Zmanim

06. Se faire couper les cheveux

Les Richonim ont écrit qu’il ne faut pas se faire couper les cheveux durant la période de l’omer. Comme nous l’avons vu (§ 3-4), selon la coutume séfarade, cet interdit se prolonge jusqu’au matin du trente-quatrième jour de l’omer. Selon la coutume ashkénaze, l’interdit court jusqu’au matin du trente-troisième jour (Lag ba’omer), mais certains décisionnaires permettent de se faire coiffer dès la nuit de Lag ba’omer, et l’on peut se fonder sur ces auteurs en cas de nécessité (cf. note 5).

Seule une coupe de cheveux habituelle est interdite, pour son côté quelque peu joyeux ; mais il est permis de se tailler la moustache si celle-ci est gênante quand on mange. De même, si la longueur de ses cheveux provoque des maux de tête, ou si l’on a des plaies sur la tête, on sera autorisé à se faire couper les cheveux pendant cette période (d’après Choul’han ‘Aroukh 551, 13 ; 531, 8 ; Michna Beroura 21, Béour Halakha ad loc. ; Sidour Pessa’h Kehilkhato 12, 8-9).

L’interdit de se faire couper les cheveux durant cette période s’applique également aux femmes. Toutefois, il est permis de se faire couper les cheveux pour des raisons de pudeur ; par exemple, une femme dont les cheveux dépassent de son couvre-chef pourra couper ces cheveux (Choul’han ‘Aroukh 551, 13, Michna Beroura 79). De même, il est permis de couper ou d’arracher des poils pour éviter un sentiment de honte. Par conséquent, il est permis aux femmes de s’épiler les sourcils, ou d’ôter des poils de leur visage (Pisqé Techouvot 493, 7 au nom du Rav Chelomo Zalman Auerbach ; cf. Igrot Moché, Yoré Dé’a II 137).

Il ne faut pas non plus couper les cheveux des enfants, pendant cette période. Mais pour répondre à une grande nécessité, afin de leur éviter une souffrance, cela sera permis (cf. Choul’han ‘Aroukh 551, 14, Michna Beroura 82).

En l’honneur d’une circoncision, il est permis à ceux qui sont directement concernés par cette joie – ceux que l’on appelle ba’alé ha-sim’ha – de se faire couper les cheveux. Les ba’alé ha-sim’ha sont : le père du bébé, le sandaq (celui qui a l’honneur de tenir le bébé pendant la circoncision) et le mohel (le circonciseur) (Michna Beroura 493, 12 ; la règle applicable à Yom ha’atsmaout, jour de l’indépendance d’Israël, sera exposée ci-après, chap. 4 § 11).

Quand Roch ‘hodech du mois d’iyar tombe un Chabbat, il est permis, suivant la coutume ashkénaze, de se faire couper les cheveux le vendredi, avant l’entrée de Chabbat (Michna Beroura 493, 5). Selon la coutume séfarade, on n’est indulgent à cet égard qu’en cas de nécessité pressante (Kaf Ha’haïm 493, 42)[8].

Ceux qui suivent la coutume de Rabbi Isaac Louria (le Ari zal) ont soin de ne pas se couper les cheveux pendant toute la période de l’omer, jusqu’à la veille de Chavou’ot : alors, on se fait couper les cheveux en l’honneur de la fête. Même pour une circoncision, selon cette coutume, on ne se fait pas couper les cheveux. On a seulement l’usage, à Lag ba’omer, de couper les cheveux des petits garçons de trois ans (Kaf Ha’haïm 493, 13 ; sur la coutume de la ‘halaqé, coupe de cheveux des garçons de trois ans, cf. ci-après chap. 5 § 6).


[8]. Quand Lag ba’omer tombe le dimanche, il est permis, d’après la coutume ashkénaze, de se raser et de se faire couper les cheveux dès le vendredi, en l’honneur de Chabbat (Rama 493, 2). Suivant la coutume séfarade, en revanche, on ne se fait pas couper les cheveux dès ce moment. Mais si Lag ba’omer tombe la veille de Chabbat, il est permis, même aux Séfarades, de se faire couper les cheveux et de se raser pendant Lag ba’omer (Choul’han ‘Aroukh 493, 2).

07. Se raser

S’agissant du rasage, une question se pose : si l’on a l’habitude de se raser tout au long de l’année, est-il permis de le faire pendant la période de l’omer ? Selon de nombreux décisionnaires, le rasage a même statut qu’une coupe de cheveux ; tant qu’il est interdit de se faire couper les cheveux, il est également interdit de se raser. Tel est l’usage de la majorité des étudiants de yéchiva, au point que le fait de ne pas se raser est devenu le signe le plus manifeste du deuil de l’omer.

En revanche, d’autres décisionnaires font une différence fondamentale entre la coupe de cheveux et le rasage. Dans une coupe de cheveux, en effet, il y a un aspect festif. Il est usuel que l’on aille chez le coiffeur à l’approche des fêtes, ou d’événements festifs. Tandis que se raser, de nos jours, est un acte routinier, accompli chaque jour, ou tous les deux ou trois jours, dans le but d’ôter les petits poils qui enlaidissent ceux qui ont l’habitude de se raser régulièrement. Ce n’est donc pas à un tel acte que s’applique l’interdit de se faire coiffer. En particulier, la veille de Chabbat, il convient de se raser, afin de ne pas accueillir le Chabbat de façon négligée.

Ceux qui souhaitent s’appuyer sur l’opinion des décisionnaires indulgents y sont autorisés, et il n’y a pas lieu de protester contre cela. Toutefois, il est juste, en pratique, que chacun poursuive la coutume de son père, ou s’en tienne à ce que son maître lui enseigne. En effet, bien que, si l’on s’en tient à la stricte règle, on puisse s’appuyer sur l’opinion indulgente, on ne saurait se dissimuler que ne pas se raser pendant l’omer est une expression forte d’abnégation en faveur de la pratique des mitsvot ; et il y a lieu de craindre qu’annuler cet usage ne porte atteinte au dévouement à la conservation des coutumes. Par conséquent, il est juste que chacun suive, à cet égard, les usages de son père ou les recommandations de son maître, car la question de la tradition et de l’influence de ses actes sur son entourage importe davantage ici que l’exactitude halakhique quant au fait de savoir si les conduites de deuil s’appliquent également au rasage[9].


[9]. Nombreux sont les décisionnaires rigoureux, qui interdisent entièrement de se raser pendant les jours de deuil que compte la période de l’omer. C’est la position du Kaf Ha’haïm 551, 66. Au chap. 493, 19, l’auteur écrit, se fondant sur des A’haronim, que l’on ne peut se raser que dans le cas où s’en abstenir entraînerait une perte dans ses moyens de subsistance. Le Igrot Moché, Ora’h ‘Haïm IV 102, permet lui aussi de se raser pour empêcher une perte financière, par exemple dans le cas où ses employeurs exigent d’être glabre.

Cependant, on peut dire à l’inverse que le rasage quotidien n’est pas comparable à une coupe de cheveux. En effet, à l’époque où l’on commença de marquer le deuil en s’abstenant de se couper les cheveux, le rasage n’existait pas. De même que, à l’égard de la défense faite aux endeuillés de se laver, il existe une différence entre un bain de plaisir et de rafraîchissement et un bain destiné à faire disparaître la saleté, de même on peut distinguer entre une coupe de cheveux, dont le caractère est quelque peu festif, et le rasage, qui se borne à ôter des poils inesthétiques. Or, durant l’omer, la coutume n’a jamais consisté qu’à s’abstenir de ce qui est festif, et non à manifester que l’on est en deuil, ce que les petits poils de barbe expriment précisément. Certes, pendant les sept jours ou le mois de deuil pour un proche, il n’y a pas lieu d’être indulgent à cet égard ; mais de même que l’on est indulgent à l’égard du rasage dans l’année de deuil, ainsi peut-on l’être pendant l’omer et pendant les trois semaines, du moins jusqu’à Roch ‘hodech du mois d’av. C’est en ce sens que s’exprime le Rav Tsvi Shechter dans Nefech Harav, p. 191, au nom du Rav Soloveitchik.

Cela s’entend plus encore quand le rasage se fait à l’approche de Chabbat. Nous voyons en effet, s’agissant de la coutume ashkénaze, que l’on s’abstient de se couper les cheveux pendant toute la période des trois semaines (du 17 tamouz au 9 av) ; or le Maguen Avraham 551, 14 écrit au nom du Hagahot Achri que l’on ne se coupe pas les cheveux, même avant Chabbat, puisque l’on n’a pas l’habitude de se couper les cheveux chaque semaine, ce qui laisse entendre que ceux qui ont l’habitude de se raser peuvent le faire en l’honneur de Chabbat. Cf. Béour Halakha 551, 3, selon lequel on peut inférer du Talmud de Jérusalem que c’est permis en l’honneur de Chabbat.

On peut ajouter à cela que, à l’origine, l’usage de deuil pendant l’omer consistait seulement à s’abstenir de se marier ; selon les Guéonim, on a commencé à s’abstenir de mariage dès l’époque de la mortalité qui frappa les disciples de Rabbi Aqiba. L’usage de ne point se faire couper les cheveux, en revanche, est mentionné pour la première fois dans les écrits des Richonim [au Moyen Âge] : le Or’hot ‘Haïm, le Chibolé Haléqet et d’autres. Peut-être les communautés juives ont-elles commencé d’adopter cette abstention après que de nouveaux malheurs eurent frappé le peuple juif, notamment les croisades (cf. Minhagué Israël I p. 105 et 112-117).

Dans ses Responsa (II 687), le Radbaz écrit que certains ont coutume de se couper les cheveux tout au long du mois de nissan, mois durant lequel il est interdit de prononcer un éloge funèbre ou de jeûner. D’autres ont coutume de se couper les cheveux chaque veille de Chabbat. L’auteur permet aussi de se faire couper les cheveux à Roch ‘hodech iyar, contrairement à l’opinion du Choul’han ‘Aroukh 493, 3. Il ressort de ses propos que, selon cette coutume, on peut suivre l’usage indulgent.

Quant à l’ancienne coutume du Yémen, on ne s’abstenait pas de se couper les cheveux pendant l’ensemble de l’omer. Plus tard, les Juifs yéménites commencèrent d’être plus rigoureux à cet égard. Selon le Rav Machreqi, auteur du Chtilé Zeitim, et le Maharits dans ses responsa Pe’oulat Tsadiq II 76, on peut cependant se faire couper les cheveux la veille de Chabbat.

Aussi, lorsqu’un doute s’élève quant au fait de savoir si le rasage doit être assimilé à la coupe de cheveux, il y a lieu de joindre l’opinion des décisionnaires entièrement indulgents aux autres motifs d’indulgence.  Cf. les responsa Ner Ezra II p. 155-158, qui conclut à l’indulgence en matière de rasage à l’approche de Chabbat, et précise que telle est l’opinion du Rav Min-Hahar et du Rav Lichtenstein. Le Rav Rabinowitz, directeur spirituel de la yéchiva de Ma’alé Adoumim, suggère à chacun de suivre les usages de son père : que l’on ne se trouve pas dans une situation où le père est rasé et le fils non rasé, ou l’inverse, ce qui porterait atteinte à l’honneur du père.

On peut citer un autre motif d’autorisation : pour ceux qui ont l’habitude de se raser, s’abstenir de le faire pendant plusieurs jours est généralement source de souffrance, de sorte que cela ressemble peut-être au cas de la moustache, qu’il est permis de tailler quand elle gêne l’ingestion de nourriture, ou au cas des cheveux causant des plaies à la tête ou des maux de tête, cheveux que l’on peut couper. Cf. Kaf Ha’haïm 493, 17, qui permet à celui qui souffre de se faire couper les cheveux en l’honneur de Chabbat. Le ‘Hida, dans Yossef Omets 40, mentionne une explication selon laquelle ceux qui se rasent souffrent beaucoup de ne pas le faire, et que cette gêne est supérieure à celle que l’on peut éprouver quand les cheveux sont trop longs.

Si l’on s’en tient à la stricte obligation, il nous semble juste de conseiller à ceux qui ont l’habitude de se raser tout au long de l’année de le faire en l’honneur de Chabbat ; quant à ceux qui souhaitent être indulgents, ils sont autorisés à se raser toute la semaine, car la coutume du deuil ne porte pas sur un rasage quotidien. Cependant, comme nous l’avons vu plus haut, il y a lieu de craindre de porter atteinte à la tradition, s’agissant d’un usage aussi voyant. Par conséquent, il est souhaitable que chacun adopte la conduite de son père ou les instructions de son maître. Cf. ci-après chap. 8 § 11, sur un sujet proche, le rasage pendant les trois semaines.

08. Danses et instruments de musique

Puisque l’on a pris l’usage, durant la période de l’omer, de ne pas organiser de réunions trop joyeuses, les A’haronim écrivent qu’il faut interdire, à ce titre, les rondes et danses facultatives (par opposition aux danses faites à l’occasion d’une mitsva ; Maguen Avraham 493, 1). De même, on a coutume d’interdire de jouer des instruments de musique et de les écouter.

Suivant la coutume séfarade, quoique les jours de deuil se poursuivent jusqu’au trente-quatrième jour au matin, il est permis, à Lag ba’omer, en l’honneur de la hiloula de Rabbi Chimon bar Yo’haï, de jouer de la musique et de danser. Après Lag ba’omer, l’interdit reprend dans la nuit du trente-quatrième jour, puis, dès après le commencement de la matinée, les usages de deuil prennent fin.

Suivant la coutume ashkénaze, l’interdit court jusqu’à l’expiration du trente-deuxième jour de l’omer ; et dès le début de Lag ba’omer, il devient permis de jouer de la musique, de danser et de se réjouir en l’honneur de la hiloula de Rabbi Chimon bar Yo’haï. Après cela, la coutume observée par la majorité des Ashkénazes est de s’abstenir, jusqu’à Chavou’ot, d’organiser de grandes réunions joyeuses, telles qu’une réception donnée pour la clôture de l’étude d’un traité talmudique, si cette réunion prend un caractère festif, ou de joyeuses soirées de danse. Il est en revanche permis de jouer ou d’écouter des instruments de musique. Un groupe d’aérobic, dont le propos essentiel est l’entraînement gymnastique, peut tenir ses séances, même avant Lag ba’omer. Mais on s’efforcera d’atténuer le volume sonore de la musique, afin qu’il soit reconnaissable que le propos est ici de s’entraîner et non de se réjouir[10].

À ‘Hol hamo’ed, jours intermédiaires de la fête de Pessa’h, on a coutume de jouer de la musique et de danser, car c’est une mitsva que de se réjouir à ‘Hol hamo’ed (Michna Beroura 529, 16 ; cf. Pisqé Techouvot 493, 6). Simplement, on ne célèbre pas de mariage à ‘Hol hamo’ed, car nous avons pour principe halakhique que l’on ne mélange pas une joie à une autre (Choul’han ‘Aroukh, Ora’h ‘Haïm 546, 1). De même, si nos sages ont interdit de se couper les cheveux à ‘Hol hamo’ed, c’est afin qu’on se les fasse couper avant la fête (ibid. 531, 2).

Il est permis à un Juif qui tire sa subsistance de la pratique instrumentale de jouer de son instrument dans le cadre de fêtes des non-Juifs, pour les besoins de sa subsistance. De même, il est permis d’apprendre et d’enseigner son instrument, durant l’omer, puisque cet apprentissage n’est pas source de joie (Sidour Pessa’h Kehilkhato 12, 16 ; cf. Pisqé Techouvot 493, 4). Mais si l’élève n’a de toute façon pas l’habitude d’étudier son instrument de façon continue tout au long de l’année, il sera bon, si possible, de programmer les vacances de cette activité pendant le deuil de l’omer. Si l’on ne prévoit qu’une seule période de pause au cours de l’année, il sera préférable de la programmer pendant les trois semaines (cf. ci-après chap. 8 § 2).


[10]. Les A’haronim du monde ashkénaze ont parfois hésité à autoriser les grandes réunions joyeuses, au-delà des trente-trois jours où l’on observe l’essentiel des usages de deuil. Ils ont également émis des doutes quant aux jours compris entre Roch ‘hodech sivan et la fête de Chavou’ot, comme l’indique le Cha’ar Hatsioun 493, 4 au nom du Elya Rabba et du Peri Mégadim, et comme le rapporte le Sidour Pessa’h Kehilkhato 12, note 50. Le Rav Chelomo Zalman Auerbach et le Rav Wozner l’interdisent (Pisqé Techouvot 493, 6, 43). Bien que la coutume, en terre d’Israël, soit d’autoriser les mariages après Roch ‘hodech sivan, il y a lieu, quant aux danses et rondes facultatives (par opposition à celles que l’on fait à l’occasion d’une mitsva), d’être rigoureux pendant toute la période de l’omer. Le fait de poursuivre des usages de deuil après Lag ba’omer repose sur deux fondements : premièrement, la tradition selon laquelle les disciples de Rabbi Aqiba moururent durant toute la période de l’omer, ou durant tous les jours profanes de cette période ; deuxièmement, les événements dramatiques qui frappèrent les communautés d’Allemagne durant cette période. Simplement, on a coutume d’être plus rigoureux jusqu’à Lag ba’omer, et moins ensuite. Tout cela est expliqué ci-dessus, § 2 et 4, et dans les notes 2 et 4.

La distinction entre grande réunion joyeuse et réunion joyeuse ordinaire n’est pas très définie. Les soirées de danse sont considérées comme de grandes réunions joyeuses, de même qu’une clôture de traité talmudique, quand elle prend un caractère festif. Quand la chose est douteuse, on pourra être indulgent si l’on associe au thème de la réunion la clôture d’un traité, ou quelque autre mitsva.

Suivant les coutumes séfarades, tout est permis ; quand, parmi le groupe, se trouvent de nombreux Séfarades, on pourra tendre à l’indulgence, conformément à leur tradition. Malgré cela, il sera bon d’associer à la réunion une clôture de traité ou quelque autre mitsva.

09. Circoncision, introduction d’un rouleau de la Torah, bar-mitsva

Il est permis d’organiser des repas donnés à l’occasion d’une mitsva, et d’y chanter et danser, comme on en a l’usage tout au long de l’année. Par exemple, il est permis, pendant l’omer, de donner un repas à l’occasion d’une circoncision (berit-mila), du rachat d’un premier-né (pidyon haben) ou de la clôture d’un traité talmudique (siyoum massékhet). Si l’on a l’habitude, durant de tels repas, de danser et de diffuser de la musique joyeuse, on y sera autorisé, puisqu’il s’agit là d’une joie associée à une mitsva.

De même, s’agissant de faire venir des musiciens : en un lieu où il est d’usage constant de faire venir des musiciens pour animer de tels repas associés à une mitsva, il sera permis de réserver un tel orchestre, même durant les jours de l’omer, marqués par le deuil. Quoiqu’il y ait des décisionnaires rigoureux en cette matière, la halakha est conforme à l’avis des décisionnaires indulgents, puisque l’on se trouve en présence d’un doute portant seulement sur une coutume de deuil. Mais dans le cas où, de toute façon, il n’est pas certain que l’habitude soit de réserver des musiciens, il sera préférable de s’en abstenir durant cette période.

Il est permis de fêter l’entrée d’un nouveau rouleau de la Torah (séfer-Torah) à la synagogue, avec des chants, des instruments et des danses, selon l’usage, car ces danses et ces mélodies sont exécutées en l’honneur d’une mitsva.

La règle est la même s’agissant d’un repas de bar-mitsva, organisé le jour même de l’accession du jeune homme à l’âge des mitsvot (treizième anniversaire, selon la date hébraïque) : il sera permis d’organiser un tel repas, comme on en a l’habitude dans le reste de l’année. Quand il n’est pas possible de fixer cette fête de bar-mitsva le jour même où l’adolescent accède à l’âge des mitsvot, il sera permis d’organiser ce repas sans y faire entendre de musique. Toutefois, si, au début de cette même réunion, on a prévu une clôture d’étude de traité talmudique, ou d’un des six ordres de la Michna, on pourra y diffuser de la musique, selon ce qui est habituel en de semblables fêtes de bar-mitsva[11].


[11]. Pour un repas de chidoukhim, considéré quelque peu comme un repas donné en l’honneur d’une mitsva (sé’oudat mitsva), cf. Maguen Avraham 493, 1 et Michna Beroura 3. Cf. ci-dessus § 5 et note 7. Les décisionnaires qui permettent la musique instrumentale lors d’un repas donné en l’honneur d’une mitsva sont : Igrot Moché, Ora’h ‘Haïm II 95 et Even Ha’ezer I 97 ; Michné Halakhot 6, 109 ; Ye’havé Da’at VI 34. Parmi ceux qui l’interdisent : Min’hat Yits’haq I 111 d’après Da’at Qedochim ; cf. Pisqé Techouvot 493, 5. En ces matières, la halakha est conforme à l’opinion indulgente. Selon le Chlamé Mo’ed p. 454 au nom du Rav Chelomo Zalman Auerbach, il est permis d’organiser un repas de bar-mitsva un jour autre que celui où le jeune homme accède à sa majorité religieuse, mais sans danses ni orchestre. S’agissant même d’activités organisées afin de réjouir des personnes handicapées saines d’esprit, il est interdit de mettre sur pied une fête joyeuse durant ces jours.

10. Ecouter de la musique depuis un appareil électrique domestique

De l’avis de nombreux décisionnaires, il n’y a pas de différence entre l’écoute de musiciens jouant en direct et l’écoute de musique instrumentale par le biais de la radio ou de quelque autre appareil de diffusion électronique : de même qu’il est interdit d’écouter, durant l’omer, des mélodies jouées par des instruments de musique, ce jusqu’à Lag ba’omer – et durant les trois semaines (du 17 tamouz au 9 av) –, de même est-ce interdit par le biais d’appareils de diffusion électronique. En revanche, il est permis d’écouter des chants sans accompagnement instrumental, diffusés par de tels appareils (Igrot Moché, Yoré Dé’a II 137, Ye’havé Da’at VI 34). Certains interdisent cependant l’écoute de chants, même sans accompagnement instrumental et par le biais d’un appareil électrique, car l’appareil est considéré, selon eux, comme un instrument de musique (Tsits Eliézer XV 33, Chévet Halévi VIII 127).

Cependant, d’autres décisionnaires estiment que la coutume d’interdire l’écoute d’instruments de musique pendant cette période ne s’applique pas à la musique instrumentale diffusée à la radio ou par quelque autre matériel électronique domestique, car cela ne présente pas de caractère festif, à la différence de l’écoute de musiciens en direct. De plus, de nos jours, tout le monde a l’habitude d’écouter des airs à la radio ou par quelque autre moyen semblable, de sorte que le caractère routinier de cette activité annule le caractère festif et joyeux qui résidait autrefois dans une telle écoute. Dans cette mesure, la musique instrumentale, ainsi diffusée, devient semblable à la musique vocale, qui n’est pas interdite durant l’omer. De plus, il faut distinguer entre les musiques joyeuses et les musiques « neutres » : ce ne sont que les musiques joyeuses qu’il y a lieu d’interdire durant cette période, même diffusés par le biais d’un appareil domestique. En revanche, des airs non dotés d’un caractère joyeux, et à plus forte raison des airs tristes n’ont pas lieu d’être interdits durant les jours de deuil que comporte l’omer. Si l’on souhaite être indulgent, on est autorisé à s’appuyer sur cette opinion, et à écouter des morceaux « neutres » ou tristes depuis un matériel électrique domestique. On ne les écoutera simplement pas à volume élevé, car la puissance du son, qui remplit la pièce, crée, elle aussi, un certain caractère festif.

Il semble que tous les avis s’accorderaient à dire qu’un automobiliste, qui craindrait de s’endormir en voiture, est autorisé à écouter de la musique pour se tenir éveillé[12].


[12]. Parmi les décisionnaires interdisant cela : Igrot Moché, Yoré Dé’a II 137. Celui-ci tend même à interdire, en Ora’h ‘Haïm I 166, l’écoute d’instruments de musique tout au long de l’année, en raison du deuil lié à la destruction du Temple ; à plus forte raison est-il rigoureux durant l’omer et les trois semaines. Le Ye’havé Da’at VI 34, bien qu’il autorise l’écoute d’instruments de musique à notre époque, interdit d’écouter de la musique instrumentale par le biais de la radio ou d’autres moyens semblables pendant l’omer et les trois semaines (toutefois, dans une réponse donnée oralement, l’auteur a autorisé la chaîne de radio Arutz 7 à diffuser de la musique pendant ces périodes, afin qu’elle puisse maintenir, grâce à la présence de sa programmation musicale, ses séquences consacrées à la Torah). L’opinion rigoureuse est partagée par le Min’hat Yits’haq I 111 ; le Rav Chelomo Zalman Auerbach et le Rav Elyachiv interdisent, eux aussi, l’écoute de musique instrumentale à la radio (Chlamé Mo’ed p. 453). Le Tsits Eliézer XV 33 et le Chévet Halévi VIII 127 interdisent même l’écoute de musique purement vocale. Cf. Pisqé Techouvot 493, 4.

Toutefois, les motifs d’indulgence sont forts. Premièrement, un instrument de musique n’est pas nécessairement une expression de joie. On voit ainsi, dans le Talmud, que l’on jouait sur les flûtes pour accompagner un enterrement, en signe de déploration : cf. Chabbat 151a. Le Peri Mégadim permet aussi de jouer de son instrument pour gagner sa vie, comme le rapporte le Béour Halakha 551, 2. Le Maharam Shik, Yoré Dé’a 368, s’attache à distinguer la mélodie joyeuse de la mélodie triste : selon lui, cette dernière n’est pas interdite pendant les jours de deuil. (Le même auteur interdit pourtant d’enseigner un instrument à certains enfants endeuillés, durant l’année de leur deuil, dans le cas où toute leur étude vise, non à la subsistance, mais au seul divertissement et au plaisir.) Quoi qu’il en soit, nous voyons que seuls les airs joyeux sont, à ses yeux, interdits.

C’est aussi ce que l’on peut inférer des propos de Maïmonide, Ta’aniot 5, 14, lorsqu’il traite de l’interdit de la musique instrumentale après la destruction du Temple : « De même, dit-il, nos sages ont interdit de jouer d’aucun instrument de musique. Toutes sortes d’airs… il est interdit de s’en réjouir, et il est interdit de les écouter en raison de la destruction du Temple. » D’après cela, il semble que l’interdit d’écouter des instruments de musique s’applique essentiellement aux morceaux joyeux, qui conviennent aux danses et rondes ; en revanche, les morceaux ordinaires, et à plus forte raison les morceaux tristes ne sont pas interdits.

Les responsa ‘Helqat Ya’aqov I 62 avancent un autre motif d’autorisation : l’écoute de la radio ou d’un magnétophone n’est pas visée par le décret (ou par l’usage de deuil), puisque ces appareils n’existaient pas à l’époque talmudique. Peut-être encore, lorsque ces appareils étaient rares, y avait-il quelque chose de festif à les écouter, si bien que de nombreux auteurs s’opposèrent sur ce point au ‘Helqat Ya’aqov. Mais de nos jours, l’écoute de ces moyens de diffusion est devenue chose routinière, dépourvue de tout aspect festif ; aussi une telle écoute ne saurait plus entrer dans le champ de l’interdit coutumier. Telle est l’opinion de notre père et maître, le Rav Zalman Baroukh Melamed. Le Rav Chemouel David se prononce dans le même sens dans la revue Te’humin n°13. Cf. également ci-après chap. 8 § 4. Puisque tout l’interdit a un caractère coutumier, la halakha est, en cas de doute, conforme à l’opinion indulgente. La chaîne Arutz 7 diffuse ainsi, pendant les jours de deuil de l’omer, des musiques ordinaires, et s’abstient de diffuser des musiques destinées à la joie et aux danses.

Toutes les opinions s’accordent à interdire d’aller au concert, même si le programme musical est neutre ou triste, car le fait même de se joindre à un concert possède un caractère festif, et par conséquent joyeux. De même, il nous semble qu’écouter à haut volume sonore, même s’il s’agit d’une mélodie appartenant à la catégorie médiane, est interdit, parce que la puissance sonore crée un certain caractère festif. Suivant tous les avis, un conducteur d’auto peut écouter de la musique pour ne pas s’endormir au volant : cela se justifie par le fait qu’il n’y a pas tellement de joie en cela, et par la nécessité de protéger les personnes d’un risque d’accident. Si l’on souffre de mélancolie, les auteurs rigoureux eux-mêmes permettent d’écouter de la musique, de façon discrète, comme le rapporte le Hilkhot ‘Hag Be’hag 7, 39.

11. Bénédiction Chéhé’héyanou

Il est permis, durant la période de l’omer, d’acheter un fruit nouveau et de réciter, à son propos, la bénédiction Chéhé’héyanou (« Béni sois-Tu, Eternel… qui nous a fait vivre, nous a maintenus et nous a conduits à cette époque »). De même, il est permis d’acheter un vêtement neuf, ou un meuble neuf, et de réciter Chéhé’héyanou à son sujet. Il est vrai que, dans les communautés ashkénazes, après les croisades et les terribles massacres que perpétrèrent les Chrétiens pendant la période de l’omer, certains rabbins adoptèrent des usages de deuil aussi rigoureux, pendant ladite période, que pendant celle des trois semaines. De même que, pendant les trois semaines, on s’abstient de réciter Chéhé’héyanou – puisqu’il ne convient pas de dire, à l’époque durant laquelle fut détruit le Temple, « qui nous as fait vivre… et nous as conduits à cette époque » –, de même ne convient-il pas de réciter Chéhé’héyanou durant la période du calendrier où des Juifs saints furent assassinés.

Cependant, en pratique, il a été décidé de ne pas interdire la bénédiction Chéhé’héyanou durant l’omer. On ne peut en effet comparer ces jours à ceux de la période dite bein hametsarim (période « d’entre les détresses »). Ceux qui, pourtant, veulent être rigoureux pour eux-mêmes et s’abstenir d’acheter des vêtements ou des meubles seront bénis pour cela. Mais en cas de nécessité, même ceux qui s’imposent cette rigueur ont le droit d’être indulgents. Par exemple, si l’on a besoin d’un vêtement ou d’un meuble, on pourra l’acheter. De même, si une occasion se présente d’acheter un meuble ou un vêtement à un prix avantageux, on pourra l’acheter. Si l’on est rigoureux, c’est le Chabbat que l’on étrennera le vêtement et l’on récitera Chéhé’héyanou à son propos, ou encore à Roch ‘hodech, ou à Yom Ha’atsmaout, ou à l’occasion d’un repas donné en l’honneur d’une mitsva. De même, si l’on a acheté un meuble neuf, on s’efforcera d’en commencer l’usage à l’un de ces moments, car ce sont des temps de joie.

De même, il est permis d’acheter une maison et d’y emménager durant cette période, en particulier quand il s’agit d’une maison en terre d’Israël ; à plus forte raison dans une partie de la terre d’Israël où l’on ne trouve plus guère de Juifs : alors, chaque Juif qui y achète une maison accomplit de la manière la plus parfaite la mitsva de peupler le pays. Si l’acheteur est seul, il récitera la bénédiction Chéhé’héyanou ; s’il s’agit d’un couple, ils diront la bénédiction Hatov véhamétiv[13].

Il est permis d’inviter des amis à un repas, à condition de ne pas y jouer de musique instrumentale. De même, il est permis de faire des voyages et des excursions durant cette période, car ce dont on doit s’abstenir, c’est de choses réjouissantes, et non de choses simplement agréables. Il y a certes des décisionnaires rigoureux à cet égard, mais en matière de coutumes de deuil, la halakha est conforme à l’opinion indulgente.

Certes, s’il s’agit d’une excursion organisée par une école, il est préférable de ne la programmer qu’après Lag ba’omer, car une telle excursion se caractérise par une grande joie. Toutefois, une sortie définie comme éducative peut être programmée a priori[14].


[13]. Le Léqet Yocher écrit au nom de son maître, Rabbi Israël Isserlein, auteur du Teroumat Hadéchen, que l’on ne récite pas la bénédiction Chéhé’héyanou pendant l’omer. C’est aussi l’avis de plusieurs Richonim et A’haronim. Mais de nombreux A’haronim repoussent cet usage rigoureux ; parmi eux, le Maamar Mordekhaï 493, 2, que cite le Michna Beroura 493, 2. Le Kaf Ha’haïm 493, 4 s’exprime dans le même sens. Cf. Yabia’ Omer, Ora’h ‘Haïm III 26, et Ye’havé Da’at I 24 qui résume les opinions.

S’agissant d’emménager dans une nouvelle maison, certains auteurs sont rigoureux, car il y a là une grande joie, comparable à la joie des noces (responsa Avné Tsédeq du Rabbi de Sighet, Yoré Dé’a 44). Le Ye’havé Da’at III 30 est indulgent. Cf. Pisqé Techouvot 493, 1, 2, 3, qui présente des opinions allant dans le sens de la rigueur.

Il importe de signaler que, durant la période de l’omer, il existe également un côté joyeux, comme l’écrit Na’hmanide (sur la paracha Emor), car ces jours ressemblent à un vaste ‘Hol hamo’ed, qui s’étendrait de Pessa’h à Chavou’ot. Simplement, ils possèdent aussi un côté tendu, car il faut s’y élever, de degré en degré, jusqu’au sommet que constitue le don de la Torah, à Chavou’ot. Or quand on n’a pas le mérite de s’élever suivant l’ordonnancement des différents degrés, des crises et de l’adversité risquent de s’ensuivre, comme il advint dans l’histoire d’Israël. C’est la raison du deuil caractérisant l’omer. Malgré cela, la sainteté de ces jours n’a point disparu. Aussi ces jours sont-ils très propices à l’élévation et à la purification, tandis qu’approche le don de la Torah, ainsi qu’à l’attachement à Dieu béni soit-Il.

[14]. Cf. Bein Pessa’h Le-Chavou’ot 15, 10, 12, où est citée l’opinion des décisionnaires indulgents ; Hilkhot ‘Hag Be’hag 7, 11 penche vers la rigueur, mais cite, dans sa note, l’opinion indulgente. Sur les excursions pendant les trois semaines, cf. ci-après, chap. 8 § 6.

12. Bref résumé des jours de joie que comporte l’omer

À ‘Hol hamo’ed Pessa’h, on n’observe aucun usage de deuil, en raison de la mitsva de se réjouir pendant la fête, comme nous l’avons vu ci-dessus, § 8, en matière de musique instrumentale.

À Roch ‘hodech du mois d’iyar, de l’avis de plusieurs décisionnaires, il est permis de se faire couper les cheveux, car ce jour est semblable à un jour de fête, auquel ne s’applique aucun usage de deuil. Mais en pratique, la coutume est de ne pas se faire couper les cheveux à Roch ‘hodech iyar, et c’est en ce sens que tranche le Choul’han ‘Aroukh (493, 3).

Quand Roch ‘hodech iyar a lieu le Chabbat, la coutume ashkénaze permet de se faire couper les cheveux le vendredi précédent, en raison de la joie double qui caractérisera le jour. De même, il sera permis de se marier le vendredi, avant Chabbat, de façon que la réception et le repas de mariage aient lieu pendant Chabbat-Roch ‘hodech.

La coutume la plus répandue dans les communautés séfarades est de n’autoriser cela qu’en cas de nécessité pressante[15].

Yom ha’atsmaout (jour de l’indépendance d’Israël) est un jour de fête, destiné à la reconnaissance et à la joie ; aussi convient-il de se raser à son approche, et il est même permis de se faire couper les cheveux ; il est en revanche interdit de se marier (cf. ci-après chap. 4 § 11).

Dans la journée de Lag ba’omer, il est permis, suivant la coutume ashkénaze, de se couper les cheveux et de se marier ; en cas de nécessité, on est également indulgent quant à la nuit de Lag ba’omer. Suivant la coutume séfarade, il est interdit de se couper les cheveux et de se marier à Lag ba’omer, comme nous l’avons vu ci-dessus, § 3 et 4.

Quand Lag ba’omer a lieu le vendredi, il est permis, même pour les Séfarades, de se faire couper les cheveux (Choul’han ‘Aroukh 493, 2).

Quand Lag ba’omer tombe le dimanche, il est permis, suivant la coutume ashkénaze, de se faire couper les cheveux le vendredi précédent ; selon la coutume séfarade, c’est interdit (cf. note 8. En matière de mariage, certains décisionnaires ashkénazes sont indulgents en cas de nécessité pressante ; selon les décisionnaires séfarades, c’est interdit ; cf. note 6).

Le 28 iyar (jour de la libération de Jérusalem) : du point de vue même de nombreux décisionnaires ashkénazes, selon lesquels on a coutume de ne pas se marier avant Roch ‘hodech du mois de sivan, il est permis de se marier ce jour-là. De même, il est permis d’y organiser de grandes réunions joyeuses (cf. ci-après, chap. 4 § 11).


[15]. Le Radbaz, Rabbi Ya’aqov Castro et le Maharam di Lunzano estiment qu’il est permis de se faire couper les cheveux à Roch ‘hodech (même quand il ne coïncide pas avec le Chabbat). Mais le Beit Yossef pense que c’est interdit, et telle est la coutume la plus commune. Quand Roch ‘hodech tombe le Chabbat : à propos du mariage, cf. ci-dessus, note 6 ; et en matière de coupe de cheveux, cf. 6.

01. La mitsva de peupler la terre d’Israël

Le 5 du mois d’iyar 5708, selon notre calendrier, fondé sur la Création (14 mai 1948), au moment où fut proclamée la fondation de l’Etat d’Israël, le peuple juif eut le mérite d’accomplir le commandement de yichouv haarets, peuplement et édification de la terre d’Israël. Certes, avant cette date, chaque Juif qui habitait la terre d’Israël accomplissait déjà une mitsva en y résidant ; comme le disent nos sages : « En toute circonstance, on se doit d’habiter la terre d’Israël, même en une ville peuplée majoritairement d’idolâtres, et l’on n’habitera pas une terre étrangère, même en une ville peuplée majoritairement de Juifs. Car quiconque habite la terre d’Israël paraît avoir un Dieu ; et quiconque habite en terre étrangère paraît ne pas avoir de Dieu » (Ketoubot 110b). Mais dans son fondement, la mitsva repose sur le peuple d’Israël pris collectivement, et a pour objet le fait que le pays soit sous souveraineté juive ; tandis que la mitsva d’habiter le pays, incombant à chaque particulier, constitue une branche de cette mitsva générale, laquelle incombe à la collectivité du peuple juif.

C’est à ce propos qu’il est dit : « Vous hériterez du pays et vous y établirez, car c’est à vous que Je donne le pays en héritage » (Nb 33, 53). Le terme horachtem (« vous hériterez ») dénote ici la conquête et la souveraineté, tandis que viychavtem (« vous vous y établirez ») vise le fait de peupler et d’édifier le pays, de sorte qu’il ne soit pas une solitude. Il est dit, dans le même sens : « Vous en hériterez et vous y établirez » (Dt 11, 31). Na’hmanide définit ainsi la mitsva : « Il nous est ordonné d’hériter du pays que Dieu – qu’Il soit glorifié – a donné à nos ancêtres, Abraham, Isaac et Jacob, et de ne pas l’abandonner entre les mains d’autres peuples, ni de le laisser dépeuplé » (notes sur Maïmonide, Séfer Hamitsvot, mitsva positive 4).

Cette mitsva incombe au peuple d’Israël en toutes ses générations. Simplement, durant une longue période, nous nous trouvâmes sous la contrainte, et il n’était pas en notre pouvoir d’accomplir la mitsva : nous n’avions pas d’armée, ni d’armes pour conquérir notre terre et la peupler. Par l’effet de la miséricorde de Dieu à l’égard de Son peuple, l’esprit national commença de se réveiller, dans les dernières générations ; des Juifs partirent, se groupèrent sur la terre d’Israël ; ils y plantèrent des arbres, en développèrent l’économie, s’organisèrent et fondèrent une force de défense, luttèrent contre le gouvernement étranger, de sorte que, lorsque le mandat britannique s’acheva, les représentants de notre population purent proclamer la création de l’Etat d’Israël. Depuis lors, le peuple juif commença d’accomplir la mitsva de peupler et édifier le pays (yichouv haarets). Certes, nous n’avons pas encore entre nos mains l’ensemble de la terre d’Israël, et nous dépendons encore, dans une certaine mesure, des nations du monde ; mais nous sommes revenus à l’accomplissement concret du commandement de yichouv haarets.

Nous voyons de même, dans la halakha, que le statut du deuil pour la destruction du Temple dépend de la question de la souveraineté. Nos sages ont en effet décrété que quiconque voit les villes de Judée en ruines doit dire : « Tes villes saintes sont devenues une solitude » (‘Aré qodchekha hayou midbar, Is 64, 9), et déchirer son habit (en signe de deuil). Les décisionnaires expliquent que la notion de ruines dépend du pouvoir : dès lors que le pays est gouverné par des étrangers, même si la majorité des habitants de ces villes sont juifs, lesdites villes sont considérées comme en ruines, et l’on déchire son habit en les voyant. Mais si elles sont sous souveraineté juive, même si la majorité de leurs habitants sont non-juifs, elles ne sont point considérées comme en ruines, et l’on ne pratique donc pas la déchirure du vêtement en les voyant (Beit Yossef et Baït ‘Hadach sur Ora’h ‘Haïm 561, Maguen Avraham 1, Michna Beroura 2).

Nos maîtres, de mémoire bénie, ont longuement exalté la mitsva de peupler et édifier le pays, au point de déclarer que cette mitsva pèse autant, à elle seule, que la totalité des autres mitsvot mises ensemble (Sifré, Beha’alotekha 80)[1].


[1]. Les fondements de la mitsva consistant à peupler la terre d’Israël sont exposés par Na’hmanide, dans ses ajouts au Séfer Hamitsvot de Maïmonide, mitsva n°4 ; ces principes sont approfondis par notre maître le Rav Tsvi Yehouda Kook – que la mémoire du juste soit bénie – dans son Linetivot Israël (tome 1, « De l’effective sainteté de Yom Ha’atsmaout », éd. Béthel pp. 246-250 ; cf. encore pp. 160-162 et t. 2, « Le psaume 19 de l’Etat d’Israël », pp. 357-368). Résumons le propos.

La mitsva de yichouv erets Israël incombe à toutes les générations, comme l’ont écrit Na’hmanide (mitsva 4) et le Rivach (387). Aussi, dans toutes les générations, la halakha veut que les membres d’un couple aient le droit de se contraindre l’un l’autre à s’établir en Israël (Ketoubot 110b), et c’est en ce sens que tranche le Choul’han ‘Aroukh, Even Ha’ézer 75, 3-5). Les Richonim et les A’haronim en conviennent, comme le rapporte Pit’hé Techouva ad loc., 6. Certes, en Tossephot (sur Ketoubot ad loc.), est rapportée l’opinion de Rabbi ‘Haïm, selon laquelle cette mitsva « n’a pas cours à notre époque » ; cependant, les grands Richonim et A’haronim n’éprouvent même pas le besoin de discuter cette position, estimant qu’elle est le fruit de l’erreur d’un disciple (c’est ce qu’écrit le Maharit, Yoré Dé’a 28, et de nombreux autres grands maîtres parmi les A’haronim ; cf. Guilyon Maharcha, Ketoubot, réf. cit., ‘Hatam Sofer, Yoré Dé’a 234). Le fait que la mitsva consiste essentiellement dans la souveraineté du peuple juif est également expliqué en Yechou’ot Malko, Yoré Dé’a 66, Avné Nézer, Yoré Dé’a 455 et d’autres sources.

Il est vrai que d’autres mitsvot ont le privilège d’être considérées par nos sages comme « pesant autant à elles seules que l’ensemble des autres » : la circoncision (Nédarim 32a), la tsédaqa (dons aux pauvres, Baba Batra 9a), les tsitsit (franges rituelles, Chevou’ot 29a), les téphilines (phylactères, Mena’hot 43b), le Chabbat (Talmud de Jérusalem, Nédarim 3, 9), l’étude de la Torah et la bienfaisance (début du traité Péa). Mais d’un point de vue halakhique, la mitsva de peupler le pays a priorité sur ces autres mitsvot, car c’est la seule mitsva qui repousse les interdits rabbiniques applicables le Chabbat, et que l’on désigne sous le nom de chevout. En effet, si l’on devait transgresser un interdit de chevout afin de réaliser une circoncision le Chabbat, on annulerait la circoncision plutôt que de transgresser le Chabbat. Tandis que, afin d’acheter une maison sur la terre d’Israël, nos sages enseignent que, en cas de besoin, on pourra l’acheter le Chabbat en passant sur l’interdit de chevout que constitue le fait de demander à un non-Juif d’accomplir un travail interdit [en l’occurrence, signer le contrat de vente], comme expliqué en Guitin 8b, Baba Qama 80b et Tossephot ad loc.

Ces sources ne parlent pas de la libération de la terre d’Israël dans son intégralité, mais du simple achat d’une maison : même cela repousse la défense de chevout. Qui plus est, afin d’ériger une haie protectrice autour du Chabbat, nos sages ont été prêts à annuler la mitsva toranique de sonner du chofar et celle d’agiter le loulav, lorsque Roch hachana ou le premier jour de Soukot tombe le Chabbat. Tandis que, pour les besoins du peuplement de la terre d’Israël, nos sages ont annulé leurs propres paroles et ont levé leur interdit de chevout, interdit sévère dont la source réside dans une asmakhta [appui scripturaire donné à une règle de rang rabbinique]. (Selon le Séfer Mitsvot Gadol, il semble même que l’interdit de chevout soit d’essence toranique).

Par ailleurs, il nous est prescrit de sacrifier au besoin notre vie pour la mitsva de yichouv haarets ; en effet, il nous est ordonné d’hériter de la terre, c’est-à-dire de la conquérir [conformément à l’interprétation de Nb 33, 53 citée ci-dessus] ; or, dans une guerre, les militaires doivent mettre en danger leur vie, comme l’écrit le Min’hat ‘Hinoukh 425.

Si Maïmonide n’a pas compté cette mitsva parmi les six cent treize commandements, c’est parce qu’elle dépasse la valeur ordinaire des mitsvot, si bien qu’elle ne saurait s’inscrire dans une énumération détaillée. Comme l’écrit Maïmonide lui-même dans les principes (chorachim) à la base de son Séfer Hamitsvot, ainsi que dans ses propos sur la mitsva n°153, il ne convient pas de comptabiliser les directives à portée générale, encadrant l’ensemble de la Torah. Il ne serait pas non plus vraisemblable de dire que, de nos jours, la mitsva de yichouv haarets est seulement rabbinique. En effet, nos sages ont déclaré, après la destruction du deuxième Temple, que cette mitsva équivaut à l’ensemble des autres mitsvot ; or il serait invraisemblable qu’ils s’expriment de cette façon à l’égard d’une mitsva de rang rabbinique seulement. De plus, il ne serait pas vraisemblable de séparer une famille [dans le cas où l’un des deux époux refuse de vivre en Israël, tandis que l’autre le veut] ou de lever l’interdit de chevout, le Chabbat, pour une mitsva rabbinique (cf. Na’halat Ya’aqov du Rav Zisberg, vol. 1, pp. 201-249).

02. Commencement de la Délivrance et sanctification du nom divin

Par la fondation de l’Etat d’Israël, l’opprobre de l’exil a été levé. De génération en génération, nous avons erré parmi les nations, avons connu de terribles abaissements, le pillage et le meurtre. Nous étions l’objet de la moquerie et de la dérision des peuples, étions considérés comme du bétail que l’on peut librement conduire à l’abattoir, que l’on tue, extermine, que l’on voue aux coups et au mépris. Des étrangers nous disaient : « Vous n’avez plus ni attente ni espérance. » Cette situation entraînait une terrible profanation du nom divin, car le nom du Saint béni soit-Il est imprimé sur nous, et, quand nous sommes l’objet du mépris, le nom du Saint béni soit-Il est, lui aussi, profané parmi les peuples (cf. Ez 36).

Les prophètes d’Israël ont annoncé, au nom de Dieu : « Je vous prendrai d’entre les peuples et vous rassemblerai d’entre toutes les terres, et vous mènerai sur votre terre » (Ez 36, 24). « Ils construiront des maisons et les habiteront, ils planteront des vignes et en mangeront les fruits » (Is 65, 21). « De nouveau tu planteras des vignes sur les monts de Samarie ; ce qu’auront planté les vignerons, ils le cueilleront » (Jr 31, 4). « La terre dévastée sera de nouveau cultivée, au lieu d’être désolée aux yeux de tout passant. Et l’on dira : “Cette terre dévastée-là est devenue comme le jardin d’Eden, et les villes en ruine, dévastées et détruites, sont fortifiées, habitées” » (Ez 36, 34-35). « Je ramènerai les captifs de mon peuple Israël, ils rebâtiront les villes dévastées et y résideront, ils planteront des vignes et en boiront le vin, ils feront des jardins et en mangeront les fruits. Je les replanterai sur leur terre, et ils ne seront plus déracinés de leur terre, que Je leur ai donnée, dit l’Eternel ton Dieu » (Am 9, 14-15).

Mais après qu’eurent passé tant d’années, et que la parole de l’Eternel ne se fut pas accomplie, la profanation du nom divin augmenta dans le monde, et les ennemis d’Israël se convainquirent qu’il n’y avait plus aucune chance pour que le peuple juif retournât sur sa terre. Nos maîtres de mémoire bénie eux-mêmes exaltèrent extrêmement le miracle du rassemblement des exilés (qibouts galouyot), au point de déclarer : « Le rassemblement des exilés est grand comme le jour où furent créés les cieux et la terre » (Pessa’him 88a). Or voici que le miracle se produisit, la parole de l’Eternel se réalisa. Et cela fut une grande et redoutable sanctification du nom divin, qui s’accrut encore lors de la guerre des Six jours, quand nous libérâmes Jérusalem et les villes saintes de Judée et de Samarie.

Ce processus de rassemblement des exilés et de refleurissement du désert, qui connut une poussée formidable au moment de la fondation de l’Etat, constitue le commencement de la Délivrance (it’halta di-Guéoula). Comme le dit Rabbi Aba au traité Sanhédrin 98a : « Il n’y a pas de signe plus éclatant du dénouement, comme il est dit : “Et vous, montagnes d’Israël, vous donnerez vos branches et porterez vos fruits pour mon peuple Israël, car ils [les Israélites] sont près de revenir” (Ez 36, 8) », ce que Rachi commente : « Quand la terre d’Israël donnera ses fruits en abondance, alors le dénouement sera proche, et il n’y a pas à cet égard de signe plus éclatant. »

Certes, de nombreuses choses méritent encore d’être corrigées : à notre regret, nous n’avons pas eu le mérite de revenir à Dieu d’un parfait repentir (téchouva), et de nous établir, nous tous, sur la terre d’Israël. Mais nos maîtres, de mémoire bénie, nous ont enseigné qu’il est deux sortes de Délivrance : la Délivrance « hâtée », qui se produit par l’effet du parfait repentir, et la Délivrance venant « en son temps », par le biais de processus naturels[a] (Sanhédrin 98a). En d’autres termes, même si Israël ne fait pas téchouva, lorsque le temps du dénouement viendra, des processus naturels débuteront, qui seront accompagnés de complications et d’épreuves difficiles. Celles-ci conduiront le peuple juif à revenir sur la terre d’Israël et à la reconstruire. Ainsi avancerons-nous, étape après étape, jusqu’à la complète Délivrance. Ces épreuves, qui poussent le processus de Délivrance, sont les douleurs précédant l’avènement messianique (‘hevlé Machia’h). Plus nous renforcerons notre contribution au peuplement juif de la terre d’Israël et ferons un complet repentir, plus les souffrances de l’avènement messianique s’adouciront, et notre sort sera agréable (d’après les propos du Gaon de Vilna rapportés dans Qol Hator). C’est à propos d’un tel processus de Délivrance que nos sages disent : « Telle est la Délivrance d’Israël : au début, peu à peu ; puis, plus elle va, plus elle s’accroît » (Talmud de Jérusalem, Berakhot 1, 1).

De même, le Pentateuque et les Prophètes nous apprennent que l’ordonnancement de la Délivrance suit ce modèle : au départ, il y aura une « petite téchouva », et le peuple d’Israël se rassemblera sur sa terre, laquelle commencera de donner ses fruits[b] ; après quoi Dieu épanchera sur nous un esprit supérieur, jusqu’à ce que nous accomplissions une parfaite téchouva[2].


[a]. Les sages du Talmud, en cela, élaborent de façon midrachique l’enseignement d’un verset d’Isaïe (60, 22), qui dit notamment, au sujet de la promesse de la Délivrance : « Moi, l’Eternel, l’heure venue, Je la hâterai » (bé-’itah a’hichéna). La formulation du verset, qui annonce une Délivrance venant en son temps mais de manière hâtive, semble paradoxale. Le Talmud enseigne donc que deux modes de Délivrance sont possibles.

[b]. Le mot téchouva, que nous traduisons habituellement par repentir, est fondé sur la racine שוב, qui signifie revenir. La téchouva comporte donc deux aspects : le retour physique du peuple juif sur la terre d’Israël – qui est lui-même l’expression d’un éveil de l’âme vers Dieu, comme on le verra en note 2 –, et le plein retour spirituel à Dieu et à la Torah.

[2]. Notre maître le Rav Tsvi Yehouda Kook, dans son article « L’Etat comme réalisation de la vision de la Délivrance » (dans Linetivot Israël, t. 1, pp. 261-272), explique largement que tel est le schéma de la Délivrance : d’abord une petite téchouva, un retour en terre d’Israël et une construction nationale ; puis, à partir de là, une complète téchouva, retour à Dieu.

Il y a de nombreuses sources à cela, citons-en quelques-unes : dans le Deutéronome, au « paragraphe du repentir » (parachiat hatéchouva), chap. 30, la Torah nous apprend qu’il y aura d’abord un retour vers Dieu (‘ad Hachem) – ce qui correspond à la « petite » téchouva, émanant de la crainte et de durs décrets ; puis se produira le rassemblement des exilés ; après cela, aura lieu la complète téchouva, le retour à Dieu (el Hachem). Le Rav Tsvi Yehouda Kook explique au nom de son père, le Rav Avraham Yits’haq Kook – que la mémoire du juste soit bénie – que la « petite téchouva » est le retour sur la terre d’Israël (processus dont les prémices consistèrent dans un éveil de sainteté, émanant de l’amour, et se traduisant par l’installation de ‘Hassidim et de disciples du Gaon de Vilna en terre d’Israël). Le chapitre 36 d’Ezéchiel décrit dans le même sens le processus de Délivrance.

De même, le traité Sanhédrin 97b explique que, selon Rabbi Yehochoua, la Délivrance ne dépend pas directement de la téchouva, mais d’un processus historique dans lequel un souverain aussi impitoyable qu’Haman accède au pouvoir, ce qui conduit les Juifs à faire téchouva – ce qui est visé ici étant la « petite téchouva ». Mais Rabbi Eliézer, qui ne partage pas cet avis, garde le silence à la fin du débat, ce qui indique qu’il finit par se ranger à l’opinion de Rabbi Yehochoua.

D’autres sources indiquent que la Délivrance ne dépend pas de la téchouva : le Midrach Rabba sur l’Exode, chap. 25, les Tiqouné Zohar ‘Hadach, le commentaire de Na’hmanide sur la section Haazinou, le saint Or Ha’haïm sur Lv 25, 28, et le Rav Shlomo Eliashoff, dans Haqdamot Ouche’arim (VI, chap. 9). Dans ce dernier ouvrage (pp. 273-276), l’auteur cite les propos de grands A’haronim, qui virent dans l’actuel rassemblement des exilés le début de la Délivrance (it’halta di-Guéoula). Notre maître le Rav Tsvi Yehouda Kook (op. cit. t. 2, p. 365) ajoute que celui qui ne voit pas ces bontés de l’Eternel manque d’émouna (foi) ; parfois, dit-il, ce manque d’émouna prend les atours de la dévotion et de la vertu, alors qu’il n’est que reniement de la Torah écrite, des paroles de nos prophètes et de la Torah orale.

En Sanhédrin 98b, le Talmud rapporte les paroles d’Amoraïm qui craignaient les redoutables épreuves des ‘hevlé Machia’h (souffrances précédant l’avènement messianique), au point qu’ils dirent : « Qu’il vienne, et que je ne le voie pas. » Cf., pour d’autres sources, celles que citent le Em Habanim Seme’ha, du Rav Issachar Shlomo Teichtal, le Hateqoufa Haguedola du Rav Mena’hem Mendel Kasher, qui, dans sa conclusion, cite le Qol Hator, où sont rapportés de profondes paroles du Gaon de Vilna. Voir également le Ayélet Hacha’har du Rav Ya’aqov Filber, notamment la partie intitulée « Le troisième retour à Sion ».

03. Le sauvetage du peuple juif

Le jour de Yom Ha’atsmaout, le peuple juif fut sauvé, passant de la servitude à la liberté : de la servitude que constitue l’assujettissement à l’égard des nations (chi’boud malkhouyot), avec tout ce que cela suppose, à l’indépendance politique. Grâce à cela, un sauvetage concret, de la mort à la vie, fut également opéré. En effet, jusqu’alors, nous ne pouvions nous défendre contre nos ennemis, qui nous persécutaient ; depuis, par la grâce de l’Eternel, nous nous défendons et nous vainquons. Certes, nos ennemis, qui se dressent contre nous pour nous détruire, n’ont pas encore disparu. Mais après la fondation de l’Etat, nous possédons, grâce à Dieu, une armée, et nous avons la force de nous défendre et de vaincre. Et s’il est vrai que, durant les soixante et quelques années d’existence de l’Etat d’Israël, environ vingt-mille personnes saintes furent tuées au cours des guerres et des attentats, souvenons-nous que, quelques années plus tôt, pendant la terrible Choah, plus de six millions de Juifs saints furent exterminés pendant cinq ans : plus de trois cents fois plus. Là réside la différence entre les deux situations : dans l’une, nous avons la possibilité de nous défendre et de faire la guerre ; dans l’autre, nous ne pouvons nous défendre.

Même pour les Juifs qui vivent dans les différents pays de la diaspora, ce jour-là fut jour de salut ; car désormais, ils ont un pays qui est toujours prêt à les accueillir, et qui œuvre même en leur faveur sur la scène internationale. Avant la restauration de l’Etat, on ne portait presque aucune considération aux arguments des Juifs contre les persécutions antisémites criminelles, qui se produisaient dans différents pays. Après la fondation de l’Etat, les Etats les plus pervers eux-mêmes se sont trouvé contraints de prendre en compte l’action de l’Etat d’Israël en faveur des Juifs résidant sur leurs territoires. Même les régimes communistes ont été contraints de s’assouplir, et d’autoriser finalement les Juifs à sortir de derrière le rideau de fer, chose qui était impensable avant la fondation de l’Etat.

Du point de vue spirituel lui-même, la fondation de l’Etat a contribué au salut du peuple juif (hatsalat Israël). Dans les temps modernes, le peuple juif a connu une grande crise spirituelle. La possibilité, qui s’est offerte aux Juifs, de s’intégrer aux cadres civils et nationaux d’Etats développés créa une grande tentation de l’assimilation. Ce n’est pas le lieu de développer la question des causes de cette crise ; le Rav Avraham Yits’haq Kook – que la mémoire du juste soit bénie – a longuement traité de cette question dans ses différents aspects. En pratique, dans tout pays qui connut un processus de développement moderne, se mit en place un dangereux processus d’abandon de la religion et d’assimilation, processus qui menace l’existence même des communautés juives en diaspora. L’assimilation débuta il y a environ deux cents ans en Europe occidentale, se répandit ensuite progressivement à l’est de l’Europe, et aux capitales des pays arabes les plus développés. Au sein de la grande communauté juive des Etats-Unis, la majorité des jeunes Juifs se marient avec des non-Juifs. Ceux-là même qui se marient à des Juifs ont très peu de descendants. Dans une telle réalité, les communautés juives de diaspora vont en disparaissant. Ce n’est qu’en Israël que la population juive croît, et que le phénomène de l’assimilation demeure relativement limité. De plus, la proportion de Juifs liés à la Torah et aux mitsvot est plus élevée que dans aucune autre communauté juive au monde. Ce sauvetage spirituel, lui aussi, a été rendu possible par la fondation de l’Etat, qui a permis le rassemblement des exilés, et a prévenu, par le fait même de son existence, les tentations de l’assimilation.

Par conséquent, nous voyons que Yom Ha’atsmaout est paré de trois saintetés : la sainteté de la mitsva du peuplement et de l’édification de la terre d’Israël (yichouv haarets), la sanctification du nom divin aux yeux des peuples, par le commencement de la Délivrance (it’halta di-Guéoula), et la sainteté consistant dans le sauvetage du peuple juif, peuple saint (hatsalat Israël).

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