Pniné Halakha

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01. La mitsva de peupler la terre d’Israël

Le 5 du mois d’iyar 5708, selon notre calendrier, fondé sur la Création (14 mai 1948), au moment où fut proclamée la fondation de l’Etat d’Israël, le peuple juif eut le mérite d’accomplir le commandement de yichouv haarets, peuplement et édification de la terre d’Israël. Certes, avant cette date, chaque Juif qui habitait la terre d’Israël accomplissait déjà une mitsva en y résidant ; comme le disent nos sages : « En toute circonstance, on se doit d’habiter la terre d’Israël, même en une ville peuplée majoritairement d’idolâtres, et l’on n’habitera pas une terre étrangère, même en une ville peuplée majoritairement de Juifs. Car quiconque habite la terre d’Israël paraît avoir un Dieu ; et quiconque habite en terre étrangère paraît ne pas avoir de Dieu » (Ketoubot 110b). Mais dans son fondement, la mitsva repose sur le peuple d’Israël pris collectivement, et a pour objet le fait que le pays soit sous souveraineté juive ; tandis que la mitsva d’habiter le pays, incombant à chaque particulier, constitue une branche de cette mitsva générale, laquelle incombe à la collectivité du peuple juif.

C’est à ce propos qu’il est dit : « Vous hériterez du pays et vous y établirez, car c’est à vous que Je donne le pays en héritage » (Nb 33, 53). Le terme horachtem (« vous hériterez ») dénote ici la conquête et la souveraineté, tandis que viychavtem (« vous vous y établirez ») vise le fait de peupler et d’édifier le pays, de sorte qu’il ne soit pas une solitude. Il est dit, dans le même sens : « Vous en hériterez et vous y établirez » (Dt 11, 31). Na’hmanide définit ainsi la mitsva : « Il nous est ordonné d’hériter du pays que Dieu – qu’Il soit glorifié – a donné à nos ancêtres, Abraham, Isaac et Jacob, et de ne pas l’abandonner entre les mains d’autres peuples, ni de le laisser dépeuplé » (notes sur Maïmonide, Séfer Hamitsvot, mitsva positive 4).

Cette mitsva incombe au peuple d’Israël en toutes ses générations. Simplement, durant une longue période, nous nous trouvâmes sous la contrainte, et il n’était pas en notre pouvoir d’accomplir la mitsva : nous n’avions pas d’armée, ni d’armes pour conquérir notre terre et la peupler. Par l’effet de la miséricorde de Dieu à l’égard de Son peuple, l’esprit national commença de se réveiller, dans les dernières générations ; des Juifs partirent, se groupèrent sur la terre d’Israël ; ils y plantèrent des arbres, en développèrent l’économie, s’organisèrent et fondèrent une force de défense, luttèrent contre le gouvernement étranger, de sorte que, lorsque le mandat britannique s’acheva, les représentants de notre population purent proclamer la création de l’Etat d’Israël. Depuis lors, le peuple juif commença d’accomplir la mitsva de peupler et édifier le pays (yichouv haarets). Certes, nous n’avons pas encore entre nos mains l’ensemble de la terre d’Israël, et nous dépendons encore, dans une certaine mesure, des nations du monde ; mais nous sommes revenus à l’accomplissement concret du commandement de yichouv haarets.

Nous voyons de même, dans la halakha, que le statut du deuil pour la destruction du Temple dépend de la question de la souveraineté. Nos sages ont en effet décrété que quiconque voit les villes de Judée en ruines doit dire : « Tes villes saintes sont devenues une solitude » (‘Aré qodchekha hayou midbar, Is 64, 9), et déchirer son habit (en signe de deuil). Les décisionnaires expliquent que la notion de ruines dépend du pouvoir : dès lors que le pays est gouverné par des étrangers, même si la majorité des habitants de ces villes sont juifs, lesdites villes sont considérées comme en ruines, et l’on déchire son habit en les voyant. Mais si elles sont sous souveraineté juive, même si la majorité de leurs habitants sont non-juifs, elles ne sont point considérées comme en ruines, et l’on ne pratique donc pas la déchirure du vêtement en les voyant (Beit Yossef et Baït ‘Hadach sur Ora’h ‘Haïm 561, Maguen Avraham 1, Michna Beroura 2).

Nos maîtres, de mémoire bénie, ont longuement exalté la mitsva de peupler et édifier le pays, au point de déclarer que cette mitsva pèse autant, à elle seule, que la totalité des autres mitsvot mises ensemble (Sifré, Beha’alotekha 80)[1].


[1]. Les fondements de la mitsva consistant à peupler la terre d’Israël sont exposés par Na’hmanide, dans ses ajouts au Séfer Hamitsvot de Maïmonide, mitsva n°4 ; ces principes sont approfondis par notre maître le Rav Tsvi Yehouda Kook – que la mémoire du juste soit bénie – dans son Linetivot Israël (tome 1, « De l’effective sainteté de Yom Ha’atsmaout », éd. Béthel pp. 246-250 ; cf. encore pp. 160-162 et t. 2, « Le psaume 19 de l’Etat d’Israël », pp. 357-368). Résumons le propos.

La mitsva de yichouv erets Israël incombe à toutes les générations, comme l’ont écrit Na’hmanide (mitsva 4) et le Rivach (387). Aussi, dans toutes les générations, la halakha veut que les membres d’un couple aient le droit de se contraindre l’un l’autre à s’établir en Israël (Ketoubot 110b), et c’est en ce sens que tranche le Choul’han ‘Aroukh, Even Ha’ézer 75, 3-5). Les Richonim et les A’haronim en conviennent, comme le rapporte Pit’hé Techouva ad loc., 6. Certes, en Tossephot (sur Ketoubot ad loc.), est rapportée l’opinion de Rabbi ‘Haïm, selon laquelle cette mitsva « n’a pas cours à notre époque » ; cependant, les grands Richonim et A’haronim n’éprouvent même pas le besoin de discuter cette position, estimant qu’elle est le fruit de l’erreur d’un disciple (c’est ce qu’écrit le Maharit, Yoré Dé’a 28, et de nombreux autres grands maîtres parmi les A’haronim ; cf. Guilyon Maharcha, Ketoubot, réf. cit., ‘Hatam Sofer, Yoré Dé’a 234). Le fait que la mitsva consiste essentiellement dans la souveraineté du peuple juif est également expliqué en Yechou’ot Malko, Yoré Dé’a 66, Avné Nézer, Yoré Dé’a 455 et d’autres sources.

Il est vrai que d’autres mitsvot ont le privilège d’être considérées par nos sages comme « pesant autant à elles seules que l’ensemble des autres » : la circoncision (Nédarim 32a), la tsédaqa (dons aux pauvres, Baba Batra 9a), les tsitsit (franges rituelles, Chevou’ot 29a), les téphilines (phylactères, Mena’hot 43b), le Chabbat (Talmud de Jérusalem, Nédarim 3, 9), l’étude de la Torah et la bienfaisance (début du traité Péa). Mais d’un point de vue halakhique, la mitsva de peupler le pays a priorité sur ces autres mitsvot, car c’est la seule mitsva qui repousse les interdits rabbiniques applicables le Chabbat, et que l’on désigne sous le nom de chevout. En effet, si l’on devait transgresser un interdit de chevout afin de réaliser une circoncision le Chabbat, on annulerait la circoncision plutôt que de transgresser le Chabbat. Tandis que, afin d’acheter une maison sur la terre d’Israël, nos sages enseignent que, en cas de besoin, on pourra l’acheter le Chabbat en passant sur l’interdit de chevout que constitue le fait de demander à un non-Juif d’accomplir un travail interdit [en l’occurrence, signer le contrat de vente], comme expliqué en Guitin 8b, Baba Qama 80b et Tossephot ad loc.

Ces sources ne parlent pas de la libération de la terre d’Israël dans son intégralité, mais du simple achat d’une maison : même cela repousse la défense de chevout. Qui plus est, afin d’ériger une haie protectrice autour du Chabbat, nos sages ont été prêts à annuler la mitsva toranique de sonner du chofar et celle d’agiter le loulav, lorsque Roch hachana ou le premier jour de Soukot tombe le Chabbat. Tandis que, pour les besoins du peuplement de la terre d’Israël, nos sages ont annulé leurs propres paroles et ont levé leur interdit de chevout, interdit sévère dont la source réside dans une asmakhta [appui scripturaire donné à une règle de rang rabbinique]. (Selon le Séfer Mitsvot Gadol, il semble même que l’interdit de chevout soit d’essence toranique).

Par ailleurs, il nous est prescrit de sacrifier au besoin notre vie pour la mitsva de yichouv haarets ; en effet, il nous est ordonné d’hériter de la terre, c’est-à-dire de la conquérir [conformément à l’interprétation de Nb 33, 53 citée ci-dessus] ; or, dans une guerre, les militaires doivent mettre en danger leur vie, comme l’écrit le Min’hat ‘Hinoukh 425.

Si Maïmonide n’a pas compté cette mitsva parmi les six cent treize commandements, c’est parce qu’elle dépasse la valeur ordinaire des mitsvot, si bien qu’elle ne saurait s’inscrire dans une énumération détaillée. Comme l’écrit Maïmonide lui-même dans les principes (chorachim) à la base de son Séfer Hamitsvot, ainsi que dans ses propos sur la mitsva n°153, il ne convient pas de comptabiliser les directives à portée générale, encadrant l’ensemble de la Torah. Il ne serait pas non plus vraisemblable de dire que, de nos jours, la mitsva de yichouv haarets est seulement rabbinique. En effet, nos sages ont déclaré, après la destruction du deuxième Temple, que cette mitsva équivaut à l’ensemble des autres mitsvot ; or il serait invraisemblable qu’ils s’expriment de cette façon à l’égard d’une mitsva de rang rabbinique seulement. De plus, il ne serait pas vraisemblable de séparer une famille [dans le cas où l’un des deux époux refuse de vivre en Israël, tandis que l’autre le veut] ou de lever l’interdit de chevout, le Chabbat, pour une mitsva rabbinique (cf. Na’halat Ya’aqov du Rav Zisberg, vol. 1, pp. 201-249).

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