Zmanim

04. Les trois serments

Il est écrit dans le Cantique des Cantiques (2, 7) : « Je vous adjure, filles de Jérusalem, par les gazelles ou par les biches des champs, de ne pas éveiller, de ne pas réveiller l’amour avant qu’il ne le désire. » Nos sages élaborent sur le mode midrachique : « Le Saint béni soit-Il a fait prêter trois serments ; deux à Israël : ne pas émigrer en terre d’Israël comme une muraille, et ne pas se rebeller contre les nations ; une aux non-Juifs : ne pas trop asservir Israël » (Ketoubot 111a). Après cela, la Guémara mentionne trois autres serments que le Saint béni soit-Il a fait prêter à Israël : « Ne pas dévoiler le terme [de la Délivrance] ; ne pas éloigner le terme ; ne pas dévoiler le secret aux non-Juifs. » De plus, Rabbi Eléazar a dit : « Le Saint béni soit-Il a dit à Israël : “Si vous respectez ce serment, c’est bien ; sinon, J’abandonne votre chair, comme celle des gazelles et des biches des champs.” » Pour Rabbi Yits’haq de Leon, auteur du Méguilat Esther, ces serments signifient « qu’il nous est interdit de nous révolter contre les nations et d’aller conquérir de force la terre d’Israël », et tel est, selon lui, le sens de l’expression « ne pas émigrer en terre d’Israël comme une muraille ». L’auteur en conclut qu’il n’y a pas de mitsva de peupler et édifier la terre d’Israël (yichouv haarets) avant la venue du Messie (dans sa note sur Na’hmanide, commentaire de la mitsva positive n°4 du Séfer Hamitsvot).

Mais de l’avis des autres grands Richonim et A’haronim, la mitsva de peupler et édifier la terre d’Israël est ferme et permanente, comme l’écrit Na’hmanide, comme le tranche le Choul’han ‘Aroukh (Even Ha’ézer 75, 3-5), et comme l’écrit le Pit’hé Techouva (Even Ha’ézer 75, 6). Nous voyons donc qu’il ne faut pas déduire de ce passage aggadique que la mitsva de yichouv haarets n’existe pas de nos jours.

De nombreuses explications ont été avancées quant à la signification des trois serments. Ce qui ressort de différents commentaires, c’est qu’il ne faut pas hâter le dénouement et émigrer en terre d’Israël de façon forcée, sans prendre en compte les données de la réalité. Il est en effet à craindre que, en raison de l’oppression de l’exil et de la longue attente de la Délivrance, on s’efforce de rejoindre le pays sans avoir la possibilité concrète de le construire ni de faire face aux nations du monde. Alors, cette immigration forcée n’apporte que crise et destruction, et non le commencement de la Délivrance. C’est pourquoi le Saint béni soit-Il nous a adjuré de ne point nous rendre collectivement en terre d’Israël sans préparer convenablement notre chemin : nous devons au contraire nous installer dans le pays et le construire de manière graduelle, en coordination avec les nations du monde, ou encore par l’effet de miracles dévoilés émanant du Ciel, suivant l’expression biblique a’hichéna (Délivrance hâtive[c]).

Et en effet, l’émigration en terre d’Israël s’est faite graduellement : le peuplement juif du pays s’est affermi étape par étape ; parallèlement, une activité diplomatique se déploya, par le biais de l’Organisation Sioniste Mondiale, jusqu’à ce que les nations du monde elles-mêmes reconnussent le droit du peuple juif à retourner sur sa terre et à y construire son foyer national. C’est ainsi que Rabbi Méïr Sim’ha de Dvinsk – que la mémoire du juste soit bénie – écrivit, après l’accord de la Société des nations exprimé dans le cadre de la Conférence de San Remo : « La peur des serments a cessé[3]. »


[c]. Cf. ci-dessus § 2, avant-dernier alinéa, et note a.

[3]. Ses paroles sont citées dans Hateqoufa Haguedola p. 175. Mentionnons quelques sources : Rachi explique l’expression ne pas émigrer comme une muraille en ces termes : « ensemble, de force (beyad ‘hazaqa) ». Le Avné Nézer, Yoré Dé’a 453 écrit que, si l’on émigre en terre d’Israël avec l’autorisation des nations, on ne saurait considérer que l’on agit « de force ». C’est aussi l’opinion du Rav Teichtal dans Em Habanim Seme’ha pp. 147-148 ; le Rav Teichtal ajoute que, lorsque de dures épreuves frappent les Juifs de diaspora, c’est le signe céleste que nous devons nous rendre en terre d’Israël (cf. op. cit., index). Ce principe est exposé de façon plus succincte dans Linetivot Israël, t. 2 pp. 274-275.

Dans son entier, le Hateqoufa Haguedola est empli de sources de la mitsva du yichouv haarets et de la notion de commencement de la Délivrance, ainsi que d’éclaircissements sur les serments mentionnés par le Talmud ; cf. notamment pp. 175-176, 273 s.

Même si certains auteurs veulent interpréter différemment les trois serments, nous avons pour principe que l’on n’apprend pas la halakha (la règle juridique) de propos aggadiques (non-juridiques, narratifs ou philosophiques), comme l’écrit le Avné Nézer, Yoré Dé’a 454. Aussi, le Rif, le Roch et les autres Richonim commentant le traité Ketoubot ne mentionnent-ils pas les trois serments ; bien au contraire, ils écrivent que s’installer sur la terre d’Israël est une mitsva. Ainsi, Maïmonide et l’auteur du Choul’han ‘Aroukh ne reportent pas les trois serments dans leurs ouvrages.

Le Pné Yehochoua sur Ketoubot écrit que, d’une autre source talmudique, Yoma 9b, on peut entendre le contraire : que, si la Délivrance ne vient pas, c’est parce que les Juifs n’ont pas émigré comme une muraille en terre d’Israël ; or, puisque nous avons affaire à des passages aggadiques antagonistes, il faut les entendre d’une autre manière, qui n’a pas trait à la halakha. Selon l’auteur du Haflaa (Ketoubot ad loc.), il n’est question de muraille qu’à l’égard de l’émigration de Babylonie. Selon le Gaon de Vilna, dans son commentaire sur le Cantique des cantiques, les serments visent la reconstruction du Temple : il ne faut pas s’insurger en tentant de le reconstruire sans avoir reçu d’instruction divine par le biais d’un prophète. Selon Rabbi Tsadoq Hacohen de Lublin, dans Divré Sofrim 14, l’auteur du Méguilat Esther lui-même reconnaîtrait, de nos jours, que peupler la terre d’Israël est une mitsva. Cf. la large mise au point sur la question qu’effectue le Na’halat Ya’aqov du Rav Ya’aqov Zisberg, t. 2 pp. 715 à 815.

05. Fixation de Yom Ha’atsmaout comme jour de fête

C’est une mitsva que d’instituer comme jours de fête, destinés à la joie et à la reconnaissance envers Dieu, les jours où Israël a bénéficié d’un secours céleste. C’est d’après ce principe que Pourim et ‘Hanouka furent institués comme fêtes pour toutes les générations. Bien qu’il soit interdit d’ajouter des mitsvot à ce qui est écrit dans la Torah, cette mitsva est déduite par un raisonnement a fortiori : si, pour la sortie d’Egypte, où nous fûmes sauvés de l’esclavage et accédâmes à la liberté, il nous a été ordonné de fêter Pessa’h et de réciter un cantique d’année en année, à plus forte raison devons-nous fêter Pourim, où nous fûmes sauvés de la mort et rendus à la vie (d’après Méguila 14a). Sur cette base, nos sages instituèrent ‘Hanouka (Ritva ad loc.). Le ‘Hatam Sofer (Yoré Dé’a, fin du chap. 233, Ora’h ‘Haïm 208) explique : puisque nous apprenons cette mitsva par raisonnement a fortiori, elle est considérée comme mitsva toranique. Simplement, la Torah ne donne pas d’instructions détaillées sur la manière de fêter ces jours ; aussi, quiconque y marque, par quelque acte commémoratif, le salut dont nous avons bénéficié, est quitte de son obligation toranique. Ce sont les sages qui ont fixé la lecture de la Méguila, le festin, l’échange de mets et les cadeaux aux pauvres à Pourim, ainsi que l’allumage des lumières de ‘Hanouka.

Tel était également l’usage, dans de nombreuses communautés juives, que de fixer des jours de joie en souvenir de miracles dont elles avaient bénéficié. Dans de nombreuses communautés, on empruntait le nom de Pourim pour désigner ces fêtes : Pourim de Francfort, Pourim de Tibériade… Dans certains endroits, on a pris l’usage, ces jours-là, de faire un festin, d’échanger des mets et de faire des cadeaux d’argent aux pauvres. Selon le Maharam Alachkar (chap. 49), l’institution de telles fêtes par ces communautés a force exécutoire, et toute la descendance des membres d’une telle communauté a l’obligation de maintenir leur fête, même si l’on s’est installé, entre-temps, en d’autres lieux, où sont d’autres communautés. D’autres A’haronim se prononcent dans le même sens (Maguen Avraham 686, 5, Elya Rabba ad loc.)[4].

C’est dans ce même sens que l’illustre érudit Rabbi Méchoulam Ratha écrivait : « Il ne fait pas de doute que ce jour (le 5 iyar), qui a été institué par le gouvernement, les députés (lesquels sont les élus de la majorité du peuple) et la majorité des grandes autorités rabbiniques pour être fêté dans tout le pays, en souvenir du miracle de notre secours et de notre libération, c’est une mitsva que d’en faire un jour de joie et de fête, et d’y réciter le Hallel » (responsa Qol Mevasser I 21)[5].


[4]. Le Peri ‘Hadach, Ora’h ‘Haïm 496, dans son Qountras Haminhaguim 14, ne partage certes pas l’opinion du Maharam Alachkar. Il écrit qu’après la destruction du Temple et l’annulation de la Méguilat Ta’anit [texte énonçant une liste de dates où Israël a bénéficié d’événements favorables, et où il est donc interdit de jeûner], on n’institue plus de fêtes. Mais le ‘Hatam Sofer, Ora’h ‘Haïm 191 démontre qu’il y a toujours lieu d’instituer des fêtes. Selon lui, si l’on a annulé, après la destruction du Temple, les jours de joie énumérés dans la Méguilat Ta’anit, on visait par-là les jours de joie liés au Temple.

Le ‘Hatam Sofer ajoute que lui-même, bien qu’il ait changé de domicile, conserve toujours le jour de fête du 20 adar (Pourim de Francfort) en tant que coutume de sa ville de naissance. Il est également connu que Maïmonide s’était fixé, ainsi qu’à sa descendance, des jours de fête pour commémorer différentes occasions de secours céleste dont il bénéficia, par exemple lorsqu’il fut sauvé d’une tempête en mer. Le ‘Hayé Adam se prononce dans le même sens (155, 41). Le Yaskil ‘Avdi VII, Ora’h ‘Haïm 44 (12), rapporte de nombreux exemples d’institution d’une fête de Pourim local, dans différentes communautés. Sur cette base, le Yaskil ‘Avdi (VIII, Hachmatot 4) décide que l’on peut fixer un jour de fête à Yom Ha’atsmaout. Signalons encore deux sources, parmi les Richonim : Ibn Ezra sur Nb 10, 10, et Rabbénou Tam, tel que cité par les disciples de Rabbénou Yona au traité Berakhot (pages du Rif 8a).

[5]. Le Gaon Rav Méchoulam Ratha (qui, selon notre maître, le Rav Tsvi Yehouda Kook, était le guedol hador – le plus grand maître de la génération – depuis le décès du Rav Avraham Yits’haq Kook, que la mémoire du juste soit bénie), dans ses responsa Qol Mevasser I 21 (2-3), se fonde sur Na’hmanide, le Ritva et d’autres Richonim et A’haronim, pour expliquer le fondement de la mitsva d’instituer une fête à Yom Ha’atsmaout. Cela se déduit, dit-il, par un raisonnement a fortiori [cf. début du présent paragraphe]. Aussi n’est-il pas à craindre qu’une telle institution enfreigne l’interdit de bal tossif (interdit d’ajouter au nombre des mitsvot). Car l’interdit d’instituer, de façon fantaisiste, des fêtes, s’il existe en effet, ne concerne que des fêtes qui ne célèbrent pas le souvenir d’un secours céleste. En revanche, quand c’est pour célébrer le secours divin qu’une fête est instituée, celle-ci est obligatoire, ce que l’on apprend par raisonnement a fortiori. L’auteur ajoute qu’il est interdit aux prophètes d’ajouter de nouvelles fêtes en se fondant sur leur prophétie. Enfin, si l’on a eu besoin, à Pourim, d’une élaboration midrachique particulière, fondée sur un verset (comme l’explique le traité Méguila 7a), c’est pour fixer le livre d’Esther au sein du canon biblique [et non pour décider du principe même de la fête].

Il faut prêter attention aux propos précis de Rabbi Méchoulam Ratha : cette question a été décidée d’après la majorité des grandes autorités rabbiniques.

(Certes, quant au fait de savoir s’il faut réciter la bénédiction du Hallel, les décisionnaires se sont montrés plus partagés ; mais s’agissant de l’obligation même de marquer notre reconnaissance et notre joie, l’opinion de la majorité des grandes autorités rabbiniques s’est ainsi dégagée.)

Quant à l’observation du ‘Hatam Sofer, Ora’h ‘Haïm 191 ד »ה מיהו, selon lequel il est à craindre que l’on n’enfreigne l’interdit d’ajouter aux mitsvot de la Torah en instituant une fête applicable à l’ensemble du peuple juif, son intention ne vise là que les cas de miracles dont une seule communauté a bénéficié. Mais s’agissant d’un miracle qui touche à l’ensemble du peuple juif, on a au contraire l’obligation de fixer un jour de fête applicable à tout le peuple. Cf. encore le Hilkhot Yom Ha’atsmaout Véyom Yerouchalaïm du Rav Rakover, qui reproduit des articles des Grands-Rabbins d’Israël et d’autres grands maîtres, quant à la mitsva d’instituer un jour de fête à Yom Ha’atsmaout.

Certains objectent : « Pourquoi Josué n’a-t-il pas institué de fête lors de la conquête du pays ? » La réponse est que la fête de Pessa’h fut instituée pour la Délivrance d’Egypte et l’entrée dans le pays – ce qui correspond à la cinquième expression de Délivrance [Ex 6, 8 : « Et Je vous amènerai sur la terre que J’ai juré de donner à Abraham, à Isaac et à Jacob, et Je vous la donnerai pour héritage, Je suis l’Eternel »]. Rabbi Tsadoq Hacohen de Lublin (Peri Tsadiq, sur le 15 av) estime que c’est le 15 av (Tou be-av) qui a été institué à cet effet. Cf. encore ci-après, note 7.

06. Récitation du Hallel

C’est une mitsva que de réciter le Hallel, certains jours particuliers, afin d’exprimer notre reconnaissance envers Dieu et de Le louer pour les miracles qu’Il fit en notre faveur. Au premier rang de ces jours, figurent les jours de fête (Yom tov, pl. Yamim tovim) qui nous sont ordonnés dans la Torah : Pessa’h, Chavou’ot et Soukot. Ces jours-là, nous nous souvenons des miracles et des bienfaits que l’Eternel accomplit en notre faveur lorsqu’Il nous fit sortir d’Egypte, nous donna la Torah et nous conduisit dans le désert jusqu’à la terre d’Israël.

Nos sages ont décrété que le Hallel serait également récité tous les jours de ‘Hanouka, comme le rapporte une baraïtha (Méguilat Ta’anit 9) :

Qu’ont vu nos maîtres, qui les ait conduit à décréter la lecture du Hallel durant ces jours ? Cela nous apprend que, pour tout secours dont le Saint béni soit-Il gratifia Israël, nous devons lui présenter nos louanges et éloges ; ainsi qu’il est dit au livre d’Ezra : « Ils entonnèrent des louanges et des actions de grâce en l’honneur de l’Eternel : “Car Il est bon, car sa grâce est éternelle…” » (3, 11).

De même, le Talmud explique que, après le miracle de l’ouverture de la Mer rouge, « les prophètes qui se trouvaient parmi eux décidèrent que les Israélites prononceraient une louange : pour tout toute période difficile, ou toute détresse qui les éprouverait – ce qu’à Dieu ne plaise –, ils prononceraient leur louange quand ils en seraient délivrés, pour [remercier Dieu de] leur délivrance » (Pessa’him 117a). Rachi explique que c’est sur cette base que, à l’époque du Deuxième Temple, les sages ont institué la récitation du Hallel à ‘Hanouka.

Par conséquent, il nous revient de réciter le Hallel pour le miracle qu’accomplit l’Eternel en notre faveur à Yom Ha’atsmaout, où nous fûmes sauvés de la plus grande détresse, celle de l’exil et de l’asservissement à des peuples étrangers, qui causèrent toutes les terribles persécutions et exterminations pendant deux mille ans[6].

Il faut avoir grand soin de n’être pas ingrats envers le Saint béni soit-Il. Nos sages ont déclaré : « Quiconque reconnaît le miracle dont il a fait l’objet méritera que lui soit prodigué un autre miracle. » En revanche, si nous n’exprimons pas de reconnaissance, nous éloignons la Délivrance, ce qu’à Dieu ne plaise. Dans le même sens, on raconte que le roi Ezéchias était un grand juste et qu’il eut le mérite d’accroître la connaissance de la Torah parmi le peuple juif. Or il connut des jours pénibles, quand Sennachérib, roi d’Assyrie, marcha contre Jérusalem pour la détruire, à la tête d’une immense armée ; et Ezéchias lui-même tomba gravement malade. Malgré cela, il ne perdit point sa foi, et il pria l’Eternel. Le Saint béni soit-Il produisit un miracle en sa faveur : Il guérit Ezéchias de sa maladie, et fit périr toute l’armée de Sennachérib en une nuit. À ce moment, le Saint béni soit-Il souhaita faire d’Ezéchias son Messie, de Sennachérib l’incarnation de Gog et Magog, et amener la Délivrance sur le monde. Mais Ezéchias ne récita pas de louange – c’est-à-dire de Hallel – pour sa propre délivrance. Alors la mesure de stricte justice dit devant le Saint béni soit-Il : « Maître de l’univers, le roi David, qui a récité devant toi de nombreux chants et louanges, Tu n’as pas fait de lui le Messie ; et Tu ferais d’Ezéchias ton Messie, lui à qui Tu as prodigué tous ces miracles et qui n’a point dit de cantique ! » C’est ainsi que l’opportunité se referma. Ce fut une grande douleur dans tous les mondes ; la terre voulut entonner un chant à la place d’Ezéchias, et le Prince du monde[d] voulut prendre sa défense, mais leurs paroles ne furent pas exaucées, et l’occasion fut perdue. Le prophète dit alors (d’après Is 24, 16) : « Malheur à moi, malheur à moi ! Jusqu’à quand ? » (Sanhédrin 94a).

Nous-mêmes, pendant de nombreuses générations, nous avons prié : « Elève l’étendard du rassemblement de nos exilés », ou encore : « Conduis-nous bientôt, la tête haute, dans notre pays. » Et maintenant que notre prière est exaucée, nous ne serions pas reconnaissant ? Dans le même sens, il est écrit : « Secours-nous, Eternel, notre Dieu, et rassemble-nous d’entre les peuples, pour exprimer notre reconnaissance envers ton nom saint, pour te glorifier en t’adressant des chants de louange » (Ps 106, 47). Et maintenant, lorsque Dieu nous rassemble, nous n’exprimerions pas notre reconnaissance à l’égard de son saint nom ? Nous ne le glorifierions pas en chantant sa louange ?


[6]. Le Talmud de Jérusalem (Pessa’him 10, 6) explique, de même : « Quand le Saint béni soit-Il produit des miracles en votre faveur, dites un cantique (chira) » ; ce que vise ce passage talmudique, c’est la récitation du Hallel. Dans le même sens, nous trouvons dans le Midrach Rabba sur l’Exode (chap. 23, paragraphe 12), au sujet du cantique de la Mer rouge : « Il est dit : “[Alors, Moïse et les enfants d’Israël chantèrent ce cantique à l’Eternel,] ils dirent…” [ויאמרו לאמור, littéralement ils dirent en disant, ou ils dirent pour que soit dit]. Cela nous apprend qu’il nous revient d’enseigner à nos enfants, et nos enfants à leurs enfants, qu’ils devront réciter un semblable cantique devant Dieu, lorsqu’Il produira des miracles en leur faveur. »

Le Talmud (Méguila 14a) demande : « Pourquoi ne dit-on pas le Hallel à Pourim ? » Trois réponses sont citées : a) à partir de l’entrée des Hébreux en terre d’Israël, on ne récite plus le Hallel pour un miracle qui s’est produit en dehors du pays ; b) Rav Na’hman a dit : « La lecture de la Méguila (le rouleau d’Esther) tient lieu de récitation du Hallel » ; c) Rav a dit : « Parce que le Hallel ne se récite que lorsqu’on est également sauvé de l’asservissement ; tandis qu’à Pourim, nous restions assujettis à la royauté d’Assuérus. » Or le miracle de Yom Ha’atsmaout s’est produit en terre d’Israël, et nous fûmes alors délivrés de l’asservissement des autres pays. Par conséquent, conformément à toutes les opinions, il faut réciter le Hallel.

Les décisionnaires sont partagés quant au fait de savoir si l’obligation de réciter le Hallel pour avoir été sauvé de la détresse est toranique ou rabbinique. Selon le Halakhot Guedolot et d’autres Richonim, c’est une obligation de la Torah. Simplement, jusqu’à l’époque de David, il n’avait pas été fixé de texte précis pour accomplir cette mitsva de la louange, chacun formant son propre rituel. Après l’époque de David et la rédaction du Livre des Psaumes, les prophètes prescrivirent de dire certains psaumes choisis : par cela, on s’acquitterait désormais de la mitsva d’exprimer sa louange et sa reconnaissance. Selon Maïmonide, en revanche, toute l’obligation de réciter le Hallel, que ce soit lors des fêtes toraniques ou pour tout sauvetage dont Israël serait gratifié, est de rang rabbinique. Selon le Natsiv (Chéïltot 26, 1), c’est une mitsva de la Torah que d’exprimer sa louange au moment même d’un miracle, comme on le voit avec le Cantique de la Mer rouge, puis, chaque année suivante, la mitsva a rang rabbinique. Mais des propos du ‘Hatam Sofer, Ora’h ‘Haïm 208 ד »ה ומ »מ et Yoré Dé’a, fin du chap. 233, il ressort que l’auteur considère l’obligation comme toranique chaque année.

[d]. Sar ha’olam, appellation d’un ange du service.

07. Faut-il réciter la bénédiction du Hallel ?

Certains estiment que, bien qu’il y ait lieu d’exprimer sa reconnaissance envers Dieu à Yom Ha’atsmaout, il ne faut pourtant pas dire la bénédiction du Hallel. Ils relèvent cinq raisons principales à cela :

  1. a) Selon le ‘Hida, qui se fonde lui-même sur plusieurs Richonim, on ne peut dire le Hallel assorti de sa bénédiction que lorsqu’un miracle s’est produit pour tout le peuple juif. Or, le jour de l’Indépendance, seule une minorité du peuple juif se trouvait sur la terre d’Israël. b) Il n’y a lieu d’exprimer sa reconnaissance que pour un sauvetage complet ; or nous sommes encore menacés par nos ennemis alentour. c) Il faut tenir compte de la situation spirituelle des dirigeants de l’Etat et de nombre de ses citoyens. d) Il y a lieu de craindre l’opinion selon laquelle le Hallel ne se dit que lorsque s’est produit un miracle dévoilé, comme celui de la fiole d’huile à ‘Hanouka ; lors de la fondation de l’Etat, le miracle s’est produit sur le mode naturel. e) Il y a un doute quant au fait de savoir si le jour de louange doit être fixé précisément à Yom Ha’atsmaout ou bien le jour où s’est achevée la guerre d’Indépendance, ou encore le jour où les Nations Unies décidèrent de la fondation de l’Etat, ce qui s’est produit le 17 kislev (29 novembre).

En raison de ces craintes, ou d’une partie d’entre elles, le Conseil du Grand-rabbinat d’Israël a d’abord donné pour directive de réciter, à l’office du matin de Yom Ha’atsmout, le Hallel mais sans bénédiction. Cependant, quand l’Etat d’Israël parvint à sa vingt-sixième année, que nous eûmes le mérite de libérer la Judée-Samarie, que nous sortîmes de la guerre de Kipour par une grande victoire, malgré un départ difficile, et que l’on compta plus de trois millions de Juifs habitant dans le pays – cinq fois plus que notre nombre lors de la création de l’Etat –, le Conseil du Grand-rabbinat se réunit de nouveau, à l’initiative du Grand-Rabbin d’Israël d’alors, le Rav Chelomo Goren – que la mémoire du juste soit bénie. La réunion eut lieu le 25 nissan 5734 (17 avril 1974), et avait pour objet de débattre du Hallel à Yom Ha’atsmaout. Il fut décidé à la majorité qu’il y a grandement lieu de réciter, lors de la prière de Cha’harit de Yom Ha’atsmaout, le Hallel complet avec sa bénédiction. D’après cela, notre maître le Rav Tsvi Yehouda Kook – que la mémoire du juste soit bénie –, prit l’usage de réciter le Hallel avec bénédiction, en sa yéchiva, Merkaz Harav ; et telle est la coutume de tous ses disciples.

Quant à l’objection consistant à dire que le Hallel se récite seulement pour un miracle touchant l’ensemble du klal Israël (litt. « collectivité d’Israël », peuple juif), nos maîtres ont répondu que, précisément, la fondation de l’Etat constitue une hatsala (sauvetage, salut) pour l’ensemble du peuple juif (comme nous l’avons vu ci-dessus, § 3). De plus, les habitants de la terre d’Israël sont considérés, suivant une certaine acception, comme la « collectivité d’Israël ». Par ailleurs, si le jour de louange et de reconnaissance a été précisément fixé à Yom Ha’atsmaout, c’est qu’en ce jour eut lieu l’essentiel du sauvetage et du secours[7].


[7]. Selon le Gaon Rabbi Méchoulam Ratha, il eût été juste d’instituer la lecture du Hallel assortie de sa bénédiction, à Yom Ha’atsmaout, dès après la création de l’Etat. Il écrit ainsi (dans Qol Mevasser I, 21) : « Les dirigeants ont bien fait de choisir précisément ce jour, car c’est en ce jour qu’eut lieu l’essentiel du miracle, jour où nous passâmes de la servitude à la liberté par l’effet de la proclamation de l’indépendance. Si cette proclamation, au lieu d’être faite ce jour-là, avait été reportée à un autre jour, nous aurions manqué l’occasion, et n’aurions pas obtenu la reconnaissance et l’accord des grandes puissances parmi les nations, comme on le sait. Ce miracle en entraîna un deuxième : le sauvetage, de la mort à la vie, tant dans le cadre de notre guerre contre les Arabes en terre d’Israël qu’à l’égard des Juifs de diaspora, qui furent sauvés de la main de leurs ennemis dans leurs pays de résidence et émigrèrent en terre d’Israël. Grâce à cela, eut lieu le troisième miracle, celui du rassemblement des exilés. » Notre maître, le Rav Tsvi Yehouda Kook, ajoutait, se fondant sur Baba Metsia 106a et Tossephot ad loc., que l’esprit d’héroïsme consistant à proclamer la fondation de l’Etat tenait lui-même du miracle (Linetivot Israël I pp. 248-249).

Toutefois, le Rav Ovadia Hadaya (Yaskil ‘Avdi VI, Ora’h ‘Haïm 10), bien qu’il reconnût clairement que nous assistions au commencement de la Délivrance, rapporta les propos du ‘Hida, dans ‘Haïm Chaal II 11, selon lequel on ne récite pas le Hallel pour un miracle qui ne touche pas à l’ensemble du klal Israël (collectivité d’Israël). Il ajouta que le sauvetage du peuple n’est pas complet. De plus, dit-il, le jour de la proclamation de l’Indépendance, il ne s’est pas produit de miracle : au contraire, la guerre s’intensifia. L’auteur émet aussi des doutes sur la date du jour de fête : peut-être aurait-il convenu de fixer la fête le jour du cessez-le-feu, ou le 17 kislev (29 novembre), jour où l’O.N.U. reconnut le droit d’Israël à un Etat. Aussi, pour ne pas porter atteinte à un rituel de prière ordonnancé suivant de profondes intentions, le Rav Hadaya donna pour consigne de réciter le Hallel sans bénédiction, après l’achèvement de la prière de Cha’harit.

De même, le Primat de Sion, Rav Ovadia Yossef (Yabia’ Omer VI, Ora’h ‘Haïm 41), était d’avis de ne pas dire le Hallel avec sa bénédiction, car le miracle ne se produisit pas pour l’ensemble de la collectivité d’Israël : en effet, le chemin est encore long devant nous avant de parvenir à l’héritage tranquille de notre terre, tant du point de vue politico-militaire que du point de vue spirituel.

Le Rav Yossef Messas, en revanche (Otsar Hamikhtavim III, 1769), était d’avis que l’on récite le Hallel complet (avec bénédiction). Le Rav Chalom Messas pensait qu’il fallait réciter la bénédiction, mais quand il entendit la position du Rav Ovadia Yossef, il donna l’instruction suivante : que ceux qui ont coutume de dire la bénédiction continuent à le faire, et que ceux qui n’ont pas adopté la coutume de dire la bénédiction ne le fassent pas (Chémech Oumaguen III 63, 66). Notre maître le Rav Chaoul Israeli était d’avis de ne pas réciter la bénédiction du Hallel. Telle était aussi l’opinion des Grands-Rabbins d’Israël que furent le Rav Avraham Shapira et le Primat de Sion, le Rav Mordekhaï Elyahou. Toutefois, le Rav Shapira reconnaissait que, si l’on veut dire la bénédiction pour se conformer à sa coutume, on y est autorisé (cité dans Harabanout Harachit II pp. 901-903).

Ceux qui estiment qu’il faut réciter le Hallel avec bénédiction expliquent que le miracle s’est produit au bénéfice de l’ensemble de la collectivité d’Israël, comme l’a écrit le Rav Ratha ; de sorte que, du point de vue même du ‘Hida, il faut le réciter, assorti de sa bénédiction. De plus, les habitants de la terre d’Israël sont considérés comme klal Israël, collectivité d’Israël. C’est ce qu’écrivent le Rav Chelomo Goren et le Rav Yehouda Gershuni (leurs propos sont cités dans l’ouvrage Hilkhot Yom Ha’atsmaout Véyom Yerouchalaïm). Le Yabia’ Omer (ibid. 3) objecte que les habitants de la terre d’Israël ne sont considérés comme klal Israël qu’à certains égards. Dans son sidour Beit Meloukha, Qountras Ba Orekh 2, le Rav Oury Cherki répond à cela.

Quant au fait que le sauvetage du peuple juif ne soit pas complet : cela n’empêche pas de réciter le Hallel avec bénédiction, comme nous l’apprenons de ‘Hanouka. En effet, à ‘Hanouka, on institua un jour de fête après la première victoire militaire, alors que les Hasmonéens durent mener, pendant vingt ans encore, des guerres nombreuses et difficiles (comme nous le verrons ci-après, chap. 11 § 3). Or à chaque victoire, on fixait un jour de fête (cf. chap. 11 § 1). Quand enfin les guerres se terminèrent, l’hellénisation s’était déjà répandue au sein du royaume hasmonéen (chap. 11 § 4). On ne saurait objecter que la fête de ‘Hanouka fut instituée en référence au seul miracle de la fiole d’huile. En effet, le premier jour de fête célèbre la victoire militaire. Bien plus, le raisonnement a fortiori dont nous apprenons tout le fondement de Yom Ha’atsmaout (cf. début du § 5) porte sur le sauvetage même, et non sur le miracle.

Quant au fait que des soldats saints furent tués, ce fut aussi le cas durant les guerres hasmonéennes, et en plus grand nombre ; malgré cela, on institua une fête de ‘Hanouka. En outre, notre indépendance politique n’est pas moindre que l’indépendance hasmonéenne. Le Rav Goren a démontré l’obligation de réciter le Hallel avec bénédiction dans son ouvrage Torat Hamo’adim, ainsi que dans ses responsa Nétser Mata’aï 36. Tel est aussi l’avis du Rav ‘Haïm David Halévi, dans Dat Oumedina, p. 82.

Le Rav Chemouel Katz, dans Harabanout Harachit II p. 841, note 33, rapporte le témoignage du Rav Ouchpizaï : les Grands-rabbins – le Rav Herzog et le Rav Ouziel – estimaient que, dès la création de l’Etat, il convenait de réciter le Hallel avec bénédiction ; mais dans la mesure où ils furent informés de l’opposition vigoureuse du ‘Hazon Ich et d’autres rabbins, ils ne voulurent point ajouter aux cas de controverse, et s’abstinrent d’instituer la récitation du Hallel avec bénédiction. Selon le Rav Zevin, c’est une source de lamentation pour les générations que, au motif d’une intervention extérieure, émanant de rabbins qui n’étaient pas membres du Conseil du Grand-rabbinat d’Israël, on n’ait pas décidé, dès la fondation de l’Etat, de réciter le Hallel avec bénédiction (op. cit. p. 890, note 6). De même, le Rav Shear Yashuv Cohen, fils du nazir de Jérusalem, rapporte que son père estimait qu’il fallait dire le Hallel avec sa bénédiction. Quand il constata que son opinion n’était pas retenue, il s’abstint de réciter la bénédiction, expliquant : « Il me manque le vétsivanou (“et nous a prescrit”) du Grand-rabbinat. »

Il convient de citer ici les propos de notre maître, le Rav Tsvi Yehouda Kook, dans son homélie du dix-neuvième Yom Ha’atsmaout, à une époque où le Grand-rabbinat n’avait pas encore donné pour instruction de réciter le Hallel avec bénédiction (Linetivot Israël II pp. 359-360) :

« Un homme important s’est adressé à moi et m’a demandé : “Pourquoi nos maîtres ne nous permettraient-ils pas de dire la bénédiction du Hallel à Yom Ha’atsmaout ?” Je lui ai répondu : parce que la recommandation du Grand-rabbinat est équilibrée et juste. Les directives du Grand-rabbinat s’adressent à toute la population. Or, à notre regret et à notre honte, une grande partie de notre peuple ne croit pas en la grandeur de l’action divine qui nous fut dévoilée par la fondation de l’Etat souverain d’Israël, manquant ainsi de foi ; et puisque la foi est ainsi défaillante, la joie elle-même est lacunaire ; il est donc impossible d’obliger le peuple à réciter la bénédiction. Cela ressemble au cas où l’on revoit son prochain [après une longue absence] et où l’on se réjouit en le retrouvant : doit-on dire une bénédiction ? Si l’on se réjouit, on récite la bénédiction, sinon, on ne la récite pas. Le Rav Maïmon, qui se consacrait entièrement à la sainte mission de construire le peuple et l’héritage du Saint béni soit-Il, était empli de joie émanant de la foi ; aussi avait-il décidé que, dans sa synagogue, on lirait le Hallel avec bénédiction. La même chose se produisit dans d’autres lieux semblables : l’armée d’Israël, les kibboutz religieux.

« Mais, poursuit le Rav Tsvi Yehouda Kook, le Grand-rabbinat, qui représente l’ensemble du peuple, ne peut décréter une bénédiction par décision s’imposant à toute la population, quand celle-ci n’y est pas prête. Dans notre yéchiva, nous avons coutume de suivre la décision du Grand-rabbinat ; car nous ne sommes pas un kloiz (maison d’étude) particulière à un groupe. Nous sommes affiliés au concept même de collectivité d’Israël rassemblée à Jérusalem ; et puisque, pour le moment, dans la collectivité, il y a des empêchements à la foi et à la joie… il est juste que, nous aussi, nous nous conformions aux instructions du rabbinat, adressées à l’ensemble de la collectivité. »

Après la guerre des Six jours, le Rav Tsvi Yehouda Kook regretta que l’on n’ait pas institué immédiatement la lecture du Hallel avec sa bénédiction à Yom Ha’atsmaout ; et quand enfin la chose fut décidé par le Rav Goren, après la victoire de la guerre de Kipour, il se réjouit vivement ; et l’on prit cet usage à la yéchiva Merkaz Harav. Bien que, depuis lors, nous ayons connu différents événements, des progressions et des reculs, et que le Grand-rabbinat n’ait pas aujourd’hui sa stature d’autrefois, il est désormais établi que l’on récite le Hallel avec sa bénédiction, et tel est l’usage des disciples du Rav Tsvi Yehouda Kook.

08. Bénédiction Chéhé’héyanou ; Hallel le soir

Selon le Gaon Rabbi Méchoulam Ratha, puisque Yom Ha’atsmaout est un jour de fête, où le peuple juif bénéficia du secours divin, il convient de réciter la bénédiction Chéhé’héyanou (« Bénis sois-Tu… qui nous as fait vivre, nous as maintenus et nous a conduits à cette époque ») en l’honneur de ce jour, de même que l’on dit cette bénédiction à chaque fête, y compris à Pourim et à ‘Hanouka. Selon le Rav Ratha, l’obligation de réciter la bénédiction Chéhé’héyanou dépend de la joie. Aussi, celui qui ne ressent pas de joie particulière est autorisé à dire cette bénédiction à Yom Ha’atsmaout, mais n’y est pas obligé ; celui à qui la fondation de l’Etat donne satisfaction et joie, en revanche, a l’obligation de réciter cette bénédiction à Yom Ha’atsmaout.

Mais selon de nombreux auteurs, on ne récite pas la bénédiction Chéhé’héyanou à Yom Ha’atsmaout, car nos sages ont prescrit de réciter cette bénédiction les seuls jours de fête où il est interdit de travailler, telles les fêtes de pèlerinage, Roch hachana, Yom Kipour. Et si l’on dit Chéhé’héyanou à Pourim et à ‘Hanouka, jours où il n’est pas interdit de travailler, nous ne le faisons pas pour le jour de fête en tant que tel, mais pour la mitsva particulière qui lui est associée : à Pourim, la lecture du rouleau d’Esther, à ‘Hanouka, l’allumage des veilleuses. Mais s’agissant du jour de fête pris en tant que tel, sans qu’il y soit interdit de travailler, on ne dit point Chéhé’héyanou.

Si l’on veut embellir sa pratique en étant quitte aux yeux de tous les décisionnaires, on étrennera un habit neuf, et l’on dira la bénédiction Chéhé’héyanou à son sujet, tout en portant également son intention sur le jour. Il sera bon, en ce cas, de prononcer la bénédiction en public, près de l’office d’Arvit, ou le lendemain avant le Hallel, de façon que les auditeurs soient également acquittés de la bénédiction[8].

Selon certains, Yom Ha’atsmaout, où Israël bénéficia du secours divin, ressemble à la sortie d’Egypte ; par conséquent, il faut, selon eux, réciter le Hallel également le soir. Tel était l’usage du Rav Goren ; et c’est également l’usage dans certaines communautés. Mais de nombreux auteurs estiment que la règle consistant à réciter le Hallel le soir de Pessa’h est particulière, et que l’on ne peut en inférer de semblable obligation pour d’autres jours ; la preuve en est que, pour toutes les autres fêtes, on ne récite le Hallel que le jour. Par suite, il n’y a pas lieu de réciter le Hallel le soir de Yom Ha’atsmaout ; et tel est l’usage de la majorité des disciples du Rav Tsvi Yehouda Kook[9].


[8]. Les propos de Rabbi Méchoulam Ratha figurent dans ses responsa Qol Mevasser I 21 ; dans le même sens, selon le Michna Beroura (Béour Halakha 692 ד »ה שהחיינו), on dit aussi Chéhé’héyanou pour le jour même d’une fête, même s’il n’est pas interdit d’y travailler. Le Rav Ratha ajoute qu’il est préférable de dire cette bénédiction avant le Hallel, car il se peut qu’on doive alors la considérer comme portant sur la mitsva du Hallel, de même que, à ‘Hanouka, elle porte sur l’allumage des lumières. L’auteur s’appuie également sur le Baït ‘Hadach et ceux qui partagent son avis : pour eux, le principe selon lequel, en cas de doute sur une bénédiction, on est indulgent et l’on s’abstient de la prononcer, ne s’applique pas à la bénédiction Chéhé’héyanou.

De plus, selon le ‘Hatam Sofer, Ora’h ‘Haïm 51, en tout cas de doute portant sur Chéhé’héyanou, si l’on sait, en son for intérieur, que l’on est heureux, c’est une obligation pour soi-même que de réciter la bénédiction. C’est aussi l’opinion du Rav Goren dans Torat Hamo’adim, et ce qu’écrit le Michpeté Ouziel, troisième éd., Ora’h ‘Haïm 23.

Face à cela, le Yaskil ‘Avdi VI 10 estime que l’on ne récite pas Chéhé’héyanou, pour le motif que nous rapportons plus haut, dans le corps de texte. L’auteur hésite encore quant au fait de savoir si le miracle eut lieu précisément le jour de la proclamation d’indépendance. Le Yabia’ Omer VI, 42 se prononce dans le même sens, et cite de nombreux décisionnaires qui estiment que le principe selon lequel, en cas de doute portant sur une bénédiction, on soit indulgent, s’applique également à Chéhé’héyanou. C’est notamment l’opinion du Beit Yossef ; or, selon Maïmonide, une bénédiction vaine est un interdit toranique. Le Rav Moché-Tsvi Neria pense, lui aussi, que l’on ne dit pas cette bénédiction à Yom Ha’atsmaout.

[9]. Les propos du Rav Goren se trouvent dans Torat Hachabbat Véhamo’ed. Cf. l’article du Rav Chemouel Katz, Harabanout Harachit Véyom Ha’atsmaout 4, notes 7, 8, 17, 18. Dans l’ouvrage Kelavi Chakhen, à la mémoire de Gad Ezra – que Dieu venge son sang –, des articles abordent le sujet : ceux du Rav Cherki, lequel présente des arguments en faveur de la récitation du Hallel le soir, et du Rav Ya’aqov Ariel, selon qui il n’y a pas lieu de le réciter le soir. C’est déjà dans ce dernier sens que s’exprimait le Rav Neria (cité par Hilkhot Yom Ha’atsmaout Véyom Yerouchalaïm). Celui-ci énonce plusieurs raisons particulières à la lecture du Hallel le soir de Pessa’h, raisons qui ne conviennent pas à Yom Ha’atsmaout. C’est aussi en ce sens que se prononce le Rav Ariel Edery, dans Cha’har Ahalelékha.

Il semble, si l’on se rapporte aux propos de Rav Haï Gaon, que le Hallel du soir de Pessa’h ait été institué parce que, cette nuit-là, chacun doit se considérer comme étant véritablement sorti d’Egypte, ce qui l’oblige à entonner un chant de reconnaissance au moment même du miracle ; ce n’est pas le cas lors des autres jours de fête. Telle est l’opinion de la majorité des rabbins ; en effet, jusqu’à la nomination du Rav Goren en tant que Grand-rabbin d’Israël, tout le monde s’accordait sur le fait que la récitation du Hallel ressortit au jour uniquement. Même quand le Rav Goren publia sa recommandation de dire le Hallel le soir, des opinions antagonistes s’exprimèrent, et il n’était pas certain que telle fût l’opinion du Conseil du Grand-rabbinat. Certes, à la yéchiva Merkaz Harav, le Rav Tsvi Yehouda Kook donna pour instruction de le réciter le soir, conformément à la directive du Grand-Rabbin d’Israël, le Rav Goren. Toutefois, il est implicite que lui-même ne partageait pas cette opinion. Par la suite, quand le Rav Shapira fut désigné comme Grand-Rabbin d’Israël, on cessa de réciter le Hallel le soir, à la yéchiva Merkaz Harav. Et tel est l’usage de la majorité des disciples du Rav Tsvi Yehouda Kook.

09. Dans la majorité des cas, Yom Ha’atsmaout est reporté

Le 5 iyar peut tomber un lundi, un mercredi, un vendredi ou un Chabbat. Les années où cette date tombe le vendredi ou le Chabbat, il serait sérieusement à craindre que les fêtes de Yom Ha’atsmaout et ses cérémonies ne donnent lieu à une profanation publique du Chabbat. Par conséquent, il a été décidé, à la demande du Grand-rabbinat d’Israël, dans les cas où le 5 iyar tombe le vendredi ou le Chabbat, d’avancer la fête de Yom Ha’atsmaout au jeudi (3 ou 4 iyar). Par la suite, on s’est aperçu que, même quand Yom Ha’atsmaout avait lieu le lundi, les préparatifs de Yom Hazikaron[e] – qui commence à l’issue de Chabbat – conduisaient de nombreux Juifs à profaner le Chabbat. Par conséquent, il fut décidé, toujours à la demande du Grand-rabbinat, que Yom Hazikaron et Yom Ha’atsmaout seraient repoussés d’un jour, de sorte que Yom Hazikaron ait lieu le 5 iyar, et Yom Ha’atsmaout le 6. Il ressort de tout cela que, parmi les quatre jours où peut tomber l’anniversaire de l’Indépendance, trois conduisent à avancer ou à reculer le moment de la fête.

Nous connaissons des cas comparables dans notre calendrier liturgique : en raison de la crainte qu’un Juif porte le chofar ou le loulav pendant Chabbat, nos sages ont annulé ces mitsvot le jour de Chabbat. Aussi, quand Roch hachana tombe le Chabbat, on ne sonne pas du chofar. De même, quand le premier jour de Soukot tombe Chabbat, on n’y fait pas la mitsva du loulav. Nous voyons donc que nos sages ont annulé une mitsva de la Torah, dans le but d’éviter qu’on n’en vienne à profaner le Chabbat. Toutefois, la date même de ces fêtes, qui sont bibliques, ne saurait être changée. En revanche, les fêtes d’institution rabbinique peuvent être repoussées ou avancées. Quand Pourim tombe le Chabbat, on lit le rouleau d’Esther et l’on distribue les cadeaux d’argent aux pauvres le vendredi ; puis, le Chabbat, on fait la lecture de la Torah et l’on intègre à la prière le passage ‘Al hanissim (« Pour les miracles… ») ; enfin, le dimanche, on dresse le festin et l’on envoie des cadeaux alimentaires à son prochain (Choul’han ‘Aroukh, Ora’h ‘Haïm, 688, 6, Michna Beroura 18 ; cf. ci-après, chap. 17 § 5). Dans le même ordre d’idées, quand le 9 av tombe le Chabbat, on repousse le jeûne au dimanche (cf. Choul’han ‘Aroukh, Ora’h ‘Haïm 551, 4 ; 554, 19).

De même, s’agissant de Yom Ha’atsmaout, tout dépend de la décision rabbinique : quand un jour a été décidé par les représentants du public et par le Grand-rabbinat pour y fêter la création de l’Etat, c’est en ce jour même que nous devons exprimer notre reconnaissance envers Dieu pour Son secours[10].

Il est intéressant de noter que le moment même de la proclamation de l’Etat fut avancé pour ne pas profaner le Chabbat. En effet, le mandat britannique expirait dans la nuit de Chabbat à minuit ; mais les dirigeants du Conseil du peuple ne voulurent pas que la proclamation de l’Etat se traduisît par une profanation du Chabbat ; aussi avancèrent-ils la proclamation au vendredi midi, 5 iyar.


[e]. Jour du souvenir pour les soldats tombés pour Israël, qui a lieu la veille de Yom Ha’atsmaout ; cf. ci-après § 12.

[10]. C’est ce qui a été convenu, au sein du Grand-rabbinat d’Israël, au fil des générations. Il est vrai que le Rav Goren, en 5741 (1981) a émis l’opinion selon laquelle, un Chabbat 5 iyar, on doit réciter le Hallel, car ce qui ne risque pas d’engendrer une profanation de Chabbat doit être maintenu en son temps, comme on le voit dans le cas de Pourim (Torat Hachabbat Vehamo’ed). Mais les autres rabbins ont pris l’usage, en ce jour, de ne pas faire de partition des mitsvot, comme l’explique le Rav Ya’aqov Ariel, Béahola Chel Torah 73. Dans le même responsum, le Rav Ariel écrit que « l’on ne dit pas les Ta’hanounim (supplications) le 5 iyar qui tomberait un vendredi, de même que, lorsque le 9 av tombe le Chabbat, la notion de 9 av se maintient à l’égard d’une minorité de règles. Si le 5 iyar tombe le Chabbat, on récitera néanmoins Av Hara’hamim, en raison des durs décrets qui s’abattirent sur Israël au mois d’iyar. » Il semble cependant que l’on ne dise pas Tsidqatekha à Min’ha. Si le 5 iyar tombe un lundi, et que Yom Ha’atsmaout soit donc reporté au mardi, il semble que l’on ne dise pas Ta’hanounim le lundi. C’est notamment ce qu’a décidé le Conseil du Grand-rabbinat en 5764 (2004).

Le Rav Chemouel Katz (Harabanout Harachit pp. 898-899) explique que le Rav Goren lui-même avait d’abord estimé que le Hallel doit se réciter le jour où sont fixées l’ensemble des festivités, et non le Chabbat, et qu’il n’a modifié son opinion qu’en 5741. En note 33, l’auteur raconte au nom du Rav Elfassi que, en 5761 (2001), à la synagogue du Rav Goren, Qomemiout Avraham, on adopta l’usage des autres communautés, car certains fidèles avaient entendu du Rav Goren – que la mémoire du juste soit bénie – que sa décision n’avait pas été acceptée, en cette matière, par l’ensemble de la collectivité d’Israël.

Cf. Mitsvot Reïya, Ora’h ‘Haïm 688, 1, où l’on voit que nos sages ont institué deux jours de Pourim afin de distinguer entre mitsva toranique, dont le temps est fixé également pour tous, et mitsva rabbinique, fixée en deux temps, en fonction du lieu. C’est peut-être pour une raison du même ordre que nos sages ont défini deux niveaux de méhadrin (embellissement de la mitsva) en ce qui concerne les lumières de ‘Hanouka, ce qui n’est pas le cas pour les mitsvot toraniques, dont le statut est permanent. D’après cela, on peut avancer qu’il convient particulièrement à Yom Ha’atsmaout de ne pas avoir lieu à date fixe, car il s’agit d’une institution rabbinique.

10. Yom Yerouchalaïm, jour de la Libération de Jérusalem

Lors de la guerre des Six jours, le peuple juif bénéficia, avec l’aide de Dieu, d’une victoire grandiose sur ses ennemis. La guerre se déroula sur trois fronts, et, durant les six jours de guerre, les forces de nos ennemis furent mises en pièce et ils connurent une totale déroute. Durant ces jours, tous les lieux saints de Judée et de Samarie furent libérés, au premier rang desquels Jérusalem et le site du Temple, et avec eux, la moitié de la péninsule du Sinaï, et le plateau du Golan. Quiconque assista aux événements, pour peu qu’il eût une simple étincelle de foi en son cœur, vit de ses propres yeux se réaliser les paroles de notre sainte Torah : « Car l’Eternel ton Dieu marche parmi ton camp pour te sauver, et pour livrer tes ennemis en ton pouvoir » (Dt 23, 15). Cette grande victoire fut véritablement un miracle dévoilé.

Afin d’exprimer notre reconnaissance envers Dieu et de publier le miracle, le Grand-rabbinat, sous la direction du Rav Isser Yehouda Unterman et du Rav Yits’haq Nissim, fixa le 28 iyar – où la Vieille ville de Jérusalem et le site du Temple furent libérés – comme jour de reconnaissance et de joie pour tout le peuple juif. Le Grand-rabbinat décida d’instituer la récitation du Hallel assorti de sa bénédiction, après la ‘Amida de Cha’harit. Le Rav Chelomo Yossef Zevin et le Rav Chaoul Israeli participèrent à la décision et la soutinrent[11].


[11].  Cf. Harabanout Harachit II, article du Rav Chemouel Katz, surtout pp. 974-975 ; Hilkhot Yom Ha’atsmaout Véyom Yerouchalaïm p. 387, où l’on voit en quels termes le Grand-rabbinat d’Israël formula sa décision, et p. 125, le responsum du Rav Unterman quant à la grande importance de la mitsva consistant à publier un miracle, mitsva dont on peut dire, en un sens, qu’elle importe encore davantage que la lecture du Chéma. De même on annule une étude de Torah afin de se joindre à la lecture du rouleau d’Esther, au titre de la publication du miracle. L’auteur poursuit son propos en abordant la mitsva d’instituer un jour de fête le jour où Israël bénéficia du secours céleste. C’est aussi l’avis du Rav Kaplan, ibid. p. 204. Cf. également p. 61, l’article du Rav Dablitzki sur la nécessité d’instituer un jour de reconnaissance pour les miracles de la guerre des Six jours.

Cependant, le Rav Ovadia Yossef, qui s’appuie sur le ‘Hida, estime impossible d’instituer la récitation du Hallel avec bénédiction sans que le miracle se soit produit au bénéficie de tout Israël ; or on ne considère pas, selon lui, les habitants de la terre d’Israël comme la collectivité d’Israël, de sorte que l’on ne doit pas dire le Hallel avec sa bénédiction. Le Grand-rabbinat a décidé que, lorsque le 28 iyar tombe un vendredi, on ne modifie pas le moment du Hallel.

11. Rasage, coupe de cheveux, mariage, Ta’hanounim

Après que Yom Ha’atsmaout eut été institué comme jour de joie et d’actions de grâce, la question s’est posée de savoir si les usages de deuil de l’omer[f] s’appliquent également à Yom Ha’atsmaout. Des opinions ont été exprimées, à cet égard, dans différents sens. En pratique, il est convenu de ne pas observer d’usages de deuil qui altèrent la joie. Aussi est-il permis de danser et de jouer de la musique. En revanche, on n’organise pas de mariage, car le fait de s’abstenir de se marier n’est pas considéré comme un fait de deuil contredisant la joie de Yom Ha’atsmaout.

Il convient que ceux qui ont l’habitude de se raser le fassent, à l’approche de Yom Ha’atsmaout ; de même, on revêt des habits de fête à l’approche de ce jour. S’agissant de se faire couper les cheveux, il semble que seuls ceux dont la coiffure ne serait pas d’apparence honorable puissent se faire couper les cheveux à l’approche de Yom Ha’atsmaout. Mais si l’on paraît correct, on ne sera autorisé à se faire couper les cheveux qu’à Yom Ha’atsmaout même (et non la veille), car alors la joie annule cet usage de deuil[12].

Le Grand-rabbinat, sous la direction du Rav Unterman et du Rav Nissim, a décidé qu’à Yom Yerouchalaïm les Ashkénazes eux-mêmes – qui ont coutume, pendant l’omer, d’observer des restrictions liées au deuil – ne marqueraient aucune restriction, et seraient autorisés à se marier le 28 iyar : en effet, dans de nombreuses communautés, toutes les restrictions cessent après Lag ba’omer[g] (cf. ci-dessus, chap. 3 § 2-4) ; à plus forte raison le 28 iyar, jour consacré à la reconnaissance et à la joie, pour le miracle que produisit le Saint béni soit-Il en faveur de son peuple Israël, cela sera-t-il permis.

On ne récite pas les Ta’hanounim (supplications) à Yom Ha’atsmaout ni à Yom Yerouchalaïm, ni à l’office de Min’ha qui précède ces jours (La Prière d’Israël 21 § 7 ; cf. aussi ibid. 21 § 2, note 1).


[f]. Cf. Chapitre 3.

[12]. Le Primat de Sion, Rav Yits’haq Nissim, écrit que tous les usages de deuil sont annulés à Yom Ha’atsmaout (Hilkhot Yom Ha’atsmaout Véyom Yerouchalaïm pp. 334-340). Il fonde ses propos sur les considérations suivantes : a) certains décisionnaires estiment que, si l’on n’a pas encore accompli la mitsva de procréer, on est autorisé à se marier durant l’omer (Radbaz, Peri ‘Hadach). b) S’agissant de se faire couper les cheveux, certains ont coutume de le faire à l’approche de Chabbat ou de Roch ‘hodech (Radbaz, Ya’avets). c) Rabbi ‘Haïm Falagi rapporte que, dans sa ville, certaines personnes bénéficièrent d’un miracle le 8 iyar, d’autres le 11 iyar ; ces personnes ont coutume de se faire couper les cheveux ces jours-là (Mo’ed Lekhol ‘Haï 6).

S’agissant particulièrement du rasage, il y a davantage de motifs d’indulgence. En effet, le fait de se raser n’est pas une marque festive : il annule simplement l’apparence du deuil, comme nous l’expliquons ci-dessus, chap. 3 § 7. Face à cette position, les responsa Yaskil ‘Avdi VI 10 soutiennent qu’il ne faut pas permettre de se couper les cheveux ni de se marier à Yom Ha’atsmaout.

Notre maître le Rav Tsvi Yehouda Kook réprimandait les élèves qui avaient l’habitude de se raser, mais qui paraissaient endeuillés à Yom Ha’atsmaout. Il disait d’eux : « Leur physionomie les trahit », c’est-à-dire qu’ils n’étaient pas heureux, ni n’éprouvaient de reconnaissance envers Dieu. Cf. article du Rav Chemouel Katz dans Harabanout Harachit II pp. 877-882.

Pour une personne endeuillée : ce même ouvrage, p. 900, note 37, cite le responsum du Rav Goren, selon lequel Yom Ha’atsmaout et Yom Yerouchalaïm, comme ‘Hanouka, n’annulent pas les sept jours de deuil ; l’endeuillé ne récitera pas le Hallel. De même, on ne récitera pas le Hallel chez l’endeuillé, mais on le dira en un autre lieu. Après les sept jours, l’endeuillé se joindra aux prières festives et aux fêtes, à condition qu’il n’y soit pas joué d’instruments de musique. Dans les trente jours du deuil, il est interdit à l’endeuillé de se faire couper les cheveux en l’honneur de ces jours de fête.

[g]. Lag ba’omer a lieu avant Yom Yerouchalaïm.

12. Yom Hazikaron, jour du souvenir pour les soldats de Tsahal

Du point de vue halakhique, il n’est pas nécessaire d’organiser un jour du souvenir général, pour les personnes saintes qui ont été tuées à la guerre. Il y a lieu de se conduire comme on le fait, parmi le peuple juif, pour toute personne décédée : le jour anniversaire de sa mort (jahrzeit), on évoque son âme, et son fils, ou ses proches, récitent le Qaddich, étudient la Torah et donnent de l’argent aux bonnes œuvres (tsédaqa) pour l’élévation de son âme. Comme supplément de perfection apportée à la mitsva, certains fixent une hazkara (soirée de commémoration) au cours de laquelle des enseignements de Torah sont prononcés pour l’élévation de l’âme du défunt.

Au cours de notre longue histoire, il y eut de nombreuses guerres, et il arriva souvent qu’y périrent plus de combattants que durant toutes les guerres de Tsahal prises ensemble. Or nous ne voyons pas que nos sages aient jamais institué un jour du souvenir pour les soldats tombés. Si l’on était victorieux, on fêtait la victoire collectivement ; si l’on était battu, seuls les proches des soldats tombés prenaient le deuil. Ce n’est que pour la destruction du Temple, qui constitue la catastrophe nationale, tant spirituellement que politiquement, que les sages instituèrent des jeûnes. Et effectivement, la destruction du Temple est la racine de tous les malheurs, décrets funestes et assassinats qui ont frappé notre peuple durant l’exil. Le jeûne de Guédalia lui-même n’a pas été institué parce que Guédalia était le plus grand des justes – au point d’être la seule personnalité pour laquelle tout Israël a l’obligation de s’endeuiller –, mais parce que son assassinat éteignit « la flamme de la souveraineté juive », c’est-à-dire le reste des rescapés qui avaient pu se maintenir dans le pays après la destruction du premier Temple.

Bien plus, quelques années avant la fondation de l’Etat d’Israël, plus de six millions de Juifs furent assassinés avec une effroyable cruauté. Or ils étaient véritablement nos frères, non moins que les soldats qui tombèrent au combat.

Par ailleurs, ils étaient plus de trois cents fois plus nombreux que tous les soldats qui furent tués lors de toutes les guerres de l’Etat d’Israël. Comment donc comprendre qu’un jour de deuil soit institué pour les soldats, au même titre que pour les six millions de victimes de la Choah[h] ?

Toutefois, si l’existence d’un jour du souvenir a lieu d’être, c’est à la condition qu’il soit consacré à l’éducation au sens et au rôle du peuple juif, à la valeur du don de soi en faveur de la collectivité d’Israël. Nombreux sont ceux qui pensent, par erreur, que plus on s’inclinera en signe de tristesse, que plus on dépeindra, en termes sombres, la douleur de la perte des soldats tombés, plus on honorera leur souvenir. Mais la vérité est à l’opposé : la relation juste aux soldats tombés est de les considérer comme des saints. Car toute leur vie a été épurée et sanctifiée par le don d’eux-mêmes en faveur du peuple juif et de sa terre. C’est à leur sujet que nos sages, de mémoire bénie, déclarent : « Auprès des martyrs, dans le jardin d’Eden, personne ne saurait prétendre se tenir » (Pessa’him 50a). Ceux qui n’ont point la foi pensent que les martyrs sont irrémédiablement morts, mais un Juif croyant sait qu’en vérité ils sont plus vivants que tout autre. Leur vie a été abrégée dans ce monde-ci, mais ils sont parfaitement vivants dans le monde éternel, le monde futur. Ils sont bien plus vivants que nous. Ils sont saints, et nos sages disent d’eux : « Celui qui est saint se maintient à jamais » (Sanhédrin 92a).

Par leur mort pour la sanctification du nom divin, ils se sont élevés, de la réalité individuelle, où tout Juif est immergé, à l’échelon collectif, celui de la sainteté du peuple d’Israël. En sacrifiant toute leur vie à la collectivité d’Israël, ils se sont hissés au niveau de la collectivité. Ils sont davantage liés au Saint béni soit-Il, à la source de leur vie. Aussi, par leur mort, ils ont ajouté beaucoup de vie, tant au monde de vérité qu’à ce monde-ci. C’est par leur mérite que nous vivons ici, et tout ce que nous faisons leur revient.

Pour notre grande peine, des gens de peu de foi se sont rendu maîtres des médias officiels et de la vie culturelle en Israël. Ces gens sont loin de connaître le passé et la vocation du peuple juif. Autrefois, leurs aînés possédaient encore un peu de sève du judaïsme, recueillie de ce qu’ils pouvaient entendre dans le foyer de leurs parents. Mais au fil du temps, l’éloignement a fait son œuvre, et l’on a transformé Yom Hazikaron en jour de faiblesse et de défaitisme, où, au lieu d’honorer la mémoire de ceux qui sont tombés, de comprendre ce que signifie le peuple juif, de donner du sens au don de soi, on met l’accent sur la douleur, le désespoir et l’anéantissement, et l’on considère leur mort comme dépourvue de sens. Ces orateurs paraissent honorer les soldats tombés mais, en réalité, il n’y a pas de plus grande atteinte à l’honneur de ces personnes saintes que le piètre caractère qu’ils ont conféré à Yom Hazikaron. Si les choses ont évolué ainsi, c’est qu’il n’est pas tenu compte de l’idéal israélite collectif pour lequel les soldats ont sacrifié leur vie.

Si l’on marque un jour du souvenir, il faut y magnifier le don de soi des soldats morts pour la sanctification du nom divin. Souligner que, par leur dévouement, ils nous apprennent que la vision du rassemblement des exilés et de la refondation du peuple juif sur sa terre est si grande que l’on doit être prêt à donner sa vie, en ce monde, pour cet idéal. C’est grâce à cette force que nous intensifions la nôtre, et c’est à leur lumière que nous poursuivons notre voie. C’est à leur force que nous devons d’engendrer et d’élever nos enfants, à leur force que nous devons de fonder des villages. C’est à eux que revient la Torah que nous étudions ; la société juive morale que nous voulons construire ici, conformément à la vision des prophètes, c’est la leur. C’est par un tel souvenir que nous pourrons continuer énergiquement leur chemin, celui du don de soi pour la collectivité d’Israël. C’est de cette manière que nous pouvons les honorer véritablement, en tant qu’ils sont saints et purs, lumineux et resplendissants comme l’éclat du firmament.

C’est ainsi qu’il faut dire aux familles endeuillées – celles dans lesquelles ont germé ces héros saints : ne vous soumettez pas à la mort ; continuez de vivre par l’effet de leur puissance. Ne baissez pas la tête, mais tenez-vous très droit en leur honneur. Élevez vos regards au-delà de l’horizon ordinaire, vers la vision de la Délivrance et de la fin des temps. Et même s’il y a des larmes en vos yeux, ce sont des larmes de grandeur.


[h]. Yom Hachoah, jour du souvenir du génocide, a été fixé par l’Etat d’Israël le 27 nissan, une semaine avant le Yom Hazikaron.

13.Sirène et minutes de silence, à Yom Hazikaron

La Knesset (parlement israélien) a voté une loi décidant que le jour qui précède Yom Ha’atsmaout serait un « jour du souvenir de l’héroïsme des combattants de l’Armée de Défense d’Israël (Tsahal) qui donnèrent leur vie pour garantir l’existence de l’Etat d’Israël, et des combattants des campagnes militaires israéliennes qui tombèrent pour la renaissance d’Israël, jour voué à communier dans leur souvenir et à évoquer leurs actes de bravoure. » La loi poursuit : « Des rassemblements commémoratifs seront organisés, des réunions publiques, des cérémonies du souvenir dans les camps militaires et les institutions scolaires. Les drapeaux des édifices publics seront mis en berne. » Il a aussi été décidé que, « à Yom Hazikaron, un silence de deux minutes serait observé dans l’ensemble du pays, durant lequel on cesserait tout travail et où l’on interromprait toute circulation sur les routes. » Pour que s’accomplissent ces minutes de silence, une sirène retentit dans l’ensemble du pays, et la population a coutume de se tenir debout en l’honneur des soldats tombés. En pratique, le soir de Yom Hazikaron, à 20h, la sirène retentit pendant une minute, puis le lendemain, à 11h, une sirène de deux minutes retentit pour que l’on se recueille.

Certains prétendent que, puisque l’usage de se lever pendant la sirène n’est pas fondé sur les paroles des sages d’Israël, mais reproduit un usage non juif, il est interdit de l’observer, en vertu de l’interdit de marcher dans les voies des non-Juifs, ainsi qu’il est dit : « Vous ne marcherez pas selon leurs lois » (Lv 18, 3). Mais en pratique, presque tous les décisionnaires estiment que l’interdit d’observer les lois des non-Juifs ne s’applique que dans l’un ou l’autre des cas suivants : si la coutume non juive porte atteinte à la pudeur et à la modestie ; ou si la coutume n’a aucun sens ni utilité, cas dans lequel il est clair qu’elle est l’expression de vaines croyances d’un peuple étranger (Mahariq 88, Rivach 158). C’est aussi l’opinion de Rabbi Yossef Caro et du Rama (Beit Yossef et Rama, Yoré Dé’a 178, 1). Or l’usage d’observer le silence a une raison d’être : par la sirène et le silence, tout le peuple communie en un même souvenir. Par conséquent, cet acte ne relève pas de l’interdit de suivre les pratiques non juives[13].

Selon certains, celui qui est en train d’étudier la Torah ne doit pas suspendre son étude au moment de la sirène. Cependant, notre maître le Rav Tsvi Yehouda Hacohen Kook – que le mérite du juste soit béni – a écrit : « Se lever pour les soldats de l’armée d’Israël morts au combat relève d’une sainte mitsva : se souvenir de l’honneur des personnes saintes. » On peut ajouter que penser aux personnes saintes et à la mitsva du don de sa personne pour sauver le peuple et conquérir le pays, c’est penser à des sujets de Torah. Quoi qu’il en soit, même celui qui ne comprend pas cela doit avoir présentes à l’esprit les paroles d’Hillel l’ancien, qui a enseigné : « Ne te sépare pas de la communauté » (Maximes des Pères 2, 4)[14].


[13]. Certes, d’après le Gaon de Vilna, même quand la coutume a une raison d’être, il ne faut pas imiter les non-Juifs ; aussi est-il interdit, selon lui, de disposer des branchages à la synagogue pour la fête de Chavou’ot, car les non-Juifs ont coutume de placer des arbres dans leurs lieux de prière, lors de leurs fêtes païennes (‘Hayé Adam 131, 13 ; cf. Béour Hagra, Yoré Dé’a 178, 7). Mais en pratique, la majorité des décisionnaires ne partagent pas son point de vue, et maintiennent la coutume, comme l’écrivent le Rama, Ora’h ‘Haïm 494, 3 et le Maguen Avraham 494, 5. En effet, puisqu’il y a des raisons à la coutume de décorer la synagogue de branchages, cela ne s’appelle pas « marcher selon les lois des non-Juifs ». Et si telle est la position de la majorité des décisionnaires quant à la coutume des branchages, alors que l’on trouve de telles décorations dans des temples idolâtres, à plus forte raison faut-il tenir compte de l’usage consistant à se lever pendant la sirène, usage ne comportant aucune trace d’idolâtrie. De plus, un tel usage est presque inconnu chez les non-Juifs.

[14]. Psiqta Zoutreta (Léqa’h Tov) sur Ex 2, 11 : « “Il advint à cette époque que, Moïse ayant grandi, il sortit au-devant de ses frères…” Il alla voir les souffrances d’Israël ; c’est à ce propos qu’Hillel enseigne dans la Michna : “Ne te sépare pas de la communauté” : que l’homme, voyant la communauté en proie à la douleur, ne dise pas : “Je rentrerai chez moi, mangerai et boirai, et éprouverai la paix de l’âme” ; mais qu’il porte le joug avec son prochain. »

Sur ce même passage, le midrach Sékhel Tov sur l’Exode élabore :

C’est à ce propos qu’Hillel enseigne dans la Michna : « Ne te sépare pas de la communauté ». Nos maîtres enseignent dans une baraïtha : « Quand la communauté est en proie à la souffrance et que l’un de ses membres s’en sépare, mange et boit, deux anges de service l’accompagnent, posent des braises sur sa tête et disent : “Untel s’est séparé de la communauté au temps de ses malheurs, il ne verra pas la consolation de la communauté.” » Une autre baraïtha enseigne : « Quand la communauté est en proie à la détresse, que l’homme ne dise pas : “Je rentrerai chez moi, mangerai et boirai, et éprouverai la paix de l’âme.” S’il fait ainsi, le verset dit de lui : “Voici, joie et allégresse ; tuer des bovins, égorger des ovins, manger de la viande et boire du vin. Mangeons et buvons, dites-vous, car demain nous mourrons !” N’est-il pas écrit au verset suivant : “L’arrêt de l’Eternel, Dieu des Armées, s’est révélé à mes oreilles : Je jure que ce péché ne vous sera pas pardonné, jusqu’à votre mort” (Is 22, 13-14). »

Les propos du Rav Tsvi Yehouda Kook sont cités par la revue Te’humin, n° 3 p. 388. Cf. Responsa Ahola chel Torah du Rav Ya’aqov Ariel, Yoré Dé’a 23. Selon le ‘Assé Lekha Rav IV 4, celui qui étudie la Torah chez soi continuera son étude, car cette marque d’honneur n’est qu’apparente, et il n’y a lieu de l’observer que si d’autres nous voient. Si l’on est en public, on pourra se lever et continuer de réfléchir à son étude. C’est aussi ce qu’écrit le Rav Henkin dans Te’humin n°4, p. 125. Toutefois, il semble, comme nous le disions plus haut, que réfléchir à la mitsva de qidouch Hachem (sanctification du nom divin), c’est, en soi, entretenir des pensées de Torah ; et il est préférable de s’inclure au sein de la communauté par ces saintes pensées.

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