Pniné Halakha

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Chapitre 05- Etude de la Torah et prière, le Chabbat

01. L’étude de la Torah, le jour de Chabbat

C’est une mitsva que de beaucoup étudier la Torah le jour de Chabbat. Nos sages ont enseigné : « Les Chabbats et les jours de fête n’ont été donnés que pour s’y adonner à l’étude des enseignements de la Torah » (Talmud de Jérusalem, Chabbat 15, 3). Nos maîtres rapportent encore :

La Torah dit devant le Saint béni soit-Il : « Maître de l’univers, lorsque les Israélites entreront en terre d’Israël, l’un courra à sa vigne, l’autre à son champ… Et moi, qu’en sera-t-il de moi ? » Il lui répondit : « J’ai en réserve un compagnon que Je te destine : Chabbat est son nom. Ce jour-là, les Israélites sont affranchis de leur travail et peuvent s’occuper de toi » (Tour, Ora’h ‘Haïm 290).

Nos sages disent de même :

Le Saint béni soit-Il a dit à Israël : « Mes enfants, n’ai-Je pas écrit à votre intention dans ma Torah : “Ce livre de la Torah ne quittera pas ta bouche, et tu t’en entretiendras jour et nuit” (Jos 1, 8) ? Quoique vous vous adonniez à vos travaux tout au long des six jours, le Chabbat sera entièrement consacré à la Torah. » C’est pourquoi les sages ont dit : « Que toujours l’homme se lève tôt pour appendre la Torah orale le Chabbat ; puis qu’il se rende à la synagogue et à la maison d’étude, qu’il lise le Pentateuque, qu’il étudie les livres des Prophètes. Ensuite il retournera chez lui, mangera et boira, pour accomplir ce qui est dit : “Va, mange dans la joie ton pain, et bois de bonne humeur ton vin” (Ec 9, 7) » (Tana Devei Elyahou Rabba 1).

Nos sages enseignent que l’on doit partager le temps du Chabbat, en en consacrant la moitié à Dieu, par l’étude de la Torah à la maison d’étude (beit hamidrach), et la moitié aux délices sabbatiques consistant à manger, à boire et à dormir (Pessa’him 68b). Certains pensent, il est vrai, que cette partition ne vaut que pour les jours de fête, tandis que, le jour de Chabbat, qui est destiné à la Torah, on doit consacrer davantage que la moitié de son temps à son étude (Baït ‘Hadach, d’après Maïmonide). Cependant, pour la majorité des décisionnaires, l’intention de nos sages était bien de dire que, le Chabbat aussi, il y a lieu de partager son temps : une moitié pour l’étude et une moitié pour les délices matérielles. Il ressort de cela, de prime abord, que nous avons l’obligation de consacrer douze heures et demie à la Torah, puisque le Chabbat, augmenté de la tosséfet Chabbat, dure environ vingt-cinq heures. Toutefois, en pratique, il semble possible d’être indulgent, et de considérer les sept heures nécessaires chaque jour au sommeil comme ne faisant pas partie du compte. Il reste donc dix-huit heures, dont neuf doivent être consacrées à la Torah, et les neuf autres aux délices du Chabbat que l’on trouve en mangeant, en buvant et en s’accordant, pour son plaisir, un supplément de sommeil. Bien que le propos spirituel essentiel du Chabbat se trouve dans l’étude de la Torah, il semble possible, de l’avis de plusieurs décisionnaires, d’être indulgent et d’inclure dans les neuf heures de Torah les heures de prière, à condition que l’on ne prolonge pas celles-ci à l’excès. D’après cela, nous trouvons qu’en pratique on doit consacrer à l’étude tout au moins six heures par Chabbat, qui, avec les trois heures consacrées à la prière, feront neuf heures.

Par-dessus cette partition générale – une moitié du temps pour les délices spirituelles, une moitié pour les délices matérielles –, se greffe une directive supplémentaire : les disciples des sages (talmidé-‘hakhamim), qui ont l’habitude de se priver durant la semaine, tandis qu’ils sont assidus à l’étude, augmenteront quelque peu les délices matérielles. En revanche, les gens qui travaillent, et qui n’ont pas le temps d’étudier la Torah comme il conviendrait pendant la semaine, étudieront davantage la Torah (Talmud de Jérusalem, Chabbat 15, 3, Pessiqta Rabbati, fin du chapitre 23, Beit Yossef 288, 1). Le Rama écrit, en ce sens : « Les gens qui travaillent, et qui n’étudient pas la Torah tout au long de la semaine, s’adonneront davantage à l’étude sabbatique que les érudits, qui se livrent à l’étude tous les jours. Et les érudits prolongeront un peu les délices liées au repas et à la boisson, puisqu’ils se délectent de leur étude tout au long de la semaine » (290, 2).

La raison à cela est que le Chabbat est destiné à élever l’homme à une perfection accomplie, spirituellement et matériellement. Or les actifs, qui se livrent chaque semaine à leur travail, ont besoin davantage de perfectionnement dans leur étude de Torah, tandis que les gens d’étude, qui affaiblissent leur corps en s’adonnant assidument à la Torah, ont davantage besoin de se parfaire par des délices matérielles. En tout état de cause, les uns et les autres ont besoin de donner une place honorable aux délices sabbatiques d’ordre spirituel et d’ordre matériel car, par leur association, celles-ci se fertilisent mutuellement ; l’homme arrive ainsi à la complétude et jouit d’un Chabbat profond et véritable[1].


[1] Guémara Pessa’him 68b :

On enseigne dans une baraïtha : « Rabbi Eliézer dit : “L’homme n’a d’autre choix, les jours de fête, que de manger et de boire, ou bien de s’asseoir et d’étudier.” Rabbi Yehochoua dit : “Que l’on partage : une moitié pour manger et boire, une moitié pour la maison d’étude (…) Que l’on partage : une moitié pour l’Eternel, une moitié pour vous.” » (…) Rabba a enseigné : « Tout le monde s’accorde à dire que, le Chabbat, on exige aussi de consacrer une part du temps à ce qui est “pour vous” [les jouissances matérielles]. Quelle en est la raison ? C’est qu’il est dit : “Tu appelleras le Chabbat délice” (Is 58, 13). »

 

La controverse a donc pour sujet les jours de fête : selon Rabbi Eliézer, on peut consacrer un jour de fête (yom tov) intégralement à Dieu ; tandis que, le Chabbat, Rabbi Eliézer accorde à Rabbi Yehochoua qu’il faut aussi manger et boire. Les décisionnaires, dans leur majorité, écrivent qu’il faut partager le Chabbat en deux moitiés, l’une pour l’Eternel, l’autre pour vous (Or Zaroua’, Séfer Mitsvot Gadol, Rabbénou Yerou’ham, Ha’itim, Hamanhig, Yam Chel Chelomo). On peut inférer des propos de Maïmonide (Chabbat 30, 10) que l’on doit consacrer à la Torah et à la prière plus que la moitié du temps de Chabbat. C’est aussi ce que le Baït ‘Hadach (242, 1) apprend de la formulation du Talmud : « on exige aussi de consacrer une part du temps au “pour vous” », ce qui laisse entendre que l’essentiel réside dans le “pour l’Eternel”.

 

Le Talmud de Jérusalem rapporte une opinion selon laquelle le Chabbat a été donné pour la nourriture et la boisson, et une opinion selon laquelle le Chabbat a été donné pour l’étude de la Torah. Le texte conclut : « Comment procéder ? Donne une part à l’étude de la Torah et une part à la nourriture et à la boisson » (Chabbat 15, 3). Dans la Pessiqta, nos maîtres affirment que ces opinions ne sont pas contradictoires, mais : « Celui qui soutient que le Chabbat a été donné pour les délices vise par-là les disciples des sages, qui se fatiguent à l’étude de la Torah tous les jours de la semaine : le Chabbat, ils jouissent des délices matérielles. Et celui qui soutient que le Chabbat a été donné pour l’étude de la Torah vise les travailleurs, qui se livrent à leur labeur tous les jours de la semaine : le Chabbat, ils s’adonnent à l’étude de la Torah. »

 

Les propos de la Pessiqta sont rapportés en tant que halakha par le Chibolé Haléqet, Tanya Rabbati, le Méïri et le Beit Yossef 288, 1. Il ressort des écrits des décisionnaires que le propos n’est pas que les érudits s’adonnent seulement aux plaisirs de la nourriture et de la boisson, ni que les travailleurs se livrent seulement à l’étude, mais que, par-delà la division première du temps sabbatique en deux moitiés, les étudiants de Torah ajoutent quelque peu aux délices matérielles, et les gens de métier à l’étude de la Torah. C’est en ce sens que se prononcent le Rama 290, 2, le Mahariqs (Rabbi Yaaqov Castro), le Chené Lou’hot Haberit, le Choul’han ‘Aroukh Harav 290, 5, et de nombreux autres auteurs. Suivant cela, les décisionnaires qui citent la Pessiqta ne sont pas en désaccord avec les Richonim qui citaient le Talmud de Babylone et le Talmud de Jérusalem, selon lesquels la division doit se faire par moitiés égales.

 

Les décisionnaires sont partagés au sujet de la prière. Pour le ‘Olat Chabbat (242, 1), le temps de la prière est inclus dans la moitié consacrée aux besoins de l’homme. Selon le Mahari Weil, rapporté par le Darké Moché, Ora’h ‘Haïm 629, 2, le Yam Chel Chelomo, Beitsa 2, 4, le Maguen Avraham 627, 22, le temps de la prière est inclus dans la moitié consacrée à l’Eternel. Il semble aussi que ceux des étudiants de Torah qui ne se fatiguent ni ne se mortifient par leur étude doivent avoir soin de consacrer au moins la moitié de leur temps sabbatique à l’Eternel.

02. Ordonnancement de l’étude du sabbatique

L’étude de la Torah, le Chabbat, doit se faire dans la joie et la délectation. Aussi plusieurs décisionnaires écrivent-ils qu’il n’y a pas lieu d’étudier des textes complexes ou difficiles car, quand l’étudiant ne comprend pas ce qu’il apprend, il est en proie à la tension et à la souffrance. Par conséquent, il est bienvenu, le Chabbat, de réviser des sujets que l’on connaît déjà bien, ou d’apprendre des choses claires et compréhensibles, chacun selon son niveau. S’agissant même des disciples des sages, il convient qu’ils étudient, le Chabbat, des sujets relativement faciles, qui ne nécessitent pas un grand effort intellectuel (Or Zaroua’, Ya’avets). Selon d’autres, il convient au contraire que les érudits étudient précisément des sujets compliqués, et en approfondissent leur compréhension (Ma’haziq Berakha 290, 6). À ce qu’il semble, il n’y a pas là de controverse : cela dépend de chacun. Celui qui aime poser des questions et les résoudre se livrera à l’étude de textes complexes, et celui qui aime accéder à une compréhension droite et claire s’adonnera à l’étude de sujets plus directement accessibles.

L’étude doit porter essentiellement sur des paroles qui amènent l’homme à vivre sa vie comme il convient, ainsi qu’il est dit : « Vous les apprendrez [les mitsvot], et vous vous appliquerez à les accomplir » (Dt 5, 1). De même, les décisionnaires écrivent que, si l’on ne dispose que d’un nombre limité d’heures à consacrer à l’étude, on les consacrera à celle de la halakha. On étudiera aussi des thèmes de pensée juive, de nature à édifier la foi (émouna), et des ouvrages d’éthique (moussar), afin d’élever sa pensée et d’améliorer ses voies (Michna Beroura 290, 6, Dericha, Sifté ‘Haïm, Touré Zahav sur Yoré Dé’a 246, Choul’han ‘Aroukh Harav, Hilkhot Talmud Torah 2, 9). Et si telle est la règle durant la semaine, à plus forte raison convient-il d’étudier, pendant Chabbat, des paroles de Torah qui orientent l’existence, car le Chabbat est l’intériorité de la semaine, et son propos est d’illuminer et de guider les six jours de l’action. Chacun devra donc se demander quelle étude éclaire le plus sa vie – en plus de l’étude de la halakha –, qu’il s’agisse d’ouvrages d’émouna, de la Bible, ou encore de chapitres de moussar ou de textes ‘hassidiques. Quant aux disciples des sages, qui s’adonnent toute la semaine aux différents domaines de l’étude, ils n’ont pas besoin de telles directives : ils étudieront ce vers quoi leur cœur les porte.

Il est bon de produire, le Chabbat, des interprétations nouvelles[a]. Le Zohar (III 173a) enseigne que, à l’issue du Chabbat, à l’heure où l’âme supplémentaire s’en retourne à son lieu, le Saint béni soit-Il demande quelle interprétation originale a proposé chaque Juif, grâce à son âme supplémentaire (Chené Lou’hot Haberit, Chabbat, Ner Mitsva 53). Ce qui est visé là ne consiste pas en interprétations requérant effort et peine : il s’agit d’interprétations réjouissantes, qui proposent de nouveaux chemins de compréhension pour l’existence. Si l’on ne sait pas élaborer d’interprétations innovatrices, on étudiera quelque sujet nouveau (Ma’haziq Berakha 290, 5 ; Kaf Ha’haïm 5).

Si l’on a des enfants, il est bon d’étudier la Torah avec eux pendant Chabbat. On accomplira par cela une double mitsva, car c’est une mitsva pour le père que d’enseigner la Torah à ses fils, comme il est dit : « Tu les enseigneras à tes fils » (Dt 11, 19). Nos sages ont dit : « Quiconque enseigne la Torah à son fils, le verset le lui impute comme s’il l’avait enseignée, non seulement à son fils, mais au fils de son fils, au petit-fils de son fils, et ainsi de suite jusqu’à la fin des générations » (Qidouchin 30a), comme il est dit : « Tu les feras connaître à tes fils et aux fils de tes fils » (Dt 4, 9). Car grâce à l’enseignement dispensé au fils, la Torah continue de se transmettre de génération en génération, à tout jamais. Nos sages ajoutent (réf. cit.) qu’un grand-père qui a le mérite d’enseigner la Torah à son petit-fils a le privilège de transmettre la tradition de la Torah de façon particulièrement élevée, au point que « le verset le lui compte comme s’il l’avait reçue au mont Sinaï ». En effet, il est écrit : « Tu les feras connaître à tes fils et aux fils de tes fils », et immédiatement après : « Ce jour où tu parus devant l’Eternel ton Dieu, au mont Horeb[b] » (Dt 4, 9-10). Or la Torah fut donnée le jour de Chabbat, si bien que ce jour est celui qui convient le mieux à cette transmission de la tradition toranique.


[a] ‘Hidouch, plur. ‘hidouchim : littéralement « renouvellement ». Dans ce contexte : interprétation originale, lecture innovatrice.

[b] Autre nom du Sinaï. La juxtaposition des deux versets suggère l’idée d’un grand-père incarnant, aux yeux du petit-fils qui reçoit son enseignement, l’ancêtre présent devant le mont Sinaï, le jour du don de la Torah.

03. Le sommeil du Chabbat

Parmi les éléments du ‘oneg Chabbat (la délectation sabbatique), se trouve le fait de dormir paisiblement. Nos maîtres ont dit : « Le sommeil du Chabbat est un délice. » Mais il n’est pas juste de dormir, le Chabbat, dans le but de pouvoir mieux travailler à l’issue de ce jour ; en effet, ce faisant, on abaisserait le Chabbat à un rang inférieur à celui des jours ouvrables. On ne dormira pas non plus le Chabbat dans le but d’étudier à l’issue de ce jour, car on perdrait par là le bénéfice des heures saintes qu’offre le Chabbat, durant lesquelles l’étude est plus importante que celle que l’on mène durant les jours de semaine (Ben Ich ‘Haï, deuxième année ; dans son introduction à l’Exode, l’auteur écrit, se fondant sur les maîtres de la Kabbale, que l’étude du Chabbat agit mille fois plus que celle des jours de semaine ; cf. ci-après, chap. 22 § 15).

De même, il ne convient pas de travailler davantage le jeudi et le vendredi, en prévoyant de rattraper pendant Chabbat les heures de sommeil manquantes. Au contraire : c’est une mitsva que de se préparer pendant les jours de semaine au Chabbat, d’accommoder pendant les jours de semaine les mets de Chabbat, de nettoyer la maison, de lessiver les vêtements, de laver son corps. Il est évident que, parmi les préparatifs de Chabbat, se trouve le fait d’arriver frais et dispos ce jour-là, et non affaibli, afin de pouvoir se concentrer dans son étude, prier avec kavana[c], et savourer les repas comme il convient. Ce n’est qu’a posteriori, dans un cas de force majeure où l’on s’est trouvé contraint de travailler plus que d’habitude le jeudi et le vendredi, au point d’arriver fatigué le jour de Chabbat, qu’il devient permis de compenser pendant ce jour des heures de sommeil manquantes ; mais il est interdit de programmer cela a priori. Quand nos maîtres disent que le sommeil du Chabbat est un délice, cela signifie que, si l’on a l’habitude de dormir environ sept heures, on en dormira environ huit pendant Chabbat, afin d’être plus serein et plus reposé, mais le propos n’est pas, à Dieu ne plaise, que les Juifs transforment le Chabbat en servante des jours profanes, et qu’ils y rattrapent les heures de sommeil qui leur manquaient durant la semaine.

Concernant la sieste des hommes, il y a différents usages. Selon Maïmonide, les justes de jadis avaient coutume de se lever tôt le matin, faisaient l’office de Cha’harit et de Moussaf, prenaient ensuite chez eux le deuxième repas de Chabbat, puis se rendaient à la maison d’étude où ils étudiaient sans interruption jusqu’aux abords du soir. Ils faisaient alors la prière de Min’ha, puis prenaient leur troisième repas jusqu’à la tombée de la nuit (Chabbat 30, 10). Selon d’autres décisionnaires, si l’on a l’habitude de faire une sieste le midi, on n’annulera pas ce temps de sommeil, car le sommeil, lui aussi, fait partie des délices sabbatiques (Tour 290). Simplement, il faut bien entendu veiller à ce que le sommeil ne soit pas si long que l’on ne puisse plus consacrer à l’étude le nombre d’heures requis. Nous l’avons vu (§ 1), il faut à tout le moins consacrer six heures à l’étude de la Torah, le Chabbat ; par conséquent, plus on dort à midi, plus il faut ajouter d’heures à l’étude de la nuit, qui se fait à la suite du repas ou avant le lever du jour.

Il faut prendre garde de trop manger lors des repas, car une alimentation exagérée fatigue beaucoup ; de plus, on n’en retire pas de véritable jouissance, car ce n’est que lorsque les mets passent sous le palais que l’on jouit de leur saveur, tandis qu’après le repas, on se sent lourd, fatigué, et assez souvent déprimé. En effet, toutes les ressources corporelles sont mobilisées pour digérer la trop grande quantité de nourriture. Après de telles ingestions, on n’a pas non plus la force de se concentrer dans son étude, ni de tenir une belle et profonde conversation avec les membres de sa famille. Aussi faut-il avoir grand soin de ne pas manger à l’excès, afin que les repas et toutes leurs délices ajoutent énergie et vitalité à l’étude de la Torah. Si l’on éprouve de toute façon de la fatigue à la suite d’un repas, on dormira un peu après celui-ci, et l’on se lèvera énergiquement pour étudier la Torah.


[c] Attention, orientation de la pensée sur le sens des mots que l’on prononce.

04. La deracha (homélie) du Chabbat

Autrefois, toutes les communautés juives prirent soin d’instituer, le Chabbat, un important discours rabbinique appelé deracha, auquel tout le monde venait assister. Les rabbins y exposaient des notions de loi (halakha) et de foi (émouna). Cette importante institution a pour fondement la directive divine donnée à Moïse dans la section Vayaqhel (Ex 35), et que le midrach commente ainsi :

Le Saint béni soit-Il dit à Moïse : « Etablis de grandes communautés, et expose devant leurs membres réunis en nombre les lois du Chabbat. Ainsi, par toi, les générations à venir apprendront [à leur tour] à réunir des communautés, chaque Chabbat, et à rassembler le peuple dans les maisons d’étude, pour enseigner et instruire Israël des paroles de la Torah : ce qui est interdit, ce qui est permis. Ainsi, mon grand nom sera glorifié parmi mes enfants. » C’est à ce propos que les sages ont dit : « Moïse prescrivit à Israël d’étudier les questions d’actualité : les règles de la Pâque sont enseignées à Pessa’h, celles de Chavou’ot à Chavou’ot, les lois de chaque fête durant la fête considérée. Moïse dit à Israël : “Si vous observez ce rituel, le Saint béni soit-Il vous le comptera comme si vous l’aviez intronisé Roi sur son monde, comme il est dit : Vous m’êtes témoins, dit l’Eternel, que Je suis votre Dieu” (Is 43, 12) » (Yalqout Chim’oni, Vayaqhel 408).

Il est interdit de fixer un repas pendant la deracha (Choul’han ‘Aroukh 290, 2). Nos sages enseignent que c’est l’une des raisons pour lesquelles des personnes riches s’appauvrissent. On rapporte le cas d’une famille de Jérusalem, qui fixait son repas pendant la deracha ; à cause de cette faute, elle disparut (Guitin 38b).

Rabbi Zeira raconte que, au début, en voyant les gens courir écouter la deracha, il pensait qu’ils profanaient le Chabbat, car ils ne marchaient pas tranquillement[d]. Mais après avoir entendu les propos de Rabbi Yehochoua ben Lévi, qui dit : « Que toujours on coure pour un enseignement de halakha, même le Chabbat », il courut lui-même assister à la deracha. Dans la mesure où la deracha est destinée à l’ensemble du public, il est apparu difficile d’en adapter le niveau à tous : certains auditeurs savaient déjà tout ce que le rabbin enseignait, tandis que d’autres ne comprenaient pas ses paroles. À ce sujet, nos maîtres enseignent : « La récompense essentielle de l’écoute de la deracha réside dans le fait de courir pour aller l’entendre » (Berakhot 6b). En effet, grâce au fait que les gens courent se rassembler pour entendre la deracha, il est fait honneur à la Torah, la Présence divine réside entre les fidèles, et ceux-ci ont le mérite de se renforcer ainsi dans leur foi et de se lier davantage à la Torah et aux mitsvot. Quoi qu’il en soit, même si l’on ne participe pas à la deracha, il faut étudier la Torah tout le temps qu’elle a lieu, et il n’est permis en aucun cas de faire un repas ou de se promener tant qu’elle a cours (Michna Beroura 290, 7).

Le propos essentiel de la deracha est d’enseigner au public la halakha pratique et de guider les auditeurs dans les chemins de l’Eternel ; comme le disent nos maîtres, de mémoire bénie : « Pour enseigner et instruire Israël des paroles de la Torah : ce qui est interdit, ce qui est permis » (Yalqout Chim’oni, Vayaqhel 408). Un jour, Rabbi Abahou et Rabbi ‘Hiya bar Abba[e] se trouvaient en une certaine contrée. Rabbi Abahou discourut sur des questions d’agada[f], tandis que Rabbi ‘Hiya discourut sur des questions de halakha. La majorité des auditeurs de Rabbi ‘Hiya abandonnèrent sa deracha et allèrent écouter Rabbi Abahou. Rabbi ‘Hiya en fut irrité, car Rabbi Abahou avait dérogé aux usages de la deracha, laquelle avait été essentiellement instituée pour traiter de questions halakhiques. Et bien que Rabbi Abahou eût essayé de l’apaiser, Rabbi ‘Hiya ne voulait pas se laisser fléchir (Sota 40a). Au premier abord, on peut penser que Rabbi Abahou avait estimé que le public possédait de faibles connaissances, et qu’il fallait donc l’encourager par des thèmes relatifs à la foi et à l’agada. Rabbi ‘Hiya, en revanche, estimait que ce public avait la capacité de comprendre un enseignement de halakha.

En pratique, tout dépend du public et de ce dont il a besoin pour se parfaire. En général, il faut associer, dans la deracha, des propos relatifs à la halakha et à ses motifs, avec des propos d’émouna et de morale. Tel est l’usage observé par nombre des plus grands maîtres d’Israël (cf. Tour, Ora’h ‘Haïm 290, Baït ‘Hadach, Maguen Avraham, Choul’han ‘Aroukh 290, 3, Michna Beroura 6).

C’est aux responsables des communautés qu’incombe la mitsva de renforcer l’étude publique de la Torah pendant Chabbat, et d’instituer des cours, nombreux et variés, pour les hommes et pour les femmes, pour les adultes et pour les jeunes, consacrés à la halakha et à l’agada, à la Bible et au Talmud, afin que chacun puisse participer aux cours. À ce titre, on devra s’efforcer d’instituer une deracha centrale, destinée à l’ensemble du public, afin de faire honneur à la Torah et d’en consolider la position.


[d] On doit marcher d’un pas tranquille, le Chabbat, comme il est dit : « Si tu retiens ton pas, le Chabbat… » (Is 58, 13).

[e] Deux Amoraïm, maîtres de la Guémara.

 

[f] Partie narrative et spéculative de la loi orale.

05. Les femmes et l’étude de la Torah, le jour de Chabbat

Il existe une différence essentielle entre le degré d’obligation des hommes et celui des femmes en matière d’étude toranique. Les hommes, lors même qu’ils ont appris toutes les règles de la halakha et tous les principes de la foi, ont toujours l’obligation de se fixer des temps consacrés à l’étude, de réviser ce qu’ils ont appris et de l’approfondir. C’est à eux qu’est donnée cette directive : « Ce livre de la Torah ne quittera pas ta bouche, et tu le méditeras jour et nuit » (Jos 1, 8). Et bien que, les jours de semaine, où ils se livrent à leur travail, les hommes s’acquittent de leur obligation par l’étude d’un chapitre le jour et d’un autre la nuit (Mena’hot 99b), ils doivent en revanche, le Chabbat, observer ce verset dans son sens premier, comme l’ont dit nos sages : « Le jour de Chabbat, on le vouera tout entier à la Torah » (Tana Devei Elyahou Rabba 1 ; cf. ci-dessus § 1).

Les femmes, quant à elles, n’ont pas l’obligation d’étudier la Torah à temps fixe ; leur obligation consiste à connaître la conduite que la Torah donne à notre vie, afin que la Torah éclaire et guide leur chemin, tant du point de vue halakhique que de celui de la foi et de la morale. Celle à qui suffit, à cette fin, une courte étude, peut s’en contenter ; celle qui a besoin d’une étude plus vaste a l’obligation d’étudier davantage. La chose dépend du caractère de la femme, lequel peut d’ailleurs changer d’une période à l’autre. À certaines époques, une courte étude suffisait à la majeure partie des femmes ; de nos jours, où la vie est plus complexe et la culture générale plus développée, il est nécessaire que les femmes étudient beaucoup plus la halakha, l’émouna (principes de la foi, pensée juive) et le moussar (enseignement éthique) (Pniné Halakha, Liqoutim I 1, 16).

Or, dès lors que les femmes n’ont pas l’obligation de s’assigner des temps fixes pour l’étude de la Torah, chaque jour et chaque nuit, elles ne sont pas non plus tenues de consacrer la moitié du Chabbat à l’étude. Toutefois, puisque la Torah réjouit aussi bien les hommes que les femmes, c’est une mitsva pour celles-ci que de l’étudier pendant Chabbat ; en effet, l’étude participe du ‘oneg Chabbat (la délectation sabbatique), dans son versant spirituel. De plus, les femmes ont l’obligation d’étudier la halakha et l’émouna ; or le jour du Chabbat est particulièrement approprié à l’étude toranique, parce que ce jour est sanctifié, et que la Torah y fut donnée ; il convient donc que les femmes se fixent une étude sabbatique sur des questions de halakha et de pensée juive. Simplement, si l’on s’en tient à la stricte règle, et dans la mesure où elles n’ont pas l’obligation d’étudier à temps fixe, les femmes ne sont pas tenues, durant les années où la surveillance et les soins à donner à leurs enfants en bas âge les occupent, de programmer des heures régulières pour y étudier soi-même le Chabbat. En revanche, il convient que les femmes qui ne sont pas occupées à élever des enfants étudient largement pendant Chabbat, ce qu’elles feront dans la joie et la tranquillité. Dans le même sens, il convient que les femmes qui sont occupées par leurs travaux domestiques se fixent une certaine étude le Chabbat, et il est bon qu’elles se joignent à un cours de Torah ; elles aussi, en effet, ont besoin d’être guidées par la Torah. Nous trouvons ainsi que, du temps de nos sages, de mémoire bénie, les femmes participaient à la deracha sabbatique ; il arrivait même que la deracha se prolongeât longtemps, ce qui retardait leur retour chez elles[2].

C’est une grande chose pour des époux que d’étudier ensemble, quand ce leur est une joie, car l’étude commune leur fait mériter que la Présence divine réside entre eux, et que la Torah conduise leur vie. Mais un couple qui aurait des difficultés à étudier conjointement ne doit pas s’en affliger : il arrive que ce soit précisément la particulière affection qu’ils se portent qui rende difficile leur concentration dans l’étude commune.


[2] De l’interdiction faite aux femmes, elles aussi, d’étudier la Torah le 9 av [jour de jeûne en souvenir de la destruction du Temple] (Choul’han ‘Aroukh 554, 1), nous apprenons que les femmes se réjouissent, comme les hommes, d’une telle étude. [En effet, si l’étude est interdite ce jour-là, c’est qu’elle est une source de joie, or on ne se livre pas à une activité réjouissante un jour de deuil.] Dès lors, l’étude de la Torah fait partie des délices sabbatiques. Cf. Chaagat Aryé 69.

 

De même, nous avons vu que les femmes ont l’obligation d’étudier la halakha et la pensée juive ; c’est pour cela qu’elles aussi récitent les bénédictions de la Torah (Choul’han ‘Aroukh, Ora’h ‘Haïm 47, 14 ; Rama, Yoré Dé’a 246, 6).

 

La deracha du Chabbat elle-même est destinée aux femmes, comme le rapporte le Tanya Rabbati, chap. 18 : « C’est une mitsva que de se rassembler dans les synagogues pour que soient exposés aux femmes les sujets de circonstance. » Nous avons vu en effet, dans le midrach sur la section Vayaqhel (Yalqout Chim’oni 408), que la deracha du Chabbat est assimilable à la mitsva du Haqhel [rassemblement de tout le peuple pour écouter l’enseignement de la Torah] ; or les femmes sont, comme les hommes, assujetties à celle-ci. Cf. ci-après, § 15, où nous verrons que c’est d’une femme, la Sunamite du livre des Rois, que l’on apprend la mitsva d’aller saluer le rabbin, le Chabbat.

 

De même, le Talmud de Jérusalem, Sota 1, 4, nous apprend que les femmes assistaient à la deracha. Cette source raconte que Rabbi Méïr avait coutume de prononcer une deracha les soirs de Chabbat à la synagogue de ‘Hamat. Une fois, il étendit son propos plus que de coutume. Une femme qui avait l’habitude d’écouter son enseignement tarda donc à rentrer chez elle. Entre-temps, la veilleuse s’éteignit, le mari se mit en colère, verrouilla la porte d’entrée, et fit le serment qu’elle ne rentrerait pas avant d’avoir craché à la figure de Rabbi Méïr, qui s’était étendu dans son propos. Rabbi Méïr comprit l’affaire et affecta d’être malade de l’œil, prétendant que son seul traitement consistait à ce qu’une femme, spécialisée dans ce genre de médecine, crachât sur son œil. Ses voisines dirent à la femme : voilà pour toi l’occasion de cracher à la figure de Rabbi Méïr et de revenir chez toi. Elle se présenta à Rabbi Méïr. Celui-ci lui demanda : « Sais-tu soigner par le crachat ? » Le respect qu’elle éprouvait pour lui la retint, et elle avoua ne pas connaître cette médecine. Rabbi Méïr lui dit : « Si tu n’es pas spécialiste, il te faut cracher sept fois dans mon œil pour pouvoir me guérir. » Après qu’elle eut craché, Rabbi Méïr lui dit : « Va, et dis à ton mari : “Tu m’as dit de cracher une fois, mais j’ai craché sept fois.” » Ses élèves lui dirent : « Pourquoi ne nous avais-tu pas raconté l’affaire ? Nous aurions convoqué le mari et l’aurions flagellé jusqu’à ce qu’il revînt sur son vœu et qu’il se réconciliât avec sa femme ! » Rabbi Méïr leur répondit : « Si le Saint béni soit-Il a bien voulu que l’on effaçât Son nom saint afin de rétablir la paix entre un homme et sa femme [dans la procédure de la sota], à combien plus forte raison Méïr doit-il renoncer à l’honneur qui lui revient. »

06. Lecture publique de la Torah, le Chabbat

Une institution ancienne, remontant à Moïse notre maître, veut que le peuple d’Israël lise une portion du rouleau consacré de la Torah (séfer-Torah), écrit à l’encre sur parchemin, le jour de Chabbat, ainsi que le lundi et le jeudi (Baba Qama 82a). En raison de la sainteté et de l’élévation du Chabbat, nos sages ont décrété que sept personnes seraient appelées à monter à la Torah[g] le Chabbat, en regard des sept jours de la semaine (Méguila 21a). A l’époque du Talmud, on avait coutume, en terre d’Israël, d’achever la lecture des cinq livres de la Torah en trois ans ; en Babylonie, on l’achevait en un an ; et tel est l’usage aujourd’hui, dans toutes les communautés juives, que de terminer chaque année, pendant la fête de Sim’hat Torah, la lecture de l’ensemble de la Torah : c’est l’institution de la paracha (péricope) de la semaine, que nous lisons chaque Chabbat. Chacun des sept appelés lit un passage de cette paracha ; à eux sept, ils en lisent l’ensemble. Si, un certain Chabbat, on a manqué de lire la paracha, on en lira deux le Chabbat suivant, afin que soit aussi lue la paracha manquante (Rama 135, 2)[3].

Si l’on veut faire monter plus de sept appelés, on est autorisé à le faire, à condition que trois versets au moins soient lus pour chacun. Selon certains, il ne convient pas, de nos jours, d’ajouter au nombre des appelés, car on ajouterait en cela au nombre des bénédictions fixées par les sages. En effet, autrefois, le premier appelé récitait une seule bénédiction (celle qui précède la lecture), et le dernier récitait lui aussi une seule bénédiction (celle qui suit la lecture), tandis que ceux qui étaient appelés aux montées intermédiaires ne récitaient pas de bénédiction. Par la suite, on craignit que ceux qui sortaient et entraient au cours de la lecture ne sachent pas que l’on avait dit la bénédiction introductive, ni que l’on dirait la bénédiction finale. On décréta donc que chaque appelé dirait une bénédiction avant la lecture de sa portion, puis une après. Or, puisque chaque appelé ajoute déjà des bénédictions supplémentaires, il ne convient pas d’ajouter au nombre des appelés et de multiplier le nombre des bénédictions, au-delà de ce qu’ont prévu les sages. De plus, il faut s’efforcer de ne pas peser sur l’assemblée en étendant la durée de l’office. Aussi, a priori, il convient d’adopter l’usage de ne point ajouter au nombre de sept appelés. Mais en cas d’impérieuse nécessité, afin d’éviter une grande vexation, il est permis d’y ajouter (Choul’han ‘Aroukh 282, 1-2 ; Michna Beroura 4-5).

Si l’on s’en tient à la stricte règle, il est possible de faire monter un mineur[h] qui sait les bénédictions, à la condition que la majorité des sept appelés soient majeurs. Certaines communautés séfarades ont cet usage (Choul’han ‘Aroukh 282, 3, Ye’havé Da’at IV 23). L’usage ashkénaze et d’une partie du monde séfarade est de ne pas appeler un mineur. Certaines communautés séfarades suivent la coutume de Rabbi Isaac Louria, consistant à permettre d’appeler un mineur à la septième montée, mas non aux autres (cf. Michna Beroura 282, 12 ; Kaf Ha’haïm 22). L’usage yéménite est d’accorder au mineur la sixième montée.


[g] La lecture sabbatique est divisée en sept parties, appelées alyot (montées). Pour chacune, on invite un fidèle (l’appelé) à se présenter devant le rouleau de la Torah, afin de lire, ou de suivre la lecture faite en son nom par un lecteur expérimenté. C’est ce que l’on appelle monter à la Torah.

[3] Chacun des appelés à la Torah récite deux bénédictions, l’une avant la lecture de sa portion, l’autre après. Cf. La Prière d’Israël, chap. 22, et Pniné Halakha, Liqoutim 1, chap. 4. Avant la première bénédiction, l’appelé dit le bref texte Barekhou. Les Guéonim expliquent que, si l’on a eu un empêchement dans la semaine, à cause duquel on n’a pu répondre au Barekhou récité durant la prière de Cha’harit (avant les bénédictions du Chéma), on pourra combler ce manque en écoutant les sept Barekhou, récités par les sept appelés du Chabbat (Chibolé Haléqet 77).

[h] Qui n’est pas parvenu à l’âge de la bar-mitsva, treize ans.

07. La haftara

Nos sages ont décidé qu’en plus de la lecture de la Torah, il serait fait une lecture des Prophètes, sur un thème qui soit lié à celui de la paracha elle-même, ou sur un thème en rapport avec le calendrier liturgique. Une bénédiction précède cette lecture des Prophètes, quatre la suivent. Cette lecture se nomme haftara, ce qui signifie « conclusion », car par elle on conclut la lecture de la Torah.

Cette lecture fut instituée suite à un décret funeste : jadis, les autorités païennes interdirent aux Juifs de lire la Torah, et menacèrent de mort ceux qui contreviendraient au décret. Or celui-ci ne portait pas sur la lecture des livres des Prophètes. Les maîtres de l’époque instituèrent donc une lecture des Prophètes en lieu et place de la lecture de la Torah. Ils prescrivirent de lire les Prophètes comme on le fait de la Torah, avec des bénédictions et sept appelés. Après que le mauvais décret fut annulé et que l’on revint à la lecture de la Torah, nos maîtres décidèrent que l’on continuerait à lire chaque Chabbat un passage prophétique, et ils instituèrent même des bénédictions particulières à cette lecture. Et puisque, à l’époque où le mauvais décret était en vigueur, on faisait monter sept appelés, chacun lisant trois versets, il fut décidé que le lecteur de la haftara lirait vingt-et-un versets au moins. Si toutefois le texte choisi constitue une unité littéraire de moins de vingt-et-un versets, on le lit seulement jusqu’à expiration du thème traité, bien qu’il soit plus court (Choul’han ‘Aroukh 284, 1, Michna Beroura 2).

Afin que la haftara ne paraisse pas égale en importance à la lecture de la Torah, nos maîtres décidèrent que son lecteur (le maftir), lirait d’abord quelques versets de la Torah elle-même, suivis du passage des Prophètes. De cette façon, il est clair qu’à elle seule, la lecture des Prophètes n’est pas équivalente à celle de la Torah. Si l’on s’en tenait à la stricte obligation, on pourrait admettre que le septième appelé à la Torah lût également la haftara ; mais on a l’usage de prendre en compte l’opinion selon laquelle le maftir ne doit pas faire partie des sept appelés. Par conséquent, après que les sept appelés ont terminé leur lecture de la paracha, on récite le Qaddich, par lequel on conclut le rituel de la lecture de la Torah, puis on fait monter le maftir ; celui-ci lit quelques versets de la Torah, puis il poursuit par la lecture de la haftara.

Selon certains, la lecture de la haftara doit se faire sur un rouleau des Prophètes écrit à l’encre sur parchemin, à la manière dont on lit la Torah sur un rouleau valide (Levouch). De nombreux A’haronim sont d’avis que l’on peut également lire la haftara à partir d’un livre imprimé. Il est bon que ce livre contienne l’intégralité du livre prophétique dont est extraite la haftara ; mais quand on ne dispose pas d’un tel livre, on peut lire à partir d’un livre où ne figurent que les versets de la haftara, comme on le trouve dans nos versions imprimées du Pentateuque (‘Houmach) (Maguen Avraham, Elyahou Rabba, Michna Beroura 284, 1).

Dans certaines communautés, tous les fidèles ont l’usage de lire ensemble la haftara. Mais il est plus juste que le maftir, ou l’officiant, lise seul ce passage prophétique, et que les autres fidèles écoutent sa lecture. Celui qui souhaite lire en même temps, en silence, y est autorisé, pour peu qu’il ne gêne pas ses voisins dans leur écoute du lecteur (cf. Michna Beroura 284, 11, Béour Halakha ad loc.).

08. Lecture de la Torah à l’office de Min’ha de Chabbat

En plus de la lecture de la paracha de la semaine à l’office du matin, Ezra le scribe a institué une lecture de la Torah à l’office de Min’ha. On appelle trois personnes, et l’on fait la lecture du début de la paracha de la semaine suivante. On fait de même le lundi matin et le jeudi matin. Cette lecture est une forme de préparation et d’introduction à la paracha de la semaine qui suit.

Nos sages expliquent cette institution par la présence de « ceux qui sont assis dans les coins » (yochevé qeranot) (Baba Kama 82a). Selon certains commentateurs, il est question des commerçants et artisans, assis dans leurs échoppes, qui ne venaient pas à la prière publique le matin des jours ouvrables, et ne se préparaient donc pas à la paracha suivante en entendant la lecture du lundi et du jeudi. Pour qu’ils entendent au moins une fois cette lecture, Ezra décida qu’on la ferait également à Min’ha de Chabbat, car alors tout le monde est disponible (Rachi, Roch).

Selon une autre explication, on craignait que les gens ne s’enivrent pendant le repas du jour de Chabbat et qu’ils ne délaissent ensuite l’étude de la Torah[i]. Ezra décida donc qu’on lirait la Torah à Min’ha, afin que, par respect pour la lecture de la Torah, tout le monde se rassemblât à la synagogue et s’abstînt de s’enivrer et de paresser. C’est à ce sujet que le roi David dit au Saint béni soit-Il : « Maître de l’univers, cette nation n’est pas comme les autres nations du monde. Les autres nations, quand elles font un repas festif, boivent et s’enivrent, puis se livrent à la débauche. Mais nous ne sommes pas ainsi : même après avoir mangé et bu, nous venons prier, comme il est dit : “Quant à moi, ma prière va vers Toi, Eternel, à l’heure propice ; ô Dieu, dans ta grande bonté, réponds-moi selon la vérité de ton secours” (Ps 69, 14). » C’est pourquoi, à Min’ha de Chabbat, on dit ce verset avant la lecture de la Torah (Chibolé Haléqet)[4].


[i] Selon cette seconde explication, ceux qui « s’assoient dans les coins » sont les désœuvrés, littéralement assis aux coins des rues.

 

[4] Le Baït ‘Hadach explique que c’est précisément à Min’ha de Chabbat qu’Ezra institua une telle lecture, et non à Min’ha des jours de fête, car le Chabbat est une « heure propice », durant laquelle la Torah fut donnée, si bien que l’on y a ajouté une lecture. Par cela, la prière de Min’ha est davantage agréée, comme il est dit : « Quant à moi, ma prière va vers Toi, Eternel, à l’heure propice. »

 

On peut ajouter que, selon la première explication [selon laquelle l’institution visait les commerçants qui négligeaient la prière publique en semaine], le but essentiel de cette lecture est de se préparer à la lecture de la paracha suivante ; or, les jours de fête, il n’y a pas de telle nécessité. Selon la deuxième explication, puisqu’il y a plus de cinquante Chabbats par ans, il faut craindre que ne se développe, le Chabbat plus que les jours de fête, la coutume fallacieuse de l’ébriété chez les oisifs, et le décret d’Ezra a pour effet de prévenir cela ; tandis qu’il n’y a que six jours de fête chômée (Yom tov) par an ; or dans la mesure où le caractère des jours saints est déterminé le Chabbat, il n’y a pas tellement à craindre que les oisifs ne s’enivrent et ne fassent les fous durant les jours de fête.

 

On peut dire encore que, les jours de fête, il est indiqué de boire du vin et de se réjouir, au titre de la mitsva, plus que le Chabbat. Aussi n’a-t-on pas voulu prendre un décret contre la joie de Yom tov, bien qu’il soit certain qu’il ne convient pas pour autant de s’enivrer.

09. Lecture de la paracha et de sa traduction araméenne (Chenaïm miqra vé-é’had targoum)

En plus de la lecture de la Torah qui est faite à la synagogue, nos sages ont prescrit à l’individu de lire chaque semaine la paracha, deux fois dans sa version originale hébraïque, une fois dans sa traduction araméenne (le targoum). C’est ce que l’on appelle Chenaïm miqra vé-é’had targoum (« deux fois le texte biblique et une fois sa traduction »). Celui qui agit ainsi, on prolonge ses jours et ses années (Berakhot 8a). À l’époque où nos sages instituèrent cela, la grande masse du peuple juif parlait araméen : en lisant la traduction araméenne rédigée par Onqelos, on comprenait la paracha.

Au cours des générations, les Israélites furent exilés en différents lieux, où l’on parlait d’autres langues. La plupart des gens oublièrent l’araméen. La question se posa donc de savoir s’il était possible de lire la paracha avec, au lieu de sa traduction araméenne, une traduction dans la langue locale, ou encore avec le commentaire de Rachi.

Concernant les autres traductions, la majorité des décisionnaires estiment qu’elles ne peuvent se comparer à celle d’Onqelos, laquelle fut écrite à l’époque des Tannaïm et dont l’inspiration se rattache à l’esprit de la prophétie de Moise. Aussi ne peut-on s’acquitter de son obligation par une autre traduction. En revanche, s’agissant du commentaire de Rachi, on s’accorde à dire que l’on peut l’étudier au lieu de lire le targoum d’Onqelos, car Rachi explique les difficultés de la Torah comme le fait le targoum, et même plus largement. Toutefois, certains versets ne sont pas commentés par Rachi ; ceux-là doivent être lus trois fois (Michna Beroura 285, 5).

Certains donnent un supplément de perfection à leur pratique en lisant toute la paracha deux fois, avec la traduction d’Onqelos et le commentaire de Rachi. En effet, l’avantage de Rachi est que son commentaire est plus large et qu’il cite les paroles de nos sages ; tandis que l’avantage du targoum d’Onqelos est d’être, en son fondement, rattaché à la révélation sinaïtique, si bien que, selon les kabbalistes, il est utile de réciter le targoum, même si l’on n’en comprend pas la langue (Choul’han ‘Aroukh 285, 2).

On peut lire le Chenaïm miqra vé-é’had targoum à partir de l’office de Min’ha du Chabbat précédent, puisqu’à ce moment on commence à lire la paracha du Chabbat suivant. Le délai court jusqu’au deuxième repas du Chabbat considéré ; en effet, on raconte que Rabbi Yehouda Hanassi ordonna à ses enfants de ne pas prendre leur repas du matin de Chabbat avant d’avoir préalablement terminé la lecture de Chenaïm miqra vé-é’had targoum. Si l’on a déjà pris ce repas, on achèvera cette lecture avant l’office de Min’ha, car alors on commence à lire la paracha suivante. Si l’on n’en a pas eu le temps, on complètera cette lecture avant la fin de la journée de mardi, car les trois premiers jours de la semaine sont liés au Chabbat qui les précède. Et si l’on n’a pas eu le temps de lire la paracha jusqu’alors, on aura soin de le faire avant la clôture de la lecture toranique annuelle, à Sim’hat Torah (Choul’han ‘Aroukh 285, 4).

10. Coutumes de lecture de Chenaïm miqra vé-é’had targoum

Certains ont coutume de lire Chenaïm miqra vé-é’had targoum le vendredi, et s’efforcent de ne pas s’interrompre, du début de cette lecture à la fin de la paracha (Rabbi Isaac Louria, Chené Lou’hot Haberit, Kaf Ha’haïm 285, 3 et 15). D’autres ont coutume de lire chaque jour l’une des sept parties (alyot) de la paracha, et achèvent le Chabbat la lecture de l’ensemble (Gaon de Vilna, Michna Beroura 285, 8). Quoiqu’il en soit, dès lors que l’on a lu, dans la semaine, deux fois la paracha et le targoum une fois, on est quitte.

A priori, on lit le texte biblique deux fois, suivi de sa version araméenne. Selon l’usage de Rabbi Isaac Louria, on lit d’abord deux fois chaque verset, immédiatement suivi de sa version araméenne, puis on passe au verset suivant. Selon l’usage du Chené Lou’hot Haberit et du Gaon de Vilna, on lit d’abord chaque paragraphe (parachia) deux fois dans son original, puis sa traduction araméenne. Ce qu’on entend par paragraphe est ce que l’on peut distinguer, dans le rouleau de la Torah, en tant que paragraphe distinct, délimité par un espace : paracha petou’ha (« paragraphe ouvert »)[j] ou paracha setouma (« paragraphe fermé »)[k]. Les deux coutumes sont bonnes (Michna Beroura 285, 2 ; Kaf Ha’haïm 3).

A posteriori, l’ordre dans lequel on lit n’est pas un motif d’invalidité, et si l’on a lu le texte biblique une fois, puis son targoum, puis de nouveau l’original biblique, on est quitte (Levouch, ‘Aroukh Hachoul’han 285, 3). De même, si l’on a lu la paracha dans le désordre, en lisant la fin avant le début, on est quitte : l’essentiel est de lire tous les versets deux fois, et leur traduction araméenne une fois. Dans le même sens, si l’on enseigne la paracha de la semaine à des enfants, on est dispensé de lire Chenaïm miqra vé-é’had targoum, car il est certain qu’en enseignant, on aura lu chaque verset deux fois au moins, et on l’aura expliqué (Choul’han ‘Aroukh 285, 6).

Si l’on n’a pas eu le temps de lire Chenaïm miqra vé-é’had targoum avant que ne soit lu le rouleau de la Torah, le Chabbat matin, on est autorisé, si l’on s’en tient à la stricte obligation, à réciter par devers soi l’ensemble de Chenaïm miqra vé-é’had targoum, au moment de la lecture (Choul’han ‘Aroukh 285, 5). Toutefois, certains décisionnaires disent qu’il n’est pas bon de procéder ainsi ; aussi est-il préférable de lire à voix basse la paracha, concurremment avec le lecteur, ce qui sera considéré comme une première lecture de l’original biblique (Michna Beroura 285, 14). Si l’on a seulement écouté la lecture, sans avoir lu les mots à voix basse en même temps que le lecteur, les A’haronim sont partagés quant au fait de savoir si cette écoute peut être considérée comme une première lecture (Michna Beroura 285, 2).

Celui qui étudie la paracha avec le commentaire de Rachi, et à qui il est plus aisé de lire un paragraphe entier du texte biblique avant de reprendre verset par verset avec le commentaire, peut procéder ainsi. Simplement, les versets qui ne sont pas commentés par Rachi devront être lus une fois supplémentaire, afin qu’ils soient lus en tout trois fois. Si l’on préfère, on pourra lire d’abord deux fois les versets bibliques accompagnés du commentaire de Rachi, puis, au moment de la lecture publique de la Torah, lire à voix basse toute la paracha, concurremment avec le lecteur : cette récitation supplémentaire tiendra lieu de troisième lecture pour les versets non commentés par Rachi.

Les femmes sont dispensées de l’obligation de la lecture de la Torah et de la lecture de Chenaïm miqra vé-é’had targoum. Si elles souhaitent cependant s’associer à la lecture de la Torah, et étudier la paracha de la semaine, ce leur est compté comme une mitsva (La Prière juive au féminin 2 § 10).


[j] Quand le paragraphe commence en début de colonne, et que l’espace qui le sépare du paragraphe précédent équivaut à neuf lettres au moins.

 

[k] Paragraphe commençant généralement en milieu de ligne, séparé du précédent par un espace, qui équivaut lui aussi à neuf lettres au moins.