Les Jours redoutables

05. Mettre des chaussures

Il est interdit, le jour de Kipour, de porter des sandales ou des chaussures. Dans le passé, la matière utilisée pour fabriquer des chaussures était le cuir, car on ne savait pas travailler d’autres matières pour en faire des chaussures ou sandales solides, résistantes et souples. Ce n’est que pour les besoins de la maison que l’on fabriquait, parfois, des sandales de liège, de caoutchouc ou de bois, et les gens s’en servaient seulement comme de chaussons d’intérieur. Les pauvres, qui avaient l’habitude d’aller pieds nus, s’en servaient parfois quand le chemin était trop dur. La question s’est donc posée de savoir s’il est permis de marcher en sandales ou en chaussures autres qu’en cuir, le jour de Kipour.

Certains Richonim interdisent de marcher en sandales de bois, parce que l’on ne sent pas ainsi la dureté du chemin ; mais ils permettent les sandales de liège ou de caoutchouc, car marcher ainsi est une souffrance, puisque le pied ressent la dureté du chemin (Rachi, Maïmonide, Tossephot, Rabbénou Yerou’ham).

D’autres Richonim autorisent toutes sandales ou chaussures qui ne sont pas fabriquées en cuir ; car tant qu’elles ne sont pas en cuir, elles ne sont pas considérées du tout comme chaussures ou sandales. Leur statut est semblable à celui d’un vêtement (malbouch), et il n’est donc pas interdit de s’en servir pour marcher à Kipour (Na’hmanide, Roch, Rachba). C’est en ce sens que se prononcent, en pratique, la majorité des A’haronim (Choul’han ‘Aroukh 614, 2).

Cependant, il apparaît clairement que l’opinion de ces autorités se fondait sur une époque où les sandales faites dans d’autres matériaux que le cuir étaient toutes inconfortables à la marche, de sorte que l’on pouvait dire qu’elles n’étaient pas considérées comme de véritables sandales ou chaussures. Mais de nos jours, où il est courant de fabriquer de bonnes chaussures en différentes matières autres que le cuir, il est interdit de marcher, à Yom Kipour, avec des chaussures ou des sandales que l’on utilise couramment à l’extérieur, durant l’année, en des endroits où il y a des pierres ou du gravier ; et la matière dans laquelle elles sont faites n’importe pas à cet égard.

Certes, dans la génération précédente, quand il n’était pas encore courant de faire de bonnes chaussures dans d’autres matières, certains décisionnaires autorisaient le port de chaussures confortables, à condition qu’elles ne fussent pas de cuir, ni de quelque matière synthétique semblable au cuir ; mais plus le temps passe, plus il est courant de produire des chaussures d’excellente qualité en d’autres matières, et plus décroît le nombre des décisionnaires qui autorisent à les porter pendant Kipour.

Par conséquent, comme nous l’avons dit, il est interdit, le jour de Kipour, d’aller en chaussures ou en sandales qu’il est courant de porter à l’extérieur, en des endroits où se trouvent des pierres, et la matière dans laquelle elles sont faites n’importe pas. Mais il est permis de marcher en chaussons d’intérieur, en toile, ou en chaussures de caoutchouc très simples, avec lesquelles il n’est pas habituel de marcher à l’extérieur, en des endroits où se trouveraient des pierres ou du gravier. (Quoi qu’il en soit, dans la mesure où il se trouve encore des décisionnaires indulgents, qui permettent l’usage de chaussures ou de sandales, du moment qu’elles ne sont pas en cuir, il n’y a pas lieu de protester quand des personnes s’appuient sur ces avis)[7].


[7]. Le traité Yoma 78b rapporte que plusieurs Amoraïm autorisaient le port de sandales de liège ou d’autres matières semblables. Mais une michna est ensuite citée, qui considère la béquille de l’unijambiste, laquelle est faite en bois, comme une chaussure. La Guémara explique alors que les chaussures de bois sont interdites, tandis que celles de liège ou d’autres matières semblables sont permises. C’est ce qu’écrivent Rachi, Tossephot, le ‘Itour et Rabbénou Yerou’ham. Cela s’explique par le fait que la chaussure de bois est forte, et protège le pied, tandis que ce qui est fait en liège ou en d’autres semblables matières ne protège pas convenablement ; aussi n’appelle-t-on pas non plus cela chaussure. Dans le même sens, Maïmonide écrit, au sujet de la permission de porter des sandales de liège ou de caoutchouc : « Car la dureté du sol parvient au pied, et l’on se sent comme pieds nus » (Chevitat ‘Assor 3, 7). C’est aussi la position de plusieurs A’haronim – parmi lesquels le Panim Méïrot II 28, le ‘Hida et le Gaon de Vilna –, que d’interdire toute sandale ou chaussure avec laquelle on ne sent pas la dureté du sol. (Rabbi Zera’hia Halévi estime que le statut du liège et des matières comparables est semblable à celui de chaussures de bois ; aussi cet auteur ne permet-il que d’enrouler le pied dans un vêtement.)

Face à cela, Na’hmanide écrit que seules les chaussures ou sandales de cuir sont considérées comme chaussures, comme le pense Rabbi Yo’hanan ben Nouri (Chabbat 66a), à la différence de toutes chaussures faites en une autre matière ; dès lors, ces dernières sont permises à Kipour. C’est l’opinion du Roch, du Rachba, du Ritva et du Méïri. C’est aussi en ce sens que l’on comprend l’opinion du Rif ; et c’est en ce sens que tranche le Choul’han ‘Aroukh 614, 2. Sont aussi de cet avis la majorité des A’haronim, qui suivent en cela le Choul’han ‘Aroukh et ne diffèrent pas d’opinion ; telle est la position du Zéra’ Émet et du Maharchag. Et c’est ce qui est usuellement enseigné. Quoi qu’il en soit, le Michna Beroura 614, 5 précise que, bien que la majorité des décisionnaires soient d’avis que toute chaussure autre qu’en cuir est considérée comme vêtement, et qu’elle n’est donc pas interdite, de sorte qu’il n’y a pas lieu de protester face aux indulgents, il est juste d’être rigoureux si on le peut, et d’aller en anpilaot de tissu, comme il est d’usage – les anpilaot sont des bas épais ou des chaussons d’intérieur –, puisque certains décisionnaires interdisent toutes les sortes de chaussures qui protègent bien le pied.

De même, la majorité des décisionnaires des dernières générations ont enseigné que, en pratique, il est permis de marcher en chaussures ou en sandales autres qu’en cuir, mais qu’il est juste d’être rigoureux dans le cas où ces chaussures sont confortables, et où l’on ne sent pas, avec elles, la dureté du sol. C’est ce qu’on peut lire dans le Halikhot Chelomo 5, 16-17, et les Hilkhot ‘Haguim 45, 38-39 du Rav Mordekhaï Élyahou. Le ‘Hazon Ich p. 313 est indulgent a priori.

Il semble toutefois clair que, de l’avis même des décisionnaires indulgents, la permission de porter des chaussures ou des sandales autres qu’en cuir s’explique parce que, à ces époques, il n’existait aucune matière qui, du point de vue de la solidité, de la résistance et de la souplesse, pût servir de substitut au cuir. Tous les substituts, faits d’autres matières, faisaient alors figure de simples « vêtements », et servaient de chaussons, ou bien il s’agissait de sandales de très mauvaise qualité, que seuls des pauvres utilisaient parfois. En effet, les pauvres marchaient généralement pieds nus, et ce n’est que lorsque leur pied était blessé, ou qu’ils parcouraient un chemin jonché d’obstacles particulièrement durs aux pieds, qu’ils entouraient leurs pieds de quelque protection. C’est sur de tels types de sandales que les Amoraïm et les Richonim controversent : ceux qui tenaient pour l’avis rigoureux interdisaient de telles chaussures, parce qu’elles protégeaient, dans une certaine mesure, des obstacles du sol ; les tenants de l’opinion indulgente autorisaient cela, en raison de l’inconfort qu’il y avait à marcher ainsi – c’est pourquoi il n’était pas courant de fabriquer de telles sandales.

Mais de nos jours, où il est courant de fabriquer de bonnes chaussures et sandales dans des matériaux divers, et où nombre de gens les portent, marcher ainsi le jour de Kipour serait, de l’avis de tous, fondamentalement interdit. Le Ritva explique ainsi qu’il tranche conformément à l’opinion indulgente, permettant d’aller en chaussures de bois, parce qu’il n’est pas d’usage de faire de telles chaussures (Chabbat 66a). C’est aussi ce qu’écrit Rabbénou Nissim (sur Yoma 2b) quand il explique la position indulgente. D’autres Richonim écrivent ainsi que toutes les chaussures que l’on a l’habitude de porter durant toute l’année sont d’usage interdit à Kipour (Yeréïm 420, Tossephot sur Yevamot 103a ד »ה באנפיליא). C’est aussi la position du Maharchag II 110 selon qui la halakha est conforme à l’opinion indulgente, s’agissant de chaussures autres qu’en cuir, parce qu’il n’est pas d’usage de faire, dans des matières autres que le cuir, de bonnes chaussures, que les gens auraient l’habitude de porter ; par conséquent, poursuit l’auteur, même si, par exception, on avait fait à partir de ces matières de bonnes chaussures, celles-ci resteraient permises. Mais de nos jours où il est courant de faire de nombreuses chaussures en différentes matières, cet auteur lui-même serait rigoureux.

En résumé, il n’y aurait pas de controverse entre Richonim en ce qui concerne les chaussures de notre temps, s’ils les avaient pu connaître : tous s’accorderaient à dire que, si les chaussures sont de bonne qualité, et qu’il soit courant de les porter tout au long de l’année, il est interdit de les porter le jour de Kipour. C’est ce qu’écrivent le Ahola Chel Torah II 81 et le Hilkhot ‘Hag Be’hag 22, 25 au nom du Rav Elyachiv. Il semble que, plus le temps passe et l’on s’habitue à porter des chaussures ou sandales de différentes matières, plus nombreux sont les décisionnaires rigoureux, qui les considèrent comme de véritables chaussures. Certes, s’agissant des nu-pieds (tongs) de caoutchouc, une certaine perplexité s’est manifestée ; car de nombreuses personnes ont l’habitude d’en porter, également dans la rue. Il semble que le critère à appliquer soit celui-ci : si de nombreuses personnes ont l’habitude de marcher, avec de telles sandales, à l’extérieur, même en des endroits où se trouvent des pierres et du gravier, elles sont interdites à Kipour. Mais si, sur des pierres ou du gravier, il n’est presque personne qui marche avec de telles sandales, il est permis de les porter à Kipour (le Baït ‘Hadach estime que l’on doit aller pieds nus, mais on ne tient pas compte de son opinion).

On peut trouver peut-être quelque justification au bénéfice des personnes indulgentes, qui portent de bonnes chaussures ou sandales autres qu’en cuir, en disant qu’elles partagent l’opinion de la majorité des Richonim, selon qui l’interdit de porter des chaussures est de rang rabbinique, et que les sages, suivant leur compréhension profonde, n’ont pas étendu leur interdit au-delà des chaussures de cuir ; de sorte que toutes chaussures qui ne sont pas de cuir, même si tout le monde s’accordait à les considérer aujourd’hui comme de bonnes chaussures, échapperaient au champ de l’interdit, interdit auquel il ne faut pas ajouter, de nos jours, de nouvelles rigueurs. On peut aussi observer que, de nos jours encore, les chaussures et sandales faites en cuir sont considérées comme de meilleure qualité que les autres. Rabbi Isaac Louria a expliqué que, si les chaussures de cuir ont été interdites, c’est parce qu’elles participent du « secret des tuniques de peau d’Adam, le premier homme, qui étaient en peau de serpent » (Peri ‘Ets ‘Haïm, Cha’ar Yom hakipourim 4).

Quoi qu’il en soit, il semble en pratique qu’il n’y ait pas lieu à l’indulgence à cet égard, et que l’interdit s’applique à toutes chaussures ou sandales qu’il est courant de porter à l’extérieur, en des endroits où sont des pierres ou du gravier.

06. Cas de permission, quant au port de chaussures

Il est permis aux malades, aux parturientes et aux accouchées, qui risqueraient de tomber malades à cause du froid en allant pieds nus[f], de porter des chaussures (Choul’han ‘Aroukh 614, 3).

Il est permis à ceux qui marchent en un lieu où un danger est à craindre, en raison de la présence possible de scorpions ou de semblables bêtes, de porter des chaussures. De même, il est permis à ceux qui marchent en un endroit boueux ou fangeux de porter des chaussures, afin de ne pas souiller leurs pieds. Un soldat, dans le cadre de son service, peut aussi porter ses chaussures militaires (Choul’han ‘Aroukh 614, 4). En effet, l’interdit de porter des chaussures ou des sandales tient lorsque le  but est de marcher confortablement ; mais si l’on a besoin de les porter pour quelque autre raison, il n’y a pas d’interdit.

Si l’on a besoin de semelles orthopédiques, et que l’on souffre beaucoup en ne les ayant pas aux pieds, il est permis de les placer, même si elles sont en cuir, à l’intérieur de chaussons ou de chaussures de caoutchouc rudimentaires, et de les utiliser à Kipour. Cela, parce que le but de ces semelles n’est pas de procurer du plaisir, mais d’empêcher une souffrance particulière (‘Helqat Ya’aqov II 83)[8].


[f]. Ou pauvrement chaussés, comme on l’a vu dans le paragraphe précédent.

[8]. Les responsa ‘Helqat Ya’aqov II 83 autorisent celui qui souffre beaucoup quand il marche sans ses semelles, et quoique celles-ci soient recouvertes de cuir – à les placer dans des chaussons de toile ou de caoutchouc, afin d’éviter un grand désagrément ; ce cas ressemble à celui de l’homme délicat (histénis) qui marcherait en un lieu où il y aurait de la fange, cas dans lequel il est permis de porter des chaussures, puisque ce n’est pas la jouissance que l’on poursuit en les portant (Rama 614, 4). De plus, la semelle orthopédique ne fait pas partie de la chaussure, de sorte que le cas ressemble à celui où l’on se tient sur un coussin de cuir, ce qui est permis (Rama 614, 2, Michna Beroura 9). C’est la position du Chemirat Chabbat Kehilkhata 39, 37 et du Nichmat Avraham 614, 4. Le ‘Hout Chani (p. 137) craint que ces semelles ne doivent être considérées comme faisant partie de la chaussure, mais il les autorise à ceux qui ne peuvent marcher autrement.

En pratique, si l’on souffre beaucoup sans semelles orthopédiques, on peut être indulgent et en utiliser, même si elles sont en cuir ; on les placera dans des chaussures de caoutchouc sommaires, qu’il n’est pas habituel de porter dehors. Si les semelles orthopédiques sont faites dans une autre matière, on pourra être indulgent, même s’il n’y a pas de grande souffrance.

07. Relations conjugales

La cinquième mortification consiste à s’abstenir de relations conjugales. Pour s’éloigner de la transgression, les époux doivent se comporter comme au temps où la femme est nida : ne pas se toucher l’un l’autre, et ne pas dormir dans le même lit (Choul’han ‘Aroukh 615, 1, Michna Beroura 1)[9].

Plusieurs Richonim des pays ashkénazes écrivent qu’il faut se garder de manger, la veille de Kipour, des aliments susceptibles de provoquer une émission vaine de semence (Rama 608, 4). De nos jours, les médecins ne savent pas dire quels aliments provoquent cela ; aussi n’est-il pas obligatoire de s’abstenir de tel aliment. Il est juste que les jeunes s’abstiennent de dormir d’une façon qui, à leur connaissance, risquerait de causer une pollution nocturne. Nombreux sont ceux qui ont coutume de réciter, avant de dormir, les psaumes 1 à 4, ce qui constitue une ségoula[g] contre les pollutions nocturnes (Michna Beroura 619, 14).


[9]. Selon le Touré Zahav, c’est seulement durant la nuit qu’il faut se comporter, à l’égard de sa femme, comme aux jours où elle est nida. Mais le Choul’han ‘Aroukh 615, 1 n’a pas fait de différence entre le jour et la nuit. C’est dans ce dernier sens que se prononce le Michna Beroura 1, se fondant sur Maguen Avraham, Élya Rabba, Birké Yossef, Choul’han ‘Aroukh Harav et ‘Hayé Adam. Cependant, en cas de nécessité, on peut être indulgent le jour (Élef Lamaté 1, Ben Ich ‘Haï, Vayélekh 15). Il est donc permis à des époux d’être kvaters [personnes qui, lors d’une circoncision,  amènent le bébé vers le fauteuil du prophète Élie], quand une circoncision a lieu le jour de Kipour, l’épouse faisant passer le bébé de ses mains à celles de son époux (Halikhot Chelomo 5, 22).

[g]. Acte ou comportement approprié, spirituellement, pour produire telle chose souhaitable ou éviter telle autre, fâcheuse.

08. Enfants

À partir du moment où les petits enfants parviennent à l’âge de l’éducation, c’est-à-dire, en l’occurrence, à l’âge où ils comprennent la mitsva de Yom Kipour, on les instruit à ne pas se laver ce jour-là, ni à s’oindre, ni à porter de chaussures ou de sandales. En général, les enfants parviennent à ce stade à l’âge de cinq ou six ans. Certains parents apportent à leur pratique un supplément de perfection, en les éduquant à ne pas porter de chaussures dès l’âge de trois ans.

En plus de la mitsva d’éduquer les petits au commandement du jeûne, il est interdit aux adultes de les induire en erreur, même les bébés qui viennent de naître, en leur faisant faire une chose interdite. Car de même qu’il est interdit aux adultes de nourrir les enfants d’insectes ou de sang, ou de rendre impur un cohen mineur, de même est-il interdit aux adultes de laver, d’oindre ou de chausser de cuir les enfants (Pniné Halakha – Les Lois de Chabbat II 24, 2). Mais quand il y a à cela une certaine nécessité médicale, il devient permis de les laver ou de les oindre. Cela n’entre pas dans le champ de l’interdit de médication, que les sages ont décrété quant au Chabbat et aux fêtes, parce que, pour les nécessités liées à la maladie ou à l’indisposition d’un enfant, les sages ont levé l’interdit fixé à l’endroit des adultes (ibid. 6). De même, quand un enfant risque de subir un dommage en n’ayant pas de chaussures, on pourra lui en mettre.

S’agissant du jeûne, il est impossible d’éduquer des enfants de cinq et six ans à jeûner, car ils sont encore faibles, et le jeûne risque de leur nuire. Aussi attend-on qu’ils parviennent à l’âge de neuf ans. À ce moment, on commence à instruire les garçons et les filles en bonne santé à jeûner quelques heures : s’ils ont l’habitude de manger à huit heures, le matin, ils mangeront à l’approche de midi, le jour de Kipour. S’ils sont faibles, on ne les éduque pas à cela depuis l’âge de neuf ans, mais de dix ans.

À partir de onze ans, on éduque les garçons et les filles à jeûner toute la journée de Kipour ; s’ils sont faibles, ils peuvent être indulgents et ne jeûner que jusqu’au midi solaire.

À partir de douze ans, les filles ont l’obligation toranique de jeûner. Les garçons de douze ans, eux, doivent jeûner en vertu des paroles des sages, afin de s’éduquer à la mitsva. Même quand un garçon est faible, il lui faut s’efforcer de jeûner le jour entier. Cependant s’il est malade, et quoique sa maladie ne présente pas de danger pour sa personne, il n’est pas obligé de jeûner, puisqu’il n’est pas encore parvenu à l’âge des mitsvot. Il s’efforcera alors de jeûner jusqu’au midi. À partir de treize ans, les garçons sont à leur tour tenus toraniquement de jeûner[10].

Nombreux sont ceux qui encouragent les petits enfants, parvenus à l’âge de l’éducation, à ne pas manger ni boire le soir de Kipour. Bien que certains auteurs pensent qu’il n’y a pas lieu d’être rigoureux à cet égard, tel est l’usage de beaucoup, afin d’éduquer les petits à participer un peu au jeûne. Mais s’ils demandent à boire ou à manger, il faut le leur donner (Élef Hamaguen 616, 5).

Nombreux sont ceux qui estimaient que, avant l’âge de neuf ans, il fallait empêcher les enfants de jeûner, ne fût-ce que quelques heures au cours de la journée, de crainte que cela ne les mette en danger (Rama 616, 2). Mais la majorité des enfants veulent jeûner quelques heures, avant même l’âge de neuf ans ; et puisque les médecins pensent qu’il n’y a pas de danger à cela, la majorité des Juifs ont coutume de les laisser jeûner quelques heures, le matin, et il n’y a pas lieu d’annuler cet usage (Échel Avraham de Rabbi Avraham Botchatch, d’après Rachi).


[10]. La question est traitée en Yoma 82a, dans la Michna puis la Guémara. On trouve en pratique trois opinions, quant au jeûne des enfants : selon le Roch et Rabbi Yechaya A’haron zal, quatre ans avant qu’ils soient assujettis à la mitsva, on éduque les enfants en bonne santé à jeûner quelques heures ; deux ans avant qu’ils y soient assujettis, on les éduque à jeûner toute la journée. S’ils sont faibles, c’est seulement trois ans avant qu’ils y soient assujettis qu’on les éduque à jeûner quelques heures, et on les éduque à jeûner le jour entier un an avant qu’ils y soient assujettis. Puisque les filles sont toraniquement tenues d’observer les mitsvot à l’âge de douze ans, on commence à les éduquer au jeûne à l’âge de huit ans (comme le dit Rav Houna). Les garçons sont tenus aux mitsvot à l’âge de treize ans ; on commence donc à les éduquer au jeûne à neuf ans (comme le dit Rav Na’hman).

Selon le Rif, Maïmonide et le Choul’han ‘Aroukh 616, 2, il n’y a pas de différence à faire entre les garçons et les filles : tout enfant en bonne santé est instruit à jeûner quelques heures à partir de neuf ans, et, s’ils sont faibles, à partir de dix ans. À partir de onze ans, on éduque les garçons et les filles, qu’ils soient en bonne santé ou faibles, à jeûner pleinement. Ce n’est que si l’enfant, garçon ou fille, est vraiment malade, qu’il ne jeûnera pas avant d’être parvenu à l’âge où la Torah l’y oblige (c’est en ce sens que ces auteurs expliquent l’opinion de Rav Na’hman).

D’autres tranchent d’après l’opinion de Rabbi Yo’hanan, selon qui on n’éduque pas du tout l’enfant à jeûner un plein jour : c’est seulement quand ils parviendront à l’âge où l’on est tenu aux mitsvot, qu’ils auront l’obligation de jeûner toute la journée. Quant au fait d’éduquer à jeûner quelques heures, cela commence deux ans avant cela. C’est l’opinion de Rabbi Yits’haq ibn Ghiat, du Roqéa’h et de Rabbi Eliézer de Metz. Selon le Teroumat Hadéchen et le Rama, il faut s’appuyer sur ces autorités pour dispenser d’un jeûne complet l’enfant maigre, qui n’a pas la force de jeûner. Selon le Élya Rabba, il faut a priori instruire les enfants à ne pas jeûner un jour complet avant qu’ils n’arrivent à l’âge des mitsvot, car tous doivent être considérés comme malades. C’est aussi l’opinion du ‘Aroukh Hachoul’han 616, 17 et du Halikhot Chelomo 6, 14.

Le Michna Beroura 616, 9 cite les différentes opinions. Le Rav Mordekhaï Élyahou, dans le Maamar Mordekhaï sur les fêtes 45, 19, écrit qu’il faut encourager les mineurs à se conformer à l’avis du Choul’han ‘Aroukh. Et c’est en ce sens que nous nous sommes exprimé dans le corps de texte, à l’exception des enfants de onze ans : s’ils sont faibles, nous adoptons l’opinion indulgente, et tel est l’usage courant.

01. Le saint des saints et le jour de Kipour

Le sanctuaire est le lieu où  se révèlent toutes les valeurs divines, et c’est à partir de lui qu’elles rayonnent dans le monde entier. Dans la pièce appelée qodech (le « saint », ou sanctuaire au sens strict), étaient placés le chandelier (ménora), qui exprime la sagesse (‘hokhma), la table (choul’han), qui représente la subsistance (parnassa), l’autel de l’encens (mizbéa’h haqetoret) qui incarne la prière (téphila) et l’aspiration à la proximité divine. Au-delà, dans le qodech haqodachim (saint des saints), se révèle le fondement de la foi (émouna) et de la Torah. En d’autres termes, c’est là que rayonne le fondement divin de la Torah, et c’est en ce lieu que rayonne la sainteté de l’assemblée d’Israël, car c’est par le biais de ces lumières que Dieu fait vivre l’ensemble du monde. Aussi, le qodech haqodachim est-il le lieu de l’arche d’alliance (aron haberit), où furent placées les tables de pierre et la Torah, qui furent données à Moïse au Sinaï ; au-dessus de l’arche, était le propitiatoire (kaporet) d’or, couvercle surmonté de deux chérubins (kerouvim), qui expriment le lien d’alliance et d’amour unissant le Saint béni soit-Il à Israël. L’emplacement du qodech haqodachim, à Jérusalem, se trouvait sur le rocher de la fondation (éven hachetiya), dont les sages disent qu’il est le rocher à partir duquel fut établi le monde, lors de la création (Yoma 54b). Une cloison (mé’hitsa) séparait le qodech haqodachim du qodech, afin de distinguer entre les différents degrés de sainteté. Car toute la sainteté du qodech émane du qodech haqodachim ; or, sans la mé’hitsa, la lumière du qodech haqodachim se serait élevée vers les régions célestes, et n’aurait pas été en mesure de dispenser lumière et bénédiction en direction du qodech, et, à partir de celui-ci, en direction de l’univers entier.

Bien que nul homme ne soit autorisé à entrer dans le saint des saints, Israël et toute l’humanité peuvent, grâce à la lumière de la Présence divine se dévoilant dans le saint des saints, revenir à Dieu, corriger leurs fautes et prier l’Éternel, par le biais du Temple, comme il apparaît dans la prière du roi Salomon, lors de l’inauguration du sanctuaire (cf. I Rois, chap. 8).

Même après la destruction du Temple et l’exil, l’empreinte de la Présence divine n’a point quitté l’emplacement du qodech haqodachim ; et grâce au désir et à l’aspiration des enfants d’Israël à voir la Présence divine reposer sur la terre, il leur est assuré que leur délivrance viendra, que le nom de l’Éternel sera sanctifié en Israël son peuple, en Jérusalem sa ville, en Sion, demeure de sa gloire, en la royauté de la dynastie de David son messie, en son séjour et en son palais, et que l’Éternel régnera seul sur toutes ses œuvres.

Le lieu du qodech haqodachim est suprêmement élevé par son niveau de sainteté, et nul homme n’est autorisé à s’y introduire. Quiconque y entre est passible d’une mort exécutée par le Ciel même (mita biyedé Chamaïm[a]), comme il est dit :

L’Éternel dit à Moïse : « Parle à Aaron ton frère, et qu’il ne vienne pas en tout temps au sanctuaire, au-delà du rideau (parokhet), devant le propitiatoire qui est sur l’arche, de sorte qu’il ne meure pas. Car dans une nuée, Je me révèle au-dessus du propitiatoire » (Lv 16, 2).

Ce n’est qu’au jour saint et redoutable, Yom Kipour, que le Grand-prêtre entrait, au milieu du nuage de l’encens, au nom de tout Israël, dans le saint des saints, afin d’y accomplir le service (‘avoda) du jour, comme il est dit :

Voici comment Aaron entrera dans le sanctuaire… (ibid. verset 3).

C’est par quatre fois que le Grand-prêtre devait entrer dans le saint des saints, le jour de Kipour ; mais s’il y fût entré une cinquième fois, bien qu’il fût le Grand-prêtre et que le jour fût celui de Kipour, il eût été passible de mort, décrétée par le Ciel (Maïmonide, Biat hamiqdach 2, 4).


[a]. Par opposition à une peine de mort prononcée par le tribunal humain (Sanhédrin).

02. Unification supérieure, unification inférieure ; conduites d’unification et de jugement

La signification de la mitsva se trouve dans le fait qu’il existe, dans la conduite du monde par Dieu, deux degrés : la conduite du monde par le biais du jugement (hanhagat hamichpat), qui correspond à l’unification inférieure (yi’houd ta’hton), et la conduite du monde par le biais de l’unification (hanhagat hayi’houd), correspondant à l’unification supérieure (yi’houd ‘e-lion) (cf. ci-dessus, chap. 7 § 12 et chap. 6 § 4).

La conduite selon le jugement (hanhagat hamichpat) est la conduite manifeste, selon les lois de la récompense et du châtiment, que Dieu a imprimées en ce monde, lois d’après lesquelles fonctionnent le monde de la nature et le monde de l’esprit. De même que celui qui néglige son travail devient pauvre, de même, quand la collectivité ou l’individu choisissent le mal, ils sont punis en ce monde et dans le monde futur.

D’après ces lois, il semble, de prime abord, qu’il n’y a point de remède possible pour les hommes, puisque, généralement, ils ont tendance à suivre leur penchant au mal. Même s’il y a des justes, le gouvernement et le pouvoir sont placés, en général, entre les mains d’hommes avides de domination et de lucre, qui poursuivent leur mauvais penchant. Aussi ne devrait-il y avoir aucune chance que le monde fût délivré de ses épreuves ; et la mort, qui détruit toutes les créatures, devrait finir par détruire aussi le monde.

Cependant, il existe une conduite divine supérieure et occulte, la conduite de l’unification (hanhagat hayi’houd), d’après laquelle Dieu transforme pour le bien tous les processus à l’œuvre dans le monde ; de sorte que, de l’intention mauvaise et des actions impies des pervers et des souverains elles-mêmes, germera finalement le bien. Cette conduite s’accomplit dans le monde par le mérite d’Israël, qui est uni à Dieu par une alliance éternelle, et dont la volonté profonde est constamment orientée vers la réparation du monde. C’est d’après cette conduite divine qu’il est dit, dans la Torah et les prophètes, que la délivrance est chose certaine. Toutefois, comme la conduite de l’unification, cachée, œuvre par le truchement de la conduite du jugement, la voie par laquelle viendra la délivrance dépend du libre arbitre d’Israël. Si les Juifs choisissent le bien, la délivrance viendra bientôt et dans la tranquillité ; mais si, à Dieu ne plaise, ils choisissaient le mal, la délivrance serait tardive, et passerait par des épreuves dures et redoutables.

La conduite de l’unification est cachée, et se révèle dans le qodech haqodachim, au lieu qui est au-delà de tous les lieux, et dont l’existence même au sein du monde matériel est miraculeuse. Aussi est-il interdit d’y entrer. Bien plus, la tentative de s’y infiltrer est dangereuse, car celui qui se lie à un degré si élevé risque de penser que, puisque tout, de toute façon, est pour le bien, il n’est pas nécessaire de s’efforcer de choisir le bien et de surmonter le mauvais penchant ; et, à partir de la trop grande lumière du saint des saints, il trouverait une justification à poursuivre ses penchants, et prétendrait encore que tout cela est pour le bien, et qu’il le fait au nom du Ciel.

Seul le peuple d’Israël, pris généralement, est apte à se lier à la conduite de l’unification, car c’est par son biais que cette conduite agit dans le monde, en ce que, du sein de toutes les souffrances et de toutes les épreuves, Israël croît et dévoile de nouveaux principes de Torah. Mais cela même est de l’ordre du secret, qui se dévoile progressivement, au terme de nombreuses générations. Aussi n’est-ce qu’au jour saint et redoutable, où tout Israël chôme et se détache de toutes les affaires de ce monde, s’abstenant de nourriture et de boisson, de bain, d’onction, de chaussures et de cohabitation charnelle, que le Grand-prêtre peut s’élever au point d’entrer, au nom de la collectivité d’Israël, dans le saint des saints, et d’y attirer la purification du peuple juif et l’expiation de l’impureté extérieure qui s’était attachée à lui. Grâce à cela, tout individu peut accomplir le parfait repentir de ses fautes, ce par quoi tout Israël mérite une bonne année, et le monde progresse vers sa délivrance.

Quand le Temple est détruit, toutes ces hautes réalisations s’accomplissent, de manière limitée, par la sainteté du jour, par le jeûne et par la prière[1].


[1]. Ces deux conduites sont généralement appelées unification supérieure (yi’houd ‘e-lion) et unification inférieure (yi’houd ta’hton) ; dans le vocabulaire de Rabbi Moché ‘Haïm Luzzato (Da’at Tevouna 134 et en d’autres endroits) : conduite de l’unification et conduite du jugement. Ci-dessus, chap. 2, note 4, est expliqué le thème des treize attributs de miséricorde, qui ressortissent à l’unification supérieure. De même, au chap. 6 § 4, est expliqué en quoi consiste la nature même du jour, qui est liée à l’unification supérieure et à la conduite de l’unification. Au chapitre 7 § 12, est exposée la question de l’unification supérieure et de l’unification inférieure, ainsi que la raison pour laquelle on récite à voix haute la phrase Baroukh Chem kevod malkhouto lé’olam va’ed (béni soit le nom de Celui dont le règne est éternel).

Dans son livre Michkené ‘E-lion, le Rav Luzzato dit du saint des saints qu’il est « le lieu de la lumière prodigieuse et de la bénédiction nombreuse ». Et ses dimensions « s’étendent du début à la fin et de la fin au début, vingt amot de part et d’autre, de sorte que la taille de ce sanctuaire était de vingt amot sur vingt. Ensemble, elles forment un mem fermé (ם), ce qui fait la mesure d’un miqvé (bain rituel). » Une allusion à cela se trouve dans les paroles de Rabbi Aqiba, rapportées par la Michna (Yoma 85b) : « Heureux êtes-vous, enfants d’Israël ! Car devant qui vous purifiez-vous, et qui vous purifie ? Votre Père qui est au ciel, comme il est dit (…) : “L’espoir [miqvé, mot désignant aussi la source d’eau vive] d’Israël est Dieu” (Jr 17, 13) ; de même que le miqvé purifie les impurs, de même le Saint béni soit-Il purifie-t-il Israël. » Même après la destruction du Temple, l’essence même du jour de Kipour participe de la notion de saint des saints (qodech haqodachim) ; et le jeûne et la prière relèvent de la notion de sanctuaire (qodech).

03. Le Grand-prêtre (Cohen gadol)

Le rôle des prêtres (les cohanim[b]) est de relier les Israélites à leur Père qui est au ciel, par l’accomplissement du service du sanctuaire, par l’approfondissement de la foi et de la bienfaisance parmi le peuple juif, et par l’enseignement de la halakha. Afin que les cohanim soient consacrés à leur service, sans qu’ils aient besoin de travailler pour se sustenter, la Torah a ordonné de leur attribuer des contributions et autres dons voués à la prêtrise. Et pour préserver leur sainteté, les cohanim sont avertis de ne pas se rendre impurs par le contact d’un mort autre qu’un parent du premier rang[c] ; de même leur est-il interdit d’épouser une femme divorcée ou ‘halala[d]. C’est une mitsva que de nommer Grand-prêtre le plus illustre d’entre les prêtres. Les règles applicables au Grand-prêtre sont plus restrictives encore : il ne peut se rendre impur ni s’endeuiller pour aucun mort, même son père ou sa mère ; et il n’est autorisé à épouser qu’une femme vierge. On le prépose à son service en lui versant l’huile d’onction et en le vêtant de huit habits qui lui sont spécifiques ; comme il est dit : « Et le prêtre supérieur à ses frères, sur la tête duquel aura été versée l’huile d’onction, et qu’on aura préposé pour vêtir les habits, n’échevellera pas sa tête ni ne déchirera ses habits. De toute personne morte, il n’approchera pas ; pour son père et sa mère même, il ne se rendra pas impur. Du sanctuaire, il ne sortira pas, et il ne profanera pas le sanctuaire de son Dieu, car le diadème de l’huile d’onction de son Dieu est sur lui, Je suis l’Éternel » (Lv 21, 10-12). C’est le grand tribunal de soixante-et-onze anciens qui devait décider de la nomination du Grand-prêtre (Maïmonide, Klé Hamiqdach véha’ovdim bo 4, 12-15).

Contrairement aux autres cohanim, qui ne portaient que quatre vêtements durant leur service au sanctuaire, il était enjoint au Grand-prêtre d’y ajouter quatre autres habits, de sorte que ses vêtements étaient au nombre de huit. S’il avait omis un seul de ces vêtements, son service eût été invalidé. Chacun des vêtements consacrés à la prêtrise exprimait une idée particulière, et servait à expier un type de faute, contradictoire avec cette idée. Comme l’enseignent nos sages :

La tunique (ketonet) expie le crime de sang ; le caleçon (mikhnassaïm) expie les unions interdites ; la tiare (mitsnéfet) est expiatoire pour ceux dont l’esprit est grossier ; la ceinture (avnet) expie les pensées fautives ; le pectoral (‘hochen) expie les infractions au droit civil et du commerce ; l’éphod expie l’idolâtrie ; la robe (mé’il) expie la médisance (publique) ; le diadème saint (tsits) expie l’œuvre des effrontés (‘Arakhin 16a).

Le Grand-prêtre doit être le plus pieux des cohanim, continuateur de la voie d’Aaron le prêtre, qui « aimait la paix et poursuivait la paix, aimait les créatures et les rapprochait de la Torah » (Maximes des pères 1, 12). Afin d’exprimer son attachement à Dieu, était gravée sur le tsits qu’il portait au front l’inscription Qadoch Lachem (sanctifié pour l’Éternel). Et pour exprimer son amour et sa responsabilité à l’égard du peuple d’Israël, les noms des patriarches et des tribus d’Israël étaient gravés sur les pierres du pectoral fixé sur son cœur. Même sur les chaînettes qui étaient sur ses épaules, deux pierres précieuses étaient fixées, où les noms des tribus étaient gravés (Maïmonide, Klé Hamiqdach véha’ovdim bo 9, 1 ; 9, 7-9). Le Grand-prêtre doit être aussi supérieur à ses frères en force physique, en sagesse, en beauté et en richesse. S’il présentait toutes ces qualités sauf celle d’être riche, ses frères, les cohanim, lui donnaient de leur argent, afin qu’il présentât toutes les qualités (Yoma 18a).

Si l’on a nommé comme Cohen gadol un homme qui ne se distingue pas par sa piété et par ses qualités, il a néanmoins, a posteriori, le statut de Cohen gadol, et toutes les règles attachées à cette fonction s’appliquent à lui. Mais il est évident que, plus le Grand-prêtre était juste, plus il réussissait en son service et rapprochait davantage Israël de son Père qui est au ciel.

Nos sages enseignent que, durant les quatre cent dix ans d’existence du premier Temple, dix-huit Grands-prêtres furent successivement en fonction. La majorité d’entre eux furent des justes, aussi jouirent-ils d’une longue vie ; tandis que, durant les quatre cent vingt ans du deuxième Temple, plus de trois cents Grands-prêtres furent en fonction, parmi lesquels trois furent des justes, qui servirent de nombreuses années, et presque tous les autres n’étaient pas des justes : ils achetaient au pouvoir leur prêtrise en argent, et ne passaient pas l’année. C’est à ce propos qu’il est dit : « La crainte de l’Éternel ajoute aux jours, mais les années des impies sont abrégées » (Pv 10, 27).

À la suite de la corruption qui sévissait parmi les Grands-prêtres à l’époque du second Temple, la purification et l’expiation d’Israël à Kipour furent altérées, au point que, finalement, le Temple fut détruit, et le peuple d’Israël partit pour un long exil.


[b]. Cohen, plur. cohanim.

[c]. Père, mère, frère, sœur, conjoint, fils, fille.

[d]. Femme ayant entretenu des rapports charnels avec un homme ‘halal, c’est-à-dire issu de l’union d’un cohen avec une femme qui lui était interdite.

04. Le Grand-prêtre au jour de Kipour

Dans le courant de l’année, tous les cohanim sont aptes à procéder aux sacrifices, à offrir l’encens et à préparer les lumières du chandelier (ménora) ; mais à Yom Kipour, étant donnée la grande sainteté du jour, seul le Cohen gadol est apte à accomplir tous ces actes de service (Yoma 32b, Maïmonide, Yom hakipourim 1, 2).

Les offrandes auxquelles le Grand-prêtre procédait, le jour de Kipour, se divisaient en trois catégories : la première consistait dans les sacrifices perpétuels (tamid), que l’on offre chaque jour, et qui sont deux agneaux, l’un le matin, premier de tous les sacrifices, le second à l’approche du soir, après tout autre sacrifice. Font également partie de ce premier cercle l’encens (qetoret) que l’on faisait fumer sur l’autel d’or, deux fois par jour, le matin et à l’approche du soir, ainsi que la préparation (hatava) des lumières et leur allumage (hadlaqa). La deuxième catégorie comprend les sacrifices additionnels (moussaf), à la manière de ce que l’on offre à la néoménie et aux jours de fête ; le jour de Kipour, il s’agit d’un taureau, d’un bélier, de sept agneaux comme holocauste (‘ola), et d’un bouc comme expiatoire (‘hatat). La troisième catégorie est spécifique au jour de Kipour, et comprend : un taureau comme ‘hatat destiné à l’expiation du Grand-prêtre et de ses frères, les cohanim ; avec ce taureau, un bélier comme ‘ola (ces bêtes ont été achetées par le Cohen gadol avec son argent) ; et encore deux boucs pour l’expiation d’Israël, l’un comme ‘hatat, l’autre comme bouc émissaire (sé’ir hamichtaléa’h).

Le Grand-prêtre avait l’obligation d’être marié, à l’époque où il accomplissait le service de Kipour, ainsi qu’il est dit : « “Il fera expiation pour lui et pour sa maison” (Lv 16, 6) : sa maison, c’est son épouse » (Yoma 13a). Et bien que, à l’approche de Kipour, le Grand-prêtre dût se séparer de son épouse durant sept jours, afin de se sanctifier et de se purifier avant le service du jour, il ne pouvait accomplir ce service qu’à la condition d’avoir une femme, car quiconque n’est pas marié n’est pas considéré comme un homme complet (Yevamot 63a) : il demeure sans joie, ni bénédiction, ni bienfait, ni Torah, ni muraille (protectrice des fautes), ni paix (ibid. 62b). Il doit être marié à une femme unique ; s’il en a deux, il est disqualifié pour accomplir le service de Yom Kipour (Yoma 13a). Car ce n’est que s’il a une seule épouse que l’amour et l’unité entre eux peut être complète. Et de même que le Grand-prêtre connaît personnellement l’unité, de même peut-il joindre et unir tout Israël à son Père qui est au ciel.

On ordonnait un cohen supplémentaire, qui puisse remplacer le Grand-prêtre dans le cas où celui-ci deviendrait impur, ou mourrait (Yoma 2a, Maïmonide, ‘Avodat Yom hakipourim 1, 2-3, Klé Hamiqdach véha’ovdim bo 5,10).

05. Les habits du Grand-prêtre, le jour de Kipour

Tout le service des sacrifices perpétuels et additionnels (moussafim), le Cohen gadol l’accomplissait, comme tous les jours de l’année et pendant les fêtes, vêtu de ses huit habits : la tunique, le caleçon, la tiare, la ceinture, le pectoral, l’éphod, la robe et le diadème (tsits). La tunique, le caleçon et la tiare étaient blancs ; les autres habits étaient de différentes couleurs, et certains étaient mêlés d’or. En chacun des fils de l’éphod et du pectoral, qui étaient d’azur (tékhélet), de pourpre (argaman), d’écarlate (tola’at chani, en fait un rouge orangé) et de lin (chech, blanc), était aussi entrelacé un fil d’or (Ex 28, 6 ; Rachi).

Les clochettes de la robe étaient d’or. De même, le diadème (tsits) posé sur le front du pontife, les chaînettes et les anneaux du pectoral et de l’éphod étaient d’or, et les pierres du pectoral étaient enchâssées dans l’or (Ex 28). Ainsi, les habits du Grand-prêtre étaient riches de toutes les nuances les plus magnifiques, et exprimaient l’expansion de la sainteté en ce monde-ci, en toutes ses composantes. Chaque vêtement exprimait en soi-même une idée, et expiait la faute correspondante (cf. ci-dessus, § 3). Si donc il avait manqué au Grand-prêtre ne fût-ce qu’un seul vêtement, son service n’eût pas été valide, car l’intégrité de son apparence eût été altérée.

Cependant, pour le service de Yom Kipour dans le saint des saints, le Grand-prêtre devait être vêtu de quatre vêtements de lin blanc, comme il est dit : « C’est de cette façon qu’Aaron viendra dans le sanctuaire… il portera une tunique de lin consacrée, un caleçon de lin couvrira sa chair, d’une ceinture de lin il se ceindra et d’une tiare de lin il se coiffera ; ce sont des vêtements saints » (Lv 16, 3-4). S’il accomplissait le service dans ses vêtements mêlés d’or, ce service serait invalidé. En effet, lors du service particulier de Yom Kipour, le Cohen gadol doit s’élever totalement, au-delà des contingences de ce monde-ci. Et quoique le foisonnement des nuances présentes en ce monde-ci offre de hautes utilités, il y a aussi, à côté de ces utilités, des manques et des fautes ; pour leur apporter l’expiation, le Grand-prêtre doit s’élever au niveau de l’unité simple, qui se situe au-delà des contrastes du monde, et auquel fait allusion la couleur blanche (Maharal, Guevourot Hachem 51, Nétiv Hatorah 10).

C’est à ce propos que nos sages enseignent : « Pourquoi le Grand-prêtre n’entre-t-il pas en habits d’or dans le saint des saints, pour y accomplir le service ? Parce qu’un procureur ne saurait être un défenseur » (Roch Hachana 26a). L’or est le métal le plus somptueux ; c’est pourquoi les ustensiles du sanctuaire sont fabriqués en cette matière, de façon à révéler la splendeur de la sainteté dans ce monde-ci. Cependant, à côté de cette magnificence, l’or est également à la source de la faute consistant à poursuivre la richesse et les passions matérielles. Aussi l’or rappelle-t-il la faute du veau d’or, dont nos sages disent que c’est à cause de l’or et des richesses que détenaient les Israélites au sortir de l’Égypte qu’ils furent entraînés par leur penchant au mal, se cherchèrent une divinité matérielle et s’adonnèrent à l’idolâtrie (Berakhot 32a). Aussi, lorsque le Grand-prêtre venait dans le qodech haqodachim, afin de purifier la foi des scories qui y étaient attachées, il devait quitter les vêtements d’or et revêtir les vêtements blancs.

06. Immersions, sanctification des mains et des pieds

C’est une mitsva toranique, pour le cohen qui entre dans le sanctuaire, même s’il est pur, que de sanctifier ses mains et ses pieds. Nos sages ont ajouté à cela l’obligation d’immerger tout son corps (comme l’enseigne Rabbi Yehouda au traité Yoma 30a ; Maïmonide, ‘Avodat Yom hakipourim 2, 3). Tant que le prêtre poursuit son service dans le sanctuaire, il n’a pas besoin de répéter la purification de ses mains et de des pieds, ni de s’immerger de nouveau. S’il a uriné, il doit purifier de nouveau ses mains et ses pieds ; s’il a été à la selle, ou qu’il soit sorti de l’enceinte du sanctuaire pendant une durée significative, il doit de nouveau s’immerger, et purifier ses mains et ses pieds (Maïmonide, Biat miqdach 5, 3-5).

L’immersion se faisait au bain rituel qui se trouvait près du parvis ; la purification des mains et des pieds, par l’eau qui sortait des robinets fixés au bassin de cuivre, lequel était entre l’autel des sacrifices et le sanctuaire. Le prêtre posait sa main droite sur son pied droit, et les lavait ensemble, puis il posait sa main gauche sur son pied gauche, et les lavait ensemble. Un cohen qui aurait accompli son service sans avoir d’abord purifié ses mains et ses pieds, était passible de mort prononcée par le tribunal céleste, comme il est dit :

Tu feras un bassin de cuivre, et son support de cuivre, pour l’ablution ; tu le placeras entre la tente d’assignation et l’autel, et tu y mettras de l’eau. Aaron et ses fils s’y laveront les mains et les pieds. Quand ils viendront à la tente d’assignation, ils se laveront à cette eau, afin de ne point mourir ; de même, quand ils approcheront de l’autel pour y servir, pour brûler des sacrifices à l’Éternel (Ex 30, 18-20).

Le jour de Kipour, en plus de l’immersion et de la purification des mains et des pieds qui précèdent le service, il est fait obligation au Grand-prêtre de s’immerger chaque fois qu’il quitte ses vêtements d’or pour revêtir les vêtements blancs, comme il est dit : « Ce sont des vêtements saints ; il lavera à l’eau sa chair avant de s’en vêtir » (Lv 16, 4) ; et chaque fois qu’il quitte ses vêtements blancs pour remettre les vêtements d’or, comme il est dit : « Aaron viendra dans la tente d’assignation, il quittera les vêtements de lin dont il se sera vêtu en entrant dans le sanctuaire, et il les y laissera. Il lavera sa chair à l’eau dans un lieu saint[e], et revêtira ses habits… » (ibid. 23-24).

De plus, c’est pour le Grand-prêtre une mitsva toranique que de purifier ses mains et ses pieds par deux fois, à chaque changement de vêtements : une première fois avant d’ôter ses précédents habits de prêtrise, une seconde après avoir mis ses nouveaux habits de prêtrise. Nous voyons donc que le Grand-prêtre devait, en ce jour, accomplir cinq immersions, et purifier dix fois ses mains et ses pieds (Yoma 32a). Chaque jour, le Grand-prêtre se lavait les mains et les pieds au bassin, comme les autres prêtres ; mais le jour de Kipour, en raison de l’honneur dû au Grand-prêtre – honneur qui veut qu’on ne le dérange pas en le contraignant sans cesse à se rendre au bassin –, on lui apportait l’eau dans une cruche d’or ; et c’est à l’aide de cette cruche qu’il sanctifiait ses mains et ses pieds (Yoma 43b).

Le propos de l’immersion au bain rituel est de se purifier, d’échapper à son état précédent et de s’élever à un nouveau degré : on franchit un nouveau degré en passant aux vêtements blancs, par lesquels on s’élève à un niveau suprême et abstrait ; mais on franchit encore un nouveau degré en revenant aux vêtements d’or, qui révèlent la sainteté au sein de ce monde-ci dans toutes ses nuances. Or pour avoir le mérite d’atteindre au degré suivant, lequel s’exprime par le changement de vêtements, le Grand-prêtre devait s’immerger.

La purification des mains et des pieds est destinée à élever et à consacrer toutes les forces des cohanim au service saint. Si cette purification s’applique précisément aux mains et aux pieds, c’est parce qu’ils expriment la réalisation concrète de toutes les forces présentes en l’homme : les mains, par son travail ; les pieds, par l’implantation de son œuvre dans le monde. À cela font également allusion les dix doigts, qui sont en regard des dix paroles par lesquelles le monde fut créé ; or l’homme, créé à l’image divine, participe, de ses dix doigts, au perfectionnement du monde et à son amendement.

Comme nous l’avons vu, le jour de Kipour, le Grand-prêtre devait purifier ses mains et ses pieds, deux fois par changement de vêtements. La première fois, avant d’ôter les vêtements dans lesquels il avait accompli les actes de service précédents ; en effet, au moment où l’homme a le mérite de se livrer à un service saint, et qui l’élève particulièrement, toutes ses forces augmentent, et l’illumination divine, qui s’est accrue en lui, le protège des penchants qui se sont renforcés en lui, et qui risquent de le faire incliner au mal. Mais lorsqu’il achève ledit service, ses penchants risquent de se répandre en lui pour le mal. Afin qu’ils ne lui portent pas atteinte, le Cohen gadol a ordre de purifier ses mains et ses pieds avant de se défaire de ses habits. Par cela, il parachèvera dans la sainteté toutes les forces qui se seront révélées en lui durant le service précédent. Il purifiera ses mains et ses pieds une seconde fois, après avoir revêtu les vêtements, afin de sanctifier toutes les forces qui sont en lui, à l’approche du service nouveau, sans qu’elles soient encore imparties au service précédent (d’après Orot Hatechouva 14, 33).


[e]. La cour (‘hatser) du tabernacle ou du Temple.

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