Les Jours redoutables

04. Qui détermine le degré de danger ?

En règle générale, cette halakha est confiée aux médecins ; d’après la connaissance médicale dont ils disposent, et d’après leur expérience, ils doivent établir quand un danger est à craindre, et quand cela n’est pas à craindre.

Le problème est cependant que de nombreux médecins, par excès d’appréhension, ou par mépris envers la mitsva, donnent pour directive constante, à tout malade, de boire et de manger au jour de Kipour. Et certains médecins pensent, par erreur, que s’ils disent au malade de boire et de manger par très petites quantités (chi’ourim), il n’y a plus en cela d’interdit. La vérité est que le fait de manger ou de boire par très petites quantités est, lui aussi, interdit par la Torah ; et ce n’est qu’après que l’état du malade a été défini comme dangereux, et qu’il lui a été permis de boire et de manger, qu’il est préférable, si la chose est possible, qu’il se contente de boire et de manger suivant de très petites mesures (comme nous l’expliquerons au paragraphe suivant).

Par conséquent, les malades doivent interroger, en ces matières, un médecin craignant Dieu (yeré Chamaïm). La crainte de Dieu ne dépend pas nécessairement du port d’une kipa ; l’essentiel est que le médecin soit un être droit et moral, qu’il tranche avec un maximum de responsabilité, tant à l’égard de la sainteté du jeûne qu’à l’égard de la vie de la personne. Aux malades aussi, incombe la responsabilité de s’adresser au médecin en étant animé de crainte du Ciel ; car lorsqu’ils font pression sur le médecin pour que celui-ci les autorise à boire et à manger, ce dernier se trouve dans un véritable désarroi : en plus de la lourde responsabilité qui pèse sur ses épaules, il est difficile au médecin de distinguer un malade dont l’état fait véritablement craindre l’existence d’un danger, d’un autre, qui appréhende le jeûne et cherche le moyen de s’en dispenser, alors qu’il n’est à craindre, en vérité, aucun danger pour sa vie. En effet, une part centrale des données sur lesquelles peut statuer le médecin émane des renseignements délivrés par le malade lui-même ; or, quand le malade fait pression pour obtenir une autorisation, le médecin conclut que son état est critique, et il est vraisemblable qu’il lui donnera pour directive de boire et de manger par petites quantités, alors que, si les informations lui avaient été données correctement, il lui serait apparu que l’état du malade ne présente pas l’ombre d’un danger. Dans un tel cas, la responsabilité principale, quant à la directive erronée, est celle du demandeur.

Quand un médecin craignant Dieu se trouve dans un cas de doute, il examinera en son for intérieur ce qu’il aurait fait si, le jour de Kipour, il avait été porté à sa connaissance le cas d’un semblable malade en train de jeûner. Si cela justifiait qu’il prît sa voiture pendant dix minutes pour l’avertir qu’il lui fallait boire et manger, afin de le sauver d’un possible danger, c’est le signe qu’en effet, il y a là un cas de doute, portant sur un danger pour la vie humaine ; dans ces conditions, il lui faut prescrire au malade qui est en sa présence de boire et de manger au jour de Kipour. Par contre, si, malgré son sens des responsabilités face à la vie humaine, le médecin n’eût pas été prêt à faire un voyage de dix minutes pour se rendre auprès du malade, en plein Kipour, c’est le signe que l’on n’est pas en présence d’un cas de doute portant sur un danger pour la vie humaine ; il faut donc que le médecin prescrive au malade de jeûner. Un tel conseil s’applique à un médecin « normal », qui, d’un côté, n’est point paresseux, et qui, de l’autre, n’aime pas courir d’un malade à l’autre.

Quand un malade, par erreur, s’est adressé à un médecin qui ne craint pas le Ciel, et que celui-ci lui prescrit de boire et de manger, il faut se presser d’interroger, avant Kipour, un médecin craignant Dieu. Mais si l’on a fauté, s’abstenant d’interroger  ce second médecin, et que le jour de Kipour soit déjà entré, on boira et l’on mangera à Kipour. En effet, bien qu’il soit douteux que le premier médecin lui ait répondu conformément à la halakha, nous ne sommes pas sortis du doute, quant à l’état du malade. Or en tout cas de doute portant sur l’atteinte à la vie d’une personne, il faut être rigoureux, en buvant donc et en mangeant.

Il faut encore savoir ceci : bien que cette halakha soit remise entre les mains des médecins, si le malade estime qu’il se trouve dans un cas de doute portant sur un possible danger, et que, pour en être préservé il lui faut boire et manger, il devra le faire, même si les médecins estiment que son état ne présente pas de danger. En effet, il arrive que la personne sente la gravité de son état, mieux que les médecins ne sauraient le faire, ainsi qu’il est dit : « Le cœur connaît l’amertume de l’âme » (Pr 14, 10, Yoma 83a ; Choul’han ‘Aroukh 618, 1). En revanche, si le malade prétend qu’il lui faut manger, et que le médecin estime que manger mettrait sa personne en danger, c’est le médecin qu’on écoute (‘Aroukh Hachoul’han 618, 5-6, Chemirat Chabbat Kehilkhata 39, 4)[5].


[5]. Il n’y a pas de différence, quant à cette halakha, entre un médecin juif et un médecin non-juif ; l’essentiel est qu’il soit digne de confiance (Michna Beroura 618, 1). La Guémara Yoma 83a et les Richonim qui s’y rapportent discutent de cas dans lesquels il y a divergence entre médecins. En pratique : si un médecin a dit qu’il faut manger, et qu’un autre médecin ait dit qu’il n’est pas nécessaire de manger, le malade mangera, puisqu’on se trouve dans un cas de doute (Choul’han ‘Aroukh 618, 2). Quand deux médecins ont dit qu’il n’était pas nécessaire de manger, et qu’un autre a dit qu’il le fallait, on suit la majorité (Choul’han ‘Aroukh 618, 3). Quand deux médecins ont dit qu’il fallait manger, on suit leur avis, même si cent médecins sont d’avis contraire (Choul’han ‘Aroukh 618, 4). Si, parmi les médecins soutenant qu’il n’est pas nécessaire de manger, il en est qui soient plus spécialisés, ce, de façon significative : dans la mesure où ceux qui soutiennent cet avis constituent la majorité et comptent parmi eux des médecins plus spécialisés, et quoiqu’il y ait deux médecins soutenant qu’il faut manger, on suit la majorité et les spécialistes, de sorte qu’on ne mange point (Maté Ephraïm 3 ; cf. Michna Beroura 618, 12).

D’après cela, si, selon la médecine courante, il n’y a pas lieu de manger, et que, d’après des médecins alternatifs il faille manger, on ne tient pas compte de l’avis de ces derniers : il sera interdit de manger, puisque les médecins institutionnels sont considérés comme étant d’un plus haut degré d’expertise. Leurs propos s’appuient en effet sur des recherches plus étendues ; de plus, ils constituent la majorité. Mais si le malade est convaincu, personnellement, que le médecin alternatif a raison, il lui sera permis de manger (cf. Rama 618, 4).

Dans Les Lois de Chabbat II 27, 2, nous expliquons que l’on écoute le malade, contre l’avis des médecins, à la condition que les propos du malade présentent une certaine logique. Mais si sa maladie est connue, et que le malade exige un traitement requérant la transgression du Chabbat par un tiers, alors que, d’autre part, les médecins estiment que ledit traitement n’est pas utile, c’est le médecin qu’on écoute (Béour Halakha 328, 10 ד »ה ורופא). De même, quand le malade est réputé pour être un grand poltron, et que la personne présente, qui s’entend en médecine, est certaine que son état ne présente pas de danger, il est juste que ce malade ne mange pas. Mais si, malgré la position du médecin, et la connaissance que l’on a de la tendance du malade à être exagérément craintif, ledit malade est toujours certain qu’il lui faut manger, il agira selon ce qu’il croit comprendre (cf. Tsits Eliézer, résumé du responsum 8, 15 [7, 25], où il apparaît que, parfois, il est permis à un malade de profaner le Chabbat pour lui-même, mais non au médecin).

05. Pour quel malade dit-on qu’il est préférable de boire et de manger par petites quantités ?

Lorsque, d’après les consignes de la médecine, le malade en danger n’est pas obligé de boire ni de manger d’urgence en grande quantité, quelques-uns des plus grands Richonim écrivent qu’il est préférable que chaque prise de nourriture soit en quantité inférieure à une certaine mesure ; et que le malade  boive et mange en marquant des pauses entre chaque prise alimentaire ; cela, afin de minimiser l’acte interdit (comme nous le verrons ci-après). Et bien que la boisson ou la consommation d’une très faible quantité soit, en elle-même, également interdite par la Torah, la gravité est plus grande quand l’ingestion atteint ladite mesure ; en effet, si la faute est commise intentionnellement, on est alors passible de retranchement (karet), et si elle est commise de manière non intentionnelle, on est tenu d’apporter un sacrifice expiatoire (‘hatat) ; aussi y a-t-il un certain avantage dans le fait de ne boire ou de ne manger qu’une quantité inférieure à cette mesure.

Toutefois, quand il est à craindre que cette consommation en très petites quantités risque d’entraîner la moindre négligence dans l’affermissement du malade dont l’état est dangereux, c’est comme à l’habitude que celui-ci devra boire et manger. Par exemple, quand une accouchée est fatiguée, il est préférable qu’elle boive comme à son habitude, afin qu’elle puisse dormir de manière continue, sans avoir besoin de rester éveillée afin de pouvoir boire, à sa suffisance, par petites quantités séparées les unes des autres.

De même, des malades du diabète à la situation desquels aucune solution stable n’a été trouvée, doivent prendre grandement garde à cela : s’il est à craindre que, du fait de cette consommation discontinue, ils ne négligent de manger selon leurs besoins, ils mangeront de manière continue. Et il est préférable qu’ils prient en minyan, à la synagogue, et qu’ils mangent une fois par quelques heures, en quantité supérieure à la susdite mesure, plutôt que de chercher à embellir leur pratique en mangeant en quantités très faibles, de façon discontinue, et de ne pas se rendre à la synagogue[6].

À présent, expliquons comment on boit et on mange par chi’ourim. La mesure de boisson qu’il s’agit de ne pas atteindre en une fois est de kimlo piv (« bouche emplie »), c’est-à-dire une quantité propre à emplir la bouche quand une des deux joues est emplie, chaque individu suivant la taille de sa bouche. Et puisque cette mesure varie d’une personne à l’autre, le malade doit préalablement vérifier combien d’eau entre dans sa bouche pour former ce kimlo piv, puis rejeter cette eau dans un verre, et marquer sur le verre le niveau atteint par l’eau. Puis, le jour de Kipour, il boira, chaque fois, une quantité inférieure à celle-là. A priori, il faut vérifier cela avant l’entrée du jeûne.

La mesure d’alimentation solide qu’il s’agit de ne pas atteindre en une fois est celle de kotévet hagassa (grande datte), mesure inférieure à celle de kabeitsa (volume d’un œuf). Moins de cette mesure équivaut à 30 cm³ (Choul’han ‘Aroukh 612, 1-5, 9-10).

Le temps d’interruption entre une prise de boisson et la suivante, ou entre une prise alimentaire et la suivante, doit être équivalent à la durée dite d’akhilat pras (« consommation d’une demi-miche »). Puisque certains décisionnaires estiment que ce temps équivaut à neuf minutes, il est bon, a priori, d’observer une interruption de cette durée. S’il faut manger et boire davantage, on peut se contenter d’une interruption de sept minutes. Et en matière de boisson, s’il faut boire davantage, on peut se contenter d’une interruption d’une minute, car certains auteurs pensent que, s’agissant de boisson, une telle interruption suffit (Choul’han ‘Aroukh 618, 7-8). Il n’y a pas de différence, à cet égard, entre l’eau et les autres boissons ; aussi suggère-t-on aux malades à qui il suffit de boire par chi’ourim, de prendre des boissons riches en calories, de manière à n’avoir plus besoin de manger[7].


[6]. Na’hmanide apprend de la Guémara Keritot 13a qu’une femme enceinte dont l’état est dangereux, et qui a besoin de manger à Kipour, mangera par quantités inférieures à la mesure ordinairement passible de sanction. De cela, il conclut pour tout malade que, si la chose est possible, on boira et mangera par petites quantités, de manière discontinue. C’est aussi ce qu’écrivent le Roch, le Hagahot Maïmoniot, le Tour et le Choul’han ‘Aroukh 618, 7. En revanche, le Rif, Maïmonide et de nombreux autres Richonim ne mentionnent pas du tout cette règle de consommation par portions faibles et discontinues ; au traité Yoma non plus, cette notion n’est pas mentionnée. Selon ce second groupe de Richonim, le traité Keritot ne parle pas du tout, dans le susdit passage, de Yom Kipour, mais du cas d’une femme enceinte qui se trouverait dans la nécessité de manger d’un aliment impur. Dans le même sens, plusieurs A’haronim donnent pour directive au malade dont l’état est dangereux de boire et de manger suivant ses besoins, sans limitation (Netsiv, Or Saméa’h, Rabbi Haïm de Brisk).

En pratique, il est admis de donner la directive suivante : quand la chose est possible, il est bon de ne boire et de ne manger que par portions très petites et discontinues (chi’ourim). Or cette position semble problématique : nous avons vu, en matière de sauvetage de la vie humaine, le Chabbat, qu’il n’y a pas lieu de minimiser l’exécution d’actes interdits en demandant à un non-Juif ou à un mineur d’accomplir le travail de sauvetage. On craint en effet que les gens ne soient négligents à se porter au secours de leur prochain (Tossephot). De même, on craint que, dans l’avenir, dans le cas où il n’y aurait ni non-Juif ni mineur, on ne s’attarde à en rechercher un, et que, pendant ce temps, le malade ne meure (Ran). D’après cela, nos maîtres ont donné pour consigne de ne pas s’efforcer à accomplir les actes de sauvetage en y apportant un changement (chinouï), de crainte que ce changement n’ait pour effet que l’on tarde où que l’on soit négligent. Or si, de crainte d’une négligence, nos maîtres n’ont pas voulu que l’on s’efforçât de limiter l’exécution d’actes toraniquement interdits en leur conférant le statut d’actes rabbiniquement interdits seulement, pourquoi donne-t-on pour directive, dans le cas qui nous occupe, de minimiser la commission d’interdits, alors que, d’une manière ou d’une autre, l’acte considéré sera, fondamentalement, un interdit toranique ? Cf. Les Lois de Chabbat II 27, 4-5.

Il y a lieu de dire que, puisque l’état de la majorité des malades dont la situation est dangereuse est connu dès avant le jour de Kipour, et que l’on peut s’organiser en vue de ce jour de manière ordonnée, nos sages n’ont pas tenu compte du danger que le changement pourrait entraîner. Cependant, d’un autre côté, il se peut que tous les autres Richonim, qui n’ont pas mentionné le procédé de la consommation par chi’ourim, aient craint, quant à eux, qu’une directive pointilleuse, qui consisterait à minimiser la consommation, n’ait pour effet d’être négligent dans la préservation de la vie. D’après cela, on peut répondre au Binyan Tsion 34, qui écrivait que ce qui est autorisé se limite strictement à ce qui est nécessaire au sauvetage des personnes, et qu’au-delà de cela, toute consommation est toraniquement interdite. Or cet auteur s’étonnait que les décisionnaires n’eussent pas mentionné ce principe. On peut donc répondre à cela qu’il est difficile de déterminer exactement combien le malade a besoin de boire et de manger ; et pour sortir du doute, il y a lieu d’autoriser le malade à boire et à manger selon les besoins qu’il éprouvera. Cela ressemble, de ce point de vue, à ce qui est dit de Chabbat, où l’on soigne le malade de la façon dont on le soigne pendant la semaine [de même, le malade dont l’état est dangereux, et que la prise de nourriture par chi’ourim risque de mettre en danger, mangera selon son besoin, comme à l’ordinaire] (Choul’han ‘Aroukh 328, 4 ; cf. Les Lois de Chabbat II 27, note 4).

Le Hilkhot ‘Hag Be’hag 26, note 33, s’exprime dans un sens proche au nom du Rav Yossef Chalom Elyachiv. Il faut signaler que des catastrophes ont déjà eu lieu : des malades du diabète sont morts le jour de Kipour, par l’effet du jeûne. En effet, dans la mesure où ils pouvaient être actifs comme à leur habitude, ils se rendaient à la synagogue ; là, il leur était difficile de manger par quantités petites et de façon discontinue ; ils s’affaiblissaient donc, et, sans y prendre garde, s’évanouissaient et mouraient. Quand donc il y a l’ombre de la crainte d’un danger, les malades devront manger de la manière ordinaire, et ils iront à la synagogue ; car l’embellissement de la pratique consistant à manger par chi’ourim ne passe pas avant l’embellissement consistant à prier à la synagogue.

[7]. La notion d’akhilat pras est expliquée en Pniné Halakha – Les Lois de Pessa’h 16, 25 et Lois des bénédictions 10, 7. On trouve de nombreuses opinions sur cette unité de temps : entre 4 et 9 minutes. Le Michna Beroura 618, 21 écrit, au sujet de Yom Kipour, qu’il faut être rigoureux, conformément à l’avis du ‘Hatam Sofer, et observer neuf minutes. Cependant, en cas de nécessité, on peut être indulgent et se suffire de sept minutes, durée supérieure, selon la majorité des auteurs, à celle d’akhilat pras. Cf. Pniné Halakha – Lois des bénédictions 10, 7, où nous écrivons que, jusqu’à un tel délai, on est tenu de réciter la bénédiction finale. En ce qui concerne la boisson, selon Maïmonide, l’interruption à observer est semblable au temps nécessaire à la boisson d’un révi’it de manière tranquille et continue, ce qui ne dure pas plus d’une minute. Le Choul’han ‘Aroukh écrit cependant qu’a priori, il y a lieu d’être rigoureux, comme le veut le Raavad, selon qui la règle est égale en matière de boisson et d’alimentation solide. Mais en cas de nécessité, il est préférable de suivre l’opinion de Maïmonide, plutôt que de boire une quantité de kimlo piv de façon continue.

06. Le côté psychologique

Il arrive que des personnes se sentent très faibles, le jour de Kipour, et qu’elles craignent d’être sur le point de perdre connaissance et de mourir. Certes, il s’agit en général d’une peur excessive, puisque le jeûne et l’affaiblissement qui l’accompagne ne sont pas dangereux, et que le jeûne peut même être utile dans de nombreux cas de maladies pénibles. Mais il se peut que la personne qui se plaint ainsi ait un problème supplémentaire, à cause duquel le jeûne risque de menacer sa vie ; aussi, dans le cas où, malgré la sainteté du jour, cette personne craint pour sa vie et demande à manger ou à boire, on le lui donne. Simplement, dans la mesure où, parfois, ce besoin est exclusivement psychologique, on lui fait d’abord goûter une faible quantité : il arrive que cela suffise à la rasséréner et à lui faire recouvrer ses esprits. Si la personne ne se sent pas encore ranimée, on la fait boire ou manger par chi’ourim (petites quantités prises par intermittence, cf. paragraphe précédent). Et si cela non plus ne suffit pas à calmer son esprit, on la fait manger et boire jusqu’à ce que son esprit se rassérène (Choul’han ‘Aroukh 617, 2-3).

Parfois, le seul fait qu’on lui permette de manger et de boire lui redonne confiance : la personne se calme, et ressent que, pour l’instant, elle est capable de continuer à jeûner. Le Talmud de Jérusalem (Yoma 6, 4) raconte ainsi que Rabbi ‘Haggaï fut une fois très affaibli, en raison du jeûne ; or, quand Rabbi Mana lui recommanda de boire, il se sentit capable de se retenir, et il acheva le jeûne. Ceux qui instruisent le public ont coutume de s’aider de ce conseil (Colbo 69, rapporté par Beit Yossef 618, 1)[8].

D’un autre côté, il faut prendre grand soin de ne pas considérer avec légèreté le danger : si la prescription médicale est de boire et de manger, le malade doit boire et manger dans la joie, car en préservant ainsi sa personne, il accomplit le commandement de son Créateur. Et par l’effet de l’accomplissement de cette mitsva, il faut espérer que le malade ait le mérite de voir se prolonger ses jours. De grands maîtres d’Israël avaient coutume de mettre en garde les malades à ce sujet ; et lorsqu’ils savaient que tel malade risquait d’être rigoureux envers lui-même et de se mettre ainsi en danger, ils allaient chez lui, le jour de Kipour, pour l’exhorter à boire et à manger.


[8]. Le Rav Zevin relate une histoire édifiante : il arriva une fois que, avant l’office de Né’ila, un grand bruit se fit entendre à la maison d’étude du maître ‘hassidique et génie de la Torah Rabbi Haïm de Tsans. Un homme riche réclamait de l’eau, et était près de s’évanouir. Cet homme riche était connu pour être grandement avare. Dans un premier temps, certains fidèles présents plaisantèrent à son sujet : « Durant toute l’année, ce notable n’a pas même donné un peu d’eau à boire à un pauvre ; qu’il connaisse à présent lui-même le goût de la soif ! » Mais en le voyant en danger, les gens qui étaient autour de lui allèrent trouver les dayanim (rabbins chargés de trancher le droit) pour les interroger sur la conduite à tenir. Les dayanim prescrivirent de lui donner un peu d’eau dans une cuiller, moins de la mesure de melo lougmav. Cependant, à chaque cuillerée qu’on lui donnait, la soif de l’homme riche ne faisait que croître ; aussi demanda-t-il à boire de l’eau au verre. Le chef du tribunal rabbinique (av beit-din), Rabbi Baerich, ne voulut pas se fier à sa seule opinion, et s’adressa au tsadiq (juste), Rabbi Haïm, l’interrompant dans son service saint. Il lui raconta tout l’incident, et lui demanda quoi faire. Le tsadiq lui répondit : « Dites-lui que, pour tout verre d’eau qu’il boira, il devra donner demain cent reinich (ce qui constitue une somme importante) à la caisse de tsédaqa. S’il accepte ces conditions, donnez-lui à boire autant qu’il voudra. » Quand le notable « au bord de l’évanouissement » entendit cet arrêt, il retrouva ses esprits, se redressa, se releva, et reprit sa prière comme s’il n’avait pas été assoiffé du tout… (Sipouré ‘Hassidim, Mo’adim p. 101).

08. Femmes enceintes

Les femmes enceintes et qui allaitent ont l’obligation de jeûner, à Kipour (Pessa’him 54b ; Choul’han ‘Aroukh 617, 1). Elles sont même tenues d’observer le jeûne du 9 av ; à plus forte raison doivent-elles jeûner le jour de Kipour, puisque ce jeûne est de rang toranique.

Dans la dernière génération, certains rabbins se sont montrés indulgents, permettant à des femmes enceintes de boire par petites quantités disjointes (chi’ourim, cf. ci-dessus, § 5) car, selon eux, les femmes sont devenues plus faibles, et le jeûne risquerait de provoquer une fausse couche. Cependant, il ressort d’études conduites en Israël et en dehors d’Israël que le jeûne n’accroît pas le risque de fausse couche. C’est seulement dans des cas rares que le jeûne est susceptible de hâter la naissance, durant le neuvième mois, ce qui, de toute façon, n’entraîne pas de danger vital. Il n’y a pas non plus le moindre fondement à l’argument selon lequel les femmes seraient devenues, de nos jours, plus faibles. Au contraire, les gens vivent aujourd’hui en meilleure santé qu’autrefois, ce qu’on doit tant à l’abondance et à la variété de la nourriture qu’aux progrès de la médecine. L’espérance de vie elle-même a augmenté de dizaines d’années. Par conséquent, il n’y a pas lieu d’être indulgent, de nos jours, plus que par le passé, et la règle reste inchangée : les femmes enceintes et les femmes qui allaitent ont l’obligation de jeûner (Tsits Éliézer XVII 20, 4 ; Nichmat Avraham 617, 1).

Par conséquent, quand bien même une femme enceinte souffre de vomissements normaux, d’une pression sanguine un peu élevée, d’un taux d’hémoglobine (fer) bas et d’indispositions ordinaires en cas de grossesse, elle reste obligée d’observer le jeûne de Kipour ; à ce titre, il lui est interdit de boire, même par chi’ourim. C’est seulement dans les cas de grossesse particulièrement difficile, ou de grossesse mise en danger, ou encore dans les premières semaines d’une grossesse obtenue par fécondation in vitro, qu’il est nécessaire d’interroger un médecin craignant Dieu. S’il affirme qu’il existe un doute portant sur un danger vital pour la mère ou pour l’enfant, il sera permis à la femme enceinte de boire ; et il sera préférable qu’elle le fasse par petites quantités discontinues. Mais dans le cas d’une grossesse normale où ont lieu des vomissements et des indispositions courantes, c’est une obligation que de jeûner, et il n’y a pas lieu d’interroger de médecin. Toutefois, si, durant le jeûne, la femme enceinte sent qu’elle entre dans une situation dangereuse, elle boira et mangera selon ses besoins[11].


[11]. Il faut noter que le critère de la crainte du Ciel, chez le médecin, n’est pas suffisant ; car si le médecin auquel on s’adresse fait sienne l’opinion selon laquelle la majorité des femmes enceintes, ou qui allaitent, sont autorisées à boire, le jour de Kipour, sa prescription ne sera pas conforme à l’opinion de la majorité des décisionnaires (cf. ci-après, note 13). Par conséquent, on ne peut se fier qu’à un médecin capable de répondre en se fondant sur la position selon laquelle les femmes enceintes et celles qui allaitent ne courent aucun risque en jeûnant, et que c’est seulement dans des cas peu nombreux, de grossesses à risque, qu’il est nécessaire que la femme enceinte boive ou mange. Cf. ci-dessus, § 4, où l’on voit que ceux qui posent la question ont, eux aussi, une responsabilité : celle de formuler leur question en étant animé de crainte du Ciel.

09. Parturientes (femmes qui accouchent)

La parturiente, dès lors que les douleurs de l’accouchement la saisissent, ou dès le moment où il faut la conduire en hâte à l’hôpital, est considérée comme une malade dont l’état est dangereux, qui doit boire et manger selon ses besoins. Tel est son statut jusqu’à l’expiration de trois jours, heure pour heure, c’est-à-dire soixante-douze heures depuis le moment de la naissance. Si ces heures s’achèvent au cours du jour de Kipour, la femme pourra boire et manger selon ses besoins jusqu’à l’expiration de la soixante-douzième heure[12]. Or nous avons vu, au sujet de tous les malades présentant un danger, que c’est seulement dans le cas où cela n’est susceptible d’entraîner aucun dommage qu’il est préférable de boire et de manger par petites quantités disjointes (chi’ourim). Mais si la parturiente veut dormir, et que, du fait de la nécessité de boire et de manger par chi’ourim, il lui soit difficile de dormir à sa suffisance, il sera préférable qu’elle boive et mange sans ces interruptions.

De l’expiration du troisième jour à celle du septième, il faut juger selon son état. S’il est clair, pour elle et pour le médecin, que son état ne présente pas de danger, elle jeûnera. S’ils n’en sont pas certains, elle ne jeûnera pas (Choul’han ‘Aroukh 617, 4).


[12]. Selon le Choul’han ‘Aroukh 617, 4 qui se fonde sur le Teroumat Hadéchen 148, on ne compte pas ces jours heure pour heure : si la femme a enfanté vers la fin du 7 tichri, cette petite portion du jour est considérée comme un jour entier, de sorte qu’elle devra jeûner à Kipour. Mais le Michna Beroura 330, 10 rapporte que plusieurs Richonim estiment qu’il faut concevoir les jours heure pour heure ; parmi eux, le Roch, le Ritva, le Hagahot Achri d’après le Halakhot Guedolot ; et c’est en ce dernier sens que, en pratique, on instruit les femmes (Chemirat Chabbat Kehilkhata 39, 15, Yabia’ Omer VII 53, 7).

10. Femmes qui allaitent

Comme nous l’avons vu, les femmes enceintes et celles qui allaitent ont l’obligation de jeûner à Kipour (Pessa’him 54b ; Choul’han ‘Aroukh 617, 1). Certes, il y a de nos jours des décisionnaires qui estiment que les femmes qui allaitent sont autorisées à boire par petites quantités intermittentes (chi’ourim), afin que le jeûne n’ait pas pour effet d’interrompre la possibilité d’allaiter. Mais selon la majorité des décisionnaires, la femme qui allaite a l’obligation de jeûner à Kipour, et même le 9 av. Et bien que l’allaitement rende le jeûne plus difficile – parce qu’il cause une perte supplémentaire de liquide –, il n’y a pas là de danger touchant à la vie des personnes. Pour le bébé lui-même, il n’est pas à craindre de danger ; en effet, dans le cas même où le lait diminue, voire cesse de venir, cela ne présente pas de danger pour l’intégrité du bébé, puisqu’on a la possibilité de lui donner un substitut de lait maternel. En pratique, le jeûne n’entraîne généralement pas d’interruption d’allaitement.

Le bon conseil que l’on peut donner à celles qui allaitent est de le faire par alternance. De cette façon, elles passeront le jeûne de façon relativement facile. En d’autres termes, une femme qui allaite toutes les trois heures allaitera son bébé à dix heures du matin ; puis, à 13 heures, elle donnera un substitut de lait maternel ; puis elle allaitera de nouveau à 16 heures, et donnera de nouveau un substitut à 19 heures. Ainsi, elle ne souffrira pas tellement du jeûne, et son lait ne diminuera pas. Certains bébés refusent de recevoir de leur mère un substitut de lait maternel ; en ce cas, il faut qu’un tiers lui donne le substitut, ou de l’eau sucrée.

Certes, quand le bébé est petit et faible, qu’il a tendance à être malade, que le médecin pense qu’il a particulièrement besoin du lait de sa mère, et qu’il est à craindre que, en raison du jeûne, le lait de la mère ne s’interrompe ou ne diminue de façon significative, la mère pourra, si un médecin craignant Dieu le lui prescrit, boire par petites quantités discontinues (Béour Halakha 617, 1). Cependant, c’est un cas rare. En effet, si la femme qui allaite boit abondamment à la veille du jeûne, il est presque certain que le lait ne diminuera pas en raison du jeûne. Il est préférable qu’elle commence à boire abondamment trois jours avant le jeûne, et qu’elle s’octroie des heures supplémentaires de sommeil ; grâce à cela, son lait augmentera. De plus, on peut, dans les jours qui précèdent le jeûne, tirer son lait, dans la quantité nécessaire à plusieurs repas, grâce à quoi le bébé aura abondance de lait pendant le jeûne, et il ne sera pas non plus à craindre que le lait de la mère ne diminue[13].


[13]. Quand il existe un risque sérieux que, en raison du jeûne, le lait de la mère s’interrompe ou diminue de façon significative, certains décisionnaires sont indulgents, et lui permettent de boire par chi’ourim, car, à leur avis, le lait maternel est une question vitale (piqoua’h néfech ; c’est ce que l’on rapporte au nom du ‘Hazon Ich). Ces auteurs ajoutent qu’il n’y a pas lieu de tenir compte du fait que, de nos jours, il existe de bons substituts (Halikhot Chelomo 6, 2 ; Sia’h Na’houm 36). Et certains témoignent au nom de différents rabbins que, bien qu’ils eussent écrit, dans des livres, qu’il fallait être rigoureux, ils étaient indulgents en pratique à l’égard de la majorité de celles qui les interrogeaient.

Cependant, ces propos soulèvent de grandes objections. En effet, bien que le lait maternel présente à l’évidence de réels avantages, et que la position médicale la plus commune soit d’encourager vivement l’allaitement, de nombreuses femmes n’allaitent pas du tout ; et nous n’avons pas entendu les médecins livrer un combat pour qu’elles continuent d’allaiter afin de sauver leurs enfants d’un possible danger pour leur vie. D’après un sondage portant sur l’état de la santé nationale, en l’an 5760 (1999-2000), environ 10% des accouchées juives d’Israël n’allaitent pas du tout ; seules 70% d’entre elles allaitent encore après un mois d’allaitement exclusif ou partiel ; 50% d’entre elles allaitent plus de trois mois, et seulement 32% poursuivent plus de six mois. Il est vraisemblable que nombre d’entre celles qui n’allaitent pas, exclusivement ou partiellement, cherchent par-là à faciliter l’accomplissement de leur travail professionnel, de leurs études ou d’autres activités du même ordre. Or si, pour de telles nécessités, qui ne relèvent pas du piqoua’h néfech, on interrompt ou l’on réduit l’allaitement, ce qui ne provoque pas de protestation perçante de la part de l’institution médicale, comme il devrait se faire dans un cas de danger vital, c’est bien que la réalité nous montre que l’on ne considère pas l’interruption de l’allaitement comme un cas de danger vital.

De plus, jadis, alors que de nombreux bébés mouraient dans leur première année, et qu’il n’existait pas de bons substituts au lait maternel, la prescription formelle était néanmoins, pour la femme qui allaitait, qu’elle avait l’obligation de jeûner. Même le 9 av, elle se devait de jeûner. Comment pourrait-on donc concevoir que, de nos jours, où l’on trouve de bons substituts, et où nous ne voyons pas de cas où un bébé serait mort parce que sa mère aurait interrompu son allaitement, la question se transforme soudain en cas de piqoua’h néfech ? Même autrefois, quand il n’y avait pas de substituts, les décisionnaires indulgents ne l’étaient que lorsque le bébé était malade, comme l’explique le Devar Chemouel 107, dont les propos sont rapportés, pour trancher en ce sens, par le ‘Hatam Sofer VI 23, le Béour Halakha 617, 1, le Da’at Torah 617. C’est aussi en ce sens que s’exprime le Har Tsvi, Ora’h ‘Haïm I 201, fin de l’alinéa 1. Par conséquent, ce n’est que s’il y a une prescription médicale particulière, fondée sur la nécessité, pour un bébé malade, d’être précisément nourri au lait maternel, et qu’il soit à craindre que le lait de l’allaitante ne diminue suite au jeûne, que celle-ci boira le jour de Kipour. C’est aussi en ce sens que penchent le Torat Hayolédet 51, note 11 et le Pisqé Techouvot 617, 2.

De prime abord, il y aurait eu lieu d’être rigoureux, de nos jours, même à l’égard de ces bébés, puisqu’il existe des substituts au lait maternel, et que toute l’indulgence visait une époque où il n’en existait pas, de sorte que, si le lait de la mère s’interrompait, elle devait louer les services d’une nourrice, et si le couple n’avait pas d’argent pour cela, le bébé était véritablement en danger pour sa vie à cause d’une insuffisante nutrition. Mais en pratique, cette décision est livrée entre les mains des médecins. Si le médecin auquel l’examen du bébé est confié estime que, puisque le bébé est malade, il y aurait un certain danger vital à interrompre l’alimentation au sein maternel, et que, de plus, on se trouve dans un cas où le risque est grand que le lait s’interrompe en raison du jeûne, on peut être indulgent. Si le médecin est de ceux qui instruisent de nombreuses allaitantes à boire par chi’ourim, le jour de Kipour, il apparaît que, suivant la majorité des décisionnaires, on ne pourra s’appuyer sur son avis, et il faudra interroger un médecin dont les réponses soient fondées sur le principe qui veut que l’interruption de l’allaitement n’est pas, en soi, considéré comme un cas de piqoua’h néfech. Cf. ci-dessus, § 4, où l’on voit que ceux qui interrogent le médecin ont, eux-mêmes, la responsabilité de formuler leur question en étant animés de crainte du Ciel.

On se doit d’ajouter que le risque de voir le lait se tarir en raison du jeûne est assez éloigné. En effet, généralement, le jeûne n’entraîne pas une telle interruption. Pour celle qui a soin, les jours précédant le jeûne, de boire au moins trois litres d’eau par jour, et de dormir environ huit heures, ou à tout le moins sept sur vingt-quatre, le risque de voir le flux de lait s’interrompre est très bas. Au contraire, grâce à une bonne préparation au jeûne, de nombreuses femmes témoignent de ce que leur allaitement s’est amélioré ; elles ont pu constater à quel point la boisson et le sommeil sont utiles à l’allaitement. De plus, en général, dans le cas même où la femme qui allaite ne s’est pas convenablement préparée avant le jeûne, le lait revient à son flux initial par l’effet d’une boisson abondante et de repos pris après le jeûne. (Certes, dans le cas où l’allaitante ne procède plus qu’à un petit nombre d’allaitements quotidiens, ou que, de toute façon, elle a du mal à allaiter, il se peut que, si elle ne se prépare pas bien au jeûne – en buvant et en dormant abondamment – il lui soit très difficile de rétablir son lait.)

En pratique, il n’y a pas lieu d’annuler une mitsva toranique dont les modalités ont été exposées par le Talmud et les décisionnaires, et qui fait obligation à la femme qui allaite de jeûner à Kipour, au motif contestable que le jeûne des mères serait dangereux pour la vie de leur enfant. Le 9 av lui-même, dont l’institution est rabbinique, les femmes enceintes ou allaitantes sont tenues de jeûner, comme les décisionnaires l’expliquent.

01. La mitsva de se mortifier

Comme nous l’avons vu au début du chapitre précédent, c’est une mitsva « positive » (un commandement de faire) que de jeûner au jour de Kipour, comme il est dit : « Ce sera pour vous une loi perpétuelle : au septième mois, le dixième jour du mois, vous vous mortifierez » (Lv 16, 29). Certes, l’essentiel de la mitsva de « mortification » (‘inouï) tient dans l’abstention de nourriture et de boisson, de sorte que seul celui qui transgresse l’un de ces deux interdits est passible de sanction : karet (retranchement) pour une transgression intentionnelle, ‘hatat (sacrifice expiatoire) pour une transgression inintentionnelle ; mais la mitsva de se mortifier comprend encore quatre interdits, qui, eux aussi, impliquent une certaine souffrance. Si donc on y joint l’interdit de manger et de boire, on compte en tout cinq interdits : 1) manger et boire ; 2) se laver ; 3) s’oindre ; 4) porter des chaussures ; 5) avoir des relations conjugales (Michna Yoma 73b).

La mitsva de la mortification ne signifie pas qu’il faille accomplir des actes entraînant la souffrance, comme de rester assis sous le soleil en plein midi. La mitsva consiste à s’abstenir de certaines choses, dont la cessation occasionne une certaine souffrance (Yoma 74b ; 76b-77b). Le fondement de cela se trouve dans ce verset : « C’est pour vous un Chabbat solennel (Chabbat chabbaton), et vous mortifierez vos personnes » (Lv 23, 32). Nos sages enseignent : le mot Chabbat signifie (dans ce contexte) que vous vous absteniez[a] de toute nourriture ou boisson ; le mot chabbaton signifie que vous vous absteniez également de certaines autres choses, qui font obstacle à la mortification (Yoma 74a). De plus, de ce qu’il est dit cinq fois, dans la Torah, qu’il y a une mitsva de se mortifier, nos sages apprennent qu’il faut s’abstenir de ces cinq choses (Yoma 76a).

Les décisionnaires sont partagés quant au degré précis de gravité des quatre autres interdits. Selon certains, puisqu’il n’est pas dit explicitement que l’interdit vise le fait de manger et de boire, mais qu’il est généralement dit « vous mortifierez vos personnes », la mitsva toranique inclut l’ensemble des cinq abstentions, comme les sages l’apprennent des versets. Mais selon la majorité des décisionnaires, seuls le fait de manger et le fait de boire sont toraniquement interdits, car c’est dans leur abstention que se trouve la principale mortification. Quoi qu’il en soit, si la Torah n’a pas dit explicitement que la mitsva consiste à s’abstenir de manger et de boire, mais qu’elle consiste à se mortifier, c’est pour nous apprendre que la mortification doit s’exprimer par des abstentions supplémentaires ; et c’est sur cette base que les sages ont interdit les quatre autres actes[1].


[a]. La racine שבת comporte l’idée de cessation, de dessaisissement, d’abstention. Vous « chômerez » de toute prise de nourriture.

[1]. Yoma 76a : « Ces cinq mortifications, à quoi correspondent-elles ? Rav ‘Hisda a dit : “À l’injonction cinq fois répétée par la Torah de mortifier sa personne : a) Nb 29, 7 : Le dixième jour de ce septième mois sera pour vous une convocation sainte, et vous mortifierez vos personnes ; b) Lv 23, 27 : Cependant, le dix de ce septième mois est le jour des expiations ; ce sera pour vous une convocation sainte, et vous mortifierez vos personnes ; c) ibid. 32 : C’est pour vous un Chabbat solennel, et vous mortifierez vos personnes ; d) ibid. 16, 31 : C’est pour vous un Chabbat solennel, et vous mortifierez vos personnes : loi perpétuelle ; e) ibid. 29 : Ce sera pour vous une loi perpétuelle : au septième mois, le dix du mois, mortifiez vos personnes.” »

La deracha (élaboration herméneutique) de l’expression Chabbat chabbaton, rapportée dans le corps de texte, est exposée en Yoma 74a.

De prime abord, il semble ressortir de ces propos de la Guémara que l’ensemble des cinq mortifications ont rang toranique. Et c’est en effet l’opinion du Chéïltot, du Halakhot Guedolot, du ‘Itour et du Séfer Yeréïm.

D’autres tiennent en revanche ce raisonnement : dans la mesure où c’est uniquement pour le fait de manger ou de boire que l’on est passible de karet (retranchement) ou de ‘hatat (sacrifice expiatoire) – comme les sages le tirent du verset « J’anéantirai cette personne (néfech) » (Lv 23, 30) : la sanction du retranchement ne s’applique qu’aux cas de mortification tels que, si on les prolongeait longtemps, il y aurait anéantissement de la personne (Yoma 74b) –, il apparaît que seuls  lesdits interdits sont toraniques. De plus, nous voyons que Rabbi Éliézer était indulgent à l’égard du roi d’Israël et de l’épousée (la kala), les autorisant à se laver le visage, et à l’égard de l’accouchée, l’autorisant à mettre des chaussures. De même, les sages ont permis de laver et d’oindre les enfants ; or, si ces actes étaient toraniquement interdits, il serait aussi interdit de donner ces soins aux enfants. Aussi Rabbénou Tam, Rabbénou Yits’haq, le Riva, le Rachba, le Roch, le Ritva, le Méïri et le Séfer Ha’hinoukh estiment-ils que les quatre interdits supplémentaires sont de rang rabbinique, et que les versets cités par le Talmud ne le sont qu’à titre d’appui (asmakhta) apporté à une norme rabbinique.

Quant à ceux qui tiennent que l’interdit est toranique, ils expliquent que la Torah a donné autorité aux sages pour définir en quoi consistent les interdits ; c’est pourquoi les sages peuvent lever ces interdits dans certains cas (Rabbénou Nissim). Et le fait que l’on n’encoure point la peine de karet pour la transgression de ces quatre interdits supplémentaires s’explique par le fait que, tant que l’on ne mange ni ne boit, la principale mortification s’accomplit encore.

Il semble, à notre humble avis, que tous les décisionnaires s’accordent à dire que le fondement de ces quatre interdits est toranique, et que ses détails d’application sont rabbiniques. Aussi la Torah a-t-elle été laconique, se contentant d’exprimer cette mitsva en des termes de mortification, termes incluant toute abstention qui entraîne quelque souffrance, et non seulement celle de manger et de boire. Simplement, pour la majorité des décisionnaires, l’obligation proprement toranique porte sur le fait de manger et de boire, puisque c’est le lieu de la principale souffrance ; tandis que, s’agissant des autres abstentions entraînant quelque souffrance, la Torah a laissé aux sages le soin de les définir, tout en faisant allusion, dans les versets, au fait qu’il y a lieu d’interdire cinq choses. D’autres auteurs, en revanche, estiment que ces quatre interdits eux-mêmes sont véritablement inclus dans la mitsva toranique : s’abstenir de ces actes participe de la mitsva de mortification ; simplement, dans la mesure où ils ne constituent pas la mortification principale, il a été confié aux sages d’en définir les conditions.

02. Se laver

Toute ablution destinée au plaisir est interdite, le jour de Kipour, qu’elle soit faite à l’eau chaude ou à l’eau froide ; il est même interdit de laver une partie du corps, ou même de mettre le petit doigt dans l’eau. Mais si l’on s’est sali avec de la boue, ou quelque excrément, ou que l’on ait saigné du nez, on est autorisé à laver l’endroit souillé, puisque l’intention est ici d’ôter la souillure et non de créer une jouissance. De même, quand on change la couche d’un bébé, on nettoie l’endroit souillé, puis on se lave les mains au savon, afin d’ôter la salissure. Et bien que chaque ablution destinée à ôter une souillure entraîne quelque plaisir, cela n’est pas considéré comme une ablution de plaisir, puisque l’intention essentielle est d’enlever la saleté (Choul’han ‘Aroukh, Ora’h ‘Haïm 613, 1).

De même, quand on prépare la nourriture d’un enfant, il est permis de rincer à cette fin les aliments et les ustensiles, puisqu’il ne s’agit pas d’une ablution de plaisir.

Si l’on a beaucoup transpiré, au point d’en être importuné et d’en souffrir beaucoup, on est autorisé à laver l’endroit où l’on a transpiré, puisque l’intention n’est pas de se laver pour le plaisir (Michna Beroura 613, 2, Cha’ar Hatsioun 4).

De même, si l’on est particulièrement sensible, et que l’on ne saurait être serein sans s’être rincé le visage le matin, on sera autorisé à se passer de l’eau sur le visage ; mais si l’on peut être rigoureux en s’en abstenant, on sera béni pour cela.

Si, au cours du sommeil, se sont formées des dépôts aux coins des yeux, et qu’on ne puisse les ôter sans eau, on sera autorisé à les ôter à l’aide d’un peu d’eau (Choul’han ‘Aroukh et Rama 613, 4, Michna Beroura 9).

On ne se rincera pas la bouche, à Kipour, en raison de l’interdit de se laver, mais aussi parce qu’il est à craindre que, à l’occasion de ce rinçage, on n’avale une goutte d’eau. Même si l’on sait que de sa bouche émane une mauvaise odeur, et qu’on s’en afflige beaucoup, on ne pourra se rincer la bouche. Le conseil que l’on peut donner, en ce cas, est de se brosser les dents avec une brosse sèche[2].

Une épousée, dans les trente premiers jours de son mariage, est autorisée à se laver le visage, si elle craint que, en ne le faisant pas, elle ne soit objet de dégoût pour son mari ; en effet, cette ablution ne viserait pas le plaisir, mais le seul fait de n’être point être repoussante aux yeux son mari[3].

Il est permis de prendre une serviette un peu humide, par exemple une serviette avec laquelle on s’est essuyé les mains, et de la faire passer sur ses yeux et sur son visage afin de les nettoyer quelque peu et de se rafraîchir. En effet, l’interdit de se laver ne porte pas sur une telle humidité faible. Cela, à la condition que cette serviette ne soit pas humide au point de pouvoir créer une « humidité seconde » (toféa’h ‘al menat lehatpia’h), c’est-à-dire qu’elle ne soit pas mouillée au point de pouvoir mouiller la main qui, à son tour, pourra mouilla quelque autre chose (Choul’han ‘Aroukh 613, 9). En général, dans les lingettes humectées elles-mêmes, on trouve une humidité du degré de toféa’h ‘al menat lehatpia’h ; aussi est-il interdit de s’en servir pour le plaisir ou pour se rafraîchir. Mais il est permis de s’en servir pour ôter de la saleté ou quelque souillure. Si les lingettes ont séché, au point que leur humidité ne soit plus du degré de toféa’h ‘al menat lehatpia’h, il sera même permis de se rafraîchir quelque peu à leur contact.


[2]. Certes, durant les jeûnes courts, on peut être indulgent et se laver les dents avec de l’eau, afin d’ôter la mauvaise odeur, tout en faisant attention de ne pas avaler de gouttes d’eau. Certes, il est clair que l’on avale, ce faisant, un peu de cette eau. En effet, après que la bouche est humidifiée, un peu de l’eau qui se trouvait à l’intérieur de sa bouche se mêle à la salive. Mais puisque l’intention ne porte pas sur cela, on peut, en cas de nécessité, être indulgent pendant les jeûnes courts ; et, en cas de grande souffrance, on peut même étendre l’indulgence jusqu’au jeûne du 9 av (Pniné Halakha – Zemanim, Fêtes et solennités juives I, chap. 7 § 5). Mais à Kipour, où même la boisson du moindre liquide est interdite par la Torah, on ne peut être indulgent. Le Séfer Mitsvot Qatan (221) cité par le Beit Yossef (613, 4) écrit ainsi qu’il est interdit de se rincer la bouche et de se laver les dents, « car même l’ingestion d’une quantité minime est toraniquement interdite, or il est à craindre que de l’eau ne parvienne à sa gorge », de sorte que l’on enfreindrait un interdit toranique. Si l’on n’avait aucune intention d’avaler de l’eau, c’est un interdit rabbinique que l’on enfreindrait ; mais puisque le fondement de l’interdit est toranique, il faut être rigoureux.

Ceux à qui un brossage à l’aide d’une brosse sèche n’est pas utile, et qui souffrent beaucoup de la mauvaise odeur, pourront se brosser les dents avec de l’eau mêlée d’un peu de savon. De cette manière, le goût de l’eau s’altère entièrement, et, si l’on venait à en avaler, c’est un mauvais goût que l’on sentirait, de sorte qu’il n’y aurait pas d’interdit.

[3]. C’est l’opinion de Rabbi Eliézer (Yoma 78b), et c’est en ce sens que tranchent le Rif, Maïmonide et le Roch. Mais certains Richonim (Rabbi Yits’haq ibn Ghiat, Séfer Mitsvot Gadol) tranchent suivant l’opinion de la communauté des sages (‘Hakhamim), qui sont rigoureux. Le Choul’han ‘Aroukh 613, 10 est indulgent. Cependant, le ‘Hayé Adam 145, 15 écrit que, si l’époux ne voit pas son épouse de la journée, il n’y a pas lieu d’être indulgent à cet égard.

03. Se laver pour les besoins d’une mitsva

Pour les besoins d’une mitsva, il est permis de se laver les mains traditionnellement. Par conséquent, les cohanim (prêtres) sont autorisés à se laver chaque main à l’approche de la bénédiction sacerdotale (Birkat cohanim) (Rama 613, 3, Choul’han ‘Aroukh 128, 6). Mais si l’on a eu une émission séminale pendant Kipour, et quoique, en tout autre jour, on aurait eu coutume de s’immerger au bain rituel (miqvé), on ne s’immergera pas durant Kipour, car une coutume pieuse ne saurait repousser l’interdit de se laver[b]. De même, une femme isolée par son flux (nida) et dont la date d’immersion tomberait à Kipour, repoussera son miqvé à l’issue du jeûne (Choul’han ‘Aroukh 613, 11-12)[4].

Le matin, au réveil, on se lave les mains traditionnellement : trois fois alternées sur chaque main, jusqu’à l’articulation métacarpo-phalangienne (qui relie les doigts au reste de la main). En effet, un esprit d’impureté (roua’h ra’a) repose sur les mains, après le sommeil nocturne, et cet esprit d’impureté risque de porter atteinte aux ouvertures du corps[c] avec lesquelles les mains entreraient en contact. Or pour l’éliminer, il faut laver chaque main, trois fois par alternance[d]. Après avoir fait ses besoins aux toilettes, on se relave les mains selon la même méthode, et l’on récite la bénédiction : Baroukh… ‘al nétilat yadaïm. En effet cette ablution est une mitsva, puisque nos sages ont institué une ablution des mains, assortie d’une bénédiction, à l’approche de la prière du matin (cf. La Prière d’Israël, 8, 4, note 2). Et bien que, le reste de l’année, nous ayons l’habitude d’accomplir la mitsva avec un supplément de perfection, en lavant à chaque fois toute la main, on se contente, à Kipour, de verser l’eau sur les doigts, y compris sur les articulations qui les relient au reste de la main. Cela parce que, si l’on s’en tient à la stricte règle, une telle ablution, limitée aux doigts, suffit aussi bien à la propreté qu’à l’élimination de l’esprit d’impureté (Choul’han ‘Aroukh 613, 2). Il est vrai que, en général, lorsqu’on a l’intention de se laver les mains jusqu’aux articulations métacarpo-phalangiennes incluses, une petite partie du reste de la main est, elle aussi, mouillée ; mais aucune transgression n’est à craindre à cet égard, puisque l’intention ne porte pas sur cela.

Si l’on touche une partie de son corps ordinairement couverte, partie où de la sueur peut s’être agrégée, on est considéré comme ayant touché un endroit souillé. Si l’on veut, après cela, prononcer des paroles saintes, on devra se relaver les mains. En effet, c’est pour les besoins d’une mitsva qu’on se les lavera, et non pour le plaisir (Michna Beroura 613, 5-6, Kaf Ha’haïm 6, La Prière d’Israël 5, 2). Un doute s’est présenté quant au cas suivant : si l’on est allé aux toilettes, mais que l’on n’ait pas touché, de ses mains, d’endroits ordinairement couverts, peut-être n’est-il pas besoin de se laver les mains rituellement, puisque ses mains n’ont pas été en contact avec un endroit souillé ? Pour sortir du doute, il est juste que celui qui va aux toilettes touche, de son doigt, quelque endroit de son corps ordinairement couvert ; ensuite, il pourra, de l’avis de tous, se laver les mains jusqu’aux articulations métacarpo-phalangiennes incluses, afin de pouvoir réciter, en état de propreté, la bénédiction Acher yatsar (Choul’han ‘Aroukh 613, 3, Michna Beroura 4)[5].


[b]. En ce cas, on pourra nettoyer à l’eau froide les endroits souillés du corps.

[4]. Au traité Yoma 88a, nos sages disent que celui qui a eu une pollution séminale s’immerge, le jour de Kipour. C’est en ce sens que tranche, en pratique, Rabbi Yehouda Barceloni. Et pour ceux qui seraient tourmentés, et qui ont l’habitude constante, en cas de pollution séminale, de se tremper au miqvé, le Maharil, le Mahari Weil et le Mahari Bruna 49 l’autorisent. C’est aussi en ce sens que tranche le Rav Pe’alim, Ora’h ‘Haïm II 61 ; et c’est aussi ce que, parfois, prescrivent les Hassidim (Pisqé Techouvot 613, 6, note 23). Cependant, de nombreux Richonim interdisent cela, parce que l’autorisation formulée par la Guémara se rapporte à une époque où l’on se conformait au décret d’Ezra, d’après lequel, en cas de pollution séminale, il faut s’immerger au miqvé ; tandis que, de nos jours, où nous n’avons plus cette obligation, un usage dicté par la piété ne saurait annuler la halakha interdisant de se laver à Kipour. En effet, une coutume peut avoir pour effet d’interdire ce qui, en principe, est permis, mais non de permettre ce qui est interdit (Maïmonide, Chevitat Hé’assor 3, 3 ; Rabbénou Tam, Maharam, Mordekhi, Hagahot Maïmoniot). C’est en ce sens que se prononce le Choul’han ‘Aroukh 613, 11, et telle est la position d’une majorité décisive d’A’haronim.

S’agissant d’une immersion au miqvé destinée à passer de l’impureté rituelle à la pureté : selon une majorité de Richonim, s’immerger au temps prescrit est une mitsva, et celle-ci repousse l’interdit de se laver. Mais selon Rabbénou Tam, cela ne repousse pas l’interdit. Cependant, pour ceux-là même qui tiennent que, fondamentalement, se tremper au temps prescrit est une mitsva, Tossephot (sur Beitsa 18b) estime que ce n’est plus, de nos jours, une mitsva, car tout le monde a contracté l’impureté liée au contact d’un mort, de sorte que l’immersion, de ce point de vue, n’a pas pour effet de purifier.

Quant à l’immersion faite de nos jours par les femmes pour quitter le statut de nida, elle n’a pas véritablement lieu en son temps. En effet, nous sommes rigoureux, et exigeons que la femme nida compte sept jours propres, comme si elle avait le statut de zava (flux sanguin étranger au cycle menstruel, et cause d’impureté rituelle majeure). Le sujet est résumé par le Beit Yossef, Ora’h ‘Haïm 554, 8, et c’est en ce sens que tranche le Choul’han ‘Aroukh 613, 12.

[c]. Telles que les yeux, les oreilles, les narines, la bouche, le méat urinaire et l’anus.

[d]. On verse de l’eau, à l’aide d’un récipient, sur la main droite, puis sur la gauche, puis de nouveau à droite, à gauche, à droite et à gauche.

[5]. De nombreuses règles font l’objet de controverse. Nous en mentionnerons ici quelques-unes ; puis nous exposerons la halakha.

Selon la majorité des décisionnaires, il n’est nécessaire de verser l’eau, après avoir fait ses besoins aux toilettes, qu’une fois sur chaque main ; et certains ont coutume de verser l’eau trois fois sur chaque main (cf. Michna Beroura 4, 39). De même, le jour de Kipour, la majorité des décisionnaires estiment que l’on doit se laver les mains en versant l’eau une fois sur chaque main ; mais certains disent qu’il faut trois fois (Hilkhot ‘Haguim 45, 25). Cf. La Prière d’Israël 8, 3-5, note 2. Si l’on a touché, de son doigt, quelque endroit de son corps habituellement recouvert, certains disent que l’on se lavera rituellement cette seule main, jusqu’aux articulations métacarpo-phalangiennes (‘Hayé Adam 40, 18, Michna Beroura 613, 6). D’autres estiment qu’il faut laver les deux mains, car c’est aux deux mains que s’étend l’esprit d’impureté (Chné Lou’hot Habrit, Yafé Lalev ; cf. Kaf Ha’haïm 4, 86). De même, si l’on touche du doigt sa chaussure, même si elle est de toile, certains disent qu’on devra laver cette seule main rituellement, tandis que d’autres sont d’avis qu’on lavera les deux mains.

Il existe d’autres doutes, par exemple quant au fait de savoir si celui qui touche un endroit du corps ordinairement recouvert, mais où il n’y a aucun agrégat de sueur, doit néanmoins se laver les mains rituellement (cf. La Prière d’Israël 5, note 2).

De prime abord, il y a lieu d’objecter, à l’égard de ceux qui estiment permis de se laver les mains, que, du point de vue de la stricte règle halakhique, celui qui touche à quelque endroit du corps où se trouve un agrégat de sueur, et qui voudrait ensuite prononcer des paroles saintes, peut se contenter de se frotter les mains dans une serviette, ou quelque autre tissu du même genre (Choul’han ‘Aroukh 4, 23 et Michna Beroura 61). Mais il semble que, dans tous les cas où la personne a l’habitude, au cours de l’année, de se laver rituellement les mains, il lui soit permis de le faire également à Kipour, bien que, si l’on s’en tenait à la stricte obligation, on pût se contenter de se frotter les mains dans quelque tissu ayant pour effet de nettoyer. En effet, cette ablution est faite pour les besoins d’une mitsva, et non pour le plaisir. Mais pour qui a l’habitude de se contenter, parfois, de se frotter les mains dans une serviette, il sera interdit de se laver les mains rituellement à Kipour, en un tel cas, puisque cette ablution n’est pas à proprement parler une mitsva pour cette personne. Par conséquent, la plupart de ces débats portent, en définitive, sur la question de savoir quelle est notre pratique habituelle durant toute l’année. D’après cela, il y a lieu de se demander pourquoi le Choul’han ‘Aroukh est rigoureux, exigeant que l’on se lave rituellement les mains le matin au lever, et après s’être rendu aux toilettes, jusqu’aux articulations métacarpo-phalangiennes seulement, alors que la coutume généralement appliquée durant l’année est de laver toute la main. Il y a lieu de dire que, à la différence des doutes que nous avons cités, et qui portent sur la loi, le Choul’han ‘Aroukh estime que l’ablution de toute la main est une simple rigueur que l’on s’impose ; aussi faut-il, à Yom Kipour, se contenter de se laver les mains en se limitant à la stricte exigence de la loi ; et la majorité des A’haronim s’accordent avec ses propos.

Certes, on rapporte au nom de Rabbi Isaac Louria qu’il faut se laver rituellement toute la main afin de se défaire de l’esprit d’impureté. Mais on explique que, le jour de Kipour, l’esprit d’impureté est affaibli ; aussi suffit-il, à Kipour, de verser l’eau sur les doigts et l’articulation qui les relie à la main (Ben Ich ‘Haï, Toledot 2 ; Kaf Ha’haïm 4, 14 ; cf. Min’hat Yits’haq X 45).

04. Onction et parfums

Il est interdit de s’oindre, ne serait-ce que sur une petite partie du corps, d’huile ou de quelque autre matière destinée à nourrir la peau (Choul’han ‘Aroukh 614, 1). Bien entendu, tous les types de maquillage qui sont interdits le Chabbat, au titre de la mélakha de teindre ou de celle d’enduire, sont également interdits à Kipour, puisque tous les interdits de Chabbat s’appliquent aussi à Kipour (Les Lois de Chabbat I 14, 4).

Si l’on souffre de démangeaisons, on est autorisé à s’oindre, à Kipour, d’huile liquide (Yoma 77b) ; cela, à la condition que ce ne soit pas constitutif de l’interdit d’administrer un soin médical, car la règle applicable à Kipour est semblable à celle de Chabbat, or nos sages ont décrété, s’agissant de la personne peu souffrante, qu’elle ne fasse pas usage de médicaments, le Chabbat, de crainte qu’elle n’en vienne à piler des plantes médicinales. Par conséquent, il est permis à ceux qui souffrent de démangeaisons d’oindre leur peau d’une huile dont les personnes bien portantes elles-mêmes oignent parfois leur corps, car une telle onction n’est pas considérée comme un acte médical. Si la démangeaison dérange la personne au point qu’elle souffre véritablement, il lui sera permis de s’oindre la peau d’une huile médicinale fabriquée en usine (Les Lois de Chabbat II 28, 5).

Il est interdit, au titre de l’interdit de se laver, d’utiliser un parfum ou un déodorant destiné à donner une bonne odeur au corps. En effet, ces produits laissent sur la peau aspergée une humidité telle que celui qui la toucherait serait, à son tour, mouillé, ce qui constitue le degré de toféa’h ‘al menat lehatpia’h[e]. Mais s’il s’agit d’ôter une mauvaise odeur, il est permis de s’en servir, de même qu’il est permis de laver un endroit du corps qui s’est sali, puisqu’alors ce n’est pas pour le plaisir ni pour se rafraîchir que l’on se lave, mais pour ôter la souillure ou la mauvaise odeur (cf. § 2). Il est de même permis de s’asperger la peau d’une lotion anti-moustique, puisque l’intention n’est pas le plaisir, mais de se protéger des moustiques[6].


[e]. Sur cette notion, cf. ci-dessus, dernier alinéa du paragraphe 2.

[6]. Bien qu’il soit permis de se laver, dans le cas où cela n’est pas pour le plaisir, le fait de s’oindre, même quand ce n’est pas pour le plaisir, est interdit, comme l’explique le Talmud de Jérusalem (Yoma 8, 1). C’est ce qu’écrivent Maïmonide, le Choul’han ‘Aroukh 614, 1 et le Michna Beroura 1. En effet, le plaisir que l’on tire de l’onction est grand ; aussi, ceux-là même qui ont pour intention de s’oindre pour retirer quelque souillure en tirent du plaisir, de sorte que c’est interdit (Maguen Avraham). Ce n’est que dans le cas où l’onction ne vise aucunement le plaisir – par exemple si la visée est thérapeutique –, que l’interdit de s’oindre ne s’applique pas. Selon le Baït ‘Hadach et le Touré Zahav, il n’y a pas de différence à faire entre le fait de s’oindre et le fait de se laver : même quand le propos de l’ablution est de retirer quelque salissure légère, c’est interdit ; mais quand la salissure est grande, il est permis de la retirer, aussi bien en se lavant qu’en s’oignant. Le Michna Beroura (613, 2) tranche en pratique comme le Maguen Avraham. Quoi qu’il en soit, de nos jours, on ne se sert plus d’huile pour se défaire d’une souillure.

Si l’on a changé la couche d’un enfant, et que l’on en ait contracté une mauvaise odeur sur sa main, il sera permis de laver cette main avec du savon liquide. Il n’est pas à craindre, en ce cas, d’enfreindre l’interdit de s’oindre, car on n’utilise pas alors d’huile, qui soit absorbée par le corps ; quant à l’odeur du savon, elle est destinée à dissiper la mauvaise odeur. Mais il est interdit, au titre de l’onction, d’utiliser un savon contenant une quantité de crème telle qu’on en ressent ensuite la présence sur la main.

Certains auteurs ont prescrit de ne pas utiliser de parfum ni de déodorant, sans expliquer si c’est au titre de l’onction (sikha) ou à celui de l’ablution (re’hitsa) (Rav Abba Chaoul, Rav Dablitzki). Selon le Pisqé Techouvot 614, 1, c’est au titre de l’onction. Le Chémech Oumaguen III 56 écrit, dans le même sens, qu’il est interdit, au titre de l’onction, de vaporiser du parfum sur son bras. Cependant, nous ne voyons d’onction que dans le cas où la matière est destinée à nourrir la peau, tandis que le parfum à base d’alcool et le déodorant ne sont pas destinés à cela. Par conséquent, il semble que tout le débat, concernant ces produits, touche au seul interdit de se laver ; ainsi, le ‘Hida autorise les cohanim qui doivent se laver les mains avant de procéder à la bénédiction sacerdotale, à laver leurs mains avec une eau mêlée d’eau de rose, afin de donner aux mains une bonne odeur (‘Haïm Chaal I 74). On voit donc bien que le fait de conférer une bonne odeur n’est pas constitutif de l’interdit d’onction. Par conséquent, le déodorant, qui humidifie le corps au degré de toféa’h ‘al menat lehatpia’h [c’est-à-dire que le corps mouillé par lui peut mouiller à son tour quelque autre chose] est interdit au titre de l’ablution (re’hitsa). Mais si le but poursuivi est de dissiper une mauvaise odeur, cela devient permis (c’est ce qui semble ressortir des propos du Rav Chelomo Zalman Auerbach, Halikhot Chelomo, Bein hamétsarim 14, note 56 ; c’est aussi ce qu’écrit en son nom le ‘Hazon Ovadia 4, Ta’aniot p. 295, et ce qu’écrit le Rav Nebenzahl dans Yerouchalaïm Oumo’adéha, p. 274).

À notre humble avis, une femme qui craindrait, en n’utilisant point de parfum, de répandre une mauvaise odeur et d’être mal perçue, est autorisée à faire usage d’un parfum ou d’un déodorant liquide afin de prévenir l’apparition d’une telle odeur. Un vaporisateur déodorant à sec, qui ne mouille pas le corps, est d’usage permis à Kipour. Si le déodorant est solide et qu’il faille l’étaler, c’est interdit au titre du fait d’enduire (memaréa’h) (Les Lois de Chabbat I 14, 5, note 3).

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