Zmanim

08. Femmes enceintes et femmes qui allaitent, le 9 av et les jours de jeûne court

Le 9 av, les femmes enceintes et les femmes qui allaitent doivent, elles aussi, jeûner. En effet, seuls les malades sont dispensés du jeûne ce jour-là, tandis que les femmes enceintes ou qui allaitent, tant qu’elles n’ont pas de faiblesse particulière, sont considérées comme bien-portantes. En revanche, les femmes enceintes ou qui allaitent sont dispensées des jeûnes courts. La raison en est que, fondamentalement, les prophètes ont ordonné d’observer ces jeûnes quand de durs décrets pèseraient sur le peuple juif ; tandis que, dans les périodes où il n’y a pas de tels décrets, ces jeûnes dépendent de la volonté du peuple. Et effectivement, le peuple juif a adopté la coutume de jeûner, ces jours-là, et a pris sur lui cette obligation, jusqu’à ce que le Temple soit reconstruit, bientôt et de nos jours. Or, dès que le peuple adopta cette coutume, il fut admis que les femmes enceintes ou qui allaitaient ne jeûneraient pas, car le jeûne est plus difficile pour elles.

Certes, dans les communautés ashkénazes, de nombreuses femmes enceintes ou qui allaitaient prirent l’usage d’être rigoureuses envers elles-mêmes, et de jeûner, même durant les jeûnes courts. Peut-être cette coutume est-elle due aux durs décrets dont souffrirent les communautés ashkénazes. Quoi qu’il en soit, de nos jours, l’usage courant, y compris parmi les Ashkénazes, est que les femmes enceintes ou qui allaitent ne s’astreignent pas aux jeûnes courts. Même celles qui voudraient être rigoureuses feront bien de ne pas jeûner si elles éprouvent quelque difficulté à le faire. Dès l’instant où une femme apprend qu’elle est enceinte, elle est dispensée de jeûner[10].

La dispense faite à la femme qui allaite à l’égard des jeûnes courts se prolonge tant qu’elle allaite son enfant. Même quand le bébé reçoit également de la nourriture autre, la femme reste dispensée du jeûne, tant qu’elle n’a pas cessé sa période d’allaitement. Certains auteurs, indulgents, permettent à toute femme ayant accouché de s’abstenir de jeûner, pendant les vingt-quatre mois qui suivent l’accouchement. Selon eux, la dispense ne dépend pas du fait de nourrir l’enfant, mais de l’épreuve que constitue l’accouchement ; or la convalescence dure vingt-quatre mois.

En pratique, les décisionnaires rigoureux sont nombreux, qui obligent toute femme ayant cessé d’allaiter à jeûner, y compris durant les jeûnes courts. Tel est l’usage répandu. Mais celle qui souhaite être indulgente a sur qui s’appuyer, puisque plusieurs grands décisionnaires sont indulgents en cela[11].


[10]. Il est vrai que, généralement, est considérée comme enceinte la femme dont la grossesse est reconnaissable, c’est-à-dire après trois mois. Mais dans le cas présent, les A’haronim écrivent que, c’est en général dans les premiers mois, précisément, que les douleurs de la grossesse sont les plus grandes, et que le risque de fausse-couche est le plus élevé. Aussi, il semble que celle qui sait avec certitude qu’elle est enceinte – par exemple dans le cas où elle a fait un test de grossesse –, est dispensée du jeûne.

Certes, selon le Michna Beroura 550, 3 (Cha’ar Hatsioun 2), on n’est indulgent avant le quarantième jour que si l’on souffre beaucoup (dans un tel cas, on endosse nécessairement le statut du malade).

Mais à notre humble avis, cette directive s’explique par le fait que, à l’époque, on ne possédait pas de certitude d’être enceinte si tôt. Si la chose était certaine, en revanche, le risque de fausse-couche était déjà présent ; de même, il était alors clair que les indispositions provenaient de la grossesse. Dans ces conditions, la femme était dispensée de jeûner, en qualité de femme enceinte. Le Miqraé Qodech du Rav Harari (1, note 10) s’exprime en ce sens, au nom du Rav Mordekhaï Elyahou.

Selon Rabbénou Yerou’ham, le Radbaz et plusieurs autres décisionnaires, il est interdit à la femme enceinte et à la femme qui allaite de jeûner, les jours de jeûne court (cf. Torat Hamo’adim 2, 2). Pour le Rama, on a coutume d’être rigoureux, et de jeûner. Selon les A’haronim (‘Hayé Adam 133, 6, ‘Aroukh Hachoul’han 550, 1), les femmes en bonne santé ont l’usage d’être rigoureuses, mais celles qui souffrent un peu sont dispensées de cet usage rigoureux ; toutefois, il ne leur est pas interdit de jeûner ; quant à celles qui souffrent beaucoup, il leur est interdit d’être rigoureuses.

De nos jours, la directive répandue, pour les femmes ashkénazes, est de ne pas jeûner. Cf. Pisqé Techouvot 550, 1, qui cite des opinions extrêmement indulgentes, selon lesquelles toutes les femmes susceptibles d’enfanter sont dispensées de jeûner, afin qu’elles aient la force d’enfanter. Selon certains auteurs, la femme enceinte rachètera son jeûne en versant une somme à une œuvre de bienfaisance. Quoique l’on n’ait pas l’usage de donner de semblables directives, on pourra, en cas de doute, joindre l’avis de ces auteurs à d’autres facteurs d’indulgence.

[11]. Les auteurs indulgents sont : le Maharcham (Da’at Torah 550) et le Ye’havé Da’at I 35. Cf. la note précédente. Toutefois, si l’on s’en tient à une conception simple de la halakha, seules les femmes qui allaitent sont dispensées. Telle est l’opinion de la majorité des décisionnaires, tels que le Rav Mordekhaï Elyahou, Hilkhot ‘Haguim 24, 35. Cf. Miqraé Qodech du Rav Harari, 1, 4, qui résume les opinions.

09. Mineurs, nouveaux mariés et soldats

Les mineurs, qui ne sont pas encore parvenus à l’âge des mitsvot, sont dispensés des jeûnes institués par nos sages. Ceux-ci n’ont d’ailleurs pas édicté d’obligation pour les parents d’éduquer leurs petits enfants aux jeûnes, en les faisant jeûner quelques heures durant ces jours. C’est seulement à l’égard du jour de Kipour, lequel est une mitsva toranique, que les sages font obligation d’éduquer les enfants au jeûne avant qu’ils ne parviennent à l’âge des mitsvot. En revanche, pour les jeûnes d’institution rabbinique, les sages n’obligent pas à y éduquer les enfants. Malgré cela, nombreux sont ceux qui ont l’usage de les éduquer au jeûne, pendant quelques heures, suivant leur force ; mais ils ne jeûneront pas toute la journée (Rabbi Mena’hem Azaria da Fano 111, cf. Kaf Ha’haïm 554, 23). Quand on fait manger les enfants, on ne leur donne que des aliments simples, afin de les éduquer à prendre le deuil avec la communauté (Michna Beroura 550, 5).

Les nouveaux mariés, eux aussi, doivent observer ces jeûnes. Bien que se réjouir pendant les sept jours de festin consécutifs aux noces soit pour eux une mitsva – de sorte qu’il leur est interdit de se fixer un jeûne individuel, durant ces jours –, il leur faut observer les jeûnes publics, car le deuil collectif a priorité sur la joie individuelle. De plus, les nouveaux mariés ont une obligation particulière de se souvenir de la destruction du Temple, comme il est dit : « Si je ne place Jérusalem à la tête de ma joie » (Ps 137, 6 ; Ritva, Béour Halakha 549, 1 ; pour le jeûne d’Esther, en revanche, de nombreux décisionnaires sont indulgents : cf. ci-après chap. 14 § 12).

La règle est la même s’agissant des personnes qui sont parties prenantes à une circoncision : le père de l’enfant, le sandaq (celui qui porte l’enfant sur ses genoux) et le mohel (circonciseur) : ils doivent, eux aussi, respecter les jours de jeûne. Même règle pour le rachat du premier-né : il est interdit à celui qui rachète son fils un jour de jeûne de manger. Toutefois, en ce cas, on a coutume de procéder à la circoncision ou au rachat peu de temps avant la fin du jeûne, et d’offrir le repas festif qui s’ensuit après la tombée de la nuit[12].

Les soldats qui se livrent à une action sécuritaire, qui risquerait d’être perturbée en raison du jeûne, mangeront et boiront comme à l’habitude, afin de pouvoir remplir leur mission convenablement. Mais les soldats qui sont à l’entraînement ont l’obligation de jeûner.


[12]. Selon le Gaon de Vilna (fin du chap. 686), les personnes parties prenantes à une circoncision (les ba’alé habrit) et les nouveaux mariés le jour de leurs noces ne sont pas tenus de jeûner, les jours de jeûne court ; mais pour la majorité des décisionnaires, ils y sont tenus. En revanche, quand le jeûne est repoussé, même s’il s’agit du 9 av, il est permis aux ba’alé habrit ou aux nouveaux mariés de manger après l’office de Min’ha, selon le Choul’han ‘Aroukh 559, 9. Quoique certains décisionnaires soient rigoureux à cet égard, les auteurs indulgents sont nombreux, comme l’explique le Kaf Ha’haïm 559, 74. C’est aussi ce qu’écrivent le Michna Beroura et le Torat Hamo’adim 2, 5-6.

Mais en pratique, le ‘Aroukh Hachoul’han 559, 9 écrit : « Quoi qu’il en soit, nous n’avons ni vu ni entendu que quiconque fît ainsi, en particulier dans nos contrées, où la plupart des repas festifs ont lieu le soir. Cela est vrai, non seulement du 9 av, mais de tout jeûne, même repoussé : on n’y fait aucun repas, que cela soit à l’occasion d’une circoncision ou du rachat d’un premier-né, ce jusqu’à la tombée de la nuit. Telle est la coutume ordinaire, qu’il n’y a pas lieu de changer. » Cf. ci-après, chap. 10, note 28. Si le jeûne repoussé tombe pendant les sept jours de joie consécutifs aux noces, les décisionnaires sont partagés quant au fait de savoir si les nouveaux mariés doivent jeûner toute la journée. Nombre d’auteurs sont indulgents, parmi lesquels le Gaon de Vilna ; et si l’on souhaite être indulgent, on y est autorisé. Les époux jeûneront alors jusqu’à l’heure de Min’ha guedola [une demi-heure solaire après le milieu du jour] et mangeront ensuite (cf. Pisqé Techouva 549, 2). À plus forte raison, pour le jeûne d’Esther, on est indulgent a priori (Cha’ar Hatsioun 686, 16).

10. ‘Anénou

Nos sages ont ajouté une bénédiction particulière au jeûne : ‘Anénou (« Réponds-nous »). Elle s’insère dans la répétition de la ‘Amida, à Cha’harit et à Min’ha, entre les bénédictions Goel Israël (« Béni sois-Tu… qui délivres Israël ») et Refaénou (« Guéris-nous… »). On récite cette bénédiction, à la condition qu’il se trouve au moins six fidèles qui aient jeûné ; l’officiant lui-même doit faire partie des jeûneurs (Choul’han ‘Aroukh 566, 5)[13].

En revanche, dans la prière dite par chaque fidèle à voix basse, on ne récite pas ‘Anénou comme bénédiction autonome : on inclut ce texte au sein de la bénédiction Choméa’ téphila (« Béni sois-Tu… qui écoutes la prière ») (Ta’anit 13b). Quant au fait de savoir à quels offices on récite ‘Anénou, les coutumes divergent. Selon certains, il y a lieu de dire ‘Anénou à chacun des trois offices du jour de jeûne ; et bien que, le soir qui précède le jeûne, on ne jeûne pas encore, on récite ‘Anénou, puisque ce jour est appelé jour de jeûne (tsom). Tel est l’usage des Yéménites et d’une partie des communautés séfarades. Pour une autre partie des communautés séfarades, on ne récite ‘Anénou que pendant le temps du jeûne proprement dit. Par conséquent, durant les jeûnes courts, on ne dit ‘Anénou qu’à l’office du matin, Cha’harit, et à celui de l’après-midi, Min’ha ; le 9 av, on récite également ‘Anénou à l’office du soir, ‘Arvit (d’après Rabbi Zera’hia Halévi et le Kaf Ha’haïm 565, 17). Suivant la coutume ashkénaze, on récite ‘Anénou à Min’ha seulement, car on craint que certains, qui auraient récité ‘Anénou à l’office du matin, ne se sentent faibles et n’en viennent à rompre le jeûne, de sorte qu’elles auraient prononcé de vaines paroles le matin, en disant « au jour de notre jeûne ». Par conséquent, on a coutume de ne réciter ‘Anénou qu’à Min’ha car, si l’on a jeûné jusqu’alors, on peut supposer que l’on terminera le jeûne (d’après les Guéonim et Rachi ; Rama 565, 3). Chacun perpétuera la tradition de ses pères.

Dans le cas où l’on a mangé ou bu, un jour de jeûne : si l’on a mangé une quantité de nourriture inférieure à la mesure d’un kazaït[b], ou que l’on ait bu une quantité de liquide inférieure à la mesure de melo lougmav[c], on n’est pas considéré, a posteriori, comme ayant rompu le jeûne ; on récitera donc ‘Anénou. Mais si l’on a mangé ou bu davantage, on aura rompu le jeûne, et l’on ne pourra donc plus réciter ‘Anénou. (Quoi qu’il en soit, on devra poursuivre le jeûne ; cf. ci-dessus, § 6)[14].


[13]. Selon le Choul’han ‘Aroukh 566, 3, ce n’est que lorsqu’il y a dix jeûneurs que l’officiant récite ‘Anénou. Mais de nombreux A’haronim écrivent que cette disposition ne vise que les cas de jeûnes fixés par la communauté ; en revanche, pour ce qui concerne les quatre jeûnes institués par les prophètes, il suffit qu’il y ait six jeûneurs pour réciter ‘Anénou. Cf. Michna Beroura 566, 14, Torat Hamo’adim 3, 12, Pisqé Techouvot 566, 4. Quand il n’y a pas six jeûneurs, l’officiant intégrera ‘Anénou à la bénédiction Choméa’ téphila (« Béni sois-Tu… qui écoutes la prière »), comme le fait le particulier.

Si l’officiant a oublié de réciter la bénédiction ‘Anénou, et s’il n’a pas encore prononcé le nom divin à la fin de la bénédiction Refaénou, il reviendra en arrière et récitera ‘Anénou. S’il a déjà prononcé le nom divin, il récitera ‘Anénou au sein de la bénédiction Choméa’ téphila, comme le fait le particulier. S’il oublie également de réciter ce texte dans Chomé’a téphila, il le dira, mais sans formule finale de bénédiction (Baroukh Ata… ha’oné lé’amo Israël be’et tsara), entre la formule finale de la bénédiction de la paix (« hamevarekh et ‘amo Israël bachalom, amen ») et le verset qui la suit (Yihyou lératson imré fi…) (Michna Beroura 119, 19). Un particulier, qui aurait oublié de réciter ‘Anénou dans la bénédiction Choméa’ téphila récitera ce texte au sein des supplications (Ta’hanounim) qui suivent la ‘Amida. Cf. Pisqé Techouvot 565, 2.

[b]. Volume équivalent à la moitié d’un œuf.

[c]. Majorité du liquide que peut contenir la bouche.

[14]. Il y a certes, en cela, différentes opinions. Selon le Michna Beroura 568, 3, se fondant sur le Nehar Chalom, on dira, en ce cas, ‘Anénou. Pourtant, le même auteur, dans le Béour Halakha 565, 1, écrit, en se fondant cette fois sur le Maamar Mordekhaï, que celui qui a mangé durant un jour de jeûne devra s’abstenir tout à fait de réciter ‘Anénou.

Pour résoudre cette contradiction apparente, le Chévet Halévi V 60 distingue deux cas : si l’on est dispensé du jeûne, on ne récitera pas ‘Anénou, mais si l’on a mangé par oubli, on récitera ‘Anénou, puisque l’on est assujetti à la loi du jeûne. Toutefois, à notre humble avis, il semble clair que, suivant la coutume ashkénaze – qui veut que l’on ne récite pas ‘Anénou à Cha’harit, de crainte de ne pas achever son jeûne –, on ne récitera pas ‘Anénou dès lors que l’on a mangé. C’est aussi la coutume de nombreux Séfarades, comme le rapporte le Torat Hamo’adim 1, 16. Celui-là même qui a l’intention de manger, bien qu’il ne l’ait pas encore fait, ne dira pas ‘Anénou (Choul’han ‘Aroukh 562, 1 ; cf. Michna Beroura 562, 6).

Il faut encore préciser la mesure à partir de laquelle le jeûne est considéré comme rompu. Car à Kipour, nos sages parlent du volume d’une grosse datte sèche (kotevet) [dont le volume est inférieur à celui de kabeitsa], consommée dans le laps de temps appelé akhilat pras [soit six ou sept minutes] ; et, quant aux boissons, de la mesure dite melo lougmav [cf. note 9] : par une telle quantité, la souffrance liée au jeûne s’annule. Cependant, selon le Choul’han ‘Aroukh 568, 1, dès lors que l’on a mangé un kazaït dans le délai d’akhilat pras, on a rompu le jeûne, car, en général, la mesure à partir de laquelle une consommation revêt quelque importance est d’un kazaït. Cf. Pisqé Techouvot 568, 1, où l’on voit que les A’haronim sont partagés à ce sujet. En raison du doute, il est préférable d’observer une prudente abstention : dans le cas où l’on a mangé un kazaït, on ne récitera plus ‘Anénou.

11. Lecture de la Torah les jours de jeûne (Vay’hal Moché)

Les jours de jeûne public, on procède à la lecture de la Torah, aux offices de Cha’harit et de Min’ha. Le texte choisi (Ex 32, 11-14 à 34, 1-10) traite de l’expiation de la faute du veau d’or (Sofrim 17, 7, Choul’han ‘Aroukh 566, 1). Ce choix porte allusivement l’idée que, de même que Dieu accorda l’absolution de la faute du veau d’or et nous donna d’autres tables de la Loi, de même nous absoudra-t-il de nos fautes et reconstruira-t-il le Temple, bientôt et de nos jours.

La majorité des décisionnaires sont d’avis de lire, à Min’ha, une haftara[d] : « Cherchez l’Eternel tant qu’Il est accessible » (Is 55, 6 à 56, 8). Telle est la coutume ashkénaze (Rama 566, 1). Mais la majorité des communautés séfarades ont l’usage de ne pas lire de haftara. Malgré cela, si l’on a appelé un Séfarade à monter à la Torah, en tant que troisième appelé, en un lieu où l’on a l’usage de lire la haftara, le fidèle montera, après quoi il lira la haftara, avec ses bénédictions (Yaskil ‘Avdi VI 9 ; cf. Torat Hamo’adim 4, 2).

On ne fait la lecture spécifique au jour de jeûne que s’il se trouve au moins six jeûneurs. S’il n’y en a pas six, on ne fera pas cette lecture. Lors de la lecture d’un jour de jeûne, on ne fait pas monter à la Torah un homme qui ne jeûne point. A posteriori, si l’on a déjà appelé un non-jeûneur, et que celui-ci a honte de dire qu’il ne jeûne pas, il sera autorisé à monter[15].

La coutume ashkénaze est de réciter la prière Avinou, Malkénou (« Notre Père, notre Roi ») après la ‘Amida de Cha’harit et celle de Min’ha. Les Séfarades n’ont pas coutume de réciter cette prière les jours de jeûne[e].


[d]. Passage tiré des livres prophétiques.

[15]. Le Michna Beroura 566, 21 rapporte une controverse quant au fait de savoir si, a posteriori, l’on est autorisé à monter à la Torah dans le cas où l’on a été appelé, alors que l’on n’a point jeûné. L’auteur tranche en disant que, si l’homme est un érudit, et qu’il craint que, s’il ne monte pas, le nom divin soit profané, il sera autorisé à monter. Selon le Torat Hamo’adim 4, 5-6 ; celui qui ne jeûne pas ne montera pas. Mais le ‘Hatam Sofer (Ora’h ‘Haïm 157) estime que, lors d’un jeûne obligatoire, sont autorisés à monter même ceux qui ne jeûnent pas ; c’est aussi l’avis du ‘Aroukh Hachoul’han 566, 11. Par conséquent, il semble que quiconque a honte soit autorisé à s’appuyer sur ces décisionnaires, et à monter à la Torah. Cf. Pisqé Techouvot 566, 4, 7.

[e]. Autres que Kipour.

12. Bénédiction des Cohanim à Min’ha

Tout au long de l’année, les Cohanim (les prêtres) ne procèdent pas à la bénédiction sacerdotale (Birkat Cohanim) à l’office de Min’ha. En effet, cet office a lieu après le repas de midi, et il est à craindre que les Cohanim n’aient bu de l’alcool au repas, et que la bénédiction ne soit dite alors qu’ils sont sous l’effet de l’alcool, ce qui constituerait un interdit. En revanche, les jours de jeûne où un office de clôture (Né’ila) est fixé, comme à Kipour ou encore lors d’un jeûne additionnel pour demander la pluie, on procède à la Birkat Cohanim à l’office de Né’ila : puisque l’on jeûne ce jour-là, l’ébriété n’est pas à craindre. Mais à l’office de Min’ha de ces mêmes jours de jeûne, on ne fait pas la Birkat Cohanim, car on craint que les gens ne soient induits en erreur, croyant que l’on fait la Birkat Cohanim à l’office de Min’ha, y compris les jours ordinaires. Toutefois, lors des jeûnes habituels, qui ne comprennent pas d’office de Né’ila, dans le cas où l’office de Min’ha est fixé à l’heure de Né’ila, on fait la Birkat Cohanim (d’après Ta’anit 26b, Choul’han ‘Aroukh, Ora’h ‘Haïm 129, 1). Par contre, si l’office de Min’ha a lieu plus tôt, on ne fera pas la Birkat Cohanim, puisque la prière de Min’ha n’aura pas lieu à l’heure qui conviendrait à un office de Né’ila. L’officiant, lui non plus, ne dira pas, dans la répétition de la ‘Amida, le passage de remplacement de la Birkat Cohanim (Elo-hénou vélo-hé avoténou), que l’on a l’usage de réciter quand il n’y a pas de Cohanim (Choul’han ‘Aroukh 127, 2 ; cf. Rama 129, 2).

Par conséquent, il est recommandé de fixer l’office de Min’ha des jours de jeûne à l’heure où l’on pourra bénéficier de la mitsva de Birkat Cohanim. Le mieux est de faire Min’ha des jours de jeûne pendant la demi-heure précédant le coucher du soleil, car c’est le moment le plus adéquat pour l’office de Né’ila. En tout état de cause, même si l’on fait Min’ha plus tôt, du moment que c’est après le plag hamin’ha[f], les Cohanim pourront encore procéder à la bénédiction. Mais si Min’ha se dit avant cela, ils ne feront pas la bénédiction.

Un Cohen qui ne jeûne pas ne procédera pas à la bénédiction. Même s’il n’y a pas d’autre Cohen, certains décisionnaires estiment qu’il n’y procédera pas pour autant (Kaf Ha’haïm 129, 5, Torat Hamo’adim 3, 4). Selon d’autres, il y procédera. Bien plus, il pourra, selon eux, y participer, du moment qu’il ne se trouve pas, parmi l’assemblée, deux Cohanim en dehors de lui (Loua’h Erets Israël ; Halikhot Chelomo, Téphila 10, 13). Si l’assemblée ne compte pas six jeûneurs au moins, le Cohen, même s’il jeûne, ne fera pas la bénédiction sacerdotale à Min’ha (cf. Pisqé Techouvot 129, 2)[16].


[f]. C’est-à-dire une heure solaire et quart avant la fin du jour (cf. note 16 ci-après).

[16]. Selon le Guinat Vradim, il est permis à un Cohen de participer à la Birkat Cohanim, à Min’ha des jours de jeûne, même s’il n’a pas jeûné lui-même, car il n’est pas à craindre qu’il soit pris de boisson un jour de jeûne. Mais les autres décisionnaires ne partagent pas son avis.

Selon le ‘Hazon Ich (Ora’h ‘Haïm 20), même à Min’ha guedola, on peut procéder à la Birkat Cohanim. En effet, l’ébriété n’est pas à craindre. Mais pour la majorité des décisionnaires, ce n’est que lorsque la prière de Min’ha se fait à un moment qui conviendrait à l’office de Né’ila, peu avant le coucher du soleil, que l’on fait la Birkat Cohanim. C’est l’opinion du Rav Pe’alim, Ora’h ‘Haïm V, du Kaf Ha’haïm 129, 7, du Loua’h Erets Israël du Gaon Rabbi Yehiel Michal Tikochinsky, et du Pisqé Techouvot 129, 1 ; cf. Torat Hamo’adim 3, 2-4.

Cette règle a pour fondement le fait que, à l’office de Min’ha de Kipour, les Cohanim ne font pas la bénédiction, de crainte que les gens ne se trompent, et qu’on n’en vienne à faire la Birkat Cohanim également à Min’ha des jours de semaine. En effet, les horaires de Min’ha sont, à Yom Kipour, identiques à ceux des jours ordinaires (du midi au soir), si bien qu’il est à craindre qu’on fasse erreur. De plus, l’office de Min’ha est plus proche du midi, moment où l’on risque de boire au déjeuner, ce qui n’est pas le cas de la Né’ila, fixé vers la fin de la journée. Aussi, un jour de jeûne où il n’y a pas de Né’ila, et pour peu que l’office de Min’ha ait lieu à l’heure qui eût convenu à la Né’ila, on procède à la Birkat Cohanim. Mais si l’office de Min’ha a lieu avant cela, on ne procède pas à cette bénédiction. Toutefois, il est convenu que, si des Cohanim sont montés sur l’estrade pour procéder à la bénédiction, alors que Min’ha se déroule avant le plag hamin’ha, on ne les en fait pas descendre. De nombreux décisionnaires ont la même position quant à Min’ha de Yom Kipour.

Le plag hamin’ha (« milieu de la période de Min’ha ») a lieu une heure solaire et quart avant la fin du jour. Les décisionnaires sont partagés sur un point : doit-on considérer, comme fin du jour, le coucher du soleil (cheqi’at ha’hama) ou la tombée de la nuit (tset hakokhavim, « apparition des étoiles »). Cf. La Prière d’Israël chap. 24, note 9. La position principale, en halakha, est de tenir compte du coucher du soleil, comme nous l’expliquons dans ledit ouvrage, chap. 20, note 3. A priori, il est bon de fixer l’heure de Min’ha de manière telle que la ‘Amida soit dite durant la demi-heure précédant immédiatement le coucher du soleil, moment qui conviendrait à un office de Né’ila.

Si la répétition de la ‘Amida par l’officiant se prolonge au-delà du coucher du soleil, il sera permis, a posteriori, de faire la Birkat Cohanim jusqu’à la tombée de la nuit, car différents doutes se combinent ici : a) pour le Raavia, le Yereïm et le Or Zaroua’, il est permis de faire la Birkat Cohanim la nuit ; b) la période séparant le coucher du soleil de la tombée de la nuit (période dite bein hachmachot) est douteuse : il faut peut-être la rattacher au jour précédent ; c) pour Rabbénou Tam, le temps qui suit le coucher du soleil appartient assurément au jour. C’est en ce sens que tranchent le Choul’han ‘Aroukh Harav 623, 8 et le Pisqé Techouvot 623, note 13, au nom du Rav Chelomo Zalman Auerbach et du Rav Yossef Chalom Elyachiv. C’est aussi en ce sens que s’expriment le Ye’havé Da’at VI 40 et le Or lé-Tsion II 8, 13, qui précisent que, jusqu’à treize minutes et demie après le coucher du soleil, la nuit n’est pas encore tombée.

01. Les jours de bein hametsarim

Les trois semaines qui commencent le soir du 17 tamouz et se poursuivent jusqu’au 9 av sont des jours de tristesse, au sujet desquels il est dit : « Tous ses persécuteurs l’ont atteinte parmi les détresses (bein hametsarim[a]) » (La 1, 3). Aussi nos sages ont-ils suggéré de redoubler de prudence, durant ces jours, qui sont susceptibles de malheurs. Par exemple, ceux qui se rendent en promenade ou vont nager à la mer, bien qu’ils doivent en tout temps faire attention de protéger leur personne, prendront garde davantage durant ces jours (Eikha Rabba 1, 29).

Afin de marquer le caractère de ces jours, nos sages ont prescrit, durant les trois semaines de bein hamétsarim (les « jours de détresse »), de lire des haftarot[b] traitant de calamités ; puis, dans les sept semaines qui suivent le 9 av, des haftarot de consolation (Choul’han ‘Aroukh 428, 8, d’après la Psiqta).

Bien que nos sages n’aient pas pris de décrets particuliers pour marquer la tristesse de ces trois semaines, le peuple juif a pris l’usage de s’abstenir de danser, durant toute cette période, et l’on s’abstient de dire la bénédiction Chéhé’héyanou (« Béni sois-Tu… qui nous as fait vivre, nous as maintenus et nous as fait parvenir à pareille époque »)[1].

Certaines coutumes de deuil ne sont observées que dans une partie des communautés. Les Ashkénazes, ainsi qu’une partie des Séfarades, parmi lesquels les originaires du Maroc et de Djerba, ont coutume de ne pas se faire couper les cheveux durant les trois semaines. Les autres Séfarades ont coutume de n’être rigoureux à cet égard que durant la semaine même du 9 av. De même, s’agissant des mariages : les Ashkénazes, les Yéménites et la majorité des Séfarades ont coutume, durant toute la période des trois semaines, de ne pas célébrer de noces ; d’autres communautés séfarades sont indulgentes en cela, et ne s’abstiennent de célébrer des noces qu’à partir de la néoménie du mois d’av (cf. ci-après, § 7).

Dans les paragraphes suivants, nous expliquerons de manière détaillée les coutumes des trois semaines, des neuf premiers d’av, et de la semaine même au cours de laquelle tombe le 9 av.


[a]. Littéralement : « entre les détresses », ou « entre les limites ».

[b]. Sing. haftara : texte tiré des livres prophétiques, lu à la synagogue après la lecture de la Torah, le Chabbat.

[1]. Bien que le jeûne du 17 tamouz commence à l’aube seulement, les coutumes de deuil des trois semaines commencent dès la nuit. Nous avons vu en effet, plus haut, qu’à l’origine le jeûne devait commencer de nuit, et que, si l’on jeûne de nos jours à partir de l’aube seulement, c’est qu’il n’y a point de décrets (gzera, plur. gzerot) à cet égard, et le jeûne dépend de la volonté du peuple juif ; or le peuple a voulu jeûner depuis l’aube. Mais les trois semaines n’en commencent pas moins la nuit du 17. C’est ce qu’écrit le ‘Hida dans ses responsa ‘Haïm Chaal I 24, d’après Na’hmanide. Certes, le Igrot Moché, Ora’h ‘Haïm I 168, est indulgent en cela, en matière de mariage. De même, dans le vol. IV 112, l’auteur permet, en cas de grande nécessité, de se couper les cheveux le soir du 17. Toutefois, le Tsits Eliézer X 26 ne partage pas son avis : à partir du soir du 17 tamouz, même un mariage, qui constitue une mitsva, ne doit pas être célébré. Cet avis semble convainquant. Cf. Pisqé Techouvot 551, 7.

02. Danses et instruments de musique

Les A’haronim ont écrit qu’il est interdit d’organiser des danses ou des rondes, du 17 tamouz au 9 av (Maguen Avraham 551, 10). À ce titre, ils ont interdit, durant ces jours, de jouer de la musique et d’écouter de la musique instrumentale. Par conséquent, il est interdit, durant les trois semaines, de programmer des groupes de danse, des concerts, des soirées de chant ; de même, les décisionnaires ont interdit d’y participer. Il est permis de maintenir, jusqu’à Roch ‘hodech du mois d’av seulement, un cours d’aérobic, qui sert essentiellement à l’entraînement corporel ; mais on s’efforcera d’atténuer le volume de la musique, afin qu’il soit reconnaissable que cette musique ne sert qu’à soutenir l’entraînement physique, et non à se réjouir.

Il est permis à un Juif qui tire ses revenus de la pratique instrumentale de jouer, pour les besoins de sa subsistance, à des fêtes non-juives, ce jusqu’à la fin du mois de tamouz. En effet, quoiqu’il y joue des musiques joyeuses, il n’en ressent pas tellement de joie, puisqu’il est occupé à son travail. Mais à partir de Roch ‘hodech du mois d’av, on ne jouera pas (Béour Halakha 551, 2).

Puisque l’interdit de jouer d’un instrument a pour motif la joie que l’on en tire, il est permis aux professeurs d’instrument de poursuivre leur enseignement instrumental, ce jusqu’à la semaine où tombe le 9 av. En effet, l’enseignement instrumental n’engendre pas de plaisir, ni pour les professeurs, ni pour les élèves. À l’inverse, l’arrêt de cet enseignement causerait une perte pour le professeur ; les élèves eux-mêmes auraient besoin, après coup, de fournir un effort supplémentaire pour revenir au programme d’études, et peut-être même auraient-ils besoin, à cause de cette vacance, de leçons supplémentaires. Il est bon de travailler, pendant les trois semaines, des morceaux tristes (Tsits Eliézer XVI 19). En revanche, si les professeurs et les élèves ont de toute façon l’habitude de faire une pause au cours de leur année d’étude, il est bon qu’ils la fassent durant les trois semaines.

03. Jouer d’un instrument et chanter lors d’un repas associé à une mitsva

Il est permis d’interpréter des chants de joie lors d’un repas associé à une mitsva (sé’oudat mitsva) : par exemple, lors du repas qui suit une circoncision, le rachat d’un premier-né, ou un repas donné en l’honneur de nouveaux mariés, où se récitent les sept bénédictions (chéva’ berakhot). De même, il est permis de faire une fête de bar-mitsva ou de bat-mitsva, à condition qu’elle soit organisée le jour même où l’adolescent(e) parvient à l’âge de l’observance des mitsvot.

Les décisionnaires sont partagés quant au fait de savoir si, en un endroit où l’on a l’habitude constante de faire venir des musiciens pour animer une sé’oudat mitsva, il est permis d’en faire venir aussi pendant les trois semaines. Selon certains, puisque le jeu instrumental est ici destiné aux besoins d’une mitsva, ce sera permis ; mais d’autres l’interdisent. Si l’on veut être indulgent, on a sur qui s’appuyer, à condition que tel soit l’usage, en cet endroit, tout au long de l’année.

Par conséquent, en un lieu où il est toujours d’usage de commander un orchestre pour une fête de bar-mitsva, on pourra le faire. Mais si certaines personnes, en ce lieu, font venir ordinairement deux musiciens, et que d’autres en fassent venir trois, il sera juste, pendant les trois semaines, de n’en faire venir que deux. La règle est la même pour toutes les célébrations joyeuses associées à une mitsva : on suit l’usage de toute l’année.

Mais lorsque commence le mois d’av, on ne fait plus venir d’orchestre, pour aucune célébration. De même, il n’y a plus lieu de diffuser, depuis un matériel de sonorisation, des chants de joie. Il ne sera permis que de chanter, sans accompagnement instrumental, les chants directement liés à la joie de la mitsva. Il sera même permis de danser en rond, quelque peu, comme beaucoup ont l’usage de le faire lors de la célébration d’une circoncision[2].

Des fiancés appartenant à des communautés ayant coutume de célébrer des mariages jusqu’à la fin du mois de tamouz seront autorisés à faire venir à leurs noces un orchestre « standard », car la joie des noces ne se fête pas sans instruments de musique. Ceux-là même qui ont coutume de ne pas se marier durant ces jours pourront se joindre à une telle fête et participer, en dansant, à la joie des époux, car il s’agit là d’une joie consacrée à une mitsva.


[2]. Le Kaf Ha’haïm 551, 40 rapporte une controverse entre A’haronim au sujet du jeu instrumental lors de festivités données à l’occasion d’une mitsva. Le Hilkhot ‘Haguim 25, 6 est rigoureux, tandis que le Torat Hamo’adim 5, 4 cite plusieurs A’haronim à l’appui de l’indulgence. Cf. Pisqé Techouvot 551, 13, lequel précise que, après Roch ‘hodech av, il n’y a plus lieu d’être indulgent.

04. Ecouter de la musique à partir d’un appareil électrique domestique

Selon certains, de même qu’il est interdit d’écouter de la musique instrumentale en concert durant les trois semaines, de même est-il interdit d’en écouter par le biais d’appareils de diffusion électriques domestiques[c]. Seule l’écoute de chants a cappella (sans accompagnement instrumental) est permise, durant l’omer comme durant les trois semaines. C’est la directive que donnent plusieurs grands décisionnaires (Igrot Moché, Yoré Dé’a II 137, Ye’havé Da’at VI 34). Un décisionnaire interdit même l’écoute de chants sans accompagnement d’instruments durant ces jours (Tsits Eliézer XV 33).

Cependant, d’autres décisionnaires autorisent, durant ces jours, l’écoute de musique instrumentale par le biais d’appareils de diffusion électrique. En effet, ce que les A’haronim ont interdit, selon eux, est précisément l’écoute d’un spectacle vivant, où se produisent des musiciens, car cette circonstance possède un caractère festif ou solennel. En revanche, l’écoute de musique instrumentale par l’intermédiaire d’appareils électriques ne présente pas un caractère tellement festif. Il est vrai que, lorsque les premiers récepteurs de radio et les premiers magnétophones commencèrent d’être fabriqués, il y avait une joie spéciale à écouter les airs qu’ils diffusaient. Mais de nos jours, où tout le monde a l’habitude d’entendre, en tout temps, de la musique diffusée par de tels appareils, il n’y a pas là de joie si particulière. Par conséquent, il n’y a pas d’interdit à une telle écoute pendant les trois semaines.

De plus, il faut distinguer entre les airs destinés à la joie et les musiques ordinaires. Ce ne sont que les musiques de joie qu’il convient d’interdire pendant ces jours, tandis qu’il n’y a pas lieu d’interdire des musiques ordinaires, et à plus forte raison des musiques tristes, pendant les trois semaines. Nous apprenons ainsi (au traité Chabbat 151a) que, pendant les enterrements eux-mêmes, on avait coutume de jouer sur les flûtes afin d’éveiller la tristesse et les pleurs en l’honneur du mort ; et cela se faisait au titre de la mitsva d’accompagner le mort. Nous voyons par-là qu’il ne pèse pas d’interdit absolu sur l’écoute de musique instrumentale : l’interdit, pendant les jours de deuil, est d’entendre des airs joyeux. De même, j’ai entendu de la bouche de mon père et maître que, non seulement il est permis, les neuf premiers jours d’av, de diffuser à la radio des chants tristes, évoquant la destruction du Temple, accompagnés d’instruments de musique, mais il y a là un bienfait, car ainsi les cœurs sont portés davantage à s’endeuiller pour la destruction du Temple[3].


[c]. Magnétophone, chaîne haute-fidélité, ordinateur, tablette numérique etc.

[3]. Parmi ceux qui interdisent d’écouter de la musique instrumentale diffusée à la radio, le Igrot Moché, Yoré Dé’a II 137 ; le Or’hot ‘Haïm I 166 tend à l’interdire également. Le Ye’havé Da’at VI 34, quoiqu’il autorise à écouter de la musique instrumentale à notre époque [après la destruction du Temple], interdit d’en écouter par radiodiffusion ou autre support électrique durant l’omer et les trois semaines (toutefois, il l’avait oralement permis à la station de radio Aroutz 7, afin que ne fussent pas annulés les séquences consacrées à la Torah). Le Tsits Eliézer XV 33 interdit même, dans cette période, l’écoute de chansons sans accompagnement instrumental, diffusées par radio. Cf. Pisqé Techouvot 551, 13.

Cependant les arguments des décisionnaires indulgents sont forts. En particulier, l’usage d’interdire l’écoute de musique instrumentale et les danses, durant ces jours, n’est mentionné pour la première fois que chez les A’haronim, et l’on ne trouve pas, à cet égard, de décret ancien. Dans le même ordre d’idées, les responsa ‘Helqat Ya’aqov I 62 font valoir que l’écoute de musique depuis un appareil électronique n’entre pas dans le champ du décret (ni des usages de deuil traditionnels), puisque ces appareils n’existaient pas à l’époque.

Cependant, la règle dépend de la joie qui réside en la chose. On peut déduire cela du fait que les A’haronim ont permis, durant cette période, l’apprentissage d’un instrument, en considérant qu’il n’y a point de joie en l’affaire. Nous voyons donc bien que tout dépend de la joie. Le Maharam Shik, sur Yoré Dé’a 368, s’intéresse à la différence existant entre un air joyeux et un air triste : ce dernier n’est pas interdit, selon lui, durant les jours de deuil. C’est aussi ce qui ressort des propos de Maïmonide, Ta’anit 5, 14, quand il traite de l’interdit du jeu instrumental après la destruction du Temple : « Ainsi, dit-il, nos sages ont décrété de ne jouer d’aucun instrument de musique. De toutes sortes de sons instrumentaux… il est interdit de se réjouir, et il est interdit de les entendre, en raison de la destruction du Temple. » D’après cela, il semble que l’interdit, dans son fondement, vise les chants de joie, qui conviennent au danses et aux rondes ; tandis que les chansons ordinaires, et à plus forte raison tristes, ne sont pas interdites.

D’autres ne prennent pas en compte la différence entre airs gais et airs tristes : d’un côté, ils veillent scrupuleusement à ne pas écouter ni à faire écouter de musique instrumentale pendant les trois semaines et pendant l’omer ; et à l’inverse, ils font entendre des chants joyeux, interprétés par des chanteurs non accompagnés d’instruments. Mais c’est une erreur, car il est plus nécessaire d’être rigoureux en s’abstenant de diffuser des chants joyeux, même sans accompagnement instrumental ; tandis que, s’agissant de chants tristes, même accompagnés d’instruments, on peut s’appuyer sur les décisionnaires indulgents. Telle était l’habitude, à Aroutz 7, que de diffuser, durant les trois semaines, des chansons ordinaires, non caractérisées par la joie ; puis, pendant les neuf derniers jours, on diffusait des musiques tristes rappelant aux auditeurs le deuil pour la destruction du Temple. Cf. encore, dans la revue Te’houmin n°13, l’article du Rav Chemouel David. Cf. ci-dessus, chap. 3 § 10.

De l’avis même des décisionnaires rigoureux, si l’on écoute une émission consistant principalement en paroles, et que, entre les paroles, viennent s’insérer des morceaux de musique, on n’est pas obligé d’éteindre la radio ; mais celui qui éteint sera béni pour cela (Hilkhot ‘Haguim 25, 9).

Il semble que, de l’avis même des décisionnaires rigoureux, on puisse, le vendredi après le milieu du jour et à l’issue de Chabbat, adopter l’usage indulgent, car la sainteté du Chabbat et la joie qui lui est propre planent sur ces moments, puisqu’on ne dit pas de Ta’hanounim (supplications) le vendredi après-midi, et que l’on porte encore ses vêtements sabbatiques à l’issue du Chabbat.

05. En pratique

L’opinion indulgente nous semble, en pratique, pouvoir être adoptée : il y a lieu de distinguer entre trois catégories de musique. La première consiste en airs réjouissants, tels que les chansons de mariage. La deuxième : des chansons qui ne se caractérisent pas par une joie particulière, ni par une tristesse particulière ; dans cette catégorie, se rangent la majorité des chansons de notre temps, et la majorité des œuvres classiques. La troisième : les airs tristes, tels que les chansons de deuil écrites pour déplorer la mort d’une personne, ou la destruction du Temple.

À partir du commencement des trois semaines, il y a lieu de s’abstenir d’écouter des musiques appartenant à la première catégorie, les musiques concourant à la joie. Dès Roch ‘hodech du mois d’av, il faut s’abstenir également d’écouter des pièces de la deuxième catégorie, intermédiaire ; il n’est permis d’entendre que les musiques relevant de la troisième catégorie, les musiques tristes. Il semble encore que, lorsqu’on écoute de la musique à volume élevé, même quand elle est de caractère neutre, la puissance sonore donne à l’œuvre un côté festif : elle prend l’allure d’une musique réjouissante. Aussi, s’agissant même de musiques qu’il est permis d’entendre durant les trois semaines, il reste interdit de les écouter à volume élevé.

Il semble, de plus, qu’il est interdit de participer à un concert de musique, même triste, telle qu’un requiem, durant les trois semaines. Bien qu’il s’agisse de musique de deuil, le concert en tant que tel est un événement solennel et joyeux. C’est un fait que l’on a l’habitude de s’habiller de façon distinguée quand on va au concert. Toutefois, quand on organise un événement culturel, il semble permis d’y faire entendre une mélodie triste, en souvenir de Jérusalem, même durant les neuf jours[d] (d’après Chabbat 151a).


[d]. Quand on parle des « neuf jours », par opposition au reste des trois semaines, on met à part le neuvième jour lui-même, 9 du mois d’av, où les règles sont plus contraignantes que les huit premiers jours de ce mois.

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