Les Jours redoutables

08. Kaparot

Certains ont coutume d’égorger un coq ou un poulet, la veille de Kipour, au titre des kaparot (expiations). L’idée à laquelle cette coutume fait allusion est la suivante : le jugement qui aurait pu s’appliquer à l’homme est transféré au coq (tarnégol) – lequel est également appelé guéver (littéralement « homme ») –, et la vie de l’homme est sauvée. D’autres estiment qu’il ne faut pas observer cet usage, car il s’apparente aux darké ha-Emori (les « voies de l’Amorrhéen ») ; en d’autres termes, il s’agirait d’une coutume des nations, basée sur des croyances étrangères n’ayant pas de fondement dans la Torah. Le Rachba écrit ainsi que, lorsqu’il s’installa dans sa ville, il constata que de nombreuses personnes avaient l’usage de faire des kaparot, ainsi que d’autres rites étrangers, appris des non-Juifs. Il expliqua donc aux fidèles que cet usage était méprisable, et leur ordonna de l’annuler (Responsa I 395). C’est en ce sens que tranche le Choul’han ‘Aroukh (605, 1).

Toutefois, le Rama écrit qu’il n’y a pas lieu d’annuler cette coutume, car elle est très ancienne, remontant à l’époque des Guéonim. Telle était aussi l’opinion du saint Ari (Rabbi Isaac Louria). Sous l’influence du saint Ari, nombre de Séfarades et d’Ashkénazes ont coutume de pratiquer les kaparot. Et tel est l’usage : la veille de Kipour, tôt le matin, on prend un coq ou un poulet par membre de la famille ; on le fait tourner au-dessus de la tête de la personne, qui dit : Zé ‘halifati, zé temourati, zé kaparati, etc. (« Ceci est mon substitut, ceci est mon remplacement, ceci est mon expiation… »). Puis on égorge l’animal. Quand c’est possible, on prend un mâle pour chaque personne mâle de la famille, et une poule pour chaque femme ou fille de la famille. Quand une femme est enceinte, on lui ajoute un coq et une poule supplémentaires, car il se peut qu’elle enfante un fils, comme il se peut qu’elle enfante une fille. Si l’on trouve des volailles blanches, on les choisit de préférence, par quoi on fait allusion au verset d’Isaïe (1, 18) : « Vos fautes seraient-elles comme l’écarlate, elles blanchiraient comme la neige. » Au moment où la bête sera égorgée, celui auquel elle était destinée pensera que tout ce que l’on fait à ce volatile eût bien convenu à soi-même, et que, par l’effet de la techouva, le Saint béni soit-Il écarte de lui le décret, et que c’est ce qui advient à l’animal. Après l’abattage, on a coutume de donner la viande ou sa contre-valeur aux pauvres, afin qu’ils aient de quoi manger la veille de Kipour et à l’issue du jeûne. Si l’on n’a pas trouvé de coqs, poules ou poulets, on pourra accomplir cette coutume avec des oies ou des poissons, l’essentiel étant qu’il s’agisse d’animaux purs et insusceptibles d’être offerts en sacrifices – afin que l’on ne paraisse pas offrir un sacrifice en dehors du Temple.

Au fil du temps, avec l’augmentation du nombre de ceux qui se joignaient à cet usage, les abatteurs rituels se trouvèrent placés dans une situation de grande pression, et l’on craignit même qu’ils ne pussent pas effectuer l’examen du couteau, et l’abattage lui-même, conformément à la halakha. Les décisionnaires enseignèrent alors qu’il était préférable de repousser l’abattage après l’office de Cha’harit, ou de l’avancer aux jours précédant la veille de Kipour ; en effet, toute la période des dix jours de pénitence convient à la pratique de cette coutume.

Nombreux sont ceux, de nos jours, qui ont l’usage d’accomplir les kaparot par le biais de la tsédaqa (dons aux pauvres), en donnant, pour chacun des membres de la famille, la contre-valeur d’un poulet. Ceux qui procèdent ainsi en raison de la difficulté à accomplir l’abattage conformément à la halakha ont coutume de faire tourner l’argent destiné à la tsédaqa au-dessus de la tête, comme on le ferait d’un poulet. Ceux qui s’abstiennent de faire égorger des poulets par crainte que cette pratique ne s’assimile aux « voies de l’Amorrhéen » n’ont pas l’usage de faire tourner l’argent au-dessus des têtes : ils se contentent de donner de la tsédaqa, puisque aussi bien il convient de multiplier la tsédaqa à l’approche du jour de Kipour.

Chacun est fondé à choisir sa coutume. Si une coutume est déjà établie dans sa famille, il est bon de perpétuer la coutume de ses ancêtres.

09. Alimentation, la veille de Kipour

C’est une mitsva que de manger et de boire abondamment, la veille de Kipour (Choul’han ‘Aroukh 604, 1). Selon la majorité des décisionnaires, cette mitsva est de rang toranique (Maguen Avraham, Michna Beroura 604, 1). Nos sages disent : « Quiconque mange et boit le 9 tichri, le verset le lui impute comme s’il avait jeûné le 9 et le 10 » (Yoma 81b). Bien qu’il soit plus difficile de jeûner que de manger, le Saint béni soit-Il veut augmenter notre rétribution, et considère donc notre consommation du 9 comme étant, elle aussi, un « jeûne[4] ».

Le motif de cette mitsva est de se préparer au jeûne (Rachi). C’est aussi d’avoir assez de force pour prier convenablement, le jour de Kipour (Cha’aré Techouva 4, 10). Par conséquent, il faut être plus pointilleux encore à l’égard de la sé’ouda hamafséqet, repas marquant la séparation avec le jour jeûné. Cette mitsva exprime l’affection du Saint béni soit-Il à notre égard, Lui qui nous a ordonné de jeûner un seul jour par an afin d’expier nos fautes, et qui nous ordonne de manger et de boire avant le jeûne, tant Il se préoccupe de nous, afin que nous puissions supporter le jeûne, et qu’aucun dommage ne nous atteigne (Roch ; Tour, Ora’h ‘Haïm 604). Certains auteurs estiment que, bien que manger à la veille de Kipour soit, d’un point de vue physique, utile au jeûne, cela cause aussi quelque souffrance, car il est psychiquement difficile de passer des délices à l’effort et au jeûne (Chibolé Haléqet, ‘Aroukh Hachoul’han 604, 4).

De plus, sur le plan de l’esprit individuel, une alimentation abondante fait en effet souffrir, car elle entraîne une insistance sur le corps. C’est précisément ce que vise la mitsva : purifier tout ensemble le corps et l’âme, car c’est bien, par le corps et l’âme, ainsi que se conçoit le service de Dieu dans sa plénitude. Et tout en se gardant du penchant au mal, qui incite l’homme à se laisser entraîner par les désirs physiques, il faut se garder de penser que la sainteté ne se révèle que dans l’âme, en se désintéressant du corps et du monde de l’action. Aussi est-ce précisément après avoir mis l’accent sur la valeur sanctifiée qu’est la joie corporelle de la veille de Kipour, qu’il devient possible d’opérer une entière techouva le jour de Kipour (Chné Lou’hot Habrit, Yoma, Tora Or 136).

Il y a encore à cela une raison importante : toutes les mitsvot de la Torah doivent être accomplies dans une joie entière, ce qui inclut également une joie corporelle. Il est évident qu’il convient également d’accomplir la mitsva de la techouva dans la joie car, par elle, nous avons le mérite de nous nettoyer des fautes qui abaissent notre valeur et attristent notre esprit. Aussi Yom Kipour est-il un Yom tov (jour de fête), et, de prime abord, il eût convenu de s’y réjouir en mangeant et en buvant ; cependant, au moment de la techouva, il est impossible de se réjouir de manière  manifeste, car la techouva consiste essentiellement dans la peine et le regret, aussi nous est-il ordonné de jeûner en ce jour. Par conséquent, c’est à la veille de Kipour qu’est réservée l’expression de la joie corporelle portant sur la mitsva de techouva, par le biais de la nourriture et de la boisson qu’il nous est prescrit de consommer alors. Grâce à cela, nous avons le mérite d’accomplir un entier repentir (techouva cheléma) le jour de Kipour, avec toute la souffrance que cela comporte (Cha’aré Techouva 4, 8 ; Rabbi Moché Cordovero).

La mitsva consiste à manger et à boire en plus grande abondance que l’ordinaire de chaque jour. Certains disent qu’il faut manger, la veille de Kipour, l’équivalent de ce que l’on mange ordinairement en deux jours. A priori, il faut fixer au moins un repas accompagné de pain ; mais nombreux sont ceux qui fixent deux repas accompagnés de pain (cf. Michna Beroura 608, 18, Kaf Ha’haïm 604, 2). Rabbi Isaac Louria dit que, en mangeant au nom du service divin (léchem Chamaïm), on peut amender tout ce que l’on a mangé au cours de l’année écoulée. La mitsva de manger à la veille de Kipour est si importante qu’il est recommandé de restreindre son étude de Torah afin de l’accomplir avec une particulière perfection (Maguen Avraham 604).

Bien que manger et boire en plus grande abondance soit une mitsva, il faut manger des aliments faciles à digérer, et non des mets qui se digèrent lourdement ; de même, il faut se garder de l’ébriété, afin de pouvoir prier avec une conscience claire (Choul’han ‘Aroukh 608, 4, Michna Beroura 18).

La mitsva consiste essentiellement à manger le jour du 9 tichri, et non le soir du 9 (Gaon de Vilna, ‘Aroukh Hachoul’han 604, 5). Néanmoins, certains décisionnaires écrivent que, en mangeant le soir du 9, on accomplit aussi quelque peu la mitsva (Baït ‘Hadach, Birké Yossef).

Pour celui-là même qui n’a pas l’obligation de jeûner – par exemple le malade dont l’état est dangereux –, c’est une mitsva que de manger à la veille de Kipour, afin d’exprimer la joie propre au jour et la joie de la mitsva (Ktav Sofer 112). Si l’on n’a pas la force de manger abondamment, on se gardera à tout le moins de jeûner, car jeûner est interdit la veille de Kipour, même pour un mauvais rêve que l’on aurait fait (Rama 604, 1). En mangeant le volume d’une kotévet[e] et en buvant la mesure de mélo lougmav[f], on est déjà considéré comme n’ayant pas jeûné (Min’hat ‘Hinoukh 313, 9).


[4]. Il est écrit : « Le dixième jour de ce septième mois est le jour des expiations (yom hakipourim) (…) Et vous mortifierez vos personnes » (Lv 23, 27). On voit bien, de ce verset, que le jeûne a lieu le 10. Or, par la suite, au verset 32, il est dit : « Vous mortifierez vos personnes le neuvième jour du mois [au soir] » ; or n’avons-nous pas appris que le jeûne a lieu le dixième jour ? En réalité, le texte vient nous apprendre que c’est une mitsva que de nous préparer au jeûne, le neuvième jour, en mangeant et en buvant. Chemin faisant, nous apprenons que celui qui mange le 9, afin de se préparer au jeûne, est considéré comme s’il avait jeûné aussi le 9.

[e]. Volume d’une grande datte.

[f]. Volume que contient la bouche quand une des deux joues est gonflée, chacun selon la mesure de sa bouche.

10. Coutumes de la veille de Kipour

On ne récite pas les Ta’hanounim (supplications), la veille de Kipour, dans l’office de Cha’harit, car ce jour est « quelque peu festif » (ktsat Yom tov) ; or les Ta’hanounim expriment une certaine brisure du cœur, qui porterait atteinte à la joie (Choul’han ‘Aroukh 604, 2). Dans la majorité des communautés, la coutume est de ne point réciter Néfilat apayim, même au cours des Seli’hot du 9 tichri au soir, car cette nuit-là est, elle aussi, considérée comme « quelque peu festive » ; cependant, on récite le Vidouï (confession des fautes). Telle est la coutume ashkénaze, yéménite, et d’une partie des communautés séfarades (Levouch 604, 2, Cheyaré Knesset Haguedola, Choul’han Gavoha, Kaf Ha’haïm 19). D’autres communautés séfarades ont coutume de réciter aussi Néfilat apayim avant l’aube, et de s’en abstenir seulement après le lever de l’aube (Maamar Mordekhaï, Hilkhot ‘haguim 44, 4).

Selon la coutume ashkénaze, on ne récite pas, la veille de Kipour, Avinou, Malkénou ; ce n’est que si Kipour tombe un Chabbat qu’on le récitera à l’office de Cha’harit du 9 tichri, car on ne récite pas Avinou, Malkénou le Chabbat. Selon la coutume séfarade, on récite dans tous les cas Avinou, Malkénou la veille de Kipour ; car nombreux sont ceux qui ont coutume de le réciter le Chabbat même (Choul’han ‘Aroukh et Rama 604, 2, Michna Beroura ad loc. ; cf. ci-dessus § 7).

On a coutume de ne pas prononcer d’éloge funèbre (hesped) la veille de Kipour, à moins que le défunt soit un érudit (talmid ‘hakham) ; en ce cas, on prononce un éloge funèbre en sa présence (Choul’han ‘Aroukh Harav 604, 4).

Certains ont coutume de réciter de nombreuses Seli’hot, la veille de Kipour ; d’autres ont au contraire coutume d’en raccourcir la récitation (Rama 604,2). Dans les dernières générations, on a pris l’usage, dans les communautés ashkénazes, de raccourcir la récitation des Seli’hot, conformément à l’opinion selon laquelle, la nuit du 9 tichri aussi, c’est une mitsva que de manger et de boire plus abondamment que d’habitude : dès lors, ce jour est quelque peu festif, et il est juste de réduire alors la récitation des supplications (Chné Lou’hot Habrit). Selon la coutume séfarade, on ne raccourcit pas les Seli’hot, car le temps qui convient à celles-ci est la nuit. Malgré cela, suivant cette tradition elle-même, il est bon d’ajouter à la consommation de nourriture et de boisson, la nuit du 9 aussi.

Nombreux sont ceux qui ont coutume d’aller au miqvé (bain rituel), la veille de Kipour, afin de se purifier à l’approche du jour du jugement, et pour favoriser la techouva. Mais on ne dit pas de bénédiction sur cette immersion, puisqu’elle est seulement coutumière (Choul’han ‘Aroukh 606, 4). Celui qui voudrait observer cette coutume, mais à qui il est difficile de se rendre au miqvé, pourra se laver à l’aide de 9 qav d’eau (Rama ad loc.) : on se tiendra debout dans sa douche jusqu’à ce que s’écoulent sur son corps 9 qav d’eau, c’est-à-dire environ 11 litres, de façon continue. On veillera à ce que cette eau lave tout son corps (Pniné Halakha, Fêtes et solennités juives, t. 2, chap. 1 § 16, note 8). Jadis, les femmes, elles aussi, avaient coutume d’aller au miqvé à l’approche de Kipour ; de nos jours, plus aucune d’elles ou presque ne conserve cet usage.

Certains avaient l’usage de se faire donner trente-neuf coups, après l’office de Min’ha, afin de s’éveiller ainsi à la techouva. Le flagellé se tenait debout, penché, et les coups portaient sur son dos. Pendant ce temps, le flagellateur récitait trois fois le verset Vé-Hou ra’houm (« Il est miséricordieux… », Ps 78, 38), et, à chaque mot donnait un coup. Quant au flagellé, il était d’usage qu’il récitât à ce moment le Vidouï (confession) trois fois. Les coups n’étaient pas forts : on frappait avec une quelconque lanière, afin de rappeler la peine de flagellation (Choul’han ‘Aroukh et Rama 607, 6). De nos jours, seules de rares personnes observent encore cette coutume.

Bien que la mitsva du Vidouï consiste essentiellement à le réciter le jour de Kipour, nos sages ont prescrit d’anticiper sur ce moment, et de réciter le Vidouï avant le repas de séparation (la sé’ouda mafséqet), de crainte que l’on s’enivre au repas et que l’on ne puisse plus se confesser à l’entrée du jour. On a donc coutume de faire l’office de Min’ha avant la sé’ouda mafséqet, et l’on récite le Vidouï à la fin de la ‘Amida prononcée à voix basse (Yoma 87b ; Choul’han ‘Aroukh 607, 1).

Dans de nombreuses familles, les parents ont coutume de bénir leurs enfants avant d’aller à la synagogue pour l’office d’Arvit de Kipour.

11. Annulation des vœux (hatarat nédarim)

Les Juifs ont coutume de procéder à l’annulation des vœux la veille de Roch hachana, afin d’entrer en ce jour lavés de cette grave faute, que sont les vœux (Chné Lou’hot Habrit, Yoma 2-3, ‘Hayé Adam 138, 8). Certains ont coutume d’annuler également leurs vœux à la veille de Kipour. En plus de cela, la récitation du Kol Nidré, à l’entrée du jour de Kipour, répond à ce même but.

Cette annulation est utile pour les vœux que l’on a oublié avoir fait. Elle est aussi utile à l’égard des bonnes coutumes que l’on aurait observées trois fois sans avoir précisé qu’on les observait sans s’y engager à l’avenir (bli néder). Enfin, elle est utile pour les actes dont la pratique participe d’une mitsva, et que l’on aurait décidé d’accomplir sans préciser que cette décision n’était pas un vœu (bli néder).

Mais un vœu que l’on se rappelle avoir formulé, on ne peut le faire annuler sans en citer le détail devant trois personnes faisant office de juges, qui l’annuleront après avoir recherché un motif d’annulation (péta’h) et en faisant exprimer au demandeur son regret de l’avoir formulé (‘harata) (Choul’han ‘Aroukh, Yoré Dé’a 228, 14)[5].

Afin d’annuler un vœu, il faut se présenter devant trois hommes et leur demander de bien vouloir procéder à l’annulation. Trois juges simples (hédiotim, non spécialisés) suffisent pour y procéder, à condition d’être capables de comprendre des paroles de Torah, et de comprendre le sens de l’annulation du vœu (cf. Choul’han ‘Aroukh, Yoré Dé’a 228, 1).

L’annulation consiste, pour le juges, à dire trois fois : moutar lekha, ou charouï lekha (« cela t’est permis »), ou ma’houl lekha (« cela t’est pardonné »). Dans les rituels de prière, on trouve un texte bien ordonné, comprenant la demande d’annulation et l’annulation elle-même.

Puisque l’annulation n’est pas considérée comme un jugement proprement dit, on peut y procéder la nuit ; et il est permis que les trois juges soient parents l’un de l’autre, ou proches de celui qui demande à être délié. Par conséquent, trois frères peuvent défaire le vœu d’un quatrième frère (Choul’han ‘Aroukh 228, 3). Toutefois, quand une femme demande l’annulation d’un vœu, son mari ne peut pas être l’un des trois juges (Choul’han ‘Aroukh 234, 57).

Il est de coutume que celui qui demande l’annulation d’un vœu se tienne debout, tandis que les trois juges sont assis, comme siège un tribunal rabbinique. Des personnes nombreuses peuvent se tenir devant les trois hommes : elles demanderont ensemble l’annulation de leurs vœux, tandis que les trois hommes faisant office de juges les délieront tous en même temps. Certains, cependant, ajoutent à la pratique un supplément de perfection en annulant les vœux de chacun séparément (Maté Ephraïm 581, 49).

Certains disent que, si quelqu’un a formulé un vœu au cours d’un rêve, il lui faut s’en délier ; d’autres estiment même que le vœu fait en rêve requiert, pour être annulé, dix juges. Bien que, de l’avis de la majorité des décisionnaires, un vœu fait en rêve ne requière point d’annulation – puisqu’un tel vœu n’est rien – on tient compte, a priori, de l’opinion rigoureuse (Choul’han ‘Aroukh 210, 2). Si l’on ne peut facilement trouver dix juges, on procédera à l’annulation devant trois seulement, comme pour un vœu ordinaire (Rama ad loc.). Certes, si l’on n’a pas souvenance d’avoir jamais exprimé un vœu en rêve, il n’est pas nécessaire d’annuler, à la veille de Roch hachana, ses vœux devant dix personnes. Malgré cela, certains apportent à leur pratique ce supplément de perfection : ils annulent leurs vœux, à la veille de Roch hachana, devant dix personnes, de crainte d’avoir formulé quelque vœu en rêve, puis de l’avoir oublié (Da’at Torah 619, 1).

Les femmes s’acquittent de l’annulation de leurs vœux durant la prière de Kol nidré, qui se récite le soir de Kipour. Aussi les femmes ont-elles coutume de venir ponctuellement à la synagogue pour Kol nidré, le soir de Kipour. Une femme mariée peut nommer son mari comme mandataire (chalia’h), en lui demandant d’annuler aussi ses vœux à elle quand il annulera les siens propres ; car sa femme et lui forment une entité unitaire – la femme est considérée comme une partie intégrante de l’homme (ichto ké-goufo) –, de sorte que, lorsqu’il se trouve devant les trois juges, elle aussi se trouve là. Par contre, une femme non mariée ne peut pas mandater une autre femme ni un autre homme pour la délier de ses vœux (Choul’han ‘Aroukh 234, 56, Touré Zahav 46, Rav Pe’alim IV Ora’h ‘Haïm 34).


[5]. Si l’on s’en tient à la norme toranique, on peut délier quelqu’un de son vœu sans qu’il soit besoin d’en donner le détail. Mais les sages ont ordonné que, pour se délier d’un vœu, il faut en donner le détail, de peur que l’on n’annule un vœu qu’il est interdit d’annuler ; c’est le cas, par exemple, d’un vœu dont le but était de prévenir la commission d’une chose interdite. Si donc on n’a pas indiqué le détail du vœu à l’un des juges chargés de l’annuler, ceux-ci ne peuvent en prononcer l’annulation (Guitin 35b, Choul’han ‘Aroukh, Yoré Dé’a 228, 14). Par conséquent, le texte général d’annulation que l’on récite à la veille de Roch hachana n’est efficace que pour les vœux que l’on a oubliés ; ceux dont on se souvient, en revanche, ne sont pas annulés par-là (Tossephot Rid sur Nédarim 23b ; Chibolé Haléqet 317 ; Dérekh Ha’haïm ; Elef Hamaguen sur Maté Ephraïm 581, 101).

Certains disent cependant que l’annulation générale vaut aussi pour les vœux dont on a le souvenir, puisque l’on dit, dans le texte d’annulation, que l’on ne demande pas que soit annulé ce qui ne doit pas l’être ; dès lors, il n’est pas à craindre d’annuler un vœu dont l’annulation est interdite (Rabbi Chelomo Kluger dans ses responsa sur Choul’han ‘Aroukh 228, 14 ; Sfat Emet ad loc. ; le Rav Chelomo Zalman Auerbach incline en ce sens ; cf. Kol Nidré 79, 1). Rabbi Chelomo Kluger écrit que l’annulation est efficace au titre du regret (‘harata) ; et bien que, généralement, un motif d’annulation (péta’h) soit également exigé, le regret seul suffit, puisque l’on a déjà annoncé, lors de l’annulation des vœux faite l’année précédente, que l’on annulait d’avance ses vœux à venir. Selon le Ma’hané Ephraïm (Nédarim, chap. 16), l’annulation est également efficace au titre du péta’h : si l’on avait su que l’on regretterait son vœu, on ne l’aurait pas formulé (Kol Nidré 78, 7).

12. Annulation des vœux pour l’avenir

Nos sages disent : « Celui qui souhaite que ses vœux n’aient pas de validité, toute l’année à venir, se tiendra [devant trois juges] à Roch hachana et déclarera : “Que tout vœu que je dirais dans l’avenir soit considéré comme nul” » (Nédarim 23b). Une telle déclaration est appelée, dans la langue de la halakha, messirat moda’a (« transmission d’annonce » ou déclaration publique). En récitant Kol nidré, à l’entrée de Yom Kipour, en plus d’annuler les vœux prononcés par le passé, on accomplit également une messirat moda’a ; on dit en effet : « … de ce Yom Kipour-ci au prochain Yom Kipour, puissions-nous y parvenir dans le bien ». Malgré cela, on a coutume de faire également une messirat moda’a à la veille de Roch hachana, à l’occasion de l’annulation de ses vœux passés. Cela, pour trois raisons : parce que les personnes zélées s’empressent d’accomplir les mitsvot ; pour que ceux qui arriveraient en retard à la récitation de Kol nidré puissent déjà voir leurs vœux défaits ; et pour ceux qui ne comprendraient pas le sens de la déclaration préalable faite dans Kol nidré[6].

Selon la majorité des décisionnaires, cette déclaration préalable vaut seulement dans le cas où, en formulant son vœu, on oublie que l’on avait déclaré, préalablement, annuler ses vœux. Mais si, au moment de formuler un vœu, on se souvient avoir déclaré l’annulation de ses vœux par avance, le vœu est valide ; en effet, le fait même d’avoir décidé de faire un vœu dans un tel cas vaut annulation de la déclaration préalable (Choul’han ‘Aroukh, Yoré Dé’a 211, 2).

En pratique, si l’on a fait un vœu et que l’on souhaite l’annuler, on ne se contentera pas de la simple déclaration préalable que l’on avait faite. Si l’on ne veut pas le maintenir, on se rendra devant trois personnes faisant fonction de juges, qui procèderont à l’annulation. Cela, pour deux raisons : a) certains décisionnaires estiment que la déclaration préalable ne vaut que dans le cas particulier où l’on s’en souvient, au moment même où l’on prononce le vœu, et où l’on forme l’intention que la déclaration préalable annule effectivement le vœu ; tandis que, si l’on ne se souvient pas, au moment où l’on prononce le vœu, avoir fait cette déclaration, le vœu est valide ; or, en pratique il y a lieu de tenir compte de cette opinion (Choul’han ‘Aroukh, Yoré Dé’a 211, 2) ; b) de l’avis même de ceux qui estiment que la déclaration préalable annule efficacement le vœu, on a l’usage de l’annuler a posteriori, afin que l’on n’en vienne pas à se conduire légèrement à l’égard des vœux prononcés alors que l’on se souvenait de ladite déclaration ; ces vœux sont en effet pleinement valides (Mahari Weil, Rama 211, 1). Il faut encore signaler que, d’après toutes les opinions, la déclaration préalable n’a pas d’efficacité à l’égard d’un vœu que l’on prononcerait pour son prochain, car un tel vœu ne dépend pas de la seule volonté de celui pour qui on l’a formulé (Choul’han ‘Aroukh 211, 4).

La déclaration préalable est utile en ce que les bons usages que l’on observera par trois fois ne seront pas considérés pour autant comme un vœu de s’y obliger désormais. Sans cette déclaration, en effet, l’usage répété trois fois consécutivement serait considéré comme un vœu, à moins de préciser explicitement que l’on fait cela bli néder (« sans qu’il s’agisse d’un vœu »). De même, la déclaration préalable est utile à celui qui aurait pris sur lui de faire un don de tsédaqa, ou d’accomplir quelque autre mitsva, sans préciser bli néder. En effet, sans cette déclaration d’annulation préalable, n’avoir pas précisé bli néder a pour effet que la décision sera considérée comme un vœu (Da’at Torah 211, 2).

Bien que, si l’on s’en tient à la seule règle de halakha, il suffise de prononcer cette déclaration à part soi, en en articulant les mots, pour qu’elle soit considérée comme une messirat moda’a, efficace pour annuler ses vœux par avance, il est juste de la prononcer face à trois hommes faisant office de juges, comme le veut la coutume consistant à la réciter la veille de Roch hachana, à l’occasion de l’annulation des vœux passés (Ritva, Nédarim 23b ; Kol Nidré 81, 10).

Les femmes qui participent au Kol nidré, et qui comprennent le sens de la déclaration préalable, s’acquittent de cette manière. Pour celles qui n’y auront point participé, il conviendra qu’elles récitent la déclaration à part soi ; celle-ci sera efficace, pour autant que les mots en soient articulés effectivement, et non simplement médités en son esprit.


[6]. Dans le texte détaillé de messirat moda’a, on a soin de signaler que cette déclaration n’inclut pas les vœux portant sur des jeûnes individuels volontaires, vœux prononcés la veille du jeûne, à l’heure de Min’ha. En effet, si l’on ne faisait pas cette précision, la déclaration annulerait d’avance toute décision individuelle de jeûner ; et même si l’on jeûnait en fait, cela ne serait pas considéré comme un jeûne au sens rituel du terme. En revanche, dans le texte du Kol nidré, on ne spécifie pas cela. On peut expliquer que la déclaration préalable est alors conforme à ce qui est admis par la communauté et par les rabbins, lesquels s’accordent à dire que les vœux prononcés à l’heure de Min’ha, portant sur un jeûne individuel à faire le lendemain, ne sont pas inclus dans l’annulation.

01. Yom hakipourim, le jour des expiations

Dans son grand amour pour son peuple Israël, le Saint béni soit-Il nous a fait sortir d’Égypte, a contracté une alliance éternelle avec nous, et a désigné un jour particulier dans l’année, jour qu’il a sanctifié à notre intention, afin que nos fautes y soient expiées, ainsi qu’il est dit : « Car en ce jour, il sera fait expiation pour vous, afin de vous purifier de toutes vos fautes ; devant l’Éternel, vous vous purifierez » (Lv 16, 30). Cette pureté (tahara) et cette expiation (kapara) viennent de Dieu ; si tel n’était pas le cas, et dans le cas même où l’homme regretterait ses actes, il ne pourrait corriger ses voies que pour l’avenir, tandis qu’il lui serait impossible d’annuler ses mauvaises actions passées. L’Éternel, dans sa grande miséricorde et toute sa bonté nous a donc prescrit le jour des expiations, Yom hakipourim[a], et la mitsva de la téchouva (littéralement le retour, le repentir), par lesquels l’homme peut effacer ses manquements, ses fautes et ses péchés. C’est à ce propos que Rabbi Aqiba déclare :

Heureux êtes-vous, enfants d’Israël ! Car devant qui vous purifiez-vous, et qui vous purifie ? Votre Père qui est au ciel, comme il est dit : « Je répandrai sur vous des eaux pures, et vous serez purifiés » (Ez 36, 25). Et il est dit : « L’espoir [miqvé, mot désignant aussi la source d’eau vive, le bain rituel] d’Israël est Dieu » (Jr 17, 13) ; de même que le miqvé purifie les impurs, de même le Saint béni soit-Il purifie-t-il Israël (Yoma 85b).

Toute l’année, Israël est placé sous des cloisons qui cachent la lumière divine et empêchent celle-ci de se révéler dans le monde. Mais le jour de Kipour, les portes du Ciel s’ouvrent, et un faisceau de lumière divine est projeté vers la racine des âmes israélites, les purifiant. Les âmes s’élèvent alors, s’immergent dans la lumière divine, sont purifiées et expiées de la salissure des fautes.

Puisque le fondement de l’expiation provient de Dieu Lui-même, conformément à sa volonté, le jour de Kipour, même lorsque les Juifs ne font pas téchouva, révèle le bon côté qui se trouve en leur for intérieur. Grâce à cela, la racine de leurs âmes est nettoyée. Mais du fait que les fautes demeurent encore, des épreuves sont nécessaires afin d’en annuler l’influence. C’est le but des épreuves en ce monde et dans le monde futur. Plus les Juifs regrettent leurs fautes et reviennent à Dieu, plus l’action du Yom hakipourim s’étend, purifiant aussi les ramifications de la faute, au point qu’il n’est plus besoin d’épreuves.

Pour cela, nous prions :

Tu nous as donné, Éternel notre Dieu, par amour, ce Yom hakipourim pour le pardon, l’absolution et l’expiation, afin de pardonner en ce jour toutes nos fautes ; convocation sainte (miqra qodech), souvenir de la sortie d’Égypte (…). Notre Dieu et Dieu de nos pères, pardonne nos méfaits en ce jour de Kipour, efface et fais disparaître nos péchés et nos fautes de devant tes yeux, comme il est dit : « C’est Moi, Moi qui efface tes péchés en ma faveur, et tes fautes, Je n’en aurai plus souvenance » (Is 43, 25). Et il est dit : « J’ai dissipé comme un brouillard tes péchés et comme un nuage tes fautes ; reviens à Moi, car Je te délivre » (ibid. 44, 22). Et il est dit : « Car en ce jour, il sera fait expiation pour vous, afin de vous purifier de toutes vos fautes ; devant l’Éternel, vous vous purifierez ». Sanctifie-nous par tes commandements et donne-nous part à ta Torah ; rassasie-nous de ta bonté et réjouis notre âme par ton secours ; et purifie nos cœurs, afin que nous te servions en vérité ; car Tu pardonnes à Israël, absous les tribus de Yéchouroun en chaque génération, et en dehors de Toi, nous n’avons point de roi qui pardonne et absolve. Béni sois-Tu, Éternel, Roi qui pardonnes et absous nos fautes et les fautes de ton peuple, la maison d’Israël, et qui, chaque année, fais disparaître notre culpabilité ; Roi de toute la terre, qui sanctifies Israël et le jour des expiations » (bénédiction centrale de la ‘Amida de Yom Kipour).


[a]. Ce jour sera indifféremment appelé Yom hakipourim, Yom Kipour, ou Kipour.

02. Mitsvot du jour

La vertu particulière au jour de Kipour se révèle par le biais des mitsvot du jour. Premièrement, sont prescrites trois mitsvot par lesquelles Kipour équivaut aux autres jours saints :

  1. Faire de ce jour une convocation sainte (miqra qodech), c’est-à-dire le destiner à des actes de sainteté et l’honorer par des vêtements distingués, une maison bien ordonnée, comme il est dit : « Cependant, le dixième jour de ce septième mois est le jour des expiations, ce sera pour vous une convocation sainte… » (Lv 23, 27 ; le sujet sera expliqué ci-après, chap. 7 § 1).
  2. S’abstenir de tout travail, comme le jour de Chabbat, ainsi qu’il est dit : « Vous n’accomplirez aucun ouvrage, ce jour même, car c’est le jour des expiations, afin de faire expiation pour vous devant l’Éternel votre Dieu (…). Car toute personne qui, ce jour même, ferait un quelconque ouvrage, Je perdrais cette personne du sein de son peuple. Vous n’accomplirez aucun travail, loi éternelle en vos générations, dans toutes vos demeures » (ibid. 23, 28-31 ; ce thème sera expliqué au chap. 7 § 2).
  3. Apporter les sacrifices additionnels (Moussaf), semblablement aux autres fêtes et aux néoménies, comme il est dit : « Vous offrirez un holocauste (‘ola) à l’Éternel, en odeur agréable : un taureau, un bélier, sept moutons âgés d’un an, ils seront parfaits pour vous (…) un bouc comme expiatoire, outre l’expiatoire propre au jour des expiations et l’holocauste perpétuel, leur oblation et leurs libations » (Nb, 29, 8-11).

Trois autres mitsvot, particulières à Yom Kipour, s’ajoutent :

  1. Le jeûne, comme il est dit : « L’Éternel parla à Moïse en ces termes : “Cependant, le dixième jour de ce septième mois est le jour des expiations, ce sera pour vous une convocation sainte, et vous mortifierez vos personnes, et vous apporterez un sacrifice à l’Éternel (…). Car toute personne qui ne se mortifiera pas ce jour-même serait retranchée de son peuple (…). Ce sera pour vous un Chabbat solennel, et vous mortifierez vos personnes le neuf du mois au soir, d’un soir l’autre, vous observerez votre Chabbat » (Lv 23, 26-32 ; cf. aussi Lv 16, 29 et Nb 29, 7). Cette mitsva est si importante que, même quand Kipour tombe un Chabbat, la mitsva du jeûne s’impose dans toutes ses composantes et repousse la mitsva de se délecter le jour de Chabbat.
  2. Se repentir (faire téchouva) et se confesser de ses fautes, comme il est dit : « Car en ce jour, il sera fait expiation pour vous, afin de vous purifier de toutes vos fautes ; devant l’Éternel, vous vous purifierez » (Lv 16, 30) ; ce que signifie la parole « devant l’Éternel, vous vous purifierez », c’est : vous vous repentirez, vous ferez téchouva (Maïmonide, Téchouva 2, 7 ; Cha’aré Téchouva 4, 17).
  3. Il existe un ensemble de sacrifices, particulier à Kipour, et qui vise l’expiation des fautes d’Israël. Au faîte de ce service, le Grand-Prêtre (Cohen gadol) entrait dans le Saint des saints (Qodech haqodachim), y faisait fumer l’encens (qetoret) et aspergeait le sang des sacrifices expiatoires devant l’Éternel. Les sacrifices particuliers à ce jour sont : un taureau comme expiatoire (‘hatat), afin de faire expiation sur le Grand-prêtre et sur ses frères, les prêtres (cohanim) ; un bélier comme holocauste (‘ola) ; deux boucs expiatoires, l’un sacrifié à l’Éternel, l’autre envoyé à Azazel. Du sang du taureau expiatoire et du bouc offert à l’Éternel, le Grand-Prêtre faisait une aspersion dans le saint des saints, puis sur le voile (parokhet, rideau) et sur l’autel d’or (mizbéa’h hazahav). Quant au bouc envoyé à Azazel, il portait sur lui les fautes d’Israël au lieu qui leur convient : le désert.

De nos jours, où le Temple est détruit, c’est la journée de Kipour elle-même, avec le jeûne et la téchouva qui lui sont liées, qui apportent l’expiation à Israël ; et les prières du jour, en particulier celle de Moussaf, remplacent, dans une certaine mesure, les sacrifices (Maïmonide, Téchouva 1, 3 ; cf. ci-après, chap. 10 § 18).

03. L’expiation de Kipour et son sens

Le mot kipourim possède de nombreuses significations, qui sont toutes contenues dans la thématique de Kipour. Le mot kapara signifie, étymologiquement, couverture. De même que le propitiatoire (kaporet) couvrait l’arche sainte, ainsi l’expiation couvre les fautes. Le mot kapara est également parent du mot kofer (rachat, contrepartie, remplacement) ; car la faute, qui provient des forces de l’impureté, est remplacée, et restituée à son lieu, par le biais du bouc émissaire. Le mot comporte également l’idée de nettoyage, de lavage, car l’expiation lave et nettoie la souillure de la faute. On trouve encore dans ce mot une idée d’annulation, comme nous le voyons dans la parole de Jacob notre père : Akhapera panav (« je veux rasséréner son visage »), ce qui signifie : « je neutraliserai sa colère par le biais de ce présent » (Gn 32, 21, Rachi ad loc.). Le mot kapara porte également en lui la notion d’apaisement : par le nettoyage de la faute et son annulation, la personne lésée, ou l’accusateur, s’apaise, se rassérène (Rachi sur Pr 16, 14). Enfin, on trouve dans ce mot la notion de parfums, comme il est dit : echkol hakofer (« grappe de cypre », Ct 1, 14) ; car si la téchouva est faite par amour, les fautes volontaires se transforment en mérites, et il en émane une bonne odeur.

Nos maîtres expliquent sur le mode midrachique les mots : « les jours de leur formation, avant qu’aucun d’eux ne fût[b] » (Ps 139, 16) – é’had bahem, littéralement « l’un d’eux » – en disant que ce jour un est le jour de Kipour, jour particulier au sein de l’année :

[Ce jour] est un motif de grande joie devant Celui qui, par sa parole, créa le monde, parce qu’Il le donna à Israël avec un grand amour. À quoi cela ressemble-t-il ? À un roi de chair et de sang dont les serviteurs et les proches, sortant les ordures, les jetaient face à la porte de la ville du roi [afin de s’en débarrasser en dehors de la ville]. Quand le roi sortit et vit ces ordures, il éprouva une grande joie. C’est à cela qu’est comparé le jour de Kipour, que le Saint béni soit-Il nous donna par l’effet de son grand amour et dans la joie. (…) Quand Il pardonne les fautes d’Israël, Il ne s’en afflige pas mais s’en réjouit grandement, disant aux monts et aux collines, aux ruisseaux et aux vallées : « Allons, réjouissez-vous avec Moi d’une grande joie, car Je pardonne les fautes d’Israël… » (Tana Devei Elyahou Rabba 1).

Nos sages enseignent qu’il est fait allusion, dans le nom Ha-Satan (l’Accusateur) – dont la valeur numérique est de 364 – au propos particulier du jour de Kipour : cela nous enseigne que, trois cent soixante-quatre jours de l’année durant, l’Accusateur a le droit de faire obstacle à la lumière divine – l’empêchant de se dévoiler dans le monde –, et de mettre en cause Israël. Or, puisque l’année compte trois cent soixante-cinq jours, il en est un durant lequel l’Accusateur n’a pas le droit de mettre en cause Israël. Ce jour est Yom Kipour, puisque s’y dévoile la racine de la sainteté d’Israël, qui est liée à l’Éternel (Yoma 20).

Si l’Éternel n’avait pas fixé un jour d’expiation et de pardon pour Israël, les fautes se seraient amoncelées, année après année, au point que, après quelques années, Israël et le monde eussent risqué d’être condamnés à la destruction (cf. Séfer Ha’hinoukh, mitsva 185).

Toute la durée du jour de Kipour a cette vertu expiatrice. Aussi, même un homme qui serait mort au milieu de la journée aurait bénéficié de l’expiation de ses fautes (Keritot 7a). Mais le parachèvement de l’expiation se produit à l’approche de l’issue de Kipour, au moment où le jeûne parvient à son sommet, et où toutes les prières et toutes les intentions qui y sont associées (les kavanot) s’assemblent (Talmud de Jérusalem, Yoma 8, 7). Aussi a-t-on coutume, dans les communautés d’Israël, d’intensifier la prière au moment de la Né’ila, dernier office de Kipour[1].


[b]. Ce passage évoque l’omniscience divine : Dieu voit et « consigne dans un livre » tous les membres de l’homme encore en formation, avant qu’aucun d’eux n’existe encore – ou : avant qu’aucun des jours de leur formation ne soit passé. La lecture midrachique transforme aucun des jours en jour un, unique parmi ses pairs.

[1]. La Guémara Keritot 7a explique que l’expiation (kapara) s’exerce à tout moment de la journée de Kipour. C’est aussi ce qu’écrivent le Rachba, Rabbi Samson de Sens et le Guevourat Ari. Nos sages disent encore, en Keritot 7a et en Chevou’ot 13a, que Yom Kipour apporte l’expiation de jour comme de nuit ; Rachi explique que cette précision est nécessaire parce qu’il est dit « car en ce jour, il sera fait expiation pour vous » [en ce jour pourrait être compris comme excluant la nuit] ; de plus, le jeûne ne se fait presque pas sentir pendant la nuit.

Face à cela, le traité Yoma 8, 7 du Talmud de Jérusalem explique que, selon Rabbi Zeira, chaque instant de Kipour possède une vertu d’expiation, depuis le commencement de la nuit, mais que, selon Rabbi Hanania, c’est la fin du jour de Kipour qui apporte l’expiation. Mais Rabbi Hanania lui-même reconnaît que, à l’époque du Temple, le bouc émissaire apportait l’expiation dès son renvoi, avant même que le jour de Kipour ne fût achevé. La conclusion du Talmud de Jérusalem suit l’opinion de Rabbi Hanina ; et c’est en ce sens que s’expriment Na’hmanide et le Ran. Dans la mesure où il s’agit de questions spirituelles, le principe qui veut que « ces paroles-ci et celles-là sont les paroles du Dieu vivant » est d’autant plus prégnant. Il faut donc dire que l’expiation de Yom Kipour est graduelle : dès la nuit, commence l’effet expiatoire, car dès ce moment se prépare l’expiation dont le principal a lieu durant le jour, à chaque heure. Puis l’expiation s’intensifie et se parachève vers la fin du jour de Kipour, car alors le jeûne parvient à son plus haut point. Le ‘Itour écrit ainsi que toute la journée possède une vertu expiatrice, mais que le parachèvement ultime de l’expiation se fait à la Né’ila.

04. L’essence même de Kipour est expiatrice, par l’effet du mystère de l’élection d’Israël

Le fondement de Yom Kipour se trouve dans l’alliance que l’Éternel contracta avec nos pères, Abraham, Isaac et Jacob. Cette alliance s’établit par le biais de la mitsva de circoncision (berit mila) ; elle se renforça lorsque l’Éternel fit sortir Israël d’Égypte ; et elle fut scellée au moment où l’Éternel nous donna la Torah. C’est par cela que le monde subsista, comme l’enseignent nos sages :

Le Saint béni soit-Il soumit l’œuvre de la Création à une condition, disant [aux éléments] : « Si Israël reçoit la Torah, vous vous perpétuerez ; sinon, je vous renvoie au tohu-bohu » (Chabbat 88a).

Cela, parce que tout le but de la création du monde est qu’Israël y révèle la parole de l’Éternel, ainsi qu’il est dit : « Ce peuple, Je l’ai créé pour Moi, il racontera ma louange » (Is 43, 21). Les sages disent ainsi : « Les cieux et la terre n’ont été créés que par le mérite d’Israël » (Lv Rabba 36, 4).

Cette alliance fut révélée à Israël le jour de Kipour, car alors l’Éternel pardonna à Israël la faute du veau d’or, d’un pardon entier, et renouvela son alliance avec Israël par le don des secondes tables de la Loi, et par l’ordre d’ériger le tabernacle afin de faire régner la Présence divine (Chékhina) au sein du peuple (Pirqé de-Rabbi Eliézer 46 ; Tan’houma, Terouma 8, Ki Tissa 31).

Cette alliance que Dieu contracta avec Israël ne dépend pas des actes d’Israël, mais de l’âme particulière que Dieu créa et conféra à ce peuple, âme qui aspire, en sa racine même, au parachèvement (tiqoun) du monde par l’effet du dévoilement de la lumière divine. C’est à ce propos qu’il est dit : « Car tu es un peuple saint pour l’Éternel ton Dieu, c’est toi que l’Éternel ton Dieu a choisi pour lui être un peuple d’élection entre tous les peuples qui sont sur la face de la terre » (Dt 7, 6). Il est dit aussi : « Car c’est Jacob que Dieu s’est choisi, Israël pour être son élu » (Ps 135, 4). Aussi, même si les fautes étaient innombrables parmi le peuple juif, l’alliance divine ne serait pas annulée, comme il est dit : « Car l’Éternel n’abandonnera pas son peuple, et ne délaissera point son héritage » (ibid. 94, 14) ; et : « Car l’Éternel ne délaissera pas son peuple, en faveur de son grand nom ; car l’Éternel vous a destinés à être son peuple » (I Sam 12, 22).

Certes, si le peuple d’Israël faute, il est puni par de dures épreuves ; et plus les fautes sont nombreuses, plus les punitions sont dures et redoutables, afin de purifier le peuple et de le conduire au repentir. Mais jamais Israël ne pourra annuler l’alliance divine. Il est dit ainsi :

Ce qui vous vient à l’esprit ne se réalisera jamais, quand vous dites : « Soyons comme les peuples, comme les familles des pays, pour servir le bois et la pierre. » Par ma vie, dit l’Éternel Dieu, Je jure que par une main forte, par un bras étendu et par une colère débordante, Je régnerai sur vous. Et Je vous ferai sortir d’entre les peuples, et vous rassemblerai des terres où vous avez été dispersés, d’une main forte, d’un bras étendu et d’une colère débordante. Et Je vous amènerai dans le désert des peuples, et vous y jugerai face à face. (…) Je vous ferai passer sous la verge, et vous amènerai dans la tradition de l’alliance (Ez 20, 32-37).

En général, le monde est dirigé d’après les principes du jugement (michpat) ; l’Éternel a en effet établi, lors de la création du monde, que le monde serait conduit en fonction des actes des hommes. S’ils choisissent le bien, les bienfaits se multiplient ; s’ils choisissent le mal, les bienfaits se voient limités et les souffrances se multiplient. De prime abord, selon cela, si les fautes excédaient un certain seuil, elles devraient détruire le monde. Mais le jour de Kipour, les portes du Ciel s’ouvrent, la conduite divine supérieure se révèle, et les péchés d’Israël sont pardonnés à leur racine ; le monde continue donc de subsister et de cheminer vers sa Délivrance. Certes, la conduite du monde selon la justice n’est pas annulée pour autant : toute faute, tout péché qui n’a pas été réparé par la téchouva sera puni ; et, si les fautes grandissent et deviennent nombreuses, les peines deviennent extrêmement pénibles. Mais elles amendent et purifient Israël. Et comme l’expliquent la Torah, les livres prophétiques et les paroles des sages, même si Israël ne se repent pas, la délivrance promise par Dieu à nos pères et à nous-mêmes adviendra. Le choix qui est remis entre nos mains est celui des modalités de cette Délivrance : viendra-t-elle rapidement et dans la joie, ou, à Dieu ne plaise, de manière longue et difficile, remplie d’épreuves et redoutable.

Puisque l’expiation de Yom Kipour a pour fondement l’élection d’Israël, toutes les prières et les confessions récitées ce jour-là sont libellées au pluriel, car elles visent ce qui intéresse la collectivité : demander à Dieu qu’Il pardonne nos fautes, nous rapproche de son service, et qu’Il révèle sa Présence sur nous, afin que nous puissions révéler son honneur et sa guidance dans le monde ; et que, grâce à cela, la bénédiction abonde dans le monde, pour la collectivité d’Israël, pour chaque Juif et pour tous les hommes.

05. La force de ce jour, pour amener l’expiation de l’individu

Par l’effet de la sainteté et de l’expiation générale d’Israël au jour de Kipour, un esprit de pureté et d’expiation est également prodigué à chaque individu parmi le peuple juif, chacun pouvant s’attacher à Dieu de la façon la plus intense, se libérer de l’impureté déterminée par ses fautes et ses péchés, et accomplir la téchouva. Aussi y a-t-il une mitsva particulière à chaque individu de se repentir, le jour de Kipour, comme il est dit : « Car en ce jour, il sera fait expiation pour vous, afin de vous purifier de toutes vos fautes ; devant l’Éternel, vous vous purifierez » (Lv 16, 30). En d’autres termes, de l’expiation générale, propre au jour de Kipour, expiation produite par le biais du service du Grand-prêtre, découle une mitsva pour chaque individu, de se repentir de ses fautes (Cha’aré Téchouva 4, 17, Maïmonide, Téchouva 2, 7).

La téchouva faite le jour de Kipour est davantage agréée que le reste de l’année, car la gravité de la faute dépend du degré d’intentionnalité qui l’anime, laquelle exprime l’éloignement à l’égard de Dieu et des directives de la Torah. Le jour de Kipour, quand les portes du Ciel s’ouvrent, que l’alliance unissant l’Éternel à Israël se dévoile, et que luit la lumière de l’âme, il apparaît que la volonté de chaque Israélite, dans son essence, est d’être proche de Dieu et d’accomplir sa volonté, d’être bon, de se livrer à l’étude de la Torah, et d’accomplir ses mitsvot. Ce n’est qu’en raison des séductions du yétser hara’, le penchant au mal, des tracas de l’existence et des besoins corporels – qui cachent la lumière divine – que l’homme chute et faute. Mais en réalité, même s’il faute intentionnellement, ce n’est point d’une intention complète car, au moment où il faute, le Juif n’a pas conscience de sa volonté intérieure. Plus l’on s’attache, le jour de Kipour, à la sainteté de l’Assemblée d’Israël[c], plus on révèle sa volonté intérieure, qui émane de la racine de son âme ; et la gravité de ses fautes, manquements et péchés diminue. Les fautes volontaires sont alors requalifiées en fautes involontaires ; et les fautes involontaires en actes contraints. Aussi peut-on alors facilement regretter ses fautes, faire téchouva et prendre sur soi d’être meilleur.

Le fait que le service de Yom Kipour et ses prières soient essentiellement en faveur de l’ensemble du peuple juif ne porte pas atteinte à la téchouva personnelle de l’individu ; bien au contraire, c’est précisément grâce à la sainteté de la collectivité que l’individu pourra accomplir une téchouva complète. L’inverse est aussi vrai : le fait pour l’individu de se repentir de ses fautes ne porte pas nécessairement atteinte à sa prière en faveur de la collectivité d’Israël et du dévoilement de la Présence divine ; car chaque individu d’Israël, quand il revient vers Dieu, ajoute sainteté et bénédiction au bénéfice de tout Israël.

D’après cela, on peut comprendre pourquoi le rituel de la confession (Vidouï) que chaque Juif doit réciter à Kipour est rédigé au pluriel, bien que nombreux soient ceux qui n’ont point commis tous les péchés que ce texte mentionne : le jour de Kipour est le jour où se produit l’expiation de la collectivité d’Israël ; en s’élevant vers la racine de son âme, chaque individu se joint donc davantage à l’assemblée d’Israël, et demande pardon et absolution en faveur de tous, pour toutes leurs fautes ; c’est seulement grâce à cela qu’il accomplit la téchouva pour ses fautes personnelles (cf. ci-après, chap. 7 § 4).


[c]. Knesset Israël : le peuple juif considéré de manière absolue, indépendamment du temps, du lieu et des individus qui le composent.

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