Chabbat

08. Lecture de la Torah à l’office de Min’ha de Chabbat

En plus de la lecture de la paracha de la semaine à l’office du matin, Ezra le scribe a institué une lecture de la Torah à l’office de Min’ha. On appelle trois personnes, et l’on fait la lecture du début de la paracha de la semaine suivante. On fait de même le lundi matin et le jeudi matin. Cette lecture est une forme de préparation et d’introduction à la paracha de la semaine qui suit.

Nos sages expliquent cette institution par la présence de « ceux qui sont assis dans les coins » (yochevé qeranot) (Baba Kama 82a). Selon certains commentateurs, il est question des commerçants et artisans, assis dans leurs échoppes, qui ne venaient pas à la prière publique le matin des jours ouvrables, et ne se préparaient donc pas à la paracha suivante en entendant la lecture du lundi et du jeudi. Pour qu’ils entendent au moins une fois cette lecture, Ezra décida qu’on la ferait également à Min’ha de Chabbat, car alors tout le monde est disponible (Rachi, Roch).

Selon une autre explication, on craignait que les gens ne s’enivrent pendant le repas du jour de Chabbat et qu’ils ne délaissent ensuite l’étude de la Torah[i]. Ezra décida donc qu’on lirait la Torah à Min’ha, afin que, par respect pour la lecture de la Torah, tout le monde se rassemblât à la synagogue et s’abstînt de s’enivrer et de paresser. C’est à ce sujet que le roi David dit au Saint béni soit-Il : « Maître de l’univers, cette nation n’est pas comme les autres nations du monde. Les autres nations, quand elles font un repas festif, boivent et s’enivrent, puis se livrent à la débauche. Mais nous ne sommes pas ainsi : même après avoir mangé et bu, nous venons prier, comme il est dit : “Quant à moi, ma prière va vers Toi, Eternel, à l’heure propice ; ô Dieu, dans ta grande bonté, réponds-moi selon la vérité de ton secours” (Ps 69, 14). » C’est pourquoi, à Min’ha de Chabbat, on dit ce verset avant la lecture de la Torah (Chibolé Haléqet)[4].


[i]  Selon cette seconde explication, ceux qui « s’assoient dans les coins » sont les désœuvrés, littéralement assis aux coins des rues.

 

[4] Le Baït ‘Hadach explique que c’est précisément à Min’ha de Chabbat qu’Ezra institua une telle lecture, et non à Min’ha des jours de fête, car le Chabbat est une « heure propice », durant laquelle la Torah fut donnée, si bien que l’on y a ajouté une lecture. Par cela, la prière de Min’ha est davantage agréée, comme il est dit : « Quant à moi, ma prière va vers Toi, Eternel, à l’heure propice. »

 

On peut ajouter que, selon la première explication [selon laquelle l’institution visait les commerçants qui négligeaient la prière publique en semaine], le but essentiel de cette lecture est de se préparer à la lecture de la paracha suivante ; or, les jours de fête, il n’y a pas de telle nécessité. Selon la deuxième explication, puisqu’il y a plus de cinquante Chabbats par ans, il faut craindre que ne se développe, le Chabbat plus que les jours de fête, la coutume fallacieuse de l’ébriété chez les oisifs, et le décret d’Ezra a pour effet de prévenir cela ; tandis qu’il n’y a que six jours de fête chômée (Yom tov) par an ; or dans la mesure où le caractère des jours saints est déterminé le Chabbat, il n’y a pas tellement à craindre que les oisifs ne s’enivrent et ne fassent les fous durant les jours de fête.

 

On peut dire encore que, les jours de fête, il est indiqué de boire du vin et de se réjouir, au titre de la mitsva, plus que le Chabbat. Aussi n’a-t-on pas voulu prendre un décret contre la joie de Yom tov, bien qu’il soit certain qu’il ne convient pas pour autant de s’enivrer.

09. Lecture de la paracha et de sa traduction araméenne (Chenaïm miqra vé-é’had targoum)

En plus de la lecture de la Torah qui est faite à la synagogue, nos sages ont prescrit à l’individu de lire chaque semaine la paracha, deux fois dans sa version originale hébraïque, une fois dans sa traduction araméenne (le targoum). C’est ce que l’on appelle Chenaïm miqra vé-é’had targoum (« deux fois le texte biblique et une fois sa traduction »). Celui qui agit ainsi, on prolonge ses jours et ses années (Berakhot 8a). À l’époque où nos sages instituèrent cela, la grande masse du peuple juif parlait araméen : en lisant la traduction araméenne rédigée par Onqelos, on comprenait la paracha.

Au cours des générations, les Israélites furent exilés en différents lieux, où l’on parlait d’autres langues. La plupart des gens oublièrent l’araméen. La question se posa donc de savoir s’il était possible de lire la paracha avec, au lieu de sa traduction araméenne, une traduction dans la langue locale, ou encore avec le commentaire de Rachi.

Concernant les autres traductions, la majorité des décisionnaires estiment qu’elles ne peuvent se comparer à celle d’Onqelos, laquelle fut écrite à l’époque des Tannaïm et dont l’inspiration se rattache à l’esprit de la prophétie de Moise. Aussi ne peut-on s’acquitter de son obligation par une autre traduction. En revanche, s’agissant du commentaire de Rachi, on s’accorde à dire que l’on peut l’étudier au lieu de lire le targoum d’Onqelos, car Rachi explique les difficultés de la Torah comme le fait le targoum, et même plus largement. Toutefois, certains versets ne sont pas commentés par Rachi ; ceux-là doivent être lus trois fois (Michna Beroura 285, 5).

Certains donnent un supplément de perfection à leur pratique en lisant toute la paracha deux fois, avec la traduction d’Onqelos et le commentaire de Rachi. En effet, l’avantage de Rachi est que son commentaire est plus large et qu’il cite les paroles de nos sages ; tandis que l’avantage du targoum d’Onqelos est d’être, en son fondement, rattaché à la révélation sinaïtique, si bien que, selon les kabbalistes, il est utile de réciter le targoum, même si l’on n’en comprend pas la langue (Choul’han ‘Aroukh 285, 2).

On peut lire le Chenaïm miqra vé-é’had targoum à partir de l’office de Min’ha du Chabbat précédent, puisqu’à ce moment on commence à lire la paracha du Chabbat suivant. Le délai court jusqu’au deuxième repas du Chabbat considéré ; en effet, on raconte que Rabbi Yehouda Hanassi ordonna à ses enfants de ne pas prendre leur repas du matin de Chabbat avant d’avoir préalablement terminé la lecture de Chenaïm miqra vé-é’had targoum. Si l’on a déjà pris ce repas, on achèvera cette lecture avant l’office de Min’ha, car alors on commence à lire la paracha suivante. Si l’on n’en a pas eu le temps, on complètera cette lecture avant la fin de la journée de mardi, car les trois premiers jours de la semaine sont liés au Chabbat qui les précède. Et si l’on n’a pas eu le temps de lire la paracha jusqu’alors, on aura soin de le faire avant la clôture de la lecture toranique annuelle, à Sim’hat Torah (Choul’han ‘Aroukh 285, 4).

10. Coutumes de lecture de Chenaïm miqra vé-é’had targoum

Certains ont coutume de lire Chenaïm miqra vé-é’had targoum le vendredi, et s’efforcent de ne pas s’interrompre, du début de cette lecture à la fin de la paracha (Rabbi Isaac Louria, Chené Lou’hot Haberit, Kaf Ha’haïm 285, 3 et 15). D’autres ont coutume de lire chaque jour l’une des sept parties (alyot) de la paracha, et achèvent le Chabbat la lecture de l’ensemble (Gaon de Vilna, Michna Beroura 285, 8). Quoiqu’il en soit, dès lors que l’on a lu, dans la semaine, deux fois la paracha et le targoum une fois, on est quitte.

A priori, on lit le texte biblique deux fois, suivi de sa version araméenne. Selon l’usage de Rabbi Isaac Louria, on lit d’abord deux fois chaque verset, immédiatement suivi de sa version araméenne, puis on passe au verset suivant. Selon l’usage du Chené Lou’hot Haberit et du Gaon de Vilna, on lit d’abord chaque paragraphe (parachia) deux fois dans son original, puis sa traduction araméenne. Ce qu’on entend par paragraphe est ce que l’on peut distinguer, dans le rouleau de la Torah, en tant que paragraphe distinct, délimité par un espace : paracha petou’ha (« paragraphe ouvert »)[j] ou paracha setouma (« paragraphe fermé »)[k]. Les deux coutumes sont bonnes (Michna Beroura 285, 2 ; Kaf Ha’haïm 3).

A posteriori, l’ordre dans lequel on lit n’est pas un motif d’invalidité, et si l’on a lu le texte biblique une fois, puis son targoum, puis de nouveau l’original biblique, on est quitte (Levouch, ‘Aroukh Hachoul’han 285, 3). De même, si l’on a lu la paracha dans le désordre, en lisant la fin avant le début, on est quitte : l’essentiel est de lire tous les versets deux fois, et leur traduction araméenne une fois. Dans le même sens, si l’on enseigne la paracha de la semaine à des enfants, on est dispensé de lire Chenaïm miqra vé-é’had targoum, car il est certain qu’en enseignant, on aura lu chaque verset deux fois au moins, et on l’aura expliqué (Choul’han ‘Aroukh 285, 6).

Si l’on n’a pas eu le temps de lire Chenaïm miqra vé-é’had targoum avant que ne soit lu le rouleau de la Torah, le Chabbat matin, on est autorisé, si l’on s’en tient à la stricte obligation, à réciter par devers soi l’ensemble de Chenaïm miqra vé-é’had targoum, au moment de la lecture (Choul’han ‘Aroukh 285, 5). Toutefois, certains décisionnaires disent qu’il n’est pas bon de procéder ainsi ; aussi est-il préférable de lire à voix basse la paracha, concurremment avec le lecteur, ce qui sera considéré comme une première lecture de l’original biblique (Michna Beroura 285, 14). Si l’on a seulement écouté la lecture, sans avoir lu les mots à voix basse en même temps que le lecteur, les A’haronim sont partagés quant au fait de savoir si cette écoute peut être considérée comme une première lecture (Michna Beroura 285, 2).

Celui qui étudie la paracha avec le commentaire de Rachi, et à qui il est plus aisé de lire un paragraphe entier du texte biblique avant de reprendre verset par verset avec le commentaire, peut procéder ainsi. Simplement, les versets qui ne sont pas commentés par Rachi devront être lus une fois supplémentaire, afin qu’ils soient lus en tout trois fois. Si l’on préfère, on pourra lire d’abord deux fois les versets bibliques accompagnés du commentaire de Rachi, puis, au moment de la lecture publique de la Torah, lire à voix basse toute la paracha, concurremment avec le lecteur : cette récitation supplémentaire tiendra lieu de troisième lecture pour les versets non commentés par Rachi.

Les femmes sont dispensées de l’obligation de la lecture de la Torah et de la lecture de Chenaïm miqra vé-é’had targoum. Si elles souhaitent cependant s’associer à la lecture de la Torah, et étudier la paracha de la semaine, ce leur est compté comme une mitsva (La Prière juive au féminin 2 § 10).


[j] Quand le paragraphe commence en début de colonne, et que l’espace qui le sépare du paragraphe précédent équivaut à neuf lettres au moins.

 

[k] Paragraphe commençant généralement en milieu de ligne, séparé du précédent par un espace, qui équivaut lui aussi à neuf lettres au moins.

11. Les prières du Chabbat

La ‘Amida de Chabbat comprend sept bénédictions. Le texte des trois premières et des trois dernières bénédictions est identique à celui des jours de semaine ; mais au lieu des treize bénédictions centrales, on récite une unique bénédiction, spécifique, qui a pour thème la sainteté du Chabbat, et dans laquelle nous demandons à Dieu qu’Il agrée notre repos et nous sanctifie par ses mitsvot. Cette bénédiction se conclut : « Béni sois-Tu, Eternel, qui sanctifies le Chabbat » (Baroukh… meqadech ha-Chabbat). En introduction à cette bénédiction, nos sages ont rédigé un texte particulier à chaque ‘Amida de Chabbat : Ata qidachta (« Tu as sanctifié… ») pour l’office d’Arvit ; Yisma’h Moché pour celui de Cha’harit ; et Ata é’had pour celui de Min’ha. Si l’on s’est trompé, et que l’on ait dit l’une de ces trois bénédictions à la place de l’autre, par exemple si l’on a dit le texte de Min’ha dans la ‘Amida d’Arvit, on est quitte, car la partie essentielle de la bénédiction[l] est commune à toutes ces versions (Choul’han ‘Aroukh 268, 6 ; Michna Beroura 14).

Certes, fondamentalement, il eût été possible de réciter, le Chabbat, toutes les bénédictions que l’on dit les jours ouvrables, et d’y ajouter une bénédiction particulière en l’honneur de Chabbat. Mais précisément pour l’honneur du Chabbat, nos maîtres n’ont pas voulu peser sur les fidèles en prolongeant davantage la prière (Berakhot 21a). De plus, il ne convient pas de formuler, pendant Chabbat, des prières sur les nécessités quotidiennes, qui soient susceptibles de peiner celui qui les prononce (Tan’houma, Rachi et Maïmonide). Nos sages ont donc prescrit de dire, au lieu des treize bénédictions centrales, une unique bénédiction. Simplement, si l’on a commencé, par erreur, à réciter les bénédictions des jours de semaine, on terminera de dire la bénédiction que l’on a commencée, puis, seulement ensuite, on reviendra au texte de Chabbat. En effet, fondamentalement, il serait possible de réciter l’ensemble des bénédictions des jours de semaine ; par conséquent, si l’on a déjà commencé à dire l’une de celles-ci, il convient de la terminer (Choul’han ‘Aroukh 268, 2). Mais si l’erreur a consisté à ne pas dire la bénédiction du Chabbat, et dès lors que l’on n’a pas encore achevé sa ‘Amida, on reviendra au début de ladite bénédiction du Chabbat, puis, de là, on poursuivra dans l’ordre jusqu’à la fin de la ‘Amida ; par contre, si l’on a déjà achevé sa ‘Amida, même si l’on n’a pas encore reculé de trois pas, on reprendra toute la ‘Amida au début (Choul’han ‘Aroukh 268, 5).

Nos sages ont aussi institué une prière supplémentaire, le jour de Chabbat : la prière de Moussaf, qui correspond aux sacrifices additionnels qu’il nous a été prescrit d’offrir en ce jour. Dans la ‘Amida de Moussaf, les trois premières et les trois dernières des bénédictions sont, là encore, identiques à celles de semaine ; quant au milieu, les sages ont rédigé une bénédiction spécifique sur les sacrifices de Moussaf et sur la sainteté de Chabbat[5].


[l] C’est-à-dire la partie commençant par Elo-hénou v’Elo-hé avoténou, retsé na vimnou’haténou (« Notre Dieu et Dieu de nos pères, agrée, de grâce, notre repos ») et s’achevant par la formule conclusive, Baroukh Ata A-donaï, meqadech ha-Chabbat (« Béni sois-Tu, Eternel, qui sanctifies le Chabbat »).

[5]. Si l’on s’est trompé dans la récitation de la ‘Amida de Moussaf, que l’on ait commencé à lire les bénédictions des jours de semaine, et que l’on s’aperçoive de son erreur, on cessera immédiatement la lecture de la bénédiction en cours (bien que, de l’avis de certains, il y ait lieu de la réciter jusqu’à son terme), car ces bénédictions de semaine n’appartiennent en rien à la prière de Moussaf (Choul’han ‘Aroukh 268, 2, Michna Beroura 5).

 

Si, lors de la ‘Amida d’Arvit ou celle de Min’ha, on a commencé à dire Ata, avec l’intention de poursuivre la bénédiction Ata ‘honen [« Tu dispenses la sagesse à l’homme… », première des treize bénédictions centrales de la semaine], et que l’on se souvienne que l’on est Chabbat, on poursuivra selon le texte de la bénédiction du Chabbat ; en effet, dans l’une et l’autre de ces prières, la bénédiction du Chabbat commence, elle aussi, par le mot Ata ; [à Arvit : Ata qidachta (« Tu as sanctifié le septième jour… ») ; à Min’ha : Ata E’had (« Tu es Un… »)]. En revanche, à Cha’harit, dès lors que l’on a formé l’intention de commencer la bénédiction des jours profanes et qu’on a amorcé sa récitation par le seul mot Ata, on devra mener jusqu’à son terme la bénédiction Ata ‘honen (« Tu dispenses la sagesse… ») [car la bénédiction du Chabbat, à Cha’harit, ne commence pas par le mot Ata, mais par Yisma’h]. Toutefois, même à Cha’harit, si l’on a dit le seul mot Ata par simple inattention, on se reprendra, et l’on dira tout de suite Yisma’h Moché. En effet, même si l’on avait poursuivi par les mots Ata qidachta, propres à Arvit, ou Ata E’had, propres à Min’ha, on aurait été quitte (Choul’han ‘Aroukh 268, 3 ; Michna Beroura 6 ; Ben Ich ‘Haï, deuxième année, Toledot 10).

12. Vaïkhoulou

Au cours de la ‘Amida du soir de Chabbat, on dit les versets de Vaïkhoulou, c’est-à-dire les trois versets de la Genèse qui traitent du premier Chabbat (Chabbat Béréchit) et qui commencent par le mot Vaïkhoulou: « Ainsi furent achevés les cieux, la terre et toutes leurs armées. Dieu mesura, le septième jour, l’œuvre qu’Il avait faite, et Il se reposa, le septième jour, de toute l’œuvre qu’Il avait faite. Dieu bénit le septième jour et le sanctifia, car en ce jour Il se reposa de toute son œuvre, que Dieu avait créée pour qu’elle fût créatrice[m] » (Gn 2, 1-3).

Nos sages ont dit : « Quiconque récite Vaïkhoulou dans la ‘Amida du soir de Chabbat, c’est comme s’il se faisait l’associé du Saint béni soit-Il dans l’œuvre de la Création » (Chabbat 119b). Le but de la création est que l’Eternel se révèle au monde, et que, grâce à cette révélation, Il dispense sa bénédiction au monde ; et tel est le propos essentiel du Chabbat. Or quand un Juif témoigne de la Création du monde et de la sainteté du Chabbat en récitant Vaïkhoulou, il contribue à la réalisation de ce vers quoi tend la Création ; par cela, la bénédiction s’accroît dans le monde.

Nos sages disent encore (passage cité) : « Quiconque récite Vaïkhoulou dans la ‘Amida du soir de Chabbat, les deux anges de service qui accompagnent tout homme posent leurs mains sur sa tête et lui disent : “Ton péché a disparu et ta faute sera expiée” (Is 6, 7). » Le thème du Chabbat est lié à celui de la téchouva[n]. Cela se manifeste dans les lettres communes aux deux mots, שבת (Chabbat) et תשובה (téchouva). En effet, le Chabbat, nous nous souvenons du Créateur du monde et revenons, faisons retour à toutes les bonnes aspirations qui sont inscrites en notre âme. Quiconque récite le paragraphe Vaïkhoulou, le soir de Chabbat, exprime par là le sens profond de ce jour ; ce faisant, il mérite d’accéder à une téchouva véritable, et ses fautes sont expiées.

En plus de la récitation de Vaïkhoulou à voix basse au sein de la ‘Amida d’Arvit, toute l’assemblée répète Vaïkhoulou à haute voix et debout, une fois la ‘Amida achevée (Choul’han ‘Aroukh 268, 7). La raison en est que, si un jour de fête tombe un Chabbat, la ‘Amida d’Arvit sera celle des jours de fête, où la sainteté de Chabbat est simplement spécifiée en quelques mots, sans mention de Vaïkhoulou. Afin que l’on ne perde pas, durant ces Chabbats, le bénéfice de cette récitation, nos sages ont prescrit de dire Vaïkhoulou, tous les Chabbats de l’année après la ‘Amida du soir. Certains donnent à cela une seconde raison : la volonté de témoigner publiquement de la Création du monde[6].

En plus de cela, on lit Vaïkhoulou une troisième fois lors du Qidouch. On trouve ainsi de nombreux cas où l’on a coutume de réciter trois fois une parole importante.


[m]. Pour une autre traduction de la fin de passage, cf. ci-dessus, chap. 1 § 1 et note a.

 

[n]. Littéralement : retour. Repentir, retour sur ses actes, mais aussi retour à la relation que l’on avait à Dieu, avant la faute.

[6]. Certains auteurs soutiennent que, d’après cette deuxième raison, celui qui n’a pas eu le temps de dire Vaïkhoulou avec l’assemblée ne doit pas se contenter de le réciter seul ensuite, car la parole d’un seul homme ne constitue pas un témoignage suffisant : il demandera donc à un autre fidèle de réciter le paragraphe avec lui. Si on le récite seul, néanmoins, on formera l’intention de le réciter simplement, à titre d’étude – comme on lit la Torah – et non en tant que témoignage proprement dit (Touré Zahav 268, 5). Selon une opinion, il est bon de se hâter de terminer sa ‘Amida, afin de pouvoir réciter Vaïkhoulou en minyan, car une telle récitation participe de la sanctification du nom divin (qidouch Hachem) ; or la sanctification du nom divin se fait, par excellence, en présence de dix personnes (Peri Mégadim, Béour Halakha).

 

Si, dans sa ‘Amida, on est déjà parvenu à la première mention (incluse) du verset Yihiou lératson – celle qui précède le paragraphe Elo-haï, nétsor –, on peut réciter Vaïkhoulou avec l’assemblée [à voix basse], puis terminer la ‘Amida.

 

Les usages que nous venons de décrire participent du hidour, l’embellissement apporté à la pratique ; mais si l’on s’en tient à la stricte obligation, le particulier qui n’a pas terminé sa ‘Amida n’a pas l’obligation de réciter Vaïkhoulou, car cette récitation fut instituée afin que ce texte fût dit, les jours de fête aussi, au sein de la prière publique, et pour en faire mériter ceux-là même qui ne savent pas le réciter (Choul’han ‘Aroukh 268, 7). En tout état de cause, même quand il est difficile de déranger un autre fidèle afin de réciter ensemble Vaïkhoulou, on fera bien de le réciter seul, afin que, si l’on y ajoute la mention de ce texte dans la ‘Amida qu’on aura faite, et celle qu’on fera lors du Qidouch, on parvienne au nombre de trois mentions (cf. Michna Beroura 268, 19 ; ‘Hazon Ich 38, 10).

13. Maguen Avot – Mé’ein chéva’

Nos sages ont prescrit que l’officiant réciterait, après la ‘Amida d’Arvit de Chabbat, une bénédiction appelée Mé’ein chéva’ (« résumé des sept »). Elle est une sorte de répétition de la ‘Amida, en ce qu’elle contient le résumé de chacune des sept bénédictions récitées pendant la ‘Amida de Chabbat. Le sens de cette prescription est qu’autrefois les synagogues se trouvaient dans les campagnes, et il était dangereux de rentrer seul chez soi, la nuit après l’office. Or on a pris en compte la possibilité qu’un fidèle s’attarde, termine sa prière après les autres, et en vienne à rentrer seul chez lui, se mettant ainsi en danger. Aussi fut-il décidé que l’officiant réciterait une bénédiction, Mé’ein chéva’, grâce à quoi l’assemblée resterait plus longtemps à la synagogue, ce qui laisserait le temps à ceux qui prient plus longuement de terminer leur prière et de rentrer chez eux en compagnie des autres fidèles.

Bien qu’on ait coutume, depuis plus de mille ans, de construire les synagogues à l’intérieur des villes, la règle est restée en vigueur, et dans toutes les synagogues l’officiant récite, après la ‘Amida dite à voix basse, la bénédiction Mé’ein chéva’. En revanche, si un minyan se constitue pour prier chez un particulier, par exemple chez un nouveau marié, ou encore chez un endeuillé, on ne récite pas ladite bénédiction, car ce texte n’a été institué qu’à l’usage des synagogues (Choul’han ‘Aroukh 268, 10).

Certains auteurs, qui suivent les enseignements de la Kabbale, estiment que, bien que les sages du Talmud aient donné à l’institution de ce texte le motif indiqué ci-dessus, ils ont également été mus par une intention mystique : la nécessité de réciter, le Chabbat, une forme de répétition de la ‘Amida lors de l’office d’Arvit. Aussi, selon ces auteurs, cette règle ne dépend pas du fait que la prière soit dite à la synagogue : en tout endroit où se réunit un minyan, l’officiant doit réciter cette bénédiction (Ben Ich ‘Haï, Kaf Ha’haïm 268, 50). Tel est l’usage de ceux qui ont l’habitude de se conduire suivant les prescriptions de la Kabbale. Cependant, les autres décisionnaires tranchent selon la première opinion : il n’y a pas lieu de dire la bénédiction Mé’ein chéva’ quand l’endroit où l’on prie n’est pas un lieu de rassemblement habituel de minyan. Ce n’est qu’à Jérusalem, la ville sainte, que l’on dit cette bénédiction, même dans le cadre d’un minyan occasionnel, car toute la ville est considérée comme une synagogue[7].

C’est à l’officiant qu’il appartient de réciter cette bénédiction ; par conséquent, dans les communautés où l’assemblée des fidèles chante en chœur la partie de ce texte introduite par les mots Maguen avot, l’officiant doit ensuite répéter ce passage en solo (Michna Beroura 268, 22).

Les A’haronim sont partagés quant au fait de savoir s’il faut se prosterner au début de cette bénédiction. Selon certains, puisque cette bénédiction tient lieu de répétition de la ‘Amida, elle est assimilée à celle-ci, et l’officiant doit donc se prosterner à son début, comme il se prosternerait au début de la ‘Amida. Selon d’autres, ce texte n’est pas considéré comme une répétition, et il n’y a donc pas lieu de se prosterner à son début. Chacun conservera sa coutume[8].


[7]. S’il est décidé de prier en un même endroit un certain nombre de jours, le Elya Rabba et le Michna Beroura (268, 24) estiment que, dès lors qu’il s’y trouve un rouleau de la Torah, on doit dire la bénédiction Mé’ein chéva’. Mais s’il ne s’y trouve pas de séfer-Torah, on ne la récite pas. Le Igrot Moché (Ora’h ‘Haïm IV 69, 3) est d’avis que la chose ne dépend pas de la présence d’un rouleau de la Torah, mais de la fixité du minyan : si l’on prie en un même endroit chaque soir de Chabbat, le minyan est considéré comme fixe, et l’on dit Mé’ein chéva’. C’est également ce qui ressort d’autres A’haronim, parmi lesquels le Choul’han ‘Aroukh Harav 268, 15, qui ne mentionne pas la présence d’un rouleau de la Torah comme condition de la fixité d’un minyan. Il semble que, en cas de doute – parce que la chose est controversée, ou parce qu’il est douteux que le minyan puisse être considéré comme régulier –, on puisse adjoindre l’opinion des kabbalistes à celles-ci, et réciter Mé’ein chéva’.  Aussi, dans le camp d’été d’un mouvement de jeunesse où se trouve un séfer-Torah, on récite ce texte, bien qu’il n’y ait pas de synagogue fixe ; et dans un hôtel, si une synagogue fixe est aménagée, ou s’il se trouve un séfer-Torah, on le dit également. Si aucune de ces deux conditions n’est présente, on ne le dit pas.

 

Concernant Jérusalem, selon les responsa Har Tsvi, Ora’h ‘Haïm I 152, on dit Mé’ein chéva’ en tout endroit où est réuni un minyan. C’est aussi la position du Yalqout Yossef 267, 20.

[8]. Les Guéonim sont partagés quant au fait de savoir si une personne qui n’aurait pas prié peut ou non s’acquitter de son obligation en écoutant la bénédiction Mé’ein chéva’ dite par l’officiant. Selon Rav Netronaï Gaon, on peut se rendre quitte ainsi ; et bien que, lorsqu’on sait dire la ‘Amida par soi-même, on ne puisse s’acquitter par la répétition de l’officiant, on est indulgent à Arvit car, dans son fondement, cette prière est facultative. Selon Rav Moché Gaon, ce n’est que dans le cas où l’on s’est trompé, en récitant la ‘Amida des jours de semaine, que l’on peut se rendre quitte par l’écoute de Mé’ein chéva’. Selon Rav Amram Gaon, on ne s’acquitte en aucun cas de son obligation de prier par l’écoute de Mé’ein chéva’. À l’origine de leur controverse, se trouve la question de savoir si Mé’ein chéva doit être considéré comme une répétition de la ‘Amida. Le Choul’han ‘Aroukh 268, 13 décide que, si l’on a écouté la bénédiction prononcée par l’officiant, et que l’on ait eu l’intention de s’acquitter par elle, on est quitte. Le Michna Beroura 268, 28 écrit que, si l’on s’est trompé dans sa prière et que l’on n’ait pas encore entendu Mé’ein chéva’, il sera préférable a priori de prier par soi-même, afin de tenir compte des avis selon lesquels on ne se rend pas quitte par l’écoute de cette bénédiction (cf. de même Yalqout Yossef 267, 18).

14. Qabbalat Chabbat et autres ajouts à la prière

Il y a plus de quatre cents ans, les kabbalistes de Safed ont initié l’usage de réciter des cantiques et des poèmes pour accueillir le Chabbat. Or, dans la mesure où les Juifs, de par le monde, voulurent eux aussi donner expression à l’âme supplémentaire qui les habite dès l’entrée de Chabbat, cette coutume kabbalistique se répandit dans toutes les communautés juives : c’est la prière dite de Qabbalat Chabbat (accueil du Chabbat). À cette époque, vivait Rabbi Chelomo Alkabets, l’auteur du merveilleux poème Lekha Dodi (« Va, fiancé, au-devant de ta fiancée… »), que l’on a aujourd’hui coutume de réciter dans toutes les synagogues pour accueillir le Chabbat.

La coutume de Rabbi Isaac Louria était d’accueillir le Chabbat dans les champs ; ses compagnons et lui se tournaient face à l’ouest, là où le soleil se couche, point cardinal qui, aux dires de nos sages, est la direction principale où se dévoile la Présence divine (Baba Batra 25a). La coutume s’est répandue, dans les synagogues, de se tourner du côté ouest quand on récite la dernière strophe du poème Lekha Dodi, strophe où se disent les mots bo-i, kala (« viens, fiancée »). D’après cela, même quand l’entrée de la synagogue est orientée dans une autre direction, on se tourne du côté ouest. D’autres ont coutume de se tourner vers l’entrée de la synagogue, même si cette entrée n’est pas orientée à l’ouest, exprimant en cela que le Chabbat est semblable à un invité, qui entre par la porte[9].

Une coutume très ancienne, qui date de l’époque des Richonim, consiste à réciter avant l’office d’Arvit le deuxième chapitre de la michna Chabbat, « Bamé madliqin » (« Avec quoi allume-t-on les veilleuses de Chabbat ? ») (Choul’han ‘Aroukh 270, 1), à la fin duquel nos sages enseignent : « Il y a trois choses que l’homme doit dire chez lui, le soir de Chabbat, à l’approche du coucher du soleil : “Avez-vous fait les prélèvements ? Avez-vous préparé la jonction des domaines (‘erouv) ? Allumez les veilleuses !” » Dans certaines communautés, on n’a pas l’usage de réciter ce chapitre. Certains ont coutume de réciter un extrait du Zohar ayant pour thème la grandeur du Chabbat (et dont le premier mot est Kegavna).

Depuis l’époque des Richonim, on a pris l’usage d’ajouter des cantiques aux Pessouqé dezimra qui ouvrent l’office de Cha’harit. On a choisi des cantiques qui rappellent la Création du monde et le don de la Torah, car le Chabbat est célébré en souvenir de la Création, et la Torah fut donnée un Chabbat. Avant la bénédiction Yichtaba’h, par laquelle on conclut les Pessouqé dezimra, on intercale l’hymne Nichmat kol ‘haï (« L’âme de tout être vivant bénira ton nom, Eternel, notre Dieu… »), qui contient un rappel de la sortie d’Egypte, car le Chabbat marque le souvenir de la sortie d’Egypte (Tour, Ora’h ‘Haïm 281, Levouch)[10].

Les femmes sont dispensées de la mitsva de prier en minyan et de la récitation des ajouts fixés par nos sages. En revanche, elles sont tenues de réciter les bénédictions matinales (Birkot hacha’har), les bénédictions de la Torah (Birkot ha-Torah) et la ‘Amida de Cha’harit, ainsi que celle de Min’ha ; mais si elles se contentent de ne réciter qu’une ‘Amida par jour, elles sont quittes de leur obligation. A posteriori, les femmes peuvent s’acquitter de leur obligation par la seule lecture des bénédictions matinales et des bénédictions de la Torah (La Prière juive au féminin 2 § 5). Pour celles qui le peuvent, il est bon de se rendre à la synagogue pour la prière du Chabbat (op. cit. 20 § 2).


[9]. Dans certaines communautés séfarades, on a coutume de se tourner vers l’ouest quand on dit Mizmor lé-David (Cantique de David, Ps 29) et tout le poème Lekha Dodi. La coutume des communautés yéménites et d’une partie des communautés séfarades est de ne se tourner ni vers l’ouest, ni vers l’entrée. Dans toutes les communautés ashkénazes et une partie des séfarades, on ne se retourne que vers la fin de Lekha Dodi, au début de la strophe commençant par Bo-i véchalom. Il n’est pas convenable qu’en un même lieu, une partie des fidèles se tournent vers l’ouest depuis Mizmor lé-David et que les autres ne le fassent qu’à partir de Bo-i véchalom, en raison de l’interdit de lo titgodedou (« Vous ne vous séparerez pas en petits clans »). En revanche, il est admissible que certains fidèles restent assis quand d’autres se lèvent, puisqu’il est fréquent de voir une partie de l’assemblée assise et une autre debout.

[10]. De prime abord, il y a lieu de s’interroger : au traité Berakhot (21a), on dit que, pour l’honneur du Chabbat, nos sages n’ont pas voulu peser sur le public en exigeant que fussent dites les treize bénédictions centrales de la ‘Amida. Comment comprendre que l’on prolonge la prière par l’adjonction de cantiques ? Il faut répondre que ce qu’ont essentiellement visé nos sages, c’est de ne pas peser sur le public en conservant, dans la prière, les requêtes portant sur les affaires profanes, susceptibles de causer du tourment aux fidèles (comme l’expliquent le midrach Tan’houma, Vayéra 1, le Ma’hzor de Vitry 140, Maïmonide, Peer Hador 130, ainsi que nous le rapportons en Har’havot 5, 11, 1). Tandis qu’il est bon et souhaitable de multiplier les louanges.

 

On peut encore dire que nos sages ont voulu abréger la prière pour ménager du temps à l’étude de la Torah et aux délices sabbatiques ; en effet, telle est bien l’orientation du Chabbat que de s’adonner à l’étude de la Torah  au milieu de délices. Mais quand, au fil du temps, les gens étudièrent moins la Torah, les décisionnaires ajoutèrent des cantiques, qui, sous un certain rapport, se rattachent à l’étude de la Torah – à la manière de ce qu’écrit Rachi dans le Séfer Hapardes 174, au sujet des hymnes qui s’ajoutent au rituel des fêtes, et que l’on a fixés là en raison du principe עת לעשות לה’ הפרו תורתך (« Il est temps d’agir pour l’Eternel, car on a transgressé ta Torah »), ces hymnes tenant donc lieu de derachot (homélies rabbiniques).

15. L’usage d’aller saluer le rabbin, le Chabbat

« Rabbi Yits’haq a dit : “On a l’obligation d’aller au-devant de son maître les jours de fête” » (Roch Hachana 16b). Cette mitsva a pour but de renforcer le lien qui unit l’homme à son rabbin, grâce à quoi on se renforce soi-même dans l’étude de la Torah et la pratique des mitsvot. Or les jours consacrés sont les plus indiqués pour intensifier son rapport avec les domaines toraniques. Telle est la coutume des  Israélites depuis des temps immémoriaux, comme nous l’apprenons du cas de la femme sunamite : quand son mari la vit se rendre chez le prophète Elisée, un jour ordinaire, il lui demanda : « Pourquoi te rends-tu chez lui aujourd’hui ? Ce n’est ni la néoménie ni Chabbat » (Rois II 4, 23), ce qui laisse bien entendre que, les jours de Roch ‘hodech (néoménie) et de Chabbat, elle allait au-devant du prophète ou du maître.

Selon le commentaire des Richonim, cette mitsva dépend de la distance. Celui qui habite loin de son rabbin doit aller le saluer, à tout le moins, les jours de fête, comme l’a dit Rabbi Yits’haq. Si l’on habite plus près, on doit aller le saluer au moins une fois par mois. Et si l’on habite à proximité, on doit le saluer chaque Chabbat (d’après Rabbénou ‘Hananel et le Ritva ; cf. Béour Halakha 301, 4, passage commençant par Léhaqbil). D’après cela, on a pris l’usage, de nos jours, d’aller à la fin de l’office saluer le rabbin par les mots Chabbat chalom. Certes, l’essentiel de la mitsva consiste à venir écouter la deracha du rabbin, comme nous l’avons vu ci-dessus (§ 4 ; cf. Pniné Halakha, Mo’adim [Fêtes et solennités juives, tome 2, à paraître] 1, 17) ; cependant, en lui souhaitant Chabbat chalom, on accomplit la mitsva de la façon élémentaire, car cette salutation exprime le respect que l’on a à son endroit, et, par cela, on aura l’avantage d’éprouver son influence.

Le Rav Tsvi Yehouda Hacohen Kook – que la mémoire du juste soit bénie – expliquait que, bien que les femmes n’aient pas l’obligation d’étudier la Torah selon tous ses détails et toutes ses précisions, elles surpassent les hommes quant à leur lien fondamental à la Torah et à ceux qui s’y consacrent. C’est un fait qu’avant la révélation du Sinaï, le Saint béni soit-Il ordonna à Moïse de s’adresser d’abord aux femmes, ensuite seulement aux hommes, comme il est dit : « Ainsi tu diras à la maison de Jacob, et tu parleras aux fils d’Israël » (Ex 19, 3), ce que le midrach Mekhilta commente : « La maison de Jacob, ce sont les femmes ; les fils d’Israël, ce sont les hommes. »

Aussi n’est-ce pas un hasard si c’est de la femme sunamite que nous apprenons la mitsva d’aller saluer son maître, les jours de fête et de Chabbat. Car, à ce qu’il semble, la relation des femmes à la Torah est, dans son fondement, plus profond que celui des hommes. En effet, les hommes s’adonnent plus aux détails des règles et des commandements toraniques, tandis que les femmes sont liées davantage aux principes fondamentaux de celle-ci (La Prière juive au féminin, chap. 3, ainsi que 7 § 2).

01. Zakhor et chamor (« souviens-toi » et « garde »)

Comme nous l’avons vu (chap. 1 § 8), deux mitsvot essentielles sont constitutives du Chabbat : zakhor (« souviens-toi du jour de Chabbat ») et chamor (« garde le jour de Chabbat »). Par la mitsva de chamor, il nous est prescrit de nous abstenir de tout travail, grâce à quoi un espace libre se crée dans la conscience, espace que nous devons remplir du contenu positif de la mitsva zakhor, dont le propos est de nous rappeler la sainteté du Chabbat et de nous relier aux fondements de la foi (émouna). Tout au long des six jours de la semaine, nous agissons au sein du monde de l’extériorité, tandis que le Chabbat, nous revenons vers notre monde intérieur, vers notre âme, et nous nous remémorons les principes de la foi.

Le premier principe dont nous nous souvenons par l’effet du Qidouch (sanctification) est la création du monde ; le second est la sortie d’Egypte. Certaines personnes reconnaissent que l’Eternel a créé le monde, mais nient le fait qu’après la création le Saint béni soit-Il continue de faire vivre le monde, d’exercer sur lui sa providence et de le diriger. Lors de la sortie d’Egypte, la providence divine se dévoila de la manière la plus claire, et il fut manifeste que l’Eternel se révèle au monde par le biais du peuple d’Israël ; tel est le sens du second principe que nous nous rappelons lors du Qidouch.

Ces deux principes sont respectivement mentionnés dans les deux versions du quatrième des Dix Commandements, le commandement du Chabbat. Dans la section Yitro du livre de l’Exode, la mitsva du Chabbat s’exprime par le verbe zakhor (« souviens-toi »), et l’accent est mis sur le principe de la Création du monde, comme il est dit : « Souviens-toi du jour du Chabbat pour le sanctifier… car en six jours, l’Eternel fit les cieux et la terre, la mer et tous ce qu’ils renferment, et Il se reposa le septième jour ; c’est pourquoi l’Eternel bénit le jour du Chabbat et le sanctifia » (Ex 20, 7 ; 20, 10). Dans la section Vaet’hanan du Deutéronome, la mitsva du Chabbat est exprimée par le verbe chamor (« garde ») ; dans ce passage, c’est le principe de la sortie d’Egypte qui est mentionné, comme il est dit : « Garde le jour du Chabbat pour le sanctifier… Tu te souviendras que tu fus esclave au pays d’Egypte, et que l’Eternel ton Dieu t’en fit sortir, d’une main puissante et d’un bras étendu ; c’est pourquoi l’Eternel ton Dieu t’a ordonné d’observer le jour du Chabbat » (Dt 5, 12 ; 5, 15). En effet, il existe un lien entre l’observance du Chabbat et la sortie d’Egypte : dans l’une et l’autre se dévoile l’âme divine ; et par l’effet de ce dévoilement, nous sommes libérés de la servitude d’Egypte et de l’asservissement au travail.

C’est essentiellement en récitant le Qidouch sur une coupe de vin que nous accomplissons le commandement de zakhor ; ce faisant, la mitsva s’étend à l’ensemble de la journée du Chabbat, comme il est dit : « Souviens-toi du jour de Chabbat pour le sanctifier » (Ex 20, 7), ce qui revient à dire : que le jour de Chabbat soit entièrement sanctifié, afin que l’on se souvienne en ce jour des principes de la foi et que l’on s’y adonne à l’étude de la Torah ; et que cela s’accompagne de la délectation qu’apportent les repas et le sommeil paisible. Même les jours de la semaine, c’est une obligation que de se souvenir du jour de Chabbat et de le sanctifier, c’est-à-dire de l’honorer d’entre tous les jours et de s’y préparer en apprêtant des mets, en se lavant le corps, en lessivant ses vêtements et en rangeant la maison (cf. Na’hmanide sur Ex 20, 7 et ci-dessus chap. 2 § 1-6).

À l’égard des mitsvot de Chabbat, les hommes et les femmes sont également obligés. Certes, nous avons pour principe que les femmes sont exemptées des mitsvot « positives » (obligations de faire) déterminées par le temps ; or la mitsva de zakhor est une obligation « positive » qui dépend du temps. Mais les femmes sont néanmoins tenues à l’observance de cette mitsva, car nos sages enseignent que zakhor et chamor furent dits en une seule et même parole, si bien que ces deux termes sont indissociables l’un de l’autre ; par conséquent, de même que les femmes sont soumises aux obligations relevant de chamor, qui est une mitsva « négative » (commandement de ne pas faire, ou interdit), de même sont-elles soumises aux obligations relevant de zakhor.

Par suite, l’obligation de la femme est égale à celle de l’homme, et une femme peut acquitter un homme de la mitsva du Qidouch. En revanche, un mineur (ou une mineure) qui n’est pas parvenu à l’âge des mitsvot, ne peut acquitter une personne majeure de la mitsva du Qidouch. En effet, les mineurs capables de comprendre le propos du Chabbat sont tenus d’accomplir la mitsva du Qidouch, mais cette obligation n’est, à leur égard, que de rang rabbinique, tandis que les personnes majeures y sont tenues par la Torah elle-même[a] (Choul’han ‘Aroukh 271, 2).


[a]. On distingue différents degrés d’obligation, dans la hiérarchie des normes juives. A) Au sommet de la hiérarchie se trouvent les obligations dites toraniques ou de-oraïtha : 1) les mitsvot, commandements de la Torah (inscrits explicitement dans le Pentateuque, les cinq livres de Moïse) ; 2) certaines des normes que la loi orale a transmises : ce sont : a) des lois appartenant à la catégorie de halakha le-Moché mi-Sinaï (loi reçue oralement par Moïse au Sinaï) ; b) des lois apprises par les règles de l’herméneutique talmudique. B) Les obligations dites derabbanan (de statut rabbinique) : décrets (gzerot) et institutions (taqanot) des sages eux-mêmes.

02. Comment on accomplit la mitsva de zakhor

Selon la Torah, quiconque mentionne, le Chabbat, la sainteté du jour, en précisant que ce jour marque le souvenir de la Création du monde et de la sortie d’Egypte, accomplit par cela la mitsva de zakhor, « souviens-toi du jour de Chabbat pour le sanctifier. » Cependant, nos sages ont souhaité que tout le peuple juif accomplisse la mitsva de zakhor par le biais d’un texte complet et précis ; c’est pourquoi les membres de la Grande Assemblée (Anché Knesset haguedola) ont conçu un texte de bénédiction sur le thème de la sainteté du Chabbat : le Qidouch. Et pour que l’on dise ce Qidouch de façon solennelle et délectable, les sages ont décidé qu’il serait récité sur une coupe de vin, en introduction au repas. Selon certains, c’est une mitsva de rang toranique que de mentionner la sainteté du Chabbat en prenant appui sur un aliment ou une boisson qui soit source de délice et de joie[1]. On a coutume d’ajouter, avant la bénédiction du Qidouch (du soir), la récitation des versets de Vaïkhoulou (Gn 2, 1-3 ; cf. supra chap. 5 § 12).

De l’avis de nombreux décisionnaires, en plus d’obliger à mentionner le Chabbat à son entrée, la mitsva de zakhor oblige aussi à mentionner le Chabbat à sa sortie. À son entrée, la mitsva consiste à rappeler sa sainteté et sa nature, tandis qu’à sa sortie la mitsva consiste à relever la différence entre la sainteté du Chabbat et les jours profanes. Par conséquent, la Havdala[b] que nous disons à la sortie de Chabbat est, elle aussi, selon de nombreux décisionnaires, une mitsva toranique. Simplement, comme pour le Qidouch, on peut, si l’on s’en tient à l’obligation toranique, s’en acquitter par la seule parole, et ce sont les sages qui ont institué la récitation de la Havdala sur une coupe de vin (Maïmonide, Michna Beroura 296, 1 ; cf. ci-après chap. 8 § 1).

En plus du Qidouch récité le soir, nos sages ont décidé qu’un Qidouch serait également dit le jour, afin d’honorer la journée du Chabbat et de la distinguer des autres journées. En effet, en introduisant le repas par le Qidouch, il est manifeste que ce repas est important, particulier, et l’on se souvient ainsi de la sainteté du Chabbat. Mais dans la mesure où ce n’est pas par le biais du Qidouch du jour que l’on accomplit la mitsva même de zakhor, nos sages n’ont pas institué, au sein du texte de ce Qidouch, de bénédiction particulière en l’honneur du Chabbat : on dit seulement la bénédiction propre au vin, Baroukh… boré peri haguéfen (« Sois béni, Eternel, notre Dieu, roi de l’univers, qui crées le fruit de la vigne »). On a cependant l’usage de réciter, avant la bénédiction, des versets se rapportant au Chabbat. Ce Qidouch du jour est appelé Qidoucha Rabba (« grand Qidouch »), par antiphrase, car c’est le Qidouch du soir qui est le plus important (Michna Beroura 289, 3).

Bien qu’en lui-même le repas du jour soit plus important que celui du soir (comme nous le verrons au chap. 7 § 4), c’est par le Qidouch du soir que nous accomplissons la mitsva de zakhor, car l’obligation consiste à rappeler le souvenir du Chabbat peu après son entrée. Par conséquent, après avoir terminé la prière d’Arvit, on se hâtera d’accomplir la mitsva du Qidouch (Choul’han ‘Aroukh 271, 1 ; 3). Si l’on n’a pas récité le Qidouch le soir de Chabbat, la mitsva n’est pas perdue pour autant : on récitera le Qidouch le jour, avant le deuxième repas (qui suit l’office du matin). On dira alors la bénédiction propre au Qidouch du soir (Baroukh… acher qidechanou bemitsvotav vératsa vanou… : « Béni sois-Tu… qui nous as sanctifiés par tes commandements et nous as agréés… »), mais sans les versets de Vaïkhoulou, lesquels sont spécifiquement liés au soir de Chabbat (Choul’han ‘Aroukh et Rama 271, 8). Si l’on n’a pas non plus récité le Qidouch assorti de cette bénédiction avant le deuxième repas, il sera encore obligatoire de le réciter, tout le temps que le soleil ne s’est pas couché. On aura alors soin de manger après le Qidouch (comme nous le verrons ci-après, § 10).

Puisque, si l’on s’en tient à la règle toranique, on s’acquitte du commandement de zakhor par une simple mention verbale du Chabbat, certains décisionnaires estiment que l’on accomplit déjà cette mitsva, du point de vue toranique, en récitant la bénédiction centrale de la ‘Amida de l’office d’Arvit de Chabbat (c’est l’avis du Maguen Avraham). Cependant, certains auteurs expriment des doutes à ce sujet, pour deux raisons : premièrement, on n’a pas l’habitude de former l’intention, en récitant la ‘Amida du soir de Chabbat, de s’acquitter de la mitsva de zakhor ; or la halakha a pour principe que les mitsvot requièrent une intention pour être valablement accomplies (Choul’han ‘Aroukh, Ora’h ‘Haïm 60, 4). Deuxièmement, il se peut qu’il faille mentionner, dans le Qidouch, que le Chabbat commémore la sortie d’Egypte ; or, dans la ‘Amida du vendredi soir, la sortie d’Egypte n’est pas mentionnée concurremment avec la sainteté du Chabbat. Si bien qu’en pratique nous accomplissons la mitsva, même du seul point de vue toranique, en récitant le Qidouch sur une coupe de vin, comme le prescrivent les sages (Michna Beroura 271, 2, Béour Halakha ad loc.). De plus, nous avons déjà vu que, selon certains avis, il est nécessaire, du point de vue même de la Torah, de réciter le Qidouch sur le vin (note 1).


[1]. Talmud, traité Pessa’him 106a :

Nos maîtres ont enseigné : « “Souviens-toi du jour de Chabbat pour le sanctifier” (Ex 20, 8) : souviens-t’en [ou : mentionne-le] sur le vin. »

 

Selon Maïmonide (Chabbat 29, 6), Rabbénou Tam, le Séfer Mitsvot Gadol, le Rachba et une nette majorité de décisionnaires, la mitsva consistant à proclamer la sainteté du jour sur une coupe de vin est rabbinique, et le verset n’est cité là que comme appui (asmakhta) [littéralement appui, illustration d’une règle par un verset qui n’en est pas la source, à la différence de la deracha, où la loi orale s’enseigne à partir d’un verset source]. Tandis que, selon Rachi et le Ran (commentant le Rif sur le traité Chabbat 10a), la mitsva de réciter le Qidouch sur le vin ou sur le pain est toranique, car telle est l’intention de la Torah que de mentionner le Chabbat en prenant appui sur une chose qui soit liée à ce jour, jour qu’il nous est prescrit de sanctifier par la nourriture et par la boisson. Selon le Raavan, c’est spécifiquement par le biais du vin que la mitsva s’applique.

 

[b]. Cf. chapitre 8.

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Série Pniné Halakha 9 volumes
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