Les Jours redoutables

14. Prosternations pendant la prière de Moussaf

On a coutume de se prosterner, quand se récite le cérémonial du service du Grand-prêtre, pendant la prière de Moussaf, de même que les prêtres et le peuple, qui se tenait dans la cour du Temple, s’inclinaient et se prosternaient au moment où le Grand-prêtre mentionnait le nom ineffable. Comme nous le verrons ci-après (chap. 10 § 15-16), le Grand-prêtre faisait dix mentions du nom ineffable. Trois d’entre elles venaient lors des trois confessions (Vidouïm) : 1) le Vidouï prononcé pour soi-même et pour son épouse ; 2) le Vidouï pour ses frères les prêtres (cohanim) ; 3) le Vidouï récité pour tout le peuple ; une quatrième fois lorsque le Grand-prêtre annonçait lequel des deux boucs le sort avait désigné pour être destiné à Dieu. De nos jours, on a coutume de se prosterner quatre fois, pendant la prière : trois fois, pendant les trois confessions ; quant à la quatrième, les coutumes sont diverses. Les Séfarades se prosternent pendant qu’est mentionné le tirage au sort du bouc réservé à l’Éternel (Beit Yossef) ; les Ashkénazes, pendant que l’on récite « Nous nous inclinons et nous prosternons… », dans le ‘Alénou léchabéa’h qui précède le cérémonial du service (Raavia, Rivach, Rama 622, 4) ; les Yéménites n’ont pas du tout coutume de se prosterner durant Moussaf.

On compte trois catégories de prosternation : la prostration complète (hichta’havaya), consistant à étendre tout le corps à terre, bras et jambes étendus. Dans la qida (révérence), on reste debout sur ses pieds, et l’on baisse la tête, jusqu’à ce qu’elle atteigne la terre. La keri’a (prosternation proprement dite) consiste à se mettre à genoux et à incliner le corps, jusqu’à ce que sa face arrive à terre (Berakhot 34b, Chevou’ot 16b). La coutume courante, le jour de Kipour, est de s’agenouiller ; certains s’étendent à terre, bras et jambes déployés.

On a coutume d’étendre préalablement un tissu sur le sol, afin de marquer une séparation entre son visage et le sol. Cela, parce qu’il n’y avait qu’au Temple qu’il était permis de se prosterner sur des pierres, tandis que c’était interdit dans les autres lieux, comme il est dit : « Vous ne placerez pas de pierre taillée sur votre terre, pour vous y prosterner » (Lv 26, 1). Quant au motif de l’interdit, on peut dire que tel était l’usage des idolâtres que de se prosterner devant la nature, de s’incliner devant des pierres, et de tenter de s’agréger mentalement à elles. C’est pourquoi la Torah a interdit à ceux qui prient de se prosterner sur la pierre, afin de ne pas en venir à mêler à leur prière des pensées étrangères. Au Temple, en revanche, il était manifeste que tout ce qui est créé – êtres vivants comme minéraux – aspire à Dieu, se soumet à Lui et, s’agissant de l’homme, reconnaît que l’on ne saurait se prosterner que devant Lui ; aussi est-il permis de s’y prosterner, même au-dessus de la pierre (Séfer Ha’hinoukh 349).

L’interdit toranique est constitué quand deux conditions sont réunies : a) la prostration est complète, bras et jambes étendues ; b) la tête repose sur le parterre de pierre. Nos sages ont cependant élevé une barrière protectrice autour de cette défense, en l’étendant aux cas où une seule condition est présente. Aussi, la prostration complète est-elle interdite, même sur un sol de terre ; et, sur un sol de pierre, l’agenouillement (keri’a) et le fait de s’incliner debout (qida) sont également interdits. Le fidèle étend donc quelque étoffe sur le sol, afin de marquer une séparation entre sa tête et le sol (Rama 131, 8)[13].


[13]. Sur un sol de terre, il est permis de s’agenouiller et de s’incliner debout ; le statut des briques faites de sable et de ciment, ou d’autres mélanges du même genre, est semblable à celui de la terre (Michna Beroura 131, 41). Sur des pierres, il est permis de s’agenouiller et de se prosterner (s’incliner debout, jusqu’à ce que la tête atteigne le sol, qida), à condition qu’un élément séparant soit placé entre la tête et le sol ; il n’est pas nécessaire qu’un tel élément séparant soit placé entre le sol et le reste du corps (Maïmonide, ‘Avoda zara 6, 7 ; Levouch 131, 7 ; Michna Beroura 621, 14). Une autre possibilité est de s’agenouiller ou de se prosterner en étant incliné de côté. Par conséquent, si l’on n’a rien à étendre entre le sol et sa tête, on pourra s’agenouiller ou se prosterner incliné de côté. Quand le sol est de pierre, les A’haronim hésitent à dire s’il est permis de placer un élément séparant et de se prosterner entièrement, bras et jambes étendus (Cha’ar Hatsioun 131, 44).

C’est peut-être pour cette raison que de nombreuses personnes ont coutume de s’agenouiller simplement, sans étendre bras et jambes. Ou il se peut que la raison soit que la place, à la synagogue, est étroite, et qu’il est impossible que tous les fidèles se prosternent en étendant bras et jambes.

Toutefois, quand le carrelage est fait de briques, et non de pierre naturelle, il est permis, selon toutes les opinions, d’y étendre une étoffe et de se prosterner en étendant bras et jambes.

15. Le sens de la prosternation

La volonté profonde de l’homme est de se rapprocher de l’Éternel, et de le louer pour ses nombreuses grâces ; toutefois, parce que Dieu est sublimement élevé, grand et redoutable, le cœur s’emplit de crainte et de honte devant l’ineffable splendeur de sa puissance ; aussi l’homme s’agenouille et se prosterne, s’effaçant devant l’Éternel son Dieu. Comme nous l’avons vu, il y a trois types de prosternation ; chacune a sa propre signification.

Par la prostration complète (hichta’havaya), tout le corps est étalé sur la terre, bras et jambe étendus, ce qui exprime l’entier effacement de l’être devant Dieu. Cet effacement ne signifie toutefois pas l’anéantissement : c’est une « annulation » (hitbatlout) qui exprime l’attachement (deveqout), grâce à quoi l’homme a le mérite d’attirer à lui la bénédiction de la Source de vie. Souvent, le roi David se prosternait et exprimait sa reconnaissance envers Dieu pour son aide, ainsi qu’il est dit : « Quant à moi, par ta grâce abondante, je viens en ta maison, je me prosterne devant ton saint palais, pénétré de ta crainte » (Ps 5, 8). Il est dit aussi : « Je me prosterne devant ton saint palais, et je loue ton nom, pour ta grâce et pour ta vérité, car Tu as élevé, au-dessus même [des louanges faites à] ton nom, ta parole. Le jour où je t’appelai, Tu me répondis, tu me renforças par la puissance que Tu mis en mon esprit. (…) Car Il est élevé, l’Éternel, Il voit celui qui est humble… » (Ps 138, 2-6).

Par la prosternation proprement dite (qida), l’homme reste sur ses jambes et abaisse sa tête jusqu’à terre ; il y a là une expression profonde de soumission, car, bien que l’on se tienne encore sur ses jambes dressées, on est entièrement abaissé, en une pleine sujétion.

Par l’agenouillement (keri’a), l’homme se met à genoux et abaisse son corps, jusqu’à ce que sa face s’élance vers le sol ; il y a là un mélange de prostration et de prosternation, d’effacement et de soumission. Celui qui s’agenouille ressemble à celui qui tombe en prostration en ce qu’il est plus proche du sol ; il ressemble à celui qui se prosterne en ce qu’il se penche devant son Créateur.

Nos sages enseignent :

Tout vient du mérite de la prosternation[v]. Si Abraham revint en paix du mont Moria, aux côtés d’Isaac, c’est pas le mérite de la prosternation, comme il est dit : « Nous nous prosternerons, et nous reviendrons vers vous » (Gn 22, 5). Israël ne fut libéré que par le mérite de la prosternation, comme il est dit : « Le peuple eut foi ; il entendit que l’Éternel s’était souvenu des enfants d’Israël, et qu’Il avait vu leur misère ; ils s’inclinèrent et se prosternèrent » (Ex 4, 31). La Torah ne fut donnée que par le mérite de la prosternation, comme il est dit : « À Moïse, Il dit : “Monte vers l’Éternel, toi et Aaron, Nadav et Avihou, et soixante-dix des anciens d’Israël, et vous vous prosternerez à distance » (ibid. 24, 1). Hanna ne fut exaucée que par le mérite de la prosternation, comme il est dit : « Ils se prosternèrent devant l’Éternel » (I Sam 1, 28). Les exilés ne se rassemblent que par le mérite de la prosternation, comme il est dit : « En ce jour, résonnera le grand chofar, et les errants en terre d’Assur, et les relégués en terre d’Égypte, viendront et se prosterneront devant l’Éternel, sur la montagne sainte, à Jérusalem » (Is 27, 13). Le Temple ne se construit que par le mérite de la prosternation, comme il est dit : « Exaltez l’Éternel notre Dieu, et prosternez-vous devant l’escabeau de ses pieds[w]. Il est saint[x] ! » (Ps 99, 5). Les morts ne ressusciteront que par le mérite de la prosternation, comme il est dit : « Allons, prosternons-nous et agenouillons-nous, bénissons l’Éternel, notre Créateur[y] » (ibid. 95, 6) (Gn Rabba 56, 6).

Quiconque venait dans la cour du Temple se prosternait devant Dieu (cf. Michna Midot 2, 3). Quand les Lévites chantaient, au moment de l’offrande perpétuelle, ils accompagnaient leur chant de sonneries de trompettes, et les Israélites présents sur le parvis se prosternaient (Michna Tamid 7, 3).

De même, quand un homme se repentait et se confessait devant l’Éternel, il convenait qu’il se prosternât, ainsi que Moïse notre maître le fit lorsqu’il pria Dieu de pardonner Israël de ses fautes (Nb 14, 5 ; 16, 22 ; Dt 9,25). Dans le même sens, quand les Israélites se tenaient sur le parvis du Temple, ils se prosternaient devant Dieu au moment où ils entendaient le nom ineffable, lors de la version du Vidouï prononcée à Kipour (Yoma 66a).

Comme prolongement à cela, les sages ont institué cinq « prosternations » durant la ‘Amida. Cette prosternation partielle se fait debout, en se penchant en avant, jusqu’au point où les vertèbres deviennent saillantes. C’est une sorte de révérence, proche de la qida (cf. Pniné Halakha – La Prière d’Israël 17, 6). On avait également l’usage de se prosterner après la ‘Amida, au moment où l’on se confessait et où l’on suppliait Dieu ; c’est pourquoi cette prière particulière fut appelée Néfilat apayim (« chute sur sa face »), car elle était récitée face à terre (Maïmonide, Tephila 5, 1 et 13-14 ; Tour, Ora’h ‘Haïm 131 ; La Prière d’Israël 21, 1).

Cependant, en raison de différentes craintes, l’usage de « tomber sur sa face » en une pleine prostration ou un plein agenouillement fut annulé. Une partie de ces craintes est d’ordre halakhique, et liée à l’interdit de se prosterner sur un sol de pierres, ou encore à l’interdit, pour un homme important, de tomber sur sa face en public, à moins d’être assuré d’être exaucé, comme l’était Josué fils de Noun. Mais le motif principal est que les décisionnaires tinrent compte des propos du Zohar (Nb 121a), qui exalte l’importance de la Néfilat apayim, prière au cours de laquelle le fidèle doit faire don de soi à Dieu, et se considérer comme « mort au monde » :

Or cette réparation (tiqoun) doit se faire avec l’intention du cœur ; alors, le Saint béni soit-Il prend le fidèle en miséricorde et donne expiation à ses fautes. Heureux l’homme qui sait se concilier son Maître, le servir avec bonne volonté et juste orientation (kavana) du cœur. Malheur à celui qui vient se concilier son Maître d’un cœur lointain, sans volonté. Ainsi qu’il est dit : « Ils le flattaient de bouche, sur leurs langues étaient des propos trompeurs, et leurs cœurs ne lui étaient pas fidèles » (Ps 78, 36-37). Celui-là dit : « C’est vers toi, Éternel, que j’élève mon âme » (ibid. 25, 1), mais toutes ses paroles ne sont dites que d’un cœur éloigné, ce qui a pour effet de le retirer du monde avant l’heure.

Comme nous craignons que l’orientation de notre esprit ne soit pas complète, et de n’être pas dignes de cela, nous nous abstenons de toute prostration et de toute prosternation face à terre (La Prière d’Israël 21, 3). Toutefois, le jour de Kipour, en raison de la grande sainteté du jour et de l’importance de la prière, récitée dans le don de soi, on n’a point cette crainte ; aussi a-t-on coutume de se prosterner pendant le récit du service fait au Temple par le Grand-prêtre, comme il convient de le faire à celui qui veut se repentir.


[v]. Hichta’havaya. Bien que nous ayons traduit ce mot par prostration dans les développements précédents, nous traduisons ici par le terme le plus général, prosternation au sens large.

[w]. C’est-à-dire devant l’arche d’alliance.

[x]. Dans certaines éditions du Midrach Rabba, c’est le verset 9 qui est cité : « Exaltez l’Éternel notre Dieu, et prosternez-vous devant sa montagne sainte », ce que le Maharzo commente : « Grâce à la prosternation, vous mériterez d’accéder à sa montagne sainte. »

[y]. Le Midrach prête ce discours aux morts, qui, grâce au mérite de la prosternation, jouiront de la résurrection, et se tiendront alors devant Dieu pour le bénir.

16. Bénédiction des cohanim lors de l’office de Né’ila

Si l’on s’en tient à la stricte règle, il conviendrait que les Cohanim (les prêtres) procèdent à la bénédiction sacerdotale lors de toute répétition (‘hazara) de la ‘Amida faite par l’officiant. Cependant, les sages ont décidé qu’il ne serait point procédé à cette bénédiction à Min’ha, car cette prière a lieu après le repas de midi, et il est à craindre que les Cohanim ne boivent du vin lors de ce repas, et ne fassent cette bénédiction alors qu’ils se trouvent sous l’effet de la boisson, transgressant ainsi un grave interdit. Mais lors d’un jeûne où a également lieu un office de Né’ila, comme c’est le cas à Kipour, ou lors d’un jeûne fait pour demander la pluie, il n’est pas à craindre que les prêtres ne se trouvent sous l’effet de la boisson ; par conséquent, ils procèdent à la bénédiction sacerdotale (birkat cohanim) lors de l’office de Né’ila (Choul’han ‘Aroukh, Ora’h ‘Haïm 129, 1 ; Pniné Halakha, Zemanim – Fêtes et solennités juives I 7, 12, note 16).

Certains disent que, même à l’office de Min’ha de Yom Kipour, on procède à la birkat cohanim ; en effet, puisque tout le monde jeûne, l’ébriété n’est pas à craindre. Et puisque le moment de Min’ha de Kipour est proche du soir, cet office diffère, en son temps, de ce qu’il est le reste de l’année ; toute l’année, en effet, on peut faire Min’ha du milieu du jour au coucher du soleil, tandis que, le jour de Kipour, l’heure de Min’ha est l’approche du soir, peu avant la Né’ila (Halakhot Guedolot). Mais la majorité des Richonim sont d’avis qu’il n’y a pas lieu de faire la birkat cohanim à l’office de Min’ha de Kipour : puisque le moment où cet office est célébré ne précède pas immédiatement le coucher du soleil – comme c’est le cas de la Né’ila –, on risque de se tromper, et d’en inférer qu’il est également permis de procéder à la birkat cohanim à Min’ha des jours ordinaires (Rav Amram). En pratique, on n’y procède pas à Min’ha ; mais si un cohen a pris place sur l’estrade, il n’en descendra pas : il procèdera à la bénédiction des cohanim (Maïmonide, Choul’han ‘Aroukh 129, 1-2 ; 622, 4 ; 623, 5).

Il faut programmer l’office de Né’ila de telle sorte que les cohanim puissent procéder à la bénédiction avant le coucher du soleil, car, selon de nombreux avis, la birkat cohanim doit se faire de jour ; en effet, son statut est comparable à celui du service sacrificiel : de même que les sacrifices sont offerts de jour, ainsi la bénédiction sacerdotale a-t-elle lieu de jour (Michna Beroura 623, 8). Or, puisqu’il s’agit d’une mitsva toranique, on abrège la récitation des poèmes liturgiques (piyoutim) et des supplications (te’hinot), afin d’avoir le temps de faire la bénédiction sacerdotale avant le coucher du soleil. Toutefois, a posteriori, on peut y procéder pendant toute la durée du bein-hachmachot (période séparant le coucher du soleil de l’apparition des étoiles), puisqu’il est encore douteux que la nuit soit tombée[14].


[14]. Il est permis, a posteriori, de procéder à la Birkat cohanim jusqu’à la tombée de la nuit (tset hakokhavim, apparition des étoiles), car en la matière plusieurs doutes s’associent : a) selon le Raavia, le Yeréïm et le Or Zaroua’, il est permis de faire la bénédiction des cohanim la nuit ; b) la période de bein hachmachot (crépuscule) est douteuse : peut-être se rattache-t-elle au jour ; c) selon Rabbénou Tam, le temps qui suit le coucher du soleil (cheqi’a) appartient assurément au jour. C’est aussi en ce sens que tranche le Choul’han ‘Aroukh 623, 8, et c’est en ce sens qu’incline à penser le Cha’ar Hatsioun 623, 10. C’est aussi ce qu’écrit le Pisqé Techouvot 623, note 13, au nom du Rav Chelomo Zalman Auerbach et du Rav Yossef Chalom Eliashiv, ainsi que le Ye’havé Da’at VI 40 et le Or lé-Tsion II 8, 13, qui précisent que la tombée de la nuit a lieu 13,5 minutes après le coucher du soleil [temps minimal pendant lequel on considère que le jour se poursuit, quand il s’ensuit une plus grande rigueur] Cf. Har’havot sur Pniné Halakha – Chabbat 3, 1, 14, où il est dit que ce délai est d’au moins 14 minutes à Jérusalem, et de près de 19 minutes au niveau de la mer, à Tel Aviv.

Selon certains, un cohen qui ne jeûne pas ne prendra point part à la Birkat cohanim ; et même si aucun autre cohen n’est présent, il n’y procédera pas (Kaf Ha’haïm 129, 5, Torat Hamo’adim 3, 4). Selon d’autres, il y prendra part de toute façon (Loua’h Erets Israël, Halikhot Chelomo – Téphila 10, 13).

17. Né’ila

Nos sages ont institué un office supplémentaire, à l’approche de la fin du jeûne, en vertu du principe selon lequel quiconque abonde en prière est exaucé ; et si nous n’avons pas eu le mérite d’être exaucés pendant les offices habituels, peut-être mériterons-nous  de l’être durant cet office supplémentaire. Les sages nommèrent cette prière Né’ila (« clôture »), parce qu’elle a lieu peu de temps avant le moment où l’on refermait les portes du Temple, à la fin du service du jour. Cette appellation fait aussi référence à la clôture des portes du Ciel, car à l’achèvement du jour, la sainteté de Kipour se retire, et les portes du Ciel, qui étaient ouvertes devant ceux qui, par leur téchouva, y frappaient, se referment.

Le moment de la Né’ila est celui où le soleil est visible au sommet des arbres à l’occident, soit environ quarante minutes avant le coucher du soleil. Ceux qui, toutefois, voudraient commencer cet office une heure avant le coucher du soleil y sont autorisés. L’officiant doit programmer sa prière de manière telle que la Birkat cohanim sera terminée avant le coucher du soleil (cf. paragraphe précédent).

Bien que les portes du Temple fussent fermées au coucher du soleil, les portes du Ciel, elles, ne le sont qu’à l’achèvement du jour, après que toute la lumière du jour se retire et disparaît. C’est pourquoi on ajoute des prières et des supplications jusqu’à la tombée de la nuit. Quant au fidèle qui prolongerait sa prière de Né’ila elle-même jusqu’après la tombée de la nuit, on ne proteste pas contre ce qu’il fait[15].

Le texte de la ‘Amida, dans l’office de Né’ila, diffère de celui des autres prières que l’on récite pendant les jours redoutables : en tout endroit où, dans les autres offices, on prie pour être inscrit dans le livre de la vie, on demande ici à y être scellé, car cette prière a lieu vers la fin du jour de Kipour, au moment où se scelle le jugement. Si, par erreur, on a parlé d’inscription au lieu de scellement, on est néanmoins quitte.

Il est bon de réciter la prière de Né’ila en y impartissant beaucoup d’effort, car le but vers lequel tendent les dix jours de pénitence, c’est le jour de Kipour, et le but vers lequel tend le jour de Kipour lui-même, c’est la prière de Né’ila ; tout, en effet, va d’après la fin, et « si ce n’est maintenant, quand sera-ce ? ». Aussi, quand même on serait affaibli par le jeûne, on s’armera de grand courage, afin de prier avec une pensée pure et claire, de prendre sur soi de faire téchouva, de se renforcer dans l’étude de la Torah et dans la pratique des mitsvot (Michna Beroura 623, 3). Étant donnée la grande importance de l’office de Né’ila, on a coutume d’ouvrir l’arche sante, du début de la répétition de la ‘Amida au Qaddich qui ponctue cet office (Maté Ephraïm 623,7).


[15].  À chacun des jeûnes collectifs que les sages instituaient, dans les cas où la pluie venait à manquer, ou dans quelque autre cas de détresse, ils fixaient aussi un office supplémentaire, une Né’ila. Mais ce n’est pas le cas le 9 av, car ce jour est, dans son fondement, d’institution biblique (mi-divré qabala), c’est-à-dire institué par les prophètes. Le Talmud de Jérusalem (Berakhot 4, 1) explique que, selon Rav, la Né’ila est le correspondant terrestre de la fermeture des portes célestes, et l’on peut réciter cette prière jusqu’à la tombée de la nuit. Selon Rabbi Yo’hanan, en revanche, la prière de Né’ila est parallèle à la fermeture des portes du Temple, de sorte que l’on peut la réciter jusqu’au coucher du soleil. Selon Rav, celui qui récite la prière de Né’ila n’est pas tenu de réciter ensuite celle d’Arvit (Yoma 87b) ; pour de nombreux auteurs, la raison en est que, selon Rav, on peut réciter la prière de Né’ila la nuit.

En pratique, certains estiment que la halakha suit l’avis de Rav, et que la période de Né’ila se prolonge  jusqu’à la nuit (Roqéa’h, Rabbi Yecha’ya A’haron di Trani, Raavia) ; de nombreux autres pensent que la halakha est conforme à l’opinion de Rabbi Yo’hanan, et que la Né’ila se récite jusqu’au coucher du soleil (Rabbénou ‘Hananel, Rabbi Yits’haq ibn Ghiat, Maïmonide, Maharam de Rothenburg, Ritva, Mordekhi). C’est en ce dernier sens que tranche le Choul’han ‘Aroukh 623, 2. Toutefois, il n’y a pas lieu de protester si un officiant prolonge sa répétition de la Né’ila après la tombée de la nuit, car cet officiant a sur qui s’appuyer (Michna Beroura 2). Le statut particulier du temps de la Né’ila, où se parachève l’expiation des fautes, est expliquée ci-dessus, chap. 6, note 1.

18. Acceptation du joug de la foi, et sonnerie du chofar

Après la fin de l’office de Né’ila, avant que l’on ne referme l’arche sainte, que les portes du Ciel – qui étaient ouvertes durant les jours redoutables – ne soient prêtes de se refermer, et alors qu’il ne reste plus de temps pour se confesser ni pour ajouter aux prières et aux demandes, tout Israël a coutume de recevoir sur soi le joug de la royauté du Ciel. Car telle est bien la connaissance qui s’affine, tout au long de cette période de jours redoutables : le socle de tout et la destination de tout, c’est la foi, l’émouna ; et telle est la volonté essentielle de tout Juif que de s’attacher à l’Éternel, et de parachever le monde en établissant le règne du Tout-puissant. Plus nous nous renforcerons dans la foi, plus notre téchouva sera complète, et meilleure, et davantage bénie, sera l’année à venir. Aussi nous évertuons-nous en ces pensées, durant les derniers instants du saint jour.

La réception de la royauté du Ciel se fait principalement par la récitation du verset Chéma Israël…, et de la phrase qui le suit, Baroukh Chem kevod malkhouto… Après avoir récité collectivement ces phrases, on dit sept fois : Ado-naï Hou ha-Elo-him… afin de faire allusion à la Présence divine (la Chékhina), qui s’élève au-dessus des sept Cieux. Pendant les dix jours de pénitence et le jour de Kipour, la Chékhina s’est en effet rapprochée de nous, afin que nous puissions faire téchouva ; à présent, elle s’en retourne en son lieu (Choul’han ‘Aroukh 623, 6, Michna Beroura 623, 11-12)[16].

Tout de suite après cela, à la tombée de la nuit (tset hakokhavim) ou très peu de temps avant, on sonne du chofar, suivant l’ordre indiqué dans le rituel de Kipour (ma’hzor). Cette sonnerie est le signe de l’achèvement du jour, et de l’ascension de la Chékhina jusqu’à son lieu, ainsi qu’il est dit : « Dieu s’élève au milieu de la fanfare, l’Éternel, au son du chofar » (Ps 47, 6). Elle vient aussi rappeler la sonnerie du jubilé : à l’époque où, à Kipour, on faisait retentir le chofar, les esclaves se voyaient affranchis, et les terrains revenaient à leurs propriétaires initiaux (cf. ci-dessus, chap. 6 § 11). La sonnerie du chofar est donc l’expression de la liberté de l’âme, qui a eu le privilège de se délivrer des chaînes de la faute, et est redevenue libre. Elle fait également allusion à la délivrance des autres asservissements, comme il est dit : « Il adviendra, en ce jour, que l’on sonnera du grand chofar. Alors reviendront ceux qui étaient égarés au pays d’Assur, et ceux qui étaient relégués au pays d’Égypte ; et ils se prosterneront devant l’Éternel sur la montagne sainte, à Jérusalem » (Is 27, 13).

Après cette sonnerie, la formidable tension des jours redoutables se relâche, et tous les membres du peuple d’Israël savent que leurs âmes sont purifiées et libérées ; une grande joie emplit les cœurs (cf. ci-dessus, chap. 3 § 5). En se liant  puissamment à la téchouva et à l’émouna, tous les Israélites savent que l’Éternel les aime et a agréé leur repentir, et que, l’année suivante aussi, ils pourront continuer de progresser et de s’élever. C’est pourquoi, dans de nombreuses communautés, on a coutume de danser et de chanter : « L’an prochain à Jérusalem reconstruite ».

En un lieu où il est à craindre que des gens ne mangent et ne boivent tout de suite après la sonnerie du chofar, il faut veiller à ne point sonner avant la tombée de la nuit. Mais en un lieu où cela n’est pas à craindre, on peut même sonner pendant la période de bein hachmachot (le crépuscule) (Michna Beroura 623, 12).


[16]. La septuple répétition de ce verset porte en elle une autre allusion : nous formons l’intention de faire régner Dieu suivant le degré d’illumination suprême – celui qui est afférent au Tétragramme –, au-dessus des sept dimensions qui se manifestent dans le monde, et qui ressortissent, elles, au nom Elo-him.

19. Heure de fin du jeûne ; Arvit et Birkat halévana

Comme nous l’avons vu (§ 8), le temps d’achèvement du jeûne est en principe tset hakokhavim, la tombée de la nuit. Mais comme il existe une mitsva d’ajouter une portion de temps profane au temps saint, on termine le jeûne quelques minutes plus tard. En Israël, après l’expiration d’environ trente minutes après le coucher du soleil, le moment de tset hakokhavim, ajouté de quelques minutes au titre du supplément fait au jour, a déjà expiré ; on peut donc faire la Havdala, manger et boire. Il n’est pas nécessaire de tenir compte de l’opinion de Rabbénou Tam, qui estime que le moment appelé tset hakokhavim survient soixante-douze minutes après le coucher du soleil (Pniné Halakha – Les Lois de Chabbat I 3, note 1).

Vingt minutes après le coucher du soleil, on peut commencer l’office d’Arvit ; simplement, pour sortir du doute, il est juste de relire, après cet office, le premier paragraphe du Chéma (Pniné Halakha – La Prière d’Israël 25, 5).

Nombreux sont ceux qui récitent la bénédiction de la nouvelle lune (Birkat halévana) à l’issue de Yom Kipour, car, jusqu’alors, en raison de la tension qui régnait lors des jours de jugement, on ne pouvait la réciter, puisqu’elle doit être dite dans la joie. Or à l’issue de la prière de Kipour, la joie arrive à son comble, et c’est alors le moment qui convient pour bénir Dieu et le remercier de la lumière de la lune. D’autres préfèrent regagner leurs foyers, manger et boire, puis se rassembler de nouveau pour réciter cette bénédiction dans la joie. Mais celui qui craint d’oublier de la réciter ensuite, ou à qui il serait difficile de se rendre à la réunion du minyan pour la réciter, fera mieux de la dire dès après Arvit (cf. ci-dessus, chap. 5 § 7).

20. Havdala

Même après l’achèvement du jour de Kipour, il reste interdit d’accomplir un travail quelconque, ni de boire ou manger, car ce n’est que par la Havdala[z] que l’on se sépare du saint jour. En récitant le passage Ata ‘honanetanou dans la bénédiction ‘Honen hada’at, au sein de la ‘Amida d’Arvit, passage qui constitue une Havdala (séparation), on se voit autorisé à faire des travaux ; mais il demeure interdit de manger et de boire. Une fois que l’on a récité la Havdala sur une coupe de vin, il devient permis, non seulement d’exécuter des travaux, mais encore de manger et de boire. Si l’on n’a pas encore récité la prière d’Arvit, mais que l’on ait prononcé la formule Baroukh hamavdil bein qodech lé’hol (« Béni soit Celui qui distingue le saint du profane »), on est autorisé à accomplir des travaux, mais il reste interdit de boire et de manger, tant que l’on n’a pas entendu la Havdala récitée sur une coupe de vin (Choul’han ‘Aroukh 624, 1 ; Pniné Halakha – Les Lois de Chabbat I 8, 8).

L’ordonnancement de la Havdala, à l’issue de Yom Kipour, comprend les bénédictions sur le vin, sur la lumière de la bougie, et sur la distinction même entre temps saint et temps profane. On ne dit pas, en revanche, les versets qu’il est d’usage de réciter en introduction à la Havdala qui suit le Chabbat. On ne récite pas non plus la bénédiction sur les parfums : en effet, si l’on dit cette bénédiction à l’issue de Chabbat, c’est pour revivifier l’esprit, après que l’âme supplémentaire, propre au Chabbat, s’en est allée ; tandis que, à l’issue d’un jeûne, on n’éprouve pas de souffrance, mais de la joie pour l’expiation des fautes. Même quand le jour de Kipour tombe un Chabbat, de l’avis de nombreux décisionnaires on ne dit pas la bénédiction sur les parfums. Ceux qui, cependant, voudraient la dire, pourront, après avoir terminé la Havdala et avoir bu du vin, prendre une plante odoriférante ou un parfum, et réciter la bénédiction correspondante au moment de le respirer[17].

À la différence de l’issue de Chabbat, où la bénédiction de la lumière se fait sur une bougie que l’on allume à ce moment même, on ne récite cette bénédiction, à l’issue de Kipour, que sur une bougie qui était allumée tout au long de Kipour. En effet, à l’issue de Chabbat, la raison d’être de la bénédiction est de louer Dieu pour la création du feu, qui se révéla au premier homme à l’issue de Chabbat, quand il prit deux pierres, les rapprocha l’une de l’autre et qu’en sortit du feu : alors Adam bénit l’Éternel pour cette création ; et, en souvenir de cela, nous aussi exprimons notre reconnaissance envers Dieu pour le feu, à l’issue de Chabbat. À l’issue de Kipour, en revanche, la bénédiction a pour raison d’être le fait que, tout au long de la journée, nous ne pouvions utiliser le feu, tandis qu’à présent son utilisation nous est autorisée. Aussi la bénédiction doit-elle être précisément dite sur un « feu qui a chômé » (ner ché-chavat), c’est-à-dire un feu qui brûlait pendant Kipour et dont, en raison du chômage prescrit pendant ce jour, il était interdit de se servir. Pour cela, on a coutume d’allumer une bougie de longue durée, la veille de Kipour, afin que l’on puisse réciter sur elle la bénédiction à l’issue du jour (Choul’han ‘Aroukh 624, 4, Michna Beroura 7).

A priori, la bénédiction doit être dite sur le ner ché-chavat lui-même, c’est-à-dire sur cette même bougie qui brûla durant toute la journée de Kipour. A posteriori, si l’on a oublié d’allumer une bougie la veille du jeûne, ou que la bougie que l’on avait allumée s’est éteinte, on pourra réciter la bénédiction sur une bougie allumée, à l’issue de Kipour, à partir d’un ner ché-chavat. À cette fin, on demandera l’autorisation à des voisins disposant d’un ner ché-chavat d’allumer sa bougie à partir de la leur, et l’on rapportera sa bougie chez soi, où l’on dira la bénédiction (Na’hmanide, Rama 624, 5).

Si l’on ne dispose pas d’un ner ché-chavat, et que l’on ne trouve pas de possibilité d’allumer une bougie à partir d’un ner ché-chavat, on ne récitera pas la bénédiction sur le feu, à l’issue de Yom Kipour (Choul’han ‘Aroukh 624, 4, Béour Halakha, passage commençant par Véyech omrim). Si Yom Kipour tombe un Chabbat, on pourra, a posteriori, dire la bénédiction sur une bougie que l’on aura allumée à l’issue du Chabbat (Michna Beroura 624, 7, Cha’ar Hatsioun 9)[18].

Après la Havdala, on mange et l’on boit dans la joie, car ce moment est encore festif en quelque manière (qtsat Yom tov). Ce repas exprime également notre foi dans le fait que Dieu agrée avec amour ceux qui reviennent à Lui. Nos sages enseignent que, à l’issue de Kipour, une voix céleste proclame : « Va, mange dans la joie ton pain, et bois de bon cœur ton vin, car Dieu a déjà agréé tes œuvres » (Ec 9, 7, Qohélet Rabba ad loc., Rama 624, 5).

Les gens pieux et dont les œuvres sont élevées se hâtent de commencer la construction de leur souka, à l’issue de Kipour, afin de passer d’une mitsva à une autre (Maharil, Rama 624, 5 ; Pniné Halakha – Les Lois de Soukot 2, 12).


[z]. Cérémonie par laquelle on marque la séparation entre le temps saint et le temps profane. La Havdala par excellence est l’ensemble de bénédictions que l’on récite sur une coupe de vin, à l’issue du Chabbat ou du jour de fête ; mais il existe aussi, comme on va le voir à l’instant, une Havdala qui s’inscrit dans la prière même d’Arvit. Cf. Les Lois de Chabbat I, chap. 8.

[17]. Selon le Mordekhi, au nom de Rabbénou Guerchom, on dit, à l’issue de Kipour également, la bénédiction sur les parfums, afin de revivifier l’esprit après que s’en est allée l’âme supplémentaire. Selon Maïmonide, dans le cas même où Kipour tombe un Chabbat, on ne dit pas cette bénédiction. Rabbi Aaron Halévi explique que la permission de manger, à l’issue de Kipour, c’est là ce qui apaise l’esprit, en lieu et place des parfums. Selon Rachi (sur Beitsa 16a), l’âme supplémentaire s’exprime par la satisfaction même qu’éprouve l’esprit, ouvert à la joie que procurent la nourriture et la boisson, de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’apaiser l’esprit à l’issue du jeûne. C’est aussi en ce sens que tranche le Choul’han ‘Aroukh 624, 3.

Certains estiment, cependant, que, lorsque Kipour tombe un Chabbat, on dit la bénédiction des parfums dans la Havdala, car l’âme supplémentaire s’exprime aussi par des satisfactions spirituelles à présent éteintes (Maharil, Aboudraham). Certains disent aussi que les impies s’en retournent au Guéhinom à l’issue de Chabbat, et qu’une mauvaise odeur se fait sentir ; aussi respire-t-on des parfums. De nombreux auteurs tranchent ainsi en pratique (Maharchal, Baït ‘Hadach, Maguen Avraham, Touré Zahav). Toutefois, si l’on disait cette bénédiction au sein de la Havdala, certains auteurs craindraient que cela ne constitue une interruption (hefseq), car il se peut que la halakha soit conforme à l’opinion d’après laquelle ladite bénédiction n’est pas nécessaire (Guinat Vradim, Elya Rabba, Ma’haziq Berakha). Or, puisque la mitsva de bénir Dieu pour les parfums a rang rabbinique, il n’y a pas lieu de s’y obliger en cas de doute, ni d’interrompre pour cela l’ordre des bénédictions de la Havdala. Aussi, celui qui voudrait porter la mitsva à un plus haut degré de perfection, dira la bénédiction sur les parfums après qu’il aura bu du vin de la Havdala (Roua’h ‘Haïm 624).

[18]. A priori, dans le cas même où Kipour a lieu un Chabbat, on doit dire la bénédiction, à l’issue du jour, sur un ner ché-chavat : alors, la bénédiction vise les deux motifs, celui du Chabbat et celui de Yom Kipour (Ritva). Mais a posteriori, on peut aussi dire la bénédiction en se basant sur le seul motif du Chabbat (Cha’ar Hatsioun 624, 9). Par contre, quand Yom Kipour tombe un jour ordinaire, il ne faut pas dire la bénédiction sur une bougie qui a été allumée à l’issue du jour, ou dont la flamme provient d’une telle bougie ; de même ne dit-on pas de bénédiction pour une bougie qu’un non-Juif a allumée pendant Kipour. Car le principe veut que la bénédiction soit dite sur un ner ché-chavat, c’est-à-dire sur une bougie qui a brûlé pendant Kipour, et dont il nous était interdit d’utiliser la flamme.

Dans le cas où un malade se trouvait dans un état dangereux, et où l’on a été contraint d’allumer un feu pour lui pendant Kipour, il sera permis de réciter la bénédiction sur ce même feu à l’issue de Kipour. En effet, puisque c’est à bon droit que ce feu a été allumé, même un tel feu a « chômé », c’est-à-dire qu’il n’a servi, pendant Kipour, pour aucun travail interdit (Choul’han ‘Aroukh 624, 4-5).

01. La mitsva du jeûne

C’est une mitsva « positive » (un commandement de faire) que de jeûner au jour de Kipour, comme il est dit : « Ce sera pour vous une loi perpétuelle : au septième mois, le dixième jour du mois, vous vous mortifierez, et vous n’accomplirez aucun ouvrage, l’indigène ni l’étranger qui réside parmi vous. Car en ce jour, il sera fait expiation pour vous, afin de vous purifier de toutes vos fautes ; devant l’Éternel, vous vous purifierez. C’est pour vous un Chabbat solennel (Chabbat chabbaton), et vous vous mortifierez : loi perpétuelle » (Lv 16, 29-31). Celui qui transgresse ce commandement et ne jeûne pas, en plus d’enfreindre une mitsva « positive », enfreint également une mitsva « négative » (un commandement de ne pas faire). Et bien que l’essentiel de la mitsva de « mortification » (‘inouï) tienne dans l’abstention de nourriture et de boisson – car c’est par elles que l’homme se maintient en vie – cette mitsva comprend encore quatre interdits, comme nous le verrons au chapitre suivant.

La mitsva du jeûne consiste à ne point manger, même la plus petite quantité de nourriture, et à ne point boire, ne serait-ce qu’une seule goutte d’eau. Quiconque mange ou boit, fût-ce en quantité minime (kolchéhou), enfreint un interdit toranique. Et si l’on a mangé intentionnellement la quantité d’une kotévet hagassa (volume d’une grande datte), ou que l’on ait bu la quantité de melo lougmav[a], on est passible de karet (retranchement), comme il est dit : « Quiconque ne se sera pas mortifié, en ce même jour, sera retranché de son peuple » (Lv 23, 29). Si c’est involontairement que l’on a commis cette transgression, on doit apporter un sacrifice expiatoire (qorban ‘hatat). On voit donc que la peine ne s’applique que lorsqu’on a mangé ou bu une quantité telle qu’elle rétablit quelque peu sa quiétude (yichouv da’at) au point que, à ce moment, l’on est considéré comme ne jeûnant pas. Ces mesures (kotévet hagassa, melo lougmav), considérées comme rétablissant quelque peu la sérénité de l’homme affamé ou assoiffé, nous ont été enseignées par tradition remontant à Moïse au mont Sinaï (halakha lé-Moché mi-Sinaï). Mais quoi qu’il en soit, celui-là même qui mangerait ou boirait une quantité moindre, fût-elle infime, enfreindrait un interdit toranique[1].

Si l’on a mangé une chose qui n’est pas comestible, par exemple des feuilles d’arbre ou des branches, ou bien une épice très piquante, ou encore un aliment abîmé, qui n’est plus comestible, on n’a pas transgressé d’interdit toranique, puisque l’on n’a pas mangé de la manière dont on mange normalement (dérekh akhila). De même, si l’on a bu une chose qui ne convient pas à la boisson, comme un liquide très acide, ou moisi, on n’a pas enfreint d’interdit toranique (Choul’han ‘Aroukh 612, 6-8, Rama 9). Mais du point de vue rabbinique, toutes ces choses sont interdites, car, par le fait même d’avoir décidé de les manger ou de les boire au cours du jour de jeûne, on montre que, de son point de vue, elles sont à considérer comme des aliments ou des boissons convenables ; aussi est-il interdit de les manger ou de les boire (et même dans une quantité inférieure à la mesure par laquelle on se rend passible de sanction, il faut s’en abstenir a priori ; Michna Beroura 15)[2].


[a]. Littéralement, « plénitude de bouche » ; majorité de la quantité de liquide que peut contenir la bouche. Cf. Pniné Halakha – Les Lois de Pessa’h 16, 9.

[1]. Le traité Yoma 73b-74a explique que, selon Rabbi Yo’hanan, s’agissant de tous les interdits alimentaires, une quantité moindre que celle qui entraîne une sanction (‘hatsi chi’our) est, elle aussi, interdite par la Torah elle-même, ainsi qu’il est dit, au sujet des graisses interdites (‘helev) : kol ‘helev (« tout suif », Lv 7, 23), c’est-à-dire même la plus petite quantité. Cela, parce que toute consommation, même infime, s’agrège, en définitive, à la quantité pour laquelle on est passible de sanction (Ritva ; cf. Tossephot 74a, passage commençant par Keivan, où il est expliqué que cette théorie de l’adjonction entre elles des petites quantités conforte l’enseignement que l’on tire du verset). Selon Rech Laqich, par contre, l’interdit est de rang rabbinique. La halakha est conforme à l’opinion de Rabbi Yo’hanan (Maïmonide, Chevitat hé’assor 2, 3 ; Maakhalot assourot 14, 2).

Le Talmud de Jérusalem, Teroumot 6, 1 ne s’accorde pas avec la compréhension du Talmud de Babylone, et estime que, s’agissant du jour de Kipour, Rech Laqich lui-même reconnaît, avec Rabbi Yo’hanan, qu’une quantité inférieure à celle qui entraîne une sanction est toraniquement interdite, ainsi qu’il est dit : « C’est un Chabbat solennel (Chabbat chabbaton) pour vous, et vous mortifierez vos personnes » (Lv 23, 32), expression qui laisse entendre qu’il faut s’abstenir (« chômer ») entièrement de toute chose susceptible de faire échec à la mortification du jour (Gaon de Vilna).

Pour tous les autres interdits de la Torah, celui qui mange un kazaït [sur cette mesure, cf. Les Lois de Pessa’h, chap. 16 § 23, note 20, et § 24] est passible de sanction, car ce que la Torah appelle consommation (akhila) est, sauf cas particulier, la consommation d’un kazaït. Mais quant au jour de Kipour, la règle dépend d’une autre notion : celle de quiétude de la personne (yichouv da’at), qui annule le sentiment de mortification. Or la tradition orale reçue par nos sages, en tant que halakha lé-Moché mi-Sinaï, prévoit que cette mesure est, quant aux solides, celle d’une grande datte (kotévet), et, pour les boissons, celle de melo lougmav (Yoma 80a-b).

[2]. Alimentation par des voies autres que la consommation : plusieurs A’haronim écrivent que ceux dont l’œsophage est endommagé et qui sont alimentés par le biais d’une sonde, ne transgressent pas, ce faisant, d’interdit, et il n’est pas besoin qu’ils s’en abstiennent le jour de Kipour, car l’interdit n’a cours que lorsque le consommateur tire plaisir de la nourriture, dans sa gorge et ses entrailles (‘Helqat Ya’aqov II Ora’h ‘Haïm 58 ; Nichmat Avraham 612, 7 note 2, d’après le ‘Eglé Tal, Min’hat ‘Hinoukh, entre autres sources).

Cette position est difficile à comprendre, car en pratique, par le biais de cette alimentation artificielle, le patient ne se mortifie plus, puisqu’il reçoit ainsi nourriture et boisson ; or la Torah n’a pas ordonné que l’on s’abstienne de manger, mais que l’on se mortifie, en se privant d’alimentation. Il semble donc que ceux qui s’alimentent de cette manière enfreignent un interdit rabbinique, puisqu’ils annulent – quoique de façon inhabituelle – la mortification. Le Maharcham s’exprime en des termes proches (I 124). De prime abord, si l’on se fonde sur le ‘Hatam Sofer, Ora’h ‘Haïm 127, il semblerait que cela fût interdit par la Torah elle-même : en effet, selon ce décisionnaire, en causant la jouissance de ses entrailles on enfreint un interdit toranique, puisque l’on ne se mortifie plus. Mais les responsa A’hiézer III 61 expliquent que le ‘Hatam Sofer vise le cas où une certaine jouissance est également éprouvée par la gorge. La position que nous mentionnions ci-dessus semble vraisemblable : puisque le patient s’est alimenté de façon inhabituelle par rapport à l’usage général, l’interdit est rabbinique.

Certains ont voulu soutenir que, la veille de Kipour, il est interdit de prendre des comprimés qui rendent le jeûne plus facile, puisque c’est une mitsva que de se mortifier, et que, de cette manière, on abolit la mortification (c’est là l’opinion d’auteurs isolés, cités par le Sdé ‘Hémed, et du Rav ‘Haïm David Halévi, Mayim ‘Haïm II 40). Mais la position principale en cette matière est conforme à l’opinion indulgente, puisque ces comprimés n’ont qu’une influence modérée, contribuant à une certaine sensation de satiété, à l’exemple du repas pris à la veille de Kipour, qui a pour propos d’alléger la souffrance du jeûne (c’est l’opinion de la majorité des auteurs auxquels se réfère le Sdé ‘Hémed, ainsi que celle du ‘Helqat Ya’aqov II 58, du Tsits Éliézer VII 32, 4 et du Yabia’ Omer IX 54). Certes, il semble interdit de prendre, la veille de Kipour, un comprimé qui crée une sensation de particulier bien-être (par exemple, des comprimés forts, pour apaiser les douleurs, et qui contiennent une drogue), quand le but est d’alléger la mortification. Mais si l’on a besoin de prendre de tels comprimés pour une raison médicale, afin de prévenir de fortes douleurs, on sera autorisé à les prendre avant le jeûne, et même au cours du jeûne (sans eau), bien qu’ils fassent obstacle à une partie de la sensation de mortification.  En effet, l’intention ne porte pas sur cela – comme nous le verrons au prochain paragraphe au sujet des comprimés contenant de la caféine.

02. Malade dont l’état n’est pas dangereux

Quand bien même un malade est accablé de souffrance, et tant qu’aucun danger n’est prévisible pour sa vie, il lui est interdit de manger et de boire, même en très faible quantité. Cela, parce que le jeûne de Kipour est une obligation de la Torah ; aussi, seuls les cas de danger pour la vie ont priorité sur lui. Ici réside la différence entre le jeûne de Kipour et les autres jeûnes. Les malades eux-mêmes ont l’obligation d’observer le jour de Kipour, puisque les interdits de manger et de boire sont alors toraniques ; tandis que les malades sont dispensés de jeûner le 9 av, et que, s’agissant des jeûnes courts, même les femmes enceintes ou qui allaitent sont dispensées (Pniné Halakha, Zemanim – Fêtes et solennités juives I, 10, 2-4).

Par conséquent, les personnes grippées, angineuses ou souffrant de quelque autre maladie de ce genre, ont l’obligation de jeûner à Kipour, puisqu’aucun danger vital n’est à prévoir de leur état. Il est préférable qu’un malade soit couché toute la journée dans son lit, et n’aille pas à la synagogue, pourvu qu’il ne boive rien, même une quantité infime. La mitsva essentielle du jour réside en effet dans le jeûne, par le biais duquel Dieu purifie Israël de ses fautes. On s’efforcera alors, quand on sera sur son lit, de prier selon ses possibilités ; et s’il est difficile de lire dans son rituel de prières, on s’efforcera de formuler, en son cœur et par ses lèvres, des prières personnelles, pourvu que l’on ne boive ni ne mange rien. De même, un homme dont la femme est enceinte, ou allaite, et ne peut pas, en raison de son état, s’occuper de ses enfants et jeûner à la fois, restera à la maison et s’occupera lui-même des enfants, afin que son épouse puisse accomplir la mitsva du jeûne, mitsva toranique ; car le jeûne importe davantage que le fait de prier en minyan et à la synagogue.

Il est permis à un malade qui souffre à cause de sa maladie d’avaler des comprimés curatifs. Cela, à la condition que ces comprimés n’aient pas bon goût, et qu’on ait soin de les avaler sans eau. Si l’on ne peut pas les avaler sans eau, on mâchera ce remède amer et on l’avalera, ou l’on mêlera à un peu d’eau une goutte de savon qui en dénaturera beaucoup le goût, et, grâce à ce peu d’eau, on avalera le comprimé.

De même, à ceux à qui le jeûne cause une grande souffrance, il est permis d’avaler des comprimés ayant pour effet d’alléger leur douleur. Par conséquent, à ceux qui souffrent de forts maux de tête en raison du manque de café, il est permis d’avaler des comprimés contenant de la caféine, ou des comprimés atténuant les maux de tête. Il est de même permis à ceux qui souffrent de migraine (dans le sens de « violent mal de tête ») d’anticiper le mal, et de prendre des comprimés prévenant l’apparition des douleurs[3].


[3]. Nos sages ont interdit de prendre des médicaments pendant Chabbat, de crainte d’en venir, ce faisant, à broyer des plantes médicinales. Les décisionnaires controversent au sujet des médicaments qui sont produits aujourd’hui en laboratoire, médicaments que le simple particulier n’a pas l’usage de fabriquer. En pratique, en cas de souffrance, il est permis de prendre de tels comprimés, mais, quand il s’agit d’une indisposition qui, pour être dérangeante, n’est pas accompagnée de véritable douleur, c’est interdit (Pniné Halakha – Les Lois de Chabbat II 27, 4-5, note 3). De même, il est permis de prendre, le Chabbat, des comprimés que l’on a l’habitude d’avaler tous les jours, tels que des comprimés pour dormir, ou des médicaments qu’il faut prendre de manière suivie pendant plusieurs jours (ibid. 28, 6).

La règle est la même s’agissant de Yom Kipour. Certes, comme nous l’avons vu, il est rabbiniquement interdit de manger, le jour de Kipour, une chose qui n’a pas bon goût ; mais dans le cas présent, où l’on n’a pas l’intention de manger, mais seulement de prendre un médicament afin d’alléger sa douleur, il n’y a pas d’interdit (Igrot Moché, Ora’h ‘Haïm III 91, Min’hat Chelomo II 58, 25, Chemirat Chabbat Kehilkhata 39, 8). Si l’on souffre beaucoup du manque de café, et que l’on n’ait pas de comprimés contenant de la caféine, on est autorisé à avaler des grains ou granules de café : puisque leur goût est amer comme l’absinthe, leur statut est comparable à celui d’un médicament.

Si la personne souffrante a besoin d’un médicament dont le goût est doux, elle y mêlera une chose amère afin d’en altérer le goût, puis l’avalera sous cette forme. Il est préférable d’y mélanger la chose amère avant l’entrée de Kipour. Quand ce n’est que la surface externe du médicament qui est douce au goût, on broiera le comprimé – si, d’un point de vue médical, cela est permis – ; alors, l’amertume du médicament altérera totalement la douceur de l’enrobage, et, de cette façon, il sera permis de l’avaler. Cela n’est pas non plus constitutif de l’interdit de moudre, car nous avons pour principe qu’il n’y a pas mouture après mouture (Les Lois de Chabbat I 12, 1). Si le contenu du comprimé est doux, lui aussi, on y mêlera une substance amère, qui en altérera entièrement le goût ; il sera préférable de faire cela avant l’entrée de Kipour.

Si l’on est migraineux (dans le sens de « sujet à de forts maux de tête »), et que le jeûne risque de provoquer le déclenchement d’une telle migraine, on a cependant l’obligation de jeûner à Yom Kipour, puisqu’il n’y a pas là de danger pour la vie du malade. Il faut savoir que, dans la majorité des cas, il y a des médicaments qui préviennent l’apparition des migraines provoquées par le jeûne. Il y a cependant des cas rares, dans lesquels la migraine risque de provoquer un accident cérébral. Dans un tel cas, un danger pour la vie est à craindre, de sorte qu’un tel malade est dispensé de jeûner à Yom Kipour. Il faut cependant la réunion de trois conditions : 1) qu’il ait été diagnostiqué, par le passé, que le jeûne entraîne chez le sujet de telles migraines ; 2) la migraine apparaît après un phénomène d’aura (perturbations visuelles précédant l’apparition de la migraine), l’aura se poursuivant elle-même plus d’une heure ; 3) il n’existe pas de traitement (tel que des suppositoires ou un pulvérisateur) qui puisse prévenir l’apparition de la migraine. Puisque le malade n’a pas besoin de manger beaucoup en une fois pour prévenir l’apparition du mal, il est juste de se contenter de boire par très petites quantités (chi’ourim) (ce passage a été écrit avec le concours du docteur Rafy Cayam et du docteur Rahel Harring).

03. Malade dont l’état est dangereux

Si le jeûne risque de provoquer la mort du malade, c’est une mitsva qu’il boive et qu’il mange suivant ses besoins, car le sauvetage de la vie (piqoua’h néfech) a priorité sur la mitsva du jeûne, comme des autres mitsvot de la Torah, ainsi qu’il est dit : « Vous garderez mes lois et mes statuts, car l’homme qui les pratique vivra par eux, Je suis l’Éternel » (Lv 18, 5). Nos sages élaborent : « Il est dit qu’il vivra par eux, non qu’il mourra par eux » (Yoma 85b). Les mitsvot de la Torah ont en effet été données pour que l’on vive par elles, et non pour que l’on meure en les mettant en pratique (Les Lois de Chabbat II 27, 1, note 1). Si l’on se trouve dans un cas de doute – y a-t-il danger pour la vie ou non ? – et que l’on soit rigoureux envers soi-même en ne buvant ni ne mangeant, on est en faute ; car on aura transgressé la mitsva toranique consistant à préserver sa vie (Dt 2, 4 ; 4, 9 ; 4, 15). D’une telle personne, il est dit : « Seulement, du sang de votre vie, Je demanderai compte » (Gn 9, 5 ; Baba Qama 91b).

Ce qui est visé ici, ce ne sont pas seulement les cas hautement dangereux : dans tous les cas où il existe un risque que le jeûne provoque la mort du malade, ou affaiblisse sa capacité à résister à sa maladie, elle-même dangereuse, c’est une mitsva que de boire et de manger suivant ses besoins. Même un malade qui est à l’article de la mort, c’est une mitsva pour lui, dès lors que le jeûne risque de hâter la survenance de sa mort, que de boire et de manger suivant ses besoins ; car même pour prolonger la vie d’une heure, il est permis de boire et de manger à Yom Kipour.

Toutefois, d’un autre côté, il ne faut pas exagérer, quand les risques sont éloignés. Si l’on craignait, pour toute maladie ordinaire, qu’un danger vital existât, cela aurait pour effet d’annuler la halakha d’après laquelle un malade a l’obligation de jeûner à Kipour. Bien plus : si l’on exagérait, et que l’on tînt compte de risques très éloignés, nous devrions hospitaliser tous les malades de la grippe, ou, tout au moins, exiger qu’un médecin leur rendît visite deux fois par jour. Et si l’on tenait compte d’un tel degré de risque, nous devrions aussi interdire, au titre du sauvetage de la vie, les voyages en voiture ou en avion. Nous devrions aussi, évidemment, interdire tout voyage dans une auto qui n’a pas subi de révision pointilleuse une fois par mois, et interdire aussi les randonnées pédestres et tout ce qui y ressemble.

Le principe est donc le suivant : tout danger que les gens ont l’habitude de traiter en urgence, en y impartissant du temps et des ressources – comme le convoiement d’urgence du malade à l’hôpital, en plein milieu de sa journée de travail –, est considéré comme un danger pour la vie ; et, pour le prévenir, c’est une mitsva que de profaner le Chabbat, ou de boire et de manger à Kipour. Un danger qu’il n’est pas d’usage de traiter en hâte, en y impartissant du temps et des ressources, en revanche, n’est pas considéré comme un danger pour la vie[4].


[4]. Une telle évaluation n’est pas précise, car il y a des personnes craintives, tandis que d’autres sont sereines ; et cette différence s’exprime dans tous les domaines de la vie : dans la manière que l’on a de conduire son auto, sa relation à la maladie, ou sa façon de programmer ses excursions ; et nécessairement dans le degré de maladie à partir duquel on décide de transporter d’urgence un malade à l’hôpital. Cependant, tant que l’on reste dans les limites du raisonnable, il revient au sujet de décider, au mieux de sa compréhension. Mais si l’on sait que sa sensibilité particulière – ou son insensibilité – n’entre pas dans le cas ordinaire, on devra décider en fonction de ce que l’on sait être admis par la majorité des gens.

Celui qui voudrait être rigoureux envers lui-même, et jeûner alors que le jeûne lui serait dangereux, n’accomplit pas en cela de mitsva, mais commet une transgression (‘avéra). Certes, dans le cas où des non-Juifs forceraient un Juif à commettre une transgression pour leur propre jouissance, cas dans lequel la règle est de transgresser plutôt que de se laisser tuer, les tossaphistes écrivent que, si l’on veut être rigoureux envers soi-même, on le peut, se laissant tuer plutôt que de commettre cette transgression (‘Avoda Zara 27b, ד »ה יכול) ; tandis que, pour Maïmonide, il est interdit de s’imposer une telle rigueur (Yessodé Hatorah 5, 1). Quoi qu’il en soit, dans notre cas, tout le monde s’accorde à dire qu’il est interdit d’être rigoureux, car il n’y a là nulle sanctification du nom divin [contrairement au cas dont parlent Tossephot et Maïmonide] ; et Celui qui ordonna de jeûner est aussi Celui qui ordonna de préserver sa vie.

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