En principe, il est permis de réparer, le Yom tov, des ustensiles d’alimentation (makhchiré okhel néfech), c’est-à-dire des ustensiles nécessaires à la préparation des aliments de Yom tov. Cependant, en pratique, pour un ensemble de raisons, il n’y a presque pas de cas dans lesquels on autorise à réparer de tels ustensiles, le Yom tov. Premièrement, quand il est possible de réparer l’ustensile la veille, il est interdit par la Torah de le réparer pendant Yom tov (Beitsa 28b). Deuxièmement, de l’avis de plusieurs décisionnaires (Rabbi Zera’hia Halévi, Rabbénou Nissim), cette permission ne tient qu’à la condition qu’il ne s’agisse pas d’une complète réparation (tiqoun gamour), car une telle réparation est interdite. Or, dans de nombreux cas, il est difficile de déterminer si l’on est en présence d’une réparation partielle ou complète. Par exemple, les décisionnaires sont partagés quant à l’aiguisage des couteaux. Selon nombre d’auteurs, l’aiguisage est interdit, car il est assimilé à la fabrication d’un complet ustensile (Choul’han ‘Aroukh 509, 2). Troisièmement, quand la réparation n’est pas indispensable, parce que l’on peut, quoique difficilement, cuisiner aussi sans cette réparation, il est interdit de réparer l’ustensile, car ce serait un effort superflu, auquel on n’est point contraint (Rama 509, 1). Quatrièmement, il est seulement permis de réparer des ustensiles d’alimentation proprement dits, mais non des ustensiles ne servant qu’indirectement à l’alimentation (makhchiré makhchirim, « ustensiles d’ustensiles »). Par exemple, il est interdit de redresser une clef afin de pouvoir ouvrir la porte d’une remise où se trouvent des aliments, car ce n’est pas la clef qui rend les aliments propres à être consommés : elle est seulement l’ustensile ouvrant la possibilité d’accéder à la nourriture.
De plus, dans le cas même où il était certainement permis de réparer des ustensiles d’alimentation, les sages avaient coutume de ne pas enseigner cette permission, de crainte que, en se permettant de réparer des ustensiles de cuisine que l’on n’aurait point pu réparer la veille de Yom tov, on n’en vînt à réparer des ustensiles de cuisine que l’on aurait pu réparer la veille de Yom tov, transgressant ainsi un interdit toranique (Beitsa 28b, Rama 509, 1). Par conséquent, celui qui étudie la halakha de manière ordonnée, et sait quand la chose est permise, est autorisé à agir selon ce qu’il a appris. Mais à celui qui pose une question sur un cas, sans apprendre l’ensemble de la halakha, on n’enseigne pas de permission, de crainte que, à partir de cette permission, il n’en vienne à s’accorder des indulgences dans des cas d’interdit.
Toutefois, quand la réparation est très nécessaire à la préparation de la nourriture, les sages donnaient pour instruction explicite d’être indulgent (Na’hmanide). Aussi autorisaient-ils à ratisser l’enduit tombé dans un four de brique, et qui eût causé le roussissement de la pâte ou de ce qu’on avait mis à griller ; cela, à la condition que le propriétaire du four ne pût faire ce ratissage la veille de Yom tov – par exemple, si l’enduit était tombé pendant le Yom tov lui-même, ou que le propriétaire du four ne sût pas que l’enduit était tombé la veille (Beitsa 28b, Choul’han ‘Aroukh 507, 4). À ce qu’il semble, les sages pensaient que l’autorisation, en cette matière, allait de soi, et qu’il n’était pas à craindre qu’on en conclût des indulgences en des cas d’interdit[6].
Les Richonim, eux aussi, sont partagés quant à la règle à appliquer : certains pensent qu’il faut, en pratique, enseigner la halakha dans le sens de Rabbi Yehouda (Raavad, Rabbi Yechaya A’haron zal) ; d’autres estiment que le halakha suit les ‘Hakhamim (Or Zaroua’, et c’est ainsi que le Maguid Michné explique Maïmonide). Mais pour la grande majorité des Richonim, la halakha est conforme à l’opinion de Rabbi Yehouda, quoique l’on ne réponde pas dans ce sens à ceux qui posent des questions. C’est l’avis du Séfer Halakhot Guedolot, de Rabbi Zera’hia Halévi, du Yeréïm, du Séfer Mitsvot Gadol. C’est aussi ce qui ressort du Rif et de Maïmonide (tels que les comprennent la majorité des commentateurs).
Na’hmanide (en Mil’hemot Hachem), explique parfaitement la conception de la Guémara et de la majorité des Richonim : la position principale, en halakha, suit Rabbi Yehouda, mais quand il n’y a pas à cela une grande nécessité, on n’enseigne pas dans ce sens. Aussi autorise-t-on a priori le ratissage d’un four, car c’est une chose très nécessaire ; tandis que l’aiguisage d’un couteau, qui n’est pas si nécessaire, est partiellement permis, mais on ne l’enseigne pas. L’extinction d’un morceau de bois pour que la maison ne soit pas enfumée [dans le cas où la sécurité des personnes n’est pas menacée], ou l’extinction d’une veilleuse « pour une autre raison » [pour pouvoir se livrer au devoir conjugal], cas non directement liés à la question de l’alimentation, n’ont pas été autorisées du tout, de crainte que l’on n’en vînt à s’autoriser des indulgences dans des cas d’interdit, comme il est expliqué en Beitsa 22a. Telle est l’opinion du Rachba, du Ran, du Roch et de nombreux autres, et c’est aussi ce que pensent de nombreux A’haronim (cf. Har’havot).
Puisque à cela s’ajoutent d’autres doutes – du fait que seule une réparation non complète est permise, et seulement si elle est indispensable, et que nous ne savons pas toujours ce qu’est une réparation complète ni dans quels cas il est indispensable de réparer – on n’autorise presque jamais, en pratique, à réparer des ustensiles de cuisine. C’est aussi ce qui ressort du Choul’han ‘Aroukh, qui écrit explicitement que la halakha suit Rabbi Yehouda (495, 1), et qui permet de déblayer un four (507, 4), tandis qu’il interdit de réparer une broche ou d’aiguiser un couteau (509, 1).