Chabbat

24. Eau provenant d’un cumulus (chauffe-eau électrique)

Il est interdit, le Chabbat, de profiter d’une eau qui a été chauffée de manière interdite. En revanche, si l’eau a été chauffée sans qu’aucun acte interdit n’ait été accompli par nous, il nous sera permis d’en profiter pendant Chabbat. D’après cela, si un cumulus (chauffe-eau électrique) a été activé avant l’entrée de Chabbat, il devrait être permis, de prime abord, d’utiliser l’eau chaude qui en provient. Mais il y a un problème : nos cumulus sont fabriqués de telle façon que, à chaque fois que l’on ouvre l’eau chaude, l’eau utilisée est remplacée par de l’eau froide ; si les éléments chauffants du cumulus fonctionnent, la conséquence en est donc que, en ouvrant le robinet d’eau chaude durant Chabbat, on provoquera la cuisson de l’eau froide entrée dans le cumulus à la place de l’eau chaude utilisée. Il est donc interdit d’ouvrir, pendant Chabbat, le robinet d’eau chaude quand le cumulus fonctionne.

Mais si l’on a éteint le cumulus avant Chabbat, la règle dépend du fait de savoir si l’eau froide qui entrera dans le cumulus cuira. Si l’eau chaude qui sort du cumulus est brûlante, au point que l’on ne pourrait la toucher, il sera interdit d’ouvrir le robinet d’eau chaude, car cela aurait pour effet de cuire l’eau froide venant remplacer l’eau chaude dans le cumulus. En revanche, s’il est possible, même difficilement, de toucher l’eau chaude qui sort du cumulus, bien que cette chaleur soit équivalente au degré de yad solédet bo, il sera permis de s’en servir le Chabbat, car l’eau restée dans le cumulus ne sera pas en mesure de provoquer la cuisson de l’eau froide qui y entrera pour la remplacer (cf. note 28)[r]. Et même quand il est douteux que l’eau contenue dans le cumulus soit si bouillante, il sera permis d’ouvrir le robinet d’eau chaude ; en effet, ce n’est que lorsqu’il est certain que l’eau froide entrée dans le cumulus cuira qu’il est interdit d’ouvrir le robinet d’eau chaude. S’il était douteux que l’eau fût brûlante, que l’on ait ouvert le robinet et qu’il soit apparu que l’eau était effectivement brûlante, on versera beaucoup d’eau froide[s] afin que sa température descende en-deçà du degré de yad solédet bo[28].

De même, on peut régler le cumulus sur minuterie sabbatique, de manière que, à intervalles réguliers, la fonction chauffage fonctionne durant environ un quart d’heure, afin que l’eau s’y réchauffe quelque peu, sans pour autant parvenir au degré de yad solédet bo. De cette façon, on pourra utiliser sans crainte, durant Chabbat, l’eau tiède contenue dans le chauffe-eau.


[r]. La conformation des cumulus n’est pas identique dans tous les pays ; de plus, leur extinction même n’est pas toujours possible avant Chabbat. Pour connaître la règle applicable dans sa ville ou dans son appartement, on s’adressera au rabbin local.

 

[s]. Cela, rapidement.

 

[28]. Certains, il est vrai, estiment que le degré de yad solédet bo est atteint dès lors qu’il n’est pas agréable de maintenir longtemps sa main sur la chose chaude, ce qui équivaut à une température de 45°, comme nous l’avons vu au paragraphe 4. Mais dans notre cas, il ne faut être rigoureux que lorsque l’eau qui sort du cumulus atteint la température de 80°, de sorte qu’il ne soit pas possible de la toucher. En effet, les cumulus sont fabriqués de telle façon que l’eau la plus chaude se trouve dans la partie supérieure, tandis que, dans la partie inférieure, se trouve une eau moins chaude, avec une différence significative de température. Or l’eau froide entre dans la partie inférieure, de sorte que, s’il est possible de toucher l’eau chaude qui sort de la partie supérieure du cumulus – qui est l’eau la plus chaude –, il est presque certain que l’eau située dans la partie inférieure n’atteint pas le degré de yad solédet bo, et il est évident qu’elle n’est pas en mesure de provoquer la cuisson de l’eau froide qui pénétrera dans le cumulus.

 

Même en cas de doute, il est permis d’ouvrir le robinet d’eau chaude pour vérifier si l’eau est au degré de yad solédet bo. Et même s’il apparaît que l’eau est brûlante, on n’aura pas transgressé d’interdit car, au moment où l’on ouvrait le robinet, la chose était douteuse, ce qui rattache l’acte à la catégorie de davar ché-eino mitkaven, (chose sur laquelle ne porte pas l’intention, cf. chap. 9 § 5), cas dans lequel l’acte est permis. (La chose est certainement permise pour le Taz, peut-être également pour Rabbi Aqiba Eiger, car il se peut que l’on utilise tellement d’eau que l’eau restante ne sera plus susceptible de provoquer la cuisson. Cf. chap. 9, note 2 et Har’havot ad loc. De plus, l’entrée de l’eau froide dans le cumulus se fait sur le mode indirect – grama –, sans intention de la chauffer. Cf. Chemirat Chabbat Kehilkhata 1, note 132.)

 

Il est même permis d’utiliser cette eau, ce qui ne sera pas considéré comme un profit tiré d’un travail fait pendant Chabbat. En effet, dans la mesure où l’on ignorait que l’eau était brûlante, il était permis d’ouvrir le robinet d’eau chaude. De plus, dès lors que l’eau brûlante coule déjà, il est permis de la mêler à beaucoup d’eau froide, de manière que celle-ci n’atteigne pas le degré de yad solédet bo ; car si elle atteignait le degré de yad solédet bo, cela aurait pour effet qu’une eau froide, ajoutée en petite quantité à l’eau brûlante, cuirait. Et puisque l’eau chaude est déjà ouverte, il est préférable de nettoyer autant de vaisselle que possible, afin qu’autant d’eau chaude que possible sorte du cumulus : ainsi, l’eau restant dans le cumulus ne sera plus en mesure de provoquer la cuisson de l’eau froide qui y entrera.

 

Si l’on n’a besoin que d’un peu d’eau chaude : selon certains avis, il est interdit de refermer l’eau chaude avant que toute l’eau brûlante ne soit sortie ; cela, afin qu’il soit certain que l’eau froide qui entrera dans le cumulus ne cuira pas (Menou’hat Ahava II 10, 13). D’autres le permettent, car la cuisson n’est provoquée que de manière indirecte (grama) ; or, dans un cas où une perte serait occasionnée, il n’y a pas lieu d’être rigoureux (Otsrot Chabbat 1 p. 61 au nom du Chibolé Haléqet. Cf. Chemirat Chabbat Kehilkhata 1, fin de la note 131). La halakha est conforme à l’opinion indulgente car, en plus des arguments que ses tenants avancent, il reste presque toujours incertain que l’eau contenue dans le cumulus soit en mesure de chauffer l’eau froide qui y entre ; par conséquent, nous sommes à la fois dans un cas de davar ché-eino mitkaven (puisque l’on n’a pas l’intention de provoquer le chauffage de l’eau froide) en matière de règle rabbinique, et dans un cas de grama (acte indirect).

 

En cas de nécessité – par exemple lorsqu’il fait froid et qu’il est difficile de faire la vaisselle à l’eau froide –, il semble permis, si l’on doit laver beaucoup de vaisselle et utiliser beaucoup d’eau chaude, d’ouvrir d’abord le robinet d’eau froide, puis d’y mêler de l’eau du robinet d’eau chaude, même dans le cas où il est certain que l’eau contenue dans le cumulus est brûlante. De cette façon, l’eau froide qui entrera en contact avec l’eau chaude sortant du robinet ne cuira pas. Puisqu’il est clair que l’on utilisera beaucoup d’eau chaude, l’eau restée dans le cumulus ne sera certainement pas en mesure de provoquer la cuisson de l’eau froide qui y entrera.

25. Chauffe-eau solaire (doud chémech)

    L’interdit toranique de cuire s’applique à une cuisson faite par le biais du feu (ech) ou des dérivés du feu (toledot haech), c’est-à-dire de corps qui ont chauffé par l’intermédiaire du feu. En revanche, il est permis de cuire à la chaleur du soleil. Par conséquent, il est permis de placer un œuf à un endroit où le soleil chauffe, jusqu’à obtention de la cuisson. Mais s’agissant de corps qui ont chauffé par l’intermédiaire du soleil, appelés dérivés du soleil (toledot hachémech), nos sages ont interdit de cuire par leur biais. Ils ont craint en effet que, si l’on permettait de cuire dans une poêle elle-même chauffée à la chaleur du soleil, les gens ne se trompent, n’en viennent à cuire également dans une poêle chauffée par le feu après l’avoir ôtée de celui-ci, et n’en viennent ainsi à transgresser un interdit toranique (Choul’han ‘Aroukh 318, 3, Michna Beroura 17).

Il se trouve donc qu’il n’est permis de cuire qu’à la chaleur du soleil lui-même, mais qu’il est interdit rabbiniquement de cuire à la chaleur des dérivés du soleil. Aussi, le statut halakhique du chauffe-eau solaire dépend-il de cette question factuelle : l’eau y chauffe-t-elle par l’effet du soleil ou par l’effet d’un dérivé du soleil ?

Selon plusieurs décisionnaires, il est interdit d’utiliser une eau provenant du chauffe-eau solaire, car l’eau y chauffe par le biais des capteurs solaires et des tuyaux noirs, qui sont des dérivés du soleil, si bien que toute extraction d’eau chaude du chauffe-eau solaire se traduit pas la cuisson de l’eau froide qui y pénètre à la place (Min’hat Yits’haq IV 44, Az Nidberou I 34). Autre motif d’interdiction : tout chauffe-eau solaire présente également une option de chauffage électrique ; il serait donc à craindre, s’il était permis d’utiliser l’eau chauffée par le biais du soleil, que l’on n’en vienne à s’autoriser l’utilisation d’eau chauffée électriquement. Aussi est-il souhaitable de s’abstenir de se servir de l’eau chaude provenant du chauffe-eau solaire (Chemirat Chabbat Kehilkhata 1, 51 au nom du Rav Chelomo Zalman Auerbach).

D’autres estiment qu’il est permis d’utiliser l’eau chaude provenant du chauffe-eau solaire, car cette eau doit, selon eux, être considérée comme chauffée par le soleil lui-même, le rôle des capteurs se bornant à aider la concentration des rayons du soleil et leur captage. Aussi n’y a-t-il rien de problématique à ce que, au moment où l’on ouvre le robinet d’eau chaude, de l’eau froide pénètre dans le chauffe-eau pour remplacer l’eau chaude utilisée ; en effet, il est permis d’en provoquer la cuisson, le Chabbat, par le biais des rayons du soleil (Rav Tsvi Pessah Franck, Har Tsvi, Ora’h ‘Haïm 188 ; Tsits Eliézer VII 19 ; Rav Kapah ; Yabia’ Omer IV 34 ; Or lé-Tsion II 30, 2)[29].

En pratique, puisqu’il s’agit d’une controverse portant sur une question rabbinique, et que, comme on le sait, en cas de doute portant sur une règle rabbinique on est indulgent, il est permis d’être indulgent et d’utiliser, le Chabbat, l’eau chaude provenant du chauffe-eau solaire. Celui qui est rigoureux pour lui-même sera béni pour cela ; mais il ne faut pas être rigoureux quand il s’agit de laver les bébés.

Il existe de nos jours un autre système de chauffe-eau solaires, prévu principalement pour les grands immeubles, et dans lequel l’eau chaude provenant des capteurs solaires reste en vase clos, dans des tuyaux. Ce dispositif communique avec la cuve, et l’eau froide qui s’y trouve chauffe au contact des tuyaux qui y sont plongés. En conséquence, l’eau froide chauffe par l’effet d’un dérivé du soleil. Aussi est-il interdit, le Chabbat, d’ouvrir le robinet d’eau chaude, car on causerait ainsi la cuisson de l’eau froide entrant dans le chauffe-eau. En revanche, la nuit de Chabbat, il est permis d’utiliser l’eau chaude qui a chauffé la veille de Chabbat, comme nous l’expliquons dans la note[30].

En pratique, puisqu’il s’agit d’une controverse portant sur une norme rabbinique, et que, comme on le sait, en cas de doute portant sur une telle norme, on est indulgent on pourra se permettre d’utiliser, le Chabbat, de l’eau chaude provenant du chauffe-eau solaire. Et celui qui veut se montrer plus rigoureux sera béni pour cela ; toutefois, il ne pourra pas se montrer rigoureux s’agissant de la toilette des petits enfants.

 


[29]. Il n’y a pas lieu de craindre que l’eau froide, en entrant dans le chauffe-eau solaire, ne chauffe au contact de l’eau chaude qui s’y trouve, eau chaude qui possède elle-même le statut de dérivé du soleil. En effet, il n’est pas certain que l’eau qui entrera dans le chauffe-eau solaire parviendra, au contact de l’eau chaude qui s’y trouve, au degré de yad solédet bo. Ce n’est que lorsque tout le chauffe-eau solaire est rempli d’eau très chaude que l’eau froide parviendra à un tel degré de chaleur. Mais si, dans la partie inférieure du chauffe-eau, l’eau n’est plus très chaude, elle ne sera pas en mesure de chauffer l’eau froide, et celle-ci ne pourra chauffer que par l’action des capteurs, c’est-à-dire du soleil. Même si le mode de réchauffement est douteux, nous retombons dans la catégorie de davar ché-eino mitkaven (résultat non intentionnel). Et même si la chose est certaine, il y a encore lieu d’être indulgent, car nous sommes en présence d’un psiq reicha dont la conséquence n’apporte pas de bénéfice à l’auteur de l’acte (psiq reicha dela ni’ha leh) et relève à deux égards du seul domaine rabbinique [cf. chap. 9 § 5, note 2], cas dans lequel la halakha est indulgente. En effet : a) la cuisson par le biais des dérivés du soleil est un interdit rabbinique ; b) l’entrée de l’eau froide dans le chauffe-eau solaire se fait de façon indirecte (grama) (cf. Har’havot sur notre passage, 24, 2 et 25). Et l’on ne tire pas de bénéfice de cela, car il est préférable que l’eau chauffe par l’effet des capteurs et non par l’effet de l’eau contenue dans le chauffe-eau, afin que l’eau froide ne provoque pas le refroidissement de celle-ci.

 

[30]. Dans le système ordinaire, quand on ouvre le robinet d’eau chaude, il est d’abord nécessaire de verser toute l’eau froide que contient, sur toute sa longueur, le tuyau descendant du chauffe-eau placé sur le toit, jusqu’au robinet. Tandis que, dans le système dont nous parlons à présent, l’eau chaude se trouve dans le chauffe-eau domestique et arrive immédiatement dans le robinet, si bien que ce système est économique en eau et en temps. De plus, il s’y accumule moins de tartre. Simplement, s’agissant du Chabbat, dans la mesure où l’eau froide se réchauffe au contact des tuyaux qui passent par le chauffe-eau, elle se trouve cuire par l’effet d’un dérivé du soleil, ce qui constitue un interdit rabbinique. On ne peut prétendre qu’il s’agisse d’un psiq reicha dela ni’ha leh be-derabbanan (psiq reicha dont la conséquence n’apporte pas de bénéfice à l’auteur de l’acte, dans le domaine des interdits rabbiniques, cf. chap. 9, note 2), car on tire en réalité bénéfice du fait que de l’eau froide entre dans le chauffe-eau solaire et y chauffe.

 

En revanche, la nuit de Chabbat, on ne tire pas de bénéfice du fait que de l’eau froide entre dans le chauffe-eau, car cette eau provoquera le refroidissement de l’eau chaude qui s’y trouve ; et puisqu’il n’y a pas alors de soleil pour réchauffer l’eau qui coule dans les tuyaux, l’eau contenue dans le chauffe-eau restera froide jusqu’au matin. Aussi, la nuit de Chabbat, il est permis d’utiliser l’eau chaude du chauffe-eau. Au contraire, le jour, on tire profit du fait que de l’eau froide entre dans le chauffe-eau, car cette eau chauffera rapidement par l’effet du soleil, lequel réchauffe l’eau contenue dans les tuyaux qui descendent des capteurs placés sur le toit. En cas de nécessité pressante, il se peut qu’il soit permis, même de jour, d’utiliser l’eau chaude restant de la veille de Chabbat, si l’on associe deux arguments : a) il est peut-être possible de considérer l’effet de cet acte comme indirect (grama, cf. Har Tsvi 188, Tsits Eliézer VII 19) ; b) une minorité de décisionnaires estiment qu’un psiq reicha n’est pas interdit dans le cas d’un acte dont la conséquence est une défense rabbinique (cf. chap. 9, note 2 ; Har’havot 9, 5, 4).

02. Permission de trier sur le mode alimentaire, défense de trier sur le mode laborieux

Le principe le plus important dans le domaine des lois de borer, c’est la division entre le fait de trier sur le mode de l’exécution d’un travail (dérekh mélakha, « mode laborieux »), et le fait de préparer des aliments afin de les consommer immédiatement (dérekh akhila, « mode de la consommation » ou « mode alimentaire »). Séparer, parce que l’on veut exécuter ce travail, la partie comestible du déchet alimentaire, est un interdit toranique. En revanche, prendre la partie comestible du sein du déchet, parce qu’on veut le consommer, est permis a priori.

Par exemple, si l’on a des cacahuètes décortiquées, mélangées avec des débris de leurs peaux fines, on n’est pas obligé de manger toutes les cacahuètes avec les peaux : il est permis de prendre la partie comestible d’entre les peaux, et de la manger. On ne réalise pas, ce faisant, la mélakha de trier, mais on se contente de consommer de la manière normale (dérekh akhila). L’autorisation ne s’applique pas seulement au fait de prendre une cacahuète et de la manger ; il est également permis de prendre de nombreuses cacahuètes d’entre les peaux, de les déposer dans une assiette, puis de s’installer à table et de manger ces cacahuètes, car cela aussi se fait sur le mode de la consommation. Même si l’on se livre à ce genre de tri pour les besoins d’autres personnes, cela reste permis. On peut donc prendre un très grand nombre de cacahuètes d’entre les peaux, et même éplucher d’autres cacahuètes pour les servir à ses amis.

Trois conditions doivent être réunies pour que le tri soit considéré comme exécuté sur le mode alimentaire (ou mode de la consommation, dérekh akhila), mode permis, et non sur le mode de l’exécution d’un travail (dérekh mélakha), mode interdit : a) il faut prendre la partie comestible (okhel) d’entre le déchet (psolet), et non le déchet d’entre la partie comestible ; c’est en effet de cette façon que l’on mange. En revanche, si l’on prend la partie non comestible d’entre la partie comestible, on trie sur le mode de l’exécution d’un travail (cf. § 6 et note 10). b) Il faut prélever la partie comestible à la main, de la manière dont on mange, et non par le biais d’un instrument destiné au filtrage ou au tri (§ 7). c) Cette préparation doit se faire à un moment proche de celui où l’on va manger. En revanche, si l’on trie longtemps avant de manger, on considère que cela relève de l’exécution d’un travail (§ 6).

Quand les trois conditions sont réunies, il est certain que l’on se livre aux préparatifs de son repas. Mais quand une des conditions manque, on est considéré comme se livrant à un travail de tri, interdit par la Torah[1].

Revenons à l’exemple que nous avions choisi : si l’on a des cacahuètes mélangées à des peaux, on peut prendre les cacahuètes et les manger, car les trois conditions sont réunies : a) on prend la partie comestible d’entre les déchets ; b) on fait cela à la main ; c) on le fait pour une consommation proche.

Mais si l’on retire les peaux afin de rendre les graines propres à la consommation, on transgresse un interdit toranique, puisque l’on retire le déchet d’entre la partie comestible, sur le mode de l’exécution d’un travail. De même, si l’on épluche les cacahuètes afin de les manger plus tard, on trie sur le mode laborieux et l’on enfreint un interdit toranique, puisque l’on ne fait pas cela pour les besoins d’une consommation proche. Dans le même sens, si l’on inventait un instrument destiné à extraire les graines de cacahuète de leurs enveloppes, il serait interdit de s’en servir pendant Chabbat, même pour une consommation immédiate.


[1]. Ces trois conditions sont basées sur le traité Chabbat 74a, tel que l’explique Rabbénou ‘Hananel ; c’est aussi en ce sens que se prononcent Maïmonide, Na’hmanide, le Ran et de nombreux autres auteurs, et c’est dans le même sens que se prononce le Choul’han ‘Aroukh 319, 1 et 4, tel que l’explique le Michna Beroura, dans son introduction au chap. 319 ; cette approche est partagée par tous les A’haronim.

 

Cependant, certains Richonim remettaient en cause deux de ces conditions. Selon eux, il n’était pas exact qu’un ustensile destiné au travail du tri fût toujours interdit : les Tossephot sur le passage de Chabbat cité, estiment que, selon Rachi, du moment que le tri se fait en vue d’une consommation immédiate, il est permis, même au moyen d’un tamis ou d’un crible. Selon Rabbénou Acher de Lunel, il est permis, si l’on veut manger tout de suite, d’extraire le déchet d’entre la partie comestible au moyen d’un kanon ou d’un tam’houï (instruments de tri) (Séfer Hahachlama).

 

S’agissant d’enlever le déchet d’entre la partie comestible, le Rid et d’autres Richonim estiment que c’est permis, dès lors qu’on le fait pour une consommation immédiate (le Birké Yossef, dans Chiouré Berakha, mentionne ces opinions). Bien que la halakha n’ait pas été tranchée en ce sens, on associe ces opinions à d’autres facteurs d’indulgence dans certains cas (Béour Halakha 319, 4 ד »ה מתוך). Cf. Har’havot.

03. Aliments de deux sortes mêlés

    Même quand la séparation vise deux sortes d’aliments mêlés, elle est interdite au titre de borer. Même si les deux espèces sont comestibles : dès lors que ces aliments appartiennent à deux catégories différentes et que je souhaite que chacune soit placée séparément, cela revient à dire que, à mes yeux, chacune des deux catégories constituera le « déchet » de l’autre. Dès lors, en les séparant, j’« arrangerais » chacune d’entre elles, et transgresserais l’interdit du tri (Choul’han ‘Aroukh 319, 3, Béour Halakha, passage commençant par Léékhol).

Par conséquent, si j’ai un mélange de noix et d’amandes, et que je veuille manger les noix seulement, les noix seront considérées à mon égard comme « partie comestible » (okhel), et les amandes comme « déchet » (psolet). Aussi serai-je autorisé à prendre les noix d’entre les amandes afin de les manger sans tarder, puisque tel est le mode normal de consommation. En revanche, si je mettais à part les amandes, je les séparerais semblablement à la mélakha de tri, et transgresserais par là un interdit de la Torah. Mais si je souhaitais présenter aux convives les noix d’un côté, les amandes de l’autre, les unes et les autres seraient considérées, à mon égard, comme « partie comestible », et il serait donc permis de les séparer les unes des autres afin de les servir immédiatement aux invités. En revanche, il est interdit de les séparer pour les servir plus tard (Béour Halakha 319, 3, passage commençant par Hayou Léfanav).

Dès lors qu’il existe une différence de goût entre deux aliments, ils sont considérés comme aliments de deux sortes. Par conséquent, des morceaux de viande grillée mélangés à des morceaux de viande bouillie, ou encore des morceaux de poulet mélangés à des morceaux de dinde, seront considérés comme appartenant à des catégories différentes, qu’il sera interdit de séparer. Cependant, quand tous les morceaux de viande appartiennent à la même catégorie, mais que les uns sont grands et les autres petits, il n’est pas interdit de distinguer les grands des petits (Rama 319, 3, d’après Teroumat Hadéchen)[2].


[2]. Certes, selon le Taz, le ‘Hayé Adam et le Ben Ich ‘Haï, la séparation de grands et de petits morceaux de même sorte est, elle aussi, interdite. Mais la majorité des décisionnaires, parmi lesquels le Maguen Avraham, le Peri ‘Hadach, le Choul’han ‘Aroukh Harav, le ‘Hida et le Michna Beroura 15, sont indulgents.

04. L’interdit ne s’applique que dans le cas d’un mélange

L’interdit de borer n’existe que lorsque les deux espèces ou catégories sont mélangées l’une à l’autre. En revanche, si elles sont posées l’une à côté de l’autre, il n’est pas interdit de les séparer. Par exemple, quand on a face à soi des noix et des cacahuètes mélangées, et que l’on veuille manger immédiatement les noix, il est permis de prendre les noix d’entre le mélange, mais interdit de mettre à part les cacahuètes. Mais si les unes et les autres sont posées en deux tas côte à côte, il sera permis de mettre à part toutes les cacahuètes afin de ne servir que les noix : puisqu’elles ne sont pas mélangées, l’interdit de borer ne s’applique pas à elles.

Quand des morceaux de poisson de différentes sortes sont mélangés, les lois du tri s’appliquent : il sera permis de prendre les morceaux que l’on désire pour les manger immédiatement, mais interdit d’extraire les morceaux que l’on ne veut pas. Même si ces morceaux sont grands, dès lors qu’ils sont mêlés les uns aux autres et qu’il faut faire un effort minimal pour chercher les morceaux que l’on désire, les lois de borer s’appliquent. En revanche, si tous les morceaux que l’on désire se trouvent au fond du plat, il sera permis de retirer ceux qui sont en dessus afin de recueillir les morceaux du fond. En effet, puisque ces morceaux sont déjà ordonnés – une catégorie en haut, l’autre en bas –, le fait de les séparer ne contrevient pas aux lois de borer (Rama 319, 3, Béour Halakha, passage commençant par Léékhol miyad ; cf. Chemirat Chabbat Kehilkhata 3, note 7).

Si l’on a des prunes et des pêches mélangées, et qu’elles ne soient pas nombreuses, elles ne sont pas considérées halakhiquement comme mélangées, car ce sont de grands fruits ; en tout état de cause, il sera permis de les séparer les unes des autres. Mais si elles sont nombreuses, elles doivent être considérées halakhiquement comme mélangées, et les lois de borer s’appliquent : il sera interdit de les séparer sur le mode du travail (dérekh mélakha), mais permis de prendre les fruits que l’on souhaite manger immédiatement, car c’est le mode normal de consommation.

Si l’on a une soupe, à l’intérieur de laquelle il y a des petits morceaux de viande ou de légumes : puisque ces morceaux sont petits et que, pour les extraire de la soupe, il faut s’appliquer à les chercher, les lois de borer s’appliquent. En d’autres termes, il sera permis, pour les manger tout de suite, d’extraire ces morceaux de la soupe, mais il sera interdit de les extraire de la soupe dans le but de manger la soupe sans ces morceaux. De même, il sera interdit de les extraire pour les manger plus tard. Mais si les morceaux de viande qui sont dans la soupe sont grands, ils ne sont pas considérés comme mélangés à la soupe, puisqu’il n’est pas besoin de s’évertuer à les chercher ; les interdits de borer ne s’y appliquent donc pas. Par conséquent, il sera permis de les faire sortir de la soupe afin de manger la soupe seule. De même, il sera permis de les extraire dans le but de les manger plus tard. La règle est la même en ce qui concerne les boulettes qui garnissent une soupe claire : elles ne sont pas considérées comme mélangées à la soupe[3].


[3]. C’est l’opinion qui détermine si une chose doit être considérée comme un tri ; et plus les éléments sont grands, plus ils doivent être nombreux pour être considérés comme mélangés. Cf. Chemirat Chabbat Kehilkhata 3, et note 7 du Rav Chelomo Zalman Auerbach ; Chevitat Hachabbat, Borer, Beer Re’hovot 22 et 25 ; Yalqout Yossef 319, 41 ; Menou’hat Ahava II 7, 37.

 

À ce propos, plusieurs décisionnaires indiquent qu’il existe une notion de borer en matière de bouteilles, lorsqu’elles semblent mélangées. Par exemple, si l’on a un carton de bouteilles, les unes pleines, les autres vides, il est interdit de sortir les bouteilles vides (Rav Chelomo Zalman Auerbach, Choul’han Chelomo 319, 4, 2, Ayil Mechoulach 19, note 91 au nom du Rav Yossef Chalom Elyachiv). Le Menou’hat Ahava II 7, 27 tend à l’indulgence. En pratique, tout dépend du nombre de bouteilles. De même, après une fête, s’il reste de nombreuses tranches de gâteau de différentes sortes, elles doivent être considérées comme mélangées, puisqu’elles sont nombreuses : il ne faudra donc pas les classer par catégorie.

 

05. L’interdit d’extraire le déchet d’entre la partie comestible

Comme nous l’avons vu, le « mode de la consommation » (dérekh akhila) consiste à prendre la partie comestible afin de la manger immédiatement ; en revanche, si l’on prend le déchet d’entre la partie comestible, on transgresse l’interdit de borer[4].

Même quand le déchet est en petite quantité, et qu’il est facile de l’extraire du sein du mélange, ce serait transgresser l’interdit toranique que de l’extraire. Par exemple, si une coquille d’œuf est tombée dans une salade d’œufs, il est interdit de n’extraire que cette coquille, car il est interdit d’extraire le déchet d’entre la partie comestible. On l’extraira donc avec un peu d’œuf ; et dans la mesure où l’on peut manger le morceau d’œuf (qui a été ainsi extrait aux côtés de la coquille), ledit morceau est doté d’une certaine importance ; par conséquent, on considèrera que, par ce retrait, on a séparé une partie comestible d’une autre partie comestible, ce qui n’est pas interdit. De même, si un pépin de citron est tombé dans la salade, on ne l’en fera pas sortir seul, mais on pourra l’en faire sortir avec un peu de salade (pour le cas d’un insecte que l’on veut extraire d’un plat, cf. infra § 15)[5].

De même, si l’on a une grappe de raisin qui porte de bons grains et des grains abîmés, il est interdit d’extraire de la grappe les raisins abîmés. Quand on voudra en manger, on prendra les bons grains, que l’on consommera.

Dans le même sens, si l’on n’aime pas l’oignon, et que l’on se voie servir une salade contenant des morceaux d’oignon, il sera interdit de les extraire de la salade, car, à son égard, ces morceaux ont le statut de « déchet ». Si l’on veut manger de cette salade, on mangera ce que l’on aime et on laissera les morceaux d’oignon dans l’assiette. Mais s’il se trouve un convive qui soit prêt à manger les morceaux d’oignon qui sont dans l’assiette de son camarade, il sera permis à ce dernier d’extraire ces morceaux pour que l’amateur d’oignon les mange immédiatement. De cette façon, les morceaux d’oignon seront, eux aussi, considérés comme okhel, partie comestible (Chemirat Chabbat Kehilkhata 3, 23-24).

De même, si je n’aime pas les champignons, et que l’on m’ait servi une soupe en contenant, il m’est interdit de les en extraire. Même si je prends, à chaque fois, un peu de soupe dans ma cuiller avec les champignons, il est évident, puisque je dois extraire beaucoup de champignons, que mon intention ne vise que ces derniers, si bien que l’on considère que je trie le « déchet » d’entre la partie comestible, et que je transgresse l’interdit (cf. ci-après, note 18). Mais si l’un des convives aime les champignons et se dit prêt à manger les miens derechef, il m’est permis de les extraire de mon assiette et de les faire passer dans celle du convive.


[4]. Si l’on a l’intention de prendre la partie comestible et que, par erreur, on ait pris du déchet, on n’a pas pour autant transgressé l’interdit toranique, car on n’a pas eu l’intention de trier. Et puisque l’on a déjà le déchet en main, on peut le mettre de côté (Chemirat Chabbat Kehilkhata 3, note 11. Certains disent qu’il convient de remettre le déchet dans le mélange, afin de ne pas profiter de son erreur : Menou’hat Ahava II 7, 9).

[5]. Selon le Michna Beroura (Béour Halakha 319, 4 ד »ה מתוך), si l’on prend, avec le déchet, un peu de la partie comestible, l’extraction est permise : puisque l’on prend aussi de ce qui est comestible, on ne considère pas que l’on extrait le déchet d’entre le comestible. C’est aussi l’avis du Chevitat Hachabbat (Borer, Beer Re’hovot 20). Certes, selon le ‘Hazon Ich, Ora’h ‘Haïm 53 et 54, 3, dès lors que l’intention se porte sur l’extraction du déchet, le peu de partie comestible qui l’accompagne ne sert de rien. Mais si l’on considère la position de tous les A’haronim, qui permettent d’enlever un insecte avec un peu du liquide où il est tombé (cf. ci-après, note 18), on peut en inférer que la halakha ne suit pas en cela la position du ‘Hazon Ich.

06. Immédiateté (lé-altar)

Comme nous l’avons vu (ci-dessus, § 2), l’interdit du tri s’applique lorsque le tri est réalisé « sur le mode laborieux » (à la façon d’un travail, dérekh mélakha), tandis que, si l’on sépare la partie comestible du déchet pour la manger immédiatement, cela ne constitue en rien la mélakha de borer, puisque c’est ainsi que l’on mange (dérekh akhila, « mode alimentaire » ou « mode de la consommation »). Par conséquent, si je veux casser des noix pour les membres de ma maisonnée, j’y suis autorisé à condition que ce soit pour les servir tout de suite. Mais s’il s’agit de les servir plus tard, la Torah l’interdit, car le mode d’exécution de cette action est alors considéré comme celui d’un travail, dérekh mélakha[a]. De même, si j’ai devant moi un mélange de graines noires et blanches, et que je veuille manger les noires, je transgresserais l’interdit toranique du tri si je mettais de côté les graines noires pour les manger plus tard. En revanche, si je désire les manger tout de suite, il m’est permis d’extraire toutes les graines noires que je souhaite manger.

Quand une femme vaque aux préparatifs du repas, il lui est permis de choisir les pièces à consommer, pour les besoins de toute sa famille et de ses invités. Par exemple, si elle a un mélange de cacahuètes et d’amandes, et qu’elle veuille présenter les amandes seulement, il lui est permis d’extraire les amandes avant le repas et de les disposer dans une assiette pour les servir à la fin du repas. Même si le repas doit durer trois heures, dès lors que l’on prépare ces amandes à l’approche immédiate du début du repas – puisque l’usage veut que l’on prépare tous les mets d’un repas avant le commencement de celui-ci, pour les servir au fur et à mesure de son déroulement –, l’extraction des amandes se fait bien sur le mode alimentaire, et non sur le mode laborieux du tri.

L’essentiel est que l’extraction de la partie désirée se fasse à proximité du repas, c’est-à-dire à un moment où l’on ait l’habitude de préparer le repas. En revanche, si l’on fait cette opération avant ce moment, on transgresse l’interdit de borer. Tout dépend du nombre de convives et de l’importance du repas. Le délai ne sera pas le même si le repas réunit cinq personnes ou s’il est donné pour trente personnes ; de même, le service d’un plat unique ne requiert pas autant de temps qu’un menu de trois plats.

Si l’on ne sait pas exactement à quel moment les gens de sa maisonnée reviendront de la synagogue, il est permis d’anticiper quelque peu, en extrayant la partie que l’on veut servir d’entre le « déchet », pour les besoins du repas, afin que, le moment venu, les convives n’aient pas à attendre. Mais on prendra soin de ne pas anticiper plus qu’il n’est nécessaire pour préparer le repas à l’approche de leur venue[6].

Si l’on a extrait la partie comestible d’entre le déchet, avec l’intention de ne satisfaire qu’aux besoins du  proche repas, et qu’il reste finalement de ce que l’on a préparé, pour un autre repas, on n’a pas enfreint d’interdit, à condition de n’avoir pas rusé dès l’abord en faisant cela intentionnellement (Choul’han ‘Aroukh Harav 319, 3, Michna Beroura 5)[7].


[a]. Il est intéressant de noter que, dans les deux cas, l’action est la même ; mais la destination que l’on affecte à cette action, dans laquelle intervient ici la notion de temps, permet de la qualifier du point de vue halakhique : activité alimentaire ou industrieuse.

[6]. C’est ce qui ressort du Rama 319, 1 et du Michna Beroura 4-6. C’est aussi la position du Igrot Moché IV 74, Borer 13, du Chemirat Chabbat Kehilkhata 3, 69, du Menou’hat Ahava II 7, 6. Le Ben Ich ‘Haï (deuxième année, Bechala’h 1) est indulgent, et permet d’extraire la partie désirée jusqu’à une heure avant le repas.

[7]. Si l’on extrait une partie consommable d’entre le déchet dans l’intention de la manger plus tard, on transgresse un interdit toranique ; même si, finalement, on la mange tout de suite, on n’aura pas réparé ainsi cette transgression. Si l’on extrait un comestible dans l’intention de le manger tout de suite, et que, finalement, sans que rien n’y oblige, on se ravise et l’on décide de le laisser pour un autre repas, on transgresse par là un interdit rabbinique, selon le Ben Ich ‘Haï (deuxième année, Bechala’h 3). Le Cha’ar Hatsioun 319, 5, au nom du Peri Mégadim, a une position proche. En revanche, si une contrainte oblige à renoncer à manger le comestible immédiatement, on n’enfreint pas d’interdit (Menou’hat Ahava II 7, note 31).

 

Un hôte qui veut servir des fruits à ses invités, et qui a un mélange de fruits dont certains sont bons et les autres abîmés, pourra, bien qu’il sache que ses invités ne mangeront que quelques fruits, extraire du mélange plus de fruits qu’il n’en sera mangé, si, pour l’honneur des convives, il convient d’en présenter une corbeille pleine. En effet, telle est la manière habituelle de présenter la nourriture, et l’on tire immédiatement jouissance de cette présentation (Ben Ich ‘Haï, ad loc., Chemirat Chabbat Kehilkhata 3, 44, note 129).

07. Extraction manuelle, et non au moyen d’un instrument

Nous l’avons vu (§ 2), il est permis de prendre la partie comestible d’entre le déchet sur le mode de la consommation, et l’une des trois conditions à cela est que l’opération se fasse manuellement, et non au moyen d’un instrument destiné au tri. Par exemple, si l’on a des graines décortiquées, mêlées à leurs coquilles, il est interdit de les filtrer au moyen d’une grille par laquelle passeraient les graines, tandis que les coquilles resteraient au-dessus ; même si l’on veut manger les graines immédiatement, la chose est interdite, car on se sert alors d’un ustensile.

Une cuiller, une fourchette, ne sont point considérées comme des ustensiles destinés au tri, mais comme des instruments aidant les mains à saisir l’aliment. Par conséquent, il est permis d’extraire par leur biais le comestible d’entre le déchet. Par exemple, si l’on a un plat où sont mélangées plusieurs sortes d’aliments, il est permis de prendre à la fourchette toutes les pièces de la catégorie que l’on souhaite manger, de les mettre dans une assiette et de les manger tout de suite.

Il est interdit d’extraire les noyaux d’olives au moyen d’un ustensile spécialement conçu à cet effet, car l’opération se ferait alors par le biais d’un ustensile destiné au tri (Chemirat Chabbat Kehilkhata 3, 59).

Dans de nombreuses salières, on met en plus du sel des grains de riz, pour que ceux-ci absorbent l’humidité et empêchent le sel de s’agréger. Or, bien que les trous de la salière soient petits, et que seul le sel puisse en sortir, il est permis de se servir d’une telle salière, le Chabbat, car elle n’est pas considérée comme un instrument destiné à trier, mais comme un instrument conçu pour distribuer le sel selon un dosage déterminé. La preuve en est que, même s’il n’y avait pas de grains de riz dans le sel, on se servirait de la salière (cf. encore § 8 au sujet de l’épluche-légumes ; § 13 au sujet de l’écumoire et du tri fait au moyen d’une louche ; note 15 pour ce qui concerne un ustensile destiné à extraire les olives de leur boîte tout en les égouttant ; et § 14 pour la théière).

08. Eplucher et dénoyauter

Il est permis d’éplucher un fruit pour le manger. Bien que l’épluchage ressemble à l’extraction du déchet d’entre la partie comestible, cela n’est pas interdit, car telle est la manière habituelle de consommer un fruit à écorce. Par conséquent, il est permis d’éplucher de l’ail, de l’oignon, de décortiquer des noix, d’écaler des œufs, d’éplucher des pamplemousses, des bananes, des oranges et les aliments du même genre, à condition que ce soit pour les manger immédiatement. Mais s’il s’agit de les manger plus tard, c’est interdit, car cette action s’exécuterait alors sur le mode du travail (Rama 321, 19). Si l’on se propose de les manger immédiatement, il est permis d’ôter l’écorce (ou la peau, la coquille etc.) au moyen d’un couteau, car cet ustensile est destiné à assister la main dans son activité alimentaire, et non à l’aider dans l’exécution d’un travail (cf. Igrot Moché, Ora’h ‘Haïm I 124)[8].

Quand on mange une prune, il est permis, au moment où l’on arrive au noyau, de jeter le noyau et de continuer à manger. Quand on mange un abricot ou une date, on les ouvre (et l’on vérifie qu’il n’y a pas de vers), on jette le noyau et l’on mange, car tel est le mode de consommation habituel (Michna Beroura 321, 84).

Quand on ouvre un melon pour le manger tout de suite, il est permis de jeter les pépins qui s’y trouvent, car leur extraction est assimilée à l’épluchage d’un fruit. De même, il est permis de retirer la peau du melon ou de la pastèque avant de les manger. Dans le même sens, il est permis de retirer la queue attachée au fruit avant de le manger (Chemirat Chabbat Kehilkhata 3, 18, 37-39 ; cf. ci-après § 10, où il est dit qu’il est permis d’enlever, avant de la manger, les pépins de la pastèque).

Les décisionnaires sont partagés au sujet des fruits ou légumes dont on peut manger la peau, comme la pomme, la poire, le concombre et la carotte : l’interdit de borer s’applique-t-il à leur épluchage ? Selon certains, puisque la peau est, elle-même, propre à la consommation, l’interdit de borer ne s’applique pas, et le cas est semblable au fait de couper le fruit en deux morceaux ; dès lors, il est permis d’éplucher ces fruits, même si l’on a l’intention de ne les manger que plus tard ; de même, il est permis de les éplucher à l’aide d’un épluche-légumes. D’autres estiment que, puisque l’on ne veut pas de cette peau, elle doit être considérée, à son égard, comme déchet, si bien que les règles de borer s’appliquent à ce cas ; par suite, l’épluche-légumes doit être considéré comme un instrument de tri, et il n’est permis en aucun cas de l’utiliser le Chabbat ; de même, ce n’est que pour une consommation immédiate qu’il sera permis d’éplucher ces fruits, à l’aide d’un couteau. Si l’on veut être indulgent, on a sur qui s’appuyer[9].


[8]. Le Beit Yossef et le Rama 321, 19 rapportent les propos du Séfer Mitsvot Gadol, de Rabbénou Yerou’ham, du Séfer Mitsvot Qatan, du Teroumat Hadéchen et du Hagahot Maïmoniot, selon lesquels il est interdit d’éplucher de l’ail et des oignons pour les conserver pour plus tard, car il est interdit de trier (mais si la consommation est prévue pour tout de suite, c’est permis, puisque l’acte se fait sur le mode alimentaire).

 

Cependant, si l’on se rapporte aux propos de plusieurs Richonim (Rabbénou ‘Hananel, le ‘Aroukh, le Méïri), il semble que la règle de borer ne s’applique pas quand les deux choses que l’on veut séparer sont attachées l’une à l’autre (me’houbarim). Toutefois, les commentateurs sont partagés quant à l’interprétation de leur opinion : le Tal Orot explique que, lorsque l’écorce ou la peau est entièrement attachée au fruit, comme dans le cas d’une orange, leur séparation n’est en rien frappée par l’interdit de borer ; en revanche, s’agissant d’ail ou d’oignon, dont la peau n’est pas tellement adhérente, les règles de borer s’appliquent (cité par Yalqout Yossef 319, 57-58). Selon d’autres, l’intention de ces Richonim était de dire que, dès lors que le déchet se trouve à côté de la partie comestible, que ces deux éléments soient entièrement attachés l’un à l’autre ou qu’ils soient quelque peu séparés – comme dans le cas de l’ail et de l’oignon –, les règles de borer ne s’appliquent pas, car celles-ci ne sont applicables que lorsque le déchet et la partie comestible sont mélangés (me’ouravim) (le Menou’hat Ahava II 7, notes 39-41, résume la question). Toutefois, en pratique, puisque nous sommes dans un cas de doute portant sur une règle toranique, les décisionnaires sont d’avis, dans leur grande majorité, d’être rigoureux, conformément à la décision du Beit Yossef et du Rama 321, 19. C’est ce qu’écrivent le Maguen Avraham et le Michna Beroura 321, 83. Dès lors, il n’est permis d’éplucher ces espèces que pour une consommation immédiate. Toutefois, quand d’autres facteurs de doute sont présents, on leur associe l’opinion indulgente.

[9]. On distingue à cet égard trois opinions :

  1. a) Le Maguen Avraham 321, 20 et le Michna Beroura 321, 84 interdisent d’éplucher les pommes pour les consommer plus tard. Cela laisse entendre que les principes de borer s’appliquent à l’épluchage. C’est aussi l’avis du Igrot Moché, Ora’h ‘Haïm IV 74, Borer De même, les responsa Ma’hazé Elyahou 51 et le Ayil Mechoulach, p. 104, interdisent l’utilisation d’un épluche-légumes.
  2. b) Le Chemirat Chabbat Kehilkhata 3, 34 (notes 88 et 90) retient comme opinion première et principale l’idée selon laquelle, si la majorité des gens ont l’habitude de manger la peau de certains fruits ou légumes, il est permis d’éplucher ceux-ci au moyen d’un épluche-légumes pour une consommation différée (c’est aussi ce qui ressort du Peri Mégadim, cité par le Cha’ar Hatsioun 97).

 

  1. c) Selon certains, même quand les peaux peuvent, en cas de nécessité pressante, se manger avec le fruit, l’interdit de borer ne s’applique pas, puisque la peau, elle aussi, fait partie du fruit. De plus, il faut associer à ce motif d’indulgence l’opinion de Rabbénou ‘Hananel et de ceux qui partagent son avis, selon lequel la notion de borer ne s’applique point à la découpe des peaux de fruits et de légumes (comme on l’a vu dans la note précédente), ainsi que l’opinion selon laquelle il est permis de trier à l’aide d’un ustensile à condition de manger immédiatement (cf. § 1). Tel est l’avis du Menou’hat Ahava II 7, 13. Le Yalqout Yossef 319, 58 et 61 écrit que ceux qui souhaitent être indulgents ont sur qui s’appuyer.

 

(Peut-être est-il permis d’avancer que, même aux yeux de ceux qui l’interdisent, l’interdit est seulement rabbinique, comme on peut l’inférer du cas cité par le Michna Beroura 319, 7 : le fait d’extraire d’une laitue les feuilles abîmées, dit-il, est un interdit toranique, mais si ces feuilles restent comestibles en cas de nécessité pressante, l’interdit est rabbinique.) Le Che’arim Hametsouyanim Bahalakha 80 autorise l’emploi d’un épluche-légumes, qu’il considère comme un couteau et non comme un instrument spécifique au tri.

 

Il semble que l’on puisse a priori s’appuyer sur la deuxième opinion ; et celui qui veut être indulgent, conformément à la troisième, a sur qui s’appuyer.

09. Arêtes de poisson et os

    Si l’on mange du poisson qui contient des arêtes, on est autorisé à extraire les arêtes tout en mangeant. C’est-à-dire que l’on commencera à manger le poisson, et quand se présenteront des arêtes qui dérangeront la poursuite de la consommation, on les extraira à la main ou à la fourchette, puis on continuera de manger. La règle est la même si l’on mange une viande osseuse : on commence par manger de cette viande, puis, quand on rencontre un os qui dérange la poursuite de la consommation, on l’enlève à la main ou à la fourchette, et l’on continue de manger. Pour les besoins d’un petit enfant, il est permis d’extraire d’abord les arêtes ou les os, puis de faire manger le poisson ou la viande à l’enfant, comme on en a toujours l’usage.

Certes, il y a des décisionnaires rigoureux, qui estiment que l’extraction des arêtes de poisson ou des os est interdite, car il est défendu d’extraire le déchet d’entre la partie comestible. Selon eux, c’est la partie comestible du poisson ou de la viande qu’il faut extraire d’entre les arêtes ou les os. Mais en pratique, la position indulgente est la principale : au cours de la consommation, il est permis d’enlever les arêtes du poisson ou les os de la viande, car tel est le mode habituel de consommation (dérekh akhila)[10].

Mais s’il s’agit d’os secs ou d’arêtes sèches, qui sont mêlés au plat, on les considère comme des déchets ordinaires, qu’il est interdit d’extraire d’entre la partie comestible, puisqu’ils ne sont pas solidaires de la chair. On mangera donc le mets en laissant les arêtes ou os dans son assiette (Béour Halakha 319, 4, fin du passage commençant par Mitokh ; Ben Ich ‘Haï, seconde année, Bechala’h 11).


[10]. Opinion rigoureuse : selon le Maamar Mordekhaï 319, 7 et le ‘Hazon Ich 54, 3, il est interdit d’extraire les arêtes et les os. On prendra la partie comestible et on laissera les os dans l’assiette. On peut, à cette fin, tenir l’os ou l’arête, de la main ou du couteau, et, de l’autre main ou de la fourchette, prendre la chair. Bien que, d’une main, on tienne l’os, on ne peut dire que l’on extraie le déchet d’entre la partie comestible, puisque de l’autre main on prend cette dernière. On peut encore introduire le morceau dans sa bouche, puis retirer les os de celle-ci, ou les arêtes. S’il y a un peu de viande sur l’os, de chair de poisson sur l’arête, on peut extraire cet os ou cette arête de la viande ou du poisson et manger la chair qui y est attachée, puis jeter le déchet. Mais si rien de comestible n’y est attaché, il est interdit de les enlever.

 

Mais de nombreux décisionnaires estiment qu’il est permis d’extraire les arêtes du poisson ou les os de la viande avant de manger. Cette autorisation repose sur trois fondements :

 

1) Le premier, qui est le principal, est que telle est la manière normale de manger le poisson et la viande (dérekh akhila). C’est ce qu’écrivent le Béour Halakha 319, 4 ד »ה מתוך, le Ben Ich ‘Haï, seconde année, Bechala’h 10 et le Yalqout Yossef 319, 37 (d’après le Mahari ben ‘Haviv et le Tséma’h Tsédeq).

 

2) Deuxième principe : même quand la manière habituelle de consommer l’aliment ne consiste pas à extraire d’abord le déchet, plus le moment où l’on ôte le déchet est proche du moment de la consommation, plus nombreux sont ceux qui pensent que la chose n’est pas interdite, parce que cette proximité même est considérée comme caractéristique de la façon dont on mange.

 

  1. a) Comme nous l’avons vu en note 1, selon le Rid et plusieurs autres Richonim, il est permis d’extraire le déchet d’entre la partie comestible afin de manger celle-ci « immédiatement » (c’est-à-dire lors du proche repas). Et bien que le Choul’han ‘Aroukh 319, 4 l’interdise, il y a lieu d’associer cette opinion aux autres facteurs d’indulgence.

 

  1. b) Si l’on se place du point de vue même du Choul’han ‘Aroukh, les décisionnaires controversent quant au fait de savoir si l’interdit d’extraire le déchet d’entre la partie comestible s’applique également au moment même où l’on manger le plat servi. Pour le Mahari Aboulafia, dans un tel cas, l’extraction du déchet est permise ; pour le Maharit Tsahalon, cela reste interdit. Le Béour Halakha 319, 4 ד »ה הבורר note qu’il s’agit d’une controverse entre Richonim. Nous voyons donc que, selon les décisionnaires indulgents, même si le mode habituel de consommation de tel poisson ne consiste pas à enlever d’abord les arêtes, il resterait permis de les enlever car, dès lors que l’on est sur le point de le manger immédiatement, on considère que cela relève du mode de la consommation (dérekh akhila).

 

  1. c) Selon le Chevitat Hachabbat (Borer, Beer Re’hovot 3), tous les Richonim reconnaissent que, si l’on commence à manger, puis que l’on rencontre un os au cours de sa consommation, il est permis de l’enlever, car cela ne participe pas du mode laborieux (dérekh mélakha) mais du mode alimentaire (dérekh akhila).

 

3) Troisième principe : on peut associer aux autres motifs d’indulgence la position de Rabbénou ‘Hananel et d’autres Richonim (cf. note 8), selon laquelle l’interdit de borer ne s’applique pas quand les deux éléments sont attachés (me’houbar). Le Béour Halakha 319, 4 fait un raisonnement proche (cf. aussi Menou’hat Ahava 7, 14-15).

 

En pratique : le Béour Halakha justifie le fait d’extraire les arêtes du poisson avant de le servir. Certains ne sont indulgents qu’au moment où l’on est véritablement sur le point de manger la bouchée ; en un tel cas, le Béour Halakha admet que c’est permis a priori ; c’est aussi la position du Chévet Halévi I 83 et du Menou’hat Ahava 7, 15. Le Igrot Moché (Ora’h ‘Haïm IV 74, Borer 7) est indulgent, à cet égard, pour qui a des difficultés à manger autrement. (Le Chemirat Chabbat Kehilkhata 3, 12-14 rapporte les deux opinions.) Dans le corps de texte, nous écrivons que l’on peut extraire l’arête ou l’os après avoir commencé à manger, afin de pouvoir être quitte aux yeux de tous, selon le Chevitat Hachabbat mentionné ci-dessus.

 

Toutefois, si l’on veut donner du poisson à un petit enfant, on est autorisé à extraire les arêtes préalablement car, comme nous l’avons vu, tel est l’avis d’une nette majorité de décisionnaires.

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