des trois parties de ses organes reproducteurs, est devenu castrat (saris), d’épouser une femme israélite de naissance, ainsi qu’il est dit : « L’homme blessé des testicules (petsoua’ daka) ou coupé au versoir (kerout chafkha) ne sera pas admis dans l’assemblée de l’Eternel » (Dt 23, 2). Petsoua’ daka se dit de l’homme dont les testicules ont été blessés ; kerout chafkha se dit de l’homme dont la verge, par laquelle se déverse la semence en la femme, a été coupée. Mais il lui est permis d’épouser une prosélyte ou une esclave affranchie. En effet la Torah a décidé que l’interdit s’appliquerait à l’assemblée de l’Eternel, ce qui désigne les femmes nées au sein du peuple d’Israël (Michna Yevamot 76a). Si un homme, marié à une Israélite de naissance, a subi par la suite une castration, il doit divorcer de sa femme, car il lui est interdit de prolonger ses liens matrimoniaux (Otsar Haposqim 5, 2).

L’interdit vise l’homme « aux testicules blessés » ou au « versoir coupé », c’est-à-dire celui qui est devenu eunuque à la suite d’une agression intentionnelle ou d’une blessure infligée de manière inintentionnelle, par exemple dans un accident de la route. Par contre, l’homme fait eunuque par le Ciel – c’est-à-dire né ainsi des entrailles de sa mère – est autorisé à prendre part à l’assemblée. Et bien qu’il ne puisse enfanter, ni même, généralement, s’unir à sa femme, il peut se marier s’il trouve une femme prête à l’épouser ; le statut du couple sera, à tous égards, celui d’un couple marié.

Cette mitsva portant interdiction est une loi divine, dont nous ne pouvons comprendre pleinement la signification. Cependant, on peut apprendre de cette loi la grande importance de la mitsva de procréation, qui forme le but essentiel du mariage, au point que l’eunuque, empêché d’enfanter, se voit interdire d’être compté parmi l’assemblée (Guide des égarés III 49, Bekhor Chor, Rabbénou Ba’hyé, ‘Hizqouni). De plus, généralement, l’eunuque ne peut accomplir le devoir conjugal (mitsvat ‘ona), et il est à craindre que la femme, en raison de la frustration qu’elle éprouvera, n’en vienne à avoir des relations extra-matrimoniales. Pour empêcher cela, la Torah a interdit à la femme israélite de se marier à un tel homme (Guide des égarés III 49 ; Raavad, Issouré Bia 15, 2). On trouve un autre motif à cette loi : grâce à elle, le peuple juif est très prévenu contre la castration. Dans le passé, les rois des nations avaient l’usage de castrer des mâles afin de les nommer à des postes de ministres, d’employés et de gardiens de femmes ; ainsi, ils avaient une plus grande confiance en leur fidélité. Certains hommes se castraient eux-mêmes ; d’autres fois, c’étaient leurs parents qui leur faisaient cela dès leur enfance, afin qu’ils pussent être nommés à des postes d’Etat. De nos jours encore, certains hommes attentent à leur capacité d’engendrer, afin de pouvoir avoir autant de relations adultères qu’ils le souhaitent. De tout cela, la Torah nous écarte en interdisant la castration. Mais l’homme fait eunuque par le ciel, puisque cela lui est survenu sans commission d’aucune faute ni soupçon de négligence, la Torah ne lui interdit pas d’être compté parmi l’assemblée (Séfer Ha’hinoukh 559).

03. Le permis et l’interdit en cette matière

Comme nous l’avons vu, l’interdit consiste, pour l’eunuque, à épouser une femme israélite de naissance ; mais il lui est permis d’épouser une prosélyte ou une esclave affranchie (Michna Yevamot 76a)[2].

Nous avons également vu que l’interdit ne s’appliquait pas à l’homme fait eunuque par le Ciel, ce qui est le cas de l’homme né ainsi. Toutefois, les décisionnaires sont partagés quant au cas de l’homme devenu eunuque à la suite d’une maladie. Selon le Roch, il est interdit à un tel homme de « prendre part à l’assemblée », car les hommes sont parties prenantes dans l’apparition des maladies, par le biais d’aliments qui ne sont pas sains, ou par la pollution, de sorte que ces cas de castration eux-mêmes sont provoqués par l’homme. Selon Maïmonide et la majorité des Richonim, l’homme devenu eunuque à la suite d’une maladie est, lui aussi, considéré comme fait eunuque par le Ciel, et il lui est permis de « prendre part à l’assemblée ». C’est en ce dernier sens qu’est fixée la halakha (Yam Chel Chelomo, Michkenot Ya’aqov, Birké Yossef, Pit’hé Techouva 5, 7, Maharcham, ‘Aroukh Hachoul’han 5, 18).

Cette règle nous enseigne un important principe : certes, la mitsvat ‘ona constitue le fondement du mariage – de sorte que la halakha tient pour nul le lien matrimonial engagé par un homme, quand celui-ci déclare ne pas s’obliger à accomplir la mitsvat ‘ona (Choul’han ‘Aroukh, Even Ha’ezer 38, 5 ; cf. ci-dessus, chap. 1, note 2). Mais dans le cas où, à cause d’une contrainte, il est impossible à l’homme de s’unir à une femme – comme dans le cas où l’homme est devenu eunuque de par le Ciel – il est permis de créer une alliance matrimoniale, fondée sur un lien d’esprit entre l’homme et la femme, et sur l’obligation de chaque époux de faire le bien de son conjoint[3].

L’interdit consiste, pour un homme ayant subi une castration, d’épouser une femme israélite de naissance. Mais si c’est la femme qui a subi une ablation génitale, par exemple une opération consistant à retirer l’utérus (hystérectomie), elle est autorisée à épouser un Israélite de naissance (Séfer Ha’hinoukh 559, Otsar Haposqim 5, 1, 1). Toutefois, si l’homme n’a pas encore accompli la mitsva de procréer, il lui sera interdit d’épouser une telle femme, puisque ce serait faire obstacle à l’accomplissement de la mitsva de procréation, laquelle s’impose à lui (cf. ci-dessus, chap. 5, 8).


[2]. Il est interdit à un Cohen d’épouser une prosélyte, mais un Cohen « aux testicules blessés ou à la verge sectionnée » a même statut qu’un simple Israélite, et il lui est donc permis d’épouser une prosélyte (Yevamot 76a, Choul’han ‘Aroukh, Even Ha’ezer 5, 1). Pour la majorité des décisionnaires, les autres règles qui se rapportent à la prêtrise s’appliquent à lui ; il lui est donc interdit d’épouser une prosélyte divorcée, il peut consommer des nourritures consacrées, et il monte sur l’estrade pour procéder à la bénédiction sacerdotale (birkat Cohanim). C’est ce qu’écrivent le Méïri, le Beit Chemouel 5, 1, le Beit Méïr et le Min’hat ‘Hinoukh 269. Cependant, selon le ‘Helqat Me’hoqeq 5, 1, un tel homme a perdu le statut de Cohen ; aussi peut-il épouser également une prosélyte divorcée ; il ne peut procéder à la birkat Cohanim, ni manger des saintetés. Il peut seulement consommer de la térouma [parts revenant aux prêtres, autres que des sacrifices, et prélevées par les Israélites sur leur production agricole], car les esclaves des prêtres, eux-mêmes, en consomment. Cf. ‘Aroukh Hachoul’han 5, 6.

[3]. Cf. ci-dessus, chap. 2, note 3, où il est dit que relèvent également de la mitsvat ‘ona les caresses, et tout ce qui peut réjouir l’autre. C’est donc, vraisemblablement, une mitsva pour l’eunuque de faire, pour sa femme, tout ce qui peut la réjouir, y compris de la réjouir physiquement, selon ses possibilités. Et même si l’on soutient que, sans pénétration génitale, tout ce qui accompagne ordinairement celle-ci ne participe pas du devoir conjugal, toraniquement compris, cela n’en reste pas moins une obligation du point de vue de la mitsva d’aimer son prochain comme soi-même.

04. Interdiction faite à l’eunuque de se marier : questions pratiques

Différentes atteintes peuvent affecter les organes reproducteurs. Le principe est que, si, malgré l’atteinte, l’homme peut enfanter, il n’a pas le statut de petsoua’ daka (« homme aux testicules blessés ou à la verge sectionnée »), et il lui est donc permis de se marier comme tout Juif. La question est confiée à des médecins dignes de foi. À l’époque des Richonim, de nombreux médecins pensaient que l’absence d’un seul testicule empêchait la procréation ; d’après cela, la majorité des Richonim enseignèrent qu’un tel homme a le statut de petsoua’ daka ; mais Rabbénou Tam et quelques autres Richonim estimaient qu’un tel homme peut enfanter (Choul’han ‘Aroukh, Even Ha’ezer 5, 7). De nos jours, les médecins ont la certitude qu’une telle personne peut enfanter ; dès lors, il est certain qu’elle n’est point considérée comme petsoua’ daka[4].

L’un des problèmes apparaissant fréquemment chez les hommes d’un certain âge est le grossissement de la prostate, par laquelle passent le canal déférent et l’urètre. Ce phénomène gêne le passage de l’urine. Dans les cas les plus difficiles, il est nécessaire de couper la prostate, afin de rendre possible l’expulsion des urines. Le problème est que l’ablation de la prostate empêche le sperme de s’écouler par la verge, lors du coït : depuis les testicules, il entre dans la vessie, puis il est expulsé avec les urines. Ainsi, bien que le sperme soit encore valide, l’homme est, en pratique, incapable de féconder sa femme, car, au moment de l’union, il ne peut expulser de semence. Certains auteur ont prétendu que, puisque en pratique un tel homme a été rendu stérile par le biais d’une intervention humaine, il lui est désormais interdit d’être compté parmi l’assemblée, et, s’il était marié, il doit divorcer.

Cependant, en pratique, il est convenu que l’homme opéré de la prostate n’a pas le statut de petsoua’ daka. Premièrement, parce que l’ablation de la prostate se pratique en raison d’une maladie ; or, nous l’avons vu au paragraphe précédent, la majorité des décisionnaires estiment que le statut d’un tel homme est assimilable à celui de l’homme fait eunuque par le Ciel, puisque l’acte du médecin a été pratiqué pour le délivrer de ses souffrances, et non pour le castrer. Deuxièmement, en pratique, le canal déférent reste intact, et ce n’est que par une cause accessoire que le sperme ne peut s’écouler pendant le rapport conjugal.

Une question plus difficile est celle de la règle à appliquer à un homme souffrant du cancer de la prostate, ou d’un autre type de cancer, et qui a dû, pour que ses chances d’être sauvé fussent plus grandes, subir une ablation des testicules, car ceux-ci produisent des hormones qui hâtent l’activité cancéreuse. En pratique, de nombreux décisionnaires pensent que, bien que les médecins lui aient effectivement retiré les testicules, cet homme reste considéré comme fait eunuque par le Ciel, puisque l’ablation a été pratiquée en conséquence d’une maladie (Maïmonide, avis partagé par la majorité des décisionnaires). De plus, on peut dire que les décisionnaires rigoureux (tels que le Roch) seraient eux-mêmes indulgents en pareil cas. En effet, ce n’est que lorsque la maladie elle-même a porté atteinte aux organes reproducteurs, au point que l’un d’eux est nécrosé, que l’homme est, selon eux, insusceptible d’être compté parmi l’assemblé, car alors il est considéré comme associé à la survenance de son mal. En revanche, lorsque la maladie n’a pas atteint les organes reproducteurs, et que ce sont les médecins qui ont été contraints de retirer à cet homme ses testicules afin de le sauver d’une maladie autre, son appartenance à l’assemblée n’est pas invalidée (‘Helqat Yoav, Even Ha’ezer 3, Rav Tsvi Pessah Frank).

La règle est la même pour l’homme qui, ayant été malade du cancer, a subi des séances de radiothérapie qui ont totalement anéanti sa capacité de produire du sperme : bien que cet homme ne puisse plus enfanter, sa stérilité, puisqu’elle a été provoquée pour traiter une maladie, est considérée comme faite par le Ciel, et il lui est permis d’être compté parmi l’assemblée[5].

En tout cas de doute qui se présente en ces matières, la halakha suit l’opinion indulgente, car tel est le principe pour toutes les règles toraniques : en cas de nécessité pressante (cha’at had’haq), on s’appuie sur le propos des décisionnaires indulgents. Or le cas que nous étudions est un véritable cas de nécessité pressante, car, si l’on était rigoureux, il serait interdit à un tel homme d’épouser une Israélite de naissance ; et dans le cas où il serait marié, il serait contraint de divorcer. De plus, de l’avis de nombreux décisionnaires, le statut de petsoua’ daka et de kerout chafkha a ceci de commun avec celui de mamzer (enfant adultérin) que, si l’on s’en tient à la règle toranique, seule la personne qui est certainement mamzer, ou petsoua’ daka, ou kerout chafkha, est disqualifiée pour prendre part à l’assemblée. En revanche, dès lors qu’il y a un doute en l’affaire, aucun interdit ne s’applique à cette personne. Aussi, en tout cas de doute, la halakha suit la position indulgente[6].


[4]. Le statut de petsoua’ daka et de kerout chafkha ne s’applique qu’aux cas de castration. Ainsi, le traité Yevamot 75b cite l’opinion selon laquelle l’homme dont le testicule est percé a le statut de petsoua’ daka, et l’objection des sages, qui affirment connaître le cas d’un homme au testicule percé et qui, néanmoins, a enfanté. Les tenants de l’opinion rigoureuse rétorquent qu’en réalité cet homme n’a point enfanté, mais que sa femme a commis un adultère, et a pu ainsi enfanter. Quoi qu’il en soit, il ressort de ce débat que, aux yeux de tous, il était certain que la notion de petsoua’ daka vise l’eunuque, qui ne peut enfanter. Maïmonide, le Méïri, le Raavia, le Yam chel Chelomo sur Yevamot 8, 9 et le Igrot Moché, Even Ha’ezer II 3 s’expriment en ce sens.

Les Richonim sont encore partagés quant à la règle applicable à celui dont un testicule a été ôté par l’effet d’une intervention humaine. Selon Rabbénou Tam (Yevamot 75a, ד »ה שאין), puisqu’un tel homme est susceptible d’enfanter, il ne doit pas être considéré comme petsoua’ daka, et il est apte à « prendre part à l’assemblée d’Israël ». Certes, de nombreux Richonim s’opposent à Rabbénou Tam, et rendent inapte au mariage l’homme dont un testicule a été ôté. C’est l’avis du Choul’han ‘Aroukh et du Rama 5, 7. Toutefois, les A’haronim partagent l’avis de Rabbénou Tam : c’est le cas du Yam Chel Chelomo, du ‘Hatam Sofer, Even Ha’ezer 17, du Divré ‘Haïm 1, 11. C’est aussi ce qu’écrit le Pit’hé Techouva 7, se fondant sur Rabbi ‘Haïm de Volozhin. Telle est la position des médecins aujourd’hui : même quand un testicule lui a été ôté, l’homme a l’aptitude d’enfanter. Il semble que ceux des Richonim qui ne partageaient pas l’avis de Rabbénou Tam se fondaient eux-mêmes sur les connaissances médicales de leur temps. Il se peut aussi que, jadis, à la suite d’infections, celui qui était blessé à un testicule ne pouvait généralement pas enfanter.

[5]. Les décisionnaires sont partagés quant au cas de l’homme qui, sans qu’il y eût de nécessité médicale, a subi des rayonnements ayant détruit sa capacité à engendrer. Certains sont rigoureux, puisque cet homme est devenu stérile par l’effet d’une action humaine (‘Helqat Ya’aqov). D’autres estiment que, bien que l’acte stérilisant subi par cet homme fût interdit par la Torah, il n’a pas le statut de petsoua’ daka ni de kerout chafkha, puisque, en fait, ses trois organes reproducteurs sont entiers (Rav Unterman), de même qu’il est admis que, si un homme a bu une potion qui l’a rendu stérile, il peut néanmoins être compté parmi l’assemblée (Birké Yossef 5, 7, ‘Aroukh Hachoul’han 24).

[6]. Certes, s’agissant d’une personne dont le statut de mamzer est douteux, et quoique la Torah n’interdise pas de l’épouser, les sages se sont montré rigoureux, en raison de la gravité perpétuelle de l’interdit ; ils ont donc étendu l’interdit au cas de doute, et n’ont autorisé le mariage qu’en cas de sfeq sfeqa (accumulation de deux doutes). Mais dans le cas d’un petsoua’ daka ou d’un kerout chafkha, les sages n’ont pas été rigoureux. C’est ce qu’écrit Rabbi Aqiba Eiger dans ses responsa III 63, le Avné Nézer, Even Ha’ezer 17, le Beer Yits’haq, Even Ha’ezer 4, le Beit Yits’haq, Even Ha’ezer I 36, le ‘Aroukh Hachoul’han 5, 20 et d’autres décisionnaires cités par le Yabia’ Omer VII Even Ha’ezer 8, 10.

Dans la dernière génération, une nouvelle question s’est posée : quelle est la règle applicable à l’homme dont les organes reproducteurs ont été atteints, et qui, dans le passé, n’avait pas la possibilité d’enfanter, mais dont les médecins sont aujourd’hui capables d’extraire du sperme, à partir de ses testicules, de sorte qu’ils peuvent provoquer la fécondation de son épouse par le biais dudit sperme ? Le ‘Hevel Na’halato 4, 23 exprime des doutes quant à ce cas. De prime abord, puisque le cas est douteux, la halakha suit l’opinion indulgente. Dans l’avenir, il se peut qu’une question supplémentaire se pose : quelle serait la règle dans le cas où l’on pourrait prélever une cellule du corps d’un homme et produire, à partir d’elle, une cellule de semence qui puisse s’unir à un ovule ? Il se peut que ce cas ne puisse même pas être considéré comme un cas de doute, car, tant qu’il manque à l’homme l’un de ses trois organes reproducteurs et qu’il ne produit pas non plus de sperme, son statut est assimilable à celui de l’eunuque.

05. L’interdit de provoquer la stérilité d’une femme

L’interdit de stérilisation s’applique également à la femme ; simplement, cet interdit est de rang rabbinique. En effet, la Torah a interdit la castration des mâles, comme il est dit : « Ecrasé, broyé, démembré, châtré : vous n’offrirez pas ceux-là à l’Eternel, et en votre pays vous n’en ferez point » (Lv 22, 24) ; or tous ces actes d’endommagement des organes reproducteurs ressortissent à ceux du mâle, qui sont proéminents, et non à ceux de la femelle, qui sont cachés. De même, l’interdiction de se marier, pesant sur l’eunuque, ne s’applique qu’à l’homme ayant subi une castration, comme il est dit : « L’homme blessé aux testicules (petsoua’ daka) ou coupé au versoir (kerout chafkha) ne sera pas admis dans l’assemblée de l’Eternel » (Dt 23, 2) ; or ces organes sont ceux de l’homme : le petsoua’ daka est celui dont les testicules ont été blessés ; le kerout chafkha est celui dont la verge a été sectionnée. Une femme qui aurait subi une intervention castratrice, en revanche, est autorisée à se marier avec tout homme d’Israël. Cependant, du point de vue de l’obligation de procréer, il est interdit à celui qui n’a pas accompli son devoir d’épouser une femme stérile.

L’interdit de castration des femmes, que les sages ont émis, vise l’acte direct commis en ce sens, tel que la blessure ou l’opération ; par contre une stérilisation indirecte, par la prise d’une boisson provoquant la stérilité, est permise. Mais cette autorisation n’a cours que s’il existe une nécessité particulière à réaliser cette stérilisation. C’est le cas lorsque la femme souffre beaucoup durant ses accouchements, ou lorsque ses enfants ne suivent pas un bon chemin, qu’elle craint d’avoir d’autres enfants semblables aux premiers, et qu’il lui est impossible de recourir aux moyens contraceptifs courants (cf. ci-dessus, chap. 5 § 17-19). Mais sauf nécessité particulière, il est interdit de provoquer la stérilité de la femme, même de façon indirecte, car il existe un interdit général de détruire une quelconque chose, dans le monde du Saint béni soit-Il, comme il est dit : « Tu ne détruiras pas » (Dt 20, 19) ; à plus forte raison est-il interdit de détruire la possibilité qu’a la femme d’enfanter.

La permission faite à la femme de causer sa stérilité dans certaines conditions requiert également l’accord de son mari, car, en acceptant de se marier à lui, la femme s’est obligée à s’associer pleinement à lui dans l’accomplissement de la mitsva de procréer (‘Hatam Sofer, Even Ha’ezer 20 ; cf. ci-dessus, chap. 5 § 14 ; cf. encore chap. 5 § 6)[7].

Une grande question s’est posée, ces dernières années, quant au fait de stériliser une femme en détachant les trompes de l’utérus. Par les trompes de Fallope, l’œuf passe des ovaires à l’utérus ; de cette façon, le sperme de l’homme peut se réunir à l’ovule, et la grossesse peut commencer. Quand on obture les trompes ou qu’on les sectionne, il n’est plus possible de tomber enceinte. La question qui se pose est de savoir si une femme dont les grossesses sont difficiles, et qui ne veut plus enfanter, est autorisée à demander à un médecin de la stériliser par sectionnement, obturation ou ligature des trompes. Selon certains auteurs, l’opération est assimilable à la consommation d’une potion stérilisante, car une telle castration n’est pas discernable extérieurement (Sia’h Na’houm 100). De plus, il ne s’agit pas d’une castration totale, car, par une opération supplémentaire, il est parfois possible de rendre aux trompes de Fallope leur activité régulière. Et même si cela n’est plus possible, on peut encore prélever l’ovule, directement de l’ovaire, le féconder par le sperme de l’homme, dans une éprouvette, et le transplanter dans l’utérus de la femme. D’autres auteurs estiment que, puisqu’il s’agit d’un acte pratiqué sur les organes génitaux de la femme eux-mêmes, cela est interdit rabbiniquement ; et tant qu’existe une possibilité de prévenir la conception par le biais de la pilule ou d’un stérilet, il est interdit d’intervenir sur les trompes (Igrot Moché, Even Ha’ezer IV 33-34 et IV 32, 1). De nos jours, il existe une méthode permettant d’obturer les trompes de manière indirecte, méthode permise aux yeux même des tenants de l’opinion rigoureuse[8].


[7]. L’opinion la plus communément partagée est que l’interdit de castration, à l’égard de la femme, est de rang rabbinique. C’est ce qui ressort des propos de Maïmonide, Issouré Bia 16, 11 : « Celui qui castre une femelle, que ce soit parmi l’espèce humaine ou parmi les autres espèces, est quitte de sanction », ce qui laisse entendre que, si l’auteur de l’acte est quitte, l’acte lui-même n’en est pas moins interdit. C’est ce qu’écrivent le Maguid Michné et le Choul’han ‘Aroukh, Even Ha’ezer 5, 11. Selon le Touré Zahav (Even Ha’ezer 5, 6), l’interdit est motivé par la souffrance qu’un tel acte causerait à la femme, mais, s’il n’y avait cette souffrance, il n’y aurait pas d’interdit. Dès lors, dans le cas où l’acte est nécessaire, il est permis. Selon le Gaon de Vilna (5, 25), l’interdit toranique de castration s’applique également à la femme ; simplement, on n’est point passible pour cela de flagellation.

On peut proposer deux explications au fait que l’interdit toranique de castration s’applique – selon la majorité des avis – aux hommes et non aux femmes. Premièrement, l’interdit toranique vise l’atteinte portée aux organes reproducteurs apparents, et non aux organes cachés comme le sont ceux des femmes. Deuxièmement, l’homme est soumis à l’obligation de croître et multiplier, tandis que, pour la femme, il s’agit d’une mitsva mais non d’une obligation (‘hova) ; de sorte que la castration d’une femme n’est interdite qu’en vertu d’un décret rabbinique, et que la stérilisation – « castration » indirecte –, est permise [en cas de nécessité spéciale].

De prime abord, la « castration » indirecte fait, elle aussi, l’objet d’une controverse entre auteurs. Selon le Beit Chemouel 5, 14 et la majorité des décisionnaires, il est permis à une femme de boire une potion stérilisante, même s’il n’y a pas à cela de nécessité particulière. Selon le Baït ‘Hadach et le Yam Chel Chelomo, cela n’est autorisé qu’en cas de nécessité particulière. Il semble, à notre humble avis, que tous les auteurs reconnaîtraient que, dans un cas où aucune nécessité n’est présente, la chose est interdite, au titre de l’interdit de bal tach’hit (« Tu ne détruiras pas »). La controverse porte sur le fait de savoir s’il faut, pour recourir à la stérilisation indirecte, être en présence d’une grande nécessité (tsorekh gadol) ou si même une nécessité ordinaire suffit.

[8]. On peut apprendre, des propos des responsa Dvar Yehochoua III Even Ha’ezer 7, que, s’il est possible de rendre aux trompes leur activité régulière, leur opération n’est pas considérée comme une complète castration. Le Igrot Moché, Even Ha’ezer IV 32, 1, est rigoureux, puisque la chose nécessite une opération. En pratique, puisque la controverse porte sur une norme rabbinique, on peut, en cas de nécessité pressante, s’appuyer sur les décisionnaires indulgents.

Cependant, de nos jours, il n’y a plus à cela de nécessité, puisqu’il existe une nouvelle méthode permettant d’obturer les trompes de manière indirecte. Le statut de cette nouvelle méthode est comparable à celui de la consommation d’un breuvage stérilisant, laquelle est permise en cas de grande nécessité. L’obturation se fait au moyen d’une bobine que l’on introduit dans la trompe, et qui entraîne, au bout de quelques semaines, la création d’une cicatrice tissulaire, laquelle bouche la trompe. Puisque la bobine n’obture pas immédiatement la trompe, la stérilisation n’est obtenue que de manière indirecte, comme par la prise d’une potion, et son statut est celui d’un mode indirect de stérilisation (d’après l’article du Rav Yoël et de la doctoresse Hanna Katan, Métsiout Ourfoua Bé-séder Nachim, p. 290). Certains décisionnaires, il est vrai, expriment des doutes face à cette méthode, et prennent une position rigoureuse, en soutenant qu’il s’agit là d’une stérilisation directe ; mais il paraît clair que cet acte doit être considéré comme causant la stérilité de manière indirecte ; ce à quoi il faut ajouter que certains décisionnaires ne considèrent pas le sectionnement des trompes lui-même comme un acte de castration (Sia’h Na’houm 100).

06. « Je leur accorderai en ma maison… » – Daniel, ‘Hanania, Mishaël et Azaria

L’eunuque pourrait sombrer dans la peine et le désespoir, pour ce qu’il ne laisse pas après lui de souvenir en ce monde. Mais s’il parvient à relier sa vie à la sainteté éternelle, il jouira d’un renom perpétuel, meilleur que des fils et des filles. Ainsi parle le prophète :

Qu’il ne dise pas, l’eunuque : « Hélas, je suis un arbre desséché. » Car ainsi parle l’Eternel : « Aux eunuques qui gardent mes Chabbats, choisissent ce que j’ai désiré et s’attachent à mon alliance, Je donnerai en ma maison et en mes murailles un monument et un titre, meilleurs que des fils et des filles ; Je leur donnerai un renom perpétuel, qui ne sera point retranché » (Is 56, 3-5).

Tant qu’il existe des fautes, en ce monde, existent aussi la mort et différentes maladies. Quand le monde sera réparé de toutes les fautes qui l’affligent, toutes les maladies seront guéries. Certaines fautes entraînent plus particulièrement la stérilité. L’une d’elles est l’atteinte portée à l’honneur d’Israël et du Temple. Après le grand miracle dont bénéficia le roi Ezéchias – miracle que nous avons mentionné plus haut –, les émissaires du roi de Babylone se présentèrent à lui. Or, au lieu de les rapprocher de la foi, il fauta par orgueil et flatterie en leur montrant tous ses trésors, et ceux du Temple. Le prophète lui dit : « Une partie des fils qui descendront de toi et que tu auras enfantés seront enlevés, et deviendront eunuques au palais du roi de Babylone » (Is 39, 7).

Nos sages disent que c’est en Daniel, ‘Hanania, Mishaël et Azaria, descendants du roi Ezéchias, que s’accomplit cette dure prophétie. Alors qu’ils étaient encore enfants, ils furent arrachés à leur famille et à leur peuple, et emmenés au palais du roi Nabuchodonosor afin qu’ils fussent ses serviteurs et conseillers ; c’est à cette occasion qu’ils furent châtrés[b] (Sanhédrin 93b, Pirqé de-Rabbi Eliézer 51)[9]. L’examen de leur personnalité et de leur œuvre permet d’apprendre quelle vocation attend, en fin de compte, l’homme que le destin a rendu eunuque.

Après que le roi Nabuchodonosor eut fait amener les quatre enfants en sa ville, il ordonna de les nourrir de viande de sa table, et de leur apprendre la langue et la culture chaldéennes, afin de les y assimiler. Cependant, eux s’entêtèrent, avec un dévouement total, à conserver leur foi ; et, puisque la viande n’était pas cachère, ils s’abstinrent d’en manger. Durant des années, ils ne se nourrirent que de légumineuses. Si le roi avait appris qu’ils bravaient ses instructions, il les aurait fait mettre à mort ; mais Daniel et ses compagnons étaient prêts à faire le sacrifice de leur vie pour cela.

Pendant les années de leur exil, au palais royal, les armées de Nabuchodonosor détruisirent le Temple et déportèrent le peuple d’Israël en Babylonie. Mais Daniel et ses compagnons, qui avaient déjà été nommés à des postes de ministres importants, ne perdirent pas leur foi. Plus tard, après la chute de la royauté babylonienne, quand Darius, roi de Médie, décréta que l’on ne prierait plus personne d’autre que lui-même, Daniel continua de prier l’Eternel ; lorsqu’il fut arrêté, on le jeta dans la fosse aux lions, et l’Eternel le sauva miraculeusement (Da 6).

Et bien que Daniel fût devenu eunuque, il ne sombra pas dans la tristesse ; les sages disent de lui : « Nous voyons que Daniel, le gentil seigneur, s’occupait de bienfaisance (…). Il aidait les fiancées et les réjouissait ; il faisait escorte aux morts ; il donnait de l’argent aux pauvres ; il priait trois fois par jour, et sa prière était agréée par Dieu » (Avot de-Rabbi Nathan 4).

Revenons à la période de la monarchie babylonienne. Le peuple juif connaissait alors une crise profonde. Un royaume impie gouvernait le monde, le Temple était détruit, le peuple était exilé de sa terre, et il semblait qu’il n’y eût plus d’espérance pour la foi d’Israël. Par conséquent, de nombreux exilés abandonnèrent la voie de la Torah et des mitsvot, jugeant que, de toute façon, en une ou deux générations, les Juifs seraient assimilés parmi les nations. Or voici que Nabuchodonosor décida d’ériger une grande statue d’or à son effigie, censée exprimer la puissance de son règne et de son pouvoir. Il fixa la date d’une impressionnante cérémonie, au cours de laquelle le public se prosternerait devant sa statue. À ce qu’il semble, parmi ceux qui se prosternèrent, figuraient de nombreux Juifs. ‘Hanania, Mishaël et Azaria eux-mêmes, qui étaient des employés majeurs au palais de Nabuchodonosor, auraient pu trouver une autorisation de se prosterner, en arguant qu’il ne s’agissait pas d’une idolâtrie véritable (ainsi que l’explique Rabbénou Tam). Mais puisque la statue ressemblait à une idole, ils furent prêts à être jetés dans une fournaise ardente, plutôt que de se prosterner devant elle et de profaner le nom divin publiquement. Or un grand miracle fut opéré pour eux : ils ne furent pas brûlés, et le nom du Ciel fut sanctifié aux yeux de tout Israël et des nations (Daniel n’était pas présent à ce moment-là, comme l’explique Sanhédrin 93a).

Nos sages déclarent, au sujet de cette période sombre, au cours de laquelle les Israélites oublièrent leur foi et leur patrie, et se prosternèrent devant une statue : « Le Saint béni soit-Il souhaita plonger le monde entier dans la nuit (…) et le sang (…). Mais quand Il considéra ‘Hanania, Mishaël et Azaria, son esprit s’apaisa » (Sanhédrin 93a). Par leur mérite, le peuple d’Israël se souvint de son alliance avec l’Eternel son Dieu, retourna sur sa terre, et reconstruisit le Temple et les murailles de Jérusalem.

Au lieu de désespérer de leur vie, ils choisirent de s’identifier au désir de Dieu et à son décret. Par cela, ils purent accomplir des prodiges dans le monde. Les sages disent ainsi : « Fais sa volonté [celle de Dieu] comme s’il s’agissait de ta volonté, afin qu’Il fasse ta volonté comme si c’était la sienne ; annule ta volonté face à sa volonté, afin qu’Il annule la volonté des autres devant la tienne » (Maximes des pères 2, 4). Au lieu de l’alliance de la circoncision, placée sur leur virilité amputée, ils s’élevèrent à l’alliance divine avec le peuple d’Israël, la Torah et la terre d’Israël ; par ce biais, ils révélèrent la valeur de la vie même, qui est attachée à sa source divine, au point que le prophète les appelle : « Ceux qui s’attachent à mon alliance » (Is 56, 4)[10].

De la vie et de l’œuvre de Daniel, ‘Hanania, Mishaël et Azaria, on peut apprendre que, parfois, ce sont précisément les eunuques qui peuvent s’attacher, par leur foi, à l’essence même de leur vie, au-delà de la vie présente, marquée par l’inquiétude qu’ont les hommes pour leur famille et leurs enfants ; s’attacher à la foi pure, qui n’est dépendante de rien. Par cela, ils peuvent faire le sacrifice de leur vie, afin de révéler l’alliance liant l’Eternel à Israël, ce par quoi le monde entier se consolide ; et Israël revient à sa terre, reconstruit Jérusalem et le Temple. « Je leur donnerai, en ma maison et en mes murailles, un monument et un titre, meilleurs que des fils et des filles ; Je leur donnerai un renom perpétuel, qui ne sera point retranché” » (Is 56, 5).


[b]. On ne voit pas d’allusion à cela dans le texte biblique, et c’est une tradition orale, elle-même controversée (comme on le verra en note 9) qui évoque une castration chez Daniel et ses compagnons.

[9]. Les sages controversent à ce sujet, en Sanhédrin 93b : « Rav dit : “Ils devinrent véritablement castrats ; Rabbi ‘Hanina dit : “C’est l’idolâtrie qui fut castrée à leur époque.” » Dans la suite de la Guémara, il est expliqué que, de l’avis même de Rabbi ‘Hanina, les fils qu’ils eurent moururent de leur vivant ; aussi, leur consolation consistait à jouir d’un renom perpétuel, meilleur que des fils et des filles. [C’est en cela que leur situation se rapprochait de l’eunuque, dont parle la prophétie d’Isaïe 56, sans qu’ils le fussent eux-mêmes.]

Selon les Pirqé de-Rabbi Eliézer 51, ils étaient véritablement eunuques. Selon cela, à ce qu’il semble, le roi de Babylone ordonna de les châtrer afin qu’ils lui fussent fidèles. Dans le Otsar Hamidrachim (Eisenstein, Esther p. 60), on trouve : « “Esther appela Hatakh (un des eunuques du roi)” (Est 4, 5) : Hatakh n’est autre que Daniel. Et pourquoi est-il appelé Hatakh ? Parce que fut coupée (‘hatakh) sa virilité, à l’époque de Nabuchodonosor l’impie, ainsi que celle de ses amis ‘Hanania, Mishaël et Azaria : les ennemis d’Israël les avaient diffamés, en disant à Nabuchodonosor : “Ces Juifs, que tu as fait venir, ont commerce charnel avec des servantes du roi et des femmes de ministres.” Dès qu’ils eurent entendu [la calomnie], Daniel et ses amis, ‘Hanania, Mishaël et Azaria, coupèrent leur virilité, ainsi qu’il est dit : “Car ainsi parle l’Éternel : Aux eunuques qui gardent mes Chabbats, etc.” (Is 56, 4). Immédiatement [après avoir entendu la dénonciation diffamatoire], Nabuchodonosor fut rempli de fureur à leur encontre, et ordonna qu’on les amenât afin de les tuer. Ils lui dirent : “Notre seigneur le roi, loin de nous l’idée de faire cela, car, selon la loi d’Israël, l’adultère et la prostitution sont interdits, comme il est dit : Tu ne commettras point d’adultère.” Et ils lui montrèrent leur virilité. Alors Nabuchodonosor se réjouit grandement… » À la fin de sa vie, Daniel-Hatakh aida Esther et Mardochée à secourir Israël. Et Esther, comme Daniel et ses compagnons, fut prête à sacrifier sa vie pour sauver Israël.

[10]. Dans les versets qui évoquent la grandeur des eunuques, le Chabbat est, lui aussi mentionné, car, par le biais du Chabbat, la vie terrestre se relie à sa source, et accède à la perfection. Quand le prophète parle des eunuques qui « gardent mes Chabbats », les deux aspects du Chabbat sont visés : a) le Chabbat sanctifie les jours ouvrables passés ; b) il fait rayonner sainteté et bénédiction sur les six jours ouvrables à venir.

01. Les épreuves de la stérilité et leur origine

Elles sont grandes, les épreuves de celui qui n’a pas eu le bonheur d’avoir d’enfants. Nos sages disent : « Quiconque n’a pas d’enfants est considéré comme mort » (Nédarim 64b) ; il est dit en effet : « Rachel vit qu’elle ne donnait point d’enfants à Jacob. Rachel jalousa sa sœur, et dit à Jacob : “Amène-moi des fils, sans quoi je meurs” » (Gn 30, 1). Si les sages nous livrent cet enseignement, c’est seulement pour que les gens sachent combien grande est la souffrance de ceux qui n’ont pas d’enfants, et pour qu’ils invoquent, à leur intention, la miséricorde divine, afin qu’ils soient exaucés (Tossephot ad loc.). Même un couple qui a un enfant, ou plus, et qui aspire à en avoir un autre, sans y parvenir, risque d’être fort triste, en particulier quand ce couple a l’avantage de vivre dans un environnement où il est habituel de fonder des familles nombreuses.

La question qui se pose est de savoir quel est le sens de ces épreuves. Faut-il voir en elles une punition de fautes, de sorte que, pour avoir la chance d’avoir des enfants, l’homme qui en est privé aurait l’obligation de s’éveiller au repentir (téchouva) ? Ou bien le destin a-t-il été fixé ainsi, avant même que cet homme ne naquît, de sorte qu’il ne faut pas l’accuser d’être responsable de ses épreuves ?

La réponse est très complexe. Parfois, les épreuves proviennent des fautes, d’autres fois du destin, parfois de la combinaison des fautes et du destin. Parfois la repentance et la prière sont efficaces pour modifier cet état de fait, d’autres fois non ; la chose dépend d’innombrables facteurs. Tentons d’expliquer :

Nos sages enseignent : « La vie (‘hayé), les enfants (bané) et la nourriture (mezoné) ne dépendent pas du mérite, mais du sort (mazal) » (Mo’ed Qatan 28a). ‘Hayé, c’est le nombre des années de la vie de l’homme ; bané, c’est le nombre de ses enfants ; mezoné, ce sont ses moyens de subsistance. Tout cela est fixé suivant les constellations présentes dans le ciel au moment où l’homme naît, et non selon ses mérites. La preuve en est que Rabba et Rav ‘Hisda étaient deux justes, et que, en temps de sécheresse, la prière de l’un comme de l’autre étaient exaucées. Rav ‘Hisda vécut quatre-vingt-douze ans, tandis que Rabba vécut quarante ans. Dans la famille de Rav ‘Hisda, furent célébrés soixante mariages, tandis que celle de Rabba connut soixante cas de perte d’un enfant. Chez Rav ‘Hisda, on était riche, et même les chiens étaient nourris de fleur de farine de blé, tandis que chez Rabba on était pauvre, et même du pain d’orge, de moindre valeur, ne se trouvait pas toujours en suffisance. Dans le même ordre d’idées, les sages déclarent : « La récompense de la mitsva, en ce monde, n’existe pas » (Qidouchin 39b). En d’autres termes, la rétribution des commandements accomplis et des transgressions commises n’est pas donnée en ce monde passager, mais dans le monde de la vérité éternelle.

Le mazal (constellation, chance) est appelé de nos jours goral (destin) ; et de même que l’on sait aujourd’hui que, au moment de sa conception, se forme la carte génétique de l’homme, qui détermine s’il sera grand ou petit, intelligent ou déficient, en bonne santé ou malade, laid ou beau, ainsi nos sages disent-ils que, au moment de sa naissance, son sort est fixé quant à ‘hayé, bané ou-mezoné, la longévité, la fécondité et la subsistance.

Certes, de prime abord, il apparaît que les sages sont partagés sur cette question (Chabbat 156a) : selon Rabbi ‘Hanina, les membres du peuple juif sont sujets à la prédestination (yech mazal lé-Israël), tandis que, selon Rabbi Yo’hanan, ils ne sont pas sujets à la prédestination (ein mazal lé-Israël). Cependant, les commentateurs expliquent que les tenants des deux positions reconnaissent que le mazal est très influent, et tous s’accordent à dire que le peuple d’Israël, plus que les autres peuples, a parfois la force de modifier le mazal, par le biais de la prière et des bonnes actions. La controverse porte donc sur le fait de savoir s’il est fréquent qu’un Juif puisse modifier son mazal, ou s’il ne le peut que dans des cas exceptionnels (cf. Tossephot sur Chabbat ibid. ; Ritva et Ran sur Mo’ed Qatan 28a).

Le fait est qu’à chaque personne appartient une vocation, une mission ; selon cette mission, est fixé le mazal. Il arrive que, pour remplir sa mission, il soit préférable qu’un homme soit pauvre et connaisse des épreuves ; dans d’autres cas, il est bon qu’une personne soit riche et en bonne santé. Parfois, le destin est implacable, et quoi que l’on fasse, on ne réussira pas à en être délivré, en dehors de cas très rares. D’autres fois, le destin n’est pas entièrement déterminé. Alors, en commettant des fautes, l’individu orientera défavorablement son destin ; il connaîtra alors des épreuves. Et en accomplissant de bonnes actions, il jouira, même en ce bas monde, d’un supplément de bénédiction. Parfois, les épreuves purifient l’homme et le sauvent d’un plus grand mal ; alors, c’est précisément dans le cas où il est un juste que l’homme bénéficiera d’épreuves. Quoi qu’il en soit, tant que le monde ne se sera pas amendé d’un point de vue moral, il s’y trouvera des gens qui connaîtront des épreuves ; grâce au fait que l’on affronte ces épreuves, le monde va se purifiant moralement.

D’un certain point de vue, les épreuves de la stérilité diffèrent des autres épreuves, car, dans le fait même de donner naissance à des enfants, réside une mitsva ; aussi, les justes s’efforcent-ils davantage de modifier le destin en ce domaine. Parfois, le mérite de la mitsva les assiste. Malgré cela, nous avons vu des justes qui n’ont pas eu d’enfants.

Après ces considérations introductives, nous allons voir de quelle façon faire face aux épreuves de la stérilité.

02. L’effort en matière de repentance, d’étude de la Torah et de bienfaisance

C’est une mitsva, pour tout couple qui a du mal à accomplir la mitsva de procréer, que de recourir à tous les moyens médicaux usuels afin de pouvoir avoir des enfants. Dans le même temps, ils doivent avoir foi dans le fait que tout dépend de la Providence particulière qu’exerce, pour le bien, l’Eternel à leur égard, afin de les amender et purifier, d’accroître leur bonheur en ce monde et dans le monde futur, et afin qu’ils méritent, par cela, d’être utiles au parachèvement du monde.

Nos sages ont dit :

Si un homme se voit touché par des épreuves, qu’il examine ses actes : il se peut que, grâce à l’amendement de ses actes, l’épreuve s’écarte de lui. S’il a examiné ses actes et n’a pas trouvé de faute particulière, qu’il vérifie : peut-être a-t-il fauté en négligeant l’étude de la Torah, et, en renforçant son étude de Torah, accomplira-t-il sa mission, et sera-t-il sauvé de l’épreuve. S’il constate qu’il accomplit convenablement la mitsva d’étudier la Torah, il sera manifeste que les épreuves qu’il endure sont des épreuves d’amour, c’est-à-dire qu’elles sont destinées à servir à la collectivité, à la réparation du monde et à sa purification (Berakhot 5a).

En tout état de cause, dans le cas même où les épreuves sont la conséquence de fautes ou d’un manque d’étude toranique, l’homme, quand il parvient à réparer cela, est utile, non seulement à l’égard de lui-même, mais du monde entier. En effet, le monde est jugé selon la majorité des actes humains :

Si un homme accomplit une seule mitsva, heureux est-il, car il fait pencher la balance dans le sens du mérite, à son profit et au profit du monde entier ; s’il commet un seul interdit, malheur à lui, car il fait pencher la balance dans le sens de la culpabilité, à son détriment et à celui du monde entier (Qidouchin 40b).

Nos sages disent : « Grande est la téchouva (le repentir), car elle est propre à déchirer le décret pesant sur l’homme » (Roch Hachana 17b). Non seulement elle est utile pour amender sa propre faute, mais il arrive qu’il soit décidé qu’un homme n’aura pas d’enfants en raison des fautes des générations précédentes ; or, par l’effet du retour qu’il fait vers Dieu, en s’y attachant intensément, en étant assidu à l’étude et en accomplissant des actes de bienfaisance, il obtient que le décret soit déchiré, et que des enfants lui soient accordés.

Nous voyons que ‘Hofni et Pin’has, fils d’Héli le grand-prêtre, profanèrent le Ciel au sanctuaire de l’Eternel, à Silo ; or, parce que leur père ne les réprimanda pas comme il eût convenu, il lui fut dit : « Voici : des jours viennent, et Je retrancherai ta force et celle de ta maison paternelle, de sorte qu’il n’y aura plus d’Ancien dans ta maison » (I Sam 2, 31). Il faut expliquer que, dans les premières générations, tous les descendants d’Héli le grand-prêtre moururent jeunes ; et, à mesure que les générations passaient et que ses descendants s’alliaient à d’autres familles, le décret funeste ne se maintenait qu’à l’encontre de ceux qui étaient nommés d’après son nom, ou qui étaient liés à lui par la racine de leur âme. Même mille ans après, il restait des descendants d’Héli qui étaient considérés comme ses continuateurs : le décret pesait sur eux. Ainsi, nos sages disent de Rabba et d’Abayé qu’ils descendaient tous deux de la maison d’Héli, et qu’il était prévisible qu’ils mourussent très jeunes ; mais ils suivirent le conseil des sages, et s’attachèrent à l’Eternel par une grande téchouva. Rabba se livra à l’étude de la Torah, avec une grande assiduité, et eut le mérite de vivre quarante années. Abayé se livra à l’étude de la Torah et à la bienfaisance, et vécut soixante ans. C’est bien ce qu’annonçait le verset : « Aussi ai-Je juré à la maison d’Héli : la faute de la maison d’Héli ne sera point expiée par le sacrifice ni l’offrande, à jamais » (ibid. 3, 14). Les sages précisent : « Par le sacrifice ni l’offrande, la faute ne peut être expiée, mais elle l’est par la Torah et la bienfaisance » (Roch Hachana 18a)[1].

De même, nos ancêtres, Abraham et Sarah, furent exaucés et enfantèrent Isaac pour avoir eu le mérite de rapprocher les créatures de la Torah, par le biais de l’hospitalité : Abraham rapprochait les hommes, Sarah les femmes. De cette façon, ils joignaient Torah et bienfaisance. Aussi l’annonce de la naissance d’Isaac leur fut faite elle-même en un moment où ils recevaient des invités.

L’installation sur la terre d’Israël (l’alya), terre de la vie, et le fait d’œuvrer à l’édifier et à la peupler, est susceptible d’aider à l’exaucement des personnes stériles (cf. Yevamot 64a).


[1]. Il convient de signaler que, s’il est vrai que Rabba ne vécut que quarante ans, la halakha suit son avis dans presque toutes les controverses auxquelles il prit part (Baba Batra 114b). Quant à Abayé, qui vécut soixante ans, et qui se livra également à la bienfaisance, la halakha, dans la majorité des controverses, ne suit pas son avis (Baba Metsia 23b).

03. La prière des personnes stériles

Grand est le pouvoir de la prière pour déchirer un décret, et pour faire brèche dans les barrières de la stérilité, ainsi qu’il est dit : « Isaac implora l’Eternel au sujet de sa femme, car elle était stérile, et l’Eternel l’exauça ; Rébecca, sa femme, conçut » (Gn 25, 21). Nos sages enseignent qu’Isaac et Rébecca firent de nombreuses prières, et que tous deux visaient la même chose, comme il est dit :

« Au sujet de sa femme » (lénokha’h ichto, littéralement : en présence de sa femme) : cela nous apprend qu’Isaac était prostré ici, et qu’elle était prostrée là [dans un autre coin de la même pièce]. Lui disait : « Maître de l’univers, tous les enfants que Tu me donnes seront de cette femme juste. » Elle aussi disait : « Tous les enfants que Tu me donneras seront de ce juste » (Gn Rabba 63, 5).

Rabbi Yits’haq a dit : « Pourquoi nos patriarches étaient-ils stériles ? Parce que le Saint béni soit-Il désire la prière des justes » (Yevamot 64a). Il convient d’expliquer que la prière des justes est utile pour ouvrir les portes de la bénédiction au monde entier ; mais tant que les justes vivent pour le mieux, selon ce qui leur convient, ils ont tendance à ne pas prier pour le monde, qui reste dans ses souffrances et ses épreuves. Le Saint béni soit-Il, qui désire le bien du monde, aspire donc à la prière des justes, qui relie le monde à sa source ; par ce biais, la prière change la réalité du monde pour le bien, et ouvre les portes du Ciel afin de dispenser la bénédiction au monde entier. Par cela, toutes les personnes dont les peines provenaient de ces barrières, sont sauvés avec eux.

De même, nos sages disent : « Au moment où notre mère Sarah fut exaucée, de nombreuses femmes stériles furent exaucées avec elle, de nombreux sourds recouvrèrent l’audition, de nombreux aveugles recouvrèrent la vision, de nombreux fous recouvrèrent la raison. C’est à ce propos que Sarah dit : “C’est un éclat de rire que Dieu a fait en moi, quiconque entendra rira à mon propos[a]” » (Gn 21, 6 ; Gn Rabba 53, 8), car tous, dans une certaine mesure, furent délivrés avec elle.

Il arrive qu’un homme ait pour mission d’engendrer une âme nouvelle dans le monde, une âme dont la mission sera de faire franchir au monde un nouveau degré. Comme cette âme n’est pas de la même nature que les âmes nées avant elle, de nombreuses barrières se dressent devant elle, et des accusations se lèvent à son sujet, qui affirment que le monde ne mérite pas de progresser d’un nouvel échelon. Aussi, les personnes qui doivent engendrer de telles âmes souffrent de stérilité ; et par leur purification personnelle, obtenue par le repentir et la prière, ces personnes ouvrent les portes du Ciel, et ont le bonheur de faire naître de nouvelles âmes[2].


[a]. יצחק לי : litt. « rira pour moi » ; selon la lecture midrachique, comprendre : « aura lieu de se réjouir à l’occasion de ma propre joie. »

[2]. C’est pourquoi il fut si difficile d’enfanter Isaac notre père. En effet, le trait de caractère d’Abraham notre père était le ‘hessed (bonté, générosité, miséricorde), tandis que celui d’Isaac était le din (jugement, rigueur). Jusqu’alors, ordinairement, les hommes de rigueur se trouvaient être des méchants. Il était donc nécessaire d’enfanter l’âme d’un juste dont le caractère fût la rigueur. Bien plus : ces deux midot (« mesures », traits de caractère), le ‘hessed et le din, qui semblent opposées, devaient se lier l’une à l’autre, si bien qu’Abraham notre père enfanterait Isaac, afin de nous apprendre que le but dernier de la rigueur est d’amplifier la bonté. C’est pourquoi il y eut tant de barrières et d’accusations dressées contre la naissance d’Isaac ; et, quand il naquit, les portes de la bénédiction s’ouvrirent, de nombreuses femmes stériles furent exaucées, et de nombreuses maladies furent guéries.

Sur la valeur et la difficulté de la naissance des justes, le Midrach Genèse Rabba 45, 4 rapporte encore : « Rabbi ‘Hanina, fils de Pazi, a dit : “Les ronces n’ont point besoin d’être sarclées ni semées : elles poussent d’elles-mêmes, s’élèvent et grandissent. Le blé, en revanche : combien de peine et combien d’effort faut-il avant qu’il ne s’élève ! »

04. La prière de Hanna

De même, nous voyons que Hanna était stérile, et sa peine était si grande qu’elle ne pouvait participer à la joie de la fête de pèlerinage devant l’Eternel, au sanctuaire de Silo. Et quand les membres de sa famille consommaient la chair des sacrifices et se réjouissaient, elle s’éloignait et pleurait.

Elkana, son mari, lui dit : « Hanna, pourquoi pleures-tu, pourquoi ne manges-tu pas, et pourquoi ton cœur est-il affligé ? Ne suis-je pas meilleur, pour toi, que dix fils ? » (I Sam 1, 8).

Alors Hanna répondait à sa demande, et se joignait au repas.

Et Hanna se leva, après avoir mangé à Silo, et après que l’on eut bu. Or Héli le grand-prêtre était assis sur la chaire, au seuil du sanctuaire de Dieu. Elle était amère en son âme, et elle pria Dieu, et pleura abondamment. Elle fit un vœu, disant : « Éternel, Dieu des armées, si Tu consens à considérer l’affliction de ta servante, que Tu m’exauces, que Tu n’oublies point ta servante, et que Tu donnes à ta servante un enfant mâle, je le vouerai à l’Éternel pour tous les jours de sa vie, et le rasoir ne passera pas sur sa tête » (ibid. versets 9-11).

Du sein de l’amertume de sa peine, elle eut le mérite de prononcer une prière très profonde, qui ouvrit les portes du Ciel, pour que pût être enfantée l’âme de Samuel, le plus grand des prophètes d’Israël après Moïse notre maître.

Nos sages enseignent :

Depuis le jour où le Saint béni soit-Il créa son monde, il ne se trouva aucun homme qui l’eût appelé du nom de Tsé-vaot (« le Dieu des armées », ou « des légions »), jusqu’à ce que vînt Hanna et qu’elle l’appelât ainsi. Hanna dit devant le Saint béni soit-Il : « Maître de l’univers, parmi la multitude de légions que Tu as créées en ton monde, est-il difficile à tes yeux de me donner un seul fils ? » (Berakhot 31b).

Et en effet, ce même nom saint, qui apparut pour la première fois dans la prière de Hanna, le prophète Samuel le révéla concrètement, car c’est lui qui eut le mérite de dévoiler la sainteté inhérente aux armées d’Israël en terre d’Israël, de lever des générations de prophètes, d’établir la royauté en Israël, et de projeter la construction du Temple.

Il est encore dit, au premier livre de Samuel (1, 12-14), au sujet de la prière de Hanna :

Or, comme Hanna priait longuement devant l’Eternel, Héli observa sa bouche. Et Hanna, elle, parlait en son cœur, seules ses lèvres bougeaient, tandis que sa voix ne se faisait pas entendre. Et Héli la prit pour une femme soûle. Héli lui dit : « Jusqu’à quand seras-tu soûle ? Va te dégriser ! »

En d’autres termes, sa prière était si particulière et si nouvelle qu’Héli, le grand-prêtre, la crut tout d’abord ivre.

Hanna répondit en ces termes : « Non, mon seigneur, je suis une femme à l’esprit attristé, et n’ai bu ni vin ni liqueur. Je déverse mon âme devant l’Éternel. Ne prends pas ta servante pour une mauvaise femme, car c’est sous l’effet de ma peine et de ma détresse que j’ai parlé jusqu’à présent. » Héli lui répondit en ces termes : « Va en paix, et que le Dieu d’Israël exauce la demande que tu lui as présentée » (ibid. 15-17).

Non seulement le prophète Samuel naquit à la suite de la prière de Hanna, mais encore nos sages enseignent que de grandes règles de halakha gouvernant la prière furent mises au jour par son biais, lors de ladite prière. Les voici : celui qui prie doit orienter son cœur vers Dieu ; il doit articuler, par ses lèvres, les mots de sa prière ; il ne doit pas élever la voix (Berakhot 31a). Du sein des souffrances de la stérilité, Hanna eut le mérite de révéler d’importantes et nouvelles données halakhiques, quant à la valeur générale de la prière, et quant à la manière de la réciter. C’est un exemple de bénédiction qui peut se révéler, dans le monde, du sein des souffrances et de la détresse de la stérilité.

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