Chabbat

03. Le Qidouch sur le vin

Nos sages ont prescrit de réciter le Qidouch sur une coupe de vin, car c’est la plus importante des boissons ; en effet, le vin nourrit, aussi bien qu’il réjouit. De même, pour différentes mitsvot liées à la réjouissance, les sages ont institué une bénédiction à réciter sur une coupe de vin : ainsi de la bénédiction du mariage (Birkat ha-iroussin), des sept bénédictions marquant la deuxième étape de la cérémonie nuptiale (Chéva’ birkot ha-nissouïn) ou de la bénédiction qui suit la circoncision. Le statut particulier du vin se reflète dans le fait que les sages lui ont réservé une bénédiction spécifique : avant de consommer toute autre boisson, on dit la bénédiction Chéhakol (« Béni sois-Tu… par la parole duquel tout advint ») puis, après la consommation, Boré néfachot (« Béni sois-Tu… qui crées des êtres nombreux… ») ; tandis que, pour le vin, on dit d’abord Boré peri haguéfen (« … qui crées le fruit de la vigne ») et l’on termine par la bénédiction dite Mé’ein chaloch (‘Al haguéfen vé’al peri haguéfen, « … pour la vigne et pour le fruit de la vigne, pour le produit du champ… »). Une autre règle témoigne du statut particulier du vin : bien que sa bénédiction diffère de celle des autres boissons, on s’acquitte, en la disant, de la bénédiction de toutes les autres boissons.

A priori, afin d’apporter à la mitsva un supplément de perfection, il convient de réciter le Qidouch sur un vin de qualité, dont on aime la saveur. Si l’on n’a pas de vin (ni de jus de raisin), le soir de Chabbat, on fera le Qidouch sur le pain ; le jour, en revanche, si l’on n’a pas de vin, on le remplacera par une boisson alcoolisée, comme la bière ou la vodka. Si l’on n’a pas non plus une telle boisson, on fera le Qidouch sur le pain[2].

La récitation du Qidouch sur le vin renferme une signification profonde. En général, la sainteté se manifeste dans le domaine de l’esprit, avec gravité et sérieux. Dans le monde de la matière, en revanche, les mauvais penchants ressortent davantage : les passions, l’orgueil, la bouffonnerie. Aussi les hommes d’esprit des nations ont-ils souvent tendance à s’éloigner de la joie et de l’allégresse, qui risquent d’entraîner l’homme vers des passions matérielles indécentes. Telle n’est pas la conception juive : c’est sur le vin que nous sanctifions le Chabbat, afin d’exprimer le fait que la sainteté du Chabbat se révèle dans le monde spirituel comme dans le monde matériel. La joie et l’allégresse, quand elles sont dirigées convenablement, peuvent s’associer véritablement au dévoilement de la sainteté dans le monde. Et c’est le propos du Chabbat que de révéler la sainteté par l’étude de la Torah comme par les repas sabbatiques, par la prière comme par le Qidouch récité sur le vin. C’est à ce propos que nos sages disent : « Quiconque, les soirs de Chabbat, dit la bénédiction et sanctifie le Chabbat sur le vin, on prolonge ses jours dans ce monde-ci et dans le monde futur » (Pirqé de-Rabbi Eliézer 19).


[2]. Les décisionnaires sont partagés quant au fait de savoir si l’on peut réciter le Qidouch sur un « breuvage du pays » (‘hémer médina), c’est-à-dire une boisson importante contenant de l’alcool, telle que la bière (cf. ci-après chap. 8 § 4). Selon Rabbénou Yits’haq, on peut faire le Qidouch sur une telle boisson quand on n’a pas de vin, tandis que Maïmonide estime que ce n’est pas permis.

 

De même, les avis sont partagés sur la question du pain : pour la majorité des décisionnaires, quand il n’y a pas de vin, on peut dire le Qidouch sur le pain, puisque celui-ci est lié à la mitsva du Chabbat : en effet, c’est le pain qui sert de base aux repas qu’il nous est prescrit de faire pendant Chabbat. Mais Rabbénou Tam estime que, même si l’on ne dispose pas de vin, il n’y a pas lieu de réciter le Qidouch sur le pain.

 

En pratique, le Choul’han ‘Aroukh (272, 9, conformément à l’avis du Roch) décide que, si l’on n’a pas de vin, il est préférable de faire le Qidouch sur le pain le soir de Chabbat, comme le pensent la majorité des décisionnaires ; mais pour le repas du matin, il est préférable de le faire sur une boisson alcoolisée : dans la mesure où il n’y a pas de bénédiction particulière dans le texte du Qidouch du jour, il ne serait pas reconnaissable, si on le disait sur le pain, qu’il s’agit d’un Qidouch. En effet, c’est tous les jours qu’on mange du pain. Aussi vaut-il mieux dire le Qidouch sur une boisson alcoolisée, après quoi on tranchera le pain.

 

Dans les pays de langue allemande, où le vin était très cher, nombreux étaient ceux qui étaient indulgents et qui faisaient systématiquement le Qidouch sur une eau de vie, le matin. Ce n’est que le soir de Chabbat, où l’obligation du Qidouch repose sur la Torah elle-même, que l’on avait soin de le faire sur du vin (Michna Beroura 272, 29). Mais de nos jours où le vin est accessible, il faut réciter le Qidouch sur du vin, le soir de Chabbat et le matin. Celui qui fait le Qidouch du soir sur le pain doit manger, en plus d’un kazaït de pain [équivalent du volume d’un demi-œuf ou d’un œuf, ou 28 g environ] au titre du Qidouch, un autre kazaït au titre du repas (Chemirat Chabbat Kehilkhata 54, 21).

04. Les vins u04. Les vins utilisables pour le Qidouchtilisables pour le Qidouch

Nous tirons les règles applicables au vin de celles qui régissaient, à l’époque du Temple, le vin que l’on versait sur l’autel : tout vin impropre aux libations, en raison de quelque défaut, est également impropre au Qidouch. Par exemple, un vin qui est resté découvert (dans un verre, dépourvu de couvercle, ou dans une bouteille restée ouverte) pendant plusieurs heures, est impropre au Qidouch. De même, un vin dont l’odeur est mauvaise est impropre au Qidouch (Choul’han ‘Aroukh 272, 1 ; Michna Beroura 3).

Mais des vins qui seraient valides a posteriori pour être versées sur l’autel sont valides, même a priori, pour le Qidouch. Par exemple, un vin très doux, produit à partir de raisins rendus trop sucrés par la chaleur du soleil, peut être utilisé a priori pour le Qidouch, car il est utilisable a posteriori pour l’autel. De même, le jus de raisin : si on l’a versé sur l’autel, on est quitte a posteriori ; il est donc permis de réciter le Qidouch sur ce jus. Toutefois, l’application la plus parfaite de la mitsva consiste à faire le Qidouch sur un vin de qualité, alcoolisé, et qui réjouit, car la directive des sages vise essentiellement la récitation du Qidouch sur un vin qui réjouit (Choul’han ‘Aroukh 272, 2 ; Michna Beroura 5).

Certains vins sont rendus impropres aux libations car on y a mêlé d’autres ingrédients, mais restent valides pour le Qidouch. Ainsi, un vin mêlé d’eau est disqualifié pour être versé sur l’autel, mais pour le Qidouch, au contraire : il est bon de couper le vin d’un peu d’eau, afin d’en exalter le goût et d’en tempérer l’âcreté. Mais les vins de notre temps, il n’est pas nécessaire de les couper, car ils ne sont pas si forts (Choul’han ‘Aroukh et Rama 272, 5).

Si l’on a coupé le vin d’eau et qu’il y ait à présent une majorité d’eau, certains estiment que le statut de cette boisson n’est plus celui de vin, et que l’on ne peut donc réciter sur elle la bénédiction Haguéfen (« … qui crées le fruit de la vigne ») ; cette boisson est aussi impropre au Qidouch. D’autres sont indulgents à cet égard, tant que le goût est semblable à celui du vin. Quand des vins sont soumis à son certificat de cacheroute, le rabbinat veille à ce que la part de vin soit majoritaire, si bien que ces vins sont propres à la bénédiction et au Qidouch d’après toutes les opinions[3].

Un vin cuit (mévouchal), de même qu’un vin auquel on aurait ajouté du sucre ou du miel, est impropre aux libations, car un tel vin a changé de nature. Selon certains, de même que de tels vins sont impropres aux libations, ils sont impropres au Qidouch (Maïmonide). Mais la majorité des décisionnaires pensent que ces vins peuvent être valablement utilisés pour le Qidouch car la cuisson ou l’adjonction de sucre sont destinées à les améliorer. Tel est l’usage, en pratique, que de s’acquitter du Qidouch par des vins cuits ou additionnés de sucre, tels que le vin sirupeux (appelé konditon, en Israël). Même si l’on dispose par ailleurs de vin normal, mais que l’on ait une préférence pour le vin cuit ou additionné de sucre, il vaut mieux dire le Qidouch sur ce dernier (Choul’han ‘Aroukh et Rama 272, 8). Dans de nombreux vins doux de qualité, on n’ajoute pas de sucre : la douceur provient de la qualité du raisin, et tous les avis s’accordent à dire que l’on s’acquitte par de tels vins de l’obligation du Qidouch[4].

Selon certains, le vin doit être rouge ; et s’il est blanc, il est impropre au Qidouch (Na’hmanide). Mais pour la majorité des décisionnaires, on peut faire le Qidouch sur un vin blanc, et c’est en ce sens que tranche le Choul’han ‘Aroukh (272, 4). Si l’on dispose de deux vins, l’un rouge mais médiocre, l’autre blanc et de qualité, on pourra, si l’on veut s’accorder avec toutes les opinions, mêler le blanc dans un peu de rouge, de façon à obtenir un vin à la fois savoureux et rouge d’apparence[c] (il est alors préférable de verser le blanc dans le rouge, et non le contraire, comme nous l’expliquerons au chap. 12 § 10).


[3]. Concernant le vin en usage à l’époque talmudique, les avis divergent sur la quantité d’eau dont il fallait le couper pour qu’il fût encore considéré comme du vin (Baba Batra 96b). Selon certains, si la part de vin représente 25%, le statut du mélange reste celui du vin. Tel est l’avis du Kaf Ha’haïm 204, 31, suivant le Choul’han ‘Aroukh. Le Rama (204, 5) estime que, si le vin représente plus du septième du mélange, celui-ci garde le statut de vin.

 

Toutefois, le Choul’han ‘Aroukh précise que les vins de notre temps ne sont pas si forts, si bien que la règle diffère. Le Peri Mégadim et d’autres A’haronim expliquent que ce n’est que lorsque la majorité du mélange est constituée de vin que le statut de vin s’y applique. Tel est l’usage des Séfarades et de nombreux Ashkénazes. D’autres décident que, tant que le goût est celui du vin, et que plus du septième du mélange est formé de vin, le statut de vin s’y applique. Tel est l’usage du rabbinat de la communauté orthodoxe (Badats ha’eda ha’harédit) [l’un des principaux organismes de cacheroute en Israël] (Pisqé Techouvot 204, 8). Plusieurs décisionnaires parmi les plus grands s’opposent à cette opinion (responsa ‘Hazon ‘Ovadia 6, 2). Quand un vin est coupé d’eau, ce n’est que si le vin est majoritaire que le Grand Rabbinat d’Israël lui accorde, en tant que vin, son certificat de cacheroute.

 

[4]. Selon Maïmonide (Chabbat 29, 14), le vin cuit ou additionné de sucre ou autre exhausteur de goût est impropre au Qidouch. C’est aussi l’opinion de plusieurs Guéonim. Mais pour Tossephot, le Roch, le Ran, Na’hmanide et le Rachba, un tel vin est valide, et c’est ce qu’incline à penser le Choul’han ‘Aroukh. Le Rama et le Michna Beroura (272, 23) écrivent que, si le vin cuit ou additionné de sucre ou de miel est plus savoureux, il est préférable de réciter sur lui le Qidouch. Certains tiennent compte de l’opinion rigoureuse et préfèrent dire le Qidouch sur un vin qui ne soit ni cuit ni mêlé de sucre (Qitsour Choul’han ‘Aroukh 77, 6 ; Kaf Ha’haïm 272, 44).

 

La majorité des vins d’aujourd’hui sont pasteurisés, c’est-à-dire cuits à 80-85°, afin de les purifier de leur flore microbienne. Or il n’est pas certain que la pasteurisation puisse être halakhiquement considérée comme une cuisson, cela à deux égards : 1) le vin pasteurisé peut-il être valablement utilisé pour le Qidouch, même aux yeux de ceux qui interdisent de dire le Qidouch sur un vin cuit ? 2) Si un non-Juif idolâtre a touché la bouteille [une fois ouverte], le vin sera-t-il interdit à la consommation ? Si le vin pasteurisé doit être considéré comme cuit (mévouchal), il ne sera pas interdit, car l’interdit de boire un vin que des païens ont peut-être consacré à leurs idoles (yayin nessekh) ne porte pas sur un vin cuit. Selon le Igrot Moché (Yoré Dé’a III 31), le vin pasteurisé est considéré comme cuit. C’est aussi la position du Yalqout Yossef 272, 10. Pour le Min’hat Chelomo I 25, ce n’est que si le goût, l’odeur ou l’apparence du vin a changé par l’effet de la cuisson que son statut change aussi, si bien que la pasteurisation, destinée à éliminer des microbes, ne peut être considérée comme une cuisson.

 

En pratique, on peut faire a priori le Qidouch sur du vin pasteurisé. Concernant le contact d’un non-Juif, on peut être indulgent a posteriori, car l’interdit pesant sur un vin touché par un non-Juif est rabbinique, et l’on est indulgent quand un doute porte sur l’application d’une règle rabbinique. À plus forte raison est-ce la règle quand il s’agit d’un Juif qui profane le Chabbat. Et si un tel Juif récite le Qidouch, nombreux sont ceux, même parmi les décisionnaires rigoureux, qui seront indulgents, même si le vin n’est pas pasteurisé (cf. plus haut, chap. 1 § 15).

 

[c]. Cette suggestion n’est certes pas fondée sur l’œnologie : elle se borne à indiquer une solution possible à ceux qui souhaitent être quittes d’après tous les décisionnaires.

05. Quantité de vin dans la coupe

Pour accomplir la mitsva du Qidouch, il faut que la quantité de vin ait une certaine importance, afin que la bénédiction ait sur quoi porter. Cette quantité doit être à tout le moins équivalente au volume d’un œuf et demi (mesure appelée par le Talmud quart de log), et telle est la mesure minimale que doit contenir toute « coupe de bénédiction » (kos chel berakha)[d]. Faute de cette mesure minimale, on n’aura pas accompli la mitsva (Chabbat 76b, Pessa’him 107a, 108b ; Maguen Avraham 271, 32).

Il était autrefois admis que la mesure du volume d’un œuf et demi, indiquée par Maïmonide, équivalait à 86 millilitres (Rabbi ‘Haïm Naeh). Cependant, d’après des calculs précis, il apparaît que la mesure exacte indiquée par Maïmonide est de 75 ml. D’autres décisionnaires, rigoureux, estiment que les œufs sont de nos jours plus petits que jadis, environ de moitié, et qu’il faut donc une mesure de 150 ml de vin (‘Hazon Ich). En pratique, la halakha (si l’on s’en tient à la position principale des décisionnaires) autorise à faire le Qidouch sur une mesure de 75 ml de vin ; mais de nombreux Ashkénazes sont a priori rigoureux, et veillent à ce que la coupe du Qidouch ait une contenance de 150 ml[5].

Après la bénédiction, celui qui l’a récitée (le meqadech) doit boire une quantité minimale de vin appelée melo lougmav (« une pleine bouchée »), mesure de boisson qui fait éprouver au buveur une sensation de satisfaction. La mesure de melo lougmav équivaut à la quantité de vin propre à remplir la bouche quand on gonfle une joue. Cette mesure correspond, à tout le moins, à la majorité d’un revi’it (quart d’un log), c’est-à-dire au moins 38 ml. Un homme dont la bouche serait plus grande devrait boire davantage, selon la mesure propre à emplir sa bouche. Chez la majorité des gens, la mesure qui convient est de 50 à 55 ml ; même la personne la plus grande n’est pas obligée de boire plus qu’un revi’it, 75 ml.

Si le meqadech ne peut boire la quantité de melo lougmav, il peut être remplacé par l’un de ceux qui l’auront entendu. A posteriori, si le meqadech et les auditeurs pris ensemble ont bu la quantité cumulée de melo lougmav, ils sont quittes de l’obligation du Qidouch, bien qu’aucun d’eux n’ait bu, à lui seul, ladite quantité (Pessa’him 107a ; Choul’han ‘Aroukh 271, 14, Michna Beroura 73)[6].


[d]. Coupe de vin sur laquelle on récite une bénédiction liée à une solennité ou à un rituel : Qidouch, Havdala, bénédictions du mariage, de la circoncision…

 

[5]. Cf. Pniné Halakha, Berakhot (Bénédictions, à paraître) 10, note 11 ou Chabbat, Har’havot sur ce paragraphe. En résumé, concernant le calcul effectué par Rabbi ‘Haïm Naeh sur la mesure commune indiquée par Maïmonide, une erreur est apparue. En effet, Maïmonide se basait, dans ses écrits, sur le dirhem (unité de poids) en usage à son époque, et qui était légèrement plus petit que le dirhem turc, que Rabbi ‘Haïm Naeh a pris pour référence. Il en ressort que, selon Maïmonide et tous les décisionnaires qui partagent son avis, le volume d’un œuf et demi (correspondant au quart d’un log) est de 75 ml. C’est ce qu’indique le Rav ‘Haïm Beinish (Midot Véchiouré Torah 30, 5 ; 16, 6), et le Gaon Rav Ovadia Yossef l’approuve. (Quand à la coutume ashkénaze ancienne, elle estimait le volume d’un œuf à 46 ml et le revi’it ou quart de log à 69 ml.)

 

Le Noda’ Biyehouda estime, quant à lui, que les œufs sont aujourd’hui plus petits de moitié. D’après cela, le ‘Hazon Ich calcule que le volume d’un œuf et demi équivaut à 150 ml. Selon le Michna Beroura 271, 68 et 486, il est bon d’être rigoureux, conformément à l’avis du Noda’ Biyehouda, quand le fondement d’une mitsva est toranique, comme c’est le cas du Qidouch du soir. En revanche, pour les quatre coupes du séder de Pessa’h, qui sont d’institution rabbinique, de même que pour la quantité justifiant la récitation d’une bénédiction finale, on peut a priori adopter la mesure habituelle. Cf. Pniné Halakha, Pessa’h 16, 8 ; 16, 23, note 20.

[6]. Quand celui qui a récité le Qidouch a bu moins de la mesure de melo lougmav et que tous les assistants, même pris ensemble, ont bu moins que cette mesure, ils n’ont pas accompli convenablement la mitsva. Selon le Maguen Avraham 271, 32, ils ne sont pas quittes de l’obligation du Qidouch, et celui qui l’a récité doit continuer de boire, jusqu’à concurrence de melo lougmav. S’il a détourné son esprit entre-temps, il doit refaire la bénédiction sur le vin. S’il s’est levé, et est allé à un autre endroit, c’est une obligation que de refaire le Qidouch.

 

Toutefois, de l’avis de plusieurs décisionnaires, bien que, dans un tel cas, on ne se soit pas acquitté de la mitsva conformément à la règle, on est quitte du Qidouch a posteriori, puisque l’on a proclamé la sainteté du jour sur une coupe de vin. C’est l’avis du Kaf Ha’haïm 271, 82 et du Or lé-Tsion II 20, 7. Cf. Chemirat Chabbat Kehilkhata 48, 9, note 57. Puisque la question est douteuse, celui qui n’aurait pas bu la mesure de melo lougmav ne devra pas recommencer le Qidouch ; mais il sera bon qu’il entende le Qidouch d’une autre personne, qui ne l’aurait pas encore récité.

06. Règles relatives au verre à Qidouch

Nos sages ont prescrit de réciter un certain nombre de bénédictions sur une coupe de vin, telles que les bénédictions du mariage (dans ses deux étapes, qidouchin et nissouïn)[e], les actions de grâce après un repas (Birkat hamazon), le Qidouch, la Havdala. Et puisque, sur cette coupe, on récite une bénédiction en l’honneur du Ciel, il convient que la coupe soit belle et de qualité ; nos sages ont fixé des normes à ce sujet :

La coupe doit être entière, sans défaut ni fissure, à son bord ni à sa base. Si l’on ne dispose pas d’une coupe en bon état, on peut, a posteriori, réciter le Qidouch sur une coupe abîmée. Mais s’il s’y trouve une fente par laquelle le vin s’écoule, au point qu’elle ne puisse contenir un revi’it de vin (75 ml), la coupe est impropre au Qidouch (Choul’han ‘Aroukh 183, 3 ; Michna Beroura 11 ; Cha’ar Hatsioun 14).

Quand on a le choix entre plusieurs coupes, il convient de choisir la plus belle pour la bénédiction. Nombreux sont ceux qui enjolivent l’exécution de la mitsva en récitant le Qidouch sur une coupe en argent. Quand on ne dispose que d’un verre jetable simple, on peut, a posteriori, faire sur lui la bénédiction[7].

Il faut veiller à ce que la coupe soit parfaitement propre. Si quelqu’un y a bu, ou qu’elle se soit salie d’une autre manière, il faut la rincer à l’intérieur et à l’extérieur (Choul’han ‘Aroukh 183, 1). A posteriori, quand il est difficile de rincer la coupe, on peut l’essuyer et la nettoyer au moyen d’une serviette (Michna Beroura 1).

Certes, si l’on s’en tient à la seule règle halakhique, on peut se suffire d’une coupe d’une contenance d’un revi’it (75 ml). Mais si la coupe a une capacité plus grande, c’est une obligation que de la remplir de vin, car tel est l’honneur dû à la bénédiction que de la réciter sur une coupe pleine. Certains ont coutume de remplir la coupe à ras bords, de façon que, au cours de la bénédiction, un peu de vin se renversera vraisemblablement sur la main de celui qui la récite. Mais il semble que l’application la plus parfaite de la mitsva soit de remplir la coupe jusqu’à proximité du bord, afin que le vin ne se renverse pas sur la main du meqadech : c’est ce type de « coupe pleine » que visaient nos sages (Taz 183, 4, Choul’han ‘Aroukh Harav 4, Michna Beroura 183, 9. C’est aussi ce qui ressort des propos de la maison d’étude d’Hillel au traité Berakhot 52b).

Si quelqu’un a déjà bu du vin qui se trouvait dans la coupe, ou que l’on en ait bu à la bouteille, le vin restant dans la coupe ou dans la bouteille prend le statut de vin « abîmé » (pagoum), et il est impropre au Qidouch (ainsi qu’à la Havdala et aux autres solennités). En cas de nécessité, on peut « corriger » un vin altéré en y ajoutant du vin non altéré : grâce à cette adjonction, le vin est considéré comme nouveau. Et si le vin altéré est fort, on peut le corriger en le coupant d’eau au lieu de vin. A posteriori, quand il n’y a pas de moyen de « réparation », on peut réciter le Qidouch sur un vin ainsi altéré (Choul’han ‘Aroukh 182, 3-7)[8].

Nos sages ont enseigné (Berakhot 51a) que l’on doit d’abord saisir la coupe des deux mains, afin de montrer l’affection dont elle est l’objet. Ensuite, quand on dira le Qidouch, on tiendra la coupe dans la seule main droite, qui est la main la plus importante. On tiendra la coupe de tous ses doigts, afin que ceux-ci entourent la coupe. On lèvera la coupe d’un palme (téfa’h, environ 8 cm) au-dessus de la table, afin qu’elle soit visible de tous. On posera son regard sur la coupe, afin de ne pas détourner son esprit d’elle. S’il en est besoin, on regardera son livre de prière (sidour) ; en ce cas, il sera bon de rapprocher le sidour de la coupe, afin de voir les deux ensemble. Après avoir bu soi-même du vin, on donnera à boire à son épouse ; par cela, la bénédiction s’étendra sur elle et sur lui (Choul’han ‘Aroukh 183, 4)[9].


[e]. La cérémonie nuptiale est en deux temps : les qidouchin consistent dans la remise de l’anneau nuptial à l’épousée. Lors des nissouïn, est célébré le commencement de la vie commune.

 

[7]. Selon le Igrot Moché (Ora’h ‘Haïm III 39), un verre jetable n’est pas un ustensile important ; il est défectueux par nature, et il ne convient pas de réciter sur un tel verre la bénédiction du Qidouch ; mais si l’on n’a pas d’autre verre, peut-être est-il possible d’être indulgent. Pour le Min’hat Yits’haq (X 23), un verre destiné à être jeté après un usage unique n’est pas considéré comme un ustensile (keli), aussi est-il impropre au Qidouch et à l’ablution des mains (nétilat yadaïm). Quand il n’y a pas d’autre choix, la solution consiste à décider de se servir de ce verre plusieurs fois, grâce à quoi il sera considéré comme un ustensile.

 

Face à cela, selon le Tsits Eliézer XII 23 et le Yalqout Yossef 271, 41, un verre jetable est valide pour le Qidouch et pour l’ablution des mains car, en lui-même, un tel verre est susceptible de plusieurs utilisations successives, et ce n’est que parce qu’il est bon marché que les gens préfèrent le jeter plutôt que de le laver. De plus, ce verre possède de l’importance : c’est un fait que l’on offre à boire à des personnes importantes dans de tels verres. Le Chemirat Chabbat Kehilkhata 47, 11 s’accorde à dire que l’on peut être indulgent a posteriori. Si l’on ne dispose même pas d’un verre jetable, on pourra réciter le Qidouch sur le vin qui se trouve dans la bouteille.

[8]. Boire directement du vin depuis un ustensile est considéré comme altérant le reste de son contenu. En revanche, verser du vin depuis une bouteille ou une coupe n’altère pas ce qu’il en reste. Pour la majorité des décisionnaires, la « réparation » d’un vin ainsi altéré se fait en y versant un peu de vin non altéré. Toutefois, selon le Maharam de Rothenburg, la « réparation » ne se fait que si l’on verse le vin altéré dans une quantité plus grande de vin non altéré.

 

A priori, il y a lieu de se rendre également quitte aux yeux du Maharam ; simplement, si l’on faisait cela directement, on altérerait, selon la majorité des opinions, tout le vin. On versera donc d’abord un peu de vin non altéré dans la coupe contenant le vin altéré – ce par quoi on aura déjà « réparé » ce vin selon la majorité des décisionnaires – ; après quoi on versera le contenu de la coupe dans la bouteille, ce qui le réparera également aux yeux du Maharam (cf. Michna Beroura 182, 27, Cha’ar Hatsioun 23-24). Il semble que, en un endroit où le fait de reverser du vin dans la bouteille est considéré comme impoli, il sera préférable de se conduire suivant la majorité des opinions, et de se contenter de « réparer » le contenu de la coupe en y ajoutant un peu de vin.

 

[9]. Berakhot 51a :

Dix choses ont été enseignées au sujet de la coupe du Qidouch : elle doit être nettoyée de l’intérieur, nettoyée de l’extérieur, on doit y verser un vin d’abord non coupé d’eau, elle doit être intacte, entourée [par la présence de tous les convives, ou par d’autres coupes], on doit se couvrir pour dire la bénédiction, prendre la coupe des deux mains, la transmettre à la main droite, la soulever d’un palme au-dessus du sol [ou, si l’on est attablé, au-dessus de la table], la regarder. Certains disent qu’on la transmet aussi aux convives. Rabbi Yo’hanan a dit : quant à nous, nous n’avons que quatre usages : la coupe doit être nettoyée de l’intérieur, nettoyée de l’extérieur, on doit y verser un vin d’abord non coupé, elle doit être intacte.

 

Maïmonide ne mentionne que les quatre points énumérés par Rabbi Yo’hanan. Mais cette position pose question, car Rabbi Yo’hanan lui-même, dans la suite de ce passage, hésite quant au fait de savoir s’il est permis que la main gauche aide la droite, ce qui tend à démontrer que la halakha ne se limite pas, en la matière, aux quatre premiers points.

 

Et en effet, selon les Guéonim, ce sont les dix choses énumérées plus haut qui sont retenues par la halakha. D’après le Roch, seuls le fait d’entourer la coupe et le fait de se couvrir pour dire la bénédiction ne sont pas adoptés par la halakha. Selon les élèves de Rabbénou Yona, cinq des dix points sont adoptés par la halakha : les quatre premiers et le fait de transmettre la coupe à la main droite, tandis que le reste n’est pas obligatoire. Le Gaon de Vilna (183, 7) explique que quatre points constituent des conditions indispensables à la réalisation de la mitsva, tandis que les autres participent de la mitsva sans en conditionner la validité. C’est en ce sens que se prononce le Michna Beroura 183, 20. Par conséquent, si l’on a tenu la coupe de la main gauche au lieu de la droite, on est quitte. Il semble même que, a posteriori, si l’on n’a pas tenu la coupe, mais que celle-ci ait été simplement posée devant soi au moment du Qidouch, on soit quitte (Michna Beroura 182, 15).

 

Concernant les gauchers, différentes coutumes existent : les décisionnaires écrivent qu’ils doivent tenir la coupe de la main gauche, qui est pour eux la main forte (Michna Beroura 183, 20). Selon la Kabbale, tout homme doit tenir la coupe de la main droite, et nombreux sont ceux qui ont cet usage (Kaf Ha’haïm 183, 29, Pisqé Techouvot 183, 10).

 

Autre sujet : la manière la plus parfaite de tenir le verre. Selon le Chné Lou’hot Habrit, se fondant sur les kabbalistes, et cité par le Michna Beroura 183, 15, on placera la coupe sur la paume de sa main droite, tandis que les doigts seront dressés autour de la coupe. Pour le Kaf Ha’haïm 183, 20, on placera la coupe à mi-hauteur des doigts dressés (et non sur la paume). Selon le Maguen Avraham 183, 6, on peut expliquer que l’intention des kabbalistes est d’entourer la coupe avec l’ensemble de ses doigts, de la façon dont on saisit ordinairement une coupe. Cf. Pniné Halakha, Berakhot (Bénédictions) 5, note 22, et Har’havot sur le présent paragraphe.

07. Distribution du vin à tous les convives

Pour accomplir la mitsva du Qidouch, celui qui le récite – ou l’un de ceux qui l’écoutent – doit boire une mesure de vin appelée melo lougmav (comme nous l’avons vu au paragraphe 5). Par cela, les autres auditeurs s’acquittent de l’obligation du Qidouch, bien qu’ils ne boivent pas eux-mêmes de ce vin. Mais la façon la plus parfaite d’accomplir la mitsva est que chaque auditeur boive du vin du Qidouch (Choul’han ‘Aroukh 271, 14).

Simplement, il faut prendre soin, a priori, de ne pas verser dans les autres verres du vin provenant de la coupe où a bu celui qui a récité le Qidouch. En effet, comme nous l’avons vu (§ 6), le vin contenu dans un récipient où l’on a bu a le statut de vin altéré (pagoum) et ne convient pas à la coupe de bénédiction. Certes, tant que les convives boivent directement au verre à Qidouch, on ne peut considérer qu’ils boivent un vin altéré, car la consommation de tous est considérée comme une seule et même consommation continue. Ce n’est que lorsque l’on verse le vin, de la coupe du Qidouch vers un autre verre, que le vin doit être considéré comme altéré (Cha’ar Hatsioun 271, 89 ; Michna Beroura 182, 24).

Quand on veut verser de la coupe du Qidouch dans les verres des autres convives, il faut ajouter préalablement un peu de vin, de la bouteille vers la coupe ; de cette façon, le vin contenu dans la coupe aura le statut de vin « corrigé » (metouqan), et l’on pourra en verser aux autres convives (Choul’han ‘Aroukh 182, 6 ; Michna Beroura 271, 82, Cha’ar Hatsioun 89). Certains ont une autre coutume : celui qui récite le Qidouch verse, depuis la coupe, une quantité de melo lougmav (cf. § 5) vers un autre verre, et c’est de cet autre verre qu’il boit le vin. De cette façon, la coupe du Qidouch demeure inaltérée, et c’est de cette coupe même que l’on versera du vin dans les verres des autres convives. En général, il faut ajouter du vin dans la coupe, afin d’en pouvoir verser à chacun.

Il existe encore une autre bonne méthode : verser, avant le Qidouch, un peu de vin dans le verre de chacun des convives ; après avoir entendu le Qidouch, chacun boira le vin contenu dans son verre. Quand on adopte cet usage, il n’est pas nécessaire que le meqadech verse du vin de sa coupe aux autres convives, car le vin qui est placé devant chacun pendant le Qidouch est considéré comme vin du Qidouch. Il y a deux avantages à cette méthode : 1) on réduit le temps qui sépare la bénédiction du moment où l’on boit ; 2) le vin n’est en rien altéré. Cette manière est particulièrement bonne quand les participants sont nombreux, ou quand on a des invités qui, peut-être, ne seraient pas à l’aise à l’idée de boire un vin versé depuis une coupe où le meqadech a bu (Choul’han ‘Aroukh 271, 16-17 ; Michna Beroura 83). Puisque chacun des convives a moins d’un revi’it devant soi, il boira seulement après le meqadech (Chemirat Chabbat Kehilkhata 48, note 74).

Quand les auditeurs du Qidouch ne boivent pas eux-mêmes de vin, ils doivent se taire jusqu’à ce que le meqadech ait bu la quantité de melo lougmav. A posteriori, s’ils ont parlé avant que le meqadech n’ait bu cette mesure, ils sont quittes (Chemirat Chabbat Kehilkhata 48, 6). Si l’on veut boire du vin du Qidouch, il faut s’abstenir de parler jusqu’au moment où l’on boit[10].


[10]. Si l’on a entendu la bénédiction du Qidouch (« Baroukh… meqadech ha-Chabbat ») ou celle de la Havdala (« Baroukh… hamavdil bein qodech le’hol ») mais que l’on n’ait pas entendu celle du vin lui-même (« boré peri haguéfen »), on est néanmoins quitte du Qidouch ou de la Havdala, car seul celui qui récite la bénédiction doit avoir du vin devant lui, tandis que les auditeurs s’acquittent même sans entendre la bénédiction du vin (Chemirat Chabbat Kehilkhata 47, 40). Mais si l’on veut boire du vin alors que l’on n’a pas entendu la bénédiction du vin, on récitera d’abord cette bénédiction.

 

Si, entre la bénédiction récitée par le meqadech et le moment de boire, l’un des auditeurs a prononcé une parole sans lien avec le Qidouch ou le repas, il doit réciter lui-même la bénédiction sur le vin avant de boire (Beit Yossef, Maguen Avraham, Taz, Michna Beroura 167, 43, Chemirat Chabbat Kehilkhata 48, 6. Mais selon le Rama et le Ben Ich ‘Haï, si le meqadech a déjà goûté de ce vin, l’auditeur qui a parlé ne récite pas la bénédiction).

 

Dans le cas où c’est le meqadech qui a parlé, alors que les auditeurs n’ont point parlé, les décisionnaires sont partagés. En pratique, puisque, en cas de doute portant sur une bénédiction on est indulgent, les auditeurs qui ne se sont pas interrompus sont autorisés à boire. Cf. Har’havot sur le présent paragraphe et Pniné Halakha, Berakhot (Bénédictions) 3, 4 note 4.

08. Coutumes liées au Qidouch et couverture des pains

La coutume la plus répandue consiste à se tenir debout pendant le Qidouch du soir de Chabbat, car on y témoigne de la Création du monde, or les témoins doivent être debout au moment de leur déposition. Rabbi Isaac Louria donne la même directive, en se fondant sur la partie ésotérique de la Torah (le sod) ; et tel est l’usage des Séfarades, ainsi que des ‘Hassidim (Choul’han ‘Aroukh 271, 10 ; Kaf Ha’haïm 62). Les Ashkénazes ont coutume de s’asseoir durant le Qidouch, afin que celui-ci se dise véritablement au lieu même du repas (or il est d’usage d’être assis pour manger). De plus, en restant assis, le meqadech et tous les auditeurs se lient les uns aux autres, en une même assemblée. Certains Ashkénazes apportent un supplément de perfection à la mitsva en se levant pour les versets de Vaïkhoulou, puis en s’asseyant pour la suite du Qidouch (Michna Beroura 271, 46 ; Chemirat Chabbat Kehilkhata 47, 28).

Lors du Qidouch du jour, de l’avis de tous, il est préférable de s’asseoir, et tel est l’usage de la majorité des communautés juives. Malgré cela, certains ont l’usage de se lever, et il n’y a pas d’interdit à cela.

Bien qu’une femme puisse, comme un homme, réciter le Qidouch, il est de coutume que l’homme le récite pour l’ensemble de sa famille. Quand plusieurs pères de famille prennent ensemble leur repas, il est préférable que l’un d’entre eux récite le Qidouch pour tous, car « c’est dans un peuple nombreux que se manifeste la gloire du roi » (Pr 14, 28 ; Choul’han ‘Aroukh 167, 11).

On a coutume de couvrir les pains (‘halot) au moment du Qidouch car, chaque fois que nous sommes en présence de pain et de vin, et que nous voulons consommer des deux, il est de principe que nous devons d’abord prononcer la bénédiction sur le pain, qui est plus important que le vin. Or quand on doit dire le Qidouch, il faut faire précéder le vin ; si bien que, pour ne pas déroger à la préséance, on recouvre les pains. De même, quand on a face à soi des pâtisseries au moment du Qidouch, on doit les recouvrir, car elles aussi ont priorité sur le vin. Quand on propose un Qidouch aux fidèles après la prière du matin de Chabbat, quiconque a l’intention de boire du vin après le Qidouch doit recouvrir préalablement les gâteaux qui sont devant lui. Si l’on n’a pas l’intention de boire du vin après le Qidouch, on n’a pas besoin de couvrir lesdits gâteaux (cf. Chemirat Chabbat Kehilkhata 47, note 125). Suivant ce motif, il n’est pas nécessaire de placer les pains sur la table au moment du Qidouch, et ce n’est que s’ils s’y trouvent déjà que l’on doit les couvrir.

Certains avancent une raison supplémentaire à la couverture des pains : les deux ‘halot du Chabbat font allusion à la manne envoyée à Israël dans le désert ; or la manne était couverte de rosée, au-dessus et en-dessous. C’est en souvenir de cela que l’on place les ‘halot sur la nappe de la table et qu’on les recouvre, par en haut, d’un napperon. Se fondant sur ce motif, certains ont soin de placer les ‘halot couvertes sur la table, avant le Qidouch, en souvenir de la manne, et certains ont coutume de maintenir couvertes les ‘halot jusqu’à la fin de la bénédiction des pains (hamotsi). Suivant ce même motif, certains ont l’usage de couvrir les ‘halot, y compris avant le troisième repas, la sé’ouda chelichit (Michna Beroura 271, 41 ; ‘Aroukh Hachoul’han 271, 22).

09. L’interdit de manger et de boire avant le Qidouch

Dès lors que le Chabbat a commencé, c’est une mitsva que de se presser d’accomplir le commandement de zakhor, en récitant le Qidouch sur une coupe de vin. Nos sages ont prescrit de ne rien manger avant le Qidouch ; même boire de l’eau est interdit. Mais il est permis de se rincer la bouche avec de l’eau, ou de prendre un médicament (Choul’han ‘Aroukh 271, 4 ; Michna Beroura 13 ; Chemirat Chabbat Kehilkhata 52, 3)[11].

Cet interdit s’applique dès l’instant de l’entrée de Chabbat. Aussi, quand une femme a reçu le Chabbat par l’allumage des veilleuses, il lui est interdit de boire, jusqu’au moment où elle accomplira la mitsva du Qidouch. De même, il est interdit à un homme qui a accueilli la tosséfet Chabbat[f] de manger ou de boire avant de réaliser la mitsva du Qidouch. Si l’on n’a pas accompli la mitsva de tosséfet Chabbat, c’est depuis le coucher du soleil qu’il sera interdit de manger, car à ce moment le Chabbat commence, indépendamment du fait qu’on l’accueille (Michna Beroura 271, 11 ; cf. Chemirat Chabbat Kehilkhata 43, 46).

Le matin de Chabbat également, après l’office de Cha’harit, il est interdit de manger ou de boire avant le Qidouch.

Certaines personnes voudraient manger et boire avant la prière du matin ; mais comme on le sait, la chose est interdite, comme l’enseignent nos sages : « Quiconque mange et boit avant de prier, à lui s’applique le verset (1 Rois 14, 9) : “Et Moi, tu m’as rejeté loin de toi[g]”. Le Saint béni soit-Il dit : “Après qu’il s’est enorgueilli (en satisfaisant ses désirs), celui-ci accepterait le joug de la royauté des Cieux !” » (Berakhot 10b)[h]. En revanche, il est permis de boire de l’eau avant la prière, car le fait d’en boire n’est aucunement un signe d’orgueil. Les décisionnaires enseignent que, si l’on en a besoin, on est même autorisé à boire du café ou du thé. Et si l’on en éprouve l’ardent besoin, il est même permis d’adoucir ces boissons en y ajoutant un peu de sucre et de lait (Choul’han ‘Aroukh, Ora’h ‘Haïm 89, 3-4).

Si l’on est malade, et que l’on ait besoin de manger avant la prière, ou que l’on ait très faim, au point de savoir que, si l’on ne mangeait rien, on ne pourrait se concentrer dans sa prière, on est autorisé à manger un peu avant l’office (cf. La Prière d’Israël 12, 6-7). Et quoique certains auteurs disent que l’on doit en ce cas réciter le Qidouch, on ne dit pas, en pratique, le Qidouch avant la prière, car la coutume est conforme à l’opinion de ceux qui estiment que l’obligation du Qidouch ne commence à courir qu’après la prière de Cha’harit[12].

Une femme qui a l’habitude de réciter la ‘Amida de Cha’harit est autorisée à boire avant sa prière. En cas de besoin, il lui est même permis de manger, comme les hommes, car tant qu’elle n’a pas prié, l’obligation du Qidouch ne pèse pas sur elle. En revanche, quand une femme ne dit habituellement que les bénédictions matinales (Birkot hacha’har), l’obligation du Qidouch lui incombe dès le lever ; si elle souhaite manger ou boire, elle récitera d’abord les bénédictions matinales, puis dira le Qidouch, après quoi elle mangera et boira. En cas d’impérieuse nécessité – par exemple si elle ne sait pas réciter le Qidouch et qu’elle ait très soif –, elle pourra boire ; et si elle éprouve un grand besoin de manger, elle mangera (La Prière juive au féminin 22, 10)[13].

Quand un enfant est parvenu à l’âge de l’éducation, on doit a priori l’habituer à ne pas manger avant le Qidouch ; mais s’il a faim ou soif, il est permis de lui donner à manger et à boire avant le Qidouch (Chemirat Chabbat Kehilkhata 52, 18, Yalqout Yossef 271, 17).


[11]. Ce qui vient d’être dit ne vaut que lorsqu’on dispose de vin ou de pain, sur lesquels on peut réciter le Qidouch. Mais si l’on n’a ni vin ni pain, on peut manger sans Qidouch. En ce cas, on dira le texte du Qidouch sans les bénédictions, afin de s’acquitter tout de même de la mitsva de zakhor aux yeux de la Torah. Si l’on s’attend à ce que quelqu’un apporte du vin avant le milieu de la nuit (‘hatsot), il est bon d’attendre avant de réciter le Qidouch. S’il est difficile d’attendre, on est autorisé à manger. Lorsqu’on apportera le vin durant la nuit, on récitera dessus le Qidouch, puis on mangera la mesure d’un kazaït de pain ou de gâteau (Michna Beroura 289, 10).

 

[f]. Cf. Chap. 3 § 2.

 

[g]. Littéralement derrière ton dos, le mot gavekha, ton dos, faisant allusion à guéékha, ton orgueil.

[h]. Le fait de manger ou de boire certaines boissons avant la prière est associé à la notion d’orgueil, car cela revient à donner à la satisfaction de ses propres désirs la priorité sur le service de Dieu. Se concevoir comme serviteur avant de rechercher la satisfaction de ses désirs est au contraire un signe d’humilité.

 

[12]. Selon le Michna Beroura (Béour Halakha 289), celui qui mange avant la prière doit dire le Qidouch : dès lors que l’on mange, la collation relève, d’une certaine manière, du repas sabbatique (la sé’ouda), laquelle requiert un Qidouch. C’est aussi l’opinion du Igrot Moché, Ora’h ‘Haïm II, fin du chiffre 28 et du Yalqout Yossef 289, 5. En revanche, si l’on se contente de boire avant la prière, il n’est pas besoin de dire le Qidouch.

 

Face à ces autorités, les responsa Qéren lé-David 84, ‘Helqat Ya’aqov 4, 32 et d’autres A’haronim estiment que, même si l’on mange, on n’a pas à dire le Qidouch, car l’obligation du Qidouch ne s’applique qu’après la prière. En effet, le Qidouch fut institué pour précéder un repas sabbatique proprement dit, comme il est dit : « Tu appelleras le Chabbat délice » (Is 58, 13) [cf. ci-après, début du paragraphe 10, où cette notion est expliquée] ; or celui qui mange avant la prière le fait faute de choix, pour les besoins de sa santé et non au titre des délices sabbatiques. Aussi ne convient-il pas de réciter le Qidouch à ce moment. Et tel est l’usage.

[13]. Selon Na’hmanide, les femmes ont l’obligation de réciter la ‘Amida de Cha’harit et celle de Min’ha. Selon Maïmonide, elles ne sont tenues qu’à une prière quotidienne. Pour le Maguen Avraham, se plaçant dans la perspective de Maïmonide, il n’est pas nécessaire que la femme récite précisément la ‘Amida : elle s’acquitte de son obligation par toute prière. D’après cette thèse, si la femme dit les bénédictions matinales, elle s’acquitte par-là de son obligation, car ces bénédictions portent en elles une valeur de prière (comme l’explique le Michna Beroura 106, 4 ; cf. La Prière juive au féminin 2, 2-5).

 

Le moment à partir duquel court l’obligation du Qidouch dépend de l’usage adopté par la femme : si elle a l’usage de réciter la ‘Amida de Cha’harit, la règle qui s’applique à elle est semblable à celle des hommes : si elle doit boire ou manger avant de prier, il ne lui sera pas nécessaire de réciter d’abord le Qidouch. Même si elle n’a l’usage de réciter la ‘Amida de Cha’harit que le jour de Chabbat, elle pourra dire les bénédictions matinales avec l’intention de ne pas s’acquitter par elles de son obligation de prier ; alors, si elle mange ou boit avant la ‘Amida, elle ne récitera pas le Qidouch. C’est ce qu’écrit le Chemirat Chabbat Kehilkhata 52, 13 (et note 44).

 

Une femme qui n’a pas l’usage de réciter la ‘Amida est, dès son lever, assujettie à la mitsva du Qidouch. En cas de nécessité impérieuse, par exemple si elle ne sait pas réciter le Qidouch, elle pourra être indulgente car, de l’avis du Maharam ‘Halawa, les femmes sont dispensées du Qidouch du matin. De plus, selon le Raavad et ceux qui adoptent ses vues, il n’est pas interdit de manger avant le Qidouch du jour. Par ailleurs, certains auteurs, expliquant Maïmonide, estiment que, selon lui, bien qu’il soit généralement interdit de manger et de boire avant le Qidouch, il est toujours possible de boire de l’eau. Par conséquent, en cas de nécessité pressante, il est permis de boire avant le Qidouch et, si la femme a également besoin de manger, elle est même autorisée à le faire. Telle est la position du Min’hat Yits’haq IV 28, 3, du Chemirat Chabbat Kehilkhata 52, 13 et du Yalqout Yossef 289, 6.

 

Le Igrot Moché (Ora’h ‘Haïm IV 101, 2) apporte un autre élément novateur : la règle applicable à la femme mariée est, dit-il, particulière. Puisque elle doit manger avec son mari, son obligation à l’égard du Qidouch est assujettie à celui-ci. Par conséquent, tant que le mari n’a pas terminé sa prière, il est permis à la femme de manger et de boire, car elle n’est pas encore soumise à l’obligation du Qidouch. Rabbi Chelomo Zalman Auerbach, commentant ces propos, a laissé la question en suspens (cf. Chemirat Chabbat Kehilkhata 52, note 46). En cas de besoin, on peut s’appuyer sur le Igrot Moché. De même, une femme mariée dont le mari a prié tôt le matin et, revenant de l’office, souhaite faire le Qidouch et manger avec elle, pourra se joindre à son Qidouch et manger avec lui, bien qu’elle ait l’intention d’aller ensuite à l’office de Cha’harit, car la vie familiale normale, selon la halakha, veut qu’une femme mange en compagnie de son mari. Elle aura soin de réciter préalablement les bénédictions matinales (Birkot hacha’har). Cf. La Prière juive au féminin 22, 10.

10. Le Qidouch se récite en un lieu où se donne un repas

Nos sages prescrivent de faire le Qidouch en un lieu où un repas est préparé (meqom sé’ouda, « lieu de repas »), comme il est dit : « Tu appelleras le Chabbat délice » (Is 58, 13), ce que l’on interprète en ce sens : c’est à l’endroit où l’on se délecte du Chabbat, en mangeant du pain ou des gâteaux, que l’on doit prononcer l’appel, c’est-à-dire la proclamation du Chabbat qu’est le Qidouch[i]. De cette façon, se manifeste le caractère particulier du Chabbat, dans lequel les repas forment le prolongement direct de la mitsva zakhor (« souviens-toi du jour du Chabbat »). La proclamation sacrée et la délectation que procurent les repas se complètent l’une l’autre. Si l’on ne mange pas au lieu même du Qidouch, il apparaît que l’on n’a pas accompli la mitsva du Qidouch, et il faut le redire au lieu où l’on mangera. Il n’y a pas de différence, à cet égard, entre le Qidouch du soir et celui du jour.

Certains grands maîtres de la Torah avaient coutume d’être rigoureux pour eux-mêmes, et avaient soin de prendre leur repas principal au lieu même du Qidouch. Tel était l’usage du Gaon de Vilna. Mais si l’on s’en tient à la stricte obligation, on s’acquitte de la mitsva dans le cas même où l’on mange simplement un kazaït (volume de la moitié d’un œuf environ) de pain ou de pâtisserie, à l’endroit où a été récité le Qidouch, et l’on pourra prendre ensuite son repas principal en un autre lieu. Selon les Guéonim, s’il n’y a pas de pain ou de pâtisserie dans la salle où se dit le Qidouch, on pourra réaliser le repas qui le suit nécessairement en buvant un revi’it (75 ml) de vin, car le vin nourrit et restaure. En cas d’ardente nécessité, on peut s’appuyer sur cet enseignement ; simplement, pour le Qidouch du soir, fondé sur une obligation toranique, le meqadech aura soin, en ce cas, de boire un revi’it de vin en plus de la mesure de melo lougmav qu’il doit consommer pour s’acquitter du Qidouch lui-même. Les autres participants pourront se contenter de boire un revi’it (Choul’han ‘Aroukh 273, 5, Michna Beroura 273, 25 et 27, Cha’ar Hatsioun 29).

Mais si l’on a écouté le Qidouch à la synagogue et que l’on ait bu un peu de jus, et mangé moins d’un kazaït de gâteau, on n’est pas quitte de la mitsva du Qidouch. Non seulement cela, mais on aura même transgressé les paroles de nos sages, qui ont interdit de manger et de boire avant le Qidouch ; en effet, dès lors que l’on n’est pas quitte du Qidouch, tout ce que l’on mange ou boit est considéré comme consommé « avant le Qidouch ».

Quant au fait de savoir quel degré d’éloignement est admissible pour que l’on considère encore que l’on mange à l’endroit même du Qidouch, trois définitions ont été proposées par les Richonim. 1) Tous les endroits qui se trouvent dans une même pièce, même si l’on ne se voit pas les uns les autres, sont considérés comme un « même lieu » (Maïmonide, Tossephot, Roch). 2) Si l’on voit, depuis le lieu du Qidouch, l’endroit où se tient le repas, même si celui-ci se trouve dans une autre maison ou dans une cour, les deux lieux sont encore considérés comme un seul (Rav Sar Chalom). 3) Si l’on a l’intention, au moment du Qidouch, de passer ensuite dans une autre pièce du même édifice, les deux lieux sont encore considérés comme un seul (Rav Nissim Gaon).

En pratique, il faut a priori faire le Qidouch véritablement à l’endroit du repas. Quand cela est difficile, on peut manger dans un endroit qui réponde à deux des trois critères susmentionnés. Par exemple, si l’on doit manger dans une autre pièce, il est préférable d’en former l’intention au moment du Qidouch et de réciter celui-ci à un endroit d’où il soit possible de voir le lieu où l’on a l’intention de manger. En cas de nécessité impérieuse, on peut s’appuyer sur un seul des trois critères (Choul’han ‘Aroukh 273, 1, Michna Beroura et Cha’ar Hatsioun ad loc.).

A priori, il ne faut pas attendre entre le Qidouch et le repas ; de même, il ne faut pas se rendre dans un autre lieu, même si l’on a l’intention de revenir manger à l’endroit du Qidouch. A posteriori, si l’on s’est quelque peu interrompu, ou que l’on soit allé à un autre endroit entre-temps, on n’a pas pour autant perdu le bénéfice du Qidouch. Mais si l’on a formé l’intention de s’interrompre entre le Qidouch et le repas, et que l’on se soit effectivement interrompu plus de soixante-douze minutes, on a perdu le bénéfice du Qidouch et l’on doit le refaire (Rama 273, 3 ; Michna Beroura 12, Béour Halakha, passage commençant par Lé-altar ; Kaf Ha’haïm 29 ; Tsits Eliézer XI 26 ; Yalqout Yossef 273, 15 ; Chemirat Chabbat Kehilkhata 54, notes 46-47).


[i]. La racine קרא signifie, entre autres, appeler, dans le sens de nommer, comme le veut la lecture littérale de ce verset, mais aussi dans le sens de convoquer, proclamer, annoncer, comme le propose la lecture midrachique du verset. Dans cette perspective, ce dernier peut se lire : Tu feras la proclamation du Chabbat en présence des délices… d’un repas.

01. La mitsva des repas sabbatiques

Nos sages ont enseigné : « Quiconque prend trois repas le Chabbat est préservé de trois types de calamités : les souffrances précédant la venue du Messie, la peine de la géhenne et la guerre de Gog et Magog » (Chabbat 118a). Ils disent encore : « Quiconque fait du Chabbat un délice est préservé de la servitude à l’égard des nations » (ibid. 118b). Cela signifie que, si nous n’avions le Chabbat, nous serions totalement asservis au joug matériel de ce monde. Nous peinerions, nous fatiguant sans cesse afin de maintenir notre corps et de pourvoir à ses plaisirs, oubliant notre âme divine, et il serait bien difficile de nous élever aux idéaux divins. Nos aspirations spirituelles seraient entravées, réduites au silence ; partant, nous sombrerions dans tous les défauts et les défaillances que renferme le monde, lesquels entraînent les plus dures calamités. Mais quand on a le mérite de se relier, de tout son être, au Chabbat, par l’esprit et par le corps, par l’étude de la Torah, la prière, mais aussi par les délices sabbatiques et par le repos, on s’élève au-delà des manques affectant ce monde, vers le monde de l’éternité, qui est entièrement bon. Dès lors, on est préservé de toutes les calamités du monde.

Le monde matériel, grossier, est rempli d’entraves qui empêchent la lumière divine de se révéler, et l’âme de se réaliser. Mais qui fait du Chabbat son délice, par l’étude de la Torah, la prière et de bons repas, relie le corps à sa racine spirituelle, et la matérialité devient elle-même l’instrument de l’âme et de la sainteté sabbatique. Alors les limites et les entraves propres au monde matériel s’effacent, le cœur s’amende, et en lui s’accomplissent les paroles des sages : « Quiconque fait du Chabbat son délice, on exauce tous les souhaits de son cœur » (Chabbat 118b).

Grâce à l’honneur que l’on fait au Chabbat en ayant une maison ordonnée et en prenant les repas du saint jour, la matière se relie à sa racine spirituelle, ce qui attire à elle la bénédiction. Nos sages disent à ce propos que celui qui honore le Chabbat mérite la richesse (Chabbat 119a). Ils enseignent encore, à ce propos : « Quiconque fait du Chabbat son délice, on lui donne un héritage sans limite, comme il est dit : “Si tu retiens ton pas, le Chabbat, t’abstenant de te livrer à tes affaires en mon saint jour, et que tu appelles le Chabbat délice, honoré le jour saint de l’Eternel… alors tu te délecteras en l’Eternel, Je te ferai chevaucher sur les hauteurs de la terre et te nourrirai de l’héritage de Jacob ton père, car c’est la bouche de l’Eternel qui l’a annoncéˮ (Is 58, 13-14) » (Chabbat 118a). Or l’héritage de Jacob est sans limite.

Au premier abord, il est très facile de faire du Chabbat un objet de délice en prenant de bons repas ; pourquoi donc nos sages ont-ils tant insisté sur la récompense attachée à cela ? Tout le monde n’aime-t-il pas manger et se réjouir ? Cependant, la mitsva consiste à se délecter du Chabbat, et non dans la jouissance de son palais ou de son ventre ; c’est-à-dire que l’on savoure ces repas en pleine conscience de la sainteté du Chabbat, de façon que, par lesdits repas, se renforce le désir d’accroître l’étude de la Torah et l’observance des mitsvot. Si l’on a le mérite de se délecter ainsi du Chabbat, de relier la joie corporelle à l’élévation de l’âme, on est récompensé par la sainteté et la bénédiction, dans ce monde-ci et dans le monde futur.

Bien que le Chabbat et les jours de fête se ressemblent, il y a entre eux une différence. La mitsva du Chabbat consiste en la délectation, tandis que celle du Yom tov (jour de fête) est la joie. La différence est que la joie est manifeste, elle se voit de l’extérieur ; aussi est-ce une mitsva, les jours de Yom tov, que de manger de la viande et de boire davantage de vin. La délectation, elle, est intérieure, profonde et délicate, si bien que la mitsva de manger est, le Chabbat, plus délicate aussi, et si l’on ne trouve pas tellement de plaisir dans la viande et le vin, on peut se délecter d’autres aliments. C’est peut-être pour cela que le poisson caractérise davantage les mets de Chabbat, car son goût est raffiné, profond[1].


[1]. La notion du délice propre au Chabbat a pour source biblique Is 58, 13 ; elle est expliquée en Chabbat 118a et en Pessa’him 68b, comme l’écrivent le Méïri et le Rachba (Berakhot 49b). Tandis qu’au sujet du Yom tov, il est dit : « Tu te réjouiras en ta fête » (Dt 16, 14), comme expliqué en Pessa’him 109a ; Maïmonide (Yom tov 6, 17-18) rapporte que la joie s’établit par la consommation de viande et de vin.Le ‘Hatam Sofer (Ora’h ‘Haïm 168) précise que la différence tient à ce que, les jours de fête, si l’on mange sans appétit et que la viande soit néanmoins savoureuse à son palais, on accomplit ce faisant la mitsva de se réjouir ; le Chabbat en revanche, si l’on n’a pas d’appétit, on n’accomplit pas la mitsva du ‘oneg, la délectation. De plus, celui qui éprouverait un plaisir corporel à jeûner accomplirait par le jeûne la mitsva de se délecter le Chabbat (Choul’han ‘Aroukh 288, 2), tandis qu’il n’accomplirait pas la mitsva de se réjouir les jours de fête. La différence entre délice sabbatique et joie festive se traduit aussi par le fait que la joie des jours de fête, joie manifeste, interrompt les sept jours de deuil observés à l’occasion de la perte d’un proche parent ; tandis que le Chabbat, qui se caractérise par le délice intérieur, n’interrompt pas le deuil (Cheïltot, ‘Hayé Sarah 15). Toutefois, certains auteurs estiment qu’il y a également une mitsva de se réjouir le Chabbat (Aboudraham, se fondant sur le Sifré). Cf. Har’havot.

02. Domaine de la mitsva

Par les repas (sé’ouda, plur. sé’oudot) de Chabbat, ce sont deux mitsvot que nous accomplissons. La première est celle du ‘oneg Chabbat (délectation sabbatique), comme il est dit : « Tu appelleras le Chabbat délice » (Is 58, 13) ; cette mitsva s’accomplit essentiellement par les repas, mais ce que l’on mange entre les repas y participe également, ainsi que le sommeil. La seconde mitsva est proprement celle de prendre trois repas, les jours de Chabbat, obligation que nos sages tirent d’allusions contenues dans certains versets (Chabbat 117b)[2].

Le premier repas se prend le soir de Chabbat, le deuxième le matin, avant le midi solaire (‘hatsot hayom), et le troisième peut se prendre depuis la demi-heure qui suit le midi solaire, jusqu’au coucher du soleil. Si l’on prend son troisième repas (sé’ouda chelichit) avant cela, on n’est pas quitte (Choul’han ‘Aroukh 291, 2). Si l’on n’a pas pris son premier repas le soir de Chabbat, on prendra trois repas dans la journée. Si l’on n’a pas eu le temps de prendre son deuxième repas avant le milieu du jour, on prendra deux repas après le milieu du jour, car certains décisionnaires estiment que le fait de n’avoir pas respecté les horaires des repas de Chabbat ne fait pas échec à la validité de ceux-ci ; a posteriori, il y a lieu de s’appuyer sur leur avis (Halakhot Guedolot, Rama 291, 1).

La partie essentielle du repas est constituée par le pain, car c’est l’aliment le plus important ; c’est aussi une obligation que de préparer, pour les différents repas, de bons mets, qu’on a d’ordinaire plaisir à manger. À l’époque des sages du Talmud, de mémoire bénie, certaines personnes trouvaient leurs délices dans un plat d’épinards, de grands poissons et de têtes d’ail ; par conséquent, c’était alors une mitsva que d’en préparer pour Chabbat (Chabbat 118b, Michna Beroura 242, 1). Dans la mesure où la majorité des gens se délectent de viande, de vin et de fruits savoureux, les décisionnaires recommandent d’en servir en quantité (Choul’han ‘Aroukh 250, 2). Celui qui ne trouverait pas de plaisir dans la viande et le vin préparera, en vue des repas de Chabbat, les plats qu’il affectionne.

De l’avis des A’haronim, se fondant sur la Kabbale, c’est une mitsva que de manger du poisson à chacun des trois repas. Plusieurs allusions sont trouvées à l’appui de cette recommandation : les poissons symbolisent la bénédiction ; ils évoquent de plus une idée profonde : l’eau les recouvre, et le mauvais œil ne règne pas sur eux. Toutefois, si l’on n’a pas de plaisir à manger du poisson, on n’y est pas obligé (Maguen Avraham 242, 1).

Limiter sa consommation est, il est vrai, une bonne attitude dans la vie ; mais le Chabbat, c’est une mitsva que de manger abondamment, ce qui ne s’assimile pas à de la gloutonnerie puisque cette consommation répond à une mitsva (Chabbat 117b ; Choul’han ‘Aroukh 274, 2, Michna Beroura 6) ; cela, à condition de ne pas trop manger, car une consommation excessive apporte fatigue et tristesse. Ceux qui mangent de façon gloutonne, emplissent leur ventre, se fatiguent, s’endorment et n’étudient point la Torah ; ceux-là n’ont aucunement part à la mitsva : ce n’est pas du Chabbat qu’ils font un objet de délice, mais de leur gorge seulement (Chné Lou’hot Habrit, Chabbat, Ner Mitsva 37 ; cf. supra 5 § 3).

Il est interdit de jeûner le Chabbat, même une seule heure. Même si l’on n’a pas l’intention de jeûner, mais qu’en pratique on n’ait rien mangé du matin jusqu’à la fin de la sixième heure solaire, on transgresse l’interdit du jeûne, en plus de retarder son deuxième repas, qui ne sera pas pris en son temps (Choul’han ‘Aroukh et Rama 288, 1).

Un malade qui n’éprouve pas d’appétit n’est pas obligé de manger copieusement lors des repas de Chabbat. Puisque manger a pour but de procurer de la délectation, quiconque n’éprouve aucun délice n’a pas besoin de faire des repas copieux. On s’efforcera néanmoins de manger un peu plus que la mesure d’un kabeitsa (volume d’un œuf environ) de pain. S’il est difficile au malade de manger la mesure d’un kabeitsa, il mangera au moins un kazaït (volume de la moitié d’un œuf). Si même une si faible quantité le fait souffrir, le malade ne mangera pas du tout (Choul’han ‘Aroukh 288, 2 ; 291, 1)[3].


[2]. Selon le Séfer Ha’hinoukh 297, la mitsva du ‘oneg Chabbat est rabbinique, car sa source est un verset d’Isaïe (58, 13) [et non du Pentateuque], or l’obligation qui découle de paroles des prophètes est de même rang qu’une mitsva rabbinique. Selon Na’hmanide, la mitsva du ‘oneg Chabbat est toranique, comme il est dit : « Le septième jour sera un Chabbat solennel, une convocation sainte », or le terme convocation sainte (miqra qodech) porte en lui la notion d’honorer le Chabbat par de bons mets et par des vêtements nets. Le Michna Beroura 242, 1 cite ces sources. De cette controverse dépend le fait de savoir si l’interdit de jeûner pendant Chabbat est toranique ou rabbinique. Cf. Béour Halakha 288, 1.

 

La mitsva de prendre trois repas est, pour la majorité des décisionnaires, rabbinique. Nos maîtres trouvent à cette obligation un appui scripturaire dans le fait que le mot היום (aujourd’hui) apparaît trois fois en Exode 16, 25 au sujet de la manne : « Moïse dit : “Mangez-la aujourd’hui, car aujourd’hui est jour de Chabbat, consacré à l’Eternel ; aujourd’hui, vous ne la trouverez pas dans le champ” » (Chabbat 117b). Certains estiment qu’il s’agit là, non seulement d’un appui (asmakhta), mais d’une interprétation herméneutique (deracha) proprement dite (Yereïm, mitsva 92, Levouch). Selon le ‘Aroukh Hachoul’han 291, 1, même si cette mitsva n’émane pas de la Torah à proprement parler, elle fut certainement instituée par Moïse notre maître, qui la reçut au Sinaï. Cf. Chemirat Chabbat Kehilkhata 54, note 109.

[3]. Certes, pour que le Qidouch soit considéré comme valablement dit, dans un lieu où se prend un repas, il suffit de manger, à l’endroit où le Qidouch a été récité, un kazaït [volume de la moitié d’un œuf] de gâteau (certains soutiennent même qu’il suffit d’un revi’it [75 ml] de vin). Mais cette faible exigence s’explique par le fait qu’il n’est pas nécessaire que le Qidouch soit dit à l’emplacement même de l’un des trois repas sabbatiques : il suffit qu’il soit dit en un endroit où l’on se délecte du Chabbat et, pour ce faire, on peut se contenter d’un kazaït. Mais pour accomplir l’un quelconque des trois repas prescrits, il faut que l’on puisse considérer son repas comme « régulier » [sé’oudat qéva’, littéralement repas « fixe », par opposition à sé’oudat ar’aï, repas « occasionnel », petite collation]. Or la mesure minimale à consommer pour faire un repas « régulier » est de plus d’un kabeitsa. Ce n’est qu’a posteriori que l’on peut se contenter de la mesure d’un kazaït (Michna Beroura 291, 2, Chemirat Chabbat Kehilkhata 54, note 4 ; cf. Menou’hat Ahava I, 8, 2). En outre, si l’on veut manger moins d’un kabeitsa de pain, on se lavera les mains sans prononcer la bénédiction ‘Al nétilat yadaïm (Pniné Halakha, Bénédictions 2, 6).

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